Musa 5 - Musanostra
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Musa 5 - Musanostra
Edito Photo: Federi Z. Bernardini Eté, voyage et affluence, plage ou pavés, soucis et petits bonheurs, saison touristique et lamentable actualité Voilà ce que voient les lecteurs chroniqueurs de Musanostra, ceux qui seront bientôt loin, ceux qui restent, ceux qui lisent des livres papier, ceux qui sont passés à la «liseuse» et les autres, internautes du bout du monde ou participants réguliers , fidèles de nos rendez-vous. On relit ses classiques, on cherche à comprendre avec les anciens ou à tourner la page avec les contemporains. Qu’importe, même si les clés manquent, même si on se sent impuissant et inutile, lire dévoie et on veut se distraire un temps. Là est peut-être l’horrible danger de certaine lecture. Ou sa force. Cette fois nous avons choisi d’observer les touristes, d’aller à la mer, de lire des romans tout juste parus, surtout ici, des poèmes, de vous donner à lire aussi le texte remarqué d’une jeune fille de moins de 17 ans , d’aller au cinéma avec le film «Les Exilés», de surprendre une création, Fugue, alliant peinture et poésie, de souligner le travail d’un peintre qui voyage aussi à sa façon avec ses «Acelli». Avec Jacques Fusina et Rutebeuf les échos du Moyen Age disent l’atemporalité des beaux textes et leur fructueuse réappropriation en langue corse. On vous donne aussi des nouvelles du Concours 2016 et la possibilité en photocopiant les formulaires de devenir adhérent à l’association musanostra ou de mettre votre publicité ou votre logo sur notre support Musa Nostra revue numérique et papier. De quoi passer un petit moment de détente littéraire. Ensemble. Belles lectures ! Belles découvertes ! Laissez-nous votre adresse mail, on vous donnera des nouvelles de Musanostra et retrouvez-nous sur www.musanostra.fr Crédits auteur de couverture Un clin d’oeil à la peinture, avec «Acelli», un vol d’oiseaux stylisés , une couverture signée cette fois Pierre-Paul Marchini, artiste vivant à Ajaccio. On peut consulter son site officiel http://artiste-peintre.com/ Pour joindre Pierre-Paul Marchini : 06 17 42 05 98 Associations Musanostra et Musanumerica 2 place de l’Hôtel de Ville, 20200, Bastia Directrice de publication : Marie-France Bereni-Canazzi Secrétaire de Rédaction : Claire Giudici Maquette : CAM Photo de couverture : Pierre-Pierre Marchini Collaborations : , Agnès Ancel, A.B., Marie-France Bereni Canazzi, Francis Beretti , Marie-Paule Durand, Frédérique Ettori, ,Jacques Fusina, Patricia Guidoni, Nathalie Malpelli, Mey-Li, Jean-Dominique Poli, Bénédicte Savelli. Marie-Ange Sebasti, P.Tramini 2 musanostra . numéro 3 . 05.2016 Musinate L’été pour les touristes ne pourra jamais être aussi chaud L’été, pour les touristes, ne pourra jamais être aussi chaud. Tous les touristes du monde se ressemblent. Ici, comme ailleurs, ils glissent dans des décors de carton pâte, alors que là, sous leurs yeux, les étés qui s’annoncent sont chauds, moites et propices à la rédemption. Tennesse Williams, en une seule nuit, débride l’iguane. Tous les touristes du monde passent à côté de ce qui se joue. Lorsque, dans un théâtre suffocant, s’affrontent des personnages animés par des sentiments furieux, le Mexique est le cadre d’une tragédie où les corps sont des frontières. Frontières confrontées à la démesure. Par-delà bien et mal. La chaleur, l’alcool ou l’abstinence ne sont que des prétextes de débauche, écrans de ce qui empêche à la dépense. Les touristes sont économes. C’est pourquoi, ils comptabilisent les espaces et le temps qui pourtant ne peuvent entrer dans une seule nuit. Ailleurs, les héros égarés d’une nuit très chaude, à peine étanchée par le rhum et un bain de mer ou un poème impossible, s’éprouvent dans un chaos exotique. Les touristes n’aiment pas le désordre. C’est pourquoi, ils figent, ou le croient, des images anecdotiques d’un voyage qu’ils ne comprennent pas. Les touristes ignorent tout de la moiteur des corps, ils transpirent. « Combien de temps onze punaises d’un collège baptiste peuvent-elles tenir dans un car arrêté en plein soleil par 40° à l’ombre ?» En définitive il ne fait jamais assez chaud pour les touristes, de fait, ils échappent aux tensions des corps en suçant des glaces. Tous les touristes du monde devraient lire “La Nuit de l’iguane” pour être moins étrangers. Pour les paresseux des sens, il y a le film. Après tout les images donnent à voir ce qui reste étanche aux crânes trop épais. Patricia Guidoni IMAGE musanostra . numéro 5. 09 .2016 musanostra . numéro 3 . 04.03.2016 3 Tourisme Viens dans mon pays d’Agnès Ancel “Viens dans mon pays Viens voir où j’ai grandi... C’est un vieux pays pas très connu Y’a pas de touristes dans les rues...”* Si aujourd’hui la magnificence des châteaux de la Loire enchante mon coeur, il fut un temps jadis, où les forteresses d’acier régnaient sur ma vie. A cette époque, les chevaliers prêtaient allégeance à leurs seigneurs. A chaque heure du jour et de la nuit, ils pénétraient dans l’antre du dragon de fonte et apprivoisaient vaillamment le monstre de feu. Point de jolies demoiselles énamourées à conquérir, le jeu consistait uniquement à dompter la lave incandescente. La bannière de la fraternité et de la bienveillance, leur apportait la solidarité universelle et l’unité dans «Tu ne connais pas mais t’imagines les combats». Malgré tout, les citadelles de fer plièrent sous les sièges incessants et l’ennemi remporta l’ultime bataille. Les châtelains jetèrent les clefs des tours dans les douves, entérinant pour toujours, la fin d’une ère ardente et flamboyante... Des années plus tard, mon regard s’illumine devant la majesté de Chambord, la beauté de Chenonceau ou la grâce d’Amboise. Mais au fond de moi, reste gravée à jamais, la douce rudesse de ces géants de métal et de ses nobles chevaliers... C’est vraiment magnifique une usine Le ciel a souvent des teintes étranges Le nom des patelins s’termine par... ange...»* * Fensh Vallée Bernard Lavilliers 4 musanostra . numéro 5. 09 .2016 Musa Arrêt sur image Marie-Ange Sebasti, Jacques André édition Marie-Ange Sebasti habite Lyon et revient souvent en Corse, son île d’origine. Elle écrit depuis l’adolescence des recueils de poèmes ainsi que de petits récits. Son oeuvre est régulièrement publiée dans diverses revues et anthologies et elle a été traduite en roumain, en espagnol, en italien, en lituanien, en corse. Elle porte une attention particulière aux processus de création et s’intéresse à l’art, collaborant souvent avec des plasticiens ou des photographes. Nous avons eu le plaisir de découvrir ses publications, puis de la rencontrer lors d’un café littéraire à Ajaccio à la librairie La Marge : helléniste reconnue, elle surprend par son érudition, son talent et son humilité. Une belle rencontre. J’étais arrivée dans l’après-midi, à l’heure où d’habitude, au début du mois d’août, une foule d’estivants envahit la plage. Personne ! IMAGE Éberluée, j’avais couru jusqu’au poste des « Maîtres nageurs sauveteurs » pour lire le tableau d’affichage du jour. Il n’indiquait ni avis de tempête, ni invasion de méduses. Aucun drapeau ne flottait en haut du mât blanc planté à quelques mètres. M’étais-je trompée de lieu, de saison ? Absents, le parasol rouge de Marie-Laure, le tapis de bain turquoise de François, la chaise-longue au tissu bariolé d’Inès, ces signes annuels de ralliement jusqu’aux derniers beaux jours. Même la paillotte et le filet de volley-ball avaient disparu. Pas une âme, pas un son, nulle brise. La mer, étale, ne portait pas la moindre embarcation de la rive jusqu’à l’horizon. Une légère fumée montait de la rive sud du golfe, qui paraissait aussi déserte qu’avant l’arrivée de l’homme. A quelques mètres, un cormoran hiératique était figé, ailes déployées, sur un rocher. En me retournant, j’avais constaté que seule ma voiture stationnait sur un parking étrangement désert. Vivais-je un cauchemar ? Pétrifiée, je me disais que je ne pourrais pas faire un pas de plus sans déclencher une catastrophe.Soudain, une rumeur était montée du sable, et je les avais vus arriver le long de la mer, devisant gaiement, le pas léger malgré leur tenue de ville, qui, pour certains, ne relevait pas de la dernière mode. Combien pouvaient-ils être ? Je reconnaissais tous les visages de cette foule, mais aucun, malgré mes signes, ne se tournait vers moi. J’étais restée hébétée, le souffle coupé, en les suivant des yeux jusqu’au petit cap du bout de l’anse où ils s’étaient lentement fondus dans les rochers, les amis de la plage. musanostra . numéro 5. 