la salle des croisades a versailles

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la salle des croisades a versailles
Vicomte de Marsay - De l’âge des privilèges au temps des vanités (chap.IV du supplémentI)
Numérisé par Gilles de Chantérac
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à partir de la réédition de 1977.
Extraits, la numérotation des notes de bas de page ne correspond pas à l’original.
LA SALLE DES CROISADES A VERSAILLES
La participation de la noblesse française aux expéditions des Croisades a donné lieu à un certain nombre
de respectables mais insoutenables légendes. Les prétentions d'une grande partie des familles qui
revendiquent cet honneur reposent sur de plus ou moins sérieuses vraisemblances : bien peu s'appuient sur
une certitude et sur des preuves indiscutables. Sans aller jusqu'aux conclusions du baron de Woelmont,
qui, paraît-il, et en dépit de la liste qu'il a publiée, « avouait qu'aucune maison française, en dehors de la
maison de Bourbon, ne pouvait établir sa parenté avec un croisé autrement que par présomptionsi », on
peut dire qu'autre chose est de porter, même régulièrement, le nom d'un personnage dont la présence est
authentiquement signalée aux Croisades et autre chose de prouver qu'on en descend.
Le grand érudit qu'est M. Paul Meyer, le savant commentateur de l’Histoire de Guillaume le Maréchalii,
semble être du même avis, puisqu'il affirme catégoriquement « que les armoiries de la salle des Croisades à
Versailles sont toutes plus récentes que l'époque à laquelle elles se rapportent3 iii».
Au surplus, il existe à la Bibliothèque Nationale des documents secrets, mais concluants, contre
l'authenticité des titres fournis par un grand nombre de familles pour leur admission à la Salle des
Croisades1iv. Une administration, soucieuse à la fois du respect dû à la mémoire d'un haut fonctionnaire du
xixe siècle, paléographe de profession, et des traditions de courtoisie que perpétue dans cette vénérable
maison un personnel dirigeant d'une extrême distinction, se refuse actuellement à mettre à la disposition
du public ces documents qui témoignent qu'un grand nombre des pièces sur lesquelles ont été appuyées
les introductions à la Salle des Croisades doivent être regardées comme des faux. Elle paraît considérer
que la mémoire du grand érudit qui présidait alors aux destinées d'une des plus célèbres institutions
savantes de Paris pourrait en souffrir, autant que l'amour-propre des familles qui ont bénéficié d'une
surprise de sa bonne foi.
Toujours est-il qu'il ressort de ces manuscrits que ce fonctionnaire (que je désignerai sous le nom de M.
X...) fut induit en erreur par des actes fabriqués de toutes pièces par un personnage que j'appellerai T..., mis
en circulation par un autre que je nommerai C... et dont il eut le tort de ne reconnaître que trop tard la
fausseté. Il est vrai qu'il l'affirma alors formellement, ce qui prouve du moins la droiture de ses intentions.
Il résulte de ces nombreux feuillets, — dont je n'ai eu que, par hasard, une connaissance indirecte, mais
dont l'existence est certaine, — que beaucoup de familles furent, sans doute de la meilleure foi du monde
elles aussi, abusées par les audacieuses supercheries de C... et de T... Elles assistaient enthousiasmées à la
floraison spontanée d'une foule d'actes prétendant témoigner de la participation de leurs ancêtres aux
Croisades, mais qui, en réalité, avaient pris naissance dans les officines de leurs modernes fabricateurs.
Ce dossier abonde en constatations et en réflexions, dont beaucoup, à la lumière de la vérité actuelle,
apparaissent empreintes d'un comique irrésistible. On y voit des gens qui, candidement émerveillés par la
magnificence d'ascendances qu'ils ignoraient eux-mêmes, se pâment de vénération et s'attendrissent de
piété filiale devant les précieux titres des ingénieux faussaires.
D'autres, en qui le goût des grandeurs n'a pas complètement éteint le sens de l'économie, discutent le
prix exigé, en général modique cependant, s'efforcent d'obtenir un rabais, offrent 300 francs quand on
en demande 500, lésinent comme des paysans normands.
Il est vraiment regrettable, aussi bien pour les mises au point nécessaires et dans l'intérêt de la vérité
que pour l'ébaudissement des générations actuelles, que les respectables scrupules de l'administration de
la Bibliothèque Nationale menacent de priver le public pendant de longues années encore de la
connaissance d'une aussi joyeuse mystification.
