Les étudiants animateurs
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Les étudiants animateurs
DOSSIER LES ÉTUDIANTS ANIMATEURS : UN PETIT BOULOT VOCATIONNEL L’exercice par certains étudiants d’un « petit boulot » dans l’animation résulte d’un ajustement entre, d’une part, les propriétés à la fois objectives et subjectives de cette population et, d’autre part, les caractéristiques et les exigences d’un secteur historiquement marqué par une pratique bénévole et des valeurs spécifiques. Cet article, qui repose sur une enquête ethnographique, tente de montrer en quoi ces étudiants ont vocation à occuper occasionnellement cet emploi et à y être considérés comme idéalement ajustés, alors même qu’ils n’envisagent pas d’y faire carrière. Vanessa Pinto Doctorante en sociologie au Centre de sociologie européenne (CNRS/Paris-I/EHESS) et membre de l’équipe Enquêtes, terrains, théories du Centre Maurice-Halbwachs (ENS/EHESS/CNRS) Attachée temporaire d’enseignement et de recherche en sociologie à l’université Lille-III Courriel : [email protected] 20 Entre l’engagement bénévole et militant, où le « désintéressement » est valorisé, et la carrière professionnelle dans l’animation, il existe une forme d’activité exercée de façon rémunérée et occasionnelle par « toute une “zone grise” d’animateurs qui […] n’ont pas vocation à faire de l’animation leur profession, mais dont l’activité ne saurait être assimilée à du bénévolat1 ». Un tel mode d’occupation statutairement flou est rendu possible par l’existence d’une « main-d’œuvre » ajustée. Or, il apparaît qu’une partie des étudiants est particulièrement adaptée aux exigences de ce secteur et semble en tout point conforme à la définition de l’excellence professionnelle qui y prédomine. Comment s’est dessinée, historiquement, la place de cette population au sein d’un univers d’abord marqué par une pratique bénévole ? En vertu de quels critères spécifiques ces étudiants animateurs sont-ils appréciés ? Notamment, présentent-ils des affinités électives avec les individus – formateurs, employeurs – dont les valeurs font norme ? Enfin, à côté de leurs atouts objectifs, comment caractériser l’ethos de ces candidats idéaux pour lesquels l’animation représente une forme de « petit boulot vocationnel » ? L’enquête par observation participante et par entretiens comporte trois terrains : une session estivale en internat pendant le stage « théorique » du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur de centre de vacances et de loisirs (BAFA), session de huit jours proposée par l’Union française des colonies de vacances (UFCV) ; un centre de loisirs parisien pendant trois semaines d’été ; enfin, une session « d’approfondissement » de six jours organisée par les centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA) en externat et en dehors des vacances scolaires. ÉTUDIANTS ANIMATEURS EN FAIRE SON MÉTIER QUALITÉ DE L’EMPLOI CADRES DE L’ANIMATION L’HÉRITAGE DE L’ANIMATION OCCASIONNELLE La place historique des étudiants parmi les animateurs Héritier de l’éducation populaire, le « métier » d’animateur a longtemps été exercé de manière bénévole, à côté d’une activité principale2. En effet, aux débuts de la IIIe République, prêtres et religieuses d’une part, instituteurs de l’autre assurent l’encadrement périscolaire de la jeunesse dans le cadre d’initiatives privées comme les « patronages » que les réseaux concurrents du catholicisme et des courants laïques instituent. Insuffisamment nombreux pour encadrer les enfants, ces militants sont peu à peu aidés de jeunes : étudiants issus de la bourgeoisie catholique, séminaristes, élèves des écoles normales, etc. Dans les années 1930, alors que le scoutisme et les colonies de vacances se sont fortement développés, les étudiants vont ainsi constituer « une source heureusement abondante3 » au regard des difficultés pour engager des surveillants : leur présence importante semble donc ancienne dans ce secteur d’activité. Avec le recours croissant à cette main-d’œuvre se pose alors, au sein de cet univers faiblement institutionnalisé, la question du recrutement, de la rémunération Vuilque, 2000, p. 3. Sur l’histoire de l’animation, voir Lebon, 2005 ; Poujol, 1989 ; Augustin, Gillet, 2000. 