Henri Matisse: les «Nus bleus»

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Henri Matisse: les «Nus bleus»
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KULTUR
Luxemburger Wort
Donnerstag, den 21. März 2013
Mudam Akademie III
Henri Matisse: les «Nus bleus»
«Je rêve d’un art d'équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant»
cirque, les voyages et les contes
populaires, Matisse fait chanter la
couleur.
Encouragé par le nouveau procédé, Matisse, petit-fils et arrière
petit-fils de tisserand, abolit les
frontières entre art et artisanat en
se lançant dans des décorations
plus ambitieuses. Les tapisseries
qu’il conçoit désormais, les décors
muraux en céramique et même le
grand projet de la Chapelle de
Vence sont tous réalisés selon la
technique de la gouache découpée.
La Chapelle des Dominicaines du
Rosaire constitue la synthèse de
tout l’art de Matisse: les vitraux
colorés, les dessins muraux, le mobilier et les chasubles des prêtres
composent en effet le mariage parfait de la couleur, de la lumière et
du dessin.
PAR MARKUS PILGRAM
ET ROMINA CALO
Nous proposons ici la poursuite de
la collaboration entre le Mudam et
le «Luxemburger Wort». Le cycle
«Mudam Akademie III» s'adresse
principalement aux personnes qui
ont suivi les deux premières années de ce programme d'initiation
à l'art moderne, mais les cours
sont ouverts à tout intéressé. Particularité de «Mudam Akademie
III»: une œuvre majeure est traitée
en détail et mise en contexte dans
son époque. Aujourd'hui: les «Nus
bleus» de Matisse.
A la fin de sa vie, Matisse réalise
quatre nus bleus, une série à part
entière parmi tous ses «papiers
decoupés». C’est en 1931, lors des
travaux préparatoires pour La
Danse – une œuvre in situ commandée par le collectionneur américain Albert C. Barnes – qu’il s’initie à cette technique. Mais il ne
l’explore en profondeur qu’à partir
de 1940, lorsqu’une grave maladie
le cloue au lit. C’est ainsi qu’il
découvre la simplification du
«dessin dans la couleur»: l’union
des deux composantes majeures
de son œuvre artistique – la couleur et le dessin – dans un seul acte
créateur, le coup de ciseaux.
À partir d’un papier épais, préalablement recouvert d’aplats de
gouache monochromes par ses assistants, le peintre Matisse devient
sculpteur lorsqu’il débite des
formes à l’aide de son ciseau, sans
dessin préalable. Tout repentir est
impossible. Ces formes doivent ensuite être patiemment assemblées
jusqu’à ce que l’harmonie se fasse.
Vient alors le collage, minutieux.
Le sentiment religieux
La figure humaine, et tout particulièrement le nu féminin, a toujours
été au centre de ses préoccupations. «C’est elle qui me permet le
mieux d’exprimer le sentiment
pour ainsi dire religieux que je
possède de la vie», déclare-t-il en
1908. Elle est constante dans la
thématique de son œuvre depuis
ses débuts pointillistes avec Luxe,
Calme et Volupté, en passant par
la courte et déterminante période
Matisse découpant du papier, 1952.
«Nu bleu IV», 1952,
papiers gouachés,
découpés, collés et
fusain sur papier,
102,9 x 76,8 cm,
Nice, Musée Matisse.
fauve, célèbre pour «La femme au
chapeau» et «Le bonheur de vivre», l’interminable série des odalisques qui caractérise sa phase
dite «niçoise», jusqu’à son voyage
à Tahiti en 1930.
Ce qu’Henri Matisse recherche
par-dessus tout c’est l’expression.
Mais ce n’est pas dans «la passion
qui éclatera sur un visage ou qui
s’affirmera par un mouvement violent» qu’il la trouve. Elle serait,
selon ses propres propos écrits en
1908, «dans toute la disposition de
mon tableau: la place qu’occupent
les corps, les vides qui sont autour
d’eux, les proportions». À chaque
nouvelle œuvre, inlassablement,
en variant les agencements de
formes et de couleurs, il tente la
traduction la plus fidèle possible
de ses sentiments et de ses émotions. «Je rêve», dit-il, «d’un art
d'équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant.» Cette technique des
gouaches découpées mise au point
en 1931, Matisse la reprend en 1937
pour les décors et les costumes du
ballet Rouge et Noir chorégraphié
par Léonide Massine.
Mais c’est avec l’album Jazz
qu’elle acquière véritablement ses
lettres de noblesse. Commencé
par Matisse en 1944, Jazz est publié
en 1947 par Tériade. C’est l’un des
plus importants livres d’artistes de
l’art moderne. En vingt illustrations inspirées par la musique, le
Le plaisir de créer
Les grandes gouaches découpées
dont font partie les quatre «Nus
bleus» sont réalisées deux ans
avant la mort de l’artiste. La Tristesse du roi, Souvenir d’Océanie
ou La Piscine, exécutés au même
moment, révèlent le plaisir de
créer que Matisse a éprouvé
jusqu’au bout. Les «Nus bleus»
devaient intégrer la grande composition de La Perruche et la sirène. Si le «Nu bleu IV», commencé en premier et terminé en
dernier, nécessite de longues
heures de travail et subit de nombreux changements, les trois autres ont été réalisés très vite,
«comme des explosions de l’inspiration. Ils ont été découpés avec
maestria, chacun à un jour différent, d’un trait, d’un seul coup de
ciseaux, en 10 minutes ou 15 maximum», se souvient l’assistante de
Matisse.
Fidèle à son thème favori, Matisse donne avec les quatre «Nus
bleus» une dernière preuve de sa
maîtrise de l’harmonie des formes
et des vides. Ses maîtres mots sont
désormais simplicité et curiosité.
Matisse a beau avoir 83 ans – il
meurt deux ans plus tard – pour
lui, «l’artiste doit voir toutes
choses comme s’il les voyait pour
la première fois: il faut regarder
toute la vie avec des yeux d’enfants.»
«La tristesse du roi», 1952, papiers gouachés et découpés, marouflés sur toile, 292 x 386 cm, MNAM.

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