Chapitre IV du supplément au livre du vicomte de Marsay (1874-1941)
« de l’âge des privilèges au temps des vanités » paru en 1932
Il ressort de ces documents que le savant fonctionnaire par qui on prétendait les faire authentifier,
après avoir refusé de prendre connaissance des titres qui lui étaient soumis, avait fini par céder aux
instances conjuguées de leurs inventeurs, de ceux qui en bénéficiaient et du roi Louis-Philippe lui-même
qui tenait à inaugurer la Salle des Croisades. Par la suite, avec une candeur qui témoigne en faveur de son
intégrité personnelle et exclut l'idée de toute participation aux avantages commerciaux de l'opération, il
semble même avoir servi d'intermédiaire à diverses reprises entre les faussaires et les intéressés. Cependant,
on voit poindre ses scrupules et l'on assiste à la naissance de ses remords. M. X... confesse qu'il a « sur
l'authenticité des titres de la collection C... les plus grands doutés, qui lui sont malheureusement venus trop
tard ». Ailleurs, se montrant plus affirmatif encore, il ajoute « qu'il croit toutes les pièces de cette collection
fausses et que, s'il avait eu, au moment où se faisait le travail de Versailles, le temps de leur faire subir
l'examen auquel il s'est livré depuis, il eût conseillé de n'en accepter aucune... ». « Si elles sont fausses »,
ajoute-t-il, « quelle effrayante habileté ! »
Assailli de supplications, harcelé de demandes, aussi bien de la part de véritables grands seigneurs que
des personnes les moins qualifiées, le malheureux savant doit souvent faire face à d'effarantes prétentions
qui témoignent d'une invraisemblable audace ou d'une surprenante inconscience. Il arrive que la
supercherie soit trop grossière et l'usurpation trop flagrante.
Un M. de B..., qui aspirait en 1842 à la gloire de la Salle des Croisades, était fils d'un maître d'hôtel de
Pont-Audemer. Un autre, qui appartenait à une famille anoblie par une charge de secrétaire de roi,
présentait, en 1854, un grand nombre de pièces, parmi lesquelles M. X..., déjà instruit par l'expérience, ne
reconnut « que des titres faux sortant du cabinet T... ». Mais, entre 1842 et 1854, que d'erreurs grossières,
que d'intrusions choquantes la candeur de M. X... n'avait-elle pas innocemment sanctionnées!... Il
semble même que cette candeur soit chez lui un défaut congénital et incorrigible, car, dix ans plus tard,
un certain vicomte de B..., qui s'appelait, en réalité, d'un tout autre nom et invoquait lui aussi des titres de
la collection C..., demande son admission et l'obtient... Des gens écrivent à M. X..., en avouant naïvement
qu'ils ont fait la veille l'acquisition d'un titre offert par T... et sur lequel reposent leurs nouvelles
prétentions.
Ces pièces abondent en détails pittoresques. Une dame, d'ailleurs de grande naissance et qui travaille
pour sa belle-sœur, dit que celle-ci se montre « ravie de la découverte » et se sent remplie d'avance d'une
telle vénération pour le titre qu'elle n'a pas encore vu que, si M. C... consent à le lui céder, elle a décidé « de
l'envelopper dans du papier de soie et de le mettre dans une boîte de fer-blanc ». Précaution sans doute fort
utile, car la résistance de ce parchemin aux injures des siècles à venir était évidemment mal garantie par son
passé ! La même dame avoue qu'elle renonce à rien comprendre à tous ces Jean et à ces Gautier de C... « qui
se sont trouvés sous le même nom pendant plus de deux siècles ». — « Voici », dit-elle, « ce Jean mort en
1190 et nous en voyons un autre qui est à la croisade de Saint-Louis et qui reparaît en 1280, se disant le
même. » Néanmoins, elle assure que sa belle-sœur, décidée de ne pas s'embarrasser de ces légères
contradictions, « est déjà enchantée de la première découverte et que la seconde la comblera ». Mais cette
personne, si aisément satisfaite au point de vue généalogique, se montre moins facile en affaires. Elle
insiste pour obtenir, par l'intermédiaire de M. X..., une légère diminution sur le prix de 500 fr. qu'on lui
demande, ou plutôt elle souhaiterait que le vendeur se contentât de cette somme pour les deux titres. Afin
d'enlever plus rondement l'affaire, elle considère le marché comme conclu, envoie une lettre pour son
banquier et finit en priant M. X... de demander à C... une quittance en bonne et due forme « semblable à
celle qu'il a déjà donnée à son frère ». En terminant, elle nous apprend que celui-ci a rangé dans son
chartrier le document concernant l'ancêtre qui fut aux Croisades avec les quittances qui s'y rapportent, le
tout enfermé dans une boîte en fer-blanc. Décidément, la boîte en fer-blanc occupait une grande place
dans cette famille précautionneuse, qui semblait tenir à ses écus autant qu'à ses parchemins.