3 Expression employée en 1931 par l’abbé Bard (délégué de l’Union nationale des colonies de vacances) et citée dans Tétard, 2002. 1 2 N° 48 AGORA DÉBATS/JEUNESSES 21 DOSSIER et de la formation du personnel d’encadrement. À partir du Front populaire, on voit apparaître des lieux de formation et l’État tient un rôle croissant, notamment à travers la réglementation et le financement des colonies de vacances. Toutefois, l’activité des « moniteurs » de colonies, figures qui se substituent à celles des prêtres et des instituteurs à mesure que le monde périscolaire se sécularise, se dépolitise et se « rationalise » (au sens wébérien) mais demeure en dehors du salariat. En vertu d’une conception selon laquelle « les personnels éducatifs n’exercent pas une profession, mais une activité saisonnière, qui est un service social volontaire, […] une mission4 », le principe d’une « indemnité » (ou « gratification ») est, de fait, conservé. Le statut qui en découle, intermédiaire entre le salariat et le bénévolat, est même institutionnalisé par l’État, qui instaure, à partir de 1955, un système forfaitaire de cotisations à la Sécurité sociale pour les « personnes recrutées à titre temporaire et non bénévole pour assurer l’encadrement des enfants pendant leur séjour dans des camps ou colonies de vacances agréés5 ». Loin de disparaître, l’animation dite « occasionnelle » – principalement exercée par des étudiants – est consacrée en tant que telle avec l’émergence, au cours des années 1960, d’une animation dite « professionnelle » suite à l’ouverture de nouveaux équipements socioculturels et sportifs et à l’instauration de diplômes spécifiques. En effet, en réglementant le fonctionnement, et en particulier le taux d’encadrement des « centres aérés » puis des « centres de loisirs », l’État contribue au développement de la main-d’œuvre recrutée dans ces structures dont, en outre, la fréquentation connaît une forte hausse (à la différence de celle des colonies de vacances estivales, qui décline à partir des années 1970). Mais surtout, en instaurant la nécessité, pour une proportion définie d’« animateurs », de disposer d’un diplôme comme le BAFA (créé en 1973), il confère une légitimité importante à ce titre officiellement destiné aux animateurs « occasionnels ». De même, si elle semble concourir, par son existence, à la « professionnalisation » des animateurs, la convention collective nationale de l’animation socioculturelle, signée en 1988, établit en même temps, avec son annexe II, un régime dérogatoire pour le « personnel pédagogique employé occasionnellement dans les centres de vacances et de loisirs ». Statut d’exception repris sous la forme du contrat d’engagement éducatif dans la loi du 23 mai 2006 relative au contrat de volontariat associatif et justifié par trois arguments principaux : le premier renvoie à la survie économique des organisateurs de séjours ; le deuxième concerne les spécificités de l’animation (forte saisonnalité et nécessité d’une présence continue auprès des enfants) ; le dernier tient aux atouts éducatifs de cette expérience de travail qui serait dégagée de tout lien salarial de subordination, véritable apprentissage initiatique de la vie d’« adulte » et de « citoyen ». Vocation et profession Aujourd’hui, au sein du secteur de l’animation, trois groupes peuvent être distingués à partir des données disponibles, des travaux publiés et des discours indigènes. 4 Propos tenus en 1953 par le colonel Stassinet, alors délégué général de l’UFCV, et cités dans Lebon, 2005, p. 109. 5 Arrêté du 27 mai 1955, Journal officiel du 7 juin 1955, p. 5777. 