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Délégation Interministérielle à la Ville
LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE
AUX ÉTATS-UNIS
Mission d’étude en vue de la création d’un réseau d’échanges
Juillet 2005
THOMAS KIRSZBAUM
Recherches et Études sur les Politiques Socio-urbaines (R.E.P.S.) - SIRET 385 229 349 00027
15 rue Pavée 75 004 Paris - Tel : 01 42 71 75 96 - E-mail : [email protected]
-2-
SOMMAIRE
PROBLEMATIQUE
P. 3
1. LES OBSTACLES AU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET A L’ACCES A L’EMPLOI
DANS LES QUARTIERS PAUVRES AMERICAINS
1.1 L’ISOLEMENT GEOGRAPHIQUE ET SOCIAL DES QUARTIERS PAUVRES : L’HYPOTHESE
DU « SPATIAL MISMATCH »
P. 7
1.2 LES BENEFICES DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE POUR LES QUARTIERS PAUVRES :
P. 9
DES OBSTACLES STRUCTURELS
2. L’EVOLUTION DES POLITIQUES PUBLIQUES
2.1 LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE
P. 12
2.2 LES POLITIQUES PUBLIQUES D’EMPLOI ET DE FORMATION
P. 15
2.3 LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE
P. 18
3. LES ACTEURS DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE
3.1 LES ACTEURS COMMUNAUTAIRES
P. 25
3. 2 LES ACTEURS PUBLICS
P. 27
3.3 LES ACTEURS PRIVES
P. 30
4. QUELQUES OUTILS EMBLEMATIQUES DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE
4.1 LES COMMUNITY DEVELOPMENT CORPORATIONS
4.2 LES COMMUNITY DEVELOPMENT FINANCIAL INSTITUTIONS
4.3 LES WORKFORCE INTERMEDIARIES
P. 32
P. 38
P. 49
5. COMPTE-RENDU DE LA MISSION D’ETUDE AUX ÉTATS-UNIS
5.1 LES STRATEGIES GLOBALES DE REVITALISATION
P. 54
5.2 L’ACCES AU CAPITAL
P. 69
5.3 L’ACCES A L’EMPLOI
P. 77
6. LES ENSEIGNEMENTS POUR LA POLITIQUE DE LA VILLE
6.1 ORIENTER L’EPARGNE VERS LES QUARTIERS DEFAVORISES
P. 86
6.2 MIEUX RELIER LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET L’ACCES A L’EMPLOI
P. 89
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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PROBLEMATIQUE
ELEMENTS DE DIAGNOSTIC RELATIFS AU VOLET « EMPLOI,
INSERTION, DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE » DE LA
POLITIQUE FRANÇAISE DE LA VILLE
L’écart entre le niveau de chômage dans les Zones urbaines sensibles (ZUS) et dans les agglomérations qui les entourent,
n’a cessé de se creuser dans les années 90 : de 18,9 % de la population active des ZUS en 1990, le taux de chômage est
passé à 25,4 %, en 1999, alors que dans la même période inter-censitaire, le taux de chômage des agglomérations urbaines
augmentait de 11,5% à 14,3%. L’embellie sur le marché de l’emploi, à la fin des années 90, a certes profité aux habitants
des ZUS : entre décembre 1998 et décembre 2000, le nombre de demandeurs d’emplois en fin de mois de catégorie 1 avait
diminué dans les mêmes proportions dans les ZUS (- 24,3%) que dans leur agglomération de référence (- 24,2 %), et à
peine moins qu’en moyenne métropolitaine (- 26 %). Mais la diminution du chômage a été plus faible pour les catégories les
plus défavorisées des ZUS : les jeunes, les étrangers et les travailleurs faiblement qualifiés1. La dégradation du marché de
l’emploi, observée depuis le début des années 2000, laisse craindre que ces catégories subissent de manière
disproportionnée la remontée du chômage.
En première analyse, l’existence d’un sur-chômage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville peut être attribuée
à la sur-représentation sur ces territoires de catégories particulièrement exposées à ce risque : les ouvriers et les employés,
les personnes de bas niveaux de formation, les jeunes (notamment ceux qui sont sortis précocement du système éducatif) et
les personnes étrangères ou d’origine immigrée (notamment d’origine extra-européenne)2. En dehors de leurs
caractéristiques sociologiques, les habitants des ZUS sont exposés à des risques additionnels du simple fait de leur lieu de
résidence. Cet « effet quartier » majore, en moyenne, de près de 10% le temps nécessaire au retour à l’emploi par rapport à
des demandeurs d’emploi présentant des caractéristiques similaires mais résidant en dehors des ZUS3. Plusieurs
explications sont fréquemment avancées : les discriminations à l’embauche fondées sur l’adresse des candidats, la faiblesse
des réseaux relationnels mobilisables pour la recherche d’emploi, les entraves à la mobilité géographique ou la prégnance
de normes de comportement propices à l’exercice d’activités illicites.
L’accès à l’emploi et le développement économique ont émergé tardivement comme thèmes à part entière de la politique de
la ville. Au-delà de la problématique de l’insertion des jeunes, prise en charge par les Missions locales à partir du début des
années 80, cette préoccupation ne s’est véritablement imposé qu’au début des années 90 avec la promotion du thème de
« l'insertion par l’économique » au cœur du rapport Aubry-Praderie. Prenant acte de l'écart entre le profil de compétences
des habitants des quartiers pauvres et les critères d’embauche des entreprises, il s’agissait de proposer des sas d’insertion
temporaires aux « exclus », en préalable à leur insertion sur le marché de l’emploi ordinaire. Mais pour beaucoup, ce sas
s’est transformé en statut permanent de personnes en situation d’insertion, sans autre débouché que celui des activités
d’utilité sociale (émanant notamment du secteur de l’économie solidaire).
