MOZART
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MOZART
Wolfgang-Amadeus MOZART par Yves bleu nuit éditeur JAFFRÈS dans la même collection: 1. Alexandre BORODINE par André Lischké 2. Le Clavecin des Lumières par Jean-Patrice Brosse 3. Leos JANACEK par Patrice Royer 4. Jean SIBELIUS par Pierre Vidal 5. Etienne Nicolas MÉHUL par Adélaïde de Place 6. Gaston LITAIZE par Sébastien Durand 7. Dietrich BUXTEHUDE par Eric Lebrun 8. Guillaume LEKEU par Gilles Thieblot 9. Jan Dismas ZELENKA par Stéphan Perreau 10. Maurice EMMANUEL par Christophe Corbier 11. André JOLIVET par Jean-Claire Vançon 12. Richard STRAUSS par Christian Goubault 13. Alexandre P. F. BOËLY par B. François-Sappey & E. Lebrun 14. Gaetano DONIZETTI par Gilles de Van 15. Gioachino ROSSINI par Gérard Denizeau 16. Antonio VIVALDI par Adélaïde de Place & Fabio Biondi 17. Edouard LALO par Gilles Thieblot 18. Michael HAYDN par Marc Vignal 19. Gustav MAHLER par Isabelle Werck 20. Sergueï RACHMANINOV par Damien Top 21. Frédéric CHOPIN par A. de Place & Abdel Rahman El Bacha 22. Heitor VILLA-LOBOS par Rémi Jacobs 23. Carlo GESUALDO par Catherine Deutsch 24. Le Clavecin du Roi soleil par Jean-Patrice Brosse 25. Franz LISZT par Isabelle Werck 26. Emile GOUÉ par Damien Top 27. Florent SCHMITT par Catherine Lorent 28. Louis VIERNE par Franck Besingrand 29. Les Véristes par Gérard Denizeau 30. Georges BIZET par Gilles Thieblot 31. Richard WAGNER par Gérard Denizeau 32. César FRANCK par Eric Lebrun 33. Giuseppe VERDI par Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin 34. Charles-Valentin ALKAN par B. François-Sappey & F. Luguenot 35. Francis POULENC par Isabelle Werck 36. Edvard GRIEG par Isabelle Werck 37. Wolgang Amadeus MOZART par Yves Jaffrès 38. Camille SAINT-SAËNS par Jean-Luc Caron & Gérard Denizeau A ma fille Hélène et avec ma reconnaissance pour mon épouse Marie-Louise Directrice de collection : Anne-France BOISSENIN Graphiste : Jean-Philippe BIOJOUT Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit – photographie, photocopie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre – sans le consentement des auteurs, de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de Copie est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. ISSN : 1769-2571 © bleu nuit éditeur 2014 www.bne.fr Yves JAFFRÈS Wolfgang Amadeus MOZART collection horizons Introduction 1 Nous nous dispenserons, dans un ouvrage de cette dimension, de citer nos sources, comme il est de rigueur dans un travail scientifique d’historien. 4 La musique de Mozart et sa personnalité ont donné lieu à une multitude foisonnante d’écrits où les moindres détails de son existence sont étudiés, souvent avec toutes les apparences d’un travail scientifique. Pour examiner toutes les hypothèses émises – ce qui n’est pas notre propos –, il faudrait une somme qui atteindrait assez vite le millier de pages, sinon plus ! Il nous semble aujourd’hui que les mélomanes, toujours plus nombreux, qui écoutent avec tant de plaisir la musique de Mozart ont plutôt besoin d’un ouvrage qui les renseigne avec objectivité, simplicité et précision sur la vie du compositeur. Nous n’avons pas de révélation nouvelle à apporter sur les 35 années de l’existence du musicien, mais nous essaierons de nous en tenir aux certitudes qui ne sont plus remises en cause, tout en faisant le point sur quelques questions encore controversées. Ce sera sans doute la meilleure façon de libérer le lecteur des nombreuses idées fausses véhiculées par des récits plus ou moins fantaisistes1. Dans le cadre de cette courte biographie, il a fallu choisir de privilégier certains aspects de la vie du musicien et de son œuvre, ce qui signifie que nous assumons une inévitable