partenariat public privé

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partenariat public privé
LE PARTENARIAT PUBLIC PRIVE
Rachid Filali Meknassi et Mounir Zouggari
Transparency Maroc
L’expression « partenariat public privé » s’emploie fréquemment pour désigner toute
forme de coopération d’entreprises privées à la réalisation et à l’exploitation
d’ouvrages ou de projets publics. Au sens juridique, la formule est apparue en droit
pour désigner restrictivement le contrat par lequel un adjudicateur public convient
avec un tiers privé de la réalisation et de la maintenance d’ouvrages nécessaires pour le
fonctionnement de son service, moyennant la perception d’un loyer pendant toute la
période d’amortissement de l’investissement, au terme de laquelle seulement, la
propriété du bien lui est transférée. L’ordonnance française de 2004 qui a introduit ce
procédé de gestion en droit a assoupli ces critères tout en restant fidèle à son esprit. La
loi marocaine de 2014 lui emprunte sa terminologie mais confère à ce contrat une
flexibilité qui ne manque pas d’installer une grande confusion avec les autres modes
de gestion du service public.
Au vrai, le recours aux opérateurs privés dans le fonctionnement du service public
repose sur des fondements différents selon que l’on se trouve dans un cadre
institutionnel régi par le droit administratif et dans un système de Common law qui
recourt largement au droit commun dans la gestion de la chose publique. Dans la
première hypothèse le secteur public tend à s’autonomiser à travers la gestion directe,
les établissements publics et les sociétés à capitaux publics. A titre accessoire, il
recourt à la gestion déléguée sous forme de gérance, de concession et d’affermage en
intégrant le patrimoine ainsi constitué dans le domaine de l’adjudicateur public et en
plaçant l’exploitation par l’opérateur privé sous la tutelle administrative et financière
de la collectivité publique concernée. En revanche, dans le système anglo-saxon, la
distinction entre le droit public et le droit privé structure moins les relations juridiques
et le service public recourt de manière habituelle au marché pour assurer les
prestations courantes à la population et développer les infrastructures publiques. Une
pratique constante de la contractualisation avec les entreprises privées s’y est
développée donnant jour à une panoplie de variantes faisant apparaitre la concession la
gérance et l’affermage comme des types de conventions de partenariat parmi de
nombreux autres. Parmi les procédés qui ont connu un franc succès dans le contexte
des restrictions budgétaires des années 80, émerge le modèle par lequel le secteur
hospitalier a recouru à des opérateurs privés pour concevoir, financer, réaliser et faire
fonctionner les ouvrages nécessaires aux soins moyennant paiement d’un loyer par le
service public qui en jouit en se consacrant à l’exercice des activités de soins
exclusivement. La formule s’est rapidement propagée dans d’autres secteurs et
accueilli des clauses nouvelles relatives notamment à l’exploitation d’activités
connexes par l’adjudicataire, voire à l’intégration du projet initial dans un programme
plus vaste pour améliorer le recouvrement de ses couts et les services offerts aux
usagers. C’est ce modèle qui a été introduit en France par ordonnance sous
l’appellation de contrat de partenariat public. Il a pris ainsi rang parmi les modes
classiques de gestion de service public. La confrontation de ce contrat tant avec les
autres modes de gestion régis par le droit administratif que par les pratiques
anglos_axones en la matière, établit que le transfert de ce modèle s’adapte à chaque
environnement juridique et politique et ne manque pas de soulever la question de
gouvernance non seulement dans sa conception mais aussi dans ses rapports avec la
gestion globale du service public.
1- Les partenariats face aux autres modes de gestion du service public
La présentation succincte des différents modes et procédés de gestion du service public
permet de relever leurs traits communs et leurs caractéristiques, mais aussi de faire le
point sur les différents contrats de gestion déléguée ou de partenariats qui se sont
développés dans le contexte des pratiques anglo-saxonnes.
 Régie directe : C’est le mode classique de gestion par lequel des fonctionnaires
administrent un service public par actes administratifs conformément à la loi en
ayant recours aux crédits qui leur sont affectés par le budget de la collectivité
publique.
 Assistance technique : L’expression est utilisée de manière restrictive pour
désigner une participation à la gestion d’une activité relevant du cœur du
métier avec obligation de transfert de compétences.
 Outsourcing: L’opérateur utilise, contre rémunération fixe les ressources
humaines et/ou matérielles d’un prestataire externe pour réaliser un projet, une
étude ou une réforme de son système de gestion.
 Sous-traitance : L’opérateur confie à un prestataire externe contre
rémunération fixe, la gestion de tâches qui ne relèvent pas du cœur du métier
(exemple réalisation de branchements, recherche de fuites .etc.).
