Le renouvellement des stratégies des grands groupes de luxe

Transcription

Le renouvellement des stratégies des grands groupes de luxe
IEP de Toulouse
Le renouvellement des stratégies des grands groupes de luxe
français face aux défis posés par la mondialisation,
l’augmentation fulgurante de la demande et la démocratisation
des produits de luxe
Mémoire de recherche présenté par Mlle Anne-Charlotte GAUDIN
Directeur de mémoire : M. Alexandre MINDA
Date : 2013
IEP de Toulouse
Le renouvellement des stratégies des grands groupes de luxe
français face aux défis posés par la mondialisation,
l’augmentation fulgurante de la demande et la démocratisation
des produits de luxe
Mémoire de recherche présenté par Mlle Anne-Charlotte GAUDIN
Directeur de mémoire : M. Alexandre MINDA
Date : 2013
Avant-propos et remerciements
L’aboutissement de chaque étape de mon parcours aussi bien universitaire que
professionnel et personnel, est le résultat d’un investissement total. Chaque étape de mon
parcours a toujours été empreinte de la volonté tenace de faire preuve de dépassement de soi
et de construire pierre après pierre un édifice aussi haut que possible.
Intégrer l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse fut la première pierre de cet édifice
en construction et a constitué l’accomplissement de l’un de mes rêves les plus chers.
Cinq années auront été nécessaires au mûrissement intellectuel que je suis aujourd’hui
fière de détenir. Je tiens donc à remercier en premier lieu l’IEP de Toulouse pour les années
exceptionnelles que j’y ai passé, pour les rencontres que j’y ai faites, pour le savoir et les
connaissances que j’ai progressivement développés grâce à la qualité et à la profondeur des
enseignements divulgués et aux échanges que j’ai pu avoir tant avec les étudiants que les
professeurs tout au long de ma scolarité.
C’est donc avec une certaine émotion que j’adresse mes remerciements les plus
sincères à l’établissement, qui, avant de nous préparer au monde professionnel nous a avant
tout, ouvert les yeux sur l’importance du savoir et de la connaissance, du développement du
sens critique et de la rigueur intellectuelle. Ces éléments font aujourd’hui de nous de jeunes
professionnels curieux de découvrir le monde et les opportunités qu’il recèle.
Je remercie tout particulièrement M. Alexandre Minda, Directeur du parcours
« Affaires Internationales et Stratégie d’Entreprise » et Directeur de ce mémoire, pour la
confiance et le respect qu’il m’a accordé et l’excellence des conseils qu’il a su divulguer tout
au long de ce parcours.
Je tiens également à remercier l’ensemble des personnes qui ont contribuées à la
réalisation de ce mémoire et sans qui la qualité de ce travail n’aurait été telle.
Enfin, mes derniers remerciements s’adressent à ma famille, à mes amis et à celui qui
partage ma vie, pour le soutien sans faille qu’ils m’ont apportés durant ces cinq dernières
années et sans qui tout cela n’aurait pas été possible.
Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation
dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur
auteur(e)
SOMMAIRE
INTRODUCTION……………………………………………………………………….….p.1
PREMIERE PARTIE – RETOUR SUR LES FONDAMENTAUX DU LUXE………..p.8
CHAPITRE 1 – ANALYSE DES COMPOSANTES FONDAMENTALES DU LUXE…...p.8
CHAPITRE 2 – PANORAMA DES FORCES EN PRESENCE…......................................p.28
DEUXIÈME PARTIE – PERSPECTIVES STRATEGIQUES DES GROUPES DE
LUXE…………………………………………………………..p.46
CHAPITRE 1 – BUSINESS MODÈLES DU LUXE ET STRATÉGIES DE
CROISSANCE.............................................................................................p.46
CHAPITRE 2 – DÉFIS ACTUELS ET PERSPECTIVES D’EVOLUTION À L’HORIZON
DE 2020…………………………………………………………………..p. 68
« Le luxe ne désigne pas une qualité de l’objet possédé, mais une qualité de la possession » Jean-­‐Paul Sartre, L’Être et le Néant, 1976
INTRODUCTION
Alliant rareté, tradition, savoir-faire et glamour, le luxe français affiche une santé
insolente au regard des temps de crise que nous connaissons actuellement. Alors que l’on
s’émeut sur le déclin de l’industrie française et sur l’érosion de ses parts de marché, à contrecourant de la crise financière et globale, les grands fleurons de l’industrie française irradient
l’économie par leur croissance quasi exponentielle : performances boursières hors-normes,
rentabilité financière extrême et croissance des ventes à deux chiffres. Le succès des
entreprises de luxe tricolores s’observe également à l’échelle internationale : trois des cinq
groupes de luxe les plus prestigieux sont français, et sept des quinze premières marques de
renommée mondiale battent pavillon tricolore. Selon une estimation réalisée par le cabinet
Bain & Company, à l’échelle du monde, le secteur du luxe pèse plus de 212 milliards d’euros,
les marques françaises étant en tête avec un chiffre d’affaires s’élevant à près de 53 milliards
d’euros dont 80% est réalisé à l’export. Considéré comme un secteur à part entière, ces
chiffres font donc du luxe le premier secteur exportateur de la France, et le placent au même
niveau que l’aéronautique. Force est de souligner également l’importance de ce secteur, à la
fois partie intégrante de notre patrimoine culturel et historique, et fermement ancré sur notre
sol national. Les 75 maisons de luxe françaises regroupées au sein du Comité Colbert1
emploient en effet quelques 38 000 personnes – un effectif en hausse de 10% depuis 2006 –
auxquels il convient d’ajouter 100 000 postes si l’on compte les emplois indirects. Le luxe,
dont l’avenir semble plus prometteur que doré représente ainsi l’un des fleurons de notre
économie.
Passionnée par les problématiques liées à ce secteur clé de l’économie française,
désireuse de comprendre les rouages des stratégies mises en œuvre par les grands groupes de
luxe français qui affichent une croissance pérenne, et surtout consciente de l’actualité de
nombreux défis rencontrés par le marché du luxe, il m’a semblé tout à fait opportun de
consacrer ce mémoire de fin de parcours à l’étude de l’industrie française du luxe. Ayant par
ailleurs choisi la voie du Conseil en Management, l’approfondissement d’un tel sujet
constitue pour moi une réelle opportunité. L’acquisition de bon nombre de données sur le
secteur, l’appréhension plus fine des problématiques sous-jacentes et la définition de
premières solutions pour pallier ces dernières contribuent en effet à renforcer ma légitimité
sur ce secteur extrêmement porteur et dans lequel j’aimerai me spécialiser d’ici peu.
1
Fondé en 1954, à l’initiative de Jean-Jacques Guerlain, le Comité Colbert est une association regroupant 75
maisons de luxe et 14 institutions culturelles, qui œuvre au rayonnement international de l’art de vivre français.
1 Le luxe est à la mode. En atteste la multiplication des vocables tels que le « luxe
accessible », « l’hyperluxe », le « new luxury », « méta-luxe » ou encore « le populuxe2 », qui
ont pour seule conséquence de rendre les contours du concept encore plus flou. Cet état de
confusion atteste néanmoins d’une réalité profonde : « le luxe n’est pas un simple vocable,
une pure création sémantique mais un vrai concept sociologique et psychologique »
(Kapferer, 2012)3. La définition du luxe est très subjective. Le substantif a d’ailleurs une
connotation très différente suivant les langues. Étymologiquement, il est à la fois rattaché au
termes latins lux (la lumière, c’est à dire, le rayonnement, le goût, l’éclairage, l’élégance) que
luxuria (l’excès, le rare, le clinquant, l’extrême). Il oscille donc depuis toujours entre l’être et
le paraître, entre la valeur sûre, rare et donc chère, et ce qui n’est pas nécessaire voire
superflu. Une première acception définit le luxe comme étant fondé sur un certain nombre de
composantes clés que sont le prix, la rareté, l’exclusivité, la perfection, l’histoire, l’art, le
temps ou encore le rêve. Il convient de revisiter chacun de ces termes en profondeur si l’on
veut se défaire d’une conception mécanique du luxe qui serait fondée sur des prix très élevés
et reposerait sur des célébrités hollywoodiennes, ou d’une conception trop classique et
historique du luxe.
Afin de mieux comprendre comment le luxe a progressivement investi l’économie
moderne française, il convient de poser quelques jalons historiques. Né à l’époque de
Charlemagne et des Carolingiens, religieux du temps des cathédrales puis émergeant petit à
petit de l’obscurantisme moyenâgeux, le luxe, qui éclot lors de la Renaissance et se
démocratise grâce à la révolution industrielle apparaît pour le monde occidental comme la
marque du second millénaire. Le luxe s’est en effet nourrit progressivement du rayonnement
de civilisation que l’Europe a connu depuis des siècles. Il se développe entre la France de la
Belle Epoque – qui a vu naître les premières maisons de luxe contemporaines françaises
(Hermès (1837), Cartier (1847), Louis Vuitton (1851) - et l’entre-deux-guerres qui a amené
les débuts de la parfumerie (création de Chanel « N°5 » en 1922). Mais ce n’est qu’à l’orée de
la fin de la seconde guerre mondiale que l’industrie du luxe devient un secteur à part entière,
un créneau pour le luxe se dégageant progressivement dans tous les métiers. Le secteur a
néanmoins connu des hauts et des bas, notamment suite à la décolonisation quelques peu
chaotique et à la remise en question de la société de consommation lors de Mai 68. Le luxe
commence dès lors à perdre des parts de marché. Les slogans étant à la nudité, et les révoltes
refusant le paraître et l’ostentatoire, le souci de s’habiller est dès lors relégué au rang de
2
B. Heilbrunn, « Comment penser la marque de luxe à l’âge de la démocratisation du luxe ? », in : Le Luxe –
Essais sur la fabrique de l’ostentation, IFM/Regard, 2011
3
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013
2 l’inutile. Les figures présidentielles caractéristiques de l’époque, incarnées en la personne du
Général de Gaulle et de Georges Pompidou 4 ne prônent pas non plus le faste et la
consommation ostentatoire. Paradoxe saisissant puisque ces deux présidents ont tout de même
contribué au renforcement du prestige de la France, ce qui a permis au luxe de se développer.
La fin des années 1970 est marquée par un recentrage sur des valeurs plus sages. Recentrage
qui présage peut-être des deux chocs pétroliers et des années de crise qui s’installent alors.
Cette période est celle où les émirs arabes investissent les grands bijoutiers et couturiers
français. Plus tard, au début des années 1980, une nouvelle ère marquée par l’accès des jeunes
au luxe, que l’on qualifie de plus accessible, voit le jour. C’est ère est celle de la
démocratisation du luxe. Mais ce n’est réellement qu’à partir des années 1984-1985 que le
luxe entre dans une période de gloire. Le ministre de la culture, Jack Lang porte d’ailleurs sa
pierre à l’édifice en proposant notamment la célèbre cour Carrée du Louvre pour les défilés de
mode et en créant le Centre National des Arts Culinaires. Cette période laisse place à un
nouvel état d’esprit, plus léger, plus hédoniste où la mode redevient théâtralisée et médiatisée.
Les boutiques de luxe se démultiplient et traversent les continents, les œuvres d’art se voient
exonérées d’impôt sur la fortune et le mécénat acquière droit de cité, grâce à la loi de juillet
1987. Cette croissance fulgurante du luxe atteint son apogée en 2001, date à laquelle les
ventes mondiales d’accessoires de mode, de maroquinerie, de parfums ou d’horlogeriejoaillerie représentent un montant trois fois plus important qu’en 1985. Cette ruée vers le luxe
n’est autre que le reflet d’une certaine forme de prospérité planétaire. Américains et japonais
sont les premiers consommateurs de ce marché. S’ensuivent alors quelques années de faste,
coupées net par les évènements du 11 septembre et leurs conséquences dramatiques ralentissement de l’économie et baisse des flux touristiques mondiaux - pour le secteur du
luxe. Un comportement d’incertitude se développe chez les consommateurs et déclenche une
crise mondiale. Crise qui finit néanmoins par s’atténuer et retrouve quelques années plus tard
le chemin de la croissance, malgré la crise des subprimes de 2007-2008 et ses conséquences
financières sur l’économie mondiale. La conjoncture de l’année 2007 avait pourtant été
bonne, la Chine (10% de croissance alors) suivie des autres BRIC (Brésil, Russie, Inde) alors
en passe de devenir les nouvelles frontières du luxe. Le nombre de milliardaires doublant
ostensiblement dans ces pays, des secteurs comme ceux des yachts, des habitations, des
œuvres d’art ou encore des séjours dans des palaces se voyaient tracer un avenir plus brillant
que prévu. C’est à partir de 2010 que la croissance à deux chiffres s’est réinstallée. La bonne
4
Bien connue est la phrase clamée par Georges Pompidou, le 21 septembre 1972 lors d’une conférence de
Presse : « Chère vieille France ! La bonne cuisine ! Les Folies – Bergère ! Le Gai Paris ! La haute couture et de
bonnes exportations, du cognac, du champagne, des bordeaux ou du bourgogne ! C’est terminé. La France a
commencé et largement entamé une révolution industrielle. »
3 coordination des banques centrales, la croissance continuelle des pays émergents et surtout le
maintien de vraies stratégies de luxe par les grandes maisons de luxe français, ont fortement
contribué à redonner au luxe sa place d’antan, celle de fleuron de l’économie française.
Un point nécessite cependant plus ample réflexion. A partir du XXe siècle, le luxe
cesse d’être l’apanage d’une caste privilégiée et les années 1980 voient le luxe entrer dans une
nouvelle ère, celle de la démocratisation. Il est nécessaire de comprendre les trois moteurs de
ce changement d’ère afin d’appréhender finement la situation actuelle et de pouvoir réorienter
intelligemment les stratégies de luxe des grands groupes français. La démocratisation est la
conséquence directe de ce changement et celle qui explique le succès du luxe. Elle implique
en effet un accès plus large de la population à l’univers du luxe. Si elle constitue une
opportunité fabuleuse pour le luxe, elle comporte néanmoins un risque majeur, celui de la
vulgarisation voire de la banalisation. Or, c’est l’écueil principal à éviter. A cette
démocratisation est aussi lié un phénomène sociétal important dans lequel le luxe joue un rôle
fondamental : l’estompement de la stratification sociale historique. A l’origine, le luxe est le
résultat visible et volontairement ostensible d’une « stratification sociale héritée » (rois,
prêtres, nobles versus tiers-état). Or, la pensée rationnelle issue de la « Philosophie des
lumières » du XVIIIe siècle a progressivement fait disparaître les éléments fondateurs de cette
structure sociale. Ce phénomène qualifié de « désenchantement » ou d’ « Entzauberung »,
caractéristique de la société occidentale actuelle décrite comme une société matérialiste où
toute stratification sociale d’ordre « transcendantal » a disparu, a été analysé par Max Weber5.
Ce besoin de différenciation propre à chaque homme, en d’autres termes de se situer
socialement n’a lui en revanche pas disparu. C’est pourquoi cette stratification sociale est
indispensable. Or le luxe offre cette possibilité de recréer de la stratification sociale
démocratique. Chacun est en effet libre de définir ses strates à l’image de ses propres rêves.
En résumé, le luxe est un marqueur social permettant de situer socialement l’individu.
Un deuxième moteur à l’œuvre de ce changement d’ère est la hausse du pouvoir
d’achat, notamment à partir de 1950, du fait de la hausse des salaires et de la baisse des
produits manufacturés. Couplé à une logique de démocratisation, il est l’une des causes
fondatrice de la croissance du luxe.
Le troisième et dernier facteur à l’œuvre est celui de la mondialisation, qui permet un
accès non seulement à des produits tout à faits nouveaux et source de luxe, mais à des cultures
différentes, sources d’émotions et génératrices de désirs nouveaux et enfin l’accès à des
marchés potentiellement intéressants. Ce dernier point comporte néanmoins un risque majeur
5
M. Weber, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, Gallimard, 2004
4 que nous évoquerons plus tard, celui des stratégies de distribution et de la délocalisation.
Soyons dès à présent clair : un produit dont la production est délocalisée n’est plus un produit
de luxe. En se délocalisant il se défait en effet de la parcelle du sol natal et des racines
culturelles qu’il porte avec lui.
Démocratisation du luxe, hausse du pouvoir d’achat global et mondialisation
constituent donc trois moteurs puissants et caractéristiques de la société dans laquelle nous
vivons.
Un paradoxe criant nécessite d’être soulevé. En quoi le luxe, tel que définit par ses
composantes intrinsèques que sont l’art, la rareté, le raffinement, la créativité, les savoirfaire artisanaux authentiques, l’histoire, est – il compatible avec la croissance fulgurante
du secteur, à laquelle nous assistons ? - Croissance caractérisée par l’extension du nombre
de personnes riches et l’émergence de classes moyennes dans les pays émergents ?
Le modèle français du luxe tel que nous le connaissons est-il durable ? Si tel est le cas
comment adapter les stratégies de management du luxe aux nouveaux enjeux et
problématiques du secteur ?
✬✬✬
Ce mémoire est le fruit d’un long travail de recherches et d’analyses. Force est de
préciser qu’ayant trait aux stratégies menées par de grands groupes de luxe et, au vu du
caractère mystérieux et confidentiel qui caractérise l’univers du luxe, une méthodologie de
travail particulière a dû être mise en œuvre. Ce document a été réalisé avec l’aide de certains
professionnels travaillant pour de grands groupes de luxe ou étant membres d’associations
regroupant des professionnels du luxe. La plupart des témoignages récoltés et entretiens
conduits sont entourés d’un halo de confidentialité ; les personnes interviewées ne souhaitant
pas, la plupart du temps être citées dans le rapport final ou les éléments ayant été récoltés de
manière non officielle. Bien que les éléments communiqués aient été fidèlement retranscrits
dans ce travail, les noms desdites personnes n’apparaissent donc pas dans le document final.
Ce mémoire s’appuie sur un certain nombre d’ouvrages de référence du secteur
comme Luxe Oblige de Jean-Noël Kapferer et Vincent Bastien ou Luxe de Jean Castarède6. Il
se base également sur la lecture d’analyses de l’évolution du secteur telles que l’étude Xerfi
portant sur l’analyse du marché et des tendances du luxe à l’horizon 2010-20157 et l’étude
6
J. Castarède, Luxe – Que sais-je ?, PUF, 2012.
« Les groupes de luxe dans le monde : Analyse du marché – tendances 2010-2015 – Stratégies des acteurs »,
Xerfi Global, 2009
7
5 Eurostaf8 portant sur le marché global du luxe. Enfin ce mémoire a été réalisé sur la base de
nombreuses lectures incluant des revues de référence du secteur, des articles de la presse
quotidienne et de la presse spécialisée et de quelques essais réalisés par des spécialistes9
français du luxe.
Au vu du format et des règles qui définissent le cadre de ce travail, le périmètre choisi
pour réaliser ce mémoire est celui des grandes marques et maisons de luxe françaises. Afin
d’apporter une réflexion globale et complète, et de tenter d’ébaucher des propositions
stratégiques adaptables au secteur, il a volontairement été choisi de ne pas centrer ce mémoire
sur une maison en particulier ni de faire de focus trop précis sur un ensemble de grandes
maisons de luxe. Une telle démarche aurait en effet considérablement alourdi ce travail par
une masse d’informations peu nécessaires, et n’aurait pas permis la vision globale et
comparée ce travail s’efforce de présenter. La tentative d’apport d’une réponse à la
problématique soulevée aurait également été plus ardue.
Je tiens par ailleurs à souligner le fait que ce travail ne consiste en aucun cas en une
restitution complète et exhaustive de toutes les problématiques stratégiques auxquelles font
face actuellement les grandes maisons de luxe françaises. Il vise à mettre en lumière des
concepts choisis pour leur intérêt dans le cadre de ma réflexion, soulève des enjeux
fondamentaux tels que ceux de la démocratisation, de la gestion de la notion de rareté si chère
à l’univers du luxe ou encore du défis du numérique, et vise à apporter des éléments de
réponse concernant les stratégie de management à adopter.
Afin d’apporter quelques éclairages et éléments de réponse à la problématique
développée ci dessus, le mémoire qui suit se décompose en deux parties.
La première partie vise à opérer un retour sur les fondamentaux du luxe afin de
comprendre ce qui constitue et définit réellement une marque de luxe. Un premier chapitre
s’attache ainsi à analyser les composantes fondamentales du luxe en le séparant
définitivement des produits premium et haut de gamme, et en exposant les différents critères
et facettes qui le constituent. Cette étape est importante car elle permet de comprendre, en
développant notamment un marketing - mix du luxe, pourquoi il ne faut surtout pas appliquer
au luxe les règles du marketing classique et traditionnel. Face à une vague de croissance du
secteur et de démocratisation des produits, nous verrons combien il est parfois difficile de
8
9
D. David et A. Fontanet, « Les groupes de luxe dans le monde », Xerfi Global, 2009
O. Assouly, Le Luxe : Essais sur la fabrique de l’ostentation, IFM/Regard, 2011
6 résister aux sirènes de l’accroissement des bénéfices qui impliquent hausse des ventes et donc
vulgarisation des produits. Le second chapitre s’attache lui à exposer et analyser un panorama
des différentes parties prenantes soulignant tour à tour les forces en présence et leur
répartition sur le marché, et les différents clients du luxe. Cette étape est également
fondamentale dans la mesure où elle vise à souligner les différences culturelles existant entre
les différents acheteurs et les conceptions opposées de rapport au luxe qu’elles impliquent.
Elles n’entraînent pas les mêmes logiques de consommation. C’est en effet sur la
compréhension fine des composantes individuelles qui structurent l’achat que se dessinent des
ébauches de stratégies d’adaptation à l’ère de la grande consommation.
La seconde partie de ce document s’efforce de dégager les perspectives stratégiques
des grands groupes de luxe à l’horizon de 2020. Nous avons défini avec précision les
composantes d’une vraie stratégie luxe en première partie. Nous décrirons dans un premier
chapitre les différents business modèles du luxe et leurs stratégies de croissance associées.
Cette partie présente une analyse comparée des stratégies de distribution et de croissance
externe des grands groupes de luxe français. Elle vise à présenter un panorama global des
stratégies à l’œuvre dans le secteur du luxe. Une fois définies, nous verrons dans un deuxième
chapitre combien il est important de les maintenir, de les renforcer voire parfois de les adapter
afin de relever les défis apportés par la nouvelles ère : démocratisation des produits de luxe et
risque d’épuisement de la notion de rareté, et challenge des stratégies numériques et de la
vente sur internet. L’intérêt de ce dernier point est de rendre compte des nombreux défis
auquel le luxe doit faire face et de voir sur quels points de la stratégie les maisons de luxe
doivent s’appuyer pour dépasser ces obstacles et garder des stratégies de luxe. Cette dernière
partie vise également à montrer que le luxe tel que nous le connaissons peut être amené à se
transformer, du fait notamment de la multiplication des relais de croissance dans les pays
émergents. Puisque le luxe passe d’une production occidentale à une consommation qui n’est
plus uniquement occidentale, l’avenir du luxe ne s’inscrirait-il pas dans une logique de
renforcement de la concurrence dans les pays émergents ? Cette nouvelle forme d’émulation
ne parviendrait-elle pas à enraciner la durabilité du luxe ?
✬✬✬
7 Première partie -
Retour sur les fondamentaux du luxe
La kyrielle de vocables – « hyperluxe », « luxe accessible », « populuxe » - désignant
le luxe rend compte d’une réalité bien présente. En accroissant la difficulté de définition des
contours et des frontières du concept, cette adjonction quasi-systématique d’adjectifs nous
rappelle que le luxe est devenu imprécis et surtout qu’il se vide progressivement de son sens.
Cette première partie vise à produire une définition plus claire de ce qui fait et de ce qui est
luxe. Elle est subdivisée en deux sous-parties : la première s’appuyant sur des concepts issus
de la théorie et visant à rappeler les fondamentaux du luxe, la seconde visant à présenter un
panorama des acteurs et clients du luxe afin de mieux appréhender les stratégies de
management à appliquer.
Chapitre 1-
Analyse des composantes fondamentales du luxe
Il convient tout d’abord d’analyser les composantes inhérentes au concept de luxe.
Nous reviendrons dans un premier sur la définition dudit concept et dans un second temps sur
une analyse du marketing-mix du luxe.
Section 1-
Le concept de luxe
Afin de définir le concept de luxe, il convient d’opérer une distinction entre luxe et
premium, d’analyser en profondeur les critères inhérents à sa définition et d’en soulever les
multiples facettes.
(I)
De la différence capitale entre luxe et premium
La floraison de nouveaux concepts ayant trait au luxe est caractéristique de notre
époque. Nous les avons déjà nommés, il s’agit de termes tels que « mass luxury »,
« masstige » 10 ou encore « populuxe ». Cette multitude de vocables, à la fois source
d’ambiguïté et de confusion, reflète en fait deux stratégies : une volonté de montée de gamme
de la part de marques premium et une certaine dérive des marques de luxe qui cherchent à
élargir leur clientèle afin de réaliser des profits que leur activité d’origine, le luxe, ne leur
10
Le « masstige » est une contraction contre-nature des termes « mass market » et « prestige ». Cette stratégie de
montée de gamme ou « trading up » est couramment utilisée par les marques moyen de gamme voire haut de
gamme pour donner une image plus « luxe » à leurs produits. H&M avec ces collections limitées signées Karl
Lagarfeld, Sonia Rykiel ou Roberto Cavalli est maître en la matière.
8 permet plus d’atteindre. Fortement préjudiciable au vrai luxe, cette confusion viserait presque
à faire croire qu’il existe une échelle du prestige entre la marque de masse et le luxe, que l’on
pourrait gravir. Or cela est absurde. Une marque est luxe ou ne l’est pas.
Cette première remarque démontre que la frontière parfois ténue entre luxe et premium n’est
autre que le fait des grandes marques à l’image de l’Oréal ou Procter & Gamble qui ont
intérêt à brouiller les pistes.
