GT Géométrie discrète Rapport de prospective

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GT Géométrie discrète Rapport de prospective
GT Géométrie discrète
Rapport de prospective
Jacques-Olivier Lachaud∗
25 mars 2014
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Description sommaire du domaine de recherche
La géométrie discrète est un domaine de recherche qui vise à définir une
géométrie consistante sur des espaces discrets, qui apparaissent naturellement
en informatique. Les images numériques forment un exemple parmi d’autres
des espaces qu’étudie la géométrie discrète. La communauté s’intéresse à la
fois aux propriétés théoriques des objets définis dans ces espaces discrets, aux
algorithmes pour les extraire ou les manipuler, et aux applications potentielles
de ces outils à l’analyse ou à la synthèse d’image et de formes.
2
Etat des lieux scientifique
2.1
Contexte général et grands paradigmes
L’imagerie numérique est un domaine qui a explosé au cours des 30 dernières
années, d’abord dans ses applications industrielles, biomédicales, puis dans ses
utilisations sociétales avec la banalisation des photos numériques et l’industrie
liée aux loisirs. Plus généralement encore, les données discrètes sont produites
massivement tous les jours, et il est important d’avoir des outils pour les traiter,
les analyser, les indexer, ou même en fabriquer de nouvelles. Parmi ces données,
une grande partie sont reliées à des informations géométriques.
La géométrie discrète (digital geometry en anglais) vise à représenter, transformer, analyser ou synthétiser ces données numériques, sans passer par des
représentations intermédiaires continues (e.g., décomposition sur des bases fréquentielles, approximation, interpolation). Même si la géométrie discrète s’intéresse à tout type de données discrètes, une majorité des recherches portent sur le
support des images numériques, c’est-à-dire des grilles de points à coordonnées
entières 2D ou 3D. On note que beaucoup de propriétés classiques de la géométrie Euclidienne ne sont plus valables. En ce sens, la communauté s’intéresse à
la fois aux fondements mathématiques de la géométrie des ensembles discrets
∗ email
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(topologie, propriétés arithmétiques, estimateurs géométriques, pavage, combinatoire des mots, optimisation combinatoire), et aux applications potentielles
(analyse d’images, reconnaissance de formes, synthèse graphique, imagerie biomédicale, métrologie en matériaux, impression). On note aussi de fortes préoccupations algorithmiques dans les outils développés (complexité, NP-complétude,
décidabilité, prédicats géométriques exacts), ce qui montre l’ancrage en informatique de la communauté.
2.2
Grandes avancées des 5 dernières années (à l’international, et en France)
– Les liens avec l’analyse numérique se sont formalisés sous la forme du
calcul discret, qui permet de traduire des EDP sur des structures combinatoires, et ces développements intéressent les communautés informatique
graphique et analyse d’image, ainsi que les communautés géométrie. Ces
travaux ont principalement été développés en Allemagne, aux Etats-Unis,
et en Angleterre.
– La topologie et la géométrie des données discrètes s’est considérablement
développée, avec des garanties théoriques explicites : stabilité topologique
via la persistance homologique, stabilité géométrique en présence de perturbations, convergence multi-grille d’estimateurs différentiels. Ces travaux ont principalement été développés aux Etats-Unis, mais aussi en
France.
– Les techniques d’analyse d’image via minimisation ont fortement évolué
d’une part grâce à de nouvelles formulations convexes et des techniques
d’optimisation combinatoire optimale. Ces travaux ont été initié au Canada, et de nombreux pays sont maintenant actifs dans ce domaine (EtatsUnis, Allemagne, France, Espagne). Ils impactent la segmentation, la restauration, l’inpainting, la compression des images.
– La combinatoire des mots, l’arithmétique, les systèmes dynamiques et la
géométrie se rapprochent pour comprendre les structures quasi-périodiques,
comme les pavages, les plans ou les quasi-cristaux. D’anciennes conjonctures liées au pavage ont été résolues, le rôle des nombreuses fractions
continues multi-dimensionnelles est de mieux en mieux compris. La France
et le Canada sont particulièrement impliqués.
Ces exemples d’évolution montrent les nombreux et fructueux rapprochements récents entre les communautés à l’interface entre mathématiques (topologie algébrique, transport optimal, analyse numérique, arithmétique) et informatique (combinatoire des mots, géométrie discrète et algorithmique, graphes
pour l’analyse d’image, morphologie mathématique, modélisation géométrique
et informatique graphique).
2.3
Forces et faiblesses de la France dans ce domaine
(Forces et faiblesses de la France dans ce domaine, Quand une faiblesse est
identifiée, comment la compenser ?, contributions françaises dans la recherche
2
mondiale, faits marquants.)