09 .2016 5 Musaciné Les Exilés de Rinatu Frassati Ce film vient de sortir en DVD Avec Les Exilés, moyen métrage de 52 mn réalisé avec des moyens très modestes, Rinatu Frassati a fait preuve pour son premier film d’une extrême audace. Bon signe qui ne trompe pas, il a osé tourner le dos aux reproductions des récits fantasmés du XIXe siècle sur la Corse reçus comme des récits ethnographiques, il a refusé de continuer à faire le cliché du cliché avec des personnages sordides usés jusqu’à la moelle, avatar du bandit réactualisé genre 93 désigné comme le révélateur de notre âme collective (cliché si apprécié à l’extérieur de l’île et de moins en moins accepté en Corse). D’emblée, ce film nous surprend. Puis, il nous bouleverse. Sans doute parce qu’il arrive au moment opportun, au moment où il était attendu pour contribuer à faire tourner l’histoire de la Corse dans le bon mouvement. Réalisé en Corse par des Corses, totalisant rapidement plus de 15 000 entrées, Les Exilés suscite un véritable engouement, avec des salles combles et un public fervent porté par la musique et des acteurs si souvent habités. Le film commence à être présenté à l’extérieur de l’île. Il trouvera un public pour qui le respect du particulier est le meilleur moyen pour tendre vers l’universel. Que Rinatu Frassati continue à faire confiance à sa haute intuition ! 6 Dès les premières images nous sommes happés par le mystère des destinées. Dans une chapelle, vrai lieu sacré, Pasquale Paoli prend congé de son père, à Naples, pour rejoindre la Corse après avoir accepté le généralat malgré la situation dramatique de l’île. Ils ne semblent pas s’apercevoir de la présence d’un mystérieux personnage en uniforme qui les observe avec passion. Nous comprenons d’emblée que le réalisateur du film n’a pas cherché à produire un documentaire historique. Les images nous font participer au rêve de l’énigmatique soldat qui se révèlera être Napoléon Bonaparte. Avec un véritable art du récit, Rinatu Frassati nous fait pénétrer dans le rêve du jeune Bonaparte né le 15 août 1769 alors que la nation corse vient d’être écrasée. Dans ce voyage dans le passé, Ghjacintu Paoli, lui, évoque les rêves prémonitoires venant de la porte de corne (les rêves qui trompent ou ne se réalisent pas viennent de la porte d’ivoire) et le franchissement des trois portes, épreuves menant à sa propre transformation héroïque. Fort de son destin révélé par le vieux sage, comme dans un conte ou un récit mythologique, le jeune Bonaparte revoit le rôle enthousiaste tenu par son père Carlu auprès du Général de la Nation, le courage de sa mère, il suit le parcours de Boswell dans la patrie libre en lisant avec passion son livre (dans la version italienne que lui donne son père). Dans le film, nous voyons les étapes de l’évolution de ce rêve qui structure l’imaginaire du jeune Bonaparte. C’est la volonté d’approfondir et de poursuivre l’exemple de Pasquale Paoli, représentée dans le film par sa détermination à lui remettre sa lettre marquée des armoiries du Regno di Corsica, qui va faire du jeune Bonaparte ce qu’il est devenu. Rinatu Frassati use du rêve, mais il ne trahit pas au nom de sa création. De solides recherches historiques étayent le scénario. Les dialogues sont extraits de la correspondance et des écrits de Paoli (comme son « Discours à la valeureuse jeunesse corse »), de Boswell et du jeune Bonaparte. Les costumes et les décors, tout concourt à approcher le mieux possible l’esprit qui anime la réalité historique de la Corse de cette période (même si la scène du discours et le comportement de la foule ne semblent pas y correspondre). Dans Les Exilés (à la différence de la séquence corse du Napoléon d’Abel Gance), c’est la Corse qui se raconte, à sa façon et non à la façon des autres, elle se réapproprie son histoire en l’incarnant dans le comportement des hommes. Ce sont ces hommes, unis par un puissant imaginaire commun et renouvelant intelligemment leur héritage politique, qui font l’histoire. En relation intime avec ces hommes, les lieux et les paysages sont exaltés. Il nous est enfin donné à voir non plus des caricatures, mais des personnages vrais, si proches des témoignages que nous avons des meilleurs d’entre eux, solides, finement intelligents, assurés dans leur esprit et dans leur corps (ils ne ressemblent pas aux stéréotypes qui les ont remplacés). Avec ce film nous sortons de l’étouffement. Redécouvrir la grande histoire exemplaire délivre. Rinatu Frassati nous mène au cœur de l’histoire réelle par le rêve, en vrai créateur, en poète subtil qui fait entrer le spectateur dans son récit sans l’y enfermer ou le piéger. musanostra . numéro 5. 09 .2016 Musaciné Le jeune Bonaparte, dès l’école militaire de Brienne, rêve de la Corse perdue, des héros et de leurs luttes glorieuses, de la première Constitution démocratique des temps modernes, du « grand Paoli », son modèle, son idéal : « J'ai puisé la vie en Corse et avec elle un violent amour pour mon infortunée patrie et pour son indépendance. Et moi aussi, je serai Paoli ». Le jeune officier se considère comme un exilé qui rêve de cet autre exilé que fut Paoli (il vécut sa jeunesse à Naples), et qui de retour en Corse à l’âge de 30 ans redonna courage à son peuple et fut reconnu par l’Europe éclairée comme le premier combattant de la liberté renouvelant, le premier dans la modernité, la res publica antique. La Corse devient un phare héroïque. Les Corses sont présentés comme les Spartiates et les Romains modernes animés par la virtù. L’adhésion au modèle héroïque transforme le jeune Bonaparte qui, timide et réservé dans le film jusqu’à la bataille de Ponte Novu, devient semblable aux héros qu’il vénère. Il fait sienne la parole prononcée par Paoli : « rien n’est impossible aux âmes nobles ». Après l’inéluctable défaite de Ponte Novu, nous voyons Paoli confier symboliquement, sur ce lieu même, son épée au jeune homme qui se veut son héritier spirituel. Le legs passant d’âge en âge est celui de l’énergie au service de l’existence et de la liberté des peuples. Cette énergie terrassée mais invaincue, le jeune Bonaparte en fera le ressort qui animera son épopée, réorientant la Révolution française qu’il répandra dans toute l’Europe. Il sait qu’il n’aurait pu exister sans sa filiation avec l’histoire héroïque de la Corse, et les dernières images du film le montre se réveillant de son rêve (il vient d’écrire sa première lettre à Pasquale Paoli en exil à Londres, le 12 juin 1789, alors qu’il est en garnison à Auxonne), tandis qu’enfle dans les rues un chant révolutionnaire à la liberté. Comme on s’empare d’un sacrement pour avoir la force d’affronter et d’accomplir son destin, les deux personnages semblent dire chacun à sa manière : « je suis venu sur terre pour un sacrifice » (la disparition de Paoli au milieu des combattants morts à Ponte Novu, la mort du jeune Bonaparte tué lors du duel imaginaire par son père Carlu en brandissant sa lettre imbibée de sang destinée au Général). Le tragique ensemence notre présent. Cette réappropriation implique celle de la langue (qui n’est plus alors un simple moyen de communication). Ainsi, le jeune Bonaparte qui parle français au début du film, trouve son assurance et s’exprime dans la langue de son enfance (« Nabulione ») après sa rencontre avec Paoli sur le champ de bataille de Ponte Novu. Il faut noter la