Voir P. Choffel, L’évolution récente du chômage dans les zones urbaines sensibles d’après les
statistiques des demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE, Délégation interministérielle à la ville,
octobre 2002 ; J.-P. Fitoussi et al., Ségrégation urbaine et intégration sociale, Conseil d’analyse
économique, 2004
2 Voir P. Choffel, Emploi et Chômage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Quelques repères statistiques, Délégation interministérielle à la ville, 2002
3 Voir l’enquête lancée par la DARES en 1995 : Trajectoires des demandeurs d’emploi. Marchés
locaux du travail. Voir aussi P.Choffel, E. Delattre, Effets locaux et urbains sur les parcours de
chômage, Ministère des Affaires Sociales, du Travail et de la Solidarité, 2001
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Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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Par la suite, la politique de la ville a contribué à la mobilisation prioritaire des mesures du service public de l'emploi au
bénéfice des habitants des quartiers, mais les personnes les moins qualifiées ou rencontrant le plus de difficultés sociales
sont plus souvent orientées vers des dispositifs situés en amont de l’emploi (stages de formation/insertion, CES, CEC …)
que vers les mesures d’alternance (contrats d’orientation, d’adaptation et de qualification) dont les performances sont bien
meilleures en termes d’accès à l’emploi marchand. Si la politique de la ville a suscité localement de nombreuses formules
d’intermédiation (PLIE, équipes emploi-insertion, clubs de recherche d’emploi, boutiques club-emploi …), ces dispositifs
souffrent d’un déficit persistant de liaison avec le monde des entreprises. Ce manque d’articulation entre la sphère du social
et la sphère de l’économique ne semble pas avoir été fondamentalement résorbé dans le cadre des Contrats de ville de la
période 2000-2006.
Les démarches engagées par la politique de la ville sur le front du développement économique buttent sur un écueil
symétrique, celui d’une relative autonomisation de la logique économique par rapport à la logique sociale. Mises en place à
partir de 1997, les Zones franches urbaines (ZFU) ont donné une première impulsion majeure au développement
économique dans les quartiers prioritaires. Le régime dérogatoire d’exonérations fiscales et sociales applicable aux ZFU et
l’obligation de recrutement d’habitants des ZUS ont pu avoir des effets positifs en termes d’emploi et de réduction de la
distance physique avec ces emplois (notamment pour les ZFU les plus éloignées des bassins d’emploi existants). Mais peu
de dispositifs spécifiques ont été prévus, pour les Zones franches de la première génération, visant à réduire les distances
sociales qui séparent les habitants des entreprises et préparer les premiers à saisir les nouvelles opportunités d’emploi. Les
ZFU de la deuxième génération, créées à compter du 1er janvier 2004, ont pris en compte cette préoccupation en mettant
l’accent sur la formation et l’accompagnement des publics des quartiers, afin de renforcer la clause locale d’embauche.
Cependant, la création d’un marché du travail de proximité ne peut tenir lieu de réponse globale à l’enjeu de l’insertion
professionnelle des habitants des ZUS, les emplois potentiellement accessibles à ces personnes étant localisés au moins
autant à l’échelle large des agglomérations qu’à l’échelle restreinte de leur environnement résidentiel.
Le renouvellement urbain, qui tient une place de plus en plus significative dans la politique de la ville, constitue une autre
opportunité de développement économique. En lien ou non avec les ZFU, le renouvellement urbain peut être le levier d’une
revitalisation économique et d’une diversification fonctionnelle des quartiers d’habitat social, à condition de concevoir, audelà de la seule transformation d’usage des immeubles, de véritables stratégies de marketing territorial et d’accueil des
entreprises, fondées sur le développement d’une offre foncière et immobilière attractive et sur des services de qualité.
Mais le volet économique des opérations de renouvellement urbain n’est pas exempt de faiblesses, comme l’a souligné un
avis récent du Conseil national des villes : le développement économique est une dimension relativement secondaire et peu
lisible des stratégies locales de renouvellement urbain, les partenariats public-privé n’arrivent pas à se concrétiser, la culture
économique des équipes de projet est trop limitée, les dispositifs de soutien à la création et au développement des
entreprises sont insuffisamment mobilisés, le traitement des friches industrielles et le coût du foncier sont des obstacles
récurrents, etc.4
Enfin, et surtout, les projets de renouvellement urbain semblent faire le pari de retombées mécaniques du développement
économique sur l’accès à l’emploi des habitants. Ces projets privilégient les effets indirects du développement en termes
Voir l’avis du Conseil national des villes, Les enjeux du développement économique dans le
renouvellement urbain, septembre 2003
4
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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d’aménités dans les quartiers plutôt que des stratégies visant à les aider directement à franchir les obstacles qui entravent
leurs parcours d’insertion professionnelle.
Compte tenu de ces différentes limites, la capacité de la politique de la ville à relier la demande et l’offre d’emplois – c'est-àdire l’économique et le social - constitue un enjeu décisif pour une meilleure efficacité de son volet « accès à l’emploi et
développement économique ».
LA MISSION D’ASSISTANCE TECHNIQUE
Les pratiques de « développement économique communautaire » développées aux États-Unis ont engendré de multiples
stratégies et outils susceptibles d’assurer une articulation effective entre les dimensions économique et sociale du problème
de l’accès à l’emploi des résidents des quartiers pauvres. Cependant, l’enjeu ne peut être d’importer purement et simplement
en France des dispositifs créés outre-Atlantique. On ne saurait ignorer les différences de contexte institutionnel, politique et
culturel existant entre les deux pays. Concernant les politiques de développement économique et d’accès à l’emploi dans les
quartiers pauvres, la différence essentielle tient au quasi-monopole dévolu au secteur public dans la politique de la ville
française et à la représentation d’une pluralité d’acteurs et d’intérêts (ceux des habitants, du secteur économique et du
secteur public, le rôle de ce dernier étant plus limité qu’en France) dans le développement communautaire américain.
