l`apprenti dictateur parle le berntütsch

Transcription

l`apprenti dictateur parle le berntütsch
reuters
nam (37 ans) a perdu toute crédibilité aux yeux de son père
lorsqu’il s’est fait pincer en 2001
au Japon en possession d’un
faux passeport de la République
dominicaine. Il voulait se rendre
à Disneyland Tokyo incognito.
Quant au second fils, Kim Jongchol (27 ans), il souffrirait d’une
maladie qui le fait produire trop
d’hormones féminines. Célèbre
transfuge, l’ex-cuisinier de Kim
Jong-il, le Japonais Kenji Fujimoto, raconte que son père le
trouve «trop efféminé», alors
que son jeune frère – amateur de
voitures allemandes et de sushis
– a «une grande force intérieure,
une condition physique superbe,
est capable de boire beaucoup et
ne s’avoue jamais vaincu». Il
serait clairement le favori.
l’apprenti dictateur
parle le berntütsch
Faux nom: Chol Pak. Mais on
corée du nord. Kim Jong-il a choisi son fils cadet pour lui
succéder à la tête de l’Etat stalinien. On ignore presque tout de
lui. Révélations sur le séjour en Suisse de Kim Jong-un.
Actuels
peter klaunzer rdb
T
ous les vendredis, Kim Jongun enfilait ses skis et partait
dévaler les pistes de Zweisimmen ou de Grindelwald avec ses
camarades de classe bernois. Dix
ans plus tard, le cadet de Kim
Jong-il, qui a eu 26 ans le 8 janvier, est pressenti pour devenir
le prochain leader de la Corée du
Nord. Celui qui régnera sans
partage sur un pays de 24 millions d’habitants, un doigt sur le
bouton nucléaire. Les élections
qui se dérouleront le 8 mars
dans l’Etat stalinien seront décisives: si Kim Jong-un accède au
Parlement et est nommé à la
béatrice devènes pixsil
julie zaugg ET titus plattner
étroite surveillance Lors de son séjour helvétique, Kim Jong-un partageait son
temps entre l’Ecole internationale de Berne (à g.) et l’ambassade de Corée du Nord.
puissante Commission de la
défense, ce sera la preuve qu’il
est devenu le dauphin officiel du
«cher leader». Le passage du
témoin pourrait d’ailleurs se
dérouler plus vite que prévu: Kim
Jong-il souffrirait de graves problèmes de santé. Il aurait subi
une attaque cérébrale en août.
Kim Jong-un – dont le jeune âge
et le statut de cadet ne le prédestinaient pas à remplacer son
père, selon la tradition confucéenne – semble avoir été un
second choix. Longtemps destiné à ce poste, l’aîné Kim Jong-
sait très peu de choses sur lui.
Seule certitude, Kim Jong-un a
passé une bonne partie de son
adolescence en Suisse. Il y a fréquenté l’International School of
Berne (ISB) de Gümlingen, à
quelques centaines de mètres de
l’ambassade nord-coréenne.
Inscrit sous le faux nom de Chol
Pak, il a quitté l’établissement à
15 ans, en 1998, sans y avoir
passé son baccalauréat, qui s’obtient à l’issue de la 12e année. «Il
se trouvait en 9e ou 10e lorsqu’il
est parti, se souvient le Canadien
Ron Schwartz, qui a fait partie
des équipes de basket et de natation avec lui. C’était un jeune
homme timide et introverti,
mais qui appréciait les sports
d’équipe. Il admirait beaucoup
Michael Jordan et Jean-Claude
Van Damme.»
L’ancien directeur de l’établissement, David Gatley (1993-2004),
a lui aussi quelques souvenirs de
cet élève particulier: «Il n’était
pas du genre frimeur et intervenait souvent pour séparer deux
copains qui se battaient. Il avait
beaucoup d’amis parmi les
enfants de diplomates américains. Il participait aux excurL’Hebdo 5 mars 2009
sions organisées par l’école. Il
s’est rendu une fois en Europe de
l’Est pour un voyage organisé par
la section d’art dramatique. Nous
avions eu de la peine à lui obtenir