partialité... même si la perspective que nous élaborons essaie de donner de l’ensemble une vision équilibrée. Ce qui nous a aidé, c’est une certaine idée que nous nous sommes faite du musicien au cours de notre relation vivante, quasi quotidienne avec son œuvre. Dès ses premières années, le plus étonnant est de constater chez Mozart une créativité exceptionnelle. Dès l’adolescence, il est capable d’écrire des chefs-d’œuvre ; et ses productions suivantes manifestent une recherche assidue d’une maîtrise toujours plus grande de son art. Il en résul- te une extension incroyable de sa palette expressive. Les événements d’une vie si bien remplie, le musicien les a vécus comme des expériences où son génie musical a puisé autant d’occasions d’élaborer et réaliser son idéal musical. Finalement, cette biographie veut décrire la trajectoire à la fois humaine et artistique d’un des plus grands musiciens de tous les temps. Pour simplifier, dans une première approche, on peut considérer que la vie de Mozart s’articule autour des deux villes où il a résidé : Salzbourg (1756-1781) et Vienne (1781-1791). Ce qu’on appelle communément la décennie viennoise est marqué par une floraison incessante de chefs-d’œuvre. Toute la période antérieure apparaît alors comme une alternance entre les séjours à Salzbourg et les nombreux voyages qui contribuent à enrichir ses connaissances et à mûrir sa personnalité. Cependant il faut reconnaître que, dès son retour de Paris au début de l’année 1779, le musicien a atteint sa pleine maturité artistique, et la division schématique en deux grandes plages, certes commode pour se fixer les idées, ne tient plus au regard de l’évolution de sa production. Plutôt que de diviser notre travail en deux grandes parties, nous avons préféré marquer les étapes qui situent dans leur contexte les compositions les plus marquantes. Nous souhaitons que ces pages permettent au lecteur de mieux apprécier toute la richesse des œuvres du Maître. Une meilleure connaissance de sa vie d’homme, débarrassée des légendes et d’idées fausses, devrait ouvrir la voie à une approche de sa musique, de manière plus éclairée, plus intime – plus forte encore. 5 Vue de Salzbourg, gravure du XVIIIème siècle. Photo DR. 6 Chapitre I Salzbourg, l’enfance et les premiers voyages (1756-1762) Wolfgang Amadeus Mozart est né le 27 janvier 1756, aux environs de 20 heures à Salzbourg. Cette ville est joliment située sur un méandre de la Salzbach, rivière qui a creusé sa vallée depuis les Hautes Alpes du Grossglockner vers la plaine de l’Inn dans l’Allemagne toute proche. Depuis l’époque de Charlemagne, au début du IXème siècle, cette cité est dirigée par des princes-archevêques. De nombreux édifices y rappellent à la fois le Moyen-Âge gothique, l’influence de la Renaissance italienne et surtout l’époque baroque. Le prince Wolf Dietrich von Ratenau à la fin du XVIème siècle, son successeur Marcus Sitticus et, enfin Paris Graf von Lodron au XVIIème siècle, ont enrichi la ville de tout un patrimoine architectural remarquable, dont la cathédrale, terminée en 1628. L’archevêque de Salzbourg possède le double statut de primat de Germanie et de prince temporel. Il se doit d’avoir une Cour et donc une musique pour magnifier les cérémonies tant princières que cultuelles. Au milieu du XVIIIème siècle, le prince-archevêque Sigismond von Schrattenbach – qui règna de 1753 à 1771 – fut apprécié de ses administrés. Par ailleurs il aimait la musique et fut l’un des bienfaiteurs de la famille Mozart. Le père de Wolfgang, Léopold, né à Augsbourg en 1719, a été remarqué par son parrain, un chanoine, qui lui a fait faire des études en espérant le voir suivre la voie 7 1 Cet ouvrage reçut tout de suite les éloges chaleureux de musicographes éminents comme Marpurg, Zelter, ou Schubart : il fut traduit en plusieurs langues et demeura en usage jusqu’au début du siècle suivant. 