Plusieurs lignes de pensées caractérisent le rapport entre luxe et premium. La
définition de la conception du luxe étant subjective, aucune d’entre elles ne fait néanmoins
autorité. Ainsi, les théoricien en marketing Peter Doyle et Philippe Stern11 considèrent que le
« luxe » s’analyse comme l’extrapolation vers le haut (comprendre le prix) des produits
« premium ». Le luxe serait en fait une sorte d’ultra-premium. Cela reviendrait à dire qu’il
suffit d’augmenter le prix d’un produit premium pour en faire un produit de luxe. Ce schéma
de pensée bien qu’intéressant est très éloigné de la réalité terrain. Comme le précise JeanNoël Kapferer12, si le luxe n’était pas une catégorie spécifique, et uniquement une sorte de
« super-premium », L’Oréal ou Procter & Gamble seraient des « empereurs du luxe ». Or, ni
L’Oréal malgré le rachat de Lanvin en 1990, ni Unilever ou Procter & Gamble ne sont
reconnus comme des groupes de luxe.
C’est pourquoi il convient de différencier le premium et le luxe. Aucun n’est supérieur
ni meilleur que l’autre. Il s’agit tout simplement de stratégies qui visent des objectifs
différents. Alors que le premium s’appuie sur une stratégie de marketing classique
traditionnelle, ayant pour principal objectif l’accroissement du chiffre des ventes, le luxe lui
repose sur une stratégie incorporant un potentiel de rêve et une dimension légendaire et obéit
donc à ses propres lois. Il faut souligner au passage que le passage du premium au luxe, bien
que parfois réussi par de grandes marques13, ne va pas de soi. Cette montée en gamme n’est
en effet pas continue. Pour résumer, augmenter ses prix sans changer de stratégie ni de
référents conduit à des échecs cuisants. Le Luxe n’est en effet pas le « premium » « en
mieux ». En atteste l’échec du groupe automobile Ford qui, au début des années 1990 avait
décidé de se développer dans le luxe en créant un pôle appelé Premier Automotive Group
(PAG) suite au rachat de marques prestigieuses comme Jaguar et Aston Martin et de marques
premiums comme Land Rover et Volvo. L’idée était d’appliquer à ce pôle les méthodes Ford
11
P. Doyle, P. Stern, Marketing Management and Strategy, Prentice Hall 1994
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 64
13
Moncler – inventeur de la « doudoune » - en changeant de business model et de referents est en effet passé du
premium au luxe. Après son rachat par un groupe italien, la marque est en effet passée d’une reputation « superpremium » au statut d’ « icône de l’urban streetwear » associant la performance à l’art et au design.
12
9 dans le but d’accroître la profitabilité du groupe. Malgré les investissements massifs, PAG est
toujours resté dans le rouge et a même pénalisé gravement le groupe14. Tant et si bien que
Ford a décidé de se séparer de sa filiale luxe en 2007. L’erreur tient donc ici à une
incompréhension totale de ce qu’est le luxe. Une conclusion s’impose donc : il est vrai que le
premium prolonge les stratégies classiques de marketing. Le luxe, lui obéit à d’autres lois.
L’origine de cette confusion est due à deux erreurs majeures : croire que le prix à lui
seul fait le luxe et faire converger les genres d’autres part. Si la première erreur est aisément
compréhensible, la seconde mérite d’être explicitée. L’accumulation des genres, très actuelle
d’ailleurs, a lieu quand une maison dotée d’un certain prestige vend à la fois des produits de
luxe, haut de gamme, voire de masse. A titre d’exemple, Chanel, grande maison française est
une griffe de luxe dirigée par Karl Lagarfeld et marque de luxe lorsque l’on s’intéresse aux
montres ou à la maroquinerie. Les lunettes vendues chez Optic 2000 relèvent quand à elles de
la marque premium (à la fois en termes de prix et de mode de distribution). La convergence
des genres est elle caractérisée par le fait que des marques non-luxe s’inspirent fortement des
stratégies de luxe et entretiennent ce brouillage qui leur est favorable. Citons par exemple
American Express qui pratique ouvertement la montée en gamme (« trading up ») en créant
des cartes toujours plus sélectives comme la carte Platinum, H&M qui crée des collections
capsules griffées Karl Lagarfeld ou Lanvin, Sephora qui développe les codes du luxe dans ses
points de vente ou encore le vin mousseux Kriter qui sponsorise Yachts et régates, comme le
ferait une grande maison de Champagne.
(II)
Catégoriser un produit luxe : Sept critères déterminants
L’antagonisme entre luxe et premium étant dépassé, il s’agit à présent de voir quelle
définition émerge sur la perception du luxe par les clients du monde entier. Afin de définir le
concept de luxe, il convient de comprendre quelles dimensions structurent leur
compréhension de ce qu’ils estiment être du luxe. Selon trois études fondatrices (Kapferer
(1998), Vigneron et Johnson (1999), Dubois et Czellar (2001)), sept critères fondateurs
permettent de catégoriser ou non un objet comme appartenant au luxe :
-
(1) Le produit doit tout d’abord être « porteur d’émotion, d’esthétique, de plaisir,
d’une expérience hédoniste » (c’est à dire dont le seul objectif est la satisfaction d’un
plaisir)
Il doit de plus :
14
En 2004 PAG enregistrait en effet une perte de 740 millions de dollars, plongeant le groupe Ford dans une
période difficile. En 2006, les pertes de PAG s’élevaient à 245 millions de dollars.
10 -
(2) être extrêmement qualitatif et durer dans le temps
-
(3) avoir été acquis à un prix nettement supérieur à ce que la fonction considérée seule
imposerait
-
(4) être intimement lié à un héritage, une culture, une histoire, un savoir-faire
-
(5) être exclusivement disponible dans des points de vente dûment sélectionnés
-
(6) être accompagné de services personnalisés
-
(7) agir comme un fort marqueur social et procurer au client un sentiment de privilège
intense
Tous ces critères sont nécessaires pour qualifier un produit de luxe. Néanmoins, leur
poids relatif peut varier, c’est ce qui explique l’existence de différentes attentes à l’égard du
luxe, et donc l’existence de différents profils de marques de luxe.
Attardons nous quelques instants sur ces critères. Le critère (2) distingue par exemple
le luxe de la mode. La notion de qualité inhérente au luxe n’est que de faible importance pour
la mode, cette dernière n’étant pas faite pour durer. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle sa
production a été délocalisée dans des pays où le prix de la main d’œuvre est faible.
Les critères (3), (4) et (7) distinguent quant à eux le luxe du premium, ce dernier justifiant son
prix par une comparaison objective (par rapport qualité / prix). Pour le luxe ce n’est pas le
prix absolu qui compte mais l’écart avec le prix du produit premium. Le luxe agit également
comme stratifiant social. Du luxe découle en fait une dualité. Le luxe possède deux fonctions :
l’une sociale (l’affirmation de la réussite sociale à l’égard des autres – l’objet de luxe faisant
de son possesseur une personne à part et remplissant ainsi une fonction de reconnaissance
essentielle du luxe), l’autre personnelle (la recherche du plaisir individuel). Ajoutons
également que pour jouer le rôle de « stratifiant social », et donc pour recréer l’écart, il faut
que le signalement soit connu de ceux qui comptent (d’une grande majorité pour Ferrari,
d’une petite minorité pour les montres Breguet). A ces critères s’ajoutent ceux liés à la
notoriété et au reflet d’élégance et de raffinement, directement liés à la fonction ontologique
(recréer l’écart) du luxe. Agissant comme stratifiant social, il est de première importance que
le caractère hiérarchique de la marque soit connu à la fois par la clientèle visée, et au-delà.
Plus schématiquement, l’objectif de la publicité de Rolex n’est pas bien sûr de faire vendre
mais de faire en sorte que le futur client qui a les moyens de s’offrir une Rolex soit content
que ceux qui ne peuvent s’en acheter une sachent précisément ce que Rolex signifie. Enfin, il
convient de noter que la notion de rareté ne ressort pas de cette classification comme critère
indépendant. Elle est en fait la conséquence directe de ce faisceau de critères.
11 Les principaux critères permettant de catégoriser un produit comme étant ou non du
luxe présentés, il convient à présent de poursuivre l’exploration de ce qui constitue la
spécificité du luxe, en examinant notamment la nature exacte des liens que le luxe entretient
avec des notions qui lui sont spontanément associées (rareté, exclusivité, rapport au temps, à
la tradition, au travail fait main…) en revenant notamment sur les lien qu’il entretient avec
l’argent, la mode et le l’art.
(III)
Les facettes du luxe
Le luxe entretient des liens forts avec un certain nombre de notions que nous avons
déjà abordées. Ces dernières nécessitent néanmoins plus amples explications afin
d’appréhender plus finement ce qui fait l’extrême spécificité des produits de luxe.
(A) Le luxe est superlatif, jamais comparatif
Le luxe est caractérisé par une dimension « non comparative ». Cela s’explique par le
fait qu’il ne se réfère qu’à lui-même et aux standards qu’il s’est lui même donné, et dont
précisons le, chaque objet espère être le digne héritier. D’où les notions d’héritage, de respect
des valeurs et de la tradition qui lui sont liées. Il faut donc connaître un objet pour en
apprécier sa vraie valeur. Une Porsche et une Ferrari ne sont pas comparables dans la mesure
ou elles appartiennent toutes deux à des univers et à une culture différents. Elles incarnent
certes toutes deux la lignée des pur-sang automobiles dont le prestige s’est construit lors de
« joutes mécaniques mortelles où s’affrontent ces destriers hyper-technologiques, élégants,
montés par les héros au service du pays »15, mais il ne faut pas oublier que si Ferrari est le
coursier de l’Italie, Porsche est celui de l’Allemagne ! Les comparer serait montrer combien
on est inculte, au sens où l’on ne serait pas capable de comprendre ce qui fonde la spécificité
de chaque marque.
L’idée selon laquelle le luxe ne se compare pas est donc fondatrice : elle explique par ailleurs,
et nous le verrons plus loin, son mode singulier de commercialisation et de communication.
(B)
Revenus financiers et capital culturel : deux facteurs de la
consommation du luxe
15
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 80
12 Nous avons déjà évoqué l’idée selon laquelle le prix ne fait pas le luxe. En effet, un
Château Mouton Rothschild Pauillac ne se définit pas par son seul prix. C’est en effet
l’enracinement historique et géographique, le temps incorporé en lui, les savoir-faire
traditionnels, la légende et le prestige de la marque qui font de lui un objet de luxe, concentré
de culturel. Nous touchons à un élément fondamental dans la conception du luxe. Il faut un
bagage culturel pour apprécier le luxe en tant que tel. Des études démontrent en fait que deux
facteurs permettent d’expliquer le taux de consommation des produits de luxe. Il s’agit
d’abord du capital culturel des individus (ce capital accroît en effet la compréhension de la
dimension d’unicité et de rareté des produits), et de leurs revenus financiers. L’exemple de la
réussite sans précédent de la marque Louis Vuitton (groupe LVMH) au Japon démontre la
véracité de cet argument. Si le succès de la marque est dû à plusieurs raisons, une reste
cependant très méconnue. Au début de son implantation au Japon, Louis Vuitton bénéficiait
déjà d’une grande renommée et surtout d’une forte légitimité auprès des classes dirigeantes.
La toile Monogram, créée en 1892, est composée de petits signes géométriques qui
représentent des motifs abstraits pour l’occidental moyen. Ce sont en fait des signes « mon »
liés à « l’héraldique japonaise ». Il faut préciser qu’au début des années 1890, un courant
japonisant traversa l’Europe et influença nettement le dessin de la toile. Or, ceci fut tout de
suite décodé par les japonais comme un signe de grande valeur. La culture couplée à des
revenus plutôt élevés sont donc des facteurs qui expliquent la logique de consommation des
biens de luxe. Nous reviendrons plus tard sur les différences de cultures et leurs impacts sur
les modes de consommation du luxe.
Afin de clore cette sous-partie sur les fondements du luxe et de pouvoir analyser plus
profondément les caractéristiques du marketing-mix du luxe, il convient d’aller au fond de
cette réflexion sur la relation entre luxe mode et art, concepts sociaux culturels qui s’articulent
avec lui.
(C)
Luxe et mode
La relation qu’entretiennent le luxe et la mode relève d’une profonde ambiguïté. Le
luxe n’est-il pas « à la mode » ? Historiquement, ces deux notions étaient intimement liées,
seules les classes sociales favorisées pouvant se permettre de renouveler leur garde-robe alors
que celle-ci n’était pas usée. C’est au XXe siècle que luxe et mode ont pris des chemins
différents, et aujourd’hui la zone de recouvrement entre les deux notions est faible.
Néanmoins, bien que chacun ait une fonction sociologique propre : luxe - créateur d’écart
13 dans la société - et mode - recréant le rythme des saisons aboli par l’urbanisation16 - sont
pourtant parfaitement antinomiques. En atteste le rapport qu’ils entretiennent au temps
(pérennité pour le luxe qui prend de la valeur avec le temps vs périssabilité pour la mode), et
le rapport à soi (le luxe est aussi pour soi, contrairement à la mode). La figure suivante
schématise le raisonnement que nous venons de dérouler.
Figure 1 : triangle des positionnements luxe, premium et mode
Luxe
Élévation sociale
Hors du temps
Sans prix
Cadeau
Rêve
Imitation sociale
Instant éphémère
Séduction
Réalisme
Mode
Rapport qualité / prix
Investissement
Performances
Premium
Frivolité
Sérieux
(D) Luxe et art
Ces deux concepts connexes comportent à la fois bon nombre de similitudes et de
différences. Historiquement, les deux sont indissociables. Les objets que l’on retrouve dans
les tombes (masque mortuaire, bijoux, statuettes etc.) sont à la fois des objets d’art et de luxe.
Ces deux concepts sont fortement liés à la notion d’esthétique, cette dernière étant la raison
d’être de l’art et la condition indispensable du luxe et voient aussi leur valeur croître avec le
temps. De plus, leur valeur symbolique est très forte. Luxe et art sont en effet des marqueurs
16
La fonction sociale de la mode telle que définie par Jean-Noël Kapferer, peut en effet s’analyser de la façon
suivante : si la vie au sein d’une ville de taille relativement grande devient progressivement la règle, il ne faut
pas oublier que 99% de la vie de l’humanité s’est déroulée autour d’un petit noyau familial parfaitement intégré
à la nature. La mode, pourrait avoir cette fonction de réappropriation du temps voire de recréation de l’illusion
du temps, et notamment des saisons.
14 sociologiques très puissants : la haute joaillerie se conçoit aussi bien comme un luxe et un art,
tout comme l’architecture d’un château. L’utilité pratique quant à elle, (la valeur d’usage en
économie) est secondaire pour le luxe comme pour l’art. Soulignons cependant une des
différences fondamentales entre luxe et art : si elle est parfois faible pour l’objet de luxe (du
moins comparé à sa valeur symbolique), l’utilité pratique d’un objet d’art « pur » est toujours
nulle.
En résumé, il est intéressant de voir que le luxe tout comme l’art procèdent d’une
volonté d’élévation de soi, et ce dans les deux dimensions qui constituent le luxe : pour soi, et
à l’égard des autres. Le luxe – prenons l’exemple d’un thé dans un Palace parisien comme le
Crillon - se vit comme une expérience raffinée, une parenthèse de beauté qui rehausse un
instant, même très bref, le niveau de notre vie quotidienne. Le luxe contient une dimension
transcendantale, porteuse de rêve, de magie et qui offre à l’individu qui le consomme un
sentiment d’unicité et de félicité. Luxe et art, promeuvent ainsi une consommation et des
valeurs qui s’étendent bien au delà de la fonctionnalité de l’objet. Ils justifient d’ailleurs le
sacrifice parfois très élevé réalisé par le client, qu’il concerne le prix ou le temps, et ce, bien
que l’objet ne soit pas foncièrement « utile ». C’est bien là ce qui le différencie de la catégorie
premium, dans laquelle tout se mesure en rapport qualité / prix.
Plus loin dans ce mémoire, nous verrons d’ailleurs en quoi l’art est une forme de
caution pour le luxe et comment par une stratégie de renforcement du rapport à l’art, le luxe
peut contourner la banalisation de ces produits.
Section 2-
Analyse substantielle du Marketing – Mix du luxe
Nous venons de brosser un tableau précis des fondements sur lequel repose le concept
de luxe. Il convient à présent d’analyser ce que l’on appelle communément le marketing –
mix, qui se conçoit comme une technique d’analyse regroupant l’ensemble des éléments et
des décisions relatives aux politiques produit, prix, distribution et communication. L’intérêt
d’une telle démarche s’explique par le fait que le luxe obéit à une stratégie au cadre rigide et
singulier. Le marketing – mix du luxe est ainsi fondamentalement différent d’un marketingmix s’appliquant à des biens premium ou haut de gamme.
(I)
La politique produit : ce qui fait le luxe
15 Soulignons que dans le luxe, tout commence par le produit. L’objectifs de ce
paragraphe est de voir quels sont les principes essentiels de la gestion des produits de luxe. En
effet, que faut-il à un produit pour devenir intrinsèquement source de plaisir intime et
d’aspiration pour les autres ?
Précisons tout d’abord que la marque est consubstantielle au produit de luxe. Les
objets de luxe ne sont donc uniquement que des objets de marques de luxe. Seul un diamant
est un objet de luxe sans marque. A contrario, un pull-over authentique en laine irlandaise ou
un couteau de poche Opinel sont certes des objets rares, pétris d’authenticité et d’histoire,
issus d’un savoir-faire artisanal, mais ne constituent pas des objets de luxe. C’est là toute la
différence avec l’artisanat de qualité. La principale raison étant l’effet de création d’écart
vertical propre au luxe. Bien que nous ayons déjà évoqué le sujet, attardons nous un instant.
La différence entre les objets authentiques et de luxe tient donc en partie au fait que seul les
derniers sont des facteurs de stratification sociale. La marque de luxe confère donc à l’objet
son statut de luxe dans le sens où elle renvoie à une stratification sociale et culturelle latente,
et fait du possesseur de l’objet une personne à part.
Il faut également préciser que dans luxe, un produit inclut toujours un objet et un
service. Cela signifie donc qu’un produit de luxe à vocation à se muer en expérience
individuelle complète, en vécu « polysensoriel » au cours du temps pour l’acheteur. A titre
d’exemple, citons le layetier Louis Vuitton, qui, à l’origine n’était pas un fabricant de malle
mais qui venait tout simplement emballer les effets personnels de ses clients, à domicile,
avant que ceux-ci ne partent en voyage. De fil en aiguille, Louis Vuitton a inventé une
première malle, plate et étanche, facilitant grandement à l’époque des chemins de fer et des
paquebots, la manutention et surtout l’empilage de ces dernières. Il est ainsi devenu malletier
et a ouvert un premier atelier de fabrication de malles de voyages, puis fait succès comme
nous le savons tous. Même après l’ouverture du premier magasin, Louis Vuitton a toujours
maintenu un service pour ses meilleurs clients. En effet, jusqu’à la fermeture du magasin situé
Avenue Marceau, à Paris, ces derniers pouvaient choisir de laisser au magasin leurs affaires
dans leur malle. Cet exemple permet de comprendre deux idées importantes. Il est évident que
l’importance relative des composants objet – service varie en fonction du secteur : plutôt objet
dans le cadre d’accessoire pour la personne, essentiellement service dans le cadre de
l’hôtellerie et des loisirs. Néanmoins, c’est cet assemblage objet-service qui forme le produit
de luxe et que le client est disposé à payer de façon claire et parfaitement consciente.
16 Pour comprendre ce qui fait exactement un produit de luxe, il convient de maîtriser
trois concepts : l’intégration de la dimension « de rêve » du produit, l’appréhension de la
spécificité de l’univers concurrentiel et enfin, le rapport à la culture et à la géolocalisation.
(A) Comprendre la part de rêve du produit
A. Maslow17 a théorisé la pyramide de Maslow incluant trois niveaux croissants de
nécessité : physiologique, appartenance et réalisation de soi. Par construction, on peut définir
trois niveaux croissants de « sophistication de la relation à l’objet » (Kapferer, 2012)18 :
besoin, désir et rêve. Dans cette configuration, le besoin est objectif et a besoin d’être assouvi
au plus vite. C’est là le rôle de l’industrie classique. Le désir est quant à lui est plus subjectif
car il correspond à une envie, à un besoin irrépressible d’acheter par exemple, suivi d’une
extinction de ce désir, voire même de déception une fois satisfait. Au désir correspondent les
stratégies mode et premium, qui, conscientes de la dimension substituable du désir, n’ont de
cesse d’entretenir systématiquement ce désir, via la publicité. Le rêve quant à lui est
consubstantiel à l’homme. Il n’a pas besoin d’être satisfait immédiatement – bien au contraire.
C’est parfois même la simple existence du rêve qui suffit à rendre heureux (certains rêvent par
exemple de posséder une Rolls Royce mais savent pertinemment qu’ils n’auront jamais les
moyens de se l’offrir). Le rêve relève de la stratégie de luxe. Le rêve supplante en fait le
besoin et le désir, et le rôle du produit de luxe n’est pas de répondre au besoin ou au désir
mais d’entretenir le rêve de l’individu. C’est là une fonction essentielle du produit de luxe. De
cette fonction découle par ailleurs une particularité de l’univers du luxe. Incarner le rêve d’un
individu dans un produit permet de créer de nouveaux produits sur le marché existant sans
entrer forcément en concurrence directe avec les produits existant et leur prendre des parts de
marché. Le marché n’est bien sûr pas extensible à l’infini, mais en règle générale, dans
l’univers du luxe, une nouvelle proposition de produit est souvent possible dans la mesure où
le marché est difficilement saturable, et ce, contrairement au marché des biens de
consommation. L’univers concurrentiel de luxe est abordé plus précisément ci-dessous.
(B)
Appréhender l’univers concurrentiel des produits de luxe
17
Abraham Maslow (1er avril 1908 – 8 juin 1970) est un psychologue américain, célèbre pour avoir développé
l’approche humaniste, et surtout connu pour la conceptualisation de la pyramide des besoins qui donné une
explication de la motivation en hiérarchisant les besoins. Selon lui, un homme n’atteint un développement
optimal de son psychisme que s’il est satisfait sur les plans relatifs à la physiologie, la sécurité, l’amour,
l’estime, la reconnaissance, et l’accomplissement de soi.
18
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 42
17 Rappelons que dans l’univers des biens de consommation, la concurrence est rude. Un
produit est en concurrence directe avec un autre produit qui remplit la même fonction (la
compétition a lieu entre des pâtes Barilla et Panzani, entre une Renault et une Citroën). Or, il
n’en va pas de même pour les produits de luxe. Il existe bien sûr un certain degré de
compétition entre un sac à main Louis Vuitton et Hermès, entre un parfum Guerlain et Dior,
mais en réalité, le champ de compétition des produits de luxe est infiniment plus vaste. Le
produit s’inscrit en effet dans le domaine du rêve, du désir intime, et du plaisir hédoniste.
Ainsi, un sac Hermès sera non seulement en compétition avec un autre sac griffé Louis
Vuitton ou même Chanel, mais sera aussi en compétition avec une bague Cartier ou encore un
week-end dans un grand palace pour un anniversaire. Ceci explique d’ailleurs pourquoi les
maisons de luxe ont pour habitude de se regrouper entre elles afin d’organiser des évènements
en commun et ainsi élargir leur clientèle potentielle ensemble plutôt que de se mener un
guerre concurrentielle féroce.
(C)
De l’organisation de la production comme levier d’imaginaire à
l’interdiction de l’externalisation et de la délocalisation pour une
marque de luxe
Nous avons déjà énoncé l’idée selon laquelle, un produit de luxe est profondément
ancré dans une culture. Ainsi, lorsqu’un individu achète un produit de luxe, il acquiert une
part de l’imaginaire d’une culture ou d’un pays. C’est précisément la raison pour laquelle la
production du produit doit être strictement ancrée dans une culture et située
géographiquement (enracinement local du produit). Il peut par exemple s’agir d’un lieu défini
avec précision (les dentelles du Puy), d’une région (Champagne ou encore caviar provenant
de la mer Caspienne), ou encore d’un pays (made in Germany pour l’automobile (BMW) ou
made in France pour la maroquinerie (Louis Vuitton)). L’enracinement local contribue en
effet à faire croître la valeur du produit. Peut-on dire qu’une Mercedes fabriquée dans un pays
en développement comme le Mexique est encore une Mercedes ?
Prenons l’exemple de BMW, qui poursuit depuis plusieurs années avec succès d’ailleurs, une
stratégie de luxe. Le haut de sa gamme est toujours produit en Allemagne car cela est au cœur
de l’identité de la marque. Toute BMW se conçoit en effet comme une véritable émanation de
la culture et du savoir-faire allemand. En revanche, BMW a maintenu la production de la
Mini en Grande-Bretagne et produit aux Etats-Unis et même en Thaïlande des modèles
courants de la série 3. Ces modèles dont la production est délocalisée et auxquels BMW
n’applique pas de stratégie luxe ne peuvent pas être considérés comme des produits de luxe.
18 Cela est parfaitement réfléchi chez BMW qui se sert de cette gamme de produit comme
produit d’accès à l’univers de la marque : un acquéreur de série 3 est ainsi initié aux valeurs et
à l’univers de la marque achètera une « vraie BMW » produite en Allemagne, (made in
Germany) dès qu’il le pourra. Cet exemple nous amène donc à édicter une loi fondamentale
du luxe : contrairement aux biens de consommation qui recherchent instamment la réduction
du prix de revient et pratiquent massivement l’externalisation ou la délocalisation de leur
production, le luxe, du fait de ses spécificités – enracinement historique et territorial lui
conférant une aura particulière - ne peut avoir recourt à ces stratégies. Pire encore, adopter
cette stratégie consiste en un signal très clair d’abandon de stratégie de luxe. Délocaliser
revient donc à renier les fondamentaux du luxe en rompant le lien indispensable qui existe
entre le luxe et l’artisan. En externalisant ou en délocalisant, une marque de luxe démontre en
fait qu’elle renonce à se maintenir dans le luxe et accepte, pour des raisons économiques de
réduction de coûts, à perdre toute légitimité du fait de cette stratégie de délocalisation. Par
ailleurs, outre la perte de légitimité, notons que la dimension créative si chère au luxe ne peut
survivre dans le cadre d’une stratégie de délocalisation. Les équipes de création doivent en
effet être au plus près de la production pour que la créativité reste à la fois forte et originale.
