Autopsie d`une jeune Amiénoise de 1600 ans

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Autopsie d`une jeune Amiénoise de 1600 ans
Autopsie d'une jeune Amiénoise de 1600 ans
Le 02 décembre 2013 par Fabien Dorémus
La scène se déroule au mois de novembre, dans un endroit tenu secret de la capitale picarde. À l'intérieur d'un
grand bâtiment qui laisse allègrement entrer le froid de l'automne, des spécialistes s'affairent autour de la
dépouille d'une Amiénoise un peu particulière. Cette jeune femme est morte il y a quelques 1600 ans. Elle
avait entre 20 et 40 ans.
Son squelette a été retrouvé dans un sarcophage en plomb au printemps dernier lors de fouilles archéologiques
menées sur le chantier de la citadelle, d'où s'élèveront bientôt les murs de la future université. Elle n'était pas
seule. À ses côtés, au nord du site, les archéologues ont eu la chance de mettre au jour 162 tombes datant du
IVe siècle. Époque où l'empire romain est alors bien engagé sur la pente du déclin.
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Fouille du sarcophage, en novembre dernier.
162 tombes, donc. Des hommes, des femmes, des enfants. La plupart enterrés dans des cercueils de bois, les
clous retrouvés autour des squelettes en témoignent. Mais trois corps ont, à l'époque, bénéficié d'une attention
toute particulière: ils ont été placés dans des sarcophages en plomb. La chose est rare. Ce fut donc une belle
surprise pour les archéologues.
C'est la raison pour laquelle, encore aujourd'hui, les services de la Métropole ne souhaitent pas rendre public le
lieu où les sarcophages sont jalousement entreposés. Histoire surtout d'éviter les vols, car le plomb est un
métal de valeur.
Deux sarcophages ont été fouillés sur place, sur le chantier de la citadelle d'Amiens. L'un est un cercueil
d'enfant, il mesure 70 centimètres de long. L'autre, celui d'un adulte, mesure 180 centimètres. Le troisième
sarcophage, très abîmé, avait été mis de côté. «Il était éventré, on savait qu'il était plein de terre», explique
Claire Favart, anthropologue au service d'archéologie préventive d'Amiens métropole. C'est elle qui, avec
l'assistant de fouilles Julien Decayeux, est chargée de fouiller le troisième sarcophage de 162 centimètres de
long.
Un insecte mouchard
C'est un jeu de patience. Le sarcophage est empli à moitié de terre. C'est donc à la cuillère, au pinceau et avec
des instruments de dentistes que les os vont petit à petit voir la lumière du jour.
Pourquoi prendre autant de précaution ? «Tous les sédiments retrouvés à l'intérieur vont être tamisés, indique
Julien Decayeux. On peut y retrouver des traces de végétaux, de tissus. » Et de préciser que des fragments de
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linceul ont ainsi été découverts dans le sarcophage d'enfant. Il faut donc retirer la terre mais en faisant bien
attention de ne pas bouger les os. Autant que faire se peut.
Pourtant, il est facile d'observer que tous les os ne sont pas restés bien en place. Par exemple, des vertèbres ont
pris quelques largesses avec l'anatomie humaine et, au lieu de se trouver bien alignées pour constituer la
colonne vertébrale, on en retrouve quelques-unes déplacées à proximité de la clavicule gauche du squelette.
Deux raisons à cela : la terre qui est entrée dans le sarcophage lorsque celui-ci a été éventré et les chocs
engendrés par son transport récent de la citadelle à son lieu d'entrepôt actuel.
Julien Decayeux et Claire Favart.
Dans la terre, rien de bien passionnant ne sera retrouvé. Sauf un insecte. Mort, lui aussi. Et depuis longtemps.
Cette petite découverte peut fournir des réponses sur les conditions d?inhumation de la personne «fouillée». «
En fonction du type d'insecte, on apprend des choses sur la décomposition du corps, renseigne l'anthropologue
Claire Favart. Certains insectes arrivent sur le corps cinq minutes après la mort, d'autres deux semaines
après. On peut alors savoir si le couvercle du sarcophage a été refermé tout de suite ou pas.» L'insecte n'a pas
encore été identifié.
Boîte non hermétique, mauvaise conservation
Le squelette est dans un piteux état. Surtout dans sa partie supérieure. «J'ai l'impression que le crâne est en
miettes», commente Julien Decayeux après quelques nouveaux coups de pinceau. Il l'est. Du crâne, il ne reste
presque plus rien. Tout juste quelques dents accrochées à la mandibule.
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L'une des dents est d'ailleurs cariée. Pas trop étonnant pour l'époque. «Beaucoup d'individus ont les dents
usées, abîmées», précise Claire Favart. Certes, les questions de santé bucco-dentaire ne bénéficiaient pas
encore des mêmes considérations qu'aujourd'hui. Mais ce n'est pas la seule raison. «Les meules qui servaient à
écraser le grain laissaient du sable et des petites pierres dans l'alimentation. Ça usait les dents
prématurément. Et puis les dents servaient à beaucoup de choses, comme tenir des filets de pêche par
exemple.»
Il reste quelques dents sur la mandibule.
Du crâne, on ne retrouve que des fragments épars. Pourtant, si le sarcophage avait été fermé hermétiquement
et n'avait pas subi de dégradation, le corps aurait pu être conservé dans de très bonnes conditions. «Dans ces
cas là, on peut retrouver des cheveux, de la peau, des vêtements.» Pas cette fois-ci. Le sarcophage retrouvé à
la citadelle a laissé entrer l'oxygène.
L'oxygène, mêlé au plomb du sarcophage et aux jus acides de décomposition du corps, crée un mélange
particulièrement corrosif pour les os. Cependant, la partie inférieure du corps a subi moins de dégradation. On
peut même distinguer quelques restes de chair sur les tibias. Mais on est quand même très loin de l'aspect
momie.
Après cette fouille minutieuse, les os seront prélevés par partie anatomique. Il s'agira alors de les analyser en
détail afin d'y repérer notamment d'éventuelles traces de pathologies. C'est le travail le plus long et le moins
visible de l'archéologie: le travail de laboratoire. Il prendra plusieurs années.
Plus de 600 tombes déjà fouillées à Amiens
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Les 162 tombes découvertes à la citadelle ne sont pas les seules retrouvées sur le territoire amiénois. Loin de
là. Sur le chantier de la caserne Dejean, plus de 180 sépultures gallo-romaines, datant aussi du IVe siècle, sont
sorties de terre entre juin et novembre 2013.
Quelques années auparavant, plus proche encore de la gare d'Amiens, c'étaient plus de 300 individus qui
étaient retrouvés. «Ces tombes dataient de la même époque que celles que l'on vient de fouiller, explique Éric
Binet, spécialiste de l'antiquité et responsable des fouilles de la caserne Dejean. Mais c'étaient des tombes
appartenant à un autre groupe ethnique et social.» Des Germains orientaux engagés par l'Empire romain
comme mercenaires.
Sépultures gallo-romaines sur le chantier de la caserne Dejean (crédit photo: Amiens métropole).
En tout, plus de 600 tombes ont déjà été fouillées à Amiens. Mais comment le public amiénois peut-il se
renseigner sur toutes les découvertes réalisées sur le territoire ? «C'est l'éternel problème !, reconnaît Éric
Binet. On fait des journées portes ouvertes. Mais on manque souvent de temps pour publier quoi que ce soit.
Pour vous dire : j'étais en charge des fouilles du Coliséum d'Amiens en 1992-1994, je n'ai réussi à publier les
résultats qu'en 2010, dans la Revue archéologique de Picardie.»
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