Lecture : Entretiens avec Henry Mintzberg

Transcription

Lecture : Entretiens avec Henry Mintzberg
Lecture : Entretiens avec Henry Mintzberg
La gestion en question
U
n livre de gestion qui reçoit la mention « coup de cœur » d’une importante chaîne de
librairies, c’est assez inusité. Pourtant, Entretiens avec Henry Mintzberg, signé par la
journaliste indépendante Jacinthe Tremblay, vient de se valoir cette étiquette. L’ouvrage
aborde une série de thèmes d’actualité sous l’angle de la gestion des organisations.
Les critiques de Henry Mintzberg sur la formation des gestionnaires ont fait le tour du
globe. « Pourfendeur des MBA », Mintzberg ? C’est un peu court. C’est ce que le livre permet
de mieux comprendre. « Henry Mintzberg aime les managers. Voilà c’est dit », écrit René
Villemure, président de l’Institut québécois d’éthique appliquée, en préface aux Entretiens.
« Henry Mintzberg convie les managers à sortir des sentiers battus. Il tente constamment
de les sortir du carcan dans lequel plusieurs d’entre eux ont choisi de s’enfermer. »
HM, comme le désigne Jacinthe Tremblay, critique
notamment la notion de leadership. « Le leader, affirme le
professeur de McGill, pour une certaine littérature de business
Henry Mintzberg est titulaire de la chaire
pop, c’est l’équivalent du cavalier qui, du haut de son cheval
Cleghorn d’études en management à la Faculté
blanc, arrive en sauveur pour régler tous les problèmes. Seul.
de gestion Desautels de l’Université McGill. Il est
Comme par magie. Une organisation connaît du succès ?
aussi partenaire fondateur de
C’est grâce à l’individu qui la dirige. Elle va mal ? Trouvons
CoachingOurselves.com. Auteur de 15 livres, de
un meilleur leader et tout rentrera dans l’ordre. Cette vision
plus de 150 articles publiés dans les revues
est malheureusement répandue dans toutes les sphères de la
scientifiques, d’une quarantaine de textes
société, en affaire comme en politique. »
diffusés dans les médias d’affaires ou les
Ce faisant, on créerait des organisations dépendantes des
journaux de différents pays, Henry Mintzberg a
obtenu 15 doctorats honorifiques.
initiatives individuelles d’un dirigeant ou d’un groupe de dirigeants, sous-estimant la culture et l’histoire de l’organisation
de même que l’engagement ou le désengagement des gens qui
y travaillent.
« Cette vision conduit à placer à la tête des entreprises des
individus flamboyants aux yeux des investisseurs et des médias.
Des individus qui sont recrutés à l’extérieur pour transformer
des organisations qu’ils ne connaissent pas. »
Au leadership, HM oppose la notion de communautéship,
un néologisme apparu pour la première fois, en anglais,
dans le Financial Times de Londres en octobre 2006, puis
en français dans une entrevue de Jacinthe Tremblay avec
Henry Mintzberg en avril 2007, entrevue reproduite dans
les Entretiens. « […] je ne trouvais pas d’expression pour
décrire les processus collectifs qui mènent à des réalisations remarquables », précise HM. Il cite en exemple le
système d’exploitation Linux et l’encyclopédie Wikipedia.
« L’efficacité n’est pas tant liée aux individus qui y participent qu’au processus social collectif qui la rend possible,
Jacinthe Tremblay
c’est-à-dire la communauté. »
« Je crois que le moment est venu de penser à nos orgaJacinthe Tremblay est journaliste indépendante.
nisations et à nos sociétés comme à des communautés de
Elle s’intéresse particulièrement aux enjeux
coopération. Nous comprenons tous l’importance des
économiques et sociaux. Elle a notamment publié
interrelations entre l’ensemble des joueurs d’une équipe de
dans L’actualité, Commerce, HEC Mag, la Gazette
sport collectif. […] Pourquoi en serait-il autrement quand il
des femmes, l’hebdomadaire Les Affaires et Le
s’agit de produire des biens et de dispenser des services ? En
Devoir. De 2001 à 2008, elle a signé la chronique
reconnaissant la communautéship, on ne fait pas disparaître le
hebdomadaire « Vie au travail » dans La Presse.
André Giroux
www.conseiller.ca
décembre 2010
21
Entretiens avec Henry Mintzberg
leadership. Il reprend sa place et nous reprenons la nôtre. »
Syndrome de la superficialité dans la gestion, recrutement
de PDG assorti de parachutes dorés et importance des cadres
intermédiaires, tels sont quelques-uns des thèmes qu’aborde
la journaliste avec le chercheur et professeur. Des exemples
illustrent les propos. Un texte complet est consacré à la gestion
du système de santé.
