« Wiederaufbau Frauenkirche, Dresden, 1996 – 2006 »

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"Reconstruction de l'église Notre-Dame, Dresde, 1996-2006"
Caroline Bach
26 janvier - 2 mars 2007
En façade + réserve : Julien Blaine
Wiederaufbau Frauenkirche, Dresden, 1996, n°1………………………….
tirage argentique – 120/155 cm – 1999………….…………………………
Caroline Bach : inventorier le réel – travailler le regard
Caroline Bach jongle avec une chambre noire sur des échafaudages…
De 1996 à 2006, elle suit le chantier de reconstruction la Frauenkirche (l’église Notre Dame) de
Dresde, considérée comme le plus bel édifice luthérien d’Allemagne et qui, suite au bombardement de
la ville en février 1945 s’est effondrée. Il n’en restera qu’un champs de ruine pendant près de 45 ans,
stigmate et mémoire de la guerre. Ce n’est qu’en 1990 après la réunification allemande, à l’initiative
des Dresdois, que l’on évoque de panser cette plaie béante. Le chantier est évalué à 125 millions
d’euros. La voûte de la crypte est reconstruite en 1996. Caroline Bach, frappée par la symbolique et la
beauté de l’entreprise, va pendant près de 10 ans, rendre compte par une démarche photographique
précise, non seulement du processus de reconstruction de l’édifice mais aussi de celui de la mémoire
d’une ville et de ses habitants.
Elle manipule la surface photographique pour mieux interroger le regard. La série sur Dresde
entrecroise complexité, lisibilité de l’image et fonction d’inventaire de la photographie.
17, rue Smolett 06300 Nice. France.
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Interview :
Quelle est l’origine de votre intérêt pour Dresde ? Ce qui vous a frappée lors de votre
première visite ?
Mon tout premier intérêt pour Dresde remonte à une voisine qui habitait le même chemin, dans le
village au-dessus de Nice, où j’ai vécu enfant et adolescente. Cette dame est née à Dresde à la fin
des années 10 et en me racontant sa jeunesse et la Seconde guerre mondiale, elle m’a parfois parlé
de sa ville. De sa ville, détruite d’abord par les alliés, puis par les Soviétiques, et qui était
auparavant une ville magnifique, un des emblèmes culturels de l’Allemagne. Comme cette dame a
eu une vie déroutante, voire "déroutée" puisque sortie de son cours par l’enchaînement
d’événements historiques, j’ai fini par associer Dresde aux destinées détournées et à la saisissante
nouvelle de Buzzati, L’Écroulement de la Baliverna. En 1995, j’ai visité une partie de l’exAllemagne de l’Est, en particulier Berlin et Dresde. J’ai été intriguée par le chantier encore
débutant de la Frauenkirche, par les rayonnages de pierres. Mais à ce moment-là, j’en savais peu de
choses, je connaissais le bombardement du 13 février 1945. J’ai juste pris le maximum de
documentation sur place.
D’où est venue l’idée de suivre en photographie la reconstruction de l’église NotreDame de Dresde ?
Dès que je suis rentrée en France, je me suis renseignée sur ce chantier et j’ai découvert que cette
église était une sorte d’emblème de la ville, un bâtiment qui se distinguait de loin. J’apprends
qu’elle a été consacrée en 1734, qu’elle était un des plus beaux édifices protestants allemands, et
surtout qu’elle a survécu au 13 février 1945, mais s’est effondrée sous l’effet de la chaleur,
produite par les multiples incendies, le 15 février. Je découvre aussi que, jusqu’en 1992, ses
décombres avaient été laissés tels quels en mémoire des victimes. En 1992, un des plus grands
chantiers d’Europe débute donc : il est prévu qu’il se termine en 2006. En 1995, quand je le vois
pour la première fois, les gravas ont été déblayés et la reconstruction elle-même est amorcée.
En fait, j’ai été fascinée par ce puzzle grandeur nature, à contempler par le promeneur : des
rangées et des rangées de fragments de tailles très différentes (certains sont petits), tous
numérotés. Ainsi a-t-on retrouvé 10 000 fragments de la façade. Chaque morceau a été examiné
individuellement : dans la mesure du possible, on a utilisé les fragments originaux pour reconstruire
l’édifice. Toutefois, les carrières d’origine, à Pirna (Est de la ville) ont été rouvertes pour la taille
de nouvelles pierres. Le 2 novembre 2005, la Frauenkirche a réintégré sa place, Dresde retrouvant
cette silhouette massive caractéristique en son cœur. A-t-on assisté à un escamotage historique ?
les destinées ont-elles repris leurs cheminements prévus ?
