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CUBA : SUITE ET FIN
par Sergio Téllez-Pon*
« Pas de place pour les parasites »
« Les dictatures visionnaires,
qu’elles soient détenues par un homme ou par le prolétariat,
désapprouvent généralement le sexe « déviant ».
Les dictateurs compensent leur profonde immoralité
dans les affaires publiques en prônant ce qu’ils croient
relever d’une moralité rigoureuse dans les affaires privées ».
Gore Vidal[1], Sexuellement parlant.
J
E ME SUIS RENDU À LA
HAVANE pour la première fois durant l’été 2003. L’hôtel où je
suis descendu était situé dans la zone de Miramar, à l’ouest de la ville. Depuis ma
fenêtre, on voyait la mer. Dès le premier jour, je pensais qu’il me serait facile de
descendre et de faire quelques mètres pour m’installer sur une plage de sable fin
devant une mer aussi turquoise que dans les encarts publicitaires sur Cuba, « véritable paradis aux Antilles ». Mais il n’en a pas été ainsi. Il n’y a, à La Havane, rien qui
ressemble à une plage. Ici on marche sur des pierres coupantes, là un récif dépasse de
l’eau et la mer est presque repoussante car s’y déversent tous les déchets de la ville.
Mon étonnement passé, je me suis approché d’un couple de jeunes Cubains qui
buvaient du rhum face au grand large. L’un d’eux était totalement ivre. L’autre était,
apparemment, plus sobre (ou alors le rhum l’avait laissé dans un état d’ébriété moins
visible). Après les avoir salués, je les interrogeai sur les plages de La Havane, car celleci, leur dis-je, ne correspondait en rien à ce que j’attendais. Ils me répondirent que
pour trouver les plus belles plages, il fallait aller à l’opposé de la ville, à 20 kilomètres
* Sergio TÉLLEZ-PON est écrivain, journaliste et éditeur. Il a signé la présentation du Voyage à Mexico (Aldus, 2008) de
Paul Morand, traduit par Xavier Villaurrutia. Actuellement, il est directeur littéraire des éditions Quimera.
1. Gore VIDAL, romancier, essayiste et dramaturge, est l’une des figures majeures de la littérature américaine contemporaine. Sexually speaking: collected Sex writings parut en 1999.
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vers l’est, de l’autre côté de la baie. Le plus sobre me dit que si j’avais vraiment envie
de nager, je pouvais mettre ses chaussures pour marcher sur les rochers sans me
blesser les pieds. Je le remerciai d’un geste, mais refusai son offre, pensant que j’aurais
le temps, ultérieurement, de me rendre sur ces plages de l’est.
Quelques minutes plus tard, arrivèrent deux filles qui, comme je le compris
ensuite, étaient les fiancées des deux jeunes gens. Nous bavardâmes un peu et lorsque
apparut un vilain nuage annonciateur d’une de ces averses si fréquentes dans l’île,
nous décidâmes de « filer » avant de nous faire « doucher ». Nous nous séparâmes à la
porte de mon hôtel. Je montai dans ma chambre et pensai que je ne les reverrais plus.
Pourtant, quelques jours plus tard, tandis que je lisais dans ma chambre des livres de
littérature cubaine achetés Place d’Armes, le téléphone sonna. C’était l’un des couples
que j’avais rencontrés à la plage. Je descendis au lobby de l’hôtel. Après les avoir salués,
je les invitai à prendre un verre. Nous nous assîmes au bar. Après deux minutes de
conversation assez banale, j’eus la surprise d’entendre la fille me proposer de monter
dans ma chambre avec son copain pour une passe. C’était un grand et beau garçon, à
la peau noire presque pourpre, bien proportionné, costaud et de surcroît très sympathique; mais j’avais noté qu’à l’évocation de cette perspective, il avait rentré la tête
dans les épaules ; c’était celui des deux garçons qui m’avait offert ses chaussures
l’après-midi de mon arrivée. Je dois admettre que la proposition de la fille me prit au
dépourvu. Bien qu’averti que ce genre de situation n’était pas rare, je n’aurais jamais
pensé que j’y serais personnellement confronté et encore moins à peine arrivé sur
l’île. En outre, je ne pouvais imaginer que ce serait elle qui m’« offrirait » son homme
pour « singar », comme on dit là-bas. Par-dessus le marché, le prix n’était pas très
négociable: 40 ou 50 dollars, la moitié pour elle et l’autre pour lui. « Ils ne manquent
pas d’air », pensai-je, et comme ils le disent eux-mêmes avec leur accent des Caraïbes.
