Masseur et professeur passionné

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Masseur et professeur passionné
Double page/portrait Masseur et professeur passionné Hervé Eleazar Mogto Tamnou. En marge de ses enseignements à l'Université des montagnes, le masso-­‐kinésithérapeute exerçant en France a organisé des journées pédagogiques et tutorales sur une discipline peu connue au Cameroun. Sur des tables, des jeunes filles massent avec gaieté de jeunes gens en petite culotte. Avec un baume onctueux, elles parcourent les muscles du corps avec une dextérité manuelle qui force l'admiration. De temps à autre, les personnes massées éprouvent des sensations difficiles à décrire mais qu'on associe aisément au bien-­‐
être puisqu'ils l'accompagnent d'un sourire mal contenu. Comment en serait-­‐il autrement, du moment où dans la tenue où ils se trouvent, ils (ce sont tous des garçons) sont entourés par des jeunes filles au sourire contagieux, qui révisent leurs leçons sur leur anatomie? Dans l'espace contigu, séparé juste par un rideau, les parents qui sont venus certains avec leurs enfants pour des consultations, ne comprennent pas ce qu'ils entendent. Certains réduisaient le massage à cette forme d'expérience : un moment d'extase où diverses parties du corps sont soumises à des exercices de relaxation et de mise en condition. Mais là, ils ont des malades qui ont des déformations et les cas bénins sont immédiatement pris en charge. Dans cette salle de classe transformée en espace de massage, les responsables de l'université des montagnes (Udm) ont délocalisé du matériel pour faire des démonstrations aux curieux, lors de la journée pédagogique organisée dans son campus de Mfetom, le vendredi 6 mars 2015. Etudiante en fin de formation, Josiane Gouanwo est arrivée à la masso-­‐
kinésithérapie (Mk) par curiosité. « Après le Bac, il y a trois ans, ma famille a décidé que je devais fréquenter l'Udm », avoue-­‐t-­‐elle. Un dossier est déposé pour la filière médecine, qu'elle ne va pas intégrer, ayant échoué à la sélection. Mais à la fin du concours, on leur distribue des prospectus sur de nouvelles opportunités de formation. Elle compose et passe. « Ce n'est qu'à ce moment que j'ai commencé à chercher à savoir ce que c'est. En trois ans, je suis capable de prendre en charge un patient. La formation était très bonne », assure-­‐t-­‐elle. Enthousiasme d'adolescente ? Josiane Gouanwo se vante de maîtriser les grands secteurs de la Mk, après quatre stages cliniques, dont deux en soins infirmiers à l'hôpital Jamot et à l'hôpital Central de Yaoundé. Son ambition actuelle, ce n'est pas de travailler mais de poursuivre ses études jusqu'au master, sésame précieux pour avoir une ouverture sur le monde, se spécialiser et le jour n°1893 du mercredi 18 mars 2015 - h t t p : / / q u o t i d i e n l e j o u r c m . c o m 1 rayonner. Peu importe si cette formation, qu'elle trouve innovante, bien que peu visible, coûte 840.000F l'an. « Je voudrais être compétitive partout, dans le monde entier. La formation donnée par nos enseignants, qui viennent dans leur immense majorité de Saint Etienne, en France, nous prépare à ne pas avoir des difficultés d'intégration ». Métier d'avenir Cet optimisme est contagieux chez la plupart des étudiants de cette filière, qui font office de pionniers. Au total, ils sont 38 inscrits en cycle de licence dont une très forte proportion de filles, à l'Udm. Parmi eux, quatre étudiants en fin de formation ont été retenus pour une mise à jour gratuite de leurs connaissances, après le réaménagement des curricula intervenu il y a un an. « L'université des mon-­‐
tagnes est née de l'échec de l'université post-­‐
coloniale, qui n'apporte pas les solutions at-­‐
tendues aux problèmes de la population. Nous ne sommes pas ici pour faire de la repro-­‐
duction ou faire comme les autres. Grâce à nous, l'offre dans la formation sanitaire s'est considérablement améliorée au Cameroun. Nous voulons utiliser notre imagination pour solutionner nos problèmes, sans attendre que la manne nous tombe du ciel », a répété le Pro Ambroise Kom, vice-­‐président de l'Udm, à l'ouverture des journées pédagogiques, à la quarantaine de médecins, infirmiers et autres promoteurs de structures de santé, venus à la rencontre des experts importés de France. En effet, la filière Mk, qu'on ne trouve nulle part ailleurs en Afrique centrale, est mise en œuvre à l'Udm grâce à l'appoint de la diaspora, dont Hervé Eliezer Mogto Tamnou est une figure emblématique. Pour qui vit en France, ce masseur-­‐
