L`Italienne à Alger au disque et à l`écran

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L`Italienne à Alger au disque et à l`écran
L’Italienne à Alger au disque et à l’écran
Jusqu’aux années 1950, la discographie de Rossini se limitait, pour l’essentiel, aux ouvertures
les plus célèbres de ses opéras et, en extraits ou en intégrales, à un opéra bouffe, Le Barbier
de Séville, et à un grand opéra, Guillaume Tell. Pour le reste, depuis la fin du XIX e siècle, la
grande majorité du répertoire rossinien avait déserté les scènes lyriques, particulièrement en
France. Vérisme et wagnérisme avaient entraîné l’abandon des techniques vocales exigées par
la musique de Rossini. Faute de chanteurs capables d’interpréter ces partitions, elles furent ou
abandonnées ou altérées par des directeurs de théâtre avant tout soucieux de les adapter aux
interprètes et aux orchestres, plus ou moins virtuoses, dont ils disposaient. Mais de grands
solistes, des chefs respectueux des intentions du compositeur, ont permis d’en redécouvrir le
véritable esprit. Cet engouement a eu pour effet, dans le cas de L’Italienne, de provoquer un
intérêt pour l’opéra de Luigi Mosca dont le livret a été réutilisé par Rossini. Il en existe un
enregistrement, pris sur le vif lors du Festival Rossini à Wildbad, en 2003, paru sous
l’étiquette Bongiovanni. Brad Cohen dirige l’orchestre du Czech Chamber Soloists de Brno,
le Chamber Choir Ars Brunensis et un ensemble de solistes tchèques qui ont enregistré, par
ailleurs, des opéras de jeunesse de Rossini chez Naxos. C’est charmant, faute d’être
inoubliable, mais à connaître pour comprendre l’originalité de Rossini.
Il a fallu attendre le retour de mezzo-sopranos, sinon de contraltos, capables de vocaliser avec
agilité pour remettre l’ouvrage de Rossini à l’honneur. Au XX e siècle, Conchita Supervia fut
la première, avec sa voix au vibrato si particulier, sa technique de colorature impeccable, son
intelligence du texte et surtout son tempérament de feu, à ressusciter sur scène, en 1927,
l’impétueuse Isabella. On peut la retrouver, sous différentes étiquettes, dans quatre extraits de
cet opéra. Il faut attendre les lendemains de la Seconde guerre mondiale pour avoir une
première intégrale, en russe, avec les musiciens de la radio de Moscou. Loin d’être
idiomatique, cette version n’en prouve pas moins le retour en grâce de Rossini.
En 1954, Giuletta Simionato fit redécouvrir aux Milanais la rouerie de la belle Italienne. La
voix n’a pas de séduction particulière, mais l’interprète est la première, après-guerre, à ne pas
se dérober devant la virtuosité de la partition et à faire preuve de l’aplomb qu’on attend du
personnage. Elle bénéficie de la direction précise et élégante de Carlo Maria Giulini, qui reste
appréciable malgré un certain manque de vivacité et une partition non révisée et lacunaire
(absence du second air de Lindoro, de l’air d’Haly et du chœur patriotique). Cesare Valletti
surprend par la facilité de ses aigus et son timbre agréable. On peut oublier le reste de la
distribution.
C’est en mozartienne que Teresa Berganza aborde en 1957, sous la direction solide de
Sanzogno, le rôle titre, c’est-à-dire avec une grande probité stylistique, et la perfection d’un
chant d’agilité maîtrisé. Faute d’un volume vocal qui imposerait l’autorité du personnage, elle
incarne, par la fraîcheur de son timbre, plus la jeune fille mutine que la femme qui réduit tous
les hommes en esclavage. Sesto Bruscantini, qui a marqué à la scène le rôle de Mustafà,
chante ici Taddeo et se détache facilement du reste des protagonistes. On retrouve Berganza,
en 1963, après les représentations du Mai musical florentin, ce qui apporte à la qualité
dramatique de l’ensemble. L’héroïne a gagné en assurance et expressivité, même si la
bravoure du Pensa alla patria ne lui convient toujours pas. On a toujours plaisir à entendre
Panerai (Taddeo) et le Haly de Montarsolo est convenable. Reste le cas de Corena : il campe
un personnage bouffon au premier degré et n’a pas la vocalità de Mustafà, mais il devait faire
oublier ces limites par sa présence sur scène. Quant à Luigi Alva, la même critique qui l’a
longtemps encensé dans ses rôles rossiniens, le désavoue totalement aujourd’hui. S’il ne
méritait pas tant d’honneurs, l’excès inverse est certainement tout aussi injuste, au moins dans
cette version. Silvio Varviso anime le tout avec allant.