La cause majeure de la disparition de la Haute-Couture en France (l’Italie en est aujourd’hui
le parangon), est due à la mort du métier de la confection en France. La fabrication du prêt-àporter qui a peu à peu quitté la France a en effet engendré la disparition progressive de la
Haute-Couture Française. On peut donc conclure en soulignant l’antinomie totale entre luxe,
externalisation et délocalisation.
(II)
La politique prix
Au terme de « luxe » est inconsciemment et intuitivement associée l’idée de
« cherté ». Bien que les deux soient intimement liés, il convient de rappeler qu’un produit ne
suffit pas d’être cher pour être luxe. C’est d’ailleurs souvent dans le prix que naît la confusion
entre produit haut de gamme et luxe ; et ce, en raison d’une analyse beaucoup trop rapide et
« unidimensionnelle » du prix (Kapferer, 2012)19 .
La différence fondamentale - en terme de stratégie prix - entre un bien de
consommation (qu’il soit premium ou non) et un produit de luxe, réside dans le fait que le
premier attire par des prix très compétitifs (les prix d’appel) qui voient leur seuil monter
lorsque l’on ajoute des options (le meilleur exemple étant le secteur automobile), alors que le
19
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 46
19 luxe n’a pas de prix dans l’absolu. Dit autrement, le prix indique en règle générale la « valeur
d’échange » d’un produit mais ce qui fait le luxe est la valeur symbolique. Le luxe intègre en
effet une valeur symbolique élevée, qui lui est d’ailleurs essentielle. Or cette dernière est
extrêmement difficile à chiffrer. De ce point découlent plusieurs stratégies en matière de prix.
(A) En matière de luxe, le prix supputé doit systématiquement être
supérieur au prix réel
La publicité autour des objets de luxe est très révélatrice de ce principe. Prenons par
exemple celle de Rolex et de son modèle phare Oyster Perpetual. Seuls figurent sur la
publicité l’égérie de la marque (Roger Federer en l’occurrence) et le produit, sans aucun
commentaire, ni bien évidemment d’indication de prix. Le prix imaginé doit en effet toujours
être nettement supérieur au prix réel demandé. Cela est dû au fait que ce prix imaginé et
supérieur à la réalité est créateur de valeur. Ce principe implique donc deux stratégies
spécifiques : communiquer le prix du luxe et vendre le prix de manière particulière.
Comment, quand et à qui communiquer le prix du luxe ? Ce point résume toute la
difficulté du management du prix propre au luxe. On se trouve en effet dans le domaine de
l’implicite et de la fonction ésotérique du luxe. Il faut préciser que bien souvent le prix d’un
objet de luxe est estimé ; on connaît l’ordre de grandeur. Toute la difficulté consiste alors à
communiquer le prix. En règle générale, la marque de luxe évite d’avoir à communiquer le
prix, qui se doit de préserver son aura mystérieuse. Tout le travail de la communication
consiste alors à positionner le produit de luxe au niveau de prix le plus haut possible, sans
jamais en parler et de façon à ce que le niveau de prix choisi reste cependant crédible. Quand
la marque de luxe est contrainte à divulguer le prix (par exemple dans les vitrines ou même de
façon plus générale) elle s’arrange toujours pour communiquer le prix le plus cher de sa
gamme de produit, afin de renforcer les dimensions de prestige et d’inaccessibilité.
Si l’on en revient au prix supputé supérieur à la réalité, il convient de noter que cela
engendre deux conséquences positives. Le luxe est très présent sur le marché du cadeau (qu’il
soit pour soi ou pour une tierce-personne). Première conséquence, cet effet de flou autour du
prix renforce généralement considérablement la valeur du cadeau. Deuxième conséquence, un
client néophyte, en découvrant le vrai prix est souvent très surpris (l’imaginant bien plus cher)
et se voit satisfait de son achat (la règle rapport qualité/prix est toujours présente et sousjacente même si l’on ne l’applique jamais directement dans le luxe). Cela « justifie » donc en
quelque sorte l’achat.
20 Cette réflexion nous amène donc à détailler un point important lié à la vente du prix
dans le luxe. On considère en effet qu’un produit de luxe ne se vend pas. Le client achète le
produit. Il ne reste donc, si l’on pousse ce raisonnement à l’extrême qu’à « vendre » le prix.
Le rôle du vendeur est ici clé car, il consiste par une exposition fine et audacieuse du produit,
de sa remarquable qualité, du raffinement des matériaux utilisés, du travail et du temps
incorporés dans l’objet, à vendre non pas le produit mais le prix de l’objet. Le but étant de
faire comprendre au client que pour la qualité et le prestige réunis au sein de l’objet qu’il
obtient, le prix est finalement peu élevé. Ce détail est très important dans la « réassurance
post-achat » (Kapferer, 2012) qui a toujours lieu.
(B)
Accroître le prix pour recréer l’écart et renforcer la demande
Contrairement aux biens de consommation, la dynamique de développement de la
clientèle du luxe n’est pas basée sur une augmentation du panel de clients due à la baisse
significative des prix d’accès (cela dévaloriserait la marque de luxe) mais sur une
augmentation du nombre de clients prêts à dépenser pour accéder à la marque de luxe. Il faut
donc bien comprendre que le « lancement » d’une gamme de produits dont le prix est plus
faible pour attirer une clientèle moins aisée est une sorte d’aveu de faiblesse de la marque
(c’est même un signe avant-coureur de l’abandon de stratégie de luxe), sauf si bien sûr cette
nouvelle ligne est gérée avec tous les codes du luxe et est introduite conjointement à d’autres
articles beaucoup plus chers. La marque démontre dans ce cas qu’elle ne lance pas une
gamme parce qu’elle cherche à atteindre une couche de la population plus modeste pour
accroître ses bénéfices, mais que cette stratégie est pensée en amont et vise à atteindre une
nouvelle couche de la population dans le but de lui faire découvrir l’univers de la marque et,
de l’initier aux valeurs du groupe en quelque sorte. Le lancement d’une nouvelle gamme,
même si elle est moins chère doit donc démontrer qu’il ne s’agit pas d’une stratégie de
faiblesse et doit se trouver confortée par l’introduction de produits très haut de gamme. C’est
d’ailleurs ce mécanisme qui fait croître le prix moyen du cœur de métier de la gamme. C’est
par exemple la stratégie qu’a suivie Louis Vuitton en 1986 en introduisant sa gamme de
maroquinerie « Epi ». La ligne Epi a été lancée à un prix 50% supérieur à celui de la gamme
Monogram. En plus de faire croître les ventes de la ligne Monogram, la ligne Epi (qui veniat
compléter cette gamme de sacs) a connu un succès retentissant.
21 Soulignons un effet très intéressant lié à cet effet vertueux de hausse des prix dans le
luxe. En règle générale, il est fréquent que l’augmentation du prix des produits de luxe
entraîne une hausse considérable du volume de vente. C’est ce que l’on appelle l’Effet
Veblen, qui est par ailleurs difficile à gérer. Une vente trop importante de produits de luxe
entraîne irrémédiablement une certaine banalisation des produits qui met à mal les notions de
rareté et d’exclusivité si chères au luxe. Certains clients, les initiés, décident alors de laisser
tomber la marque devenue « vulgaire ». C’est par exemple un problème auquel le groupe
LVMH (1er groupe mondial de luxe) doit faire face suite au succès planétaire de sa ligne de
sacs Monogram. La maison Hermès, qui gère sa stratégie de luxe avec une poigne de fer
pallie ce problème de façon singulière : Selon Patrick Thomas, PDG de la Maison Hermès,
quand un produit se vend trop bien, sa production est immédiatement arrêtée20.
Il faut donc retenir que contrairement au marketing traditionnel qui lance ses produits
à des prix d’appels pour attirer toujours plus de clients, le luxe lui doit toujours montrer qu’il
recrée l’écart et s’inscrit comme « agent visible de la méritocratie » (Kapferer, 2012). A cet
égard, Même si quelques produits d’ouverture s’avèrent nécessaire à l’attraction d’un nouveau
type de clientèle, la croissance de la marque de luxe ne se fait jamais en « courant » derrière
une clientèle modeste mais en pariant sur l’essor économique mondial qui fait régulièrement
naître de « nouveaux riches ». C’est sur ces derniers qu’il convient de miser, car ils sont à la
recherche de signes visibles de récompense, et soucieux de faire enfin partie d’un « club » (si
possible très fermé). Nous détaillerons plus loin les stratégies liées à la démocratisation du
luxe et à l’appréhension des différences culturelles de consommation.
(III)
La politique de distribution
La distribution joue un rôle clé dans le luxe et mérite que l’on s’y attarde un moment.
Il convient de souligner que la distribution est généralement le « maillon faible » de le la
stratégie de luxe et engendre nombreux échecs et sorties de l’univers du luxe. Ceci s’explique
par le fait que la distribution est l’une des parties les plus délicates à gérer et répond à des
règles très spécifiques.
On distingue trois systèmes majeurs de distribution dans le luxe : la boutique en
propre, la distribution exclusive et la distribution sélective.
20
J. N Kapferer, « Produit de luxe ou objets d’art ? Une stratégie de célébration », Le Monde, 18 juin 2013
22 La boutique en propre est de loin le premier système de distribution dans le luxe
(Courrège, Louis Vuitton, Hermès ou encore Louboutin constituent de bons exemple). C’est
en effet le mode le plus naturel et le plus cohérent avec les fondements du luxe. Ce type de
distribution implique de nombreux avantages tels que le contrôle de la marque (image,
produits et prix) parfaitement maîtrisé et l’excellente efficacité économique. La boutique en
propre permet également d’avoir une bonne visibilité sur les produits qui se vendent bien –
d’où un pilotage efficace de la chaîne de logistique et de production (« supply chain »). Autre
point essentiel, la marque maîtrise parfaitement son rapport aux forces de ventes, essentielles
dans le luxe puisqu’elles seules sont en contact avec le client. Elles représentent la marque.
Nous verrons plus loin quelles règles il faut appliquer au management des ressources
humaines dans le luxe. Dernier point, c’est le seul système de distribution qui protège
efficacement la marque de la contrefaçon. Elle permet ainsi de lutter efficacement contre ce
fléau. Si la marque ne vend que ses produits en propre, tout produit acheté dans un magasin
autre que celui de la marque en rend l’origine douteuse et met la puce à l’oreille au client.
Cela dit, ce mode de distribution ne présente pas que des avantages. Le principal défaut d’un
système très intégré verticalement étant qu’il est très rigide et nécessite une gestion très
anticipatrice et réactive. Il suppose également une gamme de produits stable, et qui se vendent
à une bonne cadence pour que les investissements dans le magasin soient rentables (le prix de
la location d’un pas de porte à New-York City sur la 5th Avenue, ou à Paris sur les Champs
Elysées étant exorbitant). Ce mode de distribution exclut donc par principe la joaillerie mais
est très prisé par la maroquinerie.
La distribution exclusive constitue un deuxième mode de distribution qui s’adapte
parfaitement au luxe. Elle conserve en effet la relation personnelle à la marque (sous réserve
néanmoins que l’accord de distribution stipule que la vente des produits ne peut se faire que
dans le lieu spécifié avec le personnel donné). De bons exemples ayant recourt à ce mode de
distribution sont l’horlogerie et l’automobile. Force est de remarquer que ce système sied bien
aux produits souffrant de fortes contraintes d’après-vente et nécessitant un vaste réseau. Rolex
a ainsi pu devenir la première marque au monde d’horlogerie de luxe alors qu’elle n’a
développé aucun magasin en propre. Elle s’appuie en effet sur un réseau de distributeurs
exclusifs de très haute qualité intégrant des réparateurs agréés. Le principal avantage de ce
mode de distribution est qu’il est beaucoup plus flexible que le système des magasins en
propre. Localiser de nouveaux points de vente ou se retirer de points de vente existants est en
effet relativement moins coûteux qu’ouvrir ou fermer un magasin.
23 La distribution sélective constitue le dernier modèle de distribution du luxe. La
différence essentielle avec le modèle de distribution exclusive repose sur l’idée que dans ce
cas, la marque ne choisit plus son mode de distribution. Tout point de vente respectant le
cahier des charges de la marque de luxe peut en effet en distribuer les produits. Ce mode de
distribution est néanmoins dangereux pour une marque et peut amorcer une sortie de l’univers
du luxe. Le client devient le client du point de vente (par exemple : Sephora, Marionnaud etc.)
et non plus de la marque. Le lien entre le client et la marque s’en trouve rompu. On peut donc
légitimement se demander combien de temps un produit vendu par le canal de la distribution
sélective reste dans l’univers du luxe. En dépit de ce problème, ce système présente
néanmoins un avantage, notamment en permettant une plus grande diffusion du produit sans
que ce dernier ne se banalise. Ce mode de diffusion est d’ailleurs très prisé dans la
parfumerie.
Le choix du mode de distribution est donc épineux et ne doit pas être pris à la légère.
La mondialisation, sans parler du défi très actuel de la distribution via internet auquel nous
réservons une part de choix plus loin dans ce mémoire, constitue un véritable challenge pour
la marque de luxe. Bien que des marques comme LVMH ou Kering (ex-PPR21 avec la marque
Gucci) soient des groupes très internationaux, l’indispensable adaptation locale comporte en
effet un risque : la perte de la cohérence globale. Maintenir une vraie cohérence de la marque
dans tout le réseau de boutiques est donc essentiel et passe par une définition de codes très
précis allant de l’esthétique de la boutique, au merchandising (disposition des produits dans
le magasin), en passant par la qualité du service. Ce point est d’ailleurs l’un des plus
compliqués. Le service en boutique, clé du luxe, est très difficile à gérer dès lors qu’une
marque se mondialise. Les cultures et comportements diffèrent nettement dans ce domaine.
Prenons quelques exemples afin d’étayer cette idée. Au Japon, le niveau de service est
extrêmement raffiné et développé. Une vendeuse sera ainsi extrêmement fière de porter un
uniforme Vuitton et lui fera honneur. A contrario, aux Etats-Unis, si le niveau de service est
très développé il est très peu raffiné (hors de Manhattan du moins). Un premier défi consistera
par exemple à faire comprendre à une vendeuse qu’elle ne peut se vêtir d’un « jean-baskets »
pour présenter des montres d’une grande maison de luxe. La formation des équipes de vente
est ainsi essentielle, et, les grandes marques de luxe ont quasiment toutes fondées une « école
de vente » dans le but de rendre les formations sur les valeurs et fondements de la marque les
plus homogènes possibles.
21
Le 18 juin dernier le groupe Printemps-Pinault-Redoute, présidé par François Pinault, a officiellement pris le
nom de Kering. Cette mutation traduit à la fois une volonté de recentrage sur le luxe et l’équipement Sport &
Lifestyle, et une internationalisation de plus en plus poussée.
24 La distribution impacte par ailleurs grandement une notion consubstantielle au luxe :
la rareté. Bien choisir un emplacement et un canal de distribution est donc fondamental dans
le maintien d’une stratégie de luxe. Un produit qui serait trop en visibilité et se
démocratiserait trop perdrait ainsi son attribut de rareté et se séparerait de son essence, au
risque de devenir « vulgaire ». Une partie de la rareté est certes fonction des matières
premières utilisées pour le produire, du travail, du temps et du savoir-faire incorporés dans
l’objet, mais également du mode de distribution. Dit autrement, une marque de luxe se doit
d’organiser la pénurie de ses produits si elle veut mener une vraie stratégie de luxe. Elle doit
donc faire preuve de sélectivité en choisissant :
-
un nombre de points de vente réduit (Hermès qui maîtrise parfaitement l’augmentation
croissante sa valeur a récemment choisi de limiter le nombre de boutiques en Asie
(hors Japon) et a enregistré une hausse de 25% de son chiffre d’affaire22).
-
Des emplacements précis
-
Des forces de vente hautement qualifiées
-
Des magasins « écrins »
-
Un merchandising propre visant à mettre en scène les produits
(IV)
La politique de communication
Luxe et communication sont consubstantiels. Le luxe qui cherche à recréer l’écart
entre les individus appartenant à une même société est en effet pure communication.
Soulignons néanmoins que les règles de communication propres au luxe se différencient
grandement de celles utilisées au sein de l’univers des biens de consommation.
(A) Luxe ne communique pas pour vendre
Dans le luxe, La communication a deux objectifs : créer le rêve et l’entretenir, c’est à
dire « recharger la valeur de la marque »23. Une des caractéristiques du luxe réside en effet
dans le fait que chaque produit vendu emporte avec lui une parcelle du rêve et contribue donc
à un certain affaiblissement de la marque. On ne communique donc pas pour vendre, mais
bien pour « redorer » le blason de la marque.
22
23
L. Barbery-Coulon, « Le luxe « Made for China » », Le Monde, 28 juin 2013.
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 333
25 Les méthodes de communication du luxe sont par ailleurs foncièrement différentes des
méthodes habituelles. Comme le montre le schéma ci-dessous, les moyens de communication
diffèrent selon l’endroit où l’on se trouve dans la pyramide. Lorsque l’on se situe en bas de la
pyramide, dans le « mass market », la publicité média (telle que la télévision) joue un rôle
fondamental. Plus on se rapproche du haut de la pyramide moins la publicité joue un rôle clé.
Dans le luxe, elle est même secondaire. Exception faite cependant pour le parfum qui est de
facto plus régit par les codes du haut de gamme et du « prestige de masse » que par ceux du
luxe. Ceci explique donc en partie la raison pour laquelle les grandes maisons de luxe ont
massivement recours au mécénat et au sponsoring. Ces deux moyens de communication sont
extrêmement légitimes si tant est que la marque choisit des évènements parfaitement
cohérents avec son univers de marque (Hermès a ses racines dans l’univers de l’équitation et
sponsorise le Grand Prix de Diane, Louis Vuitton renvoie au thème du voyage et sponsorise la
Louis Vuitton Cup etc.). Le luxe n’utilise donc pas les mêmes canaux que les biens de
consommation pour communiquer.
(B)
Communiquer dans le luxe : des codes très spécifiques
Il convient à présent de souligner les codes très spécifiques sur lesquels repose la
communication du luxe. La marque de luxe utilise de très nombreux éléments, dont la
cohérence doit croître avec le temps. La communication dans le luxe est en effet
« autoréférente » 24 : c’est à dire qu’elle fonctionne en boucle (chaque innovation doit
renvoyer au passé de la marque, la rendant à la fois contemporaine et ancré dans une histoire).
On distingue systématiquement neufs éléments indispensables à la signature d’une marque de
luxe :
-
La figure du créateur
-
Le logo facilement reconnaissable (LV pour Louis Vuitton, Le C entremêlé de Chanel,
les initiales DG de Dolce Gabbana etc.)
-
Un symbole qui accompagne le logo court (les ailes d’Aston Martin, la couronne de
Rolex etc.)
-
Un motif visuel que l’on répète à l’infini (cela vaut particulièrement pour les marques
de prêt-à- porter de luxe)
-
Une couleur propre à la marque : le orange Hermès, le bleu Tiffany etc.
-
Une matière « fétiche » (python et autruche pour Prada, soie pour Hermès etc.)
-
Une culture vénérée du sens du détail
24
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 330
26 -
Des références courantes à l’excellence des artisans de la marque
-
Une façon de faire propre à la marque (le « matelassé » des sacs chanel, les matériaux
brut de Louis Vuitton etc.)
Il est par ailleurs intéressant de souligner que de nombreuses marques Premium à
l’image de Ralph Lauren ou encore Apple empruntent ces codes du luxe. Elles ont effet
tellement bien développé leurs signatures visuelles qu’elles se reconnaissent d’un simple coup
d’œil. Jean-Noël Kapferer précise sur point qu’elles ont « défini leurs invariants sémiotiques
et les utilisent de façon systématique, tout en permanence »25.
(C)
Repenser la dialectique entre local et universel
Attardons nous un instant sur les problèmes nouveaux que pose la mondialisation aux
marques de luxe en terme de communication - et plus particulièrement à celles qui ont été les
premières à s’internationaliser et se poser comme ambassadrices d’une certaine culture et
vision du monde. Contrairement aux marques haut de gamme et premium, la marque de luxe
ne doit pas s’adapter aux spécificités locales. Elle ne se « positionne » pas, elle séduit pour ce
qu’elle est. L’erreur fatale est donc de chercher à s’adapter à la mondialisation en définissant
un positionnement « de compromis ». Citons à titre d’exemple les marques qui en voulant
pénétrer le marché chinois ont « sinisé » leurs produits par l’ajout de couleurs chères aux
chinois (rouge et or) et par la référence faite à leur culture ancestrale (signes, dragons etc.).
Une des raisons qui explique le succès de Louis Vuitton sur ce marché est d’avoir compris
l’importance de différenciation de deux aspects : exporter un produit purement français mais
faire appel à des forces de vente et égéries locales. Ce sont en effet des personnalités
chinoises hautement respectées pour leur sens du goût et qui bénéficient d’une aura
particulière qui apparaissent dans la publicité diffusée en Chine. C’est en effet la célèbre
actrice Fan BingBing qui est l’égérie de la gamme de sacs « Epi » signée par Louis Vuitton en
Chine. En guise de conclusion, une marque de luxe ne réussit que si elle arrive à étendre une
vérité universelle et à imposer une vision culturelle singulière. Louis Vuitton a en effet réussi
à exprimer un rapport très spécifique au luxe, à donner une vision du luxe qui lui est propre.
C’est pourquoi selon Jean-Noël Kapferer « cette universalité redécouverte autorise des
expressions différenciées selon les pays et leur appropriation de cet universel ». 26
25
26
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 341
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 344
27 Chapitre 2-
Panorama des forces en présence
Ce chapitre a pour vocation de proposer une approche globale et synthétique des
principaux acteurs et clients du luxe. Il convient de préciser dès à présent la grande
hétérogénéité des forces en présence et de leur mode de consommation du luxe.
Section 1-
Les acteurs du luxe : hétérogénéité des parties prenantes
Le cabinet de conseil en stratégie Bain & Company estime le chiffre d’affaire mondial
du luxe à 212 milliards d’euros pour l’année 2012. Une croissance de 11% par rapport à 2011
qui affichait un chiffre d’affaires de 191 milliards d’euros. D’ici à 2015, selon les estimations
du cabinet Bain & Company, le marché du luxe devrait même progresser de 4 à 6 % par an
afin d’atteindre un chiffre d’affaires
proche
des
250
milliards
d’euros.
Comme le montre le graphique ci-
Répartition par nationalité de la
consommation de produits de luxe
(en %)
contre, si l’on analyse la répartition par
17%
nationalité de la consommation de
produits de luxe dans le monde, les
25%
14%
Chinois
Européens
Américains
chinois représentent 25% des ventes, les
Japonais
européens 24%, suivis de près par les
20%
24%
Autres
américains qui représentent 20% des
ventes de produits de luxe.
J. De La Brosse, « Le Business du Luxe », L’Expansion,
N°786, 2013
Derrière ces chiffres à la santé éclatante, se cachent de multiples facettes de la planète
luxe. Celle-ci est composée d’un grand nombre d’acteurs présentant la caractéristique d’être
très hétérogènes. Nous distinguerons dans un premier temps les grands groupes classiques de
ceux que l’on appelle les « Pure Players » du luxe.
(I)
Composition hétérogènes des acteurs du luxe : entre groupes
classiques et « Pure Players »
Force est de constater la cohabitation d’une très grande variété d’entreprises (dans leur
taille et leur fonction), allant des très grands groupes (LVMH, Richemont, Kering (exPrintemps-Pinault-Redoute) aux PME, en passant par les maisons de luxe. Leur notoriété est
généralement proportionnelle au chiffre d’affaires dégagé. Il convient tout d’abord d’opérer
28 une distinction entre ce que l’on appelle communément les groupes classiques et les « Pure
Players » du luxe.
(A) Les groupes de luxe « classiques »
Un premier point d’attention porte sur le fait que l’émergence des groupes de luxe est
très récente. LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy), premier groupe de luxe mondial, a été
en effet été fondé en 1987.
On entend par groupes de luxe classiques des groupes qui opèrent sur le marché du
luxe, en adoptant suivant le cas des stratégies de luxe, de mode voire de premium. Le groupe
Kering (ex-Printemps-Pinault-Redoute (PPR) devenu Kering le 18 juin 2013) est un excellent
exemple. Ce groupe est classé parmi les « groupes de luxe ». Il possède en effet plusieurs
maisons de luxe telles que Boucheron, Bottega Veneta, Stella Mac Cartney, Alexander
McQueen ou encore Gucci, mais aussi des marques grand public au positionnement Sport &
Lifestyle telles que Puma et Volcom. Afin d’être plus précis, précisons que les maisons de
luxe de Kering sont réunies au sein de la Filiale Gucci Group, qui elle s’apparente à un groupe
de luxe « pur ».
En guise de résumé, on associe les groupes classiques de luxe à des groupes ayant un large
bouquet de marques qui ne sont pas toutes des marques de luxe.
(B)
Les « Pure Players » du luxe
Les « Pure Players » du luxe se définissent quant à eux comme des groupes de luxes
purs, à l’image d’Hermès ou de Chanel. La principale différence entre groupes de luxe
classiques et groupes de luxe purs tient à un mode de gestion des marques différent. Ainsi,
dans un groupe pur de luxe, c’est la stratégie de marque qui domine obligatoirement la
stratégie du groupe (la marque étant au centre de la stratégie de luxe). Le nom du groupe n’est
par ailleurs pas mis en avant s’il n’est pas celui de la marque dominante (par exemple, Cartier
est une marque, pas Richemont). Autre point essentiel, le siège social des groupes purs de
luxe est généralement plus petit que celui des groupes classiques de luxe. Une autre
caractéristique tient au fait que les groupes purs de luxe (Hermès, Chanel, Rothschild, ou
encore Krug) sont des sociétés qui se sont construites autour de grandes familles dont les
générations successives ont contribué à enraciner la marque. Sur ce point, il est intéressant de
noter que même les grands groupe de luxe classique cotés sont organisés autour d’une famille
clé (les Arnault pour LVMH, les Pinault pour Gucci Group – filiale luxe de Kering (ex-PPR)).
