stahlschmidt sauve le portde bordeaux

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stahlschmidt sauve le portde bordeaux
STAHLSCHMIDT SAUVE LE PORTDE BORDEAUX...
Le 22 août 1944, le
sous-lieutenant
allemand Heinz
Stahlschmidt a suivi
sa conscience. Parce
qu'il refusait la
destruction du port de
Bordeaux, il a
dynamité seul le
blockhaus où étaient
entreposés les
munitions et le
matériel destinés à
tout faire sauter. Ce
fait d'arme, capital
pour Bordeaux, est
toujours resté dans
l'ombre, sans
reconnaissance
officielle. Heinz n'était
ni Français ni
résistant. Rejeté ou
ignoré par les deux
camps, il n'appartient
aujourd'hui à aucune
histoire. Il a tout
perdu. On l'appelle
Henri.
Voici le récit de cette
vie hors du commun,
éclairé par le
témoignage de deux
personnalités :
Jacques
Chaban-Delmas, arrivé
à Bordeaux à la
Libération, et Gabriel
Delaunay, ancien
préfet d'Aquitaine, qui
fut le chef régional des
Mouvements unis de
la Résistance
P4
Henri, sur le port
Il
(Ph.o.R.)
DIMANCHE 31 JANVIER 1993"
23 août 1944. Le blockhaus, dit de la rue Raze, a sauté la veille, à 20 h 15. Les Allemands cherchent Heinz Stahlschmidt
es heures passent et l'eau
glacée avale les marins un à
un. Heinz se bat encore.
C'est un excellent nageur. Il
j sait qu'une torpille a éventré
I le transporteur de troupes.
• mm 560 hommes meurent autour
de lui ce 2 septembre 1940 entre le Danemark et la Norvège, mais il n'a pas
peur. Il a déjà coulé en juin, le 21, sur
un bateau de pêàe reconverti dans la
défense côtière. Et, en avril, le 9, dans
le Çord d'Oslo, il a vu le « Blucher »,
son cuirassé, rejoindre le fond comme
un fer à repasser. Il a vu aussi des
hommes s'enfuir. Heinz Stahlschmidt ne
peut pas fuir. « Pas par patriotisme
mais parce qu'il ne se sent pas devenir
un traître. » La mort le suit depuis Fichelnshaven, où il a embarqué en octobre 1939. Il allait devenir « matre de
métier » et prendre la suite de son père
Albert, installateur en sanitaires, à
Dortmund. Il a devancé l'appel de six
mois pour choisir l'arme et donner une
suite à sa formation en évitant l'infanterie et l'aviation. La guerre ne l'intéresse'
pas. Il veut se perfectionner en mécanique générale, maîtriser l'électricité, le
voltage, et rester en Westphalie, à la
tête d'une entreprise qui sera la sienne.
Heinz Stahlschmidt a 21 ans et il sauve
sa peau. Brûlé par le mazout, hospitalisé, il refiise l'avancement qui l'assipera
encore en première ligne et demande
une affectation à terre. Les naufrages Sperwaffen Eommando @), il coordonne
lui ont laissé des poumonsfragiles.On l'activité des entrepôts A, B, C et D où
l'envoie vers le sud. Il arrive à Bor- sont rangées les munitions,
deaux en avrill941.
A Bordeaux, il dirige les dockers requis pour les travaux de manutention.
Il est plus tolérant.
Ils cassent la croûte ensemble et boiOn l'appelle
vent un coup à l'Ancre d'or, quai de
Queyries. Avec eux, Heinz achète « la
le petit Français
Petite Gironde » et son paquet de gauA Bassens, il rejoint la centaine loises au tabac du coin. Sur les quais, il
d'hommes de la marine allemande qui rencontre Jean Ducasse, dit Cofino,
ont en chai^ l'approvisionnement des docker à la maison Worms, Ils parlent
bateaux. Avec quelques mots de ô^- souvent ensemble. Depuis la fin 43, le
çais, il sait demander son chemin et vent tourne. Jean Ducasse, comme les
user de politesse. Heinz a le contact fa- autres, sent que Heinzj par tempérade. Mais il n'a pas de camarades dans ment, rejette la violence et les conflits.
les baraquements de la Kriegsmarine. Il préfère un bon arrangement aux
« Le camarade est celui qui vous donne agressions. Cette guerre n'est pas la
la main dans l'eau. L'autre est un co- sienne. Mais il est dedans.
pain. » Il cohabite. Les mihtaires allemands trouvent qu'Ë a un comporteUn ordre le perturbe
ment différent avec la population. Ils
profondément.
jugent même que le sous-officier mécanicien Stahlschmidt est plus tolérant.
Il ne comprend plus
Ils l'appellent « le petit Français ». Plus
Kuhnemann, le commandant du
tard, l'uberiieutenant Kuns l'affecte à
port, a lancéfinjuillet un ordre qui est
Roque-de-Thau (1), une ancienne cararrivé jusqu'à lui : élaborer un plan desrière de pierre où les spécialistes venus
tiné à miner les mstallations portuaires
d'Allemagne mettent au point, en secret, les mines sous-marines, principale- de Bordeaux et les quais eux-mêmes.
ment des scharchtmine A d'un modèle Dès mars 1944, l'armée allemande installe, notamment à l'emplacement des
très perfectionné.
grues, des munitions de récupération
En avril 1943, Heinz a changé de dont quelques bombes mixtes de 800 kifonction. Il est artificier démineur. 3, los. Heinz a pour mission de préparer le
rue du Couvent, à la maison mère du plan de sabotage qui prévoit une inter-
(Ph.o.ai
vention tous les 50 mètres entre le
cours du Médoc et les abattoirs. 10 kilomètres de quais condamnés de part et
d'autre du pont de pierre placé, lui,
sous le contrôle de la Wehrmacht (3).
Une trentaine d'hommes agiront au moment voulu. Cet ordre le perturbe profondément. Il ne comprend plus. Le débarquement a déjà eu lieu. La
destruction du port de la Lune ne peut
rien changer à l'issue de la guerre. On
parle - il l'entend - de l'éventuahté
de la mort de 3 OOO Bordelais. C'est une
folie meurtrière. Sa mission : ramener
dans les hangars de Bordeaux le matériel nécessaire à l'opération jusqu'ici
rassemblé à Roque-de-Thau et SaintMédard. Il propose de centraliser sur le
seul bunker de la rue Raze plus de
4000 amorces préconçues, les munitions, les mèches et les détonateurs
sans lesquels l'exécution du plan est imPersonne ne connaît la date. Mais
une destruction avant la fin du mois
d'août - probablement le 27 - l'obsède. Ducasse l'apprend. Le 11, il lui
dit : « Je connais quelqu'un qui serait
intéressé par une discussion sur les munitions... Vous acceptez ? » Heinz acquiesce, « Fixez-moi un rendez-vous,
j'irai, » Le 14 août, en tenue, convaincu
qu'il est en faute, il se rend 58, rue CaSIM PAGE ^
SUD-OUEST DIIHANCHI