J'ai cité cette lettre parce qu'elle m'a paru typique, mais beaucoup d'autres sont conçues dans le même
sens, quoique moins pittoresques...
Un autre correspondant, qui ne s'intéresse qu'au résultat, va plus directement au but et informe M. T...
qu'il paiera les deux pièces qu'on lui offre le prix demandé, c'est-à-dire 300 francs pour l'une et 400
francs pour l'autre, à la seule condition que ces titres soient admis à Versailles. Sans doute, la seconde
avait-elle été d'une fabrication plus difficile et nécessité l'emploi d'un technicien plus expert.
Un autre encore remercie M. X... de son intervention auprès de C..., grâce à laquelle il a économisé 200
francs. Il se contentera donc d'envoyer un mandat de 300 francs. S'agit-il d'un autre titre ou toujours de la
même pièce? Est-ce le remords qui accable ce correspondant d'avoir lésiné à l'occasion d'un acte aussi
précieux? Toujours est-il qu'après avoir protesté dans une seconde lettre contre le prix de 500 francs qu'il
juge « énorme », il avoue, dans une troisième, que ce titre des croisades, que le vendeur a appelé une
Chapitre IV du supplément au livre du vicomte de Marsay (1874-1941)
« de l’âge des privilèges au temps des vanités » paru en 1932
relique, « et qui en est véritablement une, a été de sa part l'objet d'une admiration presque religieuse ».
« Elle est », ajoute-t-il, « d'une conservation qui tient du miracle. En somme, je suis charmé de posséder
ce document précieux dont la découverte et l'acquisition sont dues à vos soins. » En satisfaction tout au
moins, celui-là en avait bien pour son argent. Aussi comprend-on qu'il ait tenu à reconnaître l'obligeante
intervention de M. X... par l'envoi de quelques foulards des Indes, cadeau modeste qui, mieux que toute autre
preuve, témoigne du désintéressement personnel d'un trop candide savant.
Les historiens, qui, comme le vicomte d'Avenel, se préoccupent de la valeur qu'ont eue à travers les âges
les objets susceptibles d'échange, constateront, quand ces documents auront vu le jour, que le prix de 300
francs correspondait à cette époque à la valeur moyenne des actes des Croisades.
Cependant, il semble bien que, dès 1843, des doutes avaient commencé de s'élever sur l'authenticité des
titres mis en vente. Une lettre du 16 février de cette même année exprime des craintes à cet égard. « On m'a
rapporté que des soupçons s'étaient élevés sur l'authenticité des pièces concernant la collection de M. C... et
que le gouvernement avait nommé une commission pour procéder à une enquête. Dites-moi s'il y a quelque
chose de vrai dans tout cela. » Hélas ! à ce moment-là, le malheureux M. X... ne croyait pas encore qu'il y eut
rien de vrai dans ces rumeurs... Mais, à mesure que les années passent, ses soupçons s'accroissent, ses
doutes se fortifient et, en 1860, il paraît bien être arrivé lui-même à la conviction que les documents sont
faux, quand il écrit à propos de la participation d'une famille aux Croisades : « Ce titre porte une erreur
assez extraordinaire à la date de..., mais, à part cette erreur, il est de même nature que ceux qui, en grand
nombre, ont été produits par d'autres familles. On peut donc l'accepter sous toutes réserves. Le jour où la
fausseté de toutes ces pièces du cabinet C... serait reconnue, il y aurait lieu de modifier profondément la
Salle des Croisades du Musée de Versailles. »
C'est en effet par cet aveu qu'il faudrait conclure. Son auteur le renouvelle implicitement quand, dans
une autre circonstance, il écrit : « J'ai vu enfin ces pièces qui proviennent certainement de l'ancienne
collection C..., de même que la pièce de M. de ***. Ces actes sont-ils à l'abri de tout soupçon? Je ne voudrais
pas répondre affirmativement, mais je puis ajouter qu'ils ne sont ni meilleurs ni plus mauvais que ceux
qui, venant de même source, ont déjà servi à motiver l'admission d'un grand nombre de noms à la Salle des
Croisades. »
Et pourtant ! il ne semble pas que tant de désillusions aient réussi à guérir jamais complètement cet
imprudent savant de sa candeur native. En 1861, on le voit, sur une simple similitude de noms, conclure
témérairement à l'identité entre deux familles dont l'une, depuis longtemps éteinte, a produit, en effet, un
chevalier qui a participé aux Croisades, mais dont l'autre, à laquelle il attribue « une existence
chevaleresque qui date de six cents ans », est aujourd'hui connue pour avoir des origines très bourgeoises.