kinésithérapeute, cadre de santé rééducateur, qui coordonne cette filière à l'Udm, a un défi plutôt inattendu: « il vient le temps où on demandera aux gens ce qu'ils savent faire et non quels diplômes ils ont. Je suis particulièrement marqué par la logique des soins chez les tradipraticiens et je souhaite les associer à la formation en kinésithérapie. Il ne faut plus repousser ces guérisseurs indigènes, qui ont un savoir empirique qu'il faut capitaliser». Et ce n'est pas faute d'avoir fait des diplômes qu'il plaide pour ces « irrationnels ». « Je fais partie de la diaspora que l'Udm a mobilisée dans le cadre de son projet. D'abord pour développer la filière des sciences sanitaires et sociales et ensuite déployer la formation de massokinésithérapie et la contextualiser. Nous allons inventer un espace de dialogue entre le savoir codifié et le savoir empirique des tradipraticiens, une espèce d'alchimie thérapeutique. Il y a des gens à Foumban, Makenené, etc. qui ont la magie des doigts pour soigner ». Pour lui, la masso-­‐kinésithérapie ou « thérapie par le mouvement » est une science paramédicale, du corps des métiers des ré-­‐éducateurs, dont les compétences touchent tous les grands domaines de la médecine : traitement des accidents, des troubles respiratoires, des troubles neurologiques, prévention des Avc, etc. Il s'agit d'un art codifié, avec des manœuvres précises et non des « im-­‐
provisations» comme c'est encore le cas au Cameroun, avec des conséquences dommageables pour l'équilibre du patient. « La masso-­‐kinésithérapie passe dans tous les champs comme complément de la pratique médicale. Elle l'accompagne et entretient des relations avec la chiropraxie, l'ostéopathie, la thérapie manuelle et la gymnastique médicale ». L'outil principal est la main. Autrement dit, lorsque vous avez un mal de dos et que vous prenez des médicaments, il faut des tech-­‐
niques particulières pour retrouver son ergonomie fonctionnelle. « Le masso-­‐
kinésithérapeute doit avoir des mains qui voient, qui parlent, qui communiquent, entendent et écoutent », explique Hervé Mogto, pour sensibiliser le personnel médical le jour n°1893 du mercredi 18 mars 2015 - h t t p : / / q u o t i d i e n l e j o u r c m . c o m 2 et les patients sur la place de ses pairs dans le parcours des soins. Au nom du père et de la sœur Né au Cameroun le 7 juin 1969, cet homme imposant par le physique s'inscrit à la faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Yaoundé, après l'obtention de son baccalauréat D. Il ambitionne de devenir historien. Les troubles de 1990 l'obligent à changer de cap. Là, l'inconscient familial le rattrape. Hervé Mogto reconnaît avoir été très marqué par la figure tutélaire de son père, un paramédical qui a enseigné pendant 30 ans à l'école des infirmiers de Bafoussam. Ensuite par le traumatisme de sa sœur cadette, qui avait les pieds en X et avait subi une opération réparatrice qui lui avait imposé 18 mois de rééducation à Dschang. « Les massages étaient douloureux mais il fallait les faire pour l'aider à guérir. Déjà, j'aimais masser en voyant faire quelques tradipraticiens proches de ma famille ». Lorsqu'il décide de se rendre en France en 1992, il veut devenir médecin. Il fréquente pendant un an la fac de médecine avant de se réorienter, sur conseil avisé de sa sœur aînée, qui fait des études de chirurgie à Saint Etienne. Il réussit au concours de masso-­‐
kinésithérapie. Seul étudiant noir de sa promotion, la formation se fait dans la dou-­‐
leur. Il porte en lui des obstacles culturels. « On entre dans l'intimité du patient et il y avait un écart véritable entre ma culture d'origine et les exigences de la formation. Mais l'expérience m'a permis de découvrir une paillette de pratiques professionnelles et de travailler à la fois en libéral et en milieu hospitalier, avant d'entrer grâce à des for-­‐
mations complémentaires dans le monde de la formation », résume-­‐t-­‐il. Dans ce domaine qu'il embrasse, il entasse des parchemins, sans cesser d'être un homme ouvert sur le monde. En 1994 déjà, il obtient le Brevet d'aptitude aux fonctions d'Ani-­‐
mateur de la Délégation départementale de la jeunesse et de sport de la Haute-­‐Loire. En 1998, le diplôme d'État de masseur kinésithérapeute, à l'Institut de formation en Masso -­‐kinésithérapie (Ifmk) de Saint Michel à Saint-­‐Etienne. En 2000, il passe le diplôme uni-­‐
versitaire de kinésithérapeute du sport, à l'Institut des Sciences et Techniques de Réa-­‐