 Gérance : Le délégant confie sous sa responsabilité financière et à ses risques
et périls, l’exploitation du service à un prestataire extérieur (gérant) en lui
versant une indemnité forfaitaire quels que soient les résultats de l’exploitation.
 Régie intéressée ou contrat de gestion : elle se différencie de la gérance par le
fait que le régisseur est associé à la détermination des prix et sa rémunération
varie selon les résultats atteints.
 Affermage : Le fermier gère et entretient à ses risques et périls les installations
qui sont mises à sa disposition par le délégant. Il perçoit sa rémunération
directement auprès de l’usager après négociation des tarifs avec l’autorité
délégante.
 Concession : Le concessionnaire est chargé, conformément à un business plan,
de la création et/ou du développement d’un service public ainsi que de son
exploitation à ses risques et périls en contrepartie de la perception de
redevances sur les usagers. Elle est donc implicitement doublée d’une
concession de travaux publics.
 Contrats d’alliance : une coopération entre un adjudicateur et un opérateur
privé avec partage des risques et des profits au titre de l’investissement et de
l’exploitation. (Ex : Adélaide en Australie et dans une moindre mesure Alger en
Algérie par SUEZ) :
 Management contract: forme de gestion intermédiaire prévoyant des
indicateurs de performance qui déterminent la rémunération et les pénalités en
cas de non réalisation des performances convenues.
 Performance based contracts: Une gestion proche du contrat de gestion
permettant à de fixer la rémunération de l’adjudicateur de manière à assurer un
profit substantiel en cas de performance et un niveau ne permettant pas la
couverture des charges dans le cas contraire
 Lease contracts: Le délégataire verse au délégant un loyer et prélève les
recettes au tarif convenu auprès de l’usager. Sa rémunération correspond à la
différence entre le montant du loyer et la valeur des recettes Le financement des
investissements et les pertes demeurent du ressort de l’adjudicateur qui recourt
aux subventions ou à la révision des tarifs.
 B.O.T. Build, operate and transfer (construction, gestion et transfert des
installations). Formule comparable à la concession avec des variantes écartant
parfois l’exploitation aux risques et périls, notamment en prévoyant une
redevance payée par l’adjudicateur, ou la garantie d’un recouvrement minimum
des couts, ou d’un niveau minimum d’activité (nombres de véhicules en
circulation sur un barrage, quantité d’eau ou d’électricité vendue à partir d’un
ouvrage hydroélectrique….etc.). A la différence de la concession les ouvrages
demeurent généralement la propriété de l’adjudicataire jusqu’à la fin du contrat
qui même le greffer d’hypothèque pour lever des financements.
 BOOT build, operate, own and transfer (construction, gestion, possession et
transfert des installations). Cette forme d’intervention se différencie du BOT
par le fait que l’ouvrage appartient au délégataire sur toute la durée du contrat,
ce qui lui permet par exemple de l’hypothéquer pour mobiliser les
financements.
 B.O.O.S.T build, operate, own, subsidize and transfer (construction, gestion,
possession, subvention par le délégant pour participer au financement et
transfert des installations) qui se distingue des autres BOT par la subvention
apportée par l’adjudicateur pour en assurer la rentabilité
 D.B.O design, build, operate : (conception, construction, gestion) : cette forme
de partenariat s’apparente au schéma institutionnel dans lequel une entreprise
publique est chargée du financement et de la réalisation d’ouvrages dont
l’exploitation est confiée à un opérateur privé (privé). La conception et la
construction de l’ouvrage sont confiées à un partenaire privé et financées par le
délégant. La gestion du service est confiée selon un autre contrat au même
partenaire privé ou à un autre partenaire privé. Cette forme se différencie du
BOT par le fait que le financement de l’ouvrage est du ressort du délégant alors
que sa conception, sa construction et sa gestion sont confiées au privé.
On devine au terme de cette énumération comment la négociation de la coopération
entre le public et le privé dans le système anglo-saxon est à la fois ouverte et encadrée
par des pratiques contractuelles, elles-mêmes soumises aux principes de
l’accountability. En revanche, l’encadrement du fonctionnement du service public par
le droit administratif oblige à adopter une législation autonome pour le partenariat qui
déroge aux règles classiques de gestion directe et déléguée.
2- La formulation juridique du partenariat public-privé
Dans les pays de commun law ce contrat trouve ses repaires dans la pratique multiple
et diversifiée des BOT. En revanche, dans les pays comme le Maroc, le procédé doit
trouver sa place spécifique parmi les autres modes de gestion du service public, quand
en même les règles qui les régissent sont insuffisamment ancrées dans la législation et
la pratique. Manifestement, ce contrat doit trouver ses marques entre la gestion
déléguée du service public et les commandes publiques. En France, ce n’est qu’en
2004 que le gouvernement s’est résolu à l’organiser par voie d’ordonnance, amendée
successivement en 2008, 2009 et 2010. La loi marocaine n° 86-12 s’en inspire en se
fixant des limites différentes.