La France est très présente sur le domaine de la géométrie discrète fondamentale, notamment celle liée aux images numériques (grilles régulières). De
nombreux groupes travaillent sur les problèmes de discrétisation, la topologie
dans les grilles, l’approximation de la géométrie Euclidienne sur des ensembles
discrets, la morphologie mathématique, les transformations géométriques, les
structures périodiques ou quasi-périodiques. Des groupes français ont réalisés
des avancées importantes sur la convergence d’estimateurs géométriques, sur
l’optimisation combinatoire en lien avec le calcul discret, sur la stabilité vis-àvis du bruit. On note de plus que la France est très présente et influente dans les
conférences spécialisées du domaine (Discrete Geometry for Computer Imagery,
International Workshop on Mathematical Morphology, International Workshop
on Combinatorial Image Analysis, Computational Topology in Image Context).
La France est beaucoup moins présente dans les applications de la géométrie
discrète, notamment à l’imagerie, même si on note quelques projets allant de ce
sens (ANR VIVABRAIN sur l’imagerie du cerveau, ANR ReVes sur l’analyse
d’image de feuilles sur mobile, ANR DigitalSnow sur l’analyse et la simulation de neige). On note aussi que les outils plus traditionnels (traitement du
signal, analyse statistique, espaces échelle, approches variationnelles, apprentissage) dominent très fortement le secteur applicatif. Ceci est dû à de nombreux
facteurs : outils historiques, communautés beaucoup plus nombreuses, assise
mathématique répandue et enseignée, applications phares, outils logiciels très
diffusés, efficacité pratique remarquable du machine learning même avec des caractéristiques très grossières, défauts théoriques avérés souvent gommables par
paramétrage ou supervision dans les applications. La difficulté pour la communauté géométrie discrète est sans doute de trouver une application “phare” dans
laquelle les outils discrets seraient incontournables et pas seulement intéressants.
Les conférences DGCI’2011 et CTIC’2008 ont été organisées en France. On
note que la communauté a des contacts réguliers avec les communautés géométrie algorithmique et modélisation géométrique via les Journées Informatiques
et Géométrie, organisées régulièrement tous les deux ans. Depuis fin 2013, le GT
Géométrie Discrète appartient à la fois au GDR IM (Informatique Mathématique) et au GDR IGRV (Informatique Graphique, Géométrie, Réalité Virtuelle
et Visualisation).
2.4
Implications éventuelles sociétales, économiques, etc
La géométrie discrète peut avoir un impact sociétal au travers notamment
de ses applications à l’imagerie numérique, dès lors que la géométrie des formes
tient un rôle important. Elle obtient des résultats notables dans la détection
de points caractéristiques, l’analyse de document, les mesures géométriques,
la décomposition de formes en primitives, la restauration d’image, l’imagerie
biomédicale, la vectorisation de documents, ou encore l’analyse d’images en
sciences des matériaux.
On note que la géométrie discrète est soutenue fortement par l’ANR, aves
plusieurs projets depuis 2010 liés à ses fondements (ANR GeoDIB, ANR KI3
DICO, ANR Dyna3S) et d’autres liés à ses applications (biomédicales avec les
ANR FOGRIMMI et VIVABRAIN, physique de la neige et matériaux avec
l’ANR DigitalSnow, sociétale avec l’ANR ReVes).
3
Structuration de votre domaine de recherche
(Où se pratique-t-il ? Par exemple est il réparti sur de nombreux petits pôles
ou sur quelques endroits importants ? Est il uniquement dans le GDR IM, ou le
trouve-t-on à cheval entre plusieurs GDR ? Est-il surtout universitaire ? Est-il
très représenté au CNRS ? à l’INRIA ? Positionnement par rapport aux mathématiques ?)
En France, la recherche en géométrie discrète est essentiellement universitaire, avec de nombreux petits pôles et 3 plus grands (LIRIS, IGM, XLIM), soit
environ une centaine d’enseignant-chercheurs permanents intéressés au domaine,
et 6 chercheurs CNRS. L’essentiel des laboratoires participant au domaine sont
des unités mixtes CNRS. L’INRIA a participé de façon modérée à ce domaine
de recherche à travers le projet Adagio (Algorithmique discrète & ses applications en génomique et imagerie), qui est aujourd’hui un projet LORIA. D’autres
chercheurs INRIA issus de la communauté géométrie algorithmique ont des interactions avec le domaine.
A l’origine représentée dans le GDR ISIS et le GDR ALP, la communauté
s’est structuré dans le GDR IM depuis 2006, et est maintenant à la fois dans
le GDR IM et le GDR IGRV. La communauté a des liens forts avec le GDR
ISIS (Information, Signal, Image, viSion), et des interactions ponctuelles avec les
GDR MIA (Mathématiques de l’Imagerie et de ses Applications), STIC Santé et
MOA (Mathématiques de l’Optimisation et Applications). Elle est aussi proche
pour certains problèmes inverses du GdR RO.