2 Franz Xaver Niemetschek : Description de la vie du maître de chapelle impérial et royal Wolfgang Amadeus Mozart, Prague, 1808. ecclésiastique ; le jeune garçon chante dans les chœurs des églises de la ville, apprend le violon, l’orgue et la composition. A dix-huit ans, il entre à l’Université de Salzbourg, mais peu intéressé par la théologie, il entreprend des études de droit. Dès lors, son parrain lui coupe les vivres et Léopold doit gagner sa vie : il trouve un emploi à la fois comme violoniste et valet de chambre chez un noble de la ville. Peu après, il est engagé dans l’orchestre du prince-archevêque où ses dons de pédagogue sont remarqués : il est nommé maître de violon en 1743. Le témoignage de cet enseignement est condensé dans un ouvrage vite devenu célèbre, Versuch einer gründlichen Violinschule (Essai d’une méthode approfondie du violon)1, paru à Augsbourg en 1756. Entre-temps, il fait la connaissance d’Anna Maria Pertl et l’épouse en 1747. Le mari a 28 ans, elle 27. Selon un des premiers biographes de Mozart, ils forment « l’un des plus beaux couples de la ville2 ». Ils habitent au 9 de la Getreidestrasse, et de leur union naîtront sept enfants : seuls survivront Maria Anna, dite Nannerl (1751-1829), et Wolfgang, son cadet de cinq ans. Léopold est un homme cultivé, à l’esprit curieux ; il s’intéresse à la littérature, aux langues anciennes (grec et latin), à la peinture, à l’histoire, à la géographie et même aux sciences. En pédagogue avisé, il est mieux placé que quiconque pour apprécier le caractère exceptionnel des dons de ses enfants : Nannerl devient une claveciniste remarquable, mais Wolfgang la surpasse très vite au point que le père décide de se consacrer à leur éducation. Ils ne seront jamais scolarisés, et Léopold sera leur seul et unique professeur. Lui-même accède à la fonction de Compositeur de la Cour en 1757, puis vice-Kapellmeister en1763, à la mort du titulaire de ce poste, Johann-Ernst Eberlin (1702-1762). Les exploits de Wolfgang ne cessent d’émerveiller son entourage. Parmi toutes les anecdotes recueillies, retenons celles-ci : un jour, son père le trouve en train de bar- 8 bouiller une esquisse de concerto que les trop petites mains d’un enfant de six ans ne sont pas encore en mesure d’exécuter ; en 1763, il lui suffit d’écouter son père et ses amis jouer un quatuor à cordes pour qu’il soit capable d’y tenir la partie de second violon, sans avoir pris une seule leçon ! On pourrait étendre le récit des prouesses étonnantes réalisées par le jeune Wolfgang ! Léopold entrevoit la possibilité d’organiser des tournées de concert avec ses enfants : il espère, en les faisant jouer devant des publics aristocratiques, obtenir des gains plus substantiels que les dépenses occasionnées par les frais d’hébergement et par les risques inhérents à ce genre d’aventure, surtout à cette époque. L’appât du gain n’est pourtant pas le seul motif qui pousse Léopold à faire ainsi voyager sa famille. Il se rend bien compte que, si ses enfants restent confinés dans une cité provinciale comme Salzbourg, leurs progrès artistiques ne prendront pas tout leur essor. Pour l’épanouissement de leurs talents, il leur faut la rencontre et la confrontation avec les meilleurs artistes. De fait, Mozart connaîtra très jeune toutes les personnalités musicales les plus marquantes de son temps et il entendra les styles de musique les plus variés. Rien Portraits de Léopold (1765) et d'Anna Maria Mozart (1775) par Pietro Antonio Lorenzoni. Photos DR. 9 3 « Ayez l’amabilité de dire partout que nous nous portons bien