Sans nier leur contexte spécifique et leurs limitations propres, les réalisations américaines comportent des expériences
potentiellement utiles pour la politique de la ville française. En liaison avec les responsables du département « Emploi,
insertion et développement économique » de la DIV, et sur la base d’un premier rapport, une sélection de pratiques et
d’outils du développement économique communautaire a été effectuée. Ce rapport, reproduit ici, propose un panorama des
principaux enjeux, acteurs et outils du développement économique communautaire aux Etats-Unis (parties 1 à 4).
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La mission d’étude s’est déroulée aux Etats-Unis du 2 au 13 mai 2005. Au cours de la première semaine, le consultant a
rencontré des représentants des organisations suivantes à New York et Newark (New Jersey) :
•
Church Avenue Merchants Block Association (Brooklyn)
•
New Community Corporation (Newark)
•
Cooperative Home Care Associates (Bronx)
•
Bedford Stuyvesant Restoration Corporation (Brooklyn)
•
Accion (Bronx)
Au cours de la seconde semaine, le consultant a accompagné trois représentants de la DIV à Philadelphie (Pennsylvanie) et
Washington DC. Les organisations suivantes ont été visitées :
•
New Community Capital Association (Philadelphie)
•
The Reinvestment Fund (Philadelphie)
•
Workforce Investment Board et Career Links (Philadelphie)
•
LISC et University City District (Philadelphie)
•
Empowerment Zone et Renewal Community (Philadelphie)
•
Home Care Associates (Philadelphie)
•
Small Business Administration (Washington DC)
•
Annie E. Casey Foundation (Washington DC)
•
CDFI Fund (Washington DC)
•
Aspen Institute (Washington DC)
Le présent rapport rend compte de visites (partie 5) et dégage des enseignements du point de vue des actions de
développement économique et d’emploi de la politique de la ville française (partie 6).
Cette mission préfigure la constitution d’un réseau d’échanges qui permettrait d’alimenter dans la durée la réflexion de la DIV
sur cette thématique. L’identification d’organisations et d’expériences « ressources » aux Etats-Unis a permis de poser les
jalons de la création d’un tel réseau.
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1. LES
OBSTACLES AU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET A L’ACCES A L’EMPLOI DANS LES
QUARTIERS PAUVRES AMERICAINS
1.1 L’ISOLEMENT GEOGRAPHIQUE ET SOCIAL DES QUARTIERS PAUVRES : L’HYPOTHESE DU « SPATIAL MISMATCH »
Les quartiers pauvres (inner cities) des grandes villes américaines ont été durement affectés par le processus de
désindustrialisation et de délocalisation des emplois faiblement qualifiés vers les zones périurbaines. Au cours des années
70, l’Amérique a perdu 21 millions d’emplois manufacturiers, essentiellement dans les villes du Nord et du Nord-Est5. A la fin
des années 80, seuls 45% des emplois métropolitains étaient encore localisés dans les villes-centres, contre 70% dans les
années 506. Différents facteurs expliquent cette « suburbanisation » des emplois : expansion démographique du périurbain,
essor des nouvelles technologies de l’information et des communications, abaissement du coût des transports, proximité des
infrastructures routières, coûts fonciers et régimes fiscaux plus avantageux...
Localement, la croissance de l'emploi est souvent corrélée avec les caractéristiques ethno-raciales des territoires. Les
emplois exigeant le moins de qualification sont désormais localisés en majorité dans les banlieues à forte majorité blanche,
là où le marché du travail est le moins tendu et les salaires les plus élevés7. Inversement, les quartiers les plus pauvres où
se concentrent les minorités ethno-raciales, notamment les Noirs, ont connu la plus forte dégradation de leur tissu
économique.
La ségrégation résidentielle fondée sur la « race » a certes eu tendance à diminuer depuis une vingtaine d’années, le
pourcentage de Noirs résidant dans les villes-centres étant passé de 73% en 1980 à 61% en 2000. Mais selon une étude
réalisée dans les années 80, les Noirs qui quittent les villes-centres s’installent le plus souvent dans des banlieues à majorité
noire, situées en proche couronne et dont les caractéristiques diffèrent peu de celles des villes-centres8. Toutes les villes de
banlieues n’ont donc pas bénéficié du même régime de développement : celles qui sont situées à proximité des villescentres ont pu subir, elles aussi, un déclin économique9.
Pour expliquer l’importance du chômage et la faiblesse des salaires des Noirs, l’économiste John Kain a avancé, dans un
article de 1968 passé à la postérité, l’hypothèse du « spatial mismatch », une expression que l’on peut traduire par
« discordance spatiale », c'est-à-dire en l’occurrence la discordance entre la localisation résidentielle des Noirs et les pôles
d’emplois en croissance10.
Dès le début des années 70, une pléthore d’études empiriques a cherché à vérifier cette hypothèse. Puis l’intérêt s’est
émoussé, avant de renaître dans les années 80 sous l’influence de John Karsada qui montrait que la délocalisation des
emplois n’était pas uniforme selon le type de qualifications, mais que les Noirs des quartiers centraux en subissaient les
5 B. Bluestone, B. Harrison, The Deindustrialization of America, Basic Books, 1982
6 P. Mieszkowski, E. S. Mills, The Causes of Metropolitan Suburbanization, Journal of Economic
Perspectives, vol. 7, n°3, Été 1993
7 K. Ihlanfeldt, Is the Labor Market Tighter Outside of the Ghetto?, Papers in Regional Science,
1997
8 M. Schneider, T. Phelann, Black Suburbanization in the 1980s, Demography, vol. 30,1993
9 C. Ghorra-Gobin, Les États-Unis entre local et mondial, Presses de Sciences-Po, 2000
10 J. F . Ka in , H o u s i n g S e g r e g a t i o n , N e g r o E m p l o y m e n t , a n d M e t r o p o l i t a n D e c e n t r a l i z a t i o n , T h e
Quarterly Journal of Economics, n° 82, 1968
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conséquences de manière disproportionnée, compte tenu de leur faible niveau moyen d’éducation et de formation11. Les
travaux de Karsada ont reçu une large publicité dans le fameux ouvrage du sociologue William J. Wilson sur les « vrais
défavorisés » de l’Amérique. Wilson tenait la disparition des emplois faiblement qualifiés pour l’une des explications
majeures de l’apparition d’une « underclass » (littéralement : sous-classe) dans les anciennes villes industrielles12.
