l`invité du samedi Riad Sattouf, une enfance syrienne

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l`invité du samedi Riad Sattouf, une enfance syrienne
Date : 18 JUIL 15
Journaliste : Chloé Bossard
Pays : France
Périodicité : Quotidien
OJD : 180176
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l'invité du samedi
Riad Sattouf, une enfance syrienne
Dans " L'Arabe du futur ", dont le second volume vient de paraître, le dessinateur parisien raconte
son enfance dans la Syrie d'Hafez al-Assad. Drôle et instructif, son récit fait un carton.
J
Riad Sattouf, 37 ans, a vendu 280.000 exemplaires du premier volume de
! ll I lili
L'Arabe du futur ». Le second est sorti le ll juin.
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(Photo NR, Chloe Bossard)
P
a r q u e t l u s t r é , murs
blancs et moulures. Les
locaux parisiens de la
jeune maison d'édition Allary
semblent très loin du village syrien où a grandi Riad Sattouf.
L'auteur de BD, à la bouille toujours enfantine, revient en toute
simplicité sur la genèse de
l'Arabe du futur, dans lequel il
croque son enfance au MoyenOrient. Derrière des dialogues
Tous droits réservés à l'éditeur
empreints d'humour naïf se dessinent la pauvreté, les sévices
physiques, et la dictature. Succès public et critique, ce roman
graphique, dont le second volume vient de sortir, a remporté
le Fauve d'or au dernier festival
dangoulême. Entretien.
Pourquoi raconter votre
propre histoire ?
« Depuis quinze ans, je gardais
l'idée de raconter mes années au
Moyen-Orient, mais je ne savais
pas par quel bout le prendre.
Tout a commencé au début de la
guerre civile en Syrie, lorsque
j'ai dû aider une partie de ma famille à quitter le pays. J'ai eu
beaucoup de difficultés à avoir
des visas en France. C'était tellement galère que je me suis dit : il
faut que je raconte l'histoire depuis le début. »
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Date : 18 JUIL 15
Journaliste : Chloé Bossard
Pays : France
Périodicité : Quotidien
OJD : 180176
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" Kadhafi était
présente comme
un play-boy
modernisateur "
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Sévices physiques,
machisme, antisémitisme :
vous donnez une image très
sombre de la Syrie des
années 1980...
« C'est quelque chose que je
voulais raconter, parce que je
me suis rendu compte que la
majorité des gens n'avaient pas
conscience que Ben Ali en Tunisie ou Moubarak en Egypte
étaient des dictateurs. Ils y allaient en vacances, mais ça ne
les intéressait absolument pas.
Ils ont découvert la vraie vie des
gens au moment des printemps
arabes. C'est assez stupéfiant. »
A quoi ressemblait " L'Arabe
du futur ", que votre père
voulait que vous deveniez ?
« Mon père venait d'un village
paysan très pauvre, c'était le
seul garçon de la famille à aller à
l'école. Lorsqu'il est devenu
docteur à la Sorbonne, il a eu
une proposition pour enseigner
à Oxford. Mais il a préféré aller
enseigner chez Kadhafi, puis en
Syrie, parce qu'il voulait rendre
au monde arabe l'éducation qu'il
estimait avoir reçue, et participer à la construction de
" L'Arabe du futur ". Il était très
nationaliste et il avait une vision
entière de ce que devait être le
monde arabe. »
Et la démocratie là-dedans ?
« Mon père était pour l'éducation, contre la bigoterie religieuse, il voulait que le monde
arabe se libère de l'influence des
Américains et de l'URSS. Mais il
n'était pas du tout pour la démocratie, il pensait qu'il fallait forcer les gens à changer. Il avait
des aspects très sombres. A côté
de ça, il était superstitieux et
croyait aux forces du mal. Il
n'arrivait pas à se libérer du terreau dans lequel il avait grandi.
Ce conflit entre tradition et modernité m'intéressait. »
Comment votre maman,
française, a-t-elle pu
accepter cette vie ?