et sommes heureux, grâce à Dieu » (12 octobre 1762). ne sera plus enrichissant pour lui ; et cette chance, pour ainsi dire unique, et tellement enviable, il la doit exclusivement à son père. De plus Léopold, croyant sincère, et même homme pieux, se sent investi d’une véritable mission : puisque Dieu a donné à ses enfants des talents exceptionnels, il a le devoir de faire fructifier ces trésors inestimables et de dévoiler au monde les merveilles dont il a la responsabilité devant son Créateur et devant les hommes. Avec un sens étonnant de l’organisation, il met en place toute une stratégie publicitaire : partout où il va, il sollicite des recommandations et les adresses de personnes susceptibles de les accueillir lors de futurs voyages. Les longues lettres qu’il envoie à son ami Lorenz Hagenauer à Salzbourg ont pour but d’être lues par toute la ville3. Elles sont une véritable chronique de voyage et tous les sujets sont abordés (la santé, le climat, les curiosités, les prix, les taux de change, les événements singuliers, les personnes rencontrées, les petits potins sur les uns et les autres). Mais le plus important, c’est bien sûr de relater les succès remportés par ses enfants : ils contribuent au bon renom de la Principauté de Salzbourg en Europe, et, par ricochet, ils justifient leur absence aux yeux de l’archevêque ! On a souvent accusé Léopold d’avoir beaucoup exigé de ses enfants, de leur avoir fait mener une existence épuisante qui altéra leur santé, d’autant que Wolfgang était de constitution plutôt fragile. Durant leurs voyages, les enfants (et lui-même Léopold) vont contracter des maladies. Mais les difficultés venaient souvent de la négligence des princes : ils imposaient des heures de concert peu adaptées à une saine gestion du sommeil des enfants... Avant d’obtenir une audience, puis, après une prestation, en attendant de recevoir une gratification amplement méritée, Léopold ne manque pas une occasion de leur faire visiter les sites les plus remarquables, de leur faire admirer les collections de peinture, les beaux édifices, et toutes 10 sortes de curiosités. Leur emploi du temps est serré : ce faisant, il les habitue, et en particulier Wolfgang, à un travail constant et assidu. Cela, sur le moment, satisfait sa soif boulimique de connaissances, et, lui permettra, plus tard, d’assumer les charges de travail impressionnantes auxquelles il devra faire face. Sinon jamais cet enfant de douze ans n’aurait pu, en quelques mois à Vienne, écrire les 558 pages de La Finta semplice ! Mozart, doué d’une mémoire prodigieuse et d’une capacité extraordinaire de concentration, s’intéresse à tout, y compris aux mathématiques et au dessin. Nul ne peut contester le dévouement sans faille de Léopold pour ses enfants4, même si, à mesure que le temps passe, ses attentions vont devenir d’un autoritarisme pesant dont Wolfgang devra finalement s’affranchir. Les premiers voyages (1762) Dès janvier 1762, Léopold décide un voyage de trois semaines dans la Bavière toute proche: les deux enfants jouent devant le prince-électeur de Munich. En ce même mois de janvier, Mozart compose sa première œuvre : un menuet, bientôt suivi d’autres pièces que le père transcrit et date soigneusement ! Après la réussite de cette première équipée, durant le mois de septembre, ils entreprennent une tournée plus ambitieuse, puisqu’il s’agit d’atteindre Vienne, en suivant le Danube par Passau et Linz. La réputation des enfants les a précédés, et dès leur arrivée à Vienne, l’impératrice Marie-Thérèse demande à entendre les petits prodiges au palais de Schönbrunn. Ici se situe une anecdote bien connue : l’enfant, après une chute sur les parquets cirés du palais, est relevé par l’archiduchesse