Une autre recherche a relancé l’intérêt pour l’hypothèse du spatial mismatch, celle de David Ellwood qui, étudiant la mobilité
des jeunes Noirs de Chicago, concluait que le problème n’était pas celui des distances géographiques, mais de la
discrimination raciale13. Sa thèse a soulevé maintes controverses et incité les chercheurs à affiner leurs méthodes
d’investigation pour valider le plus souvent l’hypothèse fondatrice de Kain, tout en la nuançant. Il ressort en effet de ces
études que le spatial mismatch n’a pas la même intensité dans toutes les métropoles, qu’il varie selon le degré de
délocalisation des emplois, de concentration de la pauvreté ou d’insuffisance des transports collectifs14.
Des recherches se sont attaché à identifier les mécanismes spécifiques par lesquels opère le spatial mismatch. Deux ont été
plus particulièrement mis en évidence : les transports et l’accès à l’information. L’inadaptation des réseaux de transports
collectifs génère de longues heures de trajet et un surcoût pouvant s’avérer dissuasifs pour les personnes à la recherche
d’un emploi15. Les entreprises de banlieue sont souvent à bonne distance des points de desserte et les Noirs
économiquement désavantagés – et dans une moindre mesure les Latinos – sont moins souvent pourvus d’une voiture
individuelle que d’autres groupes16. Les mères de famille dépendantes de l’aide sociale (welfare mothers), obligées
d’effectuer de contraignants périples pour faire garder leurs enfants, sont particulièrement pénalisées17.
J. D. Kasarda, Entry-Level Jobs, Mobility, And Urban Minority Unemployment, Urban Affairs
Quarterly, n° 19, 1983
12 W ilso n , T h e T r u l y D i s a d v a n t a g e d , U n i v e r s i t y o f C h i c a g o P r e s s , 1 9 8 7
13 D . T . E l l w o o d , T h e S p a t i a l M i s m a t c h H y p o t h e s i s : A r e T h e r e T e e n a g e J o b s M i s s i n g I n T h e
Ghetto ?, in R. B. Freeman, H. J. Holzer (dir.), The Black Youth Employment Crisis, University of
Chicago Press, 1986
14 P o u r u n e m i s e e n p e r s p e c t i v e d e c e s d é b a t s , v o i r H . J . H o l z e r , T h e S p a t i a l M i s m a t c h
Hypothesis : What Has The Evidence Shown ?, Urban Studies, vol. 28, 1991 ; K. Ihlanfeldt, The
Spatial Mismatch Between Jobs And Residential Locations Within Urban Areas, Cityscape : A
J o u r n a l o f P o l i c y D e v e l o p m e n t A n d R e s e a r c h , V o l . 1 , n ° 1 , a o û t 1 9 9 4 ; P u g h , B a r r i e r s T o W o r k,
The Brookings Institution, 1998
15 H . J . H o l z e r e t a l . W o r k , S e a r c h A n d T r a v e l A m o n g W h i t e A n d B l a c k Y o u t h , J o u r n a l o f U r b a n
Economics, vol. 35, n° 3, mai 1994
16 S . R a p h a e l , M . S t o l l , C a n B o o st i n g M i n o r i t y C a r - O w n e r sh i p R a t e s N a r r o w I n t e r - r a cia l
Employment Gaps ?, Berkeley Program on Housing and Urban Policy, Working Paper Series n°
00-002, juin 2000
17 S . H a n s o n , G . P r a t t , G e n d e r , W o r k , A n d S p a c e , R o u t l e d g e , 1 9 9 5
11
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De nombreux travaux ont montré que l’information dont disposent les habitants des quartiers pauvres sur les opportunités de
recrutement dans les banlieues blanches est limitée18. Or, le rôle des contacts informels – et plus largement du « capital
social » - dans la recherche d’emploi sont connus depuis longtemps. Dans un article célèbre paru en 1973, et actualisé en
1995, Mark Granovetter soulignait la supériorité des « liens faibles » (ceux que l’on noue avec de simples connaissances)
sur les « liens forts » (ceux que l’on noue avec ses proches, amis ou parents) pour accéder à des sources d’emplois
diversifiés et de bonne qualité19. Quand peu d’adultes travaillent dans un quartier, le manque de contacts avec le marché du
travail contribue à « l’isolement social » (social isolation) des quartiers qu’a théorisé W. J. Wilson20.
1.2 LES BENEFICES DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE POUR LES QUARTIERS PAUVRES : DES OBSTACLES STRUCTURELS
Le boom économique de la fin des années 90 a été d’une intensité telle que l’hémorragie des emplois dont les villes-centres
avaient souffert depuis plusieurs décennies s’est ralentie et dans certains cas inversée21. Ce regain est allé de pair avec un
fort mouvement de « gentrification » de certains quartiers anciens des villes-centres. La présence de nouvelles couches
urbaines a généré une activité économique nouvelle. Dans ce climat euphorique, un professeur d’Harvard et consultant
économique très écouté, Michael Porter, a avancé, dans un long article, la thèse de « l’avantage compétitif des inner cities »,
à l’origine d’une intense controverse scientifique22. Selon l’auteur, du fait de leur localisation stratégique, les quartiers
pauvres des villes-centres bénéficient de multiples atouts encore insuffisamment exploités : la proximité de quartiers
d’affaires en plein développement, une demande locale assez largement insatisfaite par le marché de détail, des
interdépendances à développer avec les zones d’activités de la périphérie dont les inner-cities peuvent devenir fournisseurs
ou clients, enfin d’importantes ressources humaines et des compétences entrepreneuriales encore sous-utilisées.