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Enfin, Marilyn Horne vint. Elle possède la puissance vocale qui manque à Berganza, le chant
rossinien n’a aucun secret pour elle. De plus, avec des moyens différents, elle retrouve
l’abattage d’une Supervia. Entre 1968 et 1986, on dispose de plusieurs captations directes, en
CD et une en DVD. La prise de son de 1968 n’est pas fameuse, celle de 1975, avec Claudio
Abbado, demande de la bonne volonté à l’auditeur qui a l’impression d’entendre la prestation
depuis la coulisse. Horne est au mieux de sa forme, avec un chef qui connaît parfaitement son
affaire mais un Alva fatigué, un Montarsolo indifférent en Mustafà, un Enzo Dara, dans une
de ses multiples incarnations de Taddeo, qu’on entend mieux ailleurs, provoquent un
sentiment de frustration. La vidéo de 1986, permet d’apprécier la comédienne mais on
préfèrera l’état vocal et l’entourage de Marilyn Horne, sous la baguette de Claudio
Scimone en 1981 : elle affronte un Mustafà royal (Samuel Ramey) ; Ernesto Palacio campe
un charmant Lindoro, et on peut comprendre qu’Isabella, pour le délivrer, affronte tous les
périls ; Kathleen Battle incarne une piquante Elvira. Surtout, Claudio Scimone, à la tête des
Solisti Veneti, dirige avec brio une partition critique de l’œuvre. On peut regretter que la
version CD n’ait pas repris les airs alternatifs que comportait le microsillon.
Seule Lucia Valentini-Terrani peut prétendre tenir la dragée haute à Marilyn Horne avec sa
voix somptueuse, la plus proche du contralto de la créatrice. Mais elle chante plus Tancrède
que l’ingénieuse Isabelle dans les versions dirigées par Bertini et Ferro. Dans la première
Bruscantini campe un Mustafà vocalement et dramatiquement adéquat, Benelli ne démérite
pas, Enzo et Corbelli complètent avec talent la distribution. Dans la version Ferro, la direction
engendrerait la sinistrose. Dommage pour Francisco Araiza, le plus séduisant des Lindoro au
disque. Cette version a cependant le mérite d’être exhaustive. L’équipe réunie par Claudio
Abbado, pour sa version studio, séduit sur le papier, moins à l’écoute. Le chef n’est pas en
cause mais Agnes Baltsa n’est pas à l’aise dans cette tessiture, Lopardo manque de charisme
et Raimondi ne convainc guère en Mustafà. Jennifer Larmore, dirigée par Lopez-Cobos
campe une Isabella autoritaire à souhait et son entourage est de bon niveau. En appendice, on
peut entendre le second air de ténor écrit par Rossini pour le second acte. Dix ans plus tard,
dans des extraits en anglais, la voix de Jennifer Larmore trahit une fatigue certaine.
Il faut signaler, un duo, Ai capricci della sorte, entre Cecilia Bartoli et Bryn Terfel, chez
Decca, où il est démontré que l’art de la vocalise peut faire bon ménage avec un humour de
bon aloi. Bartoli a enregistré d’autres extraits dans divers récitals Rossini.
La version la plus récente, sous la direction du grand spécialiste rossinien Alberto Zedda, avec
la génération montante des chanteurs qui maîtrisent parfaitement ce répertoire, et sont déjà
reconnus internationalement, offre une excellente surprise. La Sicilienne Marianna Pizzolato
se glisse avec bonheur dans le personnage de la volcanique héroïne. Lawrence Brownlee, bien
connu des habitués des retransmissions du Metropolitan Opera, peut séduire, par la beauté de
la voix et son art du chant, plus d’une Italienne.
On n’oubliera les pionniers de la « Renaissance Rossini », mais pour le plus grand bonheur
des mélomanes, nous savons que la relève est assurée.