L’un des articles de la série a figuré pendant plusieurs
semaines au palmarès des plus lus de La Presse Affaires sur
Cyberpresse, tous sujets confondus. Il porte sur les ravages de
la macrogestion. L’auteure aborde les défis d’une gestion efficace
et respectueuse des employés. « Quand les résultats boursiers
sont inférieurs aux attentes des actionnaires, demande HM,
avez-vous entendu un seul PDG avouer qu’il n’a pas de stratégie,
qu’il ne sait pas comment vendre ? Non. On vire des gens. C’est
l’équivalent de la saignée au Moyen Âge. » L’auteure décrit les
effets de ce type d’annonces sur l’ensemble d’une entreprise.
Henry Mintzberg y va de phrases fortes, percutantes :
« Prétendre que la gestion s’apprend sur les bancs d’école est une
imposture », affirme-t-il. Rejette-t‑il la formation pour autant ?
Pas du tout. Avec d’autres écoles de gestion ailleurs dans le monde
(Inde, Chine, Brésil, Royaume-Uni), l’Université McGill offre
l’International Masters Program in Practicing Management.
Le principe de base du programme est simple : « aider les gestionnaires à apprendre de leur propre expérience ».
Dans les Entretiens, HM dénonce la phobie de la productivité,
qui a selon lui « tué l’entreprise américaine ». Si la productivité
québécoise est inférieure à celle de l’Ontario et des États-Unis,
« je crois que c’est une bonne nouvelle, affirme-t-il. Ça signifie
que le Québec n’a pas encore sombré dans la folie qui est en
train de tuer les États-Unis ».
Il impute en partie cette folie aux analystes financiers. « La
crise aurait-elle pu être évitée ? Certaines mesures auraient certainement pu être adoptées avant 2008. Empêcher les analystes
financiers de talonner les entreprises, par exemple. Ces gens
[…] exigeaient de la part d’immenses entreprises – dont ils
ignoraient totalement les réalités – d’importants changements,
sans se préoccuper de leur avenir à long terme. »
« C’est le côté pragmatique de Henry Mintzberg qui fait
ici surface, opine Claude Béland, président du Mouvement
Desjardins de 1987 à 2000. Le mal est beaucoup plus profond,
beaucoup plus fondamental. Nous vivons maintenant dans
un système fondé sur la spéculation, qui contribue à créer des
bulles qui finissent par éclater. Il est anormal qu’aux États-Unis,
de l’ensemble des profits générés, quelque 40 % proviennent
du secteur financier. Si rien ne change, nous connaîtrons une
autre crise dans les prochaines années. Une minorité y gagne,
une majorité y perd. »
Que retient l’ancien président du Mouvement Desjardins et
d’autres organismes coopératifs ? « Henry Mintzberg a suscité
beaucoup de critiques en affirmant que les plans stratégiques
constituent des conversations de salon. À la réflexion, je me suis
dit qu’il avait raison. En pratique, les dirigeants doivent s’adapter
constamment et, au besoin, s’éloigner de ces plans. Ce que nous
22
ne devons jamais lâcher, c’est la mission de l’entreprise, ses valeurs
et sa raison d’être. Pour en avoir discuté avec Mintzberg, je sais
qu’il partage cette orientation, à moins bien sûr que l’entreprise
souhaite consciemment changer sa mission. »
L’importance mitigée accordée aux plans
stratégiques n’exclut pas la réflexion
Claude Béland a souvent entendu Henry Mintzberg en conférence. « C’est un excellent vulgarisateur, qui possède une vision
pragmatique de la gestion. S’il n’a jamais dirigé une entreprise, il
a très certainement fréquenté les gestionnaires pour les connaître
aussi bien. Ce n’est pas le cas de tous les universitaires. »
Au total, les Entretiens avec Henry Mintzberg regroupent
douze entrevues publiées dans le cahier « Affaires » de La Presse
en 2007 et 2008. « Il s’agit de la plus importante série d’entrevues jamais accordée par HM, affirme Jacinthe Tremblay.
L’idée de les réunir dans un livre est la sienne. L’idée d’y ajouter
quelques trésors est de moi. »
« Le livre de Jacinthe Tremblay contextualise très bien les
entretiens, écrit le journaliste économique Rudy Lecours. Il se
présente comme une sorte de condensé très digeste de la pensée
hétérodoxe du professeur. L’auteure nous dépeint aussi l’homme
derrière le chercheur, amoureux de la nature et collectionneur
de sculptures de castor. » La collection fut présentée en 2008
au Musée Redpath, affilié à l’Université McGill.
L’analogie de HM avec les castors que trace Jacinthe Tremblay
est sympathique. « Si ses travaux sont largement salués depuis
quatre décennies, écrit-elle, ils ont également de nombreux
détracteurs, certains le qualifiant de “fauteur de troubles”.
Comme ses amis les castors ! »
Ce livre inspirera les personnes œuvrant au sein d’organisations de diverses natures, qu’elles soient publiques, privées,
coopératives, communautaires ou bénévoles : le communautéship concerne tout le monde.
Jacinthe Tremblay, Entretiens
avec Henry Mintzberg :
comment la productivité a tué
l’entreprise américaine,
Curieuse limitée,
157 pages, 2010.
Pour connaître les points
de vente de ce livre
publié à compte d’auteur :
www.jacinthetremblay.com
décembre 2010
www.conseiller.ca