Dans quelle mesure la croissance économique des villes-centres a-t-elle réduit l’impact du spatial mismatch et bénéficié aux
résidents des quartiers pauvres et notamment aux Noirs ? Le niveau de chômage des Noirs a atteint un niveau
historiquement bas durant la décennie 9023. En dépit d’une mobilité résidentielle accrue vers les banlieues, les
conséquences du spatial mismatch n’ont pourtant été que modestement atténuées24. Deux types d’obstacles structurels ont
limité la capacité des habitants des quartiers pauvres à tirer pleinement parti de la croissance, les uns liés aux lieux (les
caractéristiques des quartiers), les autres aux personnes (les caractéristiques des habitants). Ces obstacles sont
18 V o i r p a r e x e m p l e K . I h l a n f e l d t , I n f o r m a t i o n o n t h e S p a t i a l D i s t r i b u t i o n o f J o b O p p o r t u n i t i e s ,
Journal of Urban Economics, 1996
19 M . S . G r a n o v e t t e r , G e t t i n g a J o b : a S t u d y o f C o n t a c t s a n d C a r e e r s , U n i v e r s i t y o f C h i c a g o
Press, 1974 (seconde édition 1995)
20 W . J . W i l s o n , o p . c i t .
21 U . S . D e p a r t m e n t o f H o u s i n g a n d U r b a n D e v e l o p m e n t , T h e S t a t e o f t h e C i t i e s, 2 0 0 0
22 M . E . P o r t e r , T h e C o m p e t i t i v e A d v a n t a g e o f t h e I n n e r C i t y , H a r v a r d B u s i n e s s R e v i e w , m a i
1995. La controverse a notamment porté sur la critique que Porter adresse à l’intervention
publique, génératrice à ses yeux d’une encombrante bureaucratie nuisible au redéveloppement
é c o n o m i q u e d e s i n n e r - c i t i e s, o u s u r s a s o u s - e s t i m a t i o n d e l a p e r t i n e n c e d u d é v e l o p p e m e n t
économique communautaire comme stratégie de revitalisation de ces quartiers pauvres.
23 E n 1 9 9 9 , l e t a u x d e c h ô m a g e é t a i t d e 4 , 2 % p o u r l ’ e n s e m b l e d e l a p a r t i c i p a t i o n a c t i v e e t d e 8 %
pour les Noirs. Outre que le différentiel demeurait important, ce résultat pouvait être nuancé en
tant compte du fait que les statistiques américaines du chômage ne recensent que les personnes
recherchant activement un emploi, à l’exclusion de celles qui sont découragées et des personnes
incarcérées (plus d’un million parmi les Noirs). La qualité des emplois créés durant le boom des
années 90 a également alimenté une polémique sur l’émergence des « travailleurs pauvres »
(working poor).
24 S . R a p h a e l , M . A . S t o l l , M o d e s t P r o g r e s s : t h e N a r r o w i n g S p a t i a l M i s m a t c h b e t w e e n B l a c k s a n d
J o b s i n t h e 1 9 9 0 s, T h e B r o o k i n g s I n s t i t u t i o n , 2 0 0 2
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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évidemment devenus plus contraignants dans la période de ralentissement économique que traversent les États-Unis depuis
l’alternance de 2000 et les attentats de 2001.
En dépit de l’optimisme de M. Porter, les quartiers où se concentre la pauvreté souffrent de handicaps persistants dans un
contexte de mobilité accrue du capital : une fiscalité élevée, l’état des infrastructures, la pollution de certains sites
anciennement industrialisés, le coût des assurances, le niveau de l’insécurité, la rareté des travailleurs qualifiés, la
perception par les investisseurs commerciaux d’une demande solvable trop faible, etc. Ces éléments n’incitent guère les
entreprises à créer des emplois de proximité qui pourraient bénéficier éventuellement aux habitants des inner cities.
L’initiative émanant des entrepreneurs locaux compense difficilement le manque d’investissements extérieurs. Si elles
peuvent contribuer dans une mesure limitée à résoudre les problèmes d’emploi des habitants, les entreprises locales sont
confrontées à un obstacle récurrent : l’accès au capital. Parce que les quartiers pauvres sont majoritairement composés de
personnes issues des minorités ethno-raciales, les initiatives économiques locales sont pour beaucoup le fait de personnes
issues de ces groupes25. Or, ces minority-owned businesses essuient des niveaux de refus de prêts bancaires très
supérieurs aux mêmes entreprises lorsqu’elles sont possédées par des Blancs, même en contrôlant une série de variables
liées aux caractéristiques des firmes26. La localisation géographique des entreprises joue également. Différentes études
montrent que les petites entreprises localisées dans des quartiers à majorité noire enregistrent des refus plus importants que
les entreprises localisées dans n’importe quel autre type de territoire27. La question de savoir si ce phénomène est imputable
à des discriminations directes ou aux effets indirects des règles de fonctionnement des banques est ouverte. Reste que les
entrepreneurs locaux pâtissent d’un manque de connexion avec les prêteurs et investisseurs potentiels. La tendance à la
concentration du secteur bancaire se traduit aussi par la fermeture d’agences locales qui pourraient assurer une relation de
proximité avec les petites entreprises28.