On ne peut s'empêcher d'ailleurs de penser que ces admissions à la Salle des Croisades ont été faites d'une
façon bien légère, car, même si les titres suspectés étaient authentiques, il resterait à prouver le plus
difficile : c'est-à-dire que ceux qui les ont utilisés se rattachent réellement aux personnages que ces actes
concernent. Or, cette preuve n'a jamais été faite ni même demandée, et nous savons par la critique moderne
combien sont rares les familles qui seraient en état de l'établir rigoureusement et d'une façon péremptoire.
Il est donc plus facile de dresser de nos jours la liste des représentants des pairies héréditaires que celle
des descendants des Croisés, et M. de Woelmont, en affrontant ces deux tâches, a montré, dans la
seconde, un courage voisin de la témérité.
Cependant, les raisons qui commandent la circonspection ne lui ont pas échappé. Dans les pages qui
servent d'introduction à cette nomenclature, après avoir indiqué l'abondante documentation à laquelle il
s'est référé, il constate que le nombre total des inscriptions à la Salle des Croisades du Musée de
Versailles s'élève, avec les additions, à 738. En même temps, il rappelle que la Revue d'Aquitaine avait
commencé en 1865 un « Relevé général des chevaliers croisés formant un ensemble de 7.000 noms en sus des
700 inscriptions de Versailles » et que la même revue, parlant d'un travail préparatoire de M. Denis de
Thézan, écrivait (année 1866, p. 652) : « Son nécrologe n'a pas moins de 20.000 noms depuis 1096 jusqu'à
1396. »
II est bien entendu que l'immense majorité des preux qui auraient composé cette armée de croisés n'a
plus actuellement de descendants, tout au moins de descendants connus. Il est non moins probable que,
parmi les 20.000 noms que devait comprendre le nécrologe de M. de Thézan, beaucoup plus nombreux
étaient ceux qui concernaient des marchands, des convoyeurs, voire des hommes de peine, que ceux qui
désignaient des chevaliers.
Le chiffre de 738 de la Salle des Croisades, quoique représentant une diminution considérable par rapport
Chapitre IV du supplément au livre du vicomte de Marsay (1874-1941)
« de l’âge des privilèges au temps des vanités » paru en 1932
à la pullulation favorisée par le soleil de Gascogne, a semblé encore très exagéré à M. de Woelmont,
puisque sa nomenclature ne comprend que 160 noms « de maisons encore représentées qui ont produit
authentiquement au moins un chevalier croisé » (T. I, 2e partie, p. 592).
Dirai-je que, si restreint qu'il apparaisse, ce chiffre semble encore trop élevé si l'on met en regard le
caractère de précision qu'il représente et celui d'incertitude que les propres commentaires de M. de
Woelmont lui donnent?
Cet auteur n'a pas manqué, en effet, de répéter, après le Cte Delley de Blancmesnil, que «
nombre de maisons inscrites à la Salle des Croisades ne continuent qu'en apparence le nom d'un
croisé » et de rappeler à cette occasion l'opinion si judicieusement exprimée par le Cte de
Neufbourg (L'Intermédiaire des chercheurs et des curieux du 20-30 juin 1921, n° 1541, p. 495) :
« On a donné à certains croisés dont on ignore les armes celles d'homonymes subsistants. D'autre
part, dès le xve siècle, des noms et des armes chevaleresques ont été usurpés. Aussi la proportion
des races illustres reconnues subsistantes est-elle inférieure à celle des races secondaires ; la
confusion était plus rare, ou impossible, dans le premier cas seulement. Deux maisons
lyonnaises sont inscrites ; toutes deux avaient au XIIIe siècle d'illustres homonymes avec lesquels
leur communauté d'estoc n'est pas prouvée. Vachez a cité en Forez des noms de croisés
subsistants. Aucun ne prouve une telle filiation ; tous avaient des homonymes, chevaliers ou
paysans. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas une souche commune. Mais, enfin, on n'est assuré
ni de la survivance ni de l'extinction des races médiévales. »
On retrouve dans cette argumentation les traces du scepticisme méfiant qui caractérise en
général les conclusions de M. de Neufbourg, mais on risquerait de ne pas lui accorder autant
d'autorité qu'elle en mérite si on ne prenait garde à l'appréciation dont le généalogiste, moins
soupçonneux qu'était M. de Woelmont, l'a fait suivre : « Ces remarques de l'éminent spécialiste
auquel est dû ce chef-d'œuvre Le Régime féodal et la Propriété paysanne sont l'évidence même. »
Le chiffre de 160 serait-il réduit encore, cette liste n'en paraîtrait pas moins inconciliable avec
l'opinion prêtée par M. de Pradel de Lamase à M. de Woelmont et selon laquelle « aucune maison
française, en dehors de la maison de Bourbon, ne pourrait établir sa parenté avec un croisé
autrement que par présomptions ». Toutefois, la contradiction semblera moins flagrante si l'on
observe que le terme authentiquement, employé par M. de Woelmont (p. 192), porte plus sur le mot
produit que sur le mot représentées. Ainsi, c'est la présence du chevalier X... aux Croisades qui
apparaît garantie, plutôt que la descendance des X... qui existent de nos jours de ce chevalier.