Marie-Antoinette, future reine de France ; Wolfgang lui dit : « Vous êtes gentille ; quand je serai grand, je vous épouserai ». Arrive l’impératrice ; elle lui demande la raison d’une telle décision, et l’enfant répond : « Pour la récompenser, car elle a été bonne avec moi » ! Toute l’aristocratie viennoise veut alors recevoir les 4 « je dois voyager lentement à cause des enfants, pour qu’ils puissent se reposer quelques jours et ne tombent pas malades. » (19 octobre 1762) 11 Wolfgang en habit de gala, confectionné pour l'archiduc Maximilien, né aussi en 1756. Peinture à l'huile, attribuée à Lorenzoni, 1762. Photo DR. jeunes musiciens : ils donnent souvent plusieurs concerts par jour. Wolfgang, victime d’une scarlatine, doit rester alité une quinzaine de jours. Néanmoins le but a été atteint ; les enfants ont acquis une grande renommée dans l’aristocratie autrichienne. Léopold a déjà collecté auprès des ambassadeurs des adresses utiles, surtout pour la France et la Hollande. La noblesse a été généreuse et les finances sont saines. En juin, la mort à Salzbourg du kapellmeister Eberlin conduit l’archevêque à réorganiser sa musique. Léopold espérait lui succéder ; il est fort déçu de se voir supplanté par Giuseppe Francesco Lolli, un musicien italien, et de n’obtenir que le poste de vice-kapellmeister. Par ailleurs, 12 en cette année 1763, arrive à Salzbourg un nouveau musicien, Michael Haydn (1737-1806), le frère cadet de Joseph. Lui-même, excellent compositeur, a épousé une talentueuse cantatrice, Maria Lipp5. Ces musiciens seront pour les Mozart d’excellents amis. Le Traité de Paris, signé le 18 avril 1763, met fin à la guerre de Sept Ans : les routes deviennent plus sûres, et Léopold organise le grand voyage dans le Nord de l’Europe dont il rêvait depuis l’équipée à Vienne. Le bienveillant prince-archevêque von Schrattenbach lui accorde son congé et c’est le départ avec, pour buts principaux, les cours de France et d’Angleterre, autrement dit Versailles et Londres : Léopold espère, tout en faisant fortune, révéler au monde le miracle musical dont la Providence l’a fait dépositaire face à l’Histoire. 5 Elle fut l’interprète de nombreuses pages de Mozart. 13 Carte de l’Europe par Philip Buache, Paris, 1769. Photo DR. 14 Chapitre II Les voyages de l’enfance (Juin 1763 – septembre 1769) Les principales villes sur le chemin de Paris : Munich C’est ainsi que, le 9 juin, Léopold, son épouse, les deux enfants et un serviteur de dix-neuf ans, véritable valet de chambre de la famille, quittent Salzbourg en berline. Les étapes de cette équipée sont bien connues grâce aux courriers que Léopold adresse régulièrement à Lorenz Hagenauer. La première étape est Munich qu’ils connaissent depuis le séjour de l’année précédente. Le 12 juin, ils sont reçus par le prince-électeur Maximilien : Wolfgang joue un concerto de violon, après avoir reçu seulement quelques leçons ; autant dire que ses progrès sont d’une rapidité stupéfiante ! Comme ils doivent attendre les cadeaux du prince, Léopold en profite pour faire la connaissance de Luigi Tomasini, récemment engagé comme premier violon dans l’orchestre du prince Esterhazy, dirigé par Joseph Haydn en personne. Augsbourg Dans sa ville natale, Léopold s’attendait à un excellent accueil ! Mais nul n’est prophète en son pays... Ils ne sont pas reçus par les édiles de la cité, mais cependant pour la première fois, les enfants donnent trois vrais concerts publics. Au grand dam de Léopold, seuls les Luthériens sont venus les écouter, et les recettes sont maigres ! Cependant cette étape leur a permis de rencontrer l’excellent facteur de pianos-forte Johann-Andreas Stein (17281792), et Pietro Nardini (1692-1770), un autre virtuose du violon au