« Ma mère était une femme assez soumise, qui suivait son
mari en espérant qu'il devienne
quelqu'un d'important. Il est
vrai qu'elle a accepté beaucoup
de choses. Il faut dire que les
moyens d'information n'étaient
pas du tout les mêmes qu'aujourd'hui. Les articles sur Kadhafi dans la presse française le
présentaient comme un playboy modernisateur. Or, il aurait
suffi de lire le Petit livre vert
pour se rendre compte qu'il était
complètement fou ! »
Sentiez-vous des tensions
entre les alaouites au
pouvoir et la majorité
sunnite?
« On vivait dans un village habité uniquement par des musulmans sunnites. Je n'ai jamais
rencontre quelqu'un d'une autre
communauté, alors qu'à six kilomètres de là, à Homs, il y avait
des chrétiens. Les gens vivaient
côte à côte, et nous ne ressentions aucune pression. D'ailleurs, il y avait beaucoup moins
de policiers à Homs qu'à Paris
actuellement. »
Dans le livre, vous visitez
Palmyre. Comprenez-vous
que sa destruction fasse
autant réagir ?
« C'était un endroit incroyable,
l'un des plus célèbres de Syrie.
Mais je pense que c'est faire une
violence supplémentaire aux
gens qui ont dû fuir leur maison
ou qui ont perdu quelqu'un de
leur famille, que d'être plus ému
par le sort de ruines que par leur
sort à eux. On ne se rend pas
compte du ressentiment que ce
comportement peut susciter. »
Le fait d'être à moitié arabe
vous donne-t-il davantage
de liberté dans le récit ?
« Ça fait quinze ans que je fais
de la bande dessinée, et je ne me
suis jamais interdit de raconter
quoi que ce soit. Ce que je raconte est l'histoire de ma famille
syrienne, je ne la considère pas
différente de ma famille française. J'essaie de montrer que les
gens qui vivaient là-bas sont des
êtres humains qui ont des émotions, et que l'ignorance et la
pauvreté ne sont pas un pittoresque culturel. »
Quelles sont vos références
graphiques?
« Un fantôme est vite apparu
dans le récit : celui d'Hergé. J'ai
lu Tintin en Syrie pendant des
années, et j'ai mis du temps à me
rendre compte que c'était un
être humain qui faisait ces dessins ! Hergé m'a énormément
marqué par la simplicité de son
trait. Et pour moi, c'était très important que L'Arabe du futur soit
lisible par des gens qui ne connaissent rien à la BD. »
Six mois après, quel regard
portez-vous sur l'attentat de
" Charlie Hebdo " ?
« Pendant huit ans j'ai dessiné
une page qui s'appelait La Vie
secrète des jeunes, et que j'envoyais par mail chaque semaine.
Ma place au sein de la rédaction
était donc très particulière. La
vision que j'avais, c'était celle de
types sympa, qui aimaient bien
boire de l'alcool et qui correspondaient au prototype de ma
génération : obsédés sexuels
parce que n'ayant pas eu beaucoup de rapport avec les filles
du fait de leur physique un peu
disgracieux. Donc je n'arrive pas
à en faire un débat de société. »
Propos recueillis
parChloé Bossard
« L'Arabe du futur 2 », éd. Allary,
ll juin 2015,160 pages, 20,90 €.
Tous droits réservés à l'éditeur
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Date : 18 JUIL 15
Journaliste : Chloé Bossard
Pays : France
Périodicité : Quotidien
OJD : 180176
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bio express
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Pour son premier jour d'école à Ter Maaleh, village proche
de Homs, le petit Riad découvre une maîtresse... terrifiante.
> 5 mai 1978 : naissance à
Paris d'un père syrien et
d'une mère française.
> 1980-1992 : passe son
enfance en Libye, puis en
Syrie près de Homs.
> 2003 : Prix Goscinny pour
« Les Pauvres aventures de
Jérémie » (Dargaud).
> 2004-2014 : publie chaque
semaine « La Vie secrète des
jeunes », dans Charlie Hebdo.
> 2009 : réalise « Les Beaux
Gosses », qui obtient le César
du premier film.
> 2010 : premier Fauve d'or à
Angoulême pour le troisième
tome de « Pascal Brutal ».
> 2014 : début de la
publication des « Cahiers
d'Esther » dans L'Obs. Sortie
de son deuxième film, « Jackie
au Royaume des filles ».
> 2015 : second Fauve d'or à
Angoulême pour « L'Arabe du
futur » (Allary), dont le
tome 2 est sorti le ll juin.
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