cohabitation de l’anglais, du français, de l’italien et du corse d’une si grande qualité, proximité des langues qui montre l’ancrage et l’ouverture de la Corse (elle n’est plus enfermée et renfermée). La question n’est plus vraiment savoir « qui est Corse ?» mais « qu’est-ce qu’être Corse ? » En posant indirectement la question de savoir comment et pourquoi la Corse a pu engendrer des hommes d’une telle trempe, d’une telle force intérieure, de vrais hommes d’Etat, le film suggère ce mouvement de reconquête du pays natal, d’espérance et de renaissance fondé sur une absence et une aspiration à combler ce manque, et il pose la question de la compréhension profonde de la situation actuelle de la Corse. Aujourd’hui, dans ce qui ressemble à un pitoyable naufrage (de toute l’Europe et pas seulement de la Corse), Les Exilés fait reconnaître qu’il se passe indéniablement quelque chose dans la jeunesse corse qui fait le choix de tendre vers les exemples de Paoli, du jeune Napoléon, des plus humbles martyrs de la liberté que nous avons toujours honorés, ensemble réconciliés, dans nos chapelles secrètes ou nous avons maintenu ce que nous sommes. Désormais s’impose la conviction que le fil n’a pas été rompu. Après l’errance et l’exil, nous avons la conviction de pouvoir retrouver le pays natal et son socle commun. Les Exilés participe, à proprement parler, d’un événement, avec un avant et un après. La Corse, sachant ce qu’il faut faire et n’ayant pas la force de l’accomplir, redeviendra-t-elle un exemple pour l’Europe d’aujourd’hui, un modèle qui maintient et ouvre la voie des peuples ? Sera-t-elle à la hauteur des enjeux ? Jean-Dominique Poli Ce film nous associe à la quête du jeune Bonaparte, il nous fait adhérer à son rêve qui mène à l’action et annonce ce qui doit advenir. Le rêve les yeux ouverts de Napoléon sur les pas de Pasquale Paoli correspond aujourd’hui à celui de la jeunesse corse exilée dans son propre pays et qui cherche à retrouver son histoire, son identité, sa vérité. musanostra . numéro 5. 09 .2016 7 Musa lettura U Balcone, de Ghjacumu THIERS - Editions Albiana 2016 U balcone est le sixième roman de Ghjacumu Thiers. Le lieu central est indiqué dans le titre. Un balcon qui est la scène d’un manège amoureux qui ne dit pas son nom, et le lieu d’une tragédie qui frappe deux amoureux qui croyaient trouver sous lui un refuge. Trois personnages, dont un absent. Ce dernier, Petru, a ramené au village une Alsacienne, Agata, pour en faire sa femme, puis il est parti, et Agata ne cesse de scruter l’horizon du haut du balcon, pour guetter le passage du facteur, Gnigninu, dans l’espoir d’avoir des nouvelles de son mari. Petru, dit-on, est parti vers des terres lointaines. Pour nourrir son récit, à cet endroit, Thiers a relu un roman d’aventures qui était dans sa bibliothèque familiale, Vasco, de Marc Chadourne. Et aussi Ethnographie de Madagascar, de Jacques Faublée (1946). En arrière-plan de la “fugue” de Petru, on entrevoit les oeuvres d’Eluard, de Morand, de Leyris, pour la littérature française, et de Conrad, que Chadourne a traduit, d’Herman Melville (Taïpi), de Robert Louis Stevenson. Dans sa présentation, Patrizia Gattaceca a parlé de “mystère” et de “complexité”. Il s’agit en effet d’un récit polyphonique qu’il faut lire attentivement. Mais elle dit aussi qu’il s’agit “d’une lecture jouissive”. Les divers éléments que nous avons cités semblent avoir une logique interne: l’affectivité personnelle de l’auteur, qui utilise sa bibliothèque familiale. Le sens des signes: le balcon détonne par son matériau sur le matériau local, comme Agata l’Alsacienne qui doit s’intégrer à une communauté différente. L’Ethnographie de Madagascar, soulève, entre autres sujets, la place du malgache dans les langues indonésiennes, un sujet qui tient à coeur à Thiers: “le statut de la littérature et de la langue”; la littérature qui peut être “une chambre d’auto-analyse” (Ghjacumu Thiers). Le caractère “jouissif ” de la lecture, noté par Patrizia, correspond à l’enthousiasme qui a porté l’auteur à réaliser ce texte: “ La liberté d’écriture en langue corse” (Thiers). Pour donner un petit exemple du plaisir que Ghjacumu Thiers a dû éprouver devant son clavier, et sa maîtrise de la langue, citons le portrait teinté d’ironie, qu’il brosse du facteur: “Figuratevi Gnigninu fattore vestutu in tal manera chi, s’ella ùn era stata a so faccia cun l’ochji sburlati cum’è sempre, a so voce fine fine è chi barbuttulava à pena è iss’andatura meza ghjimba chi u facia ancu più vechju chè in realità, tandu ùn ci era risicu di pudè lu ricunnosce! Si era messu una camisgia bianca à fiori rossiu è manicorta chi ci si pudianu stà omancu tre grillachje cum’è ellu, una cullana di cunchiglie è fiori tamanti cum’è quelli di e zucche, e per compie l’opera ci eranu isii dui schinchi secchi secchi chi surtianu di u so short troppu grande dinù quessu”. Francis Beretti 8 musanostra . numéro 5. 09 .2016 Livres en vrac Des livres plein les valises Quelques titres remarqués ou qui nous ont été signalés...Lus ou bientôt lus Un zéro avant la virgule, de James Holin, aux éditions Ravet-Anceau Très bonne lecture, Un zéro avant la virgule, de James Holin, aux éditions Ravet-Anceau. J’ai beaucoup aimé l’histoire, bien menée, avec tous les ingrédients pour plaire. Mais j’ai encore plus aimé l’étude des caractères et des mœurs que l’auteur propose : très bien vu, tout est juste ! L’art, la diplomatie, les aristocrates, l’univers de la Justice, la cupidité des marchands et les caricatures m’ont tordu de rire. Tout est fumisterie et le monde marche à l’argent et au sexe. Merci à James Holin d’avoir autant de respect pour les lecteurs : une écriture soignée et naturelle. Une écorce de mandarine Céline Mudry Nouvelles éditions du bord du Lot Des nouvelles, toutes plutôt courtes qui nous emmènent parfois bien loin mais souvent qui font retourner en soi même ou très près de ceux qu’on aime. Un recueil empli d’humanité, de belles histoires et du style. Sfumatura de Guidu Benigni, Stamperia Sammarcelli Alimetu, l’exil ou la mort Dume Sammarcelli Stamperia Sammarcelli 2016 Alimetu, un nom qui évoque le cédrat, richesse de nombreuses familles en ce début de XIXe siècle. La Corse a changé de maître et l’armée française doit le faire admettre à tous. Nous découvrons la vie de familles importantes, des gens aisés, qui se déchirent ou s’aiment, qui luttent aussi pour leur survie. Les soldats, les bandits, les ennemis en tout genre ne manquent pas. On s’attache tout particulièrement à Carlu Zerri et à son petit fils comme à la famille de Battistu Pozzi. Nous sommes essentiellement dans le Cap corse et à Bastia, celui des couvents où on enfermait les jeunes filles amoureuses de qui ne convient pas. Un roman d’aventure avec prise d’otage, péripéties et d’histoire avec un moment social et politique difficile ; des zélés qui trahissent les leurs, une histoire d’amour aussi. Et si je vous disais que tout finit bien ? Lisez, vous comprendrez. Sfumatura Juste paru, recueil poétique en langue corse, «Micca u culore, ma chè a sfumatura» (P. Verlaine) 6 parties composent l’ensemble : lochi, sunetti, quattrini; viaghji, canti, Cavalli Le rêve,L’Autre Réalité André-Jean Bonelli et Christophe di Caro Edilivre, 16,50 euros Un millier de rêves ont été recueillis par le docteur AJ Bonelli. Comment se produisent-ils ? Le processus est complexe mais le mécanisme onirique semble obéir, selon ce médecin romancier, aux lois de la physique quantique. Les auteurs, André-Jean Bonelli et Christophe di Caro vous invitent à découvrir leur double analyse : psychanalytique et quantique. Paul Tramini musanostra . numéro 5. 