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LE GRAND VOYAGE
Un film de Ismael Ferroukhi I France / Maroc I 1h48 I 2004
Alors qu'il s'apprête à passer son bac pour la seconde
fois, Reda est contraint de conduire son père en voiture
pour son pèlerinage à La Mecque. Les différences d'âge,
de culture et de langue rendent la cohabitation entre les
deux hommes difficile. Leur lent cheminement à travers
l'Europe est marqué par des tentatives de
rapprochements et des disputes, le passage de plusieurs
frontières et la rencontre de personnages mémorables :
une vielle dame énigmatique dans les Balkans, un
bavard invétéré en Bulgarie ou encore Mustapha, un
musulman turc aux idées progressistes.
Outre son message de tolérance, ce Grand Voyage est
porté par un regard généreux et compréhensif sur la
marche du temps, la tradition et le progrès, la jeunesse
avide et la vieillesse sereine, sur l’amour aussi d’un père
venu d’ailleurs et d’un fils d’aujourd’hui qui apprend à
connaître ses valeurs.
Voyage d’apprentissage : entre odyssée et road movie
▪ Voyage d’apprentissage
Suivant la métaphore du chemin physique pour illustrer le parcours intérieur des personnages,
le premier long métrage d’Ismaël Ferroukhi emprunte aux mythes de la littérature (l’odyssée) et
du cinéma (le road movie) un ensemble d’outils dramatiques, visuels et symboliques pour
construire son récit initiatique.
Comme dans toute épopée, le chemin est plus important que la destination. Ce grand voyage,
physique et intérieur, est avant tout celui d’une rencontre, celle d’un père et d’un fils traversant
l’Europe côte à côte pour cheminer l’un vers l’autre. Le voyage se fait ainsi apprentissage,
chaque rencontre, chaque obstacle franchi permettant à Reda et son père, derrière la
découverte de nouveaux espaces, la quête spirituelle et le voyage irrémédiable vers la mort, de
faire l’expérience de l’altérité qui les mènera de l’évitement à l’incompréhension, de
l’incompréhension à la reconnaissance et de la reconnaissance à l’amour.
▪ Une succession d’épreuves et de rencontres à dimension initiatique
Le périple des voyageurs est marqué par une succession d’obstacles qui semblent se liguer
pour entraver leur route. Bloqués par la neige, transis par une fièvre, ralentis par d’étranges
rencontres, ces obstacles sont la condition nécessaire de l’initiation et leur dépassement balise
l’épopée des deux voyageurs. Sur le chemin de la Mecque, les rencontres successives avec la
femme en noir, Mustapha, la mendiante, ou le groupe de pèlerins sont autant de rencontres
humaines qui vont soumettre les personnages à la question de l’altérité. Certains possèdent une
puissance allégorique qui n’est pas sans rappeler l’Odyssée d’Ulysse.
La femme en noir, qui apparaît et disparaît soudainement, sans plus d’autre explication que le
nom de la ville qu’elle veut rejoindre, est comme le spectre de la mort avec laquelle le père a
rendez-vous.
Le rêve prémonitoire dans lequel Reda s’enfonce dans les sables mouvants, sous le regard
indifférent d’un berger qui n’est autre que son père, annonce la mort prochaine du père tout en
incarnant sa figure de guide spirituel et de protecteur que Reda va éprouver à l’issue de son
initiation.
Associée à l’allégorie du berger, la séquence de l’égorgement avorté de l’agneau renvoie au
sacrifice d’Abraham. La succession de plans moyens sur le couteau serré par le père avec en
arrière plan le fils, de dos, valide la référence biblique tout en la retournant : l’agneau parti, le
père compte t-il égorger son enfant ? Au terme de son voyage va-t-il le reconnaître ou le
sacrifier ?