Bien que la proposition fût tentante – plus pour le type d’homme que j’avais face à
moi que pour le tarif, bien sûr –, je la refusai.
Lors de mes visites ultérieures sur l’île, je pus me rendre compte que ce type de
transactions était assez courant, mis à part le fait que c’était elle qui « vendait » son
copain, ou que, en d’autres occasions, les deux s’offraient pour satisfaire les fantasmes
sexuels des touristes.
La prostitution est sans doute, avec le tourisme, devenue le moyen le plus facile de
gagner de l’argent dans ce pays où le travail est en général très mal rémunéré.
Après le « triomphe » de la Révolution cubaine, l’une des nombreuses choses que
l’on proclama mille et une fois fut que Cuba cesserait d’être le « bordel des ÉtatsUnis ». Il ne le fut plus, dans une certaine mesure. Mais il se transforma en « bordel
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de toute la planète ». Actuellement, le tourisme sexuel est l’une des plus grandes
attractions de l’île, même si les dirigeants nient farouchement cette réalité. Cela est dû
au fait qu’à Cuba toute l’atmosphère est imprégnée de sexualité: elle se respire, elle
pullule dans l’air, très probablement parce que le soleil tropical a l’effet du plus efficace des aphrodisiaques. Si l’on ajoute à cela la beauté sculpturale du corps de
certains Noirs, mulâtres, « café-au-lait », métisses, indiens ou blancs, qui déambulent
dans les rues de La Havane, on comprend mieux.
Fidel Castro a donné différentes versions de son approche du « problème » des
homosexuels à Cuba.
Le témoignage de l’éditeur italien Giangiacomo Feltrinelli[2] publié par son fils est,
à cet égard, très précieux. Après une longue entrevue avec el Comandante pendant
son séjour à La Havane en 1965, il écrivit: « Il est prévisible que ses colères vont être
dirigées aussi contre les intellectuels, les architectes, les auteurs, le monde du théâtre
cubains ». Et il ajoutait inquiet: « Aïe! Je vois de dangereux et gros nuages d’intolérance! ». Sur le « problème » homosexuel, Feltrinelli rapporte ce que Castro lui a dit
sans hésiter: « Nous devons renforcer les meilleures qualités de notre peuple en ce
moment. Il n’y a pas de place pour les parasites qu’on retrouve à certains postes et qui
influencent la jeunesse ».[3]
Quarante ans plus tard, entre 2003 et 2005, Castro a donné une série d’interviews
au journaliste français Ignacio Ramonet dans lesquelles il évoque sa vie et son
gouvernement. Dans l’une d’elles, Ramonet l’interroge expressément sur l’homosexualité durant les premières années de la Révolution cubaine. Ce à quoi Castro
répond laconiquement: « En peu de mots, vous parlez d’une supposée persécution
des homosexuels. Je dois vous expliquer d’où cela est né, d’où provient cette critique.
Je peux vous garantir qu’il n’y a jamais eu de persécution des homosexuels, ni de
camps d’internement pour homosexuels ».
Est-il possible que les pensées anti-intellectuelles et homophobes que Feltrinelli
rapporta se soient limitées à des actions dirigées contre les seuls artistes et auteurs
homosexuels? Castro explique à Ramonet, qu’à ce moment-là, après l’invasion de la
Baie des Cochons, il préparer militairement la population à résister à toute action de
2. Carlos FELTRINELLI, Senior service, Christian Bourgeois éd., 2001, p.315.
3. Cité par Iván de LA NUEZ dans Fantasía roja, Debate, México, 2007, p. 77.
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« l’Empire yankee ». Il poursuivit: « Il y avait la situation [notons qu’il ne parle déjà
plus de “problème”] des homosexuels. Et à cette époque, personne n’aurait pensé
envoyer des femmes au service militaire… Je me trouve confronté à un problème de
forte résistance vis-à-vis des homosexuels et de réactions négatives au triomphe de la
Révolution. À l’époque dont nous parlons, le machisme était très présent et des
rumeurs circulaient sur la présence d’homosexuels dans les unités militaires ».