22 Le premier groupe, que l’on pourrait qualifier de groupe des « militants », hérite de l’engagement bénévole qui a caractérisé l’éducation populaire. Sa figure idéale-typique en est l’instituteur de sexe masculin, né avant les années 1960, qui, pendant les vacances scolaires, encadre des colonies ou « centres de vacances et de loisirs » (CVL) à titre d’animateur ou de directeur et parfois des stages BAFA à titre de formateur ou de directeur. Le deuxième groupe, celui des animateurs « occasionnels », est représenté par des jeunes scolarisés, étudiants ou lycéens, qui voient dans l’animation une façon ajustée à leurs dispositions et à leurs attentes de gagner un revenu d’appoint et/ou de s’initier aux métiers de l’éducation ou du travail social auxquels ils se destinent. Très présents dans les CVL, ils le sont également dans les centres de loisirs sans hébergement (CLSH), les filles étant largement majoritaires au sein des centres maternels. Enfin, le troisième groupe, celui des animateurs « professionnels » (y compris précaires), est constitué d’individus plus ou moins jeunes dont l’activité principale et la carrière probable se situent dans le secteur de l’animation, principalement dans les CLSH. Essentiellement féminin, moins diplômé et d’origine plus populaire que la catégorie précédente, souvent issu des « quartiers », ce personnel parfois doté de diplômes professionnels a accédé à l’animation par la voie des politiques d’emploi mises en place à partir des années 1980 ou par celle des concours de la fonction publique territoriale. Il est essentiel, pour comprendre l’ajustement d’étudiants au secteur de l’animation, d’avoir à l’esprit l’existence de ces trois groupes : si certains étudiants semblent en tout point détenir le profil de l’emploi, c’est parce que cet emploi a été construit par des agents qui présentent des affinités de dispositions avec les leurs et qui semblent de ce fait reconnaître en eux – davantage qu’en certains professionnels – des héritiers légitimes, c’est-à-dire aptes à recevoir un héritage de normes et de pratiques, autrement dit les valeurs du métier. D’où la distinction, apparemment paradoxale, entre, d’un côté, la motivation, le désintéressement voire le professionnalisme des occasionnels et, de l’autre, la routine et les soucis de carrière attribués aux professionnels, ou, en d’autres termes, la distinction entre vocation et profession, où sont dissociés les deux versants de la notion de Beruf6. Distinction assez répandue qui renvoie à d’autres, comme celle qui oppose les colonies, lieux emblématiques et paradis perdus de l’animation, aux centres de loisirs, parfois assimilés à de simples garderies. ÉTUDIANTS ANIMATEURS EN FAIRE SON MÉTIER QUALITÉ DE L’EMPLOI CADRES DE L’ANIMATION Les valeurs du métier Quelles sont, plus précisément, ces normes qui s’imposent aux nouveaux prétendants et en vertu desquelles est jugée leur adéquation au poste, normes qui peuvent être saisies de manière privilégiée au sein de sessions BAFA, où elles sont explicitées et transmises aux stagiaires et utilisées comme critères pour leur évaluation7 ? Voir Weber, 2000. J’insiste davantage ici sur les normes transmises en situation de formation que sur celles que j’ai pu observer en situation de travail à partir d’une enquête au sein d’un centre de loisirs ; l’adéquation de certains étudiants au poste d’animateur en CLSH sera néanmoins évoquée dans la suite de l’article, notamment à travers le cas de trois étudiantes. 6 7 N° 48 AGORA DÉBATS/JEUNESSES 23 DOSSIER En premier lieu, il apparaît que les formateurs, pourtant issus par leurs origines sociales ou leur profession actuelle de l’institution scolaire, manifestent et valorisent un style antiscolaire et antiautoritaire8. Style qui découle à la fois de leurs trajectoires individuelles, de la position relative et de l’histoire des institutions auxquelles ils appartiennent – école et secteur « périscolaire » –, et des modèles idéologiques qui dominent dans l’univers éducatif après 1968 et dont ils héritent plus ou moins consciemment. Il faut d’abord évoquer l’allure même de Il apparaît qu’une partie des étudiants ces encadrants : attitude corporelle est particulièrement adaptée aux exigences et tenue vestimentaire décontracde ce secteur et semble en tout point tées, un peu bohèmes, avec un lanconforme à la définition de l’excellence gage mêlant fautes d’accords professionnelle qui y prédomine. volontaires, expressions enfantines et « gros mots » savamment dosés. À travers des consignes (« aller dans l’imaginaire ») et des incitations plus implicites, les stagiaires sont encouragés à « oser », à « se lâcher ». Par ailleurs, tout ce qui pourrait rappeler l’école (présentation, emploi du temps, apprentissage de la réglementation, etc.) est tourné de façon ludique (quiz en équipes et autres jeux interactifs) ou ironique (bilan sur le stage demandé sous forme de « dissertation en trois parties », etc.). Même les moments de formation à l’apparence la plus studieuse sont, dans la mesure du possible, conçus en rupture avec les pratiques scolaires. Il en est ainsi des « temps de réflexion » (sur le « rôle de l’animateur », la « liberté », l’« autorité », la « sanction », etc.), organisés en petits groupes et animés par un ou deux formateurs (« On n’est pas profs, il n’y aura pas d’interro à la fin. Ce sera des temps de discussion, avec des débats contradictoires ») : tables disposées en cercle, savoirs coproduits sur le mode de la maïeutique (et non connaissances imposées par un maître à des élèves passifs), échanges centrés sur les expériences et le « ressenti » de chacun. Y est prônée une pédagogie qui privilégie la parole et les « besoins de l’enfant » (résolution des conflits par le dialogue, réflexion sur les objectifs éducatifs des jeux pratiqués, valorisation des « réveils échelonnés », rejet du principe de compétition, etc.), par opposition à la discipline supposée arbitraire de l’école. En second lieu, bien que les verdicts des formateurs aient finalement peu d’effets sur la délivrance des diplômes (le BAFA étant très largement accordé aux candidats), les stagiaires sont évalués selon trois ensembles de critères : dynamisme et implication dans la session (être « acteur de sa formation »), sens des responsabilités et aptitude au travail sur soi. Sans cesse incités à « se remettre en question » de façon collective (notamment lors des temps de réflexion après chaque activité qu’ils organisent et au sein d’un « forum » où la vie du groupe est évoquée chaque matin), ils le sont aussi de façon individuelle dans le cadre d’entretiens réguliers avec le formateur affecté à chacun d’eux. Les stagiaires sont alors évalués en fonction de leur capacité à évaluer eux-mêmes leurs propres compétences et leur « évolution ». 8 Attitude proche de celle d’autres professionnels situés dans un rapport de « complémentarité pratique » et d’« opposition symbolique » à l’institution scolaire : les éducateurs spécialisés (du moins la génération entrée dans la profession entre les années 1965 et 1975) ; voir Muel-Dreyfus, 1983. 24 ÉTUDIANTS ANIMATEURS LA VOCATION D’ANIMATEUR OCCASIONNEL PARMI LES ÉTUDIANTS Après avoir décrit les normes et les valeurs qui dominent au sein de l’animation, il s’agit de caractériser les individus qui y semblent particulièrement ajustés et de montrer en quoi certains étudiants sont considérés comme conformes aux critères de compétence propres à cette activité. Voici la réponse de Michel, formateur à l’UFCV et directeur de CVL, à la question sur les avantages et les inconvénients à employer des étudiants : « Les avantages, c’est la disponibilité. Jusqu’à un certain niveau d’études, c’est vrai que si on est en fac, il y a quand même pas mal de loisirs. Et puis c’est quand même des gens qui réfléchissent, les étudiants [il rit]. Donc ils sont quand même prêts à réfléchir sur leurs pratiques et sur tout ça, donc c’est bien. […] Et puis motivés parce que… tu as du temps. Jusqu’à présent, les étudiants avec qui j’ai bossé ont été des gens et sont des gens qui ont envie, qui veulent bouger… Ça leur fait du bien d’aller s’éclater et puis d’oublier un petit peu les cahiers et les feuilles. […] Je vois pas particulièrement d’inconvénients. » EN FAIRE SON MÉTIER QUALITÉ DE L’EMPLOI CADRES DE L’ANIMATION En fait, une lecture attentive de cet extrait permet de mieux saisir les caractéristiques de ces candidats idéaux : des étudiants engagés dans des filières non sélectives et donc temporellement disponibles (au moins pendant les vacances), dotés de ressources culturelles ou de « bonne volonté culturelle », avec un dynamisme propre à la jeunesse