un visa.» A l’ISB, l’enseignement
est en anglais, une langue qu’il a
apprise à Berne. «Il cherchait
parfois ses mots, mais maîtrisait
bien la langue, raconte David
Gatley. Il a aussi appris l’allemand et le français chez nous.»
Et si une voiture de l’ambassade
venait le chercher chaque jour à
la sortie des cours, cela ne choquait pas dans l’environnement
de l’ISB, qui accueille 280 élèves
d’une quarantaine de nationalités, dont près de la moitié sont
des enfants de diplomates. «Il
n’était pas rare que des élèves
soient surveillés par leurs services secrets – notamment ceux
du Moyen-Orient», détaille son
prédécesseur à la tête de l’école,
Gordon Adler, qui se souvient
d’un «bon élève».
Fils du chauffeur. Tant la direc-
tion de l’école que les camarades
de classe de Chol Pak pensaient
qu’ils avaient affaire au fils du
chauffeur de l’ambassade. Et si
ce dernier esquissait une profonde révérence à chaque fois
qu’il ouvrait la portière de la voiture à son «fils», ils mettaient
Pyongyang L’éducation suisse de Kim Jong-un influencera-t-elle le régime stalinien soupçonné de détenir l’arme nucléaire?
cela sur le compte d’une coutume
orientale. Les autorités suisses
n’étaient pas non plus au courant
de la présence du rejeton de Kim
Jong-il. Elles n’ont reçu aucune
notification officielle et n’ont
jamais été sollicitées pour assurer sa sécurité.
Mais quelques bizarreries ont
tout de même éveillé la curiosité
de ceux qui l’ont côtoyé. «Il avait
toujours une sorte de garde du
corps avec lui, qui s’appelait
Kwang Chol», décrit une
ancienne élève de l’ISB qui dit
avoir été «amie» avec le fils de
Kim Jong-il. Ron Schwartz se
souvient aussi de cet autre élève
nord-coréen, «un jeune homme
baraqué et raide, qui jouait au
basket avec nous. Il était dans la
même classe que Chol Pak, alors
qu’il était bien plus âgé que lui.
Mais il avait un air jeune, ce qui
rendait la chose moins étrange
pour nous.» A l’époque, ses
camarades traitent cette affaire
comme une simple rumeur, voire
un gag, et ne cherchent pas à en
savoir plus. Un seul élève était
apparemment au courant de
l’identité réelle de Chol Pak: un
Japonais de sa classe «qui savait
qu’il était lié à quelqu’un de très
haut placé dans le Gouvernement nord-coréen», relate Ron
Schwartz.
Hans Ulrich Reusser, un ingénieur agronome qui a supervisé
un projet de plantation de patates en Corée du Nord, se souvient
d’une rencontre dans un restau-
rant de Thoune à la fin des
années 90. «J’avais rendez-vous
avec Monsieur Ri, l’interprète de
l’ambassade, qui devait m’accompagner pour un voyage làbas. Il avait emmené un jeune
homme de 15 ans. Il m’a dit que
c’était son fils et qu’il devait
l’aider à traduire certains termes
techniques. Il était très intéressé
à notre projet, vif et sûr de lui. Ce
n’est que bien plus tard que j’ai
compris qu’il s’agissait sans
doute du fils du président.» A
l’époque, il avait déjà des doutes:
Monsieur Ri était bien trop jeune
pour être le père d’un adolescent.
De plus, l’enfant parlait bien le
Suisse allemand (le Berntütsch
même), alors que son «papa» ne
pipait pas un mot d’allemand.
L’incroyable dynastie des Kim
Le père
fondateur
Kim Jong-sook
1912-1994
Le leader
mourant
Hong Il-chong
Première épouse
Song Hye-rim
Première maîtresse
Morte en 2002
Kim Young-sook
Deuxième épouse
Ko Young-hee
Deuxième maîtresse
Première dame
Morte en 2004
Kim Ok
Troisième maîtresse
Une fille, dont on
ne sait presque rien
Joueur de casino
Kim Sol-song
Née en 1974
L’efféminé
Le favori
Kim Jong-chol
Né en 1981
Kim Jong-un
Né en 1983