« Ces trois facteurs ont fait qu’au début, on ne fit pas appel à eux dans l’armée;
mais ensuite, ce qui pouvait passer pour un privilège s’est transformé en une sorte de
facteur d’irritation. Certains utilisaient même cet argument pour critiquer encore
plus les homosexuels. Nous avons donc formé les Unités militaires d’aide à la production (Umap), où l’on envoyait des personnes appartenant à trois catégories: ceux qui,
par leur faible niveau d’études, ne pouvaient manier les armes, ceux qui, du fait de
leur religion, étaient objecteurs de conscience enfin ceux qui, tout en étant en bonne
condition physique, étaient homosexuels ».[4]
Ainsi, pendant les années 1970, tandis que presque partout dans le monde, on
assistait à une surprenante libération sexuelle après les révoltes de jeunes de 1968, on
inculquait au contraire dans l’île une rigoureuse moralité où l’État s’immisçait jusque
dans le lit des Cubains. On a créé en fait les Unités militaires d’aide à la production
avec la ferme intention d’y détenir ce qu’on appelle les trois « P »: prostitués, proxénètes et pédérastes, condamnés aux travaux forcés.[5]
Pour beaucoup de dirigeants de la Révolution cubaine, ces groupes étaient la « lie
de la société ». C’est pour cela qu’on les envoyait aux Umap où « ils devaient être
réhabilités » afin de réintégrer la nouvelle société socialiste et solidaire qui émergeait.
Être prostituée, mère maquerelle, homosexuel ou travesti n’allait évidemment pas
dans le sens de l’« Homme nouveau ».
Feltrinelli ne s’était pas trompé ; certains des auteurs les plus remarquables de
cette époque furent poursuivis pour leur homosexualité: José Lezama Lima (19101976), Virgilio Piñera (1912-1979), Reinaldo Arenas (1943-1990), Calvert Casey
(1924-1969), Antón Arrufat (1935), et, plus récemment, Abilio Estévez (1954) et
Antonio Jose Ponte (1967). D’autres, comme Severo Sarduy, quittèrent le pays à
temps et n’eurent pas à souffrir de cette répression. Ils furent considérés comme
4. Fidel Castro. Biografía a dos voces, Debate, México, 2006, p. 204-206.
5. Voir l’excellent ouvrage d’Alma GUILLERMOPRIETO : La Habana en un espejo (La Havane dans un miroir),
Mondadori en 2003, qui contredit l’image aimable que Castro donne de ces camps.
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« apatrides », « subversifs », « contre-révolutionnaires » [peu importe ce que cela
signifie] et, bien sûr, comme des « vers »[8] et des « pro-Yankees ».
Feltrinelli fut un visionnaire. Le confirme l’anecdote rapportée par Juan Goytisolo
selon laquelle le Che jeta par la fenêtre de l’ambassade cubaine au Nigeria un livre de
Piñera qui faisait directement allusion à son homosexualité[6]. Le témoignage le plus
connu est-il celui de Reinaldo Arenas qui, dans ses mémoires[7] raconte les détails des
persécutions dont il fut victime en raison, non seulement de son homosexualité, mais
aussi de son refus d’écrire sous la dictée de l’État. Rappelons-le, ce fut devant certains
de ces auteurs réunis autour de Castro que ce dernier prononça les mots clefs de son
régime: « Avec la Révolution tout, contre la Révolution rien ».
Dans les gouvernements totalitaires ou socialistes, communistes ou conservateurs,
dans les régimes personnels ou de dictature du prolétariat, l’homophobie a toujours
été une pratique constante, une caractéristique distinctive. Dans plusieurs cas, en
Hongrie, en Bulgarie, en Tchécoslovaquie, en Chine, en Turquie, au Chili et en
général dans toutes les dictatures militaires d’Amérique latine, l’homophobie
déclarée des gouvernements les a rendus naturellement sourds aux revendications des
minorités sexuelles telles que les gays ou les travestis. Ils ont même mis en œuvre
directement des politiques de répression pour éliminer les homosexuels à l’esclavage:
dans certains pays la sodomie était punie de prison, dans d’autres, on envoyait les
suspects au poteau d’exécution sans jugement préalable – plus ou moins comme cela
se produit plus ou moins de nos jours avec les gouvernements intégristes de certains
pays du Moyen-Orient. Les pays d’Europe de l’Est qui ont longtemps eu à subir ces
pratiques n’ont pu intégrer l’Union européenne qu’à condition de faire voter des lois
anti-discriminatoires vis-à-vis des minorités sexuelles. À Cuba, la « dictature du
prolétariat», dirigée par un seul homme, a violé, et continue de violer, systématiquement, les droits des minorités sexuelles.