M. de Woelmont a d'ailleurs exprimé sur la collection des titres qui ont servi aux introductions à la Salle
des Croisades un jugement dont la bienveillance n'aurait probablement pas résisté à la divulgation du
document auquel j'ai fait plus haut allusion. Ce jugement est du reste en désaccord avec l'opinion plusieurs
fois émise par Chaix d'Est-Ange sur le même sujet (notamment T. V, p. 114). Même s'il avait été
maintenu, étant donné la grande différence qui apparaît entre le nombre des noms admis à la Salle des
Croisades et celui auquel s'est arrêté M. de Woelmont, il y aurait lieu d'en conclure simplement que cet
auteur croyait décidément plus à l'authenticité des titres qu'à celle des descendances.
Si l'on étudie de près la liste qu'il a publiée, une constatation intéressante corrobore cette opinion. Un
écart plus ou moins considérable, mais qui est quelquefois de plusieurs siècles, sépare le plus souvent la
date à laquelle la présence d'un chevalier a été signalée aux Croisades de celle que le même auteur a
indiquée dans sa « Liste générale des Familles » comme fixant l'année à partir de laquelle il considère la
filiation comme prouvée. Il y a là une solution de continuité que certaines familles sont
vraisemblablement en état de combler, mais qui, ne l'ayant pas été par des preuves officielles, s'oppose,
dans la plupart des cas, à la démonstration catégorique. S'il en était autrement, l'opinion prêtée par M.
de Lamase à M. de Woelmont resterait inexplicable.
La vérité est que, selon les probabilités, toutes les familles dont la noblesse est antérieure à la fin du XIIIe
siècle ont participé aux Croisades, mais que fort peu sont en état d'en administrer aujourd'hui une preuve
péremptoire. La Salle de Versailles ne représente, en tout cas, qu'une sélection sans autorité, car,
l'authenticité des descendances étant mise à part, les titres mêmes qui ont servi aux introductions sont
souvent douteux, tandis que des noms dont la présence est historiquement constatée aux Croisades et qui
sont portés de nos jours encore par des familles de noblesse immémoriale n'y figurent pas.
Chapitre IV du supplément au livre du vicomte de Marsay (1874-1941)
« de l’âge des privilèges au temps des vanités » paru en 1932
1. i C'est du moins ce qu'affirmé le Cte Martial de Pradel de Lamase.
Paris, revue Polybiblion, 59, rue de Grenelle, novembre 1932, p. 268.
2. ii Histoire de Guillaume le Maréchal, comte de Striguil et de Pembroke, régent d'Angleterre de
1216 à 1219, poème français, publié pour la Société de l'Histoire de France par M. Paul Meyer. Paris,
librairie Renouard, M DCCC XCI.
3. iii Cette opinion est exprimée dans une lettre du 28 novembre 1909 adressée à l'auteur à propos du
personnage nommé Estienne de Marçay,mort en 1200 (sénéchal de Touraine et d'Anjou entre 1168 et
1180 pour Henri II, roi d'Angleterre), qui figure dans l'Histoire de Guillaume le Maréchal, et dont M.
Paul Meyer parle comme ayant fait partie de l'entourage de Henri II, Richard I er et Jean sans Terre et
comme ayant accompagné Richard Cœur de Lion en Terre-Sainte (Cf. aussi le Dictionnaire de
Maine-et-Loire, par Célestin Port).
iv
Manuscrits fonds latin. Nouvelles acquisitions, n 08 1661 à 1668, 3e volume.
Chapitre IV du supplément au livre du vicomte de Marsay (1874-1941)
« de l’âge des privilèges au temps des vanités » paru en 1932