Kim Il-sung
1912-1994
Kim Jong-il
Né en 1942
L’actuel leader nord-coréen a eu de nombreuses maîtresses et trois
épouses. En dehors des trois fils et des deux filles figurant dans cet arbre
généalogique, on lui attribue jusqu’à sept autres enfants, illégitimes.
Il serait mourant et ses faveurs iraient à sont troisième fils, Kim Jong-un.
Kim Jong-nam
Né en 1971
reuters|keystone|dr
kim jong-un
Il n’existe qu’une
seule photo du
troisième fils de
Kim Jong-il, prise
lorsqu’il avait une
dizaine d’années.
getty images |str |afp
26∑suisse
28∑suisse
Mais Kim Jong-un n’est pas
le seul à avoir fréquenté l’ISB.
Son frère Kim Jong-chol y a
aussi passé. La seule photo
connue de lui a été prise en 1994
lors d’une sortie de classe. L’aîné
Kim Jong-nam a suivi une école
privée à Genève. Il était logé
dans une luxueuse villa, qui
côtoie le parc de la Grange et qui
abrite la mission de la Corée du
Nord auprès de l’ONU. Sa mère,
Song Hye-rim – une célèbre
actrice nord-coréenne décédée
e n
2 0 0 2
– ,
y séjournait souvent. Souffrant
de troubles nerveux, elle était
soignée par des médecins genevois. La mère des deux autres fils
du dictateur, la danseuse née au
Japon, Ko Young-hee, aurait elleaussi bénéficié des services
médicaux de la cité du bout du
lac pour soigner un cancer qui a
fini par l’emporter en 2004.
Actuels
Réformes? Faut-il s’attendre à ce
que le successeur de Kim Jong-il
– imprégné des valeurs de démocratie directe apprises en Suisse
– réforme ce régime paranoïaque
à bout de souffle? Depuis son
départ de l’ISB, le jeune homme
athlétique aurait bien changé.
L’agence sud-coréenne Yonhap
le décrit comme pesant 90 kilos
et souffrant de diabète. Il aurait
néanmoins conservé sa passion
pour le basket: l’agence raconte
qu’il regarde tous les matches de
la NBA via la télévision satellitaire. De 2002 à 2007, il a effectué des études militaires à l’Université Kim Il-sung, où sont
formés les futurs cadres de l’armée. Mais il n’a encore jamais
occupé de poste important.
Selon les experts de la Corée du
Nord, le futur leader aurait
d’ailleurs été choisi précisément
pour son manque d’expérience.
Il ne risque pas de faire de l’ombre à la coalition civilo-militaire
dirigée par Jang Song-taek, le
beau-frère de Kim Jong-il, qui
détiendrait véritablement le
pouvoir à Pyongyang.√
Suisse-Corée du Nord:
une amitié très spéciale
Diplomatie. Ecoles, agriculture et secret bancaire. Les émissaires de Kim Jong-il chérissent la tranquillité helvétique.
P
armi les diplomates installés
en Suisse, Son Excellence Ri
Tcheul jouit d’une longévité tout
à fait inhabituelle. L’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République populaire démocratique de Corée est
accrédité à Berne depuis le
19 février 1988. Il faut dire qu’il
est très proche du pouvoir.
Il aurait effectué une partie de
ses études avec Kim Jong-il et
serait l’un des rares intimes
– peut-être le seul – à vivre à
l’étranger. Rien d’étonnant qu’il
ait chaperonné les trois fils du
leader durant leur scolarité en
Suisse. Autre mission pour celui
qui est également représentant
de la Corée du Nord auprès de
l’ONU à Genève: Ri Tcheul
serait l’un des hommes clés
pour la gestion de la fortune
cachée du régime nordcoréen.
Cinq milliards de dollars. Selon
le sénateur américain Sam
Brownback, qui a dirigé des hearings sur la Corée du Nord à la
Chambre haute, ce fonds se
monterait à quelque 5 milliards
de dollars et serait alimenté
tant par des activités légales
qu’illégales, comme la vente
d’armes, le trafic de drogue ou
les contrefaçons.
Seulement voilà, en septembre