09 .2016 9 Musaparution Tout ce qu’on ne s’est jamais dit Celeste NG Ed. Sonatine 2016 1977, Lydia Lee, seize ans, est retrouvée morte au fond du lac, tout près de chez elle. A-t-elle été tuée ? S’est-elle suicidée ? Le tour de force de Céleste Ng est de maintenir une tension permanente pour arriver à une révélation qu’on ne peut anticiper et qui laisse un profond malaise chez le lecteur. Mais l’enquête ne sera qu’un prétexte pour évoquer ce qui est au cœur du roman : l’opacité des êtres. Cette mort est annoncée dès les premières lignes, de manière quasi clinique, uppercut qui vous sonne jusqu’à la fin du roman : « Lydia est morte. Mais ils ne le savent pas encore. 3 mai 1977, six heures trente du matin, personne ne sait rien hormis ce détail inoffensif : Lydia est en retard pour le petit déjeuner ». Tout est là, dès cet incipit : « Personne ne sait rien » et personne ne saura rien, jamais. Celeste Ng choisit de revenir sur l’histoire familiale. Une famille qui n’a rien d’ordinaire. Le père de Lydia, James, est chinois et être chinois dans les années 50 aux Etats-Unis n’est pas chose aisée : il fait de brillantes études mais se retrouve professeur dans une université bien en deçà de ses aspirations. Victime de discrimination, James n’aspirera qu’à gommer ses différences pour devenir invisible, désir de transparence qu’il voudra transmettre à ses enfants, confondant transparence et intégration. La mère, Marylin, américaine, blanche, connaît une autre forme de discrimination : à cette époque, aussi brillante que l’on puisse être, quand on est une femme, l’objectif premier est d’abord de se trouver un bon mari et d’être une parfaite femme au foyer. Marylin se révoltera d’abord contre cette condition ; élève brillante, désireuse de se construire contre le piteux modèle que lui offre sa mère, elle projette de devenir médecin mais sa rencontre avec James signera la fin de ses ambitions. Marylin et James allient leur mal-être, ont trois enfants, dont Lydia, et semblent avoir trouvé un certain équilibre. Equilibre précaire et illusoire qui volera en éclats à la mort de Lydia et qui engendrera une volée de questions obligeant chacun à se confronter à lui-même. Quel est donc le poids qui a fait couler Lydia ? Le poids de sa famille, le poids d’une mère qui va vouloir que sa fille soit ce qu’elle n’a pas été, le poids d’un frère qui souffre d’être systématiquement relégué au second plan parce qu’il ne fait pas la fierté de son père, le poids de ces événements apparemment insignifiants, presque invisibles, mais en réalité décisifs et, parce qu’ils ne sont justement pas vus ou mal interprétés, se révèle dévastateur. Tout ce qu’on ne s’est jamais dit est un roman sur le poids des non-dits, des humiliations, des discriminations, des vexations, des rancœurs et qui nous dit de façon violente, bien que retenue, qu’il reste impossible de connaître l’Autre. Chaque individu possède la capacité de construire un être censé correspondre aux attentes de l’entourage ; pendant un temps, cela semble plus confortable mais lorsque ce masque finit par se craqueler, la réalité qui se dévoile alors peut être terrible. Celeste NG excelle à montrer comment une adolescente peut totalement leurrer les siens et faire croire qu’elle est ce que l’on attend d’elle. C’est avec une grande finesse et sensibilité que l’auteur montre comment les êtres laissent leur vie leur échapper et ne sont que les pantins de leur propre existence. Celeste NG donne à entendre la voix de tous les membres de cette famille : l’empathie pour chacun d’entre eux est totale. Mention spéciale pour la voix de la petite dernière, non désirée, Hannah, qui passe le plus clair de son temps sous la table ou dans des recoins, pour se faire oublier, comme pour s’excuser d’être là ; c’est pourtant elle, aussi jeune soit-elle, qui, avec toute l’innocence de son regard et parce que le manque d’affection lui a appris à traquer le moindre signe, comprendra tout du drame qui est en train de se nouer : « Des années de soif d’affection l’avaient rendue perceptive, de la même façon qu’un chien affamé remue la truffe à la moindre odeur de nourriture. Il n’y avait pas d’erreur possible. Elle reconnut immédiatement l’amour, l’adoration profonde à sens unique qui n’avait jamais de retour ; un amour prudent et silencieux qui se moquait du reste et continuait coûte que coûte ». On retiendra la retenue et l’élégance de l’écriture, la construction subtile du roman – où passé, présent et futur s’entrelacent - tel un écheveau dans lequel on se perd quelquefois mais que l’on démêle progressivement. Cet excellent premier roman, qui oscille entre Carrie et Thérèse Desqueyroux, nous rappelle que l’essentiel est dans ce que l’on ne dit pas, ce que l’on ne voit pas et que l’amour ne sauve de rien. Bénédicte Savelli 10 musanostra . numéro 5. 09 .2016 Mus’arte Fugue Bernard Filippi et Antoine Graziani « Depuis la sixième, au lycée de Bastia, en 1961 », se souvient Bernard Filippi pour évoquer la force de sa complicité avec Antoine Graziani ; jusqu’au bac où les études de Lettres pour l’un et l’entrée aux Beaux Arts pour l’autre ont été déterminantes. Ils se retrouveront à Paris, étudiants, et au fil des décennies, en Corse, chacun s’affirmant dans son art. Ensemble ils ont publié 4 livres. Avec Saint Jean Baptiste, paru aux Editions du Cap en 1993, leur première collaboration, Bernard, parce qu’une colline de sa région, à Pianiccia, s’appelle « A punta di San Ghjan Battista »et que ce saint représente pour lui l’avant-garde, avait sollicité Antoine et il se souvient : « de mes peintures il a fait naitre un texte et puis j’ai fait des gravures à partir des textes, comme une réponse de l’un à l’autre . L’un commençait et l’autre continuait ». Depuis il y a eu «Partita» avec Jean-Louis Giovannoni et Jean Paul Pancrazi, puis «Ombres réitérations» des lithographies illustrant le texte . Antoine Graziani a enseigné la littérature française dans une université américaine, Sarah Lawrence Collège, il écrit de la poésie et des textes sur l’art. Plasticien et lithographe Bernard Filippi est conseiller pour les Arts plastiques à la CTC, chef du service de la création et des pratiques artistiques. Tous deux vivent et travaillent en Corse. Leur recueil «Fugue», travail d’orfèvre de leur éditeur, L’Atelier des Grames, met à l’honneur les textes d’Antoine et les 18 aquarelles originales de Bernard qui les accompagnent. Avec grand talent Anik Vinay a donné vie dans son atelier de Gigondas à cet ouvrage magnifique pour lequel «on a fonctionné comme avant, on a retrouvé notre accord créateur ». « Cette fois, Antoine a écrit, j’ai reçu et lu ses textes ; ici sa poésie est très liée à la nature et, comme ma peinture, à un vision du paysage corse. Un coup d’œil sur les nuages lointains » IMAGE Les exemplaires uniques, où le bleu domine, comportent des variantes, légères mais sensibles : parfois la tonalité est plus mauve, le violet apparaît ou le bordeaux. « Selon ce que j’ai éprouvé ce jour là, une tension par exemple comme un souffle d’orage, la pluie imminente, le ciel, le paysage» confie Bernard Filippi. «Selon la proportion induite de rouge ou de bleu…J’ai imaginé ma participation comme un cadre adapté aux émotions dégagées, aux images nées de ses mots. Cela m’a pris près de 5 mois, une démarche de complémentarité. Un vrai travail d’artiste et d’artisan, ce livre, car la construction, avec le texte emboîté, mis au centre, est faite par rapport à l’objet, comme un cœur enchâssé dans une couverture de plomb bruni. Une nouvelle occasion de créer ensemble, comme avant, de reprendre notre fugue amicale et esthétique. «Fugue» se développe comme un texte/poème où les pages tournées se répondent ; la fugue commence et finit par un silence (de plomb) » Marie-France Bereni Canazzi La reproduction n’en étant pas possible, c’est une œuvre unique que les bibliophiles et autres amateurs d’art vont acquérir. A commander à Atelier des Grames 84 190 Gigondas 04 90 65 82 05 Ou à Bernard Filippi 5 boulevard François Salini 20 000 Ajaccio 06 74 98 95 20 www.bernarfilippi.com IMAGE Antoine Graziani a souvent collaboré avec des artistes et a fait des études importantes sur l’esthétique et les créations des plasticiens. Il est l’auteur de nombreux recueils poétiques et de publications dans de prestigieuses revues. musanostra . numéro 5. 