29 Il convient par ailleurs de noter que bien souvent groupes purs de luxe et groupes de luxe
classiques optent pour des stratégies financières aux antipodes : les premières valorisant la
rentabilité sur le long-terme et accordant la primauté au maintien de la valeur et de l’image du
nom, alors que les secondes, cotées en bourse et rythmées par la pression de retour sur
investissement impulsée par les actionnaires, cherchent la rentabilité à court terme, le profit et
la croissance coûte que coûte.
(II)
Focus sur les principaux groupes et maisons de luxe français
Le luxe français est aujourd’hui contrôlé par des groupes multimarques (ou plus
justement par des groupes présentant un large bouquet de marques27). A défaut de pouvoir
présenter un panorama exhaustif du secteur, il convient de présenter les trois premiers groupes
de luxe français.
Le tableau ci-dessous28 rend compte du classement des dix premières entreprises
mondiales du luxe. Une brève analyse permet de confirmer la place prépondérante de la
France sur ce secteur : trois des dix entreprises mondiales sont françaises.
Chiffre
d’affaires
2012
(Mds !)
Évolution
du chiffre
d’affaires
2008 - 2012
Bénéfice
opérationnel
2012 (Mds !)
Évolution du
cours de bourse
sur 5 ans
LVMH (France)
28
+ 63 %
5,9
+ 80,7 %
Richemont (Suisse)
8,2
+ 87 %
2
+31,8 %
Luxottica (Italie)
7,1
+ 36 %
1
+ 145, 8 %
Swatch (Suisse)
6,3
+ 37 %
1,6
+ 137 %
Kering (ex-PPR, France)
6,2
+ 83 %
1,6
+ 4,6 %
Ralph Lauren (USA)
5,3
+ 39 %
0,9
+ 170 %
Coach (USA)
3,6
+ 50 %
1,2
+ 78,7 %
Hermès (France)
3,5
+ 97 %
1,1
+ 156 %
Prada (Italie)
3,3
+ 100 %
0,9
NC
Tiffany (USA)
2,9
+ 33 %
0,5
+ 67, 4 %
27
Il est en effet plus justifié de parler de « bouquet de marques » plutôt que de « portefeuille de marques ». Une
nouvelle marque étant rachetée par un groupe de luxe (classique ou pur) non pas dans le cadre d’une logique
purement financière, mais dans le but de compléter l’univers de la marque et de renforcer la cohérence des
valeurs et savoir-faire revendiqués par le groupe.
28
J. De La Brosse, « Le Business du Luxe », L’Expansion, N°786, 2013, P.32
30 (A) LVMH : Moët - Hennessy - Louis-Vuitton
LVMH est un groupe français, chef de file mondial de l’industrie du luxe, issu de la
fusion en 1987 de deux précurseurs du luxe : Moët Hennessy et Louis Vuitton.
Retour historique sur les étapes clés de la constitution du groupe LVMH
1743
Fondation
de la
maison
Moët
1971
Création du
groupe
Moët
Hennessy
1854
Fondation de
la maison
Louis Vuitton
1989
Famille
Arnault :
actionnaire
principal
du groupe
1987
Alliance et
creation du
groupe de
luxe LVMH
2002 - 2012
Consolidation du portefeuille de
marques
Développement international
Extension du réseau de
distribution
Recentrage sur le luxe
A partir de
1990
Politique de
croissance
externe
active
Données issues de l’étude Xerfi Entreprises, « LVMH », 2012
Fort d’un chiffre d’affaires atteignant les
Chiffres clés - LVMH
29
28 milliards d’euros en 2012 , et d’un
Chiffre d’affaires en Mds ! (2012)
taux de croissance avoisinant les 19 %
Croissance sur un an
pour la seule année 2012, le groupe
Ventes par groupe d'activités (2012)
Vins & Spiritueux
%"#$
94 559
Parc de magasins
leader mondial du luxe.
!&#$
3,1
Effectif salarial
par Bernard Arnault, assoit sa position de
'(#$
+ 19 %
Résultat net en Mds ! (2011)
LVMH, présidé depuis le 13 janvier 1989
!"#$
28,1
3204
Généraliste, et présent dans pas
moins de 70 pays, le groupe est
présent
sur
l’ensemble
30
Mode & Maroquinerie
segments de marché
Parfums &
Cosmétiques
spiritueux, mode et maroquinerie,
Montres & Joaillerie
!%#$
Distribution sélective &
Autres activités
: vins et
parfums et cosmétiques, montres et
joaillerie, et distribution sélective
(via Séphora et DFS).
29
30
des
Rapport annuel, LVMH, 2012
Voir schéma ventes par segments d’activités ci-contre – données extraites du rapport annuel, LVMH, 2012
31 Le groupe possède a son actif plus de soixante marques de prestige, parmi lesquelles
certaines sont plusieurs fois centenaires (Château d’Yquem (1593), Moët et Chandon (1743),
Hennessy (1765), Guerlain (1828), etc.). Le groupe s’est également diversifié dans les médias
(plus particulièrement dans la presse suite au rachat du journal Les Echos), dans la
construction de yachts de luxe (rachat de Royal Van Lent en 2008), et depuis peu dans
l’hôtellerie de luxe. LVMH est également l’un des groupes de luxe qui exporte le plus, avec
88% des ventes consolidées de 2011 réalisées hors de France, en Asie.
Le groupe LVMH est détenu à 47,5% par le groupe Arnault (et donc Bernard Arnault)
par le biais de la holding Christian Dior SA. Le restant des actionnaires se divise entre
institutionnels résidant sur le territoire français (15,9%,) hors du territoire français (27,2%) et
d’autres tels que la Famille Bulgari.
Analyse SWOT du groupe de luxe généraliste LVMH
Points forts
Points faibles
!  Position de leader mondial du
secteur (image forte grâce à la
notoriété de ses marques)
!  Diversité des pôles d’activité et
du portefeuille de marques
!  Dispersion géographique des
revenus
!  Situation financière saine et
solide (capacité
d’autofinancement élevée,
endettement très faible, trésorerie
positive à haut niveau)
!  Capacité de production limitée
!  Dépendance encore forte aux
marchés matures d’Europe et
Amérique du Nord (46% des
ventes consolidées en 2011)
LVMH
Opportunités
Menances
!  Essor solide de la demande en
Asie, fortement lié à l’émergence
d’une classe moyenne
!  Ralentissement de la croissance
de certains pays émergents
!  Remontée du cours de l’euro,
défavorable pour un groupe qui
réalise les deux tiers de ses
ventes hors de la zone euro
!  Réservoir de croissance du côté
de la vente en ligne, canal de
vente à développer
!  Existence d’un marché
dynamique de la contrefaçon
Données issues de Xerfi Entreprise, « LVMH », 2012
32 (B)
Kering (ex-Printemps-Pinault-Redoute : PPR)
Créée à l’origine en 1962 autour du
négoce du bois et de la construction de
matériaux, la société Pinault Bois et
Matériaux s’est peu à peu diversifiée dans
les activités de distribution professionnelle
et grand public - via la prise de contrôle de
Conforama – puis la prise de contrôle de
Chiffres clés - Kering
Chiffre d’affaires en Mds ! (2012)
9,7
Croissance sur un an
+ 21 %
Résultat net en Mds ! (2011)
1,04
Effectif salarial (2012)
29 378
Parc de magasins
1490
Au Printemps SA (1992), de la Redoute et de la FNAC (1994). Le groupe devient alors
Printemps – Pinault – Redoute. Le périmètre d’activités du groupe n’a de cesse d’évoluer et
prend un nouveau virage avec l’entrée du groupe dans le luxe en 1999. Cet événement est
marqué par l’acquisition à 42% de Gucci Group NV. La construction du groupe multimarques
est enclenchée : acquisition par Gucci Group d’Yves Saint Laurent et YSL Beauté, du
chausseur Sergio Rossi, et du joaillier Boucheron en 2000, de Bottega Veneta et Balenciaga
en 2001 etc. Parallèlement aux activités de luxe, le groupe PPR se diversifie dans
l’équipement et le sport avec le rachat de Puma en 2007. On assiste depuis plus de sept ans à
un désengagement de la marque dans ses activités de distribution (cession de 51% du capital
du Printemps en 2006, cession de CFAO puis de Conforama en 2011, vente de la Redoute
d’ici la fin de l’année 2013 et entrée en bourse de la FNAC le 19 juin 2013), et à un
recentrage sur le luxe, et le sport & lifestyle. Le changement de nom du groupe datant du 18
juin dernier – PPR est devenu Kering – atteste de ce changement de positionnement.
Le groupe Kering est actuellement présidé par François-Henri Pinault, fils du
fondateur de PPR, François Pinault, et est composé de deux branches opérationnelles31 :
Ventes par groupe d'activités (2012)
Le pôle luxe incarné par les
marques Gucci, Bottega Veneta,
YSL,
Alexander
Balenciaga,
%!#$
Luxe
McQueen,
Boucheron,
Brioni,
Sergio Rossi, Sowind, Stella Mc
Sport & Lifestyle
!"#$
Cartney).
Le pôle Sport & Lifestyle incarné
par les marques Puma et Volcom.
31
Voir schéma ci-dessous portant sur la répartition des ventes par groupe d’activités. Données issues du Rapport
financier, Kering, 2012
33 La structure de l’actionnariat de Kering se compose comme suit : 49% des parts sont
détenues par la Holding Artémis (propriété de la famille Pinault), 5,9% sont détenues par des
actionnaires individuels, 41,7% par des institutionnels internationaux, 11,1% par des
institutionnels français et 0,4% sont détenues par des actionnaires salariés.
Analyse SWOT du groupe de luxe multimarques Kering
Points forts
Points faibles
!  Très bonne performance du pôle
luxe
!  Forte notoriété internationale des
marques de luxe
!  Positionnement sur deux
segments porteurs : luxe, Sport &
Lifestyle
!  Forte internationalisation (70%
du chiffre d’affaires réalisé hors
Europe)
!  Faible endettement financier
!  Manque de lisibilité (pas de
spécialisation du groupe / de
cœur d’activité)
!  Forte dépendance aux économies
matures d’Europe et d’Amériques
du Nord
Kering
Opportunités
Menaces
!  Dynamisme du marché mondial
de l’habillement tant luxe que
Sport & Lifestyle
!  Faible croissance (voire
stagnation) des économies
matures d’Europe et d’Amérique
du Nord
!  Très forte concurrence sur le
segment du luxe (LVMH N°1
mondial du secteur)
!  Contrefaçon aux effets
catastrophiques pour les marques
très « logotypées » comme Gucci
!  Développement continue des
économies d’Asie et
d’Amériques du Sud
!  Dynamisme et développement
fulgurant de la distribution via
Internet
Données issues de Xerfi Entreprises, « PPR », 2012
(C)
Hermès
La Maison Hermès, fondée en 1837 par Thierry Hermès, s’est initialement construite
autour des domaines d’activités ayant trait à la sellerie et l’harnachement. L’avenir de ce
segment étant peu brillant, la Maison n’est pas pour autant sortie de son cœur de métier (le
travail du cuir) et a réorienté ses activités vers la maroquinerie, les soies et textiles,
l’horlogerie et le prêt à porter à partir des années 1920.
34 Forte
d’un
chiffre
d’affaires
32
atteignant les 3,5 milliards d’euros , et d’un
taux de croissance de 23% pour l’année
2012
33
,
la
Maison
Hermès
connaît
Chiffres clés - Hermès
Chiffre d’affaires en Mds ! (2012)
Croissance sur un an
Effectif salarial
florissante.
Parc de magasins
toujours
aux
+ 23 %
Résultat net en Mds ! (2012)
actuellement une période de croissance très
Appartenant
3,5
0,7
10 118
323
34
héritiers de son fondateur , Thierry Hermès,
la Maison Hermès est pourtant dirigée par Patrick Thomas - premier gérant non familial du
groupe. La structure de l’actionnariat est singulière : 63% du capital est détenu par la famille
Hermès, 22,3% par le groupe LVMH qui est entré au capital du groupe Hermès en 2010 (sans
pour autant afficher de volonté de prise de contrôle du groupe Hermès), et par un pourcentage
d’investisseurs publics, et d’autodétention.
Vente par groupe d'activités (2012)
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répartie sur trois métiers
Maroquinerie & Sellerie
que sont :
Vêtement & Accessoires
(pôle Maroquinerie, pôle
Soie & Textiles
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L’activité du groupe est
Autres Métiers Hermès
Tannerie
la fabrication
&
Cuirs
Parfums
Précieux, Pôle Textile), la
Horlogerie
production
Art de la Table
distribution de produits de
Autres Produits
marque Hermès en gros
et
la
(Chaussures John Lobb,
Cristalleries de Saint Louis, Shang Xia, Tissu d’ameublement Verel de Belval etc.) et la
distribution de produits de marque Hermès au détail.
Le portefeuille de marques du groupe Hermès35 est constitué de huit segments sousjacents que sont la Maroquinerie & Sellerie, les Vêtements & Accessoires, la Soie & Textiles,
les Autres Métiers Hermès (Art de vivre et Bijouterie), les Parfums, l’Horlogerie, les Arts de
la Table et les Autres Produits Hermès.
32
Rapport financier, Hermès International, 2012
Rapport financier, Hermès International, 2012
34
Plus de 50 héritiers détiennent en effet des parts de la société Hermès pour un pourcentage atteignant les 63%.
35
Voir schéma portant sur la répartition des ventes par groupe d’activités ci-dessus. Données issue du Rapport
financier, Hermès International, 2012
33
35 Le groupe est très fortement internationalisé. Il réalisé en effet 84% de son chiffre
d’affaires hors de France (chiffres 2012). L’Asie-Pacifique (hors Japon) qui affiche un chiffre
d’affaires des ventes représentant 32% du chiffre d’affaires des ventes global est, selon le
rapport financier du groupe Hermès International 2012, la zone géographique qui sur laquelle
Hermès réalise le plus de bénéfices. L’Asie est depuis quelques années le nouveau moteur de
croissance de la Maison.
Analyse SWOT de la maison de luxe Hermès
Points forts
Points faibles
!  Notoriété mondiale dans le
domaine de la Maroquinerie
!  Forte rentabilité
!  Endettement quasi-nul
!  Détention de points de vente en
propre (renforcement image de la
marque)
!  Très forte présence sur le
continent asiatique, moteur du
marché du luxe au niveau
mondial
!  Faible diversification par rapport
à certains concurrents (Hôtellerie
de luxe etc.)
!  Taille relativement modeste par
rapport à certains concurrents
Hermès
Opportunités
Menaces
!  Développement soutenu de la
demande de produits Hermès en
Asie (éducation de la population)
!  Risques liés à la contrefaçon dans
les pays émergents (Chine)
!  Prise de participation du groupe
LVMH dans le capital d’Hermès
!  Accroissement du nombre de
personnes fortunées à travers le
monde
!  Emergence d’une classe moyenne
en Asie
Données issues de Xerfi Entreprises, « Hermès International », 2012
Pour conclure ce point, il existe une très grande hétérogénéité des acteurs du luxe.
Qu’il se définissent comme un groupe classique de luxe à l’image de LVMH ou de Kering ou
comme un groupe pur de luxe, à l’image d’Hermès, ils contribuent néanmoins à faire
rayonner l’économie française à l’échelle mondiale.
36 Une analyse des forces en présence dans le secteur du luxe ne saurait être complète si
elle ne s’attachait pas à rendre compte des spécificités des clients du luxe. Nous allons donc
détailler ce point dans une seconde section.
Section 2-
Les clients du luxe
Cette seconde section a pour objectif de présenter une typologie mondiale des clients
du luxe et de comprendre quelles sont les différences culturelles structurant l’achat de
produits de luxe. Nous verrons plus loin dans ce mémoire que de ces éléments, découlent des
stratégies de management du luxe différentes.
(I)
Typologie des clients du luxe
Il convient tout d’abord d’opérer une distinction entre acheteurs réguliers et
« excursionnistes »36, et de développer une typologie précise des clients du luxe.
Rappelons à ce stade les déterminants de la propension d’un client potentiel à acheter
des produits de luxe. L’institut Ipsos qualifie le revenu comme critère premier dans ses
enquêtes mondiales portant sur le luxe. Le revenu qui atteste du profil socio-démographique
d’un individu constitue donc un facteur capital explicatif de l’achat de produits de luxe.
Ajoutons à ce point un autre argument intervenant dans la structuration de l’achat : la
modernité. Nous observons en effet une corrélation entre niveau de revenu et modernité
(définie comme l’ouverture au changement et à la mobilité). Un individu riche et « moderne »
aura donc une plus forte propension à acheter des biens de luxe qu’un individu riche mais peu
moderne, qui lui préfèrera thésauriser ou investir dans de l’immobilier. Ceci dit, l’individu
ayant des revenus plus modestes (le revenu médian par ménage en France pour l’année 2010
s’élève à 2400 euros brut selon les chiffres de l’Insee) mais une orientation moderne aura tout
de même une propension à acheter des biens de luxe mais de façon ponctuelle. Acheter des
produits de luxe alors que l’on ne dispose pas de hauts revenus n’est pas totalement
contradictoire, contrairement à ce que l’on peut penser. Nous détaillerons ce point plus loin.
Le revenu couplé à une dimension de « modernité » de l’individu constitue donc un premier
facteur explicatif de l’achat de produits de luxe.
36
La notion de clients « excursionnistes » est développée par Jean-Noël Kapferer dans Luxe Oblige
37 Un deuxième facteur explicatif de l’achat s’explique par le niveau d’éducation,
comme nous l’avons souligné auparavant. Le niveau d’études d’un individu accroît donc
considérablement la propension à acheter des biens de luxe.
Troisième et dernier point, l’âge est aussi une dimension structurante de l’achat dans
la mesure où l’on observe une hausse des achats de produits de luxe dans la tranche des 35-49
ans. La relation entre luxe et âge n’est donc pas linéaire mais observe une la forme d’une
courbe Gauss.
Il convient à présent de rendre compte de deux types de clients fondamentaux.
(A) Acheteurs réguliers et « excursionnistes » du luxe
Nous opérons une distinction entre les individus que l’on qualifie d’acheteurs réguliers
ou d’initiés, qui possèdent de hauts revenus et achètent pour eux-mêmes plus que pour le
prestige conféré par la marque et les acheteurs « excursionnistes », appartenant à une couche
sociale moins privilégiée et ayant donc des revenus plus modestes mais étant dotés d’une
avance socioculturelle. Ces derniers peuvent donc se laisser aller à l’achat d’un produit de
luxe justifié par une forme d’auto-indulgence, par une volonté de faire plaisir ou de se faire
plaisir. Ainsi, entre 1994 et 2000, le taux de pénétration du marché du luxe en Europe est
passé de 40% à 60%, les « excursionnistes » passant de 30 à 40%, et les réguliers de 10% à
20%37. Une lecture trop hâtive de cette recrudescence d’achats « excursionnistes » depuis le
début des années 2000 a d’ailleurs conduit à la formulation de conclusions réfutables. Selon
certains, cette croissance fulgurante des ventes de produits de luxe annonçait l’ère de la
démocratisation du luxe. Or, il convient de souligner que les acheteurs « occasionnels ou
excursionnistes » n’achètent pas de vrais produits de luxe. Ils achètent en effet selon
l’expression de Jean-Noël Kapferer38, « des produits non-luxe émanant d’une marque de
luxe » tels que des parfums, des cosmétiques ou du maquillage, ou encore des porte-monnaie.
Nous observons néanmoins une inversion de la tendance actuellement. Le groupe qui réalise
le volume du marché du luxe est celui des acheteurs réguliers (20% de la population). La
classe moyenne qualifiée d’acheteurs « excursionnistes » s’est elle tournée bers le
« Masstige » - contraction des termes Mass-Market et Prestige – fortement pratiqué par des
groupes à l’image de L’Oréal Paris. L’objectif poursuivi est de proposer des produits
prestigieux mais à des prix accessibles. Les codes empruntés sont d’ailleurs proches du luxe :
37
38
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 169
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 169
38 capter la forte demande de montée de gamme des produits en améliorant l’image du milieu de
gamme, doper la qualité et l’image perçues. Il convient donc d’imiter les codes des marques
de prestige tout en mettant en œuvre une communication de masse (médias, télévision etc.).
(B)
Les quatre clientèles du luxe
L’analyse des variables sociodémographiques et socioculturelles développée ci-dessus
permet certes de mettre en avant deux facteurs explicatifs de l’achat des produits de luxe mais
ne permet pas de rendre compte des moteurs psychologiques structurant l’achat. Par quoi un
individu est-il séduit dans le luxe ? Quels bénéfices et avantages retire-t-il de l’achat d’un
produit de luxe et non premium ? La typologie des clientèles types du luxe qui suit vise à
éclairer ce point. Nous distinguons quatre types de clientèles cibles.
Le premier type, que l’on pourrait qualifier d’« Esthètes du luxe », attache une
importance particulière à la beauté de l’objet, à l’excellence, au raffinement, à l’authenticité
des produits ainsi qu’à l’expérience unique conférée par ces derniers. Le luxe consommé
renvoie ici à l’art de vivre et à la distinction de classe qu’il confère. Hermès ou Rolls-Royce
constituent deux marques représentatives de ce type de luxe.
Le deuxième type de clientèle, que l’on pourrait désigner par le terme d’« Adeptes du
luxe tendance », valorise essentiellement la sensualité des produits et leur créativité. Nous
avons ici affaire à des clients soucieux d’exprimer leur personnalité, de montrer leur
individualité notamment par des choix les mettant à part, dans une catégorie au dessus des
autres, du fait de leur originalité. Des marques à l’image de Jean Paul Gaultier ou Marc
Jacobs (LVMH) sont assez représentatives de cette conception du luxe.
Le troisième type de clientèle, que l’on pourrait définir comme « Conformiste »,
survalorise l’intemporalité du luxe et sa réputation internationale. Ce groupe affiche un fort
besoin de valorisation et de reconnaissance sociale et cherche par l’acquisition de tels biens,
reconnus de tous, à s’intégrer symboliquement dans un milieu qui n’est pas le sien. Les
marques à logo visible et aisément reconnaissable comme Porsche, Louis Vuitton ou Dunhill
sont très prisées par ce type de clientèle.
Le quatrième type de clientèle, « les Snobs », attache quant à lui une grande
importance au sentiment de rareté conférée par la possession et consommation de la marque
de luxe. En achetant un produit de luxe ce groupe démontre en effet qu’il appartient à une
minorité. Des marques achetées par peu de personnes à l’image de Chivas sont ainsi très
prisées car elles renforcent ce sentiment d’appartenance à une classe privilégiée et peu
39 nombreuse qui séduit et impressionne les autres individus. La caractéristique de ce groupe est
qu’elle n’est pas fidèle à une marque de luxe en particulier. Seule la dimension de rareté des
produits et de faible taux d’accès à la marque lui importe. Elle cesse donc par conséquent
immédiatement de consommer une marque dès lors que celle-ci se démocratise trop et perd
son aura d’unicité et de rareté.
Une marque, aussi prestigieuse soit-elle a intérêt à ne pas exclure complètement
certains types de clientèle si elle ne veut pas disparaître. Elle doit par exemple s’attacher à
garder dans sa clientèle une frange de ceux que l’on désigne sous le vocable de
« Conformistes », car sans eux, les « Snobs » ne seraient pas tentés d’accéder à des produits
encore plus chers, et donc visant à recréer encore plus l’écart au sein de la société.
(II)
Le luxe selon les pays du monde
Attachons nous à présent à comprendre comment les éléments propres à chaque
culture conditionnent et structurent les rapports au luxe.
(A) HNWI et UHNWI : le profil des meilleurs consommateurs de
luxe
Il convient de rappeler quelques chiffres avant d’entrer dans un niveau d’analyse plus
fin. Le monde compte actuellement 138 millions de millionnaires. La fortune mondiale a
augmenté de 7,8% en 2012 pour atteindre 135 500 milliards de dollars39.
Le cabinet de conseil Capgemini a identifié le profil précis des meilleurs clients
potentiels dans le monde. Ils sont nommés « High Net Worth Individuals40 » (HNWI) et
possèdent la caractéristique de détenir des revenus dépassant les 1 millions de dollars annuels.
Ils étaient 8,7 millions en 2005 et près de 11 millions en 201041, ce qui correspond à une
hausse d’environ 26,4%. 5,8 millions d’entre eux vivent aux Etats-Unis, 1,46 millions au
Japon et 1,3 millions en Chine. Ajoutons à ces chiffres que le taux de croissance des HNWI
s’élève à 33% pour Hong-Kong, à 21,3% pour Singapour, à 21% pour l’Inde, et à 12% pour la
Chine.
39
J. De La Brosse, « Le Business du Luxe », L’Expansion, n°786, 2013, P.32
Le terme « High Net Worth Individuals » désigne un potentiel d’individus à haut revenu
41
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 165
40
40 Le taux des « High Net Worth Individuals » (HNWI) est à comparer avec celui des
« Ultra Net Worth Individuals » (UHNWI) qui correspond à des individus dont les revenus
annuels s’élèvent à 30 millions de dollars. Le nombre de UHNWI s’élève lui à 18 000 à
l’échelle planétaire. Cette clientèle est principalement celle des banques d’affaires, locales ou
offshore. Ajoutons à cela que si ces UHNWI ne représente que 0,9% des HNWI, ils
détiennent en revanche 36,1% de la fortune mondiale. Il convient également de souligner que
la consommation de marques de luxe est plus élevée chez les 35-49 ans que chez les 50-64 et
les plus de 65 ans (Bernard Dubois, professeur à HEC). Or, le pourcentage des 30-45 ans
parmi les HNWI à l’échelle mondiale représentait 15% en 2010. Il était de 38% pour les
HNWI d’Asie (hors Japon). Ces chiffres permettent donc de conclure à juste titre que les
HNWI représentent le vrai marché potentiel du luxe et que c’est sur eux que repose la
croissance. C’est donc précisément ce segment de population que les marques de luxe doivent
cibler.