Figure paternelle concurrente et incarnation moderne de l’Islam, Mustapha est un personnage
qui va briser le premier rapprochement entre Reda et son père. Personnage de la concorde et
de la médiation (traducteur, il permet à l’équipée de passer la frontière turque), sa rencontre
sème le trouble dans le couple père / fils. Au point que l’on se demande un temps si le père n’a
pas lui même caché l’argent pour accuser et se débarrasser de Mustapha.
Frontières physique et symboliques. Comme dans tout récit initiatique, chaque rencontre et
chaque frontière traversée marque un temps de connaissance de soi, de l’autre et du monde.
Filmée dans un ample plan de grue, le passage de la frontière Turque, et plus tard celui du
grand arche à l’entrée de la Mecque, sont comme des points de passage entre Orient et
Occident, modernité et tradition, des portes allégoriques qui mènent vers un retour au sable (le
désert) aux origines (la ville du prophète), à la mort.
▪ Road movie vers l’orient
Littéralement « film sur la route », le road movie est un genre cinématographique apparu dans le
cinéma Américain des années 40 qui désigne les films dont le récit est construit autour de la
route et des chemins qu’elle traverse. Depuis, sous diverses variantes, le genre ne cesse
d’évoluer mais on peut noter plusieurs motifs récurrents, présents dans le film d’Ismaël
Ferroukhi, tels la quête, l’errance, la perte de repère et les rencontres bien souvent fulgurantes
de personnages mystérieux.
Le choix du mode de transport, s’il correspond à une volonté spirituelle du père (« un homme
pressé est un homme déjà mort ») confère au voyage une lenteur qui donne son rythme au film.
L’intention première du réalisateur était de filmer un père et son fils fuyant la confrontation et de
les soumettre à l’expérience du huis clos. La voiture est l’endroit parfait pour cette promiscuité.
Dans un côte à côte contraint, la caméra enferme chaque protagoniste dans son cadre,
marquant l’impossible communication qui fera bientôt naître la tension et la confrontation.
▪ Se perdre pour se retrouver
S’il donne de nombreuses indications temporelles (succession de scènes de jour/ de nuit, aube
et crépuscule), Ismaël Ferroukhi joue avec la perte progressive de repères spatiaux propres au
voyage et nécessaires à la rencontre. Hormis quelques noms de ville (Milan, Delechi, Belgrade,
Istanbul, Amman) et de pays, le doute plane bien souvent sur le lieu de l’action. Des 12 pays qui
séparent les Bouches-du-Rhône de la ville sainte (France, Italie, Slovénie, Croatie, Yougoslavie,
Roumanie, Hongrie, Bulgarie, Turquie, Syrie, Jordanie, Arabie Saoudite), quel est celui que
nous traversons ?
Lorsqu’elle ne laisse pas la place à de longs silences tendus, la bande son est saturée de
langues étrangères non sous titrées donnant lieu aux rares séquences comiques du film (la
rencontre avec l’homme qui indique le chemin). Au contraire, le langage universel du père,
mêlant gestes, regards et arabe littéraire, surprend le fils, convaincu jusqu’alors que sa maîtrise
approximative de l’anglais, langue de la mondialisation et de la modernité, aurait réponse à tout.
Plus généralement, l’absence d’informations sociales et psychologiques sur les personnages
(nous en savons bien plus sur Mustapha que sur le père de Reda, dépourvu de prénom)
renforce leur isolation et donnent au film une vocation universelle.
Père et fils : de l’hostilité à la reconnaissance
▪ Deux étrangers
Qu’il s’agisse de la langue, de la culture ou de la religion, tout sépare le père du fils. Alors que la
vie du père est conforme aux stricts enseignements religieux (hadj, prière et aumône légale sont
trois des 5 piliers de l’islam), le fils ne manifeste aucune croyance et va même à l’encontre des
valeurs du père, refusant de faire l’aumône, buvant et couchant avec une danseuse rencontrée
sur sa route. De même pour la langue : tandis que l’un comprend à peine l’arabe mais ne peut
le parler, l’autre maîtrise le français sans vouloir le parler. C’est ainsi que le père parle en Arabe
dialectal et que son fils lui répond en français, dans un refus réciproque de se « soumettre » aux
valeurs de l’autre.