09 .2016 11 11 Musapoésie Sous le seuil Jean-Louis Giovannoni Editions UNES 2016 Sous le seuil, la pourriture. Des colonnes de fourmis se faufilent sous les racines d’un châtaignier. Les cloportes se cachent sous les pierres, sous les souches pourrissantes. Dans l’humidité des sous-bois en novembre, « la terre regorge de lombrics et de taupes ». Les blattes grouillent sous le dallage. Des lombrics aèrent la terre. Des pucerons surabondent. La nature est cruelle. La mante religieuse dévore le mâle qui était pourtant porté de bonnes intentions. Les hirondelles avalent les mouches en plein vol. Belettes, renards et serpents se repaissent de leurs proies innocentes. Cruauté envers l’homme : un passant dévoré par les sangsues agonise. Cruauté de l’homme. Des enfants capturent des araignées et des scorpions pour se régaler d’un combat perdu d’avance. Les villageois font la fête autour d’une bête sacrifiée : « Porc, tête en bas, pattes arrière pendues au gibet. Chaque secousse serre les nœuds, lui coupe les chairs. Il couine, hurle. Son poids l’épuise ». Deux jeunes gens font l’amour dans une cabane de branchages. La scène est évoquée avec la même curiosité clinique que l’accouplement des papillons, ou d’autres ébats sauvages : « Battements accélérés, confusion des frontières, les yeux chavirent. » Mais à quoi tout cela rime-t-il ? S’agit –il d’un kaléidoscope de souvenirs personnels : des visages entrevus derrière la vitre des wagons, et qui se télescopent. La grand-mère morte à la mi-décembre. La tuaison des cochons, les villages qui se vident ? On nous donne des explications pertinentes : la poésie de Giovannoni est « une poésie de fragments interrogeant le malaise d’un rapport intime et extérieur au monde ». Il nous présente une succession de tableaux dépouillés de toute rhétorique, « où toutes les vies ont la même valeur ». Mais on ne saurait s’en satisfaire. Sous le seuil, la pitié. Sensibilité envers les créatures animales : « Hiboux et chouettes n’osent plus voler, la nuit leur manque ». Sensibilité envers l’être humain angoissé par la proximité d’un sort inéluctable. Une angoisse évoquée par un simple geste : « La vieille dame du quatrième cherche la main de son mari, la serre contre la sienne. Secondes lentes et rapides avant la montée du froid ». Et puis, on lit ce passage, où pour la première fois Giovannoni se situe géographiquement : « Le village disparaît, dans le tournant, après la croix où l’on s’assied. Au loin les lumières tremblantes de l’île d’Elbe, de Capraia, de Montecristo et de Pianosa. Sans les quitter des yeux, nous parlons lentement dans le noir de nos vies rêvées ». Relisez posément, à voix haute, cette dernière phrase, et savourez la beauté et la profondeur du message. couverture du livre Francis Beretti 12 musanostra . numéro 5. 09 .2016 PrimaMusa2015 Heure H comme Haine Depuis 2015, le concours est ouvert aux jeunes auteurs de moins 18 ans: les textes ayant pour thème « l’arbre » « les vacances» ou « le bijou» répondant aux consignes (env 8000 signes), seront lus et le lauréat recevra un prix de 300 euros . Café Du Soleil H-2 Ma mère nous dépose devant le café du rendez-vous. Je m’extirpe de la voiture écoutant pour la dixième fois ses mille et une recommandations . Léo sort à son tour, excité d’aller entendre son groupe préféré. Alexandre nous attend à une table, son regard moqueur rivé sur nous il sirote une boisson alcoolisée. - C’est bon, les jumeaux ? On y va ? - Si tu veux, mais à mon avis, ils n’ouvriront pas les portes avant une demi-heure ! - Vous avez de la chance ! Moi, pour mes quinze ans, je suis allé à Disney ! Tu es béni, toi, William d’avoir un frère tel que Léo ! Léo ne répond pas, il se contente de sourire bêtement comme il le fait quand il est heureux. D’aussi loin que je me souvienne, il a toujours été un petit garçon renfermé qui ne parlait que très peu. Quand j’y repense nous n’avons en commun que l’apparence physique. Contrairement à lui, je n’ai jamais eu peur d’aller vers les autres, ni de dire ce que je pense. Le seul domaine dans lequel il se laisse aller, c’est la musique. Non pas qu’il danse ou qu’il chante, loin de là ! Mais ses goûts musicaux sont en contraste avec sa personnalité. C’est ainsi qu’à 20 heures nous attendons devant les portes du Bataclan pour assister au concert des «Eagles of death metal» ! Portes du Bataclan Il y a foule, les gens s’amusent, rient et s’exclament. Léo ne coupe pas à la règle, je ne crois pas l’avoir déjà vu aussi heureux. Sa joie est contagieuse. Je me mets à sourire aussi béatement que lui. Alexandre ne manque pas de le faire remarquer et se moque en riant et nous traite de « copiés/collés » Les rires redoublent et nous ajoutons un peu plus de joie et de bruit à cette foule en ébullition qui augmente à mesure que le temps passe ! 1 Salle de spectacle du Bataclan H-1 Après une demi-heure d’attente, nous entrons enfin. Alexandre bien éméché apostrophe les vigiles en leur reprochant d’avoir laissé trop longtemps les portes fermées et de leur faire perdre du temps. Je le pousse du coude et il avance et se tait en maugréant et ricanant. Quelque chose dans l’atmosphère, me dérange mais j’oublie aussitôt cette impression, mes idées noires s’envolent emportées par les cris du public accueillant le groupe tant attendu ! Salle de concert du Bataclan H-7 mn Le concert est à son paroxysme, cela fait près d’une heure que le groupe déchaîne la salle en liesse... Cette pensée noire surgit dans ma tête : Si nous étions des animaux, nous ne serions que d’inoffensives souris piégées par quelque prédateur affamé! H-5 mn Des pétards éclatent au loin, une vague d’excitation parcourt la salle et avive encore plus la ferveur des spectateurs! Mais les pétards claquent de plus en plus distinctement et de plus en plus nombreux et il devient évident que ce ne sont pas des pétards ! Mon mauvais pressentiment revient au grand galop ! Alexandre qui a bu, titube un peu et rit très fort. Mais soudain, Léo se fige, et à mon tour je reste pétrifié par ce que je vois: Les musiciens regardent vers la salle et abandonnant leurs instruments se précipitent vers les coulisses où ils disparaissent. H-3 mn La réalité inconcevable s’immisce en chacun de nous et dans un même mouvement nous nous retournons... Alors, nous faisons face à un destin impitoyable. Deux hommes braquent sur nous leurs armes qui soudain crachent des flammes, crachent la mort... musanostra . numéro 5. 09 .2016 13 Musaconcours2015 Un vent d’horreur nous glace jusqu’aux os. Nous sommes vraiment des bêtes piégées qui tentent de fuir, n’importe où, mais fuir ! Les souris de mes noires pensées viennent d’être repérées par un chasseur assoiffé de violence aveugle. Il est bien réel! Il est terrifiant! fuir ! 2 Confusion H-1mn Les gens tombent, morts, blessés, inondés de sang. Ils se font piétiner. Nous ne sommes plus des hommes, mais des machines dénuées de compassion, rendues folles par le trop-plein d’adrénaline! Je saisis Léo par le bras, puis Alexandre, je les pousse devant moi ! Il faut que je les protège, je dois surmonter cette panique qui me fait trembler ! Mon seul objectif est de m’éloigner de ces tueurs sans âme. Une voix sourde me harcèle : « Ils sont morts, morts, morts, morts, toi aussi tu meurs ! Regarde ton frère, tu es mort ! » Cette voix qui veut avoir raison et ne veut pas se taire ! Sortie arrière du Bataclan Heure H comme Haine L’heure sonne au loin, très loin, tellement loin. Est-ce les cloches d’une église ? Une sirène de police ? Mon propre hurlement ? Non ! Je sais ce que c’est. Je refuse de comprendre ! Je refuse d’accepter ! Ce cri assourdissant, c’est celui de la mort … Je sais que c’est elle, je l’ai reconnue quand j’ai vu cette gerbe de sang précéder mon frère Léo dans sa chute. Mon sang... ma vie... H0 De Parisiens lambdas nous sommes les victimes d’une guerre épouvantable, les jouets de la violence aveugle... Hôpital Paris Tout est noir, je ne vois rien. J’entends quelques bip-bip lancinants. J’ai l’impression de me réveiller d’un long sommeil. J’essaie de me souvenir. Le bruit d’une arme automatique, les hurlements. J’ai peur mais cette sensation m’est familière, comme si elle ne m’avait jamais quitté. Le bip-bip incessant d’une machine me tire à nouveau de ma transe. Cette fois-ci, je tente de soulever mes paupières mais une lumière intense m’agresse et par réflexe je me protège du revers de la main. Quand je me suis habitué, je distingue la silhouette d’une femme au fond de la salle. Je tente de l’interpeller mais de ma gorge ne sortent que des sons rauques étouffés. Pourtant cela suffit à la faire sursauter et elle se retourne brusquement comme si ma présence la surprenait. 