daptation ; en 2002 ce sera le diplôme universitaire de prise en charge de la douleur par les Professions paramédicales de l'Université Jean Monnet, toujours à Saint -­‐ Etienne. En 2004, il obtient une Attestation d'Etudes Spécialisées (A.E.S.) en Electrothérapie et Physiothérapie et orthèses au Cabinet libérai-­‐ Le Puy en Velay. Depuis 2009 titulaire du diplôme de Cadre de Santé Rééducateur de l'Institut de formation de Cadres de santé du Chu de Saint Etienne, il a fait de manière transversale la même année, une maîtrise en sciences d'Economie et de Gestion, à l'Institut Supérieur Economie Administration Gestion (Iseag) de l'Institut d'Administration des Entreprises de l'Université de Saint-­‐Etienne, puis un master 2 en Management des organisations de Santé, toujours à l'iseag. Depuis 2013, il prépare un doctorat en « Leadership du développement transformationnel » à la Fateac, à Abidjan en Côte d'Ivoire. Bien-­‐être, paix Des atouts qui lui ont ouvert la porte de l'enseignement et de la formation, mais aussi de l'humanitaire. A Saint-­‐Etienne où il vit, il est le président-­‐fondateur de Biagne, une association reconnue d'utilité publique en France depuis le 25 mai 2000. En ghom'ala, sa langue de naissance, Biagne signifie la paix, le bien-­‐être. « L'arbre de paix» est un arbuste typique qui est présent dans toutes les cérémonies des populations Bamilékés de l'Ouest du Cameroun. Son leitmotiv : améliorer la qualité des soins primaires et le jour n°1893 du mercredi 18 mars 2015 - h t t p : / / q u o t i d i e n l e j o u r c m . c o m 3 spécialisés dans différentes structures en place au Cameroun, à travers la collecte et l'acheminement du matériel technique et en participant à la formation continue du personnel médical et paramédical par le biais d'échanges, colloques, séminaires et stages d'autre part. Dans ce sillage, l'association a travaillé de concert avec les églises apparentées à la réhabilitation de l'hôpital Ad Lucem d'Obobogo (Yaoundé) avec l'équipement d'un cabinet dentaire, et de l'hôpital protestant de Mbo-­‐Bandjoun. Dans ce dernier cas, des bénéficiaires parlent d'une « presque reconstruction ». Par un programme quadriennal, de nombreux bénévoles de Biagne sont fortement impliqués dans la formation continue des professionnels de ce centre hospitalier, qui aspire à devenir un hôpital d'application. Les étudiants de la faculté des sciences de la santé de l'Université des Montagnes (UdM) ne sont pas en reste, eux pour qui les bénévoles se sont mobilisés pour assurer un équipement acceptable de leurs espaces de travail. Un container de 70m3 rempli de matériel pédagogique, informatique, didactique, du mobilier, des fauteuils dentaires, avec entre autres un véhicule a été acheminé à l’Université des Montagnes (UDM) et aux Cliniques Universitaires des Montagnes (CuMs). Grâce à son entregent, Hervé Mogto a contribué à faciliter la mise en route des innovations pédagogiques à l'Université des Montagnes et offre l'opportunité aux étudiants de disposer des outils de qualité pour leur formation. Le laboratoire de masso-­‐kinésithérapie en est une illustration. Dans ce pavillon intégré aux cliniques universitaires, les praticiens formés par l'Udm reçoivent pour l'instant les malades sur prescription médicale. Mais il est dit que demain, les maseurs-­‐kinésithérapeutes de Bangangté trouveront là un terrain d'ancrage professionnel, en attendant de suivre les pas d'Hervé Mogto. Hors de l'hôpital et des salles de classe, l'engagement social d'Eliezer Mogto Tamnou est très apprécié des œuvres caritatives. Depuis le mois de janvier 2011, l'orphelinat de Mbouo reçoit une subvention mensuelle régulière qui permet à ses responsables d'accorder un second repas journalier à ses 80 pensionnaires. En plus, Biagne a financé les travaux de réhabilitation d'une partie des sani-­‐
taires de l'orphelinat. Pour autant, l'association qui brille de mille feux en France n'est pas du tout vue au Cameroun. Même avec plus d'un milliard de matériel et de biens divers mobilisés et dirigés vers le Cameroun depuis sa création, il a fallu plus de dix ans, après sa reconnaissance officielle en France, pour que nos autorités consentent à reconnaître la branche camerounaise de Biagne. Pour l'heure, elle squatte les locaux d'un collège privé de Bafoussam. Franklin Kamtche http://quotidienlejourcm.com le jour n°1893 du mercredi 18 mars 2015 - h t t p : / / q u o t i d i e n l e j o u r c m . c o m 4