et disposés à prendre leurs distances avec l’univers scolaire. Plutôt que « des étudiants » en général, il s’agit donc de certaines fractions de la population étudiante. Par la suite, au lieu d’invoquer simplement leur condition d’étudiant, il faut décrire l’ensemble des propriétés sociales et des dispositions de ces candidats. Malgré les difficultés à cerner, à l’instar de la population des animateurs dans son ensemble, le groupe des étudiants animateurs ou celui des animateurs occasionnels, plusieurs enquêtes statistiques centrées sur les titulaires du BAFA, comme celle menée en 2003 par l’Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes9 (OVLEJ), offrent des éléments utiles. Les quatre cents individus interrogés, qui ont obtenu leur diplôme un an plus tôt (auprès de l’UFCV et des CEMEA), sont surtout des filles, ils ont une moyenne d’âge de 21 ans et sont très majoritairement scolarisés, principalement à l’université. Du point de vue de leurs origines sociales, ils occupent une position intermédiaire entre la population des animateurs (où la part des enfants d’ouvriers et d’employés est plus importante) et celle des étudiants dans son ensemble (où les enfants de cadres sont plus nombreux). La plupart se destinent aux métiers de l’éducation, du travail social ou de la santé, ces métiers étant d’ailleurs fréquemment exercés par leurs propres parents. Leur choix de la formation BAFA se situe souvent dans la continuité d’une fréquentation enfantine des CVL. D’une durée assez courte, la pratique de l’animation est surtout envisagée en parallèle à la poursuite des études ou dans l’attente d’un emploi à plein temps. La faiblesse des revenus proposés (plus réduits en CVL, où le revenu net est d’environ 22 euros par jour, qu’en CLSH, où il peut atteindre 80 euros) apparaît à leurs yeux comme plutôt secondaire, en 9 Voir Monforte, 2006. N° 48 AGORA DÉBATS/JEUNESSES 25 DOSSIER lien avec leurs origines sociales relativement favorisées10, avec leur faible degré d’émancipation matérielle à l’égard de la famille et, pour certains, avec des dispositions au désintéressement. Pour autant, l’exercice de l’animation ne semble pas totalement dénué d’intérêt professionnel aux yeux des jeunes interrogés ; la détention du BAFA est même valorisée à l’entrée de certains métiers comme celui de professeur des écoles (pour lequel la préparation au diplôme de moniteur a longtemps été obligatoire). En somme, tout se passe comme s’il existait une forme d’ajustement entre, d’une part, les besoins financiers et les aspirations professionnelles de ces jeunes et, d’autre part, les caractéristiques du secteur, héritier d’une pratique bénévole. Trois cas d’étudiantes animatrices Les entretiens approfondis que j’ai menés auprès de stagiaires et d’animateurs rencontrés dans le cadre de mes trois terrains d’observation permettent d’analyser en détail les dispositions et les trajectoires de ces étudiants – ou plus précisément « étudiantes », puisqu’il s’agit en majorité de filles qui, de surcroît, se préparent en général à des métiers féminisés. Trois cas – correspondant à trois catégories distinctes – d’étudiantes animatrices vont être présentés. Julie, future éducatrice spécialisée, âgée de 21 ans, appartient à une catégorie d’étudiants qui se destinent, sur le mode de la vocation, aux métiers de l’éducation ou du travail social et qui voient dans l’animation une sorte de propédeutique. Apprentie comédienne âgée de 25 ans, Elsa fait partie de ces enquêtés qui aspirent à des métiers artistiques et dont le travail d’animateur s’intègre dans un mode de vie intermédiaire entre la vie d’étudiant et la vie d’artiste. Âgée de 24 ans, Fleur, inscrite en licence de géologie (après avoir tenté une année en médecine), suit une filière universitaire éloignée de l’animation, mais manifeste de fortes dispositions pour cet univers, où elle peut à la fois gagner un peu d’argent le temps de ses études et faire valoir les compétences culturelles et artistiques qu’elle a précocement acquises au sein de sa famille. Toutes trois ont en commun leurs origines sociales, issues des fractions de la