(B)
Situer les pays dans leur rapport au luxe
Nous avons précisé que chaque culture induit un rapport singulier au luxe. Ainsi, la
France qui se targue d’avoir donné naissance au luxe est loin d’être le pays qui en consomme
le plus. La culture française est ancrée dans la tradition romano-chrétienne qui prône une vie
ascétique et austère et incite l’homme à mener une vie de bonnes actions afin de sauver son
âme. Cela induit deux conséquences : le travail étant considéré comme avilissant pour
l’homme, la réussite économique ne doit pas être une fin en soi et la thésaurisation des fruits
du travail est reconnue comme un pêché. Cette vision a entraîné en France une conception du
luxe non-ostentatoire, où la richesse doit se cacher. La France se nourrie en effet d’une vision
du luxe très intime et reposant sur des cercles d’initiés sensibles à l’Histoire, au savoir-faire
artisanal, et au raffinement incorporés dans les objets de luxe. Le luxe est vécu comme un
plaisir, une véritable expérience hédoniste. En atteste le succès de la Haute-Gastronomie
française.
La conception du luxe américaine, fortement influencée par la tradition protestante de
ce pays, s’est elle construite à l’opposé. Comme l’explique Max Weber dans l’Ethique
protestante et l’esprit du capitalisme 42 , le Protestantisme considère que l’homme doit
s’accomplir par le travail et la réussite économique d’un individu souligne que ce dernier a été
choisi par Dieu et dont l’âme sera pas conséquent sauvée. Cet héritage a façonné la
42
M. Weber, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, Gallimard, 2004
41 conception du luxe des pays protestants qui affichent librement leur réussite sociale aux yeux
de tous. Précisons par ailleurs que la notion de Bonheur est un droit fondamental inscrit dans
la Constitution des Etats-Unis d’Amérique (1787). Ces éléments ont contribué à décomplexer
la consommation de produits de luxe. D’ailleurs aux Etats-Unis, l’individu devient plus
heureux par la consommation que par le plaisir. La progression sociale dans la vie est
marquée par un accès à plus de confort, d’efficacité, de qualité, et de performance. Soulignons
un point fondamental à ce stade : les américains sont très sensibles à la notion de rapport
qualité / prix43 et à la valeur d’usage44 (tout comme les allemands d’ailleurs) et préfèreront
donc consommer en masse des produits prestigieux et premium plutôt que luxe (le rapport
qualité / prix étant parfaitement calculable pour ces biens). Ainsi, un américain sera plus tenté
d’acheter une Audi (Voiture Ultra haut de gamme du groupe Volkswagen) plutôt qu’une
Lamborghini (Voiture luxe du groupe Volkswagen). L’Audi, qui est une voiture dotée d’un
certain prestige sera par ailleurs considérée comme un produit de luxe par l’américain qui
n’opère pas de véritable distinction entre le premium et le luxe.
Enfin, la conception du luxe dans les pays émergents tels que le Brésil, la Russie, ou la
Chine diffère des deux modèles précédents. Tout comme les Etats-Unis, ces pays sont des
lieux où il est tout à fait possible de sortir de sa classe sociale et de gravir les échelons de la
société par le biais de la réussite économique. La conception du luxe est ici décomplexée et
sert à afficher sa réussite sociale et donc à prouver aux autres individus la valeur de son rang
social. Le rapport au luxe est hédonique, les signes de la valeur et les logos doivent être forts,
visibles et aisément reconnaissables.
Le schéma ci-dessous, conçu par Jean-Noël Kapferer et Vincent Bastien45 dans Luxe
Oblige, s’attache à synthétiser les différents modes de rapport au luxe. Sont ainsi représentés le luxe intime à la française, le luxe visible et porteur d’émotions à l’américaine ou à la chinoise et le luxe ostentatoire à la russe. 43
La culture américaine attache une importance particulière à rentabiliser son achat (« en avoir pour son
argent »). Nous pourrions résumer cette idée par une expression américaine telle que « The more you pay, the
more you get ».
44
La valeur d’usage désigne l’aspect fonctionnel de l’objet, par opposition à sa valeur d’échange qui désigne son
prix.
45
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 177
42 La disruption pour se re-distinguer
Les Créateurs
L’audace transgressive
Approche anglaise du luxe
Attente russe du luxe
Le produit pour
soi, ses valeurs et
l’art de vivre qui
l’accompagne
L’emblème
Le logo
Approche française du luxe
Attente américaine et
chinoise du luxe
L’authentique discret
Des histoires mises en
scène sur soi
L’intégration dans un monde aspirationnel
(C)
Luxe et différences culturelles
Il convient à présent de comprendre quels sont les principes sous-jacents liés à la
différence des modes de consommation du luxe, dans les pays émergents. Il s’agit en effet de
comprendre pourquoi les pays émergents font preuve d’une telle avidité à l’égard du luxe, et
d’appréhender les logiques de consommation de ces produits.
Analysons dans un premier temps ce que représente le luxe pour la culture chinoise. Il
est important de bien comprendre quels en sont les fondements. Ce marché qui compte
environ 120 millions de personnes appartenant à la classe aisée (40 000 dollars annuels en
moyenne) devrait s’étendre à 280 millions de personnes d’ici à 2020. Selon certaines études46,
ce marché assurera 35% de la consommation mondiale et 75% de la croissance des achats de
produits de luxe en Chine. Il donc serait bien peu opportun de ne pas appréhender plus
finement les logiques sous-jacentes de la consommation sur ce marché. Plusieurs points
nécessitent d’être explicités. Tout d’abord, la croissance économique exceptionnelle de la
Chine, la taille de son marché potentiel directement lié à l’émergence d’une classe moyenne
très conséquente ainsi que l’accès progressif à une forme de démocratie font de ce marché un
46
J. De La Brosse, « Le Business du Luxe », L’Expansion, n°786, 2013, P.33
43 véritable eldorado pour le luxe. Ce pays à la culture raffinée et ancestrale mais rejetée et
reniée lors des différentes révolutions culturelles, est par ailleurs très réceptif à la valeur du
luxe. Alors que ses valeurs et ses précédents symboles de la réussite sont enfouis avec son
histoire reniée, la Chine a besoin d’un étalon qui puisse rendre compte de la réussite sociale
de ses individus et de leur mérite. C’est pourquoi l’élite dans un premier temps, puis la classe
aisée petit à petit, se sont tournées vers les produits de luxe qui recréent cet écart social, qui
démontre que l’on est devenu quelqu’un. Les produits de luxe sont de véritables marqueurs
sociaux et positionnent immédiatement l’individu sur une échelle sociale. La dimension de
reconnaissance sociale est donc très prégnante dans la logique de consommation du produit de
luxe pour les chinois. C’est d’ailleurs pour cela que la demande en produits privilégiant la
visibilité des logos et les grandes marques institutionnelles à l’image de Chanel ou Louis
Vuitton est aussi forte. Le déni de la culture chinoise a fait des marques de luxe
internationales le langage de la distinction immédiate. Il convient cependant de noter que
contrairement à l’Occident où le luxe relève d’une logique individualiste et exclusive (une
faible minorité aime montrer qu’elle appartient à la classe des privilégiés et consomme des
produits extrêmement rares), le luxe en Chine relève d’une dimension collective. La jeune
chinoise en s’offrant un sac d’une marque de luxe qui peut représenter jusqu’à plusieurs mois
de salaire cherche plus à s’intégrer qu’à se différencier. Ce sac de luxe lui donne en effet le
sentiment d’accéder symboliquement à une vie rêvée et d’appartenir à la classe mondiale des
privilégiés, c’est à dire à un « Nous planétaire »47.
Nous retrouvons cette dimension d’intégration collective du luxe et de pression de la
conformité au Japon. Les jeunes japonaises attachent une importance extrême à la possession
d’objets de luxe visibles tels que des sacs à mains de marques prestigieuses, car posséder un
tel objet revient à démontrer son appartenance à une classe de privilégiés. Ne pas en posséder
serait perdre la face et reviendrait à assumer une certaine forme d’échec social ; un coût social
quasiment insupportable. Une étude menée en 2006 par R. Chadha et P. Husband rend
d’ailleurs compte de la puissance de la pression de la conformité en Asie : 60% des femmes
de Tokyo entre 20 et 30 ans possèdent un produit Louis Vuitton48. Ce trait de culture explique
pourquoi de jeunes secrétaires nippones aux revenus modestes choisissent rester chez leurs
parents afin d’épargner leur loyer et d’investir cette part de revenu disponible dans des
produits tels que des sacs de luxe. Notons cependant une spécificité nippone du rapport au
luxe. Au Japon, le critère de luxe ne repose pas sur le sentiment d’exception ou
47
Expression développée par J. N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 181
R. Chadha & P. Husband, The Cult of the Luxury Brand : Inside Asia’s Love Affair with Luxury, Nicholas
Brealy Publishing, 2006
48
44 d’appartenance à une faible minorité mais sur la dimension de prestige. Au Japon, une marque
doit nécessairement être prestigieuse pour exister. Contrairement au Chinois qui est très
démonstratif, le Japonais est aussi bien plus discret dans son rapport à la richesse et donc au
luxe.
Les raisons que nous venons d’évoquer, couplées au rapide essor économique et à
l’émergence d’une classe moyenne dans les pays émergents expliquent ce rapport singulier au
luxe, si différent de la consommation Occidentale du luxe. Comprendre les fondements de ces
modes de consommation est comme nous le verrons plus loin vital afin d’appliquer la
meilleure stratégie de luxe possible à une marque.
Au fil de cette première partie nous sommes revenus sur les fondamentaux du concept
de luxe et nous avons essayé de définir ce qui fait précisément le luxe. Au travers d’une
analyse minutieuse de ces différents critères (rareté, exclusivité, raffinement, savoir-faire,
héritage culturel etc.) et d’un marketing-mix présentant ses spécificités de produit, de prix, de
communication, et de distribution nous avons cherché à démontrer en quoi il se distinguait
fondamentalement du Premium. La réalisation d’un panorama des forces en présence a quant
à elle permis de présenter, dans un premier temps, les acteurs du secteur et d’en exposer
succinctement le positionnement et les stratégies, et dans un second temps, les clients du
secteur. L’analyse des différents types de clients du luxe et l’appréhension des différences
culturelles induisant des rapports et des modes de consommation du luxe singuliers nous ont
quant à elles permis de maîtriser l’importance des enjeux du secteur et de comprendre qu’une
vraie stratégie de luxe se doit d’en maîtriser tous les éléments pour être viable.
La structure et les caractéristiques du secteur du luxe étant à présent soulignés, nous
allons à présent aborder la seconde partie de ce mémoire. Nous examinerons dans un premier
temps les trois business modèles types du luxe et analyserons dans un second temps comment
face aux défis actuels les grandes maisons de luxe françaises sont amenées à repenser leurs
stratégies de management du luxe.
45 Deuxième partie -
Perspectives stratégiques des grands groupes
de luxe français
L’objectif premier de cette partie est d’apporter une vision synthétique des business
modèles du luxe et des stratégies qui sous-tendent ces modèles. Il s’agit ensuite de
comprendre comment les modifications de l’environnement du luxe et les défis qui émergent démocratisation des produits de luxe suite à l’émergence de classes moyennes dans les pays
émergents, nouveaux canaux de distribution et vente de produits par le biais d’Internet impactent les entreprises du secteur. Face à ces difficultés, les grands groupes de luxe sont
amenés à adapter leurs stratégies. Une appréhension fine de ces diverses questions se révèle
en effet être capitale pour leur pérennité. Nous verrons donc comment une maîtrise parfaite de
ces problématiques peut permettre de définir de nouvelles stratégies de management du luxe
répondant aux nouveaux enjeux du secteur.
Chapitre 1-
Business Modèles du luxe et stratégies de croissance
Dans la première partie de ce mémoire, nous avons souligné la multitude et
l’hétérogénéité des acteurs qui composent le secteur du luxe. Rappelons à ce propos que le
Comité Colbert regroupe à lui seul 75 maisons de luxe françaises. Nous avons certes réalisé
un focus sur les trois principaux acteurs du luxe en France mais il convient de souligner que le
secteur compte aussi bon nombre de Petites et Moyennes Entreprises (PME). C’est pourquoi,
plutôt que de dresser un tableau portant sur la pluralité de stratégies développées par ces
derniers, il nous a semblé plus pertinent de discerner des business modèles types, qui à défaut
d’être exhaustifs permettent néanmoins d’appréhender plus finement les stratégies à l’œuvre.
La première section de ce chapitre vise à présenter trois business modèles du luxe
tandis que la seconde section propose une analyse comparée des stratégies de distribution et
d’internationalisation développées par les grandes maisons de luxe.
Section 1-
Les Business Modèles propres au luxe
Il existe plusieurs business modèles du luxe. Jean-Noël Kapferer et Vincent Bastien
dans leur ouvrage Luxe Oblige en distinguent trois.
46 (I)
Le modèle des produits de luxe au cœur de métier rentable
Ce modèle est celui du marché des accessoires de la personne (Horlogerie – Bijouterie
ou Maroquinerie) ou celui de l’Automobile. Il s’appuie sur un cœur de métier rentable et
suffisamment puissant afin d’assurer à lui seul la pérennité du groupe de luxe. La
caractéristique première de ce modèle est que la rentabilité repose sur le milieu de gamme des
produits du cœur de métier.
La marque Louis Vuitton Malletier cœur historique de la marque Louis Vuitton
(groupe LVMH) constitue un bon exemple appartenant à ce modèle. Louis Vuitton Malletier
(Malles et Bagages) est en effet concentré sur le marché de la maroquinerie, qui est son cœur
d’activité. D’autres produits à l’image des chaussures, des montres et du textile sont certes
vendus sous la marque Louis Vuitton mais se situent hors de cœur de métier et restent encore
des activités marginales. Seule l’activité du cœur de métier sera analysée dans ce business
modèle.
(A) Comprendre les spécificités du business modèle
Ce modèle présente trois spécificités : au niveau du produit, de la production et de la
distribution.
En ce qui concerne la spécificité produit, notons tout d’abord que le modèle se
concentre sur un cœur de métier précis : Pour Louis Vuitton, il s’agit du bagage (de la malle
au sac à main en passant par le sac de ville) et de la petite maroquinerie. L’offre de produits
qui sont par ailleurs fortement différenciés est extrêmement contrôlée. En d’autres termes, les
« territoires esthétiques et techniques »49 des produits se recoupent très faiblement, de façon à
couvrir au maximum les besoins des clients (par exemple une ligne de sacs de ville
comportera uniquement un sac à main à poignées, à dos et à porter en bandoulière) avec le
minimum de produits. Autre point essentiel, le lancement d’un nouveau produit se fait avec
parcimonie. Les novelles gammes introduites ne sont d’ailleurs pas là pour se substituer aux
gammes existantes (qui enregistreraient par exemple une croissance moins élevée) mais bien
pour compléter les lignes existantes. Par ailleurs, si la marque introduit une nouvelle gamme,
cette dernière sera vendue à un prix bien plus élevé que celui des gammes existantes50. Dans
49
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 370
Cette stratégie consiste en effet à faire croître le niveau de prix du cœur de gamme en même temps qu’elle
entretient l’écart social. Elle a d’ailleurs été vérifiée à plusieurs reprises, notamment par Louis Vuitton lors du
lancement de la ligne de sacs « Epi » en 2007, venant compléter la ligne « Monogram ».
50
47 ce modèle la rentabilité s’effectue donc sur le milieu de gamme. Les produits d’entrée de
gamme (petite-maroquinerie dans le cas de Louis Vuitton) ne sont pas créés pour réaliser du
profit, ni pour faire du volume mais bien pour initier de « futurs fidèles » à l’univers de la
marque et les fidéliser aux valeurs et savoir-faire des produits. Ces produits se doivent donc
d’exprimer la quintessence du rêve et de l’imaginaire de la marque afin de séduire ces futurs
clients. Ces produits d’entrée de gamme, lorsqu’il sont présent, le sont donc en nombre très
réduit (peu de choix de modèles et de coloris) mais présentent la caractéristique d’être très
qualitatifs. Nous reviendrons sur ce point plus loin.
En ce qui concerne la production, notons que dans ce modèle l’intégration verticale
(de l’atelier de production à la vente en magasin en propre) est totalement contrôlée par la
marque. La dimension de rêve étant partie intégrante du produit, il n’est par ailleurs pas
question de sous-traiter la production. Celle-ci est d’ailleurs réalisée par de petits ateliers de
production artisanale très organisés (et non par une usine de taille conséquence totalement
automatisée). LVMH dispose ainsi d’ateliers de production en région parisienne à Asnières, et
la maison Guerlain a quant à elle installé les siens dans les Yvelines à Rambouillet.
La distribution est elle aussi très contrôlée. Comme nous l’avons vu précédemment, la
vente de tels produits se transforme en véritable expérience polysensorielle où le client
pénètre totalement dans l’univers de la marque. Il est par conséquent hors de question pour ce
modèle de vendre ses produits autrement que dans ses propres magasins avec des forces de
ventes parfaitement formées aux codes et aux valeurs de la marque.
Notons cependant qu’en dépit de la rigueur de gestion que requiert ce business
modèle, les marques affichent en générale une rentabilité exceptionnelle. A titre d’exemple, la
marque Louis Vuitton qui en 1977 ne valait que 70 millions de Francs (soit environ 10
millions d’euros) valait en 2008 plus de 25,7 milliards de dollars.
(B)
Analyser le schéma de fonctionnement
Les performances exceptionnelles de ce business modèle sont le fruit, comme nous
l’avons vu, d’une gestion stricte et à la stratégie orientée sur le long-terme. Ce modèle dans
lequel les sociétés sont très intégrées demande des compétences très poussées en management
(création, production, distribution et communication), et une focalisation quasi permanente
sur l’adéquation entre caractéristiques du produit et rêve du client.
48 Le schéma de fonctionnement de ce business modèle au cœur de métier rentable se
compose donc des éléments suivants :
-
une gamme très courte : la concentration de la gamme sur un nombre restreint de
produits (comme la malle Louis Vuitton et ses aménagements intérieurs ou la variété
limitée des carrés Hermès) tient au fait qu’il est extrêmement difficile de réussir un
produit de luxe à la combinaison parfaite entre utilité, esthétique et prix. Une gamme
étroite facilite par ailleurs la stratégie de communication et la création d’un symbole
de distinction aisément reconnu de tous.
-
une faible proportion de produits chers mais peu vendus : ces produits contribuent en
effet à entretenir le rêve qui enveloppe la marque et en rehausse le prestige du fait de
leur inaccessibilité (tenant principalement à leur coût exorbitant). Les produits très
chers ne sont néanmoins pas rentables. Une marque qui, comme Rolls-Royce, ferait le
choix de ne produire que ce type de produit prendrait ainsi le risque de disparaître.
-
un nombre très restreint de produits d’entrée de gamme : Ces produits visent deux
types de clientèles : les « excursionnistes » qui achètent occasionnellement des
produits de luxe sans marque de prédilection et les « futurs fidèles » sur lesquels une
marque de luxe se doit de capitaliser. Nous avons déjà souligné que du fait de leur
vocation première – initier les néophytes à l’univers de la marque - ces produits
doivent être présent en nombre très restreint. Le but étant qu’une fois séduit, le client
porte par la suite ses achats sur le milieu de gamme de la marque. La logique sousjacente à une gamme restreinte comportant peu de référence est aussi liée à l’idée de
ne pas trop démocratiser la marque et de ne lui donner que la visibilité nécessaire.
-
un cœur de gamme présentant des produits très travaillés et différenciés, au nombre de
références réduit, mais répondant néanmoins le plus largement possible aux attentes
des clients : la raison est simple, c’est ce segment qui fait la rentabilité de la marque.
(C)
De nombreux écueils à éviter
Ce modèle de fonctionnement impose tout de même une certaine vigilance afin
d’éviter bon nombre de mauvais calculs.
Le principal écueil consiste à mener une stratégie de diversification (extension ou
expansion de marque) trop intense qui a pour seule conséquence de diluer complètement la
marque. Il convient de souligner la différence qui existe entre extension (« brand extension »)
49 et expansion (« brand stretching ») de marque. L’extension consiste à appliquer la stratégie
de luxe de la marque à un territoire nouvellement conquis. C’est précisément la stratégie qui a
pu être poursuivie par le Joaillier Cartier en devenant Horloger, par le Maroquinier Hermès en
s’appropriant le marché de la soie, ou encore par le Malletier Louis Vuitton en devenant
Maroquinier. A contrario, l’expansion de marque vise elle à exploiter la marque dans un
nouveau territoire du marché du luxe mais en y appliquant non pas une stratégie de luxe mais
mode ou premium. C’est précisément la stratégie qu’ont poursuivis Cartier en produisant des
stylos et des parfums et Louis Vuitton du prêt à porter. Pour résumer, dans le premier cas la
marque devient un véritable acteur du luxe sur le nouveau marché conquis, en contrôlant bien
sûr toute la chaîne de production – ce que fit par exemple Chanel en devenant propriétaire de
champs de jasmin à Grasse pour produire son parfum Chanel « N°5 ». Dans le second cas, la
marque se rapproche plus d’une stratégie de licence que d’une stratégie de luxe.
Rappelons qu’une marque n’est généralement légitime que dans son cœur d’activité
incorporant un savoir-faire précis, un territoire de compétences et des valeurs définis. Cela
renvoie à l’Horlogerie-Bijouterie et non au cuir pour Cartier, à la Maroquinerie et non aux
accessoires de mode pour Louis Vuitton. Une stratégie d’extension peut donc tout à fait être
menée par une marque mais pour être réussie elle nécessite une forte légitimité de la marque
dans ce nouveau territoire et surtout l’assurance de pouvoir y mener une stratégie de luxe.
Louis Vuitton dont l’univers porte sur le thème du voyage peut justifier une certaine
légitimité à s’étendre dans le secteur de l’horlogerie. Ce pari a d’ailleurs été fait lors du
lancement de la montre Tambour. Cela a certes été un véritable succès, mais si Louis Vuitton
est la marque dominante en maroquinerie et bagage, elle n’est qu’un petit challenger en
horlogerie face à Rolex ou Baume & Mercier. Il est donc possible de mener une stratégie
d’extension mais généralement cela se révèle difficile lorsqu’une marque détient une
légitimité mondiale sur un métier où elle est très rentable. Elle n’accepte souvent pas d’avoir
peu de légitimité, d’être un très petit « concurrent » et de ce fait d’être peu rentable.
Notons que lorsqu’une stratégie s’étend en dehors du territoire de légitimité défini, la
marque a recours à de l’expansion de marque. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette
stratégie ne fait pas chuter immédiatement la rentabilité de la marque. Cette dernière
augmente au contraire, du moins dans un premier temps – d’où le succès phénoménal des
stratégies de licence. Le véritable problème de cette stratégie est qu’elle contribue fortement à
la dilution et l’affaiblissement de la marque.
Les véritables succès de diversification et de conquête de nouveau territoire – à
l’image d’Hermès, passé de la sellerie et de la maroquinerie à la soie tout en conservant son
métier d’origine, et en continuant à mener une stratégie de luxe – sont rarissimes. Soulignons
50 pour conclure un cas très intéressant de changement de cœur d’activité dans le luxe, celui de
S.T Dupont. Le métier d’origine de la marque le briquet n’étant plus aussi rentable,
l’entreprise a pris la décision de se reconvertir dans le stylo. Il s’agissait bien dans ce cas
d’une extension de marque, les deux métiers présentant de fortes similitudes, que se soit au
niveau du produit (petits objets fait de métal et de laque) qu’au niveau de la distribution
(marché du cadeau). Or cette diversification fut un succès total. Néanmoins, encouragée par
cette première diversification, la marque décida ensuite de se lancer dans la maroquinerie et
textiles pour homme. Cette diversification, qui s’apparente à de l’expansion de marque fut un
échec qui entraîna la marque dans une spirale financièrement infernale. La société n’avait en
effet aucun légitimé dans ces segments qui étaient trop éloignés du cœur de métier de S.T
Dupont.
Retenons simplement que suivre une stratégie de diversification (extension ou
expansion) peut être ardu. Une telle stratégie est par ailleurs souvent mise en oeuvre du fait de
la pression générée par les actionnaires – surtout quand la marque n’appartient plus à la
famille éponyme - dont l’objectif est d’accroître la rentabilité financière de la marque. Il
convient donc de bien différencier stratégie d’expansion dans le luxe - à priori légitime pour
la marque - et stratégie d’expansion hors du luxe (licences etc.) - très dangereuse pour la
marque.
Un autre piège lié à ce modèle consiste à vouloir rejeter le passé. L’arrivée « au
pouvoir » d’une nouvelle équipe présente en effet un risque majeur. La tentation de cette
nouvelle équipe à vouloir montrer son talent, en rejetant le passé du groupe de luxe ou en
cessant d’investir dans des produits existants mais faisant la rentabilité de l’entreprise, est en
effet très forte. Or cela est inconcevable pour une marque de luxe qui se nourrit à la fois de
son passé et de son futur. Le métier où cette difficulté de management se produit le plus
souvent est celui de la parfumerie. C’est d’ailleurs dans ce métier que l’on observe le plus de
retours en arrière – retours aux « Grands Classiques » suite à des échecs de nouveaux
lancements.
Un dernier risque mais pas des moindres posé par ce business modèle, est celui lié à
l’usure de la marque et à la lassitude des clients. Il est de loin le pire car il peut faire
disparaître une marque de luxe au succès pourtant planétaire comme Louis Vuitton et sa toile
Monogram. Ce risque s’accroît quand la marque est très démocratisée et lorsque que la limite
entre démocratisation et vulgarisation (catastrophique pour la marque) devient floue. Il peut
être lié à une trop forte visibilité qui ne chercherait plus assez à entretenir la part de rêve et
51 s’adresserait à des cultures très diverses en leur tenant le même discours. Le problème est que
dans le luxe, les achats étant peu fréquents, il est difficile de détecter cette lassitude des
clients. Une marque doit donc s’efforcer d’être très à l’écoute de ses clients afin de recueillir
une information qui ne soit pas biaisée. Disposer d’un réseau de magasin en propre peut dans
ce cas précis s’avérer très utile.