Immédiatement, je me suis posé la question de l’enjeu d’un tel chantier. Pourquoi restituer
quasiment à l’identique un bâtiment détruit : retrouver la forme d’antan, d’origine pour absorber —
effacer ? — d’une certaine façon, le moment de la destruction, puis celui des ruines. Quel statut
aura cet ersatz ? L’église est terminée depuis un an, il est trop tôt pour le dire. Ce bâtiment
reconstruit, a-t-il plus de force, symbolise-t-il plus de choses que les décombres ? je ne le sais pas.
Il faudrait interroger des dresdois, je n’ai pas connu cette période-là. D’une manière générale, je
me demande si l’absence, soit une chose qui a été et qui n’est plus n’a pas plus d’impact,
n’impressionne pas plus qu’une substitution. Ce qui n’était plus visible par les yeux, mais l’est
encore par la mémoire et l’imagination, est peut-être bien plus saisissant que ce qui est visible.
Cela me semble d’autant plutôt juste avec la reconstruction de la Frauenkirche qu’il s’agit d’un
bâtiment massif et imposant : la silhouette de Dresde était très différente sans cette masse qui en
émerge de nouveau.
Je me suis donc dit que ce chantier cristallisait des interrogations importantes et que j’avais envie
de le suivre, de construire un ensemble photographique autour de lui. Je suis entrée en contact
avec les responsables du chantier pour obtenir l’autorisation d’accéder au chantier. Tout cela a pris
quelque temps : en octobre 1996, je débute les photographies. Je dois souligner que j’ai toujours
été bien accueillie sur place.
Wiederaufbau Frauenkirche, Dresden, 1997, n°54………………………….
tirage argentique – 155/120 cm – 1997………….…………………………
Comment avez-vous procédé pour rendre compte année après année du chantier ?
Quels moyens techniques avez-vous utilisés ? Quelles contraintes avez-vous
rencontrées pendant les prises de vues ?
De façon générale, je choisis plutôt un dispositif photographique qui s’axe sur la construction des
images et la précision, je veux dire, la profusion de détails du fait de la précision. Pour cela,
j’utilise le plus souvent une chambre 4x5, parfois un moyen format. Cela peut passer par une prise
de vue "instantanée" (autant que la chambre photographique puisse le permettre) ou une mise en
scène. Peu importe, je ne cherche pas un instant décisif mais une image plate-forme sur laquelle le
tiers va amorcer son « commerce du regard. »
Dans le cas de Dresde, la chambre s’est naturellement imposée pour rendre compte d’un bâtiment
en construction. De toute façon, face à un tel lieu, on a besoin de prendre son temps. La chambre
photographique impose une certaine lenteur tout à fait adéquate. Ensuite, à chacun de mes
déplacements (1996, 1997, 1999 et 2006), j’ai essayé de donner une direction différente. Pour
octobre 1996, l'accent est mis sur la "construction" à l'intérieur de la construction : les
échafaudages. Pendant l'hiver, le chantier, recouvert d'une immense bâche, transformait l'église en
immense boîte lumineuse. En décembre 1997, les prises de vue exploitent cette luminosité et cette
transparence. En juin 1999, je mesure tout d’un coup une difficulté à laquelle je n’avais pas
vraiment pensé : le chantier s’élève fortement et je me retrouve à me déplacer avec tout mon
équipement photographique sur des échafaudages parfois exigus. Le chantier a pris de la hauteur,
les images jouent avec cela. En 2006, j’essaie de situer l’église dans son environnement.
Le but de la photographie est de questionner le regard. Dans ce travail, il me semble
que cela est beaucoup plus complexe et que c’est la multiplicité des points de vue que
vous avez réussis à mettre dans chaque image ? Il y a plusieurs regards, lesquels pour
vous ?