2005, les Etats-Unis font pression sur plusieurs établissements financiers pour geler les
fonds en provenance de Corée
du Nord. La Banco Delta Asia de
Macao s’exécute, bloquant
25 millions de dollars. Des
avoirs auraient aussi été immo-
bilisés à Singapour, au Vietnam,
en Mongolie et en Chine.
En avril 2006, Christopher Hill,
l’envoyé spécial américain pour
la Corée du Nord, s’en prend à la
Suisse, l’accusant d’abriter des
comptes bancaires appartenant
à Kim Jong-il. Piquée au vif, l’ambassade de Corée du Nord
demande à la Suisse de faire la
lumière sur ces allégations pour
en démontrer la fausseté. Les
autorités helvétiques répondent
qu’elles ne sont pas habilitées à
le faire, qu’il leur faudrait une
demande d’entraide judiciaire
pour enquêter sur d’éventuels
comptes nord-coréens. L’affaire
en reste là. «On a un peu transpiré à l’époque», avoue un haut
fonctionnaire suisse.
relations financières avec la
Corée du Nord. «Quand les
Etats-Unis toussent, les fenêtres
de l’UBS s’ouvrent», ironise
aujourd’hui un intime de l’ambassadeur Ri Tcheul. Selon lui,
tout serait à nouveau rentré dans
l’ordre et les activités bancaires
nord-coréennes en Suisse ne
seraient en rien entravées.
Yaourts suisses de Kim Jong-il.
Au- delà de ses avantages matériels, la Suisse a toujours joui
d’une excellente image chez les
Nord-Coréens et elle est souvent
citée en modèle. Des officiers
suisses surveillent la frontière
entre les deux Corées, et l’aide
humanitaire de la Confédération
dispose d’un accès privilégié au
régime stalinien.
Depuis Genève et Berne,
Des rencontres
bilatérales entre
l’ambassadeur Ri Tcheul
Berne et Pyong­
Gérerait en partie les fonds yang, qui ont lieu
chaque année en
secrets du régime.
mai, alternativeSi l’ONU a bien édicté des sanc- ment dans l’un ou l’autre pays.
tions financières contre Pyong- En plus, des agriculteurs nordyang en 2006, le Conseil de coréens viennent régulièrement
sécurité n’a jamais dressé la liste se former en Suisse, notamment
des personnes concernées. à la production de fromage de
Résultat, le Seco ne dispose pas chèvre ou de yaourt, que Kim
de la base légale nécessaire pour Jong-il apprécierait particulièregeler ces avoirs. Quant à la ment. Son père, Kim Il-sung
Finma, elle n’a jamais ouvert avait lui aussi une affection pour
d’enquête au sujet de comptes les saveurs helvétiques: en 1986,
nord-coréens, selon son porte- le père Glozu, un cuisinier geneparole Alain Bichsel.
vois bien connu, était même
Reste que les banques helvéti- parti en mission de trois semaiques semblent avoir cessé d’el- nes, des tonnes de fromage
les-mêmes toute relation avec le à fondue et à raclette en soute,
régime de Pyongyang: en 2006, afin de réaliser une gigantesque
l’UBS et le Credit Suisse indi- démonstration culinaire à
quaient ne plus entretenir de Pyongyang.√tp et jz
L’Hebdo 5 mars 2009

Documents pareils

La Suisse, une terre d`accueil pour les proches de Kim Jong-il

La Suisse, une terre d`accueil pour les proches de Kim Jong-il COREE DU NORD. Le clan du dictateur de Pyongyang aime les écoles et le luxe helvétiques. Berne, de son côté, continue d'apporter une aide considérable à un pays ravagé par plus de dix ans de famine...

Plus en détail

L`accord Pyongyang – Washington et le défi des États-Unis

L`accord Pyongyang – Washington et le défi des États-Unis permettre le retour des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à Yongbyon. Si les médias et la communauté internationale ont généralement bien accueilli cette nouvelle...

Plus en détail