25 T . Ba t e s, B a n k i n g o n B l a c k E n t e r p r i s e : t h e P o t e n t i a l o f E m e r g i n g F i r m s f o r R e v i t a l i z i n g U r b a n
E c o n o m i e s, J o i n t C e n t e r f o r P o l i t i c a l a n d E c o n o m i c S t u d i e s , 1 9 9 3
26 K . C a v a l l u z o e t a l . , C o m p e t i t i o n , S m a l l B u s i n e s s F i n a n c i n g , a n d D i s c r i m i n a t i o n : E v i d e n c e f r o m
a N e w S u r v e y, F e d e r a l R e s e r v e B o a r d o f G o v e r n o r s , 1 9 9 9
27 V o i r p a r e x e m p l e D . I m m e r g l u c k , E . M u l l e n , T h e I n t r a m e t r o p o l i t a n D i s t r i b u t i o n o f E c o n o m i c
Development Financing : an Analysis of SBA 504 Lending Patterns, Economic Development
Quarterly, n° 12, 1998 ; Business Access to Capital and Credit, Federal Reserve System
Research Conference Proceeding, 8-9 mars 1999
28 D . I m m e r g l u c k , G . S m i t h , B i g C h a n g e s i n S m a l l B u s i n e s s L e n d i n g : I m p l i c a t i o n s f o r F i r m s i n
Low- and Moderate-Income Neighborhoods, Journal of Developmental Entrepreneurship, 2003
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 11 -
Des obstacles d’une autre nature freinent la capacité des habitants des quartiers pauvres à tirer parti des opportunités
locales d’emplois, non seulement dans les quartiers d’affaires (central business districts), mais aussi dans leur
environnement résidentiel plus immédiat. L’expression « skills mismatch » (littéralement : discordance des qualifications) a
été proposée pour rendre du décalage entre le niveau moyen de compétences requis par les emplois des villes-centres et le
niveau moyen de formation de leurs habitants29. De manière générale, l’emploi dans les villes-centres tend à se concentrer
dans des activités tertiaires nécessitant des qualifications de plus en plus élevées. La délocalisation de l’emploi vers les
périphéries est beaucoup moins vraie s’agissant des secteurs à forte valeur ajoutée30. Le développement d’emplois de
proximité dans les quartiers n’aura pas d’effets substantiels sur le taux d’activité des habitants si ces emplois exigent des
qualifications trop élevées31. Le problème n’est pas réductible aux niveaux de diplômes, mais concerne toutes les
compétences valorisées par l’économie tertiaire, mais aussi secondaire (usage des nouvelles technologies, communication
verbale, capacité à travailler en équipe, à nouer une relation avec la clientèle…). Les Américains parlent de compétences
« molles » (soft skills) pour décrire la capacité d’adaptation de l’individu à son environnement de travail, en sus des
compétences « dures » (hard skills) validées par les titres scolaires.
Ces transformations qui concernent l’ensemble des travailleurs, affectent de manière disproportionnée les quartiers
défavorisés. Dans son ouvrage consacré à « la disparition du travail » dans ces quartiers, W. J. Wilson a insisté sur la
coupure entre les habitants et la « nouvelle culture du travail »32. Dans la tradition des interprétations américaines de la
marginalité urbaine en termes de « culture de la pauvreté », la concentration de pauvres sur un territoire réduit l’incitation à
travailler. La simple analyse rationnelle par les jeunes dépourvus de titres scolaires des opportunités d’emploi et de salaires
sur le marché du travail local ne peut que renforcer l’attrait pour les activités illégales33. Dans ce contexte, des enquêtes
portant sur les stratégies de recrutement des employeurs locaux ont mis en évidence les stéréotypes négatifs associés aux
résidents des quartiers, et notamment aux jeunes noirs, y compris chez les employeurs noirs34.
29 M . A . S t o l l , G e o g r a p h i c S k i l l s M i s m a t c h , J o b S e a r c h , a n d R a c e , I n s t i t u t e f o r R e s e a r c h o n
Poverty, Discussion paper n° 1288-04, septembre 2004
30 E . G l a e s e r , M . K a h n , D e c e n t r a l i z e d E m p l o y m e n t a n d t h e T r a n s f o r m a t i o n o f t h e A m e r i c a n C i t y ,
Brookings-Wharton Papers on Urban Affairs, n° 2, 2001
31 D . I m m e r g l u c k , N e i g h b o r h o o d J o b s , R a c e a n d S k i l l s : U r b a n U n e m p l o y m e n t a n d C o m m u n i t i e s ,
Garland Press, 1998
32 W . J. W ilso n , W h e n W o r k D i s a p p e a r s . T h e W o r l d o f t h e N e w U r b a n P o o r , A l f r e d A . K n o p f , 1 9 9 7
33 R . F r e e m a n , C r i m e a n d t h e E m p l o y m e n t o f D i s a d v a n t a g e d Y o u t h , I n G . P e t e r s o n , W . V r o m a n
(dir.), Urban Labor Markets and Job Opportunities, Urban Institute Press, 1992
34 K . M . N e c k e r m a n , J . K i r s h e n m a n , H i r i n g S t r a t e g i e s , R a c i a l B i a s , a n d I n n e r - C i t y W o r k e r s , S o c i a l
problems, n° 38, 1991
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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2. L’EVOLUTION DES POLITIQUES PUBLIQUES
Pour traiter ces enjeux, les politiques publiques engagées depuis plusieurs décennies ont suivi trois grandes orientations
relativement peu coordonnées entre elles : le développement économique, l’accès à l’emploi et la formation, et le
développement économique communautaire (community economic development). A travers son volet économique, le
développement communautaire s’efforce de compenser les insuffisances des deux premières orientations qui ont tendance
à négliger les besoins spécifiques des quartiers pauvres et de leurs habitants. Si le développement économique
communautaire n’est pas lui-même exempt de faiblesses, il se singularise par un objectif explicite : s’assurer des retombées
sociales du développement économique.