Je ne sais pas si je suis arrivée à tout cela. En revanche, j’ai essayé de fabriquer des images qui
convoquent des regards différents. Marie-José Mondzain en parle dans Le Commerce des regards :
en soi, une image est "indécidable", elle n’a aucune valeur de vérité ni de fausseté, elle attend du
tiers qui la considère la construction d’un sens. J’essaie de convoquer le plus de tiers possible : à
eux de donner du sens. Si je veux qu’une image soit "décidable", mieux, qu’elle soit "dicible",
qu’elle dise elle-même quelque chose, alors j’utilise la forme séquentielle, le roman-photo et
alors , là, oui, mes images, enfin, mes personnages parlent ! Pour Dresde, il y a différentes couches
ou approches : architecturale, patrimoniale, émotionnelle, personnelle, collective. On peut être
sensible à la dimension architecturale et à la beauté des échafaudages ; ou alors on peut se
focaliser sur la problématique de la reconstruction d’un bâtiment ou s’interroger sur la force
émotionnelle d’un tel lieu. Je me suis aperçue que le chantier avait été beaucoup plus chargé en
émotion que l’église aujourd’hui : l’idée de construire, de reconstruire, ce qui est en train de se
faire a beaucoup plus de force, je trouve, que ce qui est fait ou fini. Le lieu aujourd’hui est
beaucoup moins palpitant. Le chantier apportait de l’agitation, du mouvement et supposait une
forme de prouesse, il y avait quelque chose d’excessif dans ce chantier qui lui donnait beaucoup
d’attrait : tout cela a disparu ou semble s’être mortifié. Personnelle ? après un événement tragique,
puis-je, en tant qu’individu, me reconstruire à l’identique, reprendre ma vie d’avant ? Collective ?
je lis que l’église reconstruite symbolise la paix et la réconciliation… Toutes ces approches ne
prennent pas la même direction selon que l’on situe ou non géographiquement Dresde, que l’on
connaisse ou non le bombardement de 1945…
Peut-on définir cette série comme un travail documentaire, et pourquoi?
Avec cette question, c’est un peu comme si vous me demandiez de faire un essai sur la
photographie : s’interroger sur le statut de la photographie comme document, c’est quasiment
interroger tous les textes écrits sur la photographie, c’est questionner la plupart des séries
photographiques. Il faut dire que du fait de son procédé physico-chimique (je parle ici bien sûr de
photographie argentique), on a supposé la photographie capable d’enregistrer la réalité avec vérité,
de révéler le "monde réel". Cela me fait toujours penser à cette formule — très creuse, voire risible,
pour moi — « Ah c’est bien toi » énoncée face au portrait de quelqu’un. Je parlais ici de la
photographie en général : il y a une ambiguïté à employer ce mot car il désigne à la fois le procédé
et l’objet produit. En fait, je me préoccupe plus des photographies que je produis.
Je laisse donc les notions de vérité et de document de côté. En revanche, je suis plus à l’aise avec
celle d’inventaire. D’où l’ajout de tampons en bas de l’image : par ce biais, j’indique la date et
l’angle de prise de vue. J’essaie de poser des repères, des jalons pour susciter la construction de
sens. Le grand format des tirages a plusieurs raisons : s’accorder avec l’envergure du lieu, mettre
en avant les détails, produire un effet visuel.
Wiederaufbau Frauenkirche, Dresden, 1999, n°80………………………….
tirage argentique – 155/120 cm – 1999………….…………………………
Qu’avez-vous voulu signaler avec ce travail ? Quel recul avez-vous sur ce travail ?
À travers cet ensemble, je donne aussi l’idée que j’ai d’un travail artistique, et j’emploie
sciemment le mot travail. Produire une recherche plastique prend du temps, se déploie dans le
temps. Je peux dire que de 1995 à 2000, j’ai pensé tous les jours à Dresde. Et j’espère qu’à travers
ces photographies, les gens s’intéresseront à cette ville et s’interrogeront sur les fonctions
architecturale, patrimoniale, émotionnelle, personnelle et collective des lieux qui nous entourent.
Pour revenir au temps, j’aime que les choses durent, j’aime revenir aux mêmes endroits, j’aime
répéter les choses. J’aime prendre le train : le voyage est souvent long, cela prend du temps pour
aller d’un endroit à l’autre. Pour moi, l’avion est pratique, mais manque de densité ! Aller de paris
à Dresde nécessite une nuit plus une matinée. Par ailleurs, mon matériel photographique est lourd
et encombrant. Voyager avec tout ça est un peu pénible. Mais aussi sentimental : cela me fait
penser aux origines de la photographie, aux grands explorateurs-photographes de la seconde moitié
du XIXe siècle, au voyage de Maxime du Camp avec Flaubert.
Il y a d’autres endroits où je suis retournée. J’ai produit une série sur une ville croate, Sibenik, en y
allant deux fois : la première, en 1993, pendant la guerre civile au sein d’une association
humanitaire, puis en 1997 en tant que touriste.