3 Elle marche vers mon lit et me dévisage avec étonnement en se voulant rassurante mais je devine qu’elle est bouleversée, elle marmonne quelque chose que je ne comprends pas et quitte la salle aussi vite qu’elle le peut en s’efforçant de Ma tête me fait horriblement souffrir. Je me sens si mal ! Comme si mon esprit n’entrait plus dans le moule de mon corps. Je passe les lieux en revue. Tout est aseptisé, une odeur âcre et familière de désinfectants flotte autour de moi. Deux médecins entrent et discutent à voix basse, je remue la tête de droite à gauche sur l’oreiller, j’ouvre et referme la bouche comme un poisson. Je leur fais signe que je veux écrire. On me tend un carnet et un stylo. Je trace en lettres hésitantes : « comprends rien... arrive pas à parler ». Le plus grand des deux écrit à son tour : « C’est normal que vous soyez perdu, vous venez de sortir du coma, vous allez comprendre mais restez calme ! » 14 musanostra . numéro 5. 09 .2016 14 Musaconcours2015 On place un miroir devant moi, je crois d’abord que c’est une photo, mais elle reproduit chacun de mes gestes, je réalise que c’est moi que je regarde mais plus vieux de quinze ans ! Je suis sous le choc. L’infirmière injecte un calmant dans ma perfusion. Le médecin s’assoit à côté de moi, il me présente des feuillets et je lis au hasard « 13 novembre 2015 » « Le Bataclan » « attentat terroriste » « mort d’une famille » « un seul survivant » Nous sommes en 2030. Les mots rebondissent sur mon âme sans l’atteindre. J’ai trente ans ! Il me faut plusieurs jours pour comprendre tout ce qui est arrivé depuis le 13 novembre 2015. Quelques semaines plus tard, l’équipe médicale m’installe dans un studio, et me confie à une infirmière. Le surlendemain, elle doit s’absenter pour faire une course. Après son départ je sais que jamais je n’ai été aussi seul. Il me manque quelque chose ! Il me manque quelqu’un ! Je cherche à mettre le doigt sur ce vide immense. Au moment où je vais enfin comprendre, la sonnette retentit et me tire de ma réflexion. Je me lève, j’ouvre la porte et pour la deuxième fois je me retrouve en face de moi-même mais quinze ans plus tard. Alors tout me revient ! Nous nous jetons dans les bras l’un de l’autre. J’ai enfin retrouvé ce qu’il me manquait ! Mon frère Léo ! Mon autre moi-même ! Un sourire radieux que je ne lui ai jamais connu éclaire son visage, il ressemble à celui que j’étais. Nous avons échangé nos rôles. C’est un homme joyeux et je suis devenu triste, solitaire et renfermé. Comme si j’avais pris sa place ! Celle d’un être introverti que la vie effraie. 4 Des larmes me montent aux yeux, j’ai tellement de choses à lui raconter ! Il faut qu’il sache combien j’ai eu peur, combien j’ai eu mal. Je saisis le carnet que je garde à la ceinture et qui me sert à m’exprimer par écrit mais Léo pose la main dessus et le repousse en disant : « pas de ça entre nous, tu sais que tu n’as jamais eu aucun mal à me parler ! Et tu entends ce que je te dis ?» Alors je lui raconte tout ce que j’ai vécu, il m’écoute, longtemps et quand je ne sais plus que dire il me répond, et sa voix semble sortir de moi-même, de si loin... « Ne lutte plus ! Je ne suis là que parce que tu l’as voulu. Tu m’entends parce que tu veux m’entendre ! Souviens-toi, ce soir-là, la mort m’a emporté et toi tu es tombé dans le coma car tu as refusé d’accepter cette réalité et de vivre sans moi. Ce matin, c’est ton tour ! N’aie plus peur ! Viens me rejoindre. Nous ne pouvons pas rester séparés ! L’un sans l’autre, sur terre, ne sommes personne ! Je t’attends !» Je suis pendu à ses lèvres, mon regard dans son regard, mais à mesure qu’il parle, il devient de plus en plus flou et disparaît complètement. Quand je reprends mes esprits, je suis totalement seul, mais ses paroles résonnent partout et je les comprends... Alors je m’approche de la fenêtre et me laisse aller pour répondre à Léo qui m’attend... IMAGE Appartement de LAURÈ William Les sirènes stoppent au bas de l’immeuble. Des policiers surgissent dans l’appartement. L’un d’eux découvre au milieu de la table une note posée en évidence. À voix haute, il lit en pleurant le dernier message de William : « Ces gens m’ont tout pris, ma famille, mes amis, ma vie, ma joie, ma jeunesse. Cela aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre vous, car au fond, nous sommes tous les mêmes. Mais je n’ai plus peur. Vous non plus, ne soyez pas impressionnés, n’ayez plus jamais peur ! Ne soyez pas abattus, ne leur donnez pas cette satisfaction... Montrez-leur que nous sommes solidaires au sein de notre patrie et que nous ne rejetons personne car nous sommes tous frères! Il n’y a rien qui les attend là-haut. Ils ne possèdent que la souffrance qu’ils ont laissée derrière eux et ils sont tout seuls et perdants car la violence est lâche et ne gagnera jamais. Eux, ils habitent les recoins noirs de l’obscurité. Moi, j’ai juste retrouvé mon frère dans la lumière ! » Mey-Li musanostra . numéro 5. 09 .2016 15 15 Livres en vrac Les Mauvais Sujets Michelle Corrotti Philippe Peretti Editions Piazzola 2016 L’action de ce roman, Les Mauvais Sujets, se situe vers 1769, au moment de transition entre le gouvernement de Paoli et celui de Choiseul. Mais y conte-t-on des représailles, des combats meurtriers, des expéditions punitives, des destructions de repaires de rebelles, des malheurs ? Nenni ! Point de faits de guerre ici, ou alors des guerres en dentelle. Le “feu aux poudres” n’est pas déclenché par la proximité d’un ennemi, mais par la vue d’une damoiselle qui offre ses charmes à l’observateur, situation illustrée de belle façon par Fragonard. “Toujours prêt!” n’est pas un slogan militaire, mais la devise d’un gentilhomme bien doté par la nature, comme le duc de Lauzun, «dont le plus petit membre était la jambe”, ou comme Mirabeau, qui se vantait: “Les champs de bataille où je me suis illustré en Corse ont compté plus d’édredons que de fortins”. Les ébats impétueux se déroulent aussi bien dans les petits salons des notables que dans les cellules d’un couvent. C’est le siècle de l’amour polisson. On voit que les auteurs ont pris le soin de retranscrire le langage des doux aveux du temps:”La naissance du jour m’offre une féerie extraodinaire quand toutes les lueurs du ciel viennent s’échouer sous mes fenêtres, portées par les vagues.” Les coquettes de l’île sont prêtes à délaisser les faldette et le mezzaru pour “des guenipes affriolantes”. Les sgiò bien en cour voient s’ouvrir de brillantes perspectives: la richesse, la noblesse. C’est le temps des “bouleversements politiques, l’abaissement moral, le règne de l’argent sous le manteau fleurdelisé de la couronne de France”. Voilà la gageure des auteurs, l’originalité du roman: ils évoquent une période marquante de transition dans l’histoire de la Corse, mais non pas sur le mode traditionnel du lamento, mais sur celui d’une chanson galante. Et Bastia, dans cette affaire ? Un pays de cocagne pour les roués en mal d’aventures. Un port qui s’adapte aux temps nouveaux, pour ceux qui ont su garder la tête froide. “La cité digérait lentement maIs inexorablement, comme si elle disposait d’autant d’estomacs qu’une vache. Ville haute bastionnée, ville