En droit français la convention de partenariat est le contrat administratif par lequel la
partie adjudicatrice « confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la
durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues,
une mission globale relative au financement d'investissements (…) nécessaires au
service public (..) ainsi qu'à leur entretien, leur maintenance, leur exploitation ou leur
gestion, et, le cas échéant, à d'autres prestations de services concourant à l'exercice, par
la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée. La maîtrise
d'ouvrage des travaux à réaliser revient au partenaire qui peut se voir confier tout ou
partie de la conception des ouvrages. Sa rémunération fait l'objet d'un paiement par la
personne publique pendant toute la durée du contrat. Elle peut être liée à des objectifs
de performance.
La loi marocaine en reprend certaines formules mais s’en distingue sur de nombreux
points :
1/ Elle exclut implicitement les collectivités territoriales de son champ
d’application pour le réserver à l’Etat et aux établissements et entreprises publics qui
relèvent de son contrôle.
2/ Elle ne réserve pas le statut de partenaire au tiers privé, en ouvrant cette
faculté à toute personne morale de droit privé, ce qui inclut les établissements publics
à caractère économique et les entreprises dont le capital est souscrit totalement ou
partiellement par des personnes publiques.
3/ Alors que l’objectif principal du partenariat est constitué dans la définition
française par l’affectation de l’apport financier du partenaire privé à la mission
globale qui lui est confiée de conception, de réalisation, d’entretien, d’exploitation et
de gestion des équipements et ouvrages convenus, ce qui oblige de l’établir en
fonction des possibilités d’amortissement et des modalités de financement retenues de
déterminer la durée du contrat, cet objectif est dilué dans « une mission globale de
conception, de financement de tout ou partie de construction, ou de réhabilitation, ou
de maintenance et/ou d’exploitation d’un ouvrage ou infrastructure ou de prestation de
services nécessaires à la fourniture d’un service public ». Cette flexibilité est confirmé
par l’art 13 qui dispose que la durée du contrat est fixée en tenant compte notamment
de l’amortissement des investissements à réaliser, des modalités de financement et de
la nature des prestations et qu’elle peut varier entre 5 et 30 ans, voire 50 ans.
4/ la loi française établit un rapport direct en le partenariat et la mission dont est
chargé l’adjudicateur, alors que le texte marocain se contente de son utilité pout « un
service public »
5/ la maitrise d’ouvrage des opérations est attribuée obligatoirement au
partenaire dans le texte français alors qu’elle n’est pas évoquée dans le texte marocain
6/ La rémunération du partenaire est mise en France à la charge de
l’adjudicateur pendant toute la durée du contrat alors que le texte marocain la
rémunération par les usagers ou de recettes découlant de l’exploitation des biens
réalisés.
7/ en vertu de la décision du conseil constitutionnel français du 26 juin 2003 le
champs de ces partenariats aux circonstances dans lesquels le projet concerné doit
présenter un caractère d'urgence et/ou de complexité qui justifie le recours à un
partenaire privé, afin d’éviter que le procédé ne constitue un moyen de détournement
des prescriptions budgétaires et les compétences des différentes personnes morales.