petite bourgeoisie mieux dotées en ressources culturelles qu’en ressources économiques et/ou qui investissent fortement dans l’école comme voie de salut social. Des dispositions à l’animation Selon un des sens de l’expression « petit boulot vocationnel », ces étudiantes, bien qu’elles ne se destinent pas au métier d’animatrice, présentent toutes les qualités requises, les dispositions pour l’exercer, même temporairement. Rencontrée lors du stage BAFA en internat proposé par l’UFCV, Julie a, sur plusieurs points, le profil de l’emploi. Elle était impliquée pendant la session et faisait partie des stagiaires évalués très positivement par les formateurs. Par ailleurs, coiffée de dreadlocks et d’allure un peu hippie, ses goûts et ses loisirs révèlent des affinités avec le milieu de l’animation : fréquentation de nombreux animateurs 10 Il faut préciser que les sessions du BAFA sont payantes (environ 1 000 euros pour l’ensemble de la formation) : si un financement public (partiel ou intégral) est possible sous certaines conditions, néanmoins l’aide de la famille joue un rôle important, une forme de droit d’entrée qui n’est pas sans incidence sur les profils des animateurs occasionnels. 26 et éducateurs (son ami étant lui-même animateur dans un centre social), participation à des concerts de reggae avec des amis musiciens, goût pour le jonglage et les arts plastiques. Parmi les animateurs du centre de loisirs parisien étudié, Elsa et Fleur font preuve de multiples compétences et d’une expérience notoire : savoir-faire éducatif avec les enfants, à la fois pour les distraire et Le groupe des animateurs « occasionnels » pour leur parler et réguler leur est représenté par des jeunes scolarisés qui comportement, inventivité, bonne voient dans l’animation une façon ajustée humeur, capacité à communiquer à leurs dispositions et à leurs attentes de avec leurs collègues et avec leur gagner un revenu d’appoint et/ou de hiérarchie, style et langage associant décontraction et raffinement. s’initier aux métiers de l’éducation ou du Et, au cours de l’entretien, de nomtravail social auxquels ils se destinent. breux éléments montrent qu’elles ont fortement intériorisé les valeurs du métier, comme leur souci de l’« épanouissement de l’enfant » ou la préférence qu’elles expriment pour les colonies (dont elles ont l’expérience) par rapport aux centres de loisirs. ÉTUDIANTS ANIMATEURS EN FAIRE SON MÉTIER QUALITÉ DE L’EMPLOI CADRES DE L’ANIMATION Un petit boulot à vocation En outre, tout en insistant sur son caractère temporaire, ces étudiantes présentent l’exercice de cet emploi plutôt que d’un autre comme un choix délibéré et, à ce « petit boulot à vocation » (comme on parle de « métiers à vocation »), elles opposent des emplois jugés plus alimentaires, comme ceux de la vente ou de la restauration rapide11. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs eu l’occasion d’expérimenter ces autres secteurs, auxquels elles ont préféré le travail auprès des enfants. Après avoir fait du baby-sitting et avant de devenir animatrice, Julie a exercé divers emplois de caissière et de vendeuse (notamment dans une enseigne de prêt-à-porter) et n’en retient que les sentiments d’exploitation par les entreprises et d’humiliation par les clients. Au bout d’un mois, Elsa a quitté la chaîne de restauration qui l’employait, excédée par l’« ambiance de merde » et par le fait d’être traitée « comme un larbin » et de se voir reprocher, par une direction se méprenant sur ses gestes enjoués, de « danser pendant le service » (attitude valorisée dans l’animation). De même, bien que moins pénible, le travail d’hôtesse d’accueil, qu’elle a eu l’occasion d’exercer au sein d’un multiplex cinématographique, est dépourvu à ses yeux du « côté création », « jeu » et de la possibilité de « rencontres humaines » que permet l’animation (proche, en cela, du théâtre). À l’inverse, le travail auprès des enfants lui apparaît comme un « petit boulot sympa » qui s’est d’abord présenté à elle comme une bonne opportunité offerte par l’organisme de colonies de vacances avec lequel elle partait en tant que colon et où