basse recroquevillée à ses pieds, courtine des montagnes en renfort et long gosier du port qui avalait les navires et leurs cargaisons, les nouveaux arrivants, civils et militaires, les idées du jour et celles de la veille. Tout fait ventre dans une ville marchande”. Francis Beretti couverture du livre 16 Une Nuit à Majunga François de Negroni Ed. Materia Scritta 2016 Une Nuit à Majunga, de François de Negroni est une sorte d’album de souvenris, illustré de coupures de presse, de caricatures, de photographies, et d’une sélection de films ayant pour thème Thomas Sankara, et quelques dates de ses discours. En août 1983, Sankara, “le Che Guevara africain”, anti-impérialiste, panafricaniste, tiers-mondiste prit le pouvoir dans l’ancienne colonie française de la Haute-Volta, actuellement Burkina-Faso. Il fut assassiné à Ouagadougou le 15 octobre 1987. Au début des années 1970, il se trouvait à l’académie militaire de Madagascar. C’est à cette époque-là que François de Negroni, alors enseignant de sciences humaines à l’université de Tananarive, jeune coopérant, fait sa connaissance. Il ne l’a rencontré que deux fois, mais sa présence marque ces souvenirs. C’est avec une point de nostalgie qu’il évoque Majunga, “cette vieille cité coloniale au cachet architectural un peu défraîchi”, une cité cosmopolite, “un ensemble chatoyant qui, sur fond de disponibilité érotique, favorisait ce rapport à l’exotisme et les modes d’esthétisation de la subjectivité auxquels j’étais préparé par ma culture de classe”. Une ambiance qui débloquait les inhibitions, comme dans cette scène burlesque où un grand ponte de l’anthropologie économique s’est livré à un strip tease bruyant sur la piste d’un night club.Frrançois de Negroni a la dent dure envers les coopérants condescendants et opportunistes: “ ces belles figures de l’amitié paternaliste des peuples majeurs pour les peuples-enfant”. Il est d’aillleurs l’auteur d’un pamphlet au vitriol visant les coopérants français dans le tiers-monde, intitulé “Les colonies de vacances”, et qu’il définit lui-même comme “un essai mordant et salutaire”. En fin de compte, on a l’impression que “ce fugitif témoignage” trouve sa justification dans le constat ”qu’en pleine recrudescence honteuse de l’impérialisme, ce nom, Thomas Sankara, sert toujours de référence”. Francis Beretti musanostra . numéro 5. 09 .2016 Un Grand-père Pépé Paglieta surnommé ainsi parce qu'il ne quittait jamais son chapeau de paille, n’ôtait jamais non plus son costume clair, bien qu'il résidât au village. Il s'était marié très jeune, contre sa volonté, et contre celle de sa promise, avec Annonciade, une femme laborieuse et taillée pour l'effort. Jamais ces deux là ne s'aimèrent, et avec le temps, en vinrent à se détester. Paul aimait faire la fête. Annonciade, le jardin. Ils se croisaient souvent au petit matin, elle, une bêche à la main, lui, une bouteille sous le bras, vestige de sa nuit loin d'elle. Il lui fit 5 enfants, il fallait bien assurer la descendance, et ne s'y intéressa pas. Il n'était pas fait pour la vie rude du village, travailler la terre lui faisait horreur. Sa pension de guerre lui permit de ne jamais suer au dessus des sillons. Une tuberculose providentielle eut l'heur de se déclarer la veille de sa montée au front. Il y aurait laissé la vie, il y perdit un poumon. Alors que rien ne le présageait, il manifesta beaucoup d'intérêt envers ses petits enfants, principalement quand ceux-ci devinrent adolescents. Ce qu'il aimait par dessus tout, c'était leur prodiguer des conseils de séduction. Il leur expliquait comment plaire aux femmes, leur conseillait d'ôter jeans et t-shirts au profit d'un beau costume qu'un vieux tailleur d'Ajaccio pourrait leur confectionner. Il les mettait en garde contre l’homosexualité, un fléau qui, selon lui, touchait la jeune génération. De son temps à lui, ces choses-là ne se faisaient pas. Il en parlait souvent et n'hésitait pas à se montrer cru afin de choquer les jeunes esprits des adolescents qui l'écoutaient, amusés. Lui qui aimait tellement les femmes, ne pouvait comprendre qu'un homme puisse être attiré par un autre. L'été avec ses amis, il écumait les bals de village ! Excellent danseur, il avait un succès fou. Les femmes faisaient la queue pour avoir l'honneur d'une danse avec Paul. Il les entrainait dans des valses qui les laissaient étourdies. Au petit matin, il rentrait, ivre d'alcool et de bonheur. Il croisait alors Annonciade, la mine maussade qui s'en allait biner les tomates. Après la belle saison, l'ennui le gagnait. Fort heureusement, il s’était pris de passion pour les cures thermales. Il s'y rendait chaque année, grâce au poumon qui lui restait et qui n'était guère vaillant. Ces cures annuelles, lui donnaient l'occasion de quitter son village, où l'hiver, il ne se passait rien, et de faire de savoureuses rencontres. A Saint-Honoré-les-Bains, il devint rapidement l'ami du maire d'un petit village du sud de la France, venu prendre les eaux avec sa femme, et n'eut pas grand effort à faire pour devenir l'amant de cette dernière, la délicieuse Berthe. Comment aurait-elle pu résister aux roucoulades du vieux séducteur, susurrant des "Berrrrrthe" enflammés dans le creux de son oreille ? Quand le couple achevait sa cure, Paul la poursuivait car Marthe le rejoignait alors. Cette veuve bretonne, blonde dans sa jeunesse, grande et fessue à souhait, le comblait au delà de toute espérance. Comme elle était loin, la brune et besogneuse Annonciade ! Comme il serait toujours temps de la retrouver ! Au retour, il était épuisé et se montrait peu enjoué. Les plaisirs de Saint-Honoré-les-Bains n'étaient plus qu'un souvenir qui le faisait sourire dans l'obscurité de sa chambre, et puis il vieillissait. Alors qu'Annonciade continuait de cultiver son jardin, sarclant ses pieds de tomates avec ardeur, Pépé Paglieta rongeait son frein dans un lit d'où il sortait de moins en moins. L'année suivante, très affaibli, il ne put aller en cure. Sa maladie pulmonaire avait gagné du terrain. Il prit soin de prévenir ses chères Berthe et Marthe de son absence. " Berrrrrthe (Marrrrrthe) je ne pourrrrai pas venirrrrr cette année " leur annonça-t-il avec tristesse. L'agonie du vieil homme ne fut pas longue. Annonciade, toujours consciente de son devoir, le soigna jusqu'à la fin. Le jour de son enterrement, la maison était pleine de monde. Les gens venaient se recueillir une dernière fois devant la dépouille du grand-père (toujours vêtu d'un costume mais noir cette fois-ci) et présenter leurs condoléances à la famille. Comme les personnes parlaient du défunt autour d'un café, évoquant en souriant son caractère jovial et son goût pour la fête, Annonciade, en grand deuil, s'approcha de la fenêtre où quelque-chose avait attiré son attention et s'exclama: " Mi, chi ci hè un ghjattu rossu in i pumati !" Frédérique Ettori musanostra . numéro 5. 09 .2016 17 Musaliteratura Rutebeuf, Jacques Fusina Ce matin, en jetant un coup d’œil sur ce que nous appelons « les réseaux sociaux » j’ai noté qu’un des participants mettait en exergue un poème très connu de Rutebeuf : ce clin d’œil sur « Mes amis disparus » me rappelait mes études d’ancien français à la Sorbonne et cet auteur du 13ème siècle que j’aimais beaucoup et dont j’ai encore dans ma bibliothèque le grand ouvrage des Oeuvres Complètes édité par deux universitaires aujourd’hui disparus aussi, E.Faral et J.Bastin. Et le poème dont il est souvent question est tiré de La Complainte Rutebeuf qui commence par ces vers d’ancienne langue « Ne covient pas que vous raconte/comment je me sui mis a honte/ Quar bien avez oï le conte… » Or, ce poème fut mis en musique et chanté superbement par Leo Ferré sous le titre « Que sont mes amis devenus » adapté bien entendu en français moderne mais gardant fort heureusement cet accent délicieux du français particulier des années 1200. Il m’est venu l’idée d’en composer en 1985, nous étions en pleine période du Riacquistu , une adaptation en corse que j’avais intitulée « U Puverellu » et qui est celle-ci : « Duve seranu i m’amichi mancu saria ch’o la dichi tenuti tantu Forse fubbenu scaccighjati ventu i s’averà purtati amore hè mortu Eranu amichi à collu tortu è u mare battia in portu i s’hà purtati Cù lu ventu di e burrasche quellu chì lampa in pianu e frasche è e calceca Cù a puvertà chì m’arreca a guerra è a fame ceca amore hè mortu Sarà megliu ch’o tagli cortu dicenduvi cum’ebbi tortu in chì manera amore hè mortu » Petru Guelfucci l’ayant entendue décida de l’interpréter sur la musique de Ferré et l’enregistra dans son CD « S’o chjodu l’ochji » édité chez Olivi music en 1988. 