L’évaluation préalable de chaque projet rendue obligatoire en droit français vise en
conséquence à démontrer l’urgence ou la complexité du dossier et se déroule sous le
contrôle du juge administratif. En revanche, sous ce même intitulé, l’article 3 de la loi
marocaine prescrit l’établissement d’une analyse comparative des autres formes de
réalisation du projet, en tenant compte de la complexité du projet, de son coût global
pendant la durée du contrat, du niveau de performance du service rendu, de la
satisfaction du besoin des usagers et du développement durable, ainsi que des
montages financiers du projet et de ses modes de financement. »
On se trouve manifestement en présence de deux approches différentes de ces
contrats : dans le modèle français il s’agit d’un procédé plutôt exceptionnel auquel on
recourt pour pourvoir à un besoin pressant en équipement d’un service public ; dans le
modèle marocain, le cadre légal autorise toute forme d’association d’entreprises,
d’administrations et d’établissements publics entre eux ou avec des entreprises
privées pour la réalisation de tous ouvrages, programmes et projets et leur financement
sous toute forme admise par le contrat. La loi semble s’inscrire dans la pratique des
contractualisations autour des grands chantiers de l’Etat qui ont soulevé de graves
problèmes de gouvernance publique et entretenir la confusion des rôles et des
responsabilités
3- Les avantages et les risques liés au recours au partenariat public-privé
Autant l’association des opérateurs privés au développement et à l’exécution du
service public doit être encouragée et soutenue, autant elle doit faire l’objet d’une
gouvernance à la hauteur des enjeux engagés aux plans du financement, de la
performance des prestations attendues et de leur impact économique et social. La
contribution de l’opérateur privé à la réalisation du service public loin d’altérer sa
nature doit consolider sa continuité, l’égalité de droits pour les opérateurs et les
l’adaptabilité, la qualité, et le juste recouvrement des coûts. L’adjudicateur public est
admis à supporter directement ou à travers les redevances imposées aux usagers la
garantie de ces qualités en procurant à l’opérateur privé la sécurité économique
nécessaire. Le partage des risques entre les parties ne s’entend pas en l’espèce au sens
commercial, mais plutôt dans la quête de la performance et la sanction possible des
carences imputables à l’une ou l’autre partie. Au fil de l’accumulation de
l’expérience nationale et internationale, les normes légales et techniques qui doivent
prévaloir dans la conception des projets, leur négociation, leur mise en œuvre, leur
suivi et leur contrôle se sont développés et précisés tant du côté des pouvoirs publics
que des opérateurs et des cabinets qui les assistent. Dès lors que l’expertise nécessaire
est acquise pour s’engager dans de tels contrats, les risques majeurs pour leur réussite
sont constitués plutôt par la gouvernance qui doit les entourer. Outre la transparence,
la reddition des comptes et l’appel systématique à la concurrence, le partenariat ne doit
pas être un prétexte pour contourner la loin, par le recours au droit privé, la
constitution de personnes factices et le dépassement des attributions légales des
opérateurs publics, notamment les entreprises et les établissements publics. Quelques
principes de base doivent notamment l’entourer :
1. Le délégataire d’un service public ne gère pas une entreprise ou un service, il gère
un contrat. De même, il n’aspire pas à préserver les principes fondamentaux du
service public et il leur préfèrera systématiquement les mesures ou les clauses
contractuelles qui permettent de maximiser la rentabilité de ses apports en capitaux.
2. Un PPP portant aussi bien sur l’exploitation d’un service public ou un programme
de développement impliquant un opérateur public doit reposer sur une définition claire
et précise des mandats et inclure un mode d’évaluation et de contrôle efficace et
indépendant.
3. Le choix de la forme d’intervention de l’opérateur privé dépend de l’allocation des
risques entre les partenaires et des objectifs recherchés par le délégant.
 Si l’objectif est le relèvement des capacités et l’amélioration de l’exploitation,
on doit plutôt tendre vers un mode de la gestion intermédiaire : assistance
technique, contrat de gestion ou de gérance, voire sous-traitance
 Si l’objectif est l’amélioration de la rentabilité, c’est le management qui doit
être visé à travers l’affermage et ses multiples dérivés possibles ;
 Si l’on cherche à assurer des financements lourds et à les amortir par les
redevances, c’est la concession qui doit être préférée avec les variantes qu’elle
offre.
4. Le Partenariat Public Privé ne consiste pas à se libérer de la gestion du service ou
d’un programme de développement mais à se doter de moyens additionnels pour
améliorer leurs performances. L’autorité publique doit demeurer soucieuse des
résultats et attentive aux facteurs exogènes à la gestion du partenaire privé pour lui
permettre d’évoluer dans un environnement propice au déploiement de son expertise et
d’interagir positivement avec les autres acteurs du secteur. Les aspects suivants
devraient relever exclusivement des attributions de l’adjudicateur :
 L’organisation institutionnelle ;
 La stabilité politique, le statut et la conduite des autorités responsables du
service ;
 L’organisation de la société civile.
 L’intégration dans l’environnement économique et financier.
5- Au delà du suivi et du contrôle du PPP, l’existence d’une autorité de régulation
indépendante est de nature à améliorer la conception, l’évaluation, la
transparence et la pertinence et des résultats de ce PPP.
Qu’il soit entendu au sens technique restrictif ou au sens large, le partenariat public
doit demeurer une voie d’amélioration et de développement du service public et
non une technique d’échapper à ses valeurs fondamentales ou de se soustraire à ses
règles par la voie contractuelle. Le recours approprié à chacun des procédés de
gestion déléguée apporte le concours de ses méthodes en matière de conception, de
rédaction des conventions et cahiers de charges subséquents, de choix des moyens,
de contrôle et de sanction. En revanche, tout montage institutionnel complexe ou
mettant à contribution des partenaires publics dont les attributions ne relèvent pas
directement de l’objet du service public ou du champ de développement en cause
risque d’annoncer sous l’appellation de partenariat une aventure incertaine et
d’occulter un détournement du service public à ses finalités qui lui sont étrangères.