La communauté est naturellement à l’interface informatique et mathématiques. Environ 20% des enseignant-chercheurs sont en section 25 ou 26. Plusieurs laboratoires ont pour tutelle l’INSMI, en secondaire voire principale. Ce
rapprochement avec les mathématiques est très lié avec les questions qui intéressent la communauté française de géométrie discrète, notamment les fondements théoriques.
4
Prospective de votre domaine de recherche
(Comment voyez vous son évolution scientifique ? Centres « émergents » en
France et à l’étranger. Points durs à résoudre, problèmes qui se posent. Implications que vous pressentez sur l’interface avec d’autres disciplines, sur le plan
sociétal, économique, etc. Que pourraient faire les organismes pour vous aider ?)
En 2010, la communauté avait reconnu le besoin d’avoir un moyen de capitaliser leurs résultats théoriques et algorithmiques et démontrer leurs potentiels
dans les applications liées à l’image ou à la géométrie. La bibliothèque DGtal 1
1. libdgtal.org
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est un effort collaboratif de la communauté en ce sens, dont la pleine valeur sera
évaluable d’ici quelques années. Elle induit déjà un essor net des travaux en
géométrie 3D avec des projets applicatifs en collaboration avec l’INRA, MéteoFrance et des industriels. Plus spécifiquement, les attentes en analyse géométrique et topologique d’images micro-tomographiques dans le domaine des Matériaux sont importants et pourrait être un lieu d’échanges riches dans lequel la
bibliothèque communautaire DGtal aurait un rôle important.
Un autre axe de développement qui semble important est le rapprochement
avec les communautés «discrete geometry» internationales, où ce terme désigne
plus la géométrie sur les maillages, nuages de points, ou données non-structurées.
De même, la montée en puissance du calcul discret aura une influence forte sur
le domaine. La géométrie discrète pourrait avoir un rôle important pour faire se
rejoindre analyse numérique standard et calcul discret.
On note enfin l’explosion du domaines de l’impression 3D ou le potentiel
d’évolution de l’indexation d’image. La géométrie discrète n’a pas encore réussi
à montrer ses apports dans ces deux grands domaines d’applications, alors qu’elle
a sans doute des atouts à faire valoir.
C’est peut-être encore plus vrai dans le domaine de l’imagerie médicale,
dont le développement tous azimuts (réalité augmentée, planning d’opération,
simulation...) est un véritable enjeu sanitaire, mais aussi commercial. La nature
discrète des données issues des scanners, IRM, échographies (le plus souvent
des piles d’images 2D parfois assimilables à des images 3D) en fait un domaine
d’applications naturel pour la géométrie discrète, mais son paradigme et son algorithmique ne se sont pas imposés dans ce domaine, peut-être par défaut d’investissement de la communauté sur ces problèmes : les principaux problèmes de
traitement d’imagerie médicale — le recalage, la segmentation — sont aujourd’hui résolus par des approches variationnelles dans lesquelles la nature discrète
des données est balayée par des interpolations. Ce domaine de recherche en plein
essor n’en reste pas moins un important champ potentiel d’applications sous réserve qu’ un travail d’ingénierie soit réalisé pour faire le pont entre applications
(radiologie) et théories (géométrie discrète).
Enfin, un dernier domaine où la géométrie discrète est amenée à faire ses
preuves est celui de la tomographie discrète, dans lequel l’image à reconstruire
est binaire. C’est un domaine actif de la communauté qui pourrait s’imposer
dans deux champs d’applications qui sont aujourd’hui en dehors des limites de
ce que les méthodes classiques sont capables de réaliser : 1) la cristallographie- où
l’on reconstruit des ensembles de points sur un réseau, 2) contrôle non-destructif,
dans le cadre particulier où du fait de sa nocivité, le nombre de directions est
limité à quelques dizaines (dans ce cas, la fonction reconstruite a un support
continu). Dans les autres cadres (avec des nombres de projections plus grands),
les méthodes classiques sont si bien implantées qu’il est difficile de percer avec
de l’optimisation discrète, l’optimisation continue étant beaucoup plus rapide.
La géométrie discrète est assez forte en France comparativement à l’international. Les organismes de recherche doivent continuer à soutenir la dynamique
importante impulsée par les projets ANR d’une part (que ce soient sur les aspects fondamentaux ou sur les applications), et par le recrutement de chercheurs
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CNRS d’autre part, dont l’impact est visible dans la communauté. Les projets
de géométrie discrète favorisant l’interaction avec d’autres disciplines sont également à soutenir, car ils nourrissent le développement de la communauté en
apportant des problématiques concrètes. L’interaction avec les mathématiques
sur les fondements de la géométrie discrète est à favoriser particulièrement car
des avancées dans cette direction nécessite les compétences conjointes informatique et mathématiques. La géométrie discrète est en effet une alternative
calculable de la géométrie euclidienne, qui vise néanmoins à en conserver les
propriétés.
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