2.1 LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE
LE PARI DES RETOMBEES DU DEVELOPPEMENT LOCAL
Les stratégies de développement économique local sont de la responsabilité première des États, des agences municipales
et de partenariats public-privé. Leurs projets ont tendance à cibler des quartiers dont le potentiel est reconnu et à négliger
les autres. Depuis les années 80, les stratégies de développement local sont marquées par un engouement pour les clusters
(popularisés par Michael Porter), c'est-à-dire les regroupements d’activités et la spécialisation sectorielle de certains
espaces, dont l’archétype est la Silicon Valley. Les stratégies de développement consistent à améliorer l’ensemble des
facteurs de l’environnement local pouvant contribuer au succès des entreprises regroupées dans ces « grappes ».
Qu’elles visent l’attraction, l’expansion, la rétention ou la création d’activités, ces stratégies accordent généralement peu
d’attention à ceux qui occupent les emplois, ni à la qualité de ces emplois. Les premiers destinataires de ces politiques sont
les entreprises. Non seulement les populations défavorisées des villes figurent rarement sur leur agenda, mais elles sont
parfois perçues comme une source d’embarras pour la poursuite de leurs objectifs35.
Le développement économique local repose dans bien de cas sur ce postulat implicite : la santé économique du secteur
privé génère une richesse qui finit par bénéficier à l’ensemble de la société locale grâce à un « effet de ruissellement »
(trickle-down effect). Or, la pratique montre que ni la quantité, ni la nature des emplois induits par le développement local ne
sont susceptibles de répondre aux besoins des quartiers défavorisés.
35 P . A . F u r d e l l , P o v e r t y a n d E c o n o m i c D e v e l o p m e n t : V i e w s f r o m C i t y H a l l , N a t i o n a l L e a g u e o f
Cities, juillet 1994
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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UNE STRATEGIE VISANT PLUS SPECIFIQUEMENT LES QUARTIERS DESHERITES : LES ZONES D’ENTREPRISES
Les collectivités locales disposent d’une panoplie de mesures – incitations fiscales, garanties d’emprunts, subventions aux
entreprises, améliorations des infrastructures… - dont la finalité peut concerner plus directement la revitalisation économique
des quartiers pauvres et l’emploi de leurs habitants. Parmi ces mesures, les Zones d'entreprises (Enterprise zones) sont
celles qui ont remporté le plus de succès auprès des décideurs locaux. Cette formule de zones franches a été inventée en
Grande-Bretagne à la fin des années 70, et rapidement popularisée aux USA par Stuart Butler, économiste britannique
devenu vice-président de la Fondation Heritage, prestigieux think tank conservateur américain.
Le concept de Zone d'entreprises repose sur une recette simple : alléger sur un territoire donné aussi bien le poids des
charges fiscales et administratives que les contraintes bureaucratiques pesant sur les entreprises. De 1980 à 1992, les
administrations Reagan et Bush ont essayé d’en faire adopter le principe, mais la majorité du Congrès s’y est régulièrement
opposée en dépit du soutien de certains démocrates. En revanche, près d'une quarantaine d'États vont appliquer la formule.
L’administration fédérale finira par l’adopter à son tour sous la présidence de Bill Clinton. Mais les Empowerment zones et
Enterprise communities qui seront créées dans les années 90 auront une ambition plus globale que les Enterprise zones, du
moins jusqu’à l’élection de George W. Bush (cf. infra).
Les critères de délimitation les plus fréquents des Zones d'entreprises sont le taux de pauvreté et de chômage d'une aire
géographique. Comme la plupart des programmes réservés à certaines zones, leur géographie s’est étendue avec le temps.
Des États comme l’Illinois, l’Ohio ou le Texas ont désigné des centaines de zones, la Louisiane des milliers et l’Arkansas a
retenu les limites de l’État ! Ces exemples montrent qu’il est difficile de résister aux pressions locales. Ils soulignent aussi
une dérive des Zones d'entreprises qui, d’instrument de lutte contre la pauvreté, sont parfois devenues de simples outils de
développement économique local, englobant jusque des quartiers riches36.
Outre leur diversité géographique, les Zones d'entreprises mobilisent une grande diversité d’aides aux entreprises,
comprenant parfois la prise en charge des frais d'assurances ou des services de gardes d’enfants en sus des avantages
fiscaux consentis pour l'investissement et/ou l'embauche. Un des aspects centraux du concept de Zone d'entreprises, la
déréglementation, est en revanche souvent absent des dispositifs locaux37.
36 S u r c e t t e q u e s t i o n , v o i r R . T . G r e e n b a u m , S i t i n g i t R i g h t : D o S t a t e s T a r g e t E c o n o m i c D i s t r e s s
when Designating Enterprise Zones ?, Economic Development Quarterly, vol. 18, n° 1, février
2004
37 S u r t o u s c e s p o i n t s , v o i r P . D e s r o c h e r s , L e s z o n e s d ’ e n t r e p r i s e s , R e v u e C a n a d i e n n e d e s
Sciences Régionales, vol. XXI, n° 3, automne 1998
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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DES EFFETS PARFOIS PERVERS ET SOUVENT MODESTES
Certaines critiques portent sur le principe même des Zones d'entreprises, considérant que celles-ci ne font que redistribuer
l’activité économique au lieu de la créer. Soit un jeu à somme nulle où les gains de certaines zones s’accompagnent de
pertes dans d’autres zones38 ; l’effet est plus pervers encore si les aires ciblées sont entourées d’autres aires également
pauvres mais non ciblées39.