(II)
Le modèle des produits de luxe au cœur de métier trop restreint
Il convient à présent d’aborder un deuxième modèle : celui des entreprises du luxe au
cœur de métier trop restreint. Ce modèle est celui des maisons dont le métier d’origine est
certes très prestigieux mais extrêmement peu rentable : soit parce que les produits sont trop
difficiles à vendre en quantité suffisante pour que les finances de l’entreprise se portent bien,
soit parce que le marché est trop restreint et impossible à étendre (Châteaux, Hôtellerie,
Restaurants etc.). Dans ce cas, et contrairement au modèle précédent, la rentabilité du modèle
ne repose pas sur le métier d’origine qui lui, porte la dimension de rêve, mais sur d’autres
métiers. La marge (à la fois en pourcentage et en volume) est réalisée sur les produits les
moins chers.
Nous allons donc analyser précisément les deux business modèles qui caractérisent ce
modèle et permettent d’accroître la rentabilité des entreprises concernées. Il s’agit du modèle
de la pyramide et du modèle de la galaxie.
(A) Le business modèle de la pyramide
Ce modèle, formalisé par Jean-Noël Kapferer et Vincent Bastien dans Luxe Oblige51,
présente la particularité d’être strictement hiérarchisé – la créativité et l’image étant portées
par le haut de la pyramide et déclinées ensuite au reste de la pyramide. L’exemple le plus
représentatif de ce modèle est la Haute Couture française. Les maisons de Couture telles qu’
Yves Saint Laurent conçoivent en effet leur gamme selon une succession de strates allant de
l’offre la plus exclusive (la griffe au sommet de la pyramide) à des strates qui tout en étant
chères dans leur segment sont pour autant très accessibles. Ce fonctionnement s’apparente
bien à un modèle pyramidal puisqu’il culmine à un sommet très étroit proposant des œuvres
rares et uniques, qui ne possèdent pas de prix dans l’absolu et s’élargit progressivement au fur
et à mesure que l’on descend vers la base de cette pyramide. Il convient de noter que la
51
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 377
52 dimension de rêve est créée au sommet et rejaillit en cascade sur les différents produits de la
pyramide : des lignes de prêt à porter sélectives aux accessoires mode et à l’horlogerie en
passant par la cosmétique, les lunettes et la parfumerie.
Le Business modèle de la pyramide
Rêve
Aura
Art
Pièce unique, griffe,
Créateur starifié,
renouvellement régulier
Distribution très sélective /
cible étroite
Petites séries
faites main
Argent
Distribution plus large
Premium
Haut de gamme
Licence / Accessoires
(masstige)
Distribution large
Appauvrissement créatif
Source des données : N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013
Les marques telles que Dior et Pierre Cardin constituent de bons exemples de business
modèle présentant une forme pyramidale. La pyramide Dior est en effet caractérisée par un
fort jaillissement créatif en haut de la pyramide incarné en la personne de John Galliano, alors
53 que l’essentiel des ventes de la maison à lieu en bas de la pyramide avec les accessoires de
mode. La marque Pierre Cardin fonctionne quant à elle différemment. L’époque à laquelle
Pierre Cardin était reconnu comme grand créatif étant depuis longtemps révolue, il ne reste
plus à la pyramide qu’une base extrêmement large reposant uniquement sur des licences (plus
de cinq cents dans le monde). La méthode de valorisation qui s’applique à ce modèle repose
ainsi sur des flux de royalties prévisionnels.
Notons que le principal enjeu de ce modèle consiste donc à maintenir une cohérence
réelle entre les différents produits qui composent la marque et qui nourrissent son véritable
univers. C’est là la principale difficulté. Deux risques sous-tendent en effet ce modèle : la
dilution créative et la contamination par le bas. Dans le premier cas, force est de constater
qu’au fur et à mesure que l’on s’éloigne du prestigieux sommet de la pyramide, la perte de
puissance créatrice d’une marque et donc de son rayonnement peut être réelle. Dans le second
cas, le risque de contamination renvoie à l’effet de volume facilement créé par les petits
produits accessibles et à très forte marge. Cette solution de facilité ne doit jamais être choisie,
bien qu’il y ait une tentation naturelle des marques « fragiles » à vouloir « griffer » une
multitude de petits produits, et à multiplier les licences afin d’accroître rapidement les
bénéfices et de satisfaire les actionnaires.
Le modèle de la pyramide qui s’applique aux produits de luxe au cœur de métier trop
restreint pour être rentable constitue donc un business modèle exploitable et rentable s’il est
bien géré par les équipes de managers. Un autre modèle constitutif des produits de luxe au
cœur de métier trop restreint mérite cependant d’être analysé : le business modèle de la
galaxie.
(B)
Le business modèle de la galaxie
Ce modèle a été développé en 2004 par Marie-Claude Sicard. Bien que prenant le
même point de départ que le modèle de la galaxie (un cœur de métier trop restreint pour être
rentable et un créateur souhaitant se développer), il fonctionne pourtant différemment. Alors
que le modèle pyramidal instaure une hiérarchie stricte entre les produits de sa gamme (entre
le sommet, les petites séries issues des ateliers et les grandes séries caractérisant le bas de la
pyramide), le modèle de la galaxie n’opère pas de hiérarchie entre ces produits, placés à
égalités les uns par rapport aux autres. Au lieu de présenter une extension verticale des
produits, le modèle de la galaxie présente en fait une extension horizontale de ses produits,
54 qui ne présentent pas d’infériorité ou de supériorité créative les uns par rapport aux autres.
Chacun d’eux incarne ainsi de façon identique le rêve de la marque. Ce modèle présente donc
des produits gravitant autour du pouvoir et du talent d’un seul homme, le créateur, qui assure
à lui seul la cohérence de la marque. Contrairement au modèle de la pyramide, ce modèle
n’impose donc pas que tous les produits soient vendus dans un même magasin pour attester la
cohérence de la marque.
Le Business modèle de la galaxie
Cosmétique
Horlogerie - Joaillerie
Haute - Couture
Parfumerie
Marque
Accessoires de mode
Maroquinerie
Bijouterie
Prêt à porter
Source des données : N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013
Le cas de la maison Chanel, bien qu’ambigu puisque l’entreprise a développé une
structure unique mélangeant le modèle de la galaxie et le modèle pyramidal, permet
néanmoins d’illustrer concrètement les caractéristiques du modèle de la galaxie. La maison
Chanel est présente sur un grand nombre de segments : la Haute Couture, la maroquinerie, la
parfumerie, l’horlogerie-joaillerie, et les accessoires de mode. Or, ces segments du luxe
représentent certes des univers très distincts – le parfum « Chanel N°5 » ou la célèbre montre
« J-12 » n’étant aucunement influencés par la Haute Couture - mais tout aussi créatifs et
révélant chacun une facette de la marque.
Le principal risque de ce modèle est qu’il ne repose que sur la personnalité, la force
d’attraction et l’aura d’un seul homme, le créateur. La question qui se pose est la suivante :
55 qu’advient-il du modèle en galaxie d’une marque lorsque son créateur disparaît ? La marque
Ralph Lauren qui s’est développée autour de son créateur éponyme et qui fonctionne selon ce
modèle en galaxie est par exemple concernée par cette problématique. A la disparition de son
créateur emblématique, qui incarnera le style de vie de Ralph Lauren ? Assistera-t-on à une
reprise de flambeau par la famille ? La marque sera-t-elle gérée comme Hugo Boss qui na pas
de personnalité incarnant la marque ?
Notons à ce propos que la maison Chanel a su contourner à merveille cette difficulté.
Alors que son créateur Gabrielle Chasnel alias Coco Chanel a disparut depuis longtemps, la
maison a mis en place un « tandem » entre la marque (le luxe) et le créateur (la mode) – il
s’agit de Karl Lagarfeld. C’est d’ailleurs ce mode de fonctionnement singulier qui explique
son succès phénoménal.
En guise de conclusion, il convient de rappeler que lorsqu’une marque dispose d’un
cœur d’activité trop restreint pour être rentable, elle a le choix entre développer une stratégie
pyramidale ou en galaxie. Dans ces deux cas, la rentabilité ne s’effectue pas sur les produits
uniques et rares relevant de l’œuvre d’art mais sur les produits d’entrées de gamme beaucoup
plus accessibles.
(III)
Un modèle singulier du luxe : le business modèle du Parfum
Nous venons d’examiner les deux principaux business modèles sur lesquels reposent
les marques de luxe. Par soucis d’exhaustivité, Il convient d’opérer un rapide focus sur un
troisième modèle : celui du parfum.
Le parfum qui fait partie intégrante de l’univers du luxe se conçoit pourtant (du fait
des stratégies développées) comme un produit « de luxe », issu du luxe auquel l’on n’applique
pas toujours de stratégie luxe. Dit autrement, le parfum est un produit « de luxe » mais dont
une grande partie des produits du marché se situe en fait « hors du luxe ». De fait, plus de la
moitié des produits présents sur le marché sont des produits mode ou premium, créés par les
géants des biens de consommation tels que L’Oréal avec sa marque Lancôme, ou Procter &
Gamble. La singularité des stratégies employées52 mérite que l’on s’y attarde plus amplement.
(A) Les spécificités du marché du parfum
52
Il convient de noter que les deux types de stratégies « de luxe » et « premium/mode » coexistent sur le même
marché et utilisent les mêmes canaux de distribution pour vendre leurs produits.
56 Le marché du parfum possède trois caractéristiques structurantes que sont : la non
communication sur l’odeur, la longévité du produit et la présence de marges brutes très fortes.
Rappelons donc tout d’abord que l’on ne communique jamais sur l’odeur d’un parfum.
La raison est simple : il est tout à fait impossible de reproduire ou de rendre compte d’une
odeur à grande échelle, contrairement à l’image ou au son. Ce détail explique donc pourquoi
dans la communication du parfum, une telle importance est donnée à l’image. L’esthétique du
flacon apporte la dimension visuelle (et « incarne » symboliquement le parfum dans la
publicité) et tactile (notamment le premier contact physique avec le produit) et vient
compléter la dimension polysensorielle du produit (pour être luxe, l’odeur seule ne suffit pas).
Le parfum constitue par ailleurs un produit à la durée de vie particulièrement longue53.
Il se conçoit comme un produit immuable et « hors du temps ».
La dernière spécificité tient au fait que malgré des marges brutes très élevées, sa
rentabilité, certes honorable, reste moyenne. Cela était différent jusque dans les années 1990 –
le parfum représentant alors une activité très rentable du luxe et comptant parfois comme
seule ressource rentable d’une marque (par exemple chez Yves Saint Laurent, ou encore chez
Christian Dior). Passée cette époque, les grands groupes de « masstige » à l’image de L’Oréal
ont investi ce marché, et dès lors, les prix de lancement de nouveaux parfums ont explosé.
Alors que celui-ci se chiffrait à 10 millions de dollars à la fin des années 1980, il représente
actuellement en moyenne une année de chiffre d’affaire d’un parfum de luxe, soit environ 100
millions d’euros. Qui plus est, face à cette rentabilité quelque peu contestable, la durée de vie
moyenne du parfum s’est raccourcie54, du fait de l’effet « de mode » de lancements quasipermanents de nouveaux parfums.
Face à ces difficultés et spécificités, pour accroître sa rentabilité, une maison de luxe
dont le cœur d’activité est le parfum doit aujourd’hui s’efforcer d’être la plus talentueuse
possible55, et de contrôler sa distribution dans la mesure du possible (éviter de distribuer
uniquement ses produits dans des magasins sélectifs (Sephora) et se retirer définitivement des
supermarchés). Notons qu’une marque ne peut se résoudre à quitter totalement la distribution
53
Le parfum « N°5 » de Chanel fut lancé en 1921 et reste aujourd’hui un intemporel de la marque, tout comme
« Shalimar » de Guerlain créé en 1925.
54
La durée de vie moyenne d’un parfum s’élevait auparavant à quelques décennies, aujourd’hui le rapport se
situe plutôt autour de quelques années, voire de semestres.
55
Ce talent se mesure à l’aune des « Nez » recrutés et des jus créés. Citons à titre d’exemple la célèbre suisse
Vera Strubi (parfum « Angel » pour Thierry Mugler) ou encore Chantal Roos (parfum « Le Mâle » pour Jean
Paul Gaultier)
57 sélective. Afin de garder une stratégie de luxe, elle peut suivre l’exemple des maisons Chanel,
Hermès ou Guerlain et limiter la distribution par ce canal à un nombre restreint de parfums.
(B)
Deux business modèles : le couple Haute Couture – Parfum vs
le Mass Premium
Nous venons de rappeler brièvement les spécificités fondamentales du marché du
parfum, il convient à présent d’en exposer les deux business modèles phares.
Le premier business modèle du parfum de luxe a trait au couple formé par la Haute
Couture et le parfum. Aussi étrange que cela puisse paraître, alors que le parfum est
historiquement un métier de luxe56, parfaitement légitime et n’ayant pas a fortiori besoin de
s’associer à un autre métier du luxe pour exister, force est de constater que les grandes
maisons de parfum de luxe n’ayant pas cherché à fusionner avec la Haute Couture
représentent des cas isolés. Seuls Guerlain et Caron n’ont pas diversifié leurs activités et sont
restés ancrés dans leur cœur de métier : la parfumerie « pure ». Tous les autres succès
mondiaux sont issus de la Haute Couture. Citons à cet effet le « N°5 » de Chanel, « L’Air du
temps de Nina Ricci », « Opium » d’Yves Saint Laurent ou le dernier succès en date,
« Angel » de Thierry Mugler.
Cela tient précisément au fait que la part de rêve contenue dans le parfum se situe à la
fois hors du contenant physique (le flacon) et du contenu (l’odeur). En d’autres termes, un
parfum peut posséder une odeur réellement complexe et envoûtante, mais la part de rêve qu’il
entretient n’est pas portée par la fragrance. Elle est en fait portée par l’univers dans lequel vit
le produit. Jean-Noël Kapferer explique à ce propos que « le véritable business modèle du
parfum de luxe est donc celui de l’introduction d’une seule fragrance, faite pour durer
toujours et immortaliser l’univers du couturier »57. L’introduction d’un parfum n’est donc pas
supposée répondre à un objectif de rentabilité financière mais est directement liée à « la
découverte d’une nouvelle composition olfactive, cohérente avec l’univers du couturier »58.
Le second business modèle caractéristique du parfum a trait au « Mass Premium » terme hybride issu d’une contraction entre les termes « Mass Market » et « Premium ». Ce
modèle renvoie à une fréquence de lancements élevés et régulière, suivie de peu par un
56
Les origines du parfum remontent à l’Egypte Ancienne où il était utilisé sous forme de poudres aromatiques et
de bois précieux afin d’honorer les dieux. Il accompagnait de fait chaque geste pieux et rituels. Il était par
ailleurs couramment utilisé pour l’embaumement des corps, à des fins purificatrices. La vie post-mortem du
défunt était en effet conditionnée par la bonne préservation du corps.
57
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 386
58
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 386
58 abandon du produit. La rentabilité de ce modèle repose sur les bénéfices dégagés sur les
ventes du premier parfum et servant à financer la publicité des parfums suivants.
Notons que ce business modèle, qui emprunte fortement aux stratégies marketing
classiques, se situe à l’extrême limite de la stratégie de luxe. La valeur n’est en effet pas
placée dans le parfum, le flacon, ou la part de rêve dégagée, mais dans la publicité et la
communication qui l’entourent. Nous sommes typiquement dans une situation de marketing
de la demande et non pas, comme c’est presque systématiquement le cas pour les produits
purs de luxe, dans un marketing de l’offre. La différence entre ce modèle et le modèle
précédemment évoqué (le couple Haute Couture – Parfum), tient au fait que dans ce cas, le
parfum n’est pas directement lié à une personnalité créatrice, source de cohérence et de
prestige, mais se trouve en adéquation avec l’analyse de segments de population cible et de
spots publicitaires répondant parfaitement aux attentes de la cible visée.
Une question émerge enfin : Le Parfum est-il voué à rester luxe ? Les deux business
modèles que nous venons d’examiner ont démontré que le parfum est entré dans une logique
d’abandon progressif des codes du luxe (en particulier au niveau de la distribution qui n’est
pas uniquement sélective). Ce changement de stratégie a plusieurs causes, dont la principale
est la pression de la Mode.
Nous avons en effet expliqué que les grands parfums ne sont plus le fait de parfumeurs
purs (à l’exception de Guerlain) mais de grands couturiers. La première étape soulignant une
régression de la légitimité du parfum en tant que produit de luxe est dès lors franchie. Le
produit constituant la base de la stratégie de luxe, dès lors que le luxe n’est pas porté par le
produit mais par l’appartenance à l’univers du créateur, il est impossible que ce produit soit
« de luxe ».
L’équilibre économique est par ailleurs de plus en plus difficile a atteindre. Cela tient
au fait que depuis le début des années 1990, le coût de lancement d’un nouveau parfum de
luxe est tellement important que ce n’est plus rentable. Seules les grandes maisons de parfums
parviennent à l’équilibre en utilisant les ressources générées par leurs parfums intemporels. Il
convient néanmoins de souligner que bien que ce modèle soit viable, il atteste d’un
changement de stratégie fondamental qui n’est plus celle du luxe mais celle de la mode et du
premium : les grandes maisons de parfum se retrouvent en fait sur le terrain bien connu des
géants de la consommation – qui au passage détiennent de meilleurs outils pour accroître leur
rentabilité. L’Oréal ou Procter & Gamble, spécialistes des stratégies de Mass Premium sont
59 en effet bien mieux armés pour rivaliser. C’est la raison pour laquelle le groupe Kering (exPPR) a vendu à L’Oréal en janvier 2008 la licence Yves Saint Laurent Parfums59.
L’analyse des différents business modèles du luxe nous a permis d’aborder les
stratégies d’offre et de positionnement qui les sous-tendent. Nous avons par ailleurs convenu
de la difficulté pour ces groupes de luxe de développer et de maintenir un business modèle
qui ne dilue pas la marque au fil des ans et finisse pas l’entraîner hors du luxe. Cette analyse
portant sur les stratégies d’offre nous amène à pénétrer dans un niveau de détail plus précis,
en présentant notamment une analyse comparée des stratégies de distribution et
d’internationalisation développées par les grands groupes de luxe.
Section 2-
Analyse comparée des stratégies de distribution et de
croissance externe des groupes de luxe français
Cette section a pour objectif d’analyser de
manière comparative les différentes
stratégies de distribution et d’internationalisation mises en œuvre par les grands groupes de
luxe.
(I)
Analyse comparative des stratégies de distribution
Nous avons déjà examiné l’importance capitale du choix du mode de distribution pour
une marque, qui rappelons le, oscille entre magasins en propre, distribution exclusive ou
sélective, cessation de licences, distribution via internet etc. Nous avons vu que la stratégie de
distribution joue un rôle clé dans le luxe et doit être finement élaborée.
Une première tendance des stratégies de croissance menées par les groupes de luxe a
trait au renforcement des canaux de distribution. Les grands groupes de luxe ont à
l’unanimité, depuis 2006, considérablement étoffé leur réseau de magasins. En d’autres
termes, comme le démontre le graphique ci-dessous, il n’existe pas de groupes de luxe dont le
réseau de magasins n’a pas cru depuis 2006. La croissance moyenne du parc de magasins de
l’échantillon retenu – les dix premiers groupes de luxe60 - s’élève à 22%61. Les taux oscillent
entre 10% (Christian Dior Couture) et 30% (Armani, Tod’s). Notons à ce stade que les
59
« L’Oréal s’offre Yves Saint Laurent Beauté », Le Figaro, 2008
Le groupe LVMH, premier groupe mondial ne figure par dans le graphique par soucis de clarté. Le groupe
était à la tête d’un réseau de 1854 points de vente en 2006 et de 2300 points de vente fin 2012. Son parc a donc
progressé de 42% entre 2006 et 2012.
61
D. David et A. Fontanet, « Les groupes de luxe dans le monde », Xerfi Global, 2009, P.67
60
60 groupes de luxe disposant d’un large portefeuille de marques sont plus dynamiques en terme
d’ouverture de points de vente que les groupes monomarques.
La décennie écoulée a permis de distinguer plusieurs tendances en matière de stratégie
de distribution.
(A) Une recrudescence du renforcement de l’intégration en aval de
la distribution
L’une des grandes tendances actuelles en matière de renforcement du contrôle de la
distribution consiste en l’intégration poussée de la distribution, notamment en aval.
L’intégration en aval consiste pour les maisons de luxe à prendre le contrôle sur la
distribution en gros (« wholesale ») et de détail (« retail »). Cette stratégie a pour objectif
d’intégrer progressivement la totalité des acteurs intervenant dans le processus de distribution
du produit, et de renforcer le contrôle de la distribution des produits (sélectivité des points de
vente, meilleur contrôle de l’image, des équipes de ventes etc.). Notons par ailleurs que le
renforcement du contrôle de la distribution en gros par les grands groupes de luxe passe par la
création de filiales locales (notamment à l’étranger). A titre d’exemple, le groupe LVMH
61 détient des filiales sur l’ensemble des marchés sur lesquels il est présent, Christian Dior
compte environ 30 filiales et la maison Hermès a implanté près de 25 filiales dans des pays
différents.
(B)
Un fort développement du réseau de magasins en propres
Le développement du réseau de magasins en propres des grands groupes de luxe est la
tendance qui a le plus marqué la décennie écoulée. Plusieurs raisons expliquent ce
phénomène. Nous avons déjà précisé qu’opter pour la distribution de produits via des
magasins en propre était l’une des stratégies les plus cohérentes avec les fondements du luxe.
Elle permet en effet comme nous l’avons vu, de gagner en efficacité opérationnelle, de
contrôler parfaitement la marque (l’image, le prix et le produit), les forces de vente, et enfin
de piloter efficacement la chaîne de logistique et de production.
A titre d’exemple, le groupe Kering dont l’objectif de renforcement du réseau de magasins en
propre figure clairement dans les objectifs 2013 énoncés dans son rapport d’activité de
201262, a fait croître son réseau de magasins de la division « luxe » exploités en propre de
43% entre 2006 et 201163. 69% de son réseau de distribution est d’ailleurs constitué de
magasins en propre.
De la même manière,
la maison Hermès a fait croître son réseau de
magasins en propre de 42 % entre 2006 et 2011.
Le réseau de distribution du groupe est constitué à
62,5% de magasins en propre.
Il
convient
néanmoins
de
souligner
qu’hormis les grandes maisons de luxe à l’image
de LVMH (notamment avec Louis Vuitton) ou
d’Hermès, peu d’acteurs du luxe peuvent
opter pour ce mode de distribution. Si les
grands groupes de luxe disposent d’une
offre suffisamment large et profonde pour
avoir recours à un réseau de magasins
exploités en propre, il n’en va pas de
62
63
Rapport financier, Kering, 2012
« PPR », Xerfi Entreprises, 2012
62 même pour les marques « monoproduit » ou au cœur d’activité caractérisé par les cosmétiques
ou la parfumerie. Compte tenu du prix unitaire plus faible de ces produits, il est beaucoup
plus difficile de rentabiliser financièrement un point de vente en propre (location de la
boutique sur des avenues prestigieuses telles que la 5th Avenue de New-York, ou l’Avenue
des Champs-Elysées à Paris par exemple). Hormis quelques maisons de luxe spécifiques, la
grande majorité des acteurs du luxe optent donc pour une stratégie de distribution diversifiée
(distribution exclusive, sélective, showrooms, franchise etc).
(C)
Une hausse du développement des Flagship Stores
Les Flagship Stores (« magasin pilote ou témoin » en français) sont des boutiques à la
surface dépassant les 500 m2 et présentant la caractéristique de proposer l’ensemble de l’offre
produits d’une maison de luxe. Les Flagship Stores sont une des conséquences directes de
l’internationalisation des grandes maisons de luxe et sont généralement implantés dans des
villes au marché du luxe en pleine croissance (Brésil, Beijing, Tokyo, Milan, Paris etc.). L’un
des grands avantages de ce mode de distribution est que le magasin témoin reconstitue
parfaitement l’univers de la marque. Devenu outil de communication à part entière, fortement
visible de part son emplacement méticuleusement choisi (Plaza 66 de Shanghai (Mall de 66
000 m2), Palace Hotel de Pékin (Mall de 60 000 m2) ou grandes Avenues mondiales
prestigieuses), il offre ainsi une véritable vitrine à la marque.
Parmi les dernières ouvertures mémorables figurent Lanvin, qui a ouvert son plus
grand FlagshipStore en Chine à Pékin dans le district de Chaoyang (556 m2 répartis sur trois
étages), Burberry qui a aussi ouvert un Flagship Store de plus de 1100 m2 à Pékin, et plus
récemment Cartier, qui a ouvert dans l’été 2013 un Flagship Store situé Boulevard des
Capucines à Paris, s’étendant sur 2200 m2.