ses parents, temporairement moniteurs de ski, s’étaient rencontrés. Ayant abandonné l’école de manière provisoire (à cause d’une « phobie de l’école »), elle encadre plusieurs séjours avec cette association et y effectue sa session pratique du BAFA, pour laquelle elle est rétribuée. Ce « petit boulot d’appoint » offre alors à ses yeux plusieurs avantages : « […] me permettre de partir au ski, me faire des 11 Pour une analyse du rapport au travail des « équipiers » des fast-foods, voir Pinto, 2007. N° 48 AGORA DÉBATS/JEUNESSES 27 DOSSIER vacances, gagner des sous et aussi parce que j’adore les enfants. » De ces aspects, son travail plus récent en centre de loisirs maternel conserve les deux derniers ; elle évoque d’ailleurs, à ce sujet, sa « fibre maternelle ». Enfin, on peut supposer que l’animation permet à certains étudiants animateurs de faire valoir les dispositions relationnelles et les ressources culturelles qu’ils ont acquises au sein de leur famille. Ainsi, alors que ni ses études, ni ses projets (suivre un master en sciences de l’environnement et, plus tard, devenir enseignant-chercheur ou géophysicienne) n’ont un lien avec l’animation, Fleur semble prédestinée à occuper ce petit boulot. Elle est issue d’une famille nombreuse et ses parents, souvent présents à la maison, organisaient sur un mode éducatif avec leurs quatre enfants des activités comme la cuisine ou le jardinage. Par ailleurs, de son père, artiste-peintre, et de sa mère, comédienne puis psychanalyste, elle a hérité de dispositions cultivées, d’un goût pour les arts et leur pratique. Par conséquent, sa préférence pour l’animation ne peut s’expliquer uniquement par des raisons pratiques comme la possibilité de n’exercer cet emploi que pendant les vacances (soit en dehors de ses semaines de près de trente heures de cours). Des aspirations aux métiers de l’éducation et du travail social S’ils n’escomptent pas faire carrière dans l’animation, nombre d’enquêtés expriment néanmoins une vocation pour des métiers qui requièrent des compétences proches de celui d’animateur et, en cela, ils sont parfaitement ajustés à cette activité temporaire. De leur point de vue, l’animation peut constituer une forme d’apprentissage de leur profession et une mise à l’épreuve de leur vocation. Ainsi, pour Julie, qui souhaite devenir éducatrice spécialisée et monter un jour une association culturelle ou une ferme pédagogique, l’animation est non seulement une source de revenus mais aussi une expérience qu’elle pourra directement faire valoir dans le travail social. D’ailleurs, avant de devenir animatrice en centre de loisirs maternel, elle a été bénévole auprès d’handicapés mentaux durant la saison estivale. Ses aspirations professionnelles ne sont sans doute pas étrangères au premier métier de sa mère, qui fut éducatrice avant d’occuper divers emplois comme celui d’opératrice de saisie en intérim. Elles peuvent aussi s’expliquer par le rejet d’autres univers qu’elle a connus par ses petits boulots et par les multiples stages qu’elle a suivis au fil de ses études en BEP et en baccalauréat professionnel de comptabilité (« Les chiffres et le rapport à l’argent, ça me dépasse »). Attirée, au contraire, par les « contacts humains » et le fait de transmettre des valeurs, elle a tenté le concours d’infirmière en vue de travailler dans l’humanitaire, puis celui d’éducatrice spécialisée, auquel elle a échoué de peu et qu’elle compte donc passer de nouveau. On pourrait aussi évoquer le cas d’étudiants qui, grâce à leur activité d’animateur, se découvrent un talent et un goût pour un des métiers qui, en quelque sorte, la prolongent, ou qui se sentent confirmés dans leur choix de l’une de ces professions. Par ailleurs, d’autres enquêtés peuvent être rapprochés des précédents : ceux qui insistent sur le caractère occasionnel de leur emploi d’animateur et déclarent aspirer à un autre domaine, domaine qui s’avère en fait peu éloigné de l’animation tant par l’esprit qui y domine que par les dispositions qui y sont requises. Ainsi, Elsa met en avant la fonction alimentaire du travail 28 qu’elle exerce en centre de