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Discographie sélective
Date
Direction
orchestre
Chœurs
Isabella
Lindoro
Taddeo
Mustafà
Elvira
Zulma
Haly
Edition
1928
1954/2006
Carlo Maria Giulini
Date
Direction
orchestre
Chœurs
Isabella
Lindoro
Taddeo
Mustafà
Elvira
Zulma
Haly
Edition
1968
Carlo Franchi
RAI Turin
RAI Turin
Marilyn Horne
Pietro Bottazzo
Walter Monacheri
Mario Petri
Giuliana Tavolaccini
Rosina Cavicchioli
Guido Mazzini
Rodolphe/Frequenz
Date
Direction
orchestre
Chœurs
Isabella
Lindoro
Taddeo
Mustafà
Elvira
Zulma
Haly
Edition
1979
Gabriele Ferro
Capella Coloniensis
WDR Cologne
Lucia Valentini-Terrani
Francisco Araiza
Enzo Dara
Vladimiro Ganzaroli
Jeanne-Marie Bima
Lucia Rizzi
Alessandro Corbelli
Sony stéréo
Date
Direction
orchestre
Chœurs
Isabella
Lindoro
Taddeo
Mustafà
Elvira
Zulma
Haly
Edition
2006
Donato Renzetti
Teatro Comunale di Bologna
Prague Chamber Chorus
Marianna Pizzolato
Maxim Mironov
Bruno De Simone
Marco Vinco
Barbara Bargnesi
José Maria Lo Monaco
Alex Esposito
Dynamic
Teatro alla Scala Milan
Teatro alla Scala Milan
Conchita Supervia
Nino Ederle
Carlo Scatola
Vincenzo Bettoni
Pearl/Marston/EMI
Giuletta Simionato
Cesare Valetti
Marcello Cortis
Mario Petri
Graziella Sciutti
Mafalda Masini
Enrico Campi
EMI mono
1957/2011
Nino Sanzogno
RAI Milan
RAI Milan
Teresa Berganza
Alvino Misciano
Sesto Bruscantini
Mario Petri
Rena Gary Falachi
Vittoria Palombini
Valerio Meucci
MOV mono
1970/1990
Reynald Giovaninetti
Opéra de Monte Carlo
Opéra de Monte Carlo
Carmen Gonzales
Eduardo Giménez
Michel Trempont
Andrew (András) Foldi
Guilde du disque/Atlas
1980
Claudio Scimone
I Solisti Veneti
Philarmonique Prague
Marilyn Horne
Ernesto Palacio
Domenico Trimarchi
Samuel Ramey
Kathleen Battle
Foti
Nicola Zaccaria
Erato stéréo
1963
Silvio Varviso
Mai Musical Florentin
Mai Musical Florentin
Teresa Berganza
Luigi Alva
Rolando Panerai
Fernando Corena
Giuliana Tavolaccini
Miti Truccato-Pace
Paolo Monrtarsolo
Decca stéréo
1975
Claudio Abbado
Teatro alla Scala Milan
Teatro alla Scala Milan
Marilyn Horne
Luigi Alva
Enzo Dara
Paolo Montarsolo
Margherita Guglielmi
Laura Zanini
Alberto Rinaldi
Opera d’Oro Live
1987
Claudio Abbado
Philarmonique Vienne
Staatsoper Vienne
Agnes Baltsa
Frank Lopardo
Enzo Dara
Ruggero Raimondi
Patricia Pace
Anna Gonda
Alessandro Corbelli
DGG stéréo
2008
Brad Cohen
Philharmonia Orchestra
Geoffrey Mitchell Choir
Jennifer Larmore
Barry Banks
Alan Opie
Alastair Miles
Sarah Tynan
Anne-Marie Gibbons
David Soar
Chandos (extraits en anglais)
1978
Gary Bertini
Staatskappelle Dresde
Staatsoper Dresde
Lucia Valentini-Terrani
Ugo Benelli
Enzo Dara
Sesto Bruscantini
Norma Palacio-Rossi
Gigliola Caputi
Alfredo Mariotti
Acanta
1998
Jesús López-Cobos
Orch. de Chambre Lausanne
Grand Théâtre de Genève
Jennifer Larmore
Raúl Giménez
Alessandro Corbelli
John Del Carlo
Darina Takova
Laura Polverelli
Carlos Chausson
Teldec
2010
Alberto Zedda
Virtuosi Brunensis
Transylvania State Philarmonic, Cluj
Marianna Pizzolato
Lawrence Brownlee
Bruno De Simone
Lorenzo Regazzo
Ruth Gonzalez
Elsa Giannoulidou
Giulo Mastrototaro
Naxos
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Vidéographie sélective
Date
Direction
orchestre
Chœurs
Isabella
Lindoro
Taddeo
Mustafà
Elvira
Zulma
Haly
Edition
1986 / 2007
James Levine
Metropolitan Opera
Metropolitan Opera
Marilyn Horne
Douglas Ahlstedt
Allan Monk
Paolo Montarsolo
Myra Merritt
Diane Kesling
Spiro Malas
DGG
Mise en scène Jean-Pierre Ponnelle
1987
Ralf Weikert
Radio-Sinf. Stuttgart
Bulgarian Male chorus
Doris Soffel
Robert Gambill
Enric Serra
Günter von Kannen
Nuccia Focile
Susan McLean
Rudolf Hartmann
DVD TDK stéréo
Graham Vick
1998
Bruno Campanella
Opéra National de Paris
Opéra National de Paris
Jennifer Larmore
Bruce Ford
Alessandro Corbelli
Simone Alaimo
Jeannette Fischer
Maria José Trullu
Anthony Smith
DVD DGG stéréo
Andrei Serban
2004
Riccardo Frizza
Mahler Chamber Orchestra
Arnold Schönberg
Christianne Stotijn
Maxim Mikonov
Giorgio Caoduro
Marco Vinco
Elizaveta Martirosyan
Sabina Willeit
Ruben Drole
DVD BelAir stéréo
Toni Servillo
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