Cette différence de valeurs se manifeste dans le casting (Nicolas Cazalé jeune acteur français
et Mohamed Majd grand acteur marocain), dans les objets, leur symbolique et leur circulation.
S’opposent ainsi les objets de la modernité pour Reda (portable dont le père se débarrasse,
appareil photo troqué contre un mouton) à ceux de la tradition pour le père (tapis, livre de
prière).
▪ Transmission
Plus on avance vers la Mecque et plus Reda se voit dépouillé de tous les apparats de la
modernité. Tee-shirt jaune dans la masse blanche des pèlerins, à contre courant de la foule, il
ne sera jamais assimilé, ne fera jamais parti de ce monde traditionnel. Mais au terme du
voyage, il sera reconnu et comprendra en retour. Le dernier objet que nous verrons à l’écran
symbolise cet ultime échange. Objet transitionnel, la photo de Lisa, petite amie non musulmane
de Reda, substituée puis rendue à la Mecque, marque l’acceptation du père de voir son fils,
dans sa différence, devenir adulte. Quand à Reda, son dernier geste est celui de l’aumône et
son dernier regard sera tourné vers le ciel. Passager et non plus conducteur, guidé par un père
dont le dernier voyage aura permis la rencontre, Réda conclut son initiation, riche de cette part
d’identité qu’il semblait vouloir oublier.
QUESTIONNAIRE – LE GRAND VOYAGE
I / La circulation des objets
1. Citez des objets associés à Reda
2. Que deviennent-ils au cours du voyage ?
3. Citez des objets associés au père.
4. Que deviennent-ils au cours du voyage ?
5. Que nous disent les objets et leur circulation sur ces deux personnages et leur relation ?
6. Quel est le dernier objet que le père laisse à Reda sur le tableau de bord de la voiture ?
7. Comment l’interprétez-vous ?
II/ Les personnages et les paysages
Tout au long du film défilent des paysages.
1. Où est placée, la plupart du temps, la caméra ?
2. Il y a très peu de panneau ou d’indication géographique. D’après vous, que signifie ce choix
de la part du réalisateur ?
III/ La dramaturgie
1. Quels différents sens se cachent derrière le titre « Le Grand Voyage » ?
2. De quel point de vue est raconté le voyage ?
3. Au début du film, père et fils se fuient et n’arrivent pas à communiquer. Quel moyen le
scénariste a-t-il trouvé pour les confronter ?
4. Quels sont les obstacles que le père et le fils rencontrent au cours du voyage.
5. Parmi les rencontres qu’ils vont faire, qu’elle est celle qui fait éclater le duo père fils ?
IV/ Le pèlerinage à la Mecque
1. Pourquoi La Mecque est-elle devenue le plus grand lieu de pèlerinage du monde islamique ?
2. Pourquoi le père n’attend t-il pas que son fils ait passé le bac avant d’effectuer le pèlerinage?
3. Comment sont vêtus les pèlerins ?
4. Quels effets visuels cela produit-il ?
5. Le pèlerinage à La Mecque est l’un des cinq piliers de l’islam. Chercher quels sont les quatre
autres piliers de l’Islam.
V/ Le Road movie
Le terme road movie désigne un genre cinématographique où la route et les lieux qu’elle
traverse servent de contexte au récit.
Le road movie se caractérise souvent par une quête initiatique des personnages qui vont mûrir
au fil de leurs rencontres et de leurs expériences et devenir adulte, le voyage se chargeant au
passage d’une dimension de rite de passage.
1. Relever ce qui rattache Le Grand Voyage à un road movie.
2. Pouvez vous citer d’autres titres de films qui soient des road movies ?

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