(D) Un mode distribution de plus en plus prisé : Internet
L’une des grandes tendances actuelles a trait à la distribution multicanal
principalement marquée par l’utilisation d’Internet. Les enjeux soulevés par la dimension de
l’expérience digitale sont tels que nous leurs réservons une place de choix plus loin dans ce
mémoire. Soulignons néanmoins quelques chiffres. François Arpels, digne héritier de la
famille de bijoutiers Van Cleef & Arpels souligne que le luxe, « par sa créativité et sa capacité
d’innovation, […] sait formidablement s’adapter aux évolutions sociales »64. En atteste la
64
J. De La Brosse, « Le Business du Luxe », L’Expansion, n°786, 2013, P.36
63 croissance de la distribution des produits de luxe via internet, qui, s’il y a quelques années
était bannie de la stratégie des maisons de luxe françaises, croît aujourd’hui à un rythme de
25% par an. Si la distribution en ligne 65 ne représente actuellement que 3% du chiffre
d’affaires66 des grands groupes de luxe, un bel avenir lui est promis. Selon le cabinet de
conseil Bain & Company, le taux de croissance de vente de produits de luxe en ligne devrait
atteindre 4 à 6% d’ici à 2015, soit 13 milliards d’euros. Les premières a avoir franchi le pas au
début des années 2000 ne sont autres que Burberry, Lancôme, Hermès, et Tiffany. Elles ont
été suivies de près par LVMH qui a malheureusement essuyé un échec avec le site de vente en
ligne eLuxury. Plus récemment, Alexander McQueen, Stella McCartney67, Versace, puis
Baccarat, Van Cleef & Arpels68, et Cartier ont décidé de se lancer dans la distribution en
ligne. Les stratégies développées par les grandes maisons de luxe ont été les suivantes : en
2010, le groupe suisse Richemont a racheté la quasi totalité du capital du site marchand Net-àporter, Kering a quant à lui créé en mai 2012 une joint-venture avec Yoox, le partenaire
privilégié des grands groupes de la mode italienne (Dolce & Gabanna, Armani etc.), et
LVMH a décidé de s’allier à la boutique en ligne Moda Operandi. En dépit de quelques
groupes récalcitrants tels que Guerlain, Rolex, Céline, Berluti ou encore Vacheron
Constantin69, la plupart des groupes de luxe ont pris le parti d’oser la vente de produits en
ligne et donc de composer avec l’évolution technologique qui impose de développer de
nouvelles stratégies, notamment digitales. Nous verrons plus loin dans ce mémoire que bien
que ce canal de distribution soit très porteur et constitue sûrement la clé de l’avenir, son
utilisation est soumise à bon nombre de règles qu’il convient d’appliquer strictement si l’on
veut ne pas sortir du luxe et rester légitime dans son domaine.
65
La distribution en ligne doit être différenciée du e-commerce, qui a connu ses heures de gloires dans les
années 2000 pour raison majeure. Alors que le e-commerce a pour simple objectif de permettre une transaction
marchande en ligne, la distribution en ligne intègre une dimension de stratégie digitale qui vise certes à vendre
en ligne mais en recréant un univers propre à la marque (culture de l’exceptionnel, de la rareté, et de l’expérience
unique vécue en magasin).
66
J. De La Brosse, « Le Business du Luxe », L’Expansion, n°786, 2013, P.35
67
Ces deux marques appartiennent au groupe Kering.
68
Van Cleef & Arpels appartient au groupe Richemont
69
G. Meignan, « Le Business du Luxe », L’Expansion, n°786, 2013, P.60
64 (II)
Analyse comparative des stratégies d’internationalisation
Le succès des stratégies d’internationalisation des grands groupes de luxe repose sur
un pilier : se positionner sur des marchés promettant d’enregistrer dans les années à venir des
taux de croissance records. D’ici 50 ans, la Chine, L’Inde, L’Indonésie, le Brésil ou encore le
Mexique - dont la population additionnée s’élève à plus de 3 milliards d’individus - seront les
moteurs de la croissance économique mondiale. Selon le rapport de 2013 sur les perspectives
économiques mondiales publié par la Banque Mondiale70, alors que le taux de croissance du
PIB mondial devrait s’élever à 2,2% pour 2013 et est estimé à 3% pour 2014, le taux de
croissance des pays en développement sera de 5,1% pour 2013 et de 5,6% pour 2014. A une
échelle plus précise, le rapport précise que les taux de croissance pour l’année 2013 devraient
atteindre, 7,3% pour l’Asie de l’Est, 5,2% pour l’Asie du Sud, 3,3% pour la région de
l’Amérique Latine, et enfin 4,9% pour l’Afrique Subsaharienne.
C’est précisément la raison pour laquelle les grands groupes de luxe ont à l’unanimité
renforcé ces dernières années le développement international de leurs marques en
Source : Xerfi Global
s’implantant sur de nouveaux marchés sélectionnés avec soin.
70
« Global Economic Prospects », The World Bank, Juin 2013
65 Le graphique71 ci-dessus démontre qu’onze groupes de luxe sur la vingtaine étudiés
(soit 55%) réalisent plus de la moitié de leur chiffre d’affaires hors de leur marché domestique
et que quatorze d’entre eux (soit 70%) ont un chiffre d’affaires dont plus de 40% est réalisé à
l’international. Le groupe LVMH, leader mondial du luxe arrive en tête de ce classement avec
très exactement 69% de son chiffre d’affaires (2012) réalisé hors Europe. Ces éléments sont
corroborés par les schémas ci-dessous - dont les données sont extraites des rapports financiers
des trois premiers groupes français de luxe.
LVMH
Ventes par zone géographique (2012)
10%
11%
20%
28%
ci-contre
confirment
en
effet
l’importance
du
chiffre
d’affaires des trois premiers
Europe (hors France)
groupes
de
luxe
français
Etats-Unis
réalisé
hors
du
territoire
Asie (Hors Japon)
23%
schémas
France
Japon
8%
Les
Autres marchés
national. Le groupe LVMH,
de
loin
le
plus
internationalisé, réalise ainsi
Kering
Vente par zone géographique (2012)
Europe de L'Ouest
12%
6%
30%
7%
25%
son
chiffre
quant à lui 70% de son chiffre
d’affaire hors de l’Europe de
l’Ouest – qui représente à elle
seule 30% du chiffre d’affaire
du groupe. La maison Hermès
présente
enfin
un
chiffre
d’affaires de 84 % réalisé
16%
Europe (hors France)
19%
16%
hors du sol national. L’Asie
Amériques
reste
Japon
dynamique. Elle compte en
Asie-Pacifique (hors
Japon)
la
région
d’affaires total.
D. David et A. Fontanet, « Les groupes de luxe dans le monde », Xerfi Global, 2009, P.69
66 la
plus
effet pour 32% du Chiffre
est
Le groupe Kering réalise
France
32%
71
d’affaires
Asie Pacifique
Hermès
Vente par zone géographique (2012)
16%
ailleurs que plus d’un tiers de
réalisé en Asie (Japon inclus).
Amérique du Sud
1%
hors France. Soulignons par
Amérique du Nord
EEMEA (Europe de l'Est,
Moyen Orient, Afrique)
20%
89% de son chiffre d’affaires
Le groupe LVMH et la maison Hermès apparaissent ainsi comme les deux acteurs du
luxe français les plus internationalisés. L’Asie, nouveau centre attractif du marché mondial du
luxe de par son dynamisme à la fois économique et démographique constitue, comme le
démontrent les schémas ci-dessus, un véritable eldorado de l’investissement pour les leaders
mondiaux du luxe. Cela explique en partie pourquoi depuis les dix dernière années LVMH et
Hermès ont considérablement renforcé leur présence sur le territoire asiatique. Hermès qui
possède déjà 27 boutiques en Chine estime qu’il lui serait possible d’y développer autant de
boutiques que la maison en exploite déjà.
LVMH a quant à lui vu croître son
nombre de magasins en Asie de 20% entre
Source: Xerfi Entreprises
2010 et 2011 72 . Leur succès hors du
territoire français s’explique comme nous
l’avons déjà vu par la capacité de ces
marques
(Louis
Vuitton
étant
la
« locomotive » du groupe LVMH) à
recréer cet écart social entre les individus
(phénomène de « re-stratification de la
société ») attestant indéniablement d’une évidente réussite sociale, et enfin à transporter une
part de rêve, de prestige et d’unicité du produit.
Nous avons donc examiné dans ce chapitre les trois business modèles phares du luxe
et analysé en profondeur certaines stratégies qui les sous-tendent – dont celles mises en
oeuvre dans le cadre de la distribution et de l’internationalisation.
Il convient à présent d’aborder le second et dernier chapitre de ce mémoire qui porte
sur les défis auxquels doivent faire face les maisons de luxe et sur les perspectives d’évolution
à l’horizon de 2020.
72
« LVMH », Xerfi Entreprises, 2012, p.41
67 Chapitre 2-
Défis actuels et perspectives d’évolution à l’horizon
de 2020
L’objectif de ce chapitre est de comprendre comment les modifications structurelles de
l’environnement du luxe et les défis qui émergent – démocratisation des produits de luxe suite
à l’émergence de classes moyennes dans les pays émergents et à l’enrichissement global de la
planète, apparition de nouveaux canaux de distribution et vente de produits par le biais
d’Internet - impactent les entreprises du secteur. Face à ces mutations, les grands groupes de
luxe sont amenés à adapter leurs stratégies.
Nous allons donc analyser par le biais d’une appréhension plus fine de ces diverses
questions comment les grands groupes du luxe composent avec ces difficultés, et quelles sont
les stratégies de management nouvellement mises en place.
Nous allons aborder dans cette partie les deux principaux défis que sont la
démocratisation des produits de luxe et la vente de produits de luxe via Internet
Section 1-
Dépasser le défi de la démocratisation des produits de luxe :
comment gérer la rareté et l’épuisement du rêve face à l’augmentation incessante de la
demande ?
Le marché du luxe a encore de très beaux jours devant lui. Selon l’étude portant sur le
marché mondial du luxe publiée en mai dernier par le cabinet de conseil en stratégie Bain &
Company73, le secteur devrait afficher 4 à 5% de croissance pour l’année 2013 et dépasser les
250 milliards d’euros en 2015. Le cabinet estime par ailleurs que le marché du luxe en 2025
sera cinq fois supérieur à ce qu’il était en 1995. Cette croissance fulgurante initiée dans les
années 1980 et couplée à une très forte démocratisation des produits de luxe se doit d’être
anticipée. Elle engendre en effet une transformation radicale du visage du luxe et nécessite
l’élaboration de nouvelles stratégies de management. Le défi généré par la démocratisation
des produits de luxe suppose tout d’abord d’analyser quelques chiffres.
Alors que le groupe de luxe suisse Richemont (Montblanc, Jaeger-Le Coultre, Cartier,
Van Cleef & Arpels) a annoncé des résultats annuels (2013) très en hausse – le résultat annuel
73
L’étude 2013 sur le marché mondial du luxe publiée par le cabinet s’appuie sur les résultats financiers de 230
des principales entreprises mondiales de luxe.
68 devrait atteindre les 2 milliards d’euros – et que la maison de couture italienne Prada affiche
un bénéfice net ayant progressé de 44,9%74 (625,7 millions d’euros) pour l’exercice 20122013, certaines marques à l’image de Louis Vuitton (LVMH) ou Gucci (Kering) ont affiché
pour 2012 une croissance relativement molle. Si la norme du secteur il a quelques années
était de l’ordre de 25% à 30% de hausses annuelles des ventes, force est de constater que
depuis six mois le luxe est coupé en deux. Certains acteurs tels qu’Hermès, Prada, Richemont
ou encore Salvatore Ferragamo sont encore a parfaitement imperméables à la crise et
affichent des résultats insolents – parfois même au delà du « fameux double digit » (plus de
10% de croissance)75 - tandis que d’autres à l’image de Louis Vuitton (LVMH), Tiffany ou
Mulberry affichent une stagnation voir un net recul des ventes. Cette dichotomie partage ainsi
le luxe entre deux types d’acteurs. Deux aspects majeurs expliquent cette tendance.
Deux dynamiques sont en effet à l’œuvre : la modification des habitudes de
consommation des élites des pays émergents et l’apparition de nouveaux clients dans les pays
émergents.
La modification apparente du goût des élites en matière de luxe, dans les pays en
développement et plus particulièrement en Chine, vient refondre en profondeur les stratégies
de distribution et de vente des produits de luxe. Jusqu’à présent, du fait de la Révolution
Culturelle, du boom économique associé et, de la vitesse fulgurante à laquelle les populations
chinoises ont accédé à la société de consommation - les clients chinois consommaient plus
pour la marque que pour eux-mêmes, attachaient donc une importance capitale à la visibilité
du logo et au fait que la marque soit rapidement identifiable par autrui. Or, les résultats
financiers en demi-teinte pour les zones émergentes des marques Louis Vuitton et Gucci
attestent d’un changement radical des habitudes de consommation. Nous assistons en effet à
une sophistication de la demande des élites des zones émergentes. Ces élites se sont en effet
fatiguées des marques trop « logotypées » qui saturent le marché (Ligne Monogram de Louis
Vuitton, logo aux lettres « C » entremêlées de Gucci trop aisément reconnaissable etc.). Face
à ce rejet, selon M. Karklins-Marchay, associé chez Ernst & Young, des marques telles que
Prada ou Hermès ont une désirabilité encore plus forte parce qu’elles ont mis en place des
stratégies qui font que « les marques ne se dénaturent pas »76. Cette sophistication de la
demande dans le luxe progresse à une vitesse fulgurante dans les pays émergents. Il existe
désormais une génération de chinoises qui achètent une marque avant tout pour elles-mêmes
74
Rapport financier, Prada, 2012
« An in-depth look at the French luxury industry », cpp-Luxury.com
76
N. Vulser, « Les changements de goûts des chinois bousculent le secteur du luxe », Le Monde, 2013
75
69 et non plus pour être vues. Afin de pallier cette difficulté et redynamiser les ventes de sacs sur
un marché sursaturé - l’atonie des ventes de la division Mode & Maroquinerie est inédite
depuis 2009 – le troisième trimestre 2013 enregistrait une stagnation de + 0,4% pour la région
Asie (hors Japon)77 - Louis Vuitton a entrepris début 2013 de lancer une nouvelle gamme de
sacs totalement dénuée du célèbre logo78. Cette stratégie s’inscrit dans la volonté de répondre
aux nouvelles attentes des consommateurs chinois qui achètent à présent pour eux-mêmes et
vise à se détourner du problème de la saturation du marché en produits Louis Vuitton.
Si la modification des goûts des élites en matière d’achat de produits de luxe explique
en partie la mutation structurelle du marché du luxe dans les pays émergents, elle est loin
d’être la seule à l’oeuvre. Le second aspect a trait à l’émergence fulgurante d’une classe
moyenne dans les pays en développement. C’est cette classe moyenne qui est à la base de
l’explosion de la demande actuelle et qui contribue à renforcer la démocratisation des produits
de luxe. Représentant actuellement un quart de la consommation chinoise, elle devrait assurer
35% de la consommation mondiale et 75% de la croissance des achats de produits de luxe en
Chine d’ici à 202079. Or, il convient de noter que pour le moment cette classe moyenne n’a
pas intégré le changement de comportement de l’élite et est dans une phase de copie des
logiques antérieures d’achat. Elle est donc actuellement fortement intéressée par les marques
reconnaissables, à logos très visibles et capables d’attester de l’élévation sociale des clients.
Mais d’ici peu, cette masse qui représentera jusqu’à 280 millions d’individus en 2020
s’intéressera à des produits moins visibles et plus intimes. Les maisons de luxe s’efforcent
donc d’anticiper du mieux qu’elles peuvent en favorisant l’éducation de ces populations vis à
vis des marques. La multiplication des expositions organisées par les grandes maisons de luxe
s’inscrit parfaitement dans cette logique. En atteste la pléthore d’expositions des dernières
années : l’exposition N°5 Culture Chanel80 qui s’est tenue au Palais de Tokyo à Paris en mai
dernier, et qui faisait suite à une exposition organisée en octobre 2011 au National Art
Museum de Pékin – exposition consacrée aux fondements de l’inspiration de Gabrielle
Chanel ; l’exposition Cartier « Trésors de Cartier » à la cité interdite en 2009 ; ou encore la
rétrospective « Timeless Beauty » organisée par Van Cleef & Arpels au Museum of Modern
Art de Shangaï en 2012. Notons à ce propos que « Les journées particulières » de LVMH qui
ont eu lieu à Paris durant l’été 2013 s’inscrivent dans le même mouvement. Elles sont, selon
Jean-Jacques Picart, conseiller indépendant pour des maisons de luxe81, « destinées de la
77
Rapport annuel, LVMH, 2012
« Louis Vuitton launches logo-free products exclusively dedicated to china », cpp-luxury.com
79
J. De La Brosse, « Le Business du Luxe », L’Expansion, n°786, 2013, P.33
80
« Produits de luxe ou objets d’art ? Une stratégie de célébration », Le Monde, 18 juin 2013
81
L.Barbery-Coulon, « Le Luxe « Made for China » », Le Monde, 2013
78
70 pédagogie auprès du grand public français et à l’échelle internationale grâce au
rayonnement médiatique de l’opération ».
Sous l’effet d’un changement radical des habitudes de consommation des élites
des pays émergents et de l’apparition d’une classe moyenne en pleine expansion, les grandes
maisons de luxe sont donc amenées à faire preuve d’anticipation et à réorienter leurs
stratégies de management.
Notons au passage que le défi posé par l’expansion du marché du luxe dans les pays
émergents et plus particulièrement dans la région asiatique implique une transformation en
profondeur du marché du luxe. Nous avons déjà évoqué l’idée selon laquelle nous tendons de
plus en plus vers une production occidentale du luxe alors que sa consommation n’est plus
majoritairement occidentale. Le luxe, qui est de plus un produit d’importation doit donc
s’efforcer de s’adapter aux cultures locales s’il veut s’enraciner et rester légitime. Nous
soulevons là un paradoxe du luxe : pour survivre, il faut que sa concurrence se développe. Il
s’agit en effet de faire naître une forme d’émulation locale qui chercherait à dépasser le
modèle actuel du luxe82. Ainsi, il est permis de penser que pour que le luxe français puisse
durer en Chine, il faut qu’il s’y développe un luxe chinois. Cela implique par exemple d’aider
à faire émerger un luxe chinois à la fois légitime et authentique. L’exemple de la maison
Hermès avec la création de sa filiale Shang Xia en Chine s’inscrit parfaitement dans cette
dynamique. La marque Shang Xia fondée en 2007 par Hermès – qui détient plus de 90% des
parts – vise à commercialiser des produits de luxe issus de l’artisanat chinois. L’idée
principale était de faire renaître l’artisanat chinois tout en transférant la philosophie de la
maison Hermès en Chine.
Au vu de ces éléments le luxe se doit donc d’innover dans ses stratégies s’il ne veut
pas disparaître. La demande massive de produits à laquelle les maisons de luxe font face leur
impose en effet de ne pas céder aux sirènes de la consommation et du profit facile et de leur
tenir tête en augmentant leur prix et en renforçant leur sélectivité.
Face à la démocratisation accrue des produits de luxe, les maisons de luxe se doivent
en effet de ne pas abandonner la rigueur de la stratégie de luxe et d’augmenter les prix de
leurs produits alors que ceux-ci se vendent plus. Cette stratégie permet en effet de redonner
une dimension « re-stratificatrice » aux produits qui se vendent trop bien et contribue ainsi a
recréer un certain écart social par l’augmentation du prix. Contrairement à ce que l’on
82
La différence fondamentale entre concurrence et émulation réside dans le fait que la première vise à anéantir le
concurrent, alors que la seconde vise à dépasser un exemple pour tendre vers l’excellence.
71 pourrait penser, cette stratégie n’a pas toujours l’effet escompté (c’est à dire voire la demande
baisser puisque le prix du produit augmente). Les produits de luxe sont en effet soumis à
l’effet Veblen, du nom du célèbre économiste Thorstein Veblen, qui veut que la demande
augmente si le prix augmente. Il convient donc de coupler l’augmentation du prix à un
renforcement de l’exclusivité, notamment par la mise en place de clubs fermés (à l’image de
la Clicquot Connection et ses 10 000 membres à Shanghai, du club privé Yachts Swan83, etc.)
qui exacerbe la fonction de clôture du luxe. Le sentiment d’exclusivité est ainsi stimulé par la
dimension exclusive des clubs.
Pour face à cet enjeu de la croissance du marché, certaines maisons optent quant à
elles pour des stratégies singulières. Hermès met en effet un point d’honneur à contrôler de
façon stricte sa capacité de production en organisant méticuleusement la rareté de ses
produits. Ainsi, comme l’affirme Patrick Thomas, PDG de la Maison Hermès, « Quand un
produit se vend trop, nous l’arrêtons84 ». Certaines marques à l’image d’Yves Saint Laurent
(Kering) ou Céline (LVMH) utilisent la méthode de « Fast-Fashion 85» qui s’apparente à une
stratégie de renouvellement permanent de leurs collections. Elles approvisionnent ainsi sans
arrêt leurs magasins en nouveautés, ce qui entretient le trafic dans ces points de vente.
Il n’en reste pas moins que la véritable solution face à la démocratisation des produits
de luxe qui peut engendrer leur banalisation (fatale pour une grande Maison de luxe) réside
dans la dimension culturelle et artistique du luxe. Nous avons vu combien luxe et art sont
consubstantiels. L’art permet en effet de souligner à la fois la dimension actuelle
et
intemporelle des marques de luxe. C’est une façon pour les marques de luxe de gérer la
contradiction entre intemporel et actuel. Dis autrement, l’art contemporain permet de garantir
l’actualité des produits présentés par une marque de luxe. Sans cette dimension, il ne resterait
alors que la dimension intemporelle du luxe qui entraîne des créations tellement inactuelles
qu’elles sont invendables. Cela est malheureusement le cas de plusieurs bijouteries de la place
Vendôme dont les bijoux à l’aspect « vieillot » ne trouvent acheteur. Ce qu’il convient surtout
de comprendre c’est que l’art apparaît comme la « caution esthétique et sociale du luxe »86.
Dès lors qu’une marque renforce la dimension culturelle liée à son univers et met en quelque
sorte l’accent sur l’art, elle se met implicitement plus du côté de la culture que du côté
83
Dans ces clubs, l’argent ne suffit pas pour être accepté comme membre. Il faut en général démontrer que l’on
est digne d’intégrer le club et se faire parrainer pour y entrer.
84
« Produits de luxe ou objets d’art ? Une stratégie de célébration », Le Monde, 18 juin 2013
85
N. Vulser, « Les changements de goûts des chinois bousculent le secteur du luxe », Le Monde, 2013
86
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 55
72 purement commercial de la vente. Cette dimension peut être fondamentale pour des marques à
l’image de Rolex ou de Louis Vuitton dont les produits rencontrent un succès hors norme et
dont la démocratisation remet constamment en cause leur statut de marque de luxe. La
logique des séries qui est inhérente à la démocratisation des produits de luxe rend de facto
indispensable l’entretien du mythe de la marque lié à un savoir-faire artisanal et authentique,
codé, et respectueux des valeurs et traditions. L’entretien du mythe sert aussi à renforcer la
part de rêve et d’imaginaire inhérente à l’esprit de la marque. Comme le rappelle Jean-Noël
Kapferer87, « le combat pour la suprématie symbolique de notre luxe se joue sur le terrain de
la culture désormais ». Cette recherche de légitimation institutionnelle est par exemple visible
au travers de la création de Fondations par les Maisons de luxe. Un des précurseurs en la
matière fut André Dominique Perrin, PDG chez Cartier, qui en 1984 créa la Fondation pour
l’Art Contemporain à Jouy-en-Josas. Il faut suivi presque immédiatement par bon nombre de
Maisons de luxe, et aujourd’hui toute Maison qui se revendique de luxe détient une Fondation
d’Art Contemporain. Alors que le groupe Kering a inauguré la sienne en 2006 au Palazzo
Grassi à Venise, Louis Vuitton a dernièrement ouvert la sienne en 2013 au Jardin
d’Acclimatation de Neuilly-sur-Seine, à Paris. C’est donc par un renforcement de la distance
symbolique avec les produits premium et en légitimant le culte d’une marque par un
processus de célébration, de sanctification et encore d’artification88 que le luxe peut trouver
une alternative viable à la banalisation qui le guète.
Face à ce premier défi de taille qu’est la démocratisation des produits de luxe suite à
l’émergence dans les années 1980 d’un réel engouement pour la consommation en tout genre,
force est de constater que les grands groupes de luxe n’ont d’autre choix que d’anticiper au
mieux les tendances qui se dessinent et les difficultés qui apparaissent dans le but de
réorienter leurs stratégies ou de les redéfinir quand celles-ci menacent de faire sortir le groupe
de l’univers du luxe.
Nous allons à présent aborder le second défi majeur du XXIe siècle qui a trait au
dilemme posé par la distribution de produits en ligne. Nous verrons que dans ce cas,
l’incertitude qui pèse sur l’avenir et la vitesse à laquelle évoluent les nouvelles technologies
conditionnement réellement la définition de stratégies digitales par les grands groupes de
luxe.
87
« Produits de luxe ou objets d’art ? Une stratégie de célébration », Le Monde, 18 juin 2013
L’artification se conçoit comme un « processus de requalification de simples produits en art, voir en
patrimoine de la culture ».
88
73 Section 2-
Le défi de la digitalisation : comment développer une stratégie
numérique sans sortir du luxe ?
En parallèle de la révolution asiatique et des mutations stratégiques qu’elle engendre,
émerge une autre révolution qui n’a pas totalement été intégrée par les acteurs du luxe. Il
s’agit de celle du numérique.
Soulignons que la prise de conscience de l’importance de ce canal de distribution par
les marques de luxe est presque totale. Nous l’avons déjà vu, nombreuses sont les marques de
luxe qui ces dernières années ont pris le parti de composer avec l’ère de la digitalisation et du
numérique. Suite aux précurseurs des années 2000 tels que Burberry, Hermès ou encore
Tiffany, rappelons que les géants du luxe ont récemment décidé de se lancer dans la
distribution en ligne : en 2010, Richemont rachetait le site marchand Net-a-Porter, en mai
2012, le groupe Kering créait une joint-venture avec Yoox - le célèbre site de vente de
produits en ligne - et plus récemment LVMH a décidé de s’allier à la boutique en ligne Moda
Operandi. Malgré quelques derniers réfractaires au passage à l’ère de la digitalisation, tels que
Guerlain, Rolex, Céline ou encore Berluti, force est de constater que bon nombre des grands
du luxe ont mis un point d’honneur, et ce malgré les risques, à tenter de composer avec
l’évolution technologique en développant des stratégies digitales. Nous verrons plus loin
qu’une stratégie digitale n’impose par nécessairement la vente via Internet. Il s’avère
d’ailleurs que sur 127 marques de luxe recensées, seulement 52 marques soit 41% proposent
de la vente en ligne89.
Comment dès lors, articuler intelligemment stratégie du luxe et outils offerts par les
nouvelles technologies telles qu’Internet, smartphones, réseaux sociaux etc. ? C’est
précisément cette problématique sous-jacente au thème de la révolution numérique que nous
allons tenter d’analyser.
Rappelons que le succès d’Internet comme canal de distribution, est lié au fait qu’il
permette une réduction notoire des coûts de transaction et plus particulièrement selon
l’expression de Jean-Noël Kapferer, « du coût d’accès au client » et du « coût de stockage »90.