talent très impressionnant : cet élève du grand 15 Tartini venait de prendre ses fonctions dans l’orchestre de Stuttgart – avant de devenir musicien à la cour de Florence où il jouera avec Mozart en 1770. La Cour de Stuttgart à Ludwigsbourg La petite troupe familiale quitte Augsbourg sans regret le 6 juillet. La route normale aurait été de se rendre à Stuttgart, mais la Cour est en vacances, et Léopold décide de la rejoindre dans la résidence d’été de Ludwigsbourg. Nouvelle déception ! le prince Karl Eugen préfère le son des tambours militaires à celui du clavecin ! Il ne daigne même pas les entendre. Il faut dire que Niccolo Jommelli (1714-1774), célèbre compositeur d’opéras et maître de musique à la Cour du Wurtemberg, imbu de la supériorité musicale des Italiens, n’a rien fait pour faciliter une rencontre des jeunes musiciens avec le prince. La Cour de Mannheim à Schweitzingen Heureusement, à Mannheim, tout se passe bien mieux : le compositeur de la Cour Ignaz Holzbauer (1711-1783) rend hommage à Léopold, l’auteur de la déjà célèbre Méthode de violon. L’Electeur palatin Karl Theodor est mélomane : il possède le meilleur orchestre d’Allemagne avec des musiciens très talentueux avec qui Mozart travaillera plus tard, en particulier le flûtiste Johann Baptist Wendling, dont la famille compte d’excellentes cantatrices. Les enfants donnent un concert qui n’en finit plus, quatre heures durant et le prince les rétribue généreusement ! Wolfgang joue de l’orgue avec un tel brio que son nom, par ordre du doyen de la ville, est gravé sur l’instrument. Mayence – Francfort – Aix – Bruxelles Parmi les nombreuses étapes jusqu’à Paris, il faut signaler surtout celle de Francfort, ville riche et célèbre pour ses foires (du 12 octobre au 1er septembre). Ici Nannerl brille par sa virtuosité et Wolfgang étonne par des prouesses de toutes sortes : on recouvre d’un drap le clavier et l’enfant joue aussi parfaitement que s’il avait 16 les touches devant les yeux ; il reconnaît les notes et les accords produits par le piano ou par des cloches ou des verres ; il improvise au clavecin et à l’orgue, et il joue aussi des concertos pour violon, instrument sur lequel il progresse à pas de géant... Goethe, alors âgé de quatorze ans, se souviendra encore à plus de quatre-vingt ans « de ce petit bonhomme avec sa perruque et son épée. » (3 février 1830) Puis le voyage s’effectue en bateau sur le Rhin. A Aixla-Chapelle, la princesse Amalia, sœur très musicienne de Frédéric II de Prusse, cajole volontiers les enfants, mais elle n’a pas assez d’argent pour les remercier en espèces. Le séjour à Bruxelles dure un bon mois : le prince Charles de Lorraine, frère de l’empereur, est trop occupé pour recevoir les Mozart. Ils tuent le temps en visitant églises et musées. Wolfgang écrit une sonate (14 octobre 1763) pour clavecin qui deviendra à Paris une Sonate pour clavecin et violon (K. 6). Finalement un grand concert a lieu devant un public nombreux, avec des retombées financières intéressantes. Cinq mois à Paris (18 novembre 1763-10 avril 1764) Ils arrivent à Paris le 18 novembre 1763 et logent à l’hôtel de Beauvais1, chez le comte van Eyck, ambassadeur de Bavière. Le baron Grimm écrit un article très élogieux, et même enthousiaste, dans sa Correspondance littéraire, philosophique et critique daté du 1er décembre. Aussitôt leurs démarches sont grandement facilitées : les portes des salons s’ouvrent et le tout-Paris veut voir et entendre les jeunes prodiges. Léopold prend contact avec des musiciens germanophones, qu’il s’agisse de Jean Godefroid Eckard (1735-1809), ou de Johann Schobert (1720-1767), claveciniste chez le prince de Conti. En décembre ils arrivent à Versailles où ils écoutent les messes de la nuit de Noël : la réaction de Léopold est intéressante : « Tout ce qui était pour les voix seules et qui devait ressembler à un air était vide, glacé, et misérable, c’est-à-dire bien français. Cependant les chœurs sont bons, 1 actuellement 68, rue François Miron, Paris IVe. 17 2 le 1er avril, Léopold dépose à la banque pour plus de 3.000 louis d’or, tant en monnaie qu’en objets précieux (tabatières, montres, habits) qui leur ont été offerts et qu’ils récupéreront sur le chemin du retour. Voir lettre 37, p. 120. 