loisirs, une activité parmi d’autres (dans son école de danse pour des petits travaux, dans un restaurant d’Avignon au moment du festival, dans des ateliers de beaux-arts puis pour des photographes en tant que modèle) lui permettant de financer l’apprentissage de son métier d’artiste (dépenses quotidiennes, coût de l’école supérieure d’art dramatique et du cours de danse) sans pour autant contredire ses dispositions bohèmes. Quant à sa vraie passion, elle se situerait ailleurs, comme Elsa le précise dès le début Tout en insistant sur son caractère de l’entretien : « Moi, mon truc printemporaire, ces étudiantes présentent cipal, c’est mon école de théâtre, l’exercice de cet emploi plutôt que d’un c’est le théâtre, enfin le milieu artisautre comme un choix délibéré et, à ce tique. » Elle présente ce penchant « petit boulot à vocation », elles opposent comme une vocation née d’une familiarisation précoce avec cet uni- des emplois jugés plus alimentaires, comme vers : elle a, au cours de son ceux de la vente ou de la restauration rapide. enfance, fait de la figuration dans la publicité, fréquenté l’école de cirque Fratellini, pratiqué régulièrement la danse et le chant, et sa mère a été mannequin, comédienne, styliste-accessoiriste avant de travailler dans le management d’événements musicaux et théâtraux. Or, les qualités affirmées pour l’animation dont Elsa fait preuve ne sont sans doute pas sans lien avec cette vocation artistique. Et, à cet égard, elle se distingue des animateurs titulaires qui, à ses yeux, se retrouvent par défaut dans cette position et produisent une « ambiance » détestable. D’où, selon elle, son refus de s’engager durablement dans ce secteur, mais aussi sa lassitude de travailler en centre de loisirs, structure dont, en outre, elle supporte de moins en moins l’organisation, qu’elle juge rigide. ÉTUDIANTS ANIMATEURS EN FAIRE SON MÉTIER QUALITÉ DE L’EMPLOI CADRES DE L’ANIMATION CONCLUSION Dans cet article, l’attention a été centrée sur les étudiants qui, à l’aune des valeurs portées par une génération « établie » d’animateurs – valeurs (toujours) dominantes au sein du secteur –, sont considérés comme particulièrement ajustés aux exigences du métier, tant du point de vue de leurs propriétés objectives que de leurs dispositions subjectives. En fait, dans la mesure où, comme nous l’avons vu, « être étudiant » ne suffit pas pour être un « bon animateur », il faudrait également présenter les cas d’étudiants qui ne correspondent pas à cette définition. Mais surtout, il faudrait s’intéresser à l’arrivée de nouveaux entrants susceptibles d’importer dans cet univers de nouvelles normes et de nouvelles pratiques. En effet, par le caractère relativement inédit, lié à la massification de l’enseignement supérieur, de leur profil (étudiants d’origine populaire, souvent issus de l’immigration, inscrits dans des filières comme les sciences et techniques des activités physiques et sportives pour les garçons et les sciences humaines pour les filles, qui espèrent de là accéder à un institut universitaire de formation des maîtres), ces jeunes pourraient modifier la vision dominante du métier. Formant une part importante des animateurs occasionnels qui deviennent animateurs professionnels, ils pourraient notamment contribuer à remettre en question la frontière entre vocation et profession. N° 48 AGORA DÉBATS/JEUNESSES 29 DOSSIER Bibliographie AUGUTIN J.-P., Gillet J.-C., L’animation professionnelle : histoire, acteurs, enjeux, L’Harmattan, Paris, 2000. LEBON F., Une politique de l’enfance : du patronage au centre de loisirs, L’Harmattan, Paris, 2005. MONFORTE I., Devenir aujourd’hui animateur ou directeur occasionnel en centres de vacances et de loisirs, Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes, dossier d’études de la Caisse d’allocations familiales, no 77, février 2006. MUEL-DREYFUS F., Le métier d’éducateur, Minuit, Paris, 1983. PINTO V., « Servir au fast-food : “Petit boulot” et engagement dans le travail », Agone, no 37, 2007. POUJOL G., Profession : animateur, Privat, Toulouse, 1989. 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