Je me ressens comme une sorte de plate-forme sur laquelle arrivent plein d’informations, de
données en vrac. Ces données, j’essaie de les organiser, ces informations, j’essaie de les mettre en
forme — en images — pour qu’elles repartent vers des tiers. Je ne compte pas beaucoup en fait : je
choisis des projets, des lieux qui me dépassent largement comme la reconstruction de la
Frauenkirche, Platon ou des usines et j’essaie juste de faire le lien entre ces lieux ou projets et des
tiers. C’est dans ce choix que je donne du sens à ce que je fais. C’est là que j’apparais, en tant
qu’individu, en tant qu’artiste. Après, je me sens très petite face à ce que je photographie. Et cela
me convient parfaitement.
Le rôle d’un artiste selon vous ?
Débroussailler et inventorier ce qui nous entoure. Je crois que c’est une bonne amorce pour
convoquer des tiers.
Textes et Entretien déc. 2006 - Samantha Barroero
(directrice de la fondation Brownstone et de la Galerie Frédéric Giroux – Paris)
Wiederaufbau Frauenkirche,
Dresden, 2006, n°3………………………….
tirage argentique –
120/155 cm –2006………….…………………………
Caroline Bach
Née en 1968. Vit et travaille à Nice.
EXPOSITIONS PERSONNELLES
2004
2000
1999
Dérapage contrôlé (roman-photo complet), Espace "à vendre" 10 rue
assalit - Nice - "galerie pièce unique", Nice. En collaboration avec Loïc
Nébréda.
Elle aimait compter les moutons, Galerie Anne Barrault, Paris.
Collections aléatoires, Institut Français de Dresde, Allemagne.
EXPOSITIONS COLLECTIVES
2006
2004
2003
2001
2000
1999
1995
1995
1993
1992
1993
1992
1992
Open, Espace à vendre, Nice.
Comme une averse, Espace "à vendre" - "galerie pièce unique", Nice.
Regards sur l’agglomération Bastiaise, Centre Culturel Una Volta,
Bastia
Montagnes, galerie Anne Barrault.
Cousu de fil blanc, Galerie de la friche la Belle de Mai, Marseille.
Cousu de fil blanc, galerie Anne Barrault
Lomo vues de Paris, Mois de la Photo, galerie Anne Barrault.
Artissima, Turin, galerie Anne Barrault.
L ’Objet / la série, Médiatine, Bruxelles, Belgique.
De la peau, galerie Isabelle Bongard, Paris.
Images en regard / La photo fait école, Espace culturel Buzanval,
Beauvais.
Gambit, galerie Evelyne Canus Art Contemporain, La Colle-sur-Loup.
Les Séquences du spectateur, E. N. S., Fontenay / St Cloud.
Travaux en cours, collège Saint-Charles, Arles.
Travaux en cours, Maison de la Roquette, Arles.
L’Europe des fleuves, Château de Sceaux, Sceaux.
PUBLICATIONS
→ Own II, hiver 2002.
→ Paris Première Tribune, édition spéciale 15 décembre 2016 pour les 10 ans de la chaîne, (sortie le
15 décembre 2001).
→ Yannick Vigouroux, "Lieux et non-lieux photographiques", Simulacres, n° 5, Septembre-décembre
2001, pp. 94-104. (extrait)
→ Uwe Salzbrenner, "Welkes und Lebendiges", Dresdner Zeitung, vendredi 30 juillet 1999.
→ "Die Poesie des Vergänglichen", Sächsische Zeitung, jeudi 24 juin 1999.
→ Yannick Vigouroux, "Les Ambiguïtés du gros plan dans la photographie contemporaine", La Voix
du regard, n°12, Printemps 1999, pp. 242-245.
→ David Privat, "Juste humain",
http://www.cicv.fr/SYNESTHESIE/syn5/conteste/bach/privat/privat.html.
→ Dominique Baqué, "...superficiels par profondeur", Art Press, n°208, décembre 1995.
→ Yannick Vigouroux, "De la peau", Jardin des Modes, automne 1995.
→ Dominique Baqué, "L’Atelier, le monde, la chair", Art Press, n°201, avril 1995, p. 72.
17, rue Smolett 06300 Nice. France.
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"Reconstruction de l'église Notre-Dame, Dresde, 1996-2006"
Caroline Bach
Wiederaufbau Frauenkirche, Dresden, 1996, n°12
tirage argentique – 155/120 cm – 1996
Wiederaufbau Frauenkirche, Dresden, 1996, n°72
tirage argentique – 120/155 cm – 1999

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