18 voire même excellents. Je suis allé tous les jours à la messe du roi pour entendre les chœurs et les motets... » (lettre du 1er février 1764) Bref, la manière de chanter des Français déplaît, opinion que Mozart adulte corroborera ; cependant justice est rendue aux musiques religieuses de la Chapelle royale (qui restent encore trop méconnues aujourd’hui !). Ce séjour dure une bonne quinzaine de jours : ils assistent au « grand couvert » le 1er janvier : Wolfgang est placé auprès de la Reine Maria Leszczynska (elle parle allemand couramment) ; Léopold est auprès du Roi, Maria Anna et Nannerl auprès du Dauphin... On ne peut être plus honoré. Léopold fait une description assez élogieuse de la favorite Madame de Pompadour, mais, déjà souffrante (elle mourra en avril 1764), elle refuse de se laisser embrasser par Wolfgang – ce que le gamin prend assez mal ! Les enfants se produisent devant les princesses Madame Adélaïde et Madame Victoire, filles de Louis XV, toutes deux douées pour la musique. Wolfgang fait graver quatre sonates et revient à Versailles en février pour offrir en mains propres les deux premières, à la dédicataire, Madame Victoire. Ainsi son Œuvre 1, l’œuvre par laquelle le compositeur Mozart affronte pour la première fois la postérité, estelle influencée par le goût français. Les deux autres sonates (son Œuvre 2) sont dédicacées à Madame de Tessé, qui tenait salon à Paris. La famille royale a été généreuse envers les Mozart. Grimm, de son côté, a organisé des concerts à Paris où sont venus de nombreux aristocrates, et même Monsieur de Sartine, le lieutenant général de la police ! « Nous sommes maintenant connus de tous les ambassadeurs des puissances étrangères ici. » (lettre du 1er avril) Ce premier séjour dans la capitale française est un grand succès (y compris financier2), ce qui comble les espérances de Léopold. Le 10 avril, ils prennent la direction de l’Angleterre. Quinze mois à Londres (23 avril 1764-1er août 1765) Le voyage aura duré treize jours. Moins d’une semai- Portait de W.A. Mozart jouant à Paris avec son père et sa sœur. Aquarelle de Carmontelle. Musée Condé - Photo DR. 19 Manzuoli et J-C. Bach. Photos DR. 3 Toutes ces personnes parlent allemand, ce qui facilite grandement les échanges ! 20 ne après leur arrivée, ils sont reçus chaleureusement par la famille royale : la reine Charlotte de Mecklembourg, d’origine allemande, est musicienne. Son professeur de clavecin n’est autre que Jean-Chrétien Bach (1735-1782), le dernier fils de Jean-Sébastien. Il vient d’arriver d’Italie où il a acquis une grande réputation comme compositeur d’opéras. Il prend en mains l’éducation musicale de cet étonnant bambin de huit ans avec qui il sympathise tout de suite ! Jean-Chrétien Bach – avec Karl-Friedrich Abel (1725-1787), le maître de concert de la reine, lui aussi ancien élève de Jean-Sébastien Bach3 – organise à Londres des manifestations musicales de très haut niveau. Elles font découvrir à Mozart un répertoire nouveau, et en particulier la musique de Haendel (1685-1759) – mort il y a seulement cinq ans – et pour lequel tous les Anglais ont une immense vénération. L’été arrive, la noblesse quitte Londres, la famille se retire