18 En français modernisé voici le texte utilisé par Ferré : Que sont mes amis devenus Que j’avais de si près tenus et tant aimés ? Ils ont été trop clairsemés Je crois le vent les a ôtés L’amour est morte Ce sont amis que vent emporte Et il ventait devant ma porte Les emporta Avec le temps qu’arbre défeuille quand il ne reste en branche feuille qui n’aille à terre Avec pauvreté qui m’atterre Qui de partout me fait la guerre Au temps d’hiver Ne convient pas que vous raconte Combien je me suis mis à honte en quelle manière… musanostra . numéro 5. 09 .2016 Concours de textes courts Musanostra 2016 N’hésitez pas à participer -Ouvert à tous ; c’est la neuvième édition. Thèmes du concours 2016 : L’arbre, Les vacances et Le bijou. Conditions de participation : Les candidats au concours Musanotra 2016 devront faire parvenir au siège de l’association, à Musanostra, 2 place de l’hôtel de ville, 20200, Bastia, un texte sur l’un de ces thèmes, comportant 8000 caractères (c’est à dire lettres et signes de ponctuation , plus ou moins 10%), rédigé en police time new roman, taille 12, interligne 1,5. Le montant de l’inscription au concours est de 5 euros (chèque de préférence à l’ordre de musanostra), ce qui correspond aux frais d’organisation. Les textes doivent avoir un titre, et ceux ne comportant que les mots «l’arbre», «les vacances» ou «le bijou» ou «concours Musanostra», ne sont pas éligibles en raison du risque de confusion. Ne pas signer, bien entendu, ni faire un quelconque signe distinctif, car cela entraine l’élimination. Les envois se feront : - Par courrier en 2 exemplaires en ajoutant à l’envoi une enveloppe fermée contenant les coordonnées de l’auteur ainsi que le chèque ou le billet de 5 euros et sur laquelle figurera juste le titre du texte et - Par courriel à concoursmusanostra2016@ gmail.com avec la nouvelle en pièce jointe. Prix : Le lauréat recevra un prix de 500 euros. Le texte choisi et les 29 suivants feront l’objet d’une publication numérique (Avec possibilité d’acquérir le livre papier). Pour savoir si l’on est parmi les sélectionnés, il faut se rendre sur le site www.musanostra.fr onglet « concours » où l’on trouve ces informations et celles concernant les éditions antérieures (archives) Les auteurs s’engagent en participant à ce concours musanostra 2016 à autoriser la publication de leur texte par Musanostra/ Musa Numerica ; cependant ils restent propriétaires de leur texte pour toute publication ultérieure. La date limite d’envoi est le 30 octobre 2016. Ce concours est ouvert en français et en corse, comme chaque année . Per quelli chi participeghjanu in corsu, nunda da pagà ! In corsu Site invitati à participà à u nostru cuncorsu nant’à u tema di l’arburu,di i ghjuvelli è quellu di e vacanze . Si tratta di scrive un testu d’8000 segni (spazii in più) è di mandà ci lu nanzu à u 15 di nuvembre 2016 nant’à [email protected] è à [email protected]. (per a versione numerica) è duie versione nant’à a carta à Musanostra, 2 Place de l’Hôtel de ville, 20200 Bastia. U premiu hè di 500€ cù a publicazione in una racolta numerica à esce in u 2017 cù i testi in lingua corsa i più belli chè n’averemu ricevuti (9a edizione quist’annu) incù duie buttiglie di vinu sceltu di Nicolas Mariotti, unu di i nostri partinarii. musanostra . numéro 3 . 05.2016 19 Soutien à l association culturelle musanostra Musa Nostra Magazine Littéraire Civilité ................................................................................................................................................................. Nom ............................................................................. Prénom ........................................................... Adresse ................................................................................................................................................................. ............................................................................................................................................................................................ Code Postal ...................................................... Ville ................................................................. Email ..................................................................................................................................................................... Adhésion pour 1 an à partir de 15 € Musanostra Envoyez-nous vos Bulletins à l’adresse suivante : MUSANOSTRA 2 PLACE DE L’HÔTEL DE VILLE 20200 BASTIA Association loi 1901 non assujettie à la TVA [email protected] (+33) 04 95 32 36 75 (+33) 06 10 93 15 11 20 musanostra . numéro 3 . 05.2016 Creazione Orlumare Voltu versu te d’un passu addisperatu. Ci vulerà passà ancu quessu l’estate. Ci vulerà. Orlumare U sguardu persu nantu l’orizonte Mi pare di sente ti ride. Forse hè un sognu ? O l’eccu di a memoria, Venutu per pietà à fà tace u silenziu ? Issu silenziu chì s’ha ingullitu a to risata sett’anni fa. Odiu issa stagione. Bramu u celu d’ottobre. Cade a notte. Mi ne vocu o Mà. A.B. B.Tozzi musanostra . numéro 3 . 05.2016 21 Pokemon Go Kévin Petroni L’application Pokemon go n’annonce pas seulement un énième phénomène de mode, mais elle marque aussi un tournant dans la représentation occidentale. Alors que l’usage de la console isolait le joueur de la réalité et que le graphisme des jeux présents sur tous les formats ne cessaient de désigner un monde purement fictif, le jeu Pokemon, lui, réalise un véritable renversement: ce n’est plus le joueur qui pénètre dans un monde imaginaire, mais l’imaginaire qui contamine le monde du joueur. Dans cette histoire, le portable joue un rôle crucial. Il renforce son statut d’objet mythologique, je dirais même d’objet démiurgique; car en cartographiant l’espace (GPS), en introduisant dans le réel des créatures pourchassées (l’outil video), le mobile change son utilisateur en dresseur et l’invite à participer à une chasse des plus ludiques. Toutefois, n’oublions pas que derrière le jeu, ce qui se dessine toujours, c’est une lutte symbolique. Sous le voile bourgeois du plaisir, un apprentissage de la performance et du combat que seuls les romans de Marco Biancarelli et de McCarthy auraient envisagé. Alors que le GPS contrôle vos trajectoires, vos mouvements, votre vitesse, tandis qu’il gère votre attente et votre adrénaline, la video, elle, vous apprend à déréaliser le meurtre en réalisant vos pulsions de meutrtre et de possession. Bien sûr, pour le moment, la réussite de Nintendo réside dans le fait que l’entreprise est parvenue à enfermer le joueur dans une réalité amplifiée; mais demain, rien n’empêchera à des jeux beaucoup plus violents de faire de même. Alors, dans ce mariage du vrai et du faux, qui semble conclure toute une dynamique du jeu vidéo ayant consisté à le rendre toujours plus vraisemblable, sans doute faudra-t-il espérer, comme Roland Barthes, une résistance morale, un refus de cette pratique, pour ne pas voir du sang couler de nos écrans tactiles. Être sponsor Musa Nostra et figurer sur nos pages Diffusion numérique et papier contacts : (+33) 04 95 32 36 75 (+33) 06 10 93 15 11 [email protected] 22 musanostra . numéro 3 . 05.2016 Festa di a Lingua Festa di a lingua musanostra . numéro 3 . 05.2016 23 24 musanostra . numéro 3 . 05.2016