Ces deux aspects expliquent en partie l’augmentation très nette de la zone de chalandise et
donc par construction, de la taille du marché de clients potentiels. Or, il convient ici de
rappeler que le luxe, foncièrement différent du Premium ou de la mode, ne suit pas les mêmes
89
90
« Les groupes de luxe dans le monde », Xerfi Global, 2009
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 314
74 logiques que ces derniers. Et il semble à première vue qu’Internet et le luxe constituent deux
mondes aussi contradictoires qu’incompatibles. Alors qu’Internet appartient au monde de
l’instantané, de la transparence, de l’utilité, des offres promotionnelles et discount, de l’accès
immédiat et facile pour tous (dimension universelle), le luxe entretien la valorisation du temps
long, le mystère, la sophistication, n’a pas de prix dans l’absolu, et surtout cultive son rapport
à la rareté en réservant l’accès à une certaine frange de la population (le luxe est exclusif).
Nous pourrions encore souligner qu’alors qu’Internet est public et automatisé, le luxe est
intime et conçu par de véritables humains. Toutes ces contradictions réunies nous amènent
donc à penser la complexité de la gestion de ce canal de distribution.
Le numérique est ainsi une source de challenge pour les marques de luxe. Le premier
défi a trait à la dimension de contrôle. Nous l’avons vu, une grande maison de luxe contrôle
généralement d’une main de fer son marketing-mix : produits, prix, distribution,
communication et image. Or, comment garder une politique de contrôle ferme avec un tel
espace de liberté qu’est Internet ? La problématique du prix est l’une des plus ardue. Nous
avons déjà noté qu’une marque de luxe, dans la mesure du possible, ne communique jamais
son prix afin de garder et de préserver la part de mystère et de rêve qui entoure le produit. Or,
il est extrêmement difficile de concilier une politique de prix respectant les règles du luxe et
une présence sur Internet – qui est transparent par définition. Soulignons dès à présent que si
une marque de luxe se limite à communiquer par le biais d’Internet, la gestion du prix est
relativement simple (elle ne l’affiche pas). Dès lors qu’il s’agit de vendre sur Internet, cela
relève de l’impossible.
Le second défi a trait à la dimension de l’imitation. Alors que le luxe se définit comme
avant-coureur, précurseur de nouvelles tendances, original, Internet est le temple de
l’imitation et du « mimétisme ». Les marques de luxe doivent ainsi prendre conscience de la
non obligation de suivre les tendances comme le fait le premium ou la mode.
Le troisième défi est lié à la dimension purement commerciale d’internet. Il est clair
qu’Internet est un lieu qui se réinvente constamment et où le e-commerce est actuellement roi.
Tous les grands succès récents - que l’on se réfère aux entreprises américaines telles
qu’Amazon ou eBay, ou à des sites français de vente en ligne tels que Vente-privée.com - ont
réussi par la mise en place de business modèles novateurs liés à un mode de distribution
différent, reposant principalement sur l’abaissement des « coûts de transaction » auparavant
évoqués. Or, il convient de souligner que le luxe repose sur une logique tout à fait différente.
Tout d’abord, la vente en elle-même ne constitue qu’une petite partit du processus de
75 l’achat91. Par ailleurs, notons que dans l’absolu, la maison de luxe n’est pas censée inciter ses
clients à l’achat - qui détruit une parcelle de rêve inhérente au produit et qu’il convient donc
de renouveler par le biais d’une nouvelle publicité ou communication. Analysons à présent
quelques chiffres. Le cabinet de conseil en stratégie Bain & Company dans une étude récente
datant de mai 2013 explique à ce propos que sur les 191 milliards de dollars de vente du
marché du luxe en 2011, seuls 5,6% sont imputables à a vente en ligne, dont 32% constituent
de la vente en soldes. Or, une vraie marque de luxe ne fait pas de soldes, cela étant contraire
aux fondements sur lesquels repose sa stratégie. Ce chiffre d’affaires des ventes en ligne
atteignant 5,6% confirme donc que les produits vendus en ligne sont soit des produits plutôt
premium ou mode ou bien sont des produits issus du luxe mais auxquels la marque n’applique
pas de stratégie luxe (c’est l’exemple des parfums, de la cosmétique, ou encore du
maquillage). Cette confusion qui est due en partie à la polysémie du terme luxe (c’est à dire à
l’amalgame entre luxe, mode et premium) nous amène donc a formuler une première
conclusion. Les grandes maisons de luxe sont certes très présentes sur internet, mais suivent
une stratégie digitale précise : elles n’y vendent pas toute leur gamme de produits et
sélectionnent dûment ceux qui permettront d’ouvrir davantage leur clientèle, et de renforcer
leur visibilité sur le marché tout en ne dépréciant pas leur image. Notons que les produits mis
en vente sur Internet sont
généralement des produits
déjà exclus de l’univers du
luxe par la marque. A titre
d’exemple,
la
maison
Chanel peut tout à fait
vendre l’un des parfums de
sa gamme en ligne mais
n’y
vendra
jamais
son
modèle de montre phare, le
modèle Chronograph. Cette
idée selon laquelle il n’est
possible de trouver que
certains
produits
(généralement de l’’entrée
91
Le processus d’acquisition d’un produit de luxe s’articule en trois phases fortement liées à la notion de
« temps-long ». La première phase est celle de l’avant-achat, période caractérisée par une certaine forme de
jouissance qui naît de l’attente. La deuxième phase est celle de l’acte d’achat lui-même, elle est caractérisée par
le vécu d’une expérience unique et magique. La troisième phase est qualifiée de post-achat. Elle est très
importante dans le luxe car un vrai produit de luxe voit sa valeur croître avec le temps.
76 de gamme) – dûment sélectionnés – en ligne est corroborée par le graphique92 ci-dessus. Il
souligne notamment, que sur 52 marques étudiées93, les parfums et cosmétiques sont les
produits les plus représentés sur Internet. Six marques sur 10 proposent d’ailleurs des
cosmétiques, du parfum ou de la petite maroquinerie sur leur site de vente en ligne.
Les trois défis que sont la perte de contrôle, d’originalité et la réduction du processus
d’achat de produits de luxe à un achat impulsif se doivent donc d’être connus des marques se
lançant dans la vente en ligne. De toutes ces contradictions, et principalement de la difficulté
de gestion du prix d’un produit sur internet se dégage donc une stratégie : une marque de luxe
doit composer avec cet outil révolutionnaire et évolutif qu’est Internet, par exemple au travers
de sa communication mais doit être consciente des risques que présente la vente en ligne, et
ne doit en aucun cas, comme le souligne Jean-Noël Kapferer « vendre librement ses
produits »94 (c’est à dire les sélectionner d’une part, les vendre à certains clients d’autre part
et bien choisir son mode de distribution en ligne). Précisons cependant qu’Internet est un outil
en constante évolution et que le web 2.0 que nous connaissons actuellement et qui est
caractérisé par de véritables phénomènes d’interactivités (contrairement à la dimension
purement marchande du web 1.0 des années 2000) n’aura certainement pas les mêmes
fonctionnalités d’ici quelques années. Le web 2.0 apparaît donc comme risqué pour les
activités de vente en ligne. L’anonymat 95 , le risque de contrefaçon, et l’absence de
polysensorialité (impossibilité de reproduire les sensations de toucher, ou d’odeur ; d’où un
amenuisement du raffinement et de la composante multisensorielle du luxe) qu’il implique
rendent en effet cette fonctionnalité quasiment impossible pour les vrais produits de luxe.
Tout au plus peut-on se lancer dans la vente de produits d’entrée de gamme finalement moins
riches sensuellement. Cette stratégie permet ainsi de ne pas attacher à la marque une image
trop « ringarde » et lui permet par la même occasion d’attirer une nouvelle clientèle, ainsi
préparée à pénétrer dans l’univers de la marque. Nous en arrivons donc à la conclusion que
pour que le luxe puisse s’épanouir véritablement sur internet, deux conditions devraient être
remplies. Il s’agit de l’assurance de l’identification personnelle et sécurisée et de la mise en
œuvre de la polysensorialité. Le web 3.0 permettra peut-être de pallier ces difficultés et à ce
moment, le luxe sera en mesure de considérer Internet comme canal de distribution potentiel.
92
« Les groupes de luxe dans le monde », Xerfi Global, 2009
Les 52 marques étudiées dans le cadre de l’étude Xerfi sont les principales du secteur.
94
J.N Kapferer, V. Bastien, Luxe Oblige, Eyrolles, 2013, p. 124
95
La relation personnelle est difficile à établir sur Internet. Si elle ne pose pas de problème pour les individus
déjà clients de la marque et connaît un franc succès dans les activités d’après vente ou de relation client
(« CRM » - Customer Relationship Management), elle est difficile à mettre en place avec de nouveaux clients.
93
77 D’ici là, une marque de luxe ne devrait s’en tenir qu’à une règle : Communiquer activement
via Internet mais vendre en ligne avec extrême parcimonie.
Nous avons soulevé bon nombre de difficultés inhérentes à l’utilisation d’Internet par
les marques de luxe. Il convient néanmoins de noter que si Internet est une indéniable source
de défis, elle n’en est pas moins une source de belles opportunités.
Une marque de luxe devrait certes éviter de vendre sur Internet. Cela ne signifie pas
pour autant qu’elle ne doive pas communiquer activement via Internet. Le numérique peut en
effet être source d’opportunités pour la marque. Nous avons parlé du web 2.0 qui se
caractérise par sa dimension interactive. Celle-ci est liée à l’émergence et à la croissance
fulgurante des réseaux sociaux à l’image de Facebook, Twitter, ou encore Pinterest et via
lesquels une marque de luxe peut légitimement communiquer. Ces réseaux constituent de
véritables atouts car ils permettent de créer un lien avec de nouveaux segments de la
population, notamment les catégories plus jeunes, qui constituent peut-être de futurs clients.
Certaines marques à l’image de Dior (LVMH) qui compte plus de 12 millions de fans sur
Facebook, de Burberry qui en compte 15 millions ou de Louis Vuitton qui en recense 13
millions ont bien compris les enjeux majeurs des réseaux sociaux. Olivier Billon, Community
Manager96 et fondateur de l’agence Ykone, spécialiste de la gestion des réseaux sociaux pour
les marques de luxe explique en effet qu’avec ces nouveaux outils, la marque de luxe est
amenée à mieux contrôler son image, sa réputation et à interagir davantage avec les
internautes97. Un exemple intéressant concerne l’utilisation des réseaux sociaux face à la lutte
contre la contrefaçon. Selon lui, « La plupart des marques agissent en obtenant la fermeture
de faux sites de répliques ou en les piratant ». Grâce aux réseaux sociaux, elles peuvent
désormais s’adresser directement aux clients en publiant un message d’alerte qui renvoie le
client vers le site officiel de la marque. Par le biais des réseaux sociaux la marque de luxe
peut par ailleurs s’adresser à différents types de population en créant par exemple une page
pour le « club des clients » (les initiés à l’univers de la marque appartenant à un cercle fermé)
et le « club des admirateurs et futurs clients potentiels ». Ce sont en effet ces deux types de
groupes qui font la force et le prestige d’une marque – la marque étant choisie par un petit
groupe d’esthètes pour l’écart social qu’elle recréé, et reconnue socialement de tous ceux qui
ne peuvent se l’offrir. Internet représente donc une réelle opportunité en terme de
96
Le métier de Community Manager consiste à gérer la réputation des marques sur les réseaux sociaux en
animant ces communautés.
97
M. Miel, « Le luxe 2.0 c’est déjà demain », Madame Figaro, n°21400, mai 2013, P.136
78 communication pour la marque qui, par ce biais, peut facilement disséminer son rêve et son
imaginaire à une cible bien plus large.
Face à cette dynamique d’interactivité avec les clients et admirateurs, une marque de
luxe peut également se servir d’Internet afin d’apporter plus d’information aux client et donc
de renforcer leur connaissance des produits. Nous estimons qu’actuellement, les sites internet
des marques de luxe sont principalement consultés par les clients dans le but de se renseigner
sur une gamme de produit, où de rechercher des informations plus précises sur la fabrication
et les caractéristiques intrinsèques de l’objet. Antoine Lacroix, directeur de la stratégie
digitale chez Van Cleef & Arpels98 estime qu’il faut « Parvenir à ce que dans un avenir
proche, le digital permette de fournir de plus en plus d’informations au client – d’où vient
notre série papillon ? Comment ce perroquet est-il construit autour d’un serti mystérieux ? ».
Pour lui, l’avenir du luxe se situe dans le renforcement du service en boutique. Nous
pourrions selon lui imaginer que dans un avenir proche, les vendeurs disposent de tablettes
tactiles où il leur soit possible de disposer d’informations complémentaires sur les différentes
combinaisons de pierres possibles pour chaque bijou. Les marques pourraient géolocaliser
leurs clients, afin de leur envoyer, selon le lieu où ils se trouvent, les actualités du magasin le
plus proche. Une certitude émerge dans les esprits : demain l’exclusivité du luxe reposera très
certainement sur la question des services en ligne (pouvoir être livré dans la journée dans le
monde entier99, vérifier la disponibilité d’un produit dans un point de vente, échanger en
boutique un article acheté en ligne etc).
Pour le moment, l’achat a néanmoins plus souvent lieu dans le magasin en propre que
sur Internet - le magasin étant seul vecteur de la véritable expérience luxe recherchée par le
client (pénétration dans un univers calme et feutré, sens du détail et du service poussé à
l’extrême etc.). Les chiffres de vente en ligne qui, selon le cabinet de conseil en stratégie Bain
& Company, n’atteignent guère plus de 3% du chiffre d’affaires des groupes de luxe100 (le
chiffre d’affaires de la vente en ligne réalisée par LVMH se situe autour de 1%) corroborent
d’ailleurs ce point.
Retenons donc simplement que les défis lancés par l’ère du numérique aux marques de
luxe sont certes majeurs mais comportent néanmoins des opportunités immenses qui méritent
d’être saisies.
98
M. Miel, « Le luxe 2.0 c’est déjà demain », Madame Figaro, n°21400, mai 2013, P.138
La maison Hermès est à ce propos un pré-curseur puisqu’elle offre un service de livraison par coursier (à Paris
uniquement), dans les deux heures qui suivent l’achat d’une cravate ou d’un carré.
100
J. De La Brosse, « Le Business du Luxe », L’Expansion, n°786, 2013, P.35
99
79 CONCLUSION
Au fil de ce mémoire, nous avons cherché à comprendre comment le luxe, tel que
définit par ses composantes intrinsèques que sont l’art, la magie du rêve, la rareté, le
raffinement, la créativité, les savoir-faire artisanaux authentiques ou encore l’histoire, peut
être compatible avec la nouvelle ère marquée par l’enrichissement global des plus riches,
l’émergence de classes moyennes dans les zones émergentes, et la croissance fulgurante du
secteur entraînant une nécessaire démocratisation de ses produits.
Le constat de l’existence dans notre langage d’une multitude de vocables désignant le
luxe, nous a mené à une évidence : l’imprécision et les contours flous qui entourent le terme.
Nous avons donc cherché à revenir sur les fondamentaux du luxe en opérant tout d’abord une
distinction fondamentale en Luxe et Premium, qui s’inscrivent dans des logiques radicalement
différentes et en soulignant ensuite les facettes et composantes intrinsèques du luxe. Ces
éléments nous ont permi de comprendre ce qui fait réellement le produit de luxe, et ce qui
caractérise précisément une vraie stratégie de luxe.
L’étude des stratégies de management mises en œuvre par les grands groupes de luxe
–
business
modèles,
politique
de
prix,
d’internationalisation etc. – nous a permis
de
communication,
de
distribution,
d’une part d’attester de la très grande
hétérogénéité des forces en présence du secteur et d’autre part de valider l’idée selon laquelle
il existe autant de stratégies de succès que d’acteurs.
Au travers des défis majeurs que sont la banalisation liée à la démocratisation des
produits de luxe, la vente en ligne et la définition d’une stratégie digitale cohérente avec celle
du luxe, nous avons par ailleurs établi que le luxe est entré dans une dynamique de refonte
majeure de ses logiques, de ses codes et de ses stratégies. Ne pas en tenir compte signerait
l’acte de mort des Maisons de Luxe françaises.
Ce n’est qu’au travers d’une adaptation et d’une redéfinition de leurs stratégies de
management – renforcement des dimensions artistiques et culturelles, tentatives d’éducation
des clients du luxe par le biais de grandes expositions, contrôle sans faille des stratégies de
distribution physique et en ligne, parfaite maîtrise de l’internationalisation et de l’ouverture de
points de vente, organisation de la rareté et de l’exclusivité des produits – que les grandes
Maisons de luxe françaises parviendront à dépasser les défis posés par le XXIe siècle.
80 Une dernière question nécessite néanmoins d’être soulevée. Au vu de ce climat
marqué par des changements structurels et conjoncturels majeurs, comment penser l’avenir du
luxe dans ce monde en fusion ? Il convient de noter que la consommation de masse a permi
l’émergence d’un luxe accessible au travers duquel des hommes et des femmes ont pu
retrouver l’importance du temps libre, de la qualité de vie et des loisirs. Face au luxe
ostentatoire et somptueux réservé à un cercle d’esthètes, il faut découvrir ce luxe nouveau qui
a trait au choix personnel et qui s’inspire de nouvelles réflexions sur le sens et la créativité. Ce
luxe nouveau, qui cherche à se défaire de ses composantes antérieures (ostentation,
démonstration etc.) s’appréhende comme un véritable acte de sublimation, par lequel au
travers d’un choix délibéré et raffiné l’homme se réalise et s’enrichit. Le luxe vit actuellement
un tournant historique. Les nouveaux modes de consommation qui émergent chez les élites
des pays en développement laissent penser que certains comportements ostentatoires et
superficiels pourraient laisser la place à un recentrage sur des valeurs plus profondes relevant
du domaine de l’intime, du plaisir personnel, de la quête hédoniste, et donc de
l’épanouissement individuel. Le luxe du XXIe siècle semble délaisser certains comportements
pour pénétrer dans une nouvelle ère marquée par la dimension qualitative.
Ce changement ne peut se faire sans intégrer totalement la révolution asiatique,
principal moteur de la croissance du luxe d’ici à 2025. Si le luxe tel que défini dans ce
mémoire est éternel, rien n’est moins sûr concernant le modèle du luxe français. Afin
d’assurer la postérité de ce modèle, le luxe « à la française » se doit d’être novateur et
d’intégrer par exemple ses relais de croissance dans sa stratégie d’évolution. Faire émerger le
luxe dans ces régions en bâtissant des tandems – régions dont certaines possèdent un héritage
culturel immense - est peut-être la clé de la viabilité de notre modèle. De l’émulation
artistique et authentique ne pourrait-il pas naître un nouveau modèle qui viendrait renforcer le
luxe « à la française » ?
81 BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
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M. Weber, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, Gallimard, 2004
ROMAN
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ARTICLES
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J. De La Brosse, « Le Business du Luxe », L’Expansion, N°786, 2013
C. David, « Kering, un géant du faste est né », L’Expansion, N°786, 2013
B. Heilbrunn, « Le marche du luxe à l’aune de la démocratisation », in : Le Luxe - Essais sur
la fabrique de l’ostentation, IFM/Regard, 2011
J. N Kapferer, « Produit de luxe ou objets d’art ? Une stratégie de célébration », Le Monde, 18
juin 2013
B. Mathieu, « L’art de dérouler le tapis rouge », L’Expansion, N°786, 2013
M. Miel, « Le luxe 2.0 c’est demain », Madame Figaro, N°21400, mai 2013
82 G. Meignan, « Quand les grandes maisons osent le net », L’Expansion, N°786, 2013
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S. Naddéo, « L’Evolution des tendances des consommateurs chinois », abc-luxe.com, 2013
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N. Vulser, « Les changements de goûts des chinois bousculent le secteur du luxe », Le
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« L’Oréal s’offre Yves Saint Laurent Beauté », Le Figaro, 2008
« Les trois défis du groupe, de PPR à Kering : le récite d’une transformation », lesechos.fr,
2013
« An in-depth look at the French industry », cpp-luxury.com, 2013
« Italian luxury goods sales in Russia reach 5,5 billion euros », cpp-luxury.com, 2013
« Louis Vuitton launches logo-free products exclusively dedicated to china », cppluxury.com, 2013
« Pourquoi le luxe prend de la valeur », Madame Figaro, N°21400, mai 2013
REVUES
B. Catry, « Manager la rareté du luxe », Revue française de gestion, 2004
« Spécial Luxe », Madame Figaro, N°21400, mai 2013
ETUDES
Bain & Company, « Luxury in 2011 », Bain World Report, 2011
« Perspectives on world luxury market », Bain & Company, 2011
« Les groupes de luxe dans le monde : Analyse du marché – tendances 2010-2015 –
Stratégies des acteurs », Xerfi Global, 2009
« Le marché mondial du luxe et ses perspectives », in Les Echos études – Eurostaf, juin 2011
« Les stratégies de développement des maisons de luxe françaises sur les marchés
émergents », in Les Echos études – Eurostaf, avril 2010
« La distribution des parfums et cosmétiques en France », in Les Echos études – Eurostaf,
mars 2012
« Hermès International », Xerfi Entreprises, 2012
« PPR », Xerfi Entreprises, 2012
« LVMH », Xerfi Entreprises, 2012
83 RAPPORTS
Rapport annuel, LVMH, 2012
Rapport financier, Kering, 2012
Rapport financier, Hermès International, 2012
Rapport financier, Prada, 2012
Global Economic Prospects, The World Bank, juin 2012
SITES VISITES
Site web spécialisé : www.cpp-­‐luxury.com Site web spécialisé : www.abc-luxe.com Site web du Monde : www.lemonde.fr Site web des Échos : www.lesechos.fr Site web du Figaro : www.lefigaro.fr
Site web de LVMH : www.lvmh.com
Site web de Hermès : www.hermes.com
Site web de Kering : www.kering.com Site du Comité Colbert : www.comitecolbert.com
84 TABLE DES MATIERES
Introduction ............................................................................................................................... p.1
Première partie – Retour sur les fondamentaux du luxe ........................................................ p.8
Chapitre 1 – Analyse des composantes fondamentales du luxe .......................................... p.8
Section 1 – Le concept de luxe ............................................................................. p.8
(I) De la différence capitale entre luxe et premium ............................. p.8
(II) Catégoriser un produit luxe : sept critères déterminants ............... p.10
(III) Les facettes du luxe ..................................................................... p.12
Section 2 – Analyse substantielle du Marketing-Mix du luxe ............................. p.15
(I) La politique produit : ce qui fait le luxe ......................................... p.15
(II) La politique prix ............................................................................ p.19
(III) La politique de distribution ......................................................... p.22
(IV) La politique de communication ................................................... p.25
Chapitre 2 – Panorama des forces en présence ................................................................... p.28
Section 1 – Les acteurs du luxe : hétérogénéité des parties prenantes ................. p.28
(I) Composition hétérogène des acteurs du luxe : entre groupes
classiques et « Pure Players » .............................................................. p.28
(II) Focus sur les principaux groupes et Maisons du luxe français ..... p.30
Section 2 – Les clients du luxe ............................................................................. p.37
(I) Typologie des clients du luxe ......................................................... p.37
(II) Le luxe selon les pays du monde ................................................... p.40
Deuxième partie – Perspectives stratégiques des grands groupes de luxe français ............ p.46
85 Chapitre 1 – Business Modèles du luxe et stratégie de croissance ..................................... p.46
Section 1 – Les Business Modèles propres au luxe.............................................. p.46
(I) Le modèle des produits de luxe au cœur de métier rentable ........... p.47
(II) Le modèle des produits de luxe au cœur de métier trop restreint . p.52
(III) Un modèle singulier du luxe : le business modèle du Parfum .... p.56
Section 2 – Analyse comparée des stratégies de distribution et de croissance
externe des groupes de luxe français .................................................................... p.60
(I) Analyse comparative des stratégies de distribution ....................... p.39
(II) Analyse comparative des stratégies d’internationalisation ............ p.65
Chapitre 2 – Défis actuels et perspectives d’évolution à l’horizon de 2020 ....................... p.68
Section 1 – Dépasser le défi de la démocratisation des produits de luxe :
comment gérer la rareté et l’épuisement du rêve face à l’augmentation
incessante de la demande ? ................................................................................... p.68
Section 2 – Le défi de la digitalisation : comment développer une stratégie
numérique sans sortir du luxe ? ........................................................................... p.69
Conclusion .................................................................................................................................. p.57
Bibliographie .............................................................................................................................. p.82
Résumé ........................................................................................................................................ p.87
86 RESUME
L’entrée dans le XXIe siècle a fait naître de nombreux défis pour le modèle du luxe
« à la française ». La révolution numérique et les stratégies digitales qu’implique l’émergence
au début des années 2000 du web 2.0, le renforcement des logiques de mondialisation,
l’apparition dans les pays en développement d’une classe moyenne qui croît à une vitesse
fulgurante, ainsi que l’enrichissement global de la planète et la démocratisation des produits
de luxe que cela induit, conduisent à l’abandon des stratégies actuelles et à la définition de
nouvelles stratégies de management du luxe. Nous assistons à une transformation radicale du
visage du luxe que les Managers et Présidents Directeurs Généraux des grandes Maisons de
luxe françaises se doivent de prendre en compte s’ils veulent assurer la pérennité de leur
modèle.
Une question se dessine en filigrane : Face aux changements structurels et
conjoncturels majeurs, quel est l’avenir du luxe dans un tel monde en fusion ? Le modèle du
luxe « à la française » qui séduit depuis plusieurs décennies est-il viable et durable ? Puisqu’il
apparaît que le luxe - dont la fabrication est toujours occidentale - n’est plus consommé
principalement en occident, ne peut-on pas imaginer que l’on se dirige vers l’inexorabilité de
modèles collaboratifs reposant sur des synergies entre pays développés et pays en
développement ?
- MOTS CLES Stratégie – Maisons de luxe Françaises – Luxe – Digital – Expérience client – Management –
Pays en développement
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