à Chelsea, chez des amis, au bord de la Tamise. Léopold y tombe gravement malade et mettra trois mois à se remettre. Wolfgang a alors tout le loisir d’entreprendre sa première symphonie (et Nannerl recopie tout le matériel !). De nouvelles sonates voient le jour ; elles seront gravées et offertes à la reine... et déjà Wolfgang rêve d’écrire une œuvre lyrique! Table des matières Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .4 I. Slazbourg, l’enfance et les premiers voyages . . . . . . .7 II. Les voyages de l’enfance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .15 III. Les voyages de l’adolescent et du jeune-homme . .29 IV. La vie à Salzbourg avant Paris . . . . . . . . . . . . . . . . .43 V. Le voyage à Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .55 VI. Le dernier épisode salzbourgeois . . . . . . . . . . . . . .73 VII. Les premières années à Vienne . . . . . . . . . . . . . . . .83 VIII. Les années fastes à Vienne . . . . . . . . . . . . . . . . .99 IX. Les temps difficiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .121 X. Le Requiem et la mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .147 Tableau synoptique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .162 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .168 Discographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .170 Index des noms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .172 175 la collection horizons Sortir des sentiers battus, élargir les horizons, découvrir les secrets de toutes musiques, vivre en compagnie de compositeurs, s’imprégner de leur univers humain et artistique, c’est précisément ce qu’offre la collection horizons en présentant des monographies de musiciens peu ou mal connus, mais aussi des thématiques jamais abordées. Cette collection propose des livres clairs et attractifs écrits par les meilleurs spécialistes, sûrement documentés et illustrés, enrichis d’exemples musicaux et de précieuses annexes. Ces ouvrages contribueront à la joie comme à l’intérêt de tous : étudiants, professeurs et mélophiles, avides de connaissances et de plaisirs musicaux. 176 Wolfgang-Amadeus MOZART par Yves JAFFRÈS E nfant prodige “aimé des Dieux” (traduction de son second prénom) et qui a parcouru l’Europe centrale, musicien rebelle lontemps au service de l’archevêque Colloredo à Salzbourg, l’autrichien W.A. Mozart (1756-1791) meurt Maison Mozart, Salzbourg. à seulement 35 ans, enterré dans une tombe commune, abandonné de tous, alors que les chroniques nécrologiques de toute l’Europe saluaient unanimement son génie. Deux siècles plus tard, la musique de Mozart est désormais l’une des plus connues dans le monde, ses mélodies ayant toujours un impact immédiat autant qu’universel. Mais de ce compositeur prolifique qui nous a laissé plus de 600 opus, que peut-on désormais retenir, tant ses talents touchent tous les domaines : opéras, airs de concert, musique de chambre, symphonies, ... ? Vice-président du Mozarteum de France, professeur agrégé d’Éducation musicale en retraite, Yves Jaffrès est docteur en musicologie et organiste titulaire de l’église Saint-Denis de la Croix-Rousse à Lyon. Il signe ici sa première biographie pour la collection horizons. Version PDF collection ISBN 978-2-35884-026-2 9 782358 840262 En couverture : Photos DR / JPB - © bne 2014- - Maquette : Avec ce nouveau volume de la collection horizons, Yves Jaffrès propose une synthèse de la vie et des dernières découvertes sur ce compositeur autrichien, se tenant aux certitudes qui ne sont plus remises en cause, tout en faisant le point sur quelques questions encore controversées et analysant les œuvres-maîtresses, avec de nombreuses illustrations, exemples musicaux et annexes.