Dans les années 1970 et 1980, la répression s’accentua – comme partout dans le
monde – avec l’apparition du sida. À Cuba on a rapidement créé les célèbres sidatoriums (également appelés « sidoseries », en écho aux « léproseries » médiévales),
sortes d’hôpitaux exclusivement réservés aux personnes infectées , ce qui reconstituait
le modèle d’emprisonnement des Umap puisque les porteurs du VIH ne sortaient
plus jamais, au motif de protéger les habitants naturellement, mais aussi les touristes,
6. Anecdote dont, évidemment, Lee Anderson ne dit pas un mot dans sa biographie récente sur le Che: Anagramme,
Barcelone, 2006.
7. Avant la nuit, Tusquets, 1991.
8. «vers» (gusanos en espagnol) est l’insulte traditionnellement appliquée aux réactionnaires anti-castristes.
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traités sur l’île avec des égards dont ne bénéficie pas le reste de la population. Bien
souvent, ce sont pourtant les touristes qui ont propagé le virus dans l’île.
Une polémique s’ensuivit au niveau mondial car les organismes médicaux internationaux condamnèrent ces mesures radicales qui restreignaient les droits élémentaires de patients seulement « coupables » d’être malades.
Longtemps, la dictature a imposé une façon de vivre dans laquelle l’homosexualité ne pouvait trouver sa place. Ce processus n’a guère changé avec l’effondrement de
l’Union soviétique et la chute du mur de Berlin. À Cuba, la crise économique
profonde (appelée euphémiquement « période spéciale en temps de paix ») fit que la
prostitution se développa de manière incontrôlable et que la société se révéla comme
jamais on ne l’aurait imaginé.
Au milieu de cette crise sociale profonde, est apparu un cas violent abordé dans
les documentaires Maudit sois ton nom Liberté, réalisés par les Cubains Vladimir
Ceballos et Carlos Sequeira, et Le Socialisme ou la mort, produit par la télévision
suédoise (1995). Lassés de la persécution policière à leur encontre à cause de leur
«style rockers» (ils écoutaient, par exemple, Nirvana – groupe interdit par le régime)
et de ne pouvoir même pas s’habiller de noir, être tatoués ou avoir des coupes punks,
un groupe d’environ deux cents jeunes s’auto-inocula le virus du VIH de façon à être
enfermés dans des « sidatoriums » où, croyaient-ils, ils vivraient mieux et bénéficieraient, au moins, du gîte et du couvert. Tout cela en espérant que l’on trouverait
bientôt un remède à cette maladie. Il ne reste aujourd’hui aucun survivant à cet acte
suicidaire.
Cétait là un geste très symbolique parce que l’île était réellement malade de son
nouvel accès d’autoritarisme.
Depuis, la tolérance du régime a progressé et continue à progresser, loin du
dogmatisme qui régissait jusqu’ici la conduite des dirigeants politiques. En conséquence, dans les classes populaires, les gays et les travestis sont plus tolérés, malgré le
machisme traditionnel des Cubains.
La communauté gay a subi un véritable choc à Cuba lors de la sortie du film
Fresa y Chocolate, inspiré du roman Le loup, la forêt et l’homme nouveau grâce auquel
Senel Paz obtint le prix Juan Rulfo de Radio France Internationale au début des
années 1990. La critique acerbe que le personnage gay fait du régime et la persécution dont il est l’objet du fait de sa sexualité et de son activité culturelle a simplement confirmé ce que tout le monde savait. Mais grâce au succès mondial de cette
fiction, le régime porta attention aux minorités sexuelles de l’île et créa des organismes tel le Centre national d’éducation sexuelle (Cenensex) que dirige Mariela
Castro Espín, la fille de Raúl.
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De nos jours, près de trente ans après la création des Umap et de vingt « sidatoriums », l’homophobie et sa stigmatisation persistent, même si elles sont plus
masquées. Il n’y a plus d’intention marquée d’éradiquer les « pratiques perverses »,
mais un harcèlement policier persistant, d’autant plus évident qu’il est pratiqué sur
un groupe vulnérable. Les policiers intimident constamment les couples gays et les
travestis rassemblés aux environs du cinéma Yara à La Havene, ou descendant la
célèbre Penta (l’avenue en pente qui passe devant le Yara) pour passer la nuit sur la
jetée, face à l’hôtel Nacional. La seule présence d’un policier suffit en général à
disperser les groupes qui bavardent dans la rue. À certains, on demande la carte
d’identité, à d’autres on lance une menace d’emprisonnement s’ils reviennent par là.
Il ne faut pas perdre de vue que l’homosexualité demeure, selon le Code pénal
cubain, une infraction, même si celle-ci est tombée en désuétude.
Palace mythique, l’hôtel Nacional, situé sur les hauteurs de Vedado,
face au front de mer, surplombe le célèbre Malecon.
Le documentaire, La nuit ouvre sa fleur (2006), du réalisateur mexicain Víctor
Jaramillo, montre la persécution dont, il y a encore deux ans, étaient victimes transsexuels et travestis. Les témoignages sont déchirants dans la mesure où ceux-ci racontent qu’ils devaient même dissimuler leurs vêtements féminins s’ils ne voulaient pas
être arrêtés et se retrouver dans une prison encore plus terrible que cette « prison
entourée d’eau », selon l’expression de Virgilio Piñera pour désigner Cuba. Sans
parler, en matière d’emploi, des portes fermées pour ceux qui cherchent un travail
« normal » et de la nécessité d’opter alors pour des shows dans les bars et disco-
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thèques en imitant certains chanteurs pop à la mode. Malgré cela, devant le nombre
croissant de travestis et de transsexuels, l’Assemblée du pouvoir populaire a récemment voté une loi selon laquelle les opérations chirurgicales pour changer de sexe
seraient autorisées et pratiquées gratuitement. De plus, les modifications d’identité
seraient acceptées sur les documents officiels. Une fois encore, le régime a dû
s’adapter au changement vertigineux des mentalités.
Jusqu’à il y a peu, la télévision publique produisait et diffusait un feuilleton, La cara
oculta de la luna (La face cachée de la lune), où l’on abordait de manière très ouverte le
sujet de la bisexualité, de l’homosexualité, de la vie « gay » et du sida. C’eut été impensable il y a encore quelques années lorsque ces sujets étaient véritablement tabous dans
les officines gouvernementales chargées de la censure. La diffusion de cette émission
avait créé la surprise dans une société qui n’espérait plus voir ces sujets abordés.
Malgré la participation de Mariela Castro Espín dans une institution gouvernementale et sa défense constante de la diversité sexuelle dans l’île, malgré le fait qu’elle
soit la fille de Raúl, les avancées du gouvernement actuel ont été pratiquement inexistantes en matière sexuelle. Bien sûr, la rumeur court sur l’île que tous deux, tant la
fille que le père, auraient des tendances non-hétérosexuelles. Un minimum de libertés
– véritables acquis héroïques – est accordé cependant à cette communauté hétérogène. Celle-ci commence à organiser des petites réunions d’information au sein des
groupes vulnérables (tels les travailleurs sexuels – pingueros, comme on les appelle
ici – et les travestis) et constitue des groupes de gays dans certaines régions de l’île.
Ceux-ci ont exigé des actions en leur faveur et organisé, en 2006, le premier Festival
de cinéma gay et lesbien dans la capitale.
Foucault disait: « le pouvoir ne juge pas le sexe, il l’administre ». Tant qu’il en sera
ainsi, le sexe signifiera relâchement de la morale. Et la modification des institutions,
des lois, des us et coutumes, sera un détonateur de changements sociauxC’est encore
plus vrai qu’ailleurs dans un pays aussi préoccupé de sexe que Cuba.
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