De multiples évaluations ont cherché à évaluer l’impact concret des Zones d'entreprises. Elles butent sur des écueils
méthodologiques, dont le plus important est la difficulté d’isoler l’effet propre du dispositif parmi différents facteurs
(croissance de l’économie régionale ou nationale, impact d’autres politiques publiques…) susceptibles de peser sur l’activité
locale. Un biais supplémentaire est introduit dans l’analyse quand une zone a été choisie en fonction de son potentiel de
croissance plutôt qu’en fonction de ses difficultés40.
Des évaluations récentes ont eu recours à des méthodes plus sophistiquées pour évaluer l’impact des Zones d'entreprises.
Leurs conclusions sont très mitigées même quand leurs auteurs sont a priori favorables au principe. C’est le cas de A.
Peters et P. Fisher qui ont souligné le caractère dispendieux, pour des effets globalement très réduits, des 75 Zones
d'entreprises qu’ils ont étudiées dans 13 États41.
La plupart des évaluations souligne le peu d’impact de l’instrument fiscal. Il est vrai que le poids de l’impôt prélevé par les
collectivités locales est marginal dans les charges des entreprises. Surtout, les choix de localisation des entreprises font
intervenir de multiples critères, parmi lesquels le niveau de la fiscalité n’est pas le plus décisif comparé, par exemple, à
l’analyse du marché local, à l’appréciation de la sécurité ou de la qualité de la main d'oeuvre42. Hommes politiques et médias
donnent souvent beaucoup de publicité aux allègements fiscaux, alors qu’ils ne forment qu’une petite partie du « deal » avec
les entreprises. La fiscalité ne fait pencher la balance que si plusieurs localités offrent par ailleurs des avantages
comparables43. Afin d’éviter la surenchère, certaines collectivités se sont d’ailleurs entendu pour limiter le poids des
incitations fiscales dans les stratégies d’attraction des entreprises44.
La question la plus discutée dans les évaluations des Zones d'entreprises porte sur le nombre et la destination des emplois
qu’elles génèrent. Le surplus d’emplois créé est très variable d’une zone à l’autre, mais il est globalement jugé modeste. Et
la part de ces emplois occupée par la main d'oeuvre locale peut varier de 2 à 90% ! Il est vrai que la plupart des programmes
ne prévoient pas d’incitations directes pour le recrutement d’habitants. Quand ils le font, ces incitations sont trop modestes
38 S . E . C l a r k e , E n t e r p r i s e Z o n e s : S e e k i n g t h e N e i g h b o r h o o d N e x u s , U r b a n A f f a i r s Q u a r t e r l y , v o l .
18, n° 1, 1982
39 S . A . L e v i t a n , E . M i l l e r , E n t e r p r i s e Z o n e s A r e N o S o l u t i o n F o r O u r B l i g h t e d A r e a s, C h a l l e n g e ,
vol. 35, n° 3, 1992
40 J . H . S p e n c e r , P . O n g , A n A n a l y s i s o f t h e L o s A n g e l e s R e v i t a l i z a t i o n Z o n e : A r e P l a c e - B a s e d
Investment Strategies Effective Under Moderate Economic Conditions ?, Economic Development
Quarterly, vol. 18, n° 4, novembre 2004
41 A . P e t e r s , P . F i s h e r , S t a t e E n t e r p r i s e Z o n e P r o g r a m s : H a v e T h e y W o r k e d ? , U p j o h n I n s t i t u t e
for Employment Research, 2002
42 J . P i t t s , T w i l i g h t Z o n e , T h e N e w R e p u b l i c , 7 e t 1 4 s e p t e m b r e 1 9 9 2
43 N . C o h e n , B u s i n e s s L o c a t i o n D e c i s i o n - M a k i n g a n d t h e C i t i e s : B r i n g i n g C o m p a n i e s B a c k ,
W o r k i n g p a p e r p r e p a r e d f o r T h e B r o o ki n g s I n s t i t u t i o n , a v r i l 2 0 0 0
44 T . W i l l i a m s o n e t a l . , M a k i n g a P l a c e f o r C o m m u n i t y . L o c a l D e m o c r a c y i n a G l o b a l E r a ,
Routledge, 2002
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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pour avoir un effet tangible45. En outre, les Zones d'entreprises ne prévoient souvent aucun dispositif de formation ou
d’accompagnement social pour aider les habitants à saisir les nouvelles opportunités d’emplois. Ici aussi, le pari est celui
d’un « effet de ruissellement » d’une politique destinée avant tout aux entreprises.
Certaines municipalités ont aujourd'hui tendance à demander des contreparties aux entreprises recevant des aides
publiques. Dans certains cas, les développeurs privés devront acquitter une taxe municipale servant à financer des
programmes d’emplois ou de formation destinés aux habitants défavorisés46. Dans d’autres cas, des accords sont passés
avec les entreprises dans le cadre de « linkage programs », pour que les avantages octroyés s’accompagnent d’une priorité
à l’embauche locale, notamment celles de personnes défavorisées, ou du moins d’une attention prioritaire aux candidats
proposés par des organisations en charge de ces publics (c’est la pratique du « first source agreement »)47.
2.2 LES POLITIQUES PUBLIQUES D’EMPLOI ET DE FORMATION
DES OUTILS VISANT EXPLICITEMENT LES PERSONNES EN SITUATION DE PAUVRETE
Les interventions publiques sur le marché du travail (appelées « workforce development ») ressortent de deux grandes
catégories : celles qui cherchent à influencer directement le comportement des personnes en augmentant leurs
compétences ou leurs revenus (labor supply policies) et celles qui visent à modifier le comportement des employeurs par
des incitations à l’embauche (labor demand policies). Les politiques américaines sont fortement centrées sur les
demandeurs d’emploi, même si la part du PIB consacré à ces supply policies demeure très faible (0,11% contre 0,4% en
France) ; elle est dérisoire en ce qui concerne les demand policies (0,01% contre 0,81 en France)48. Initiés par l’État fédéral
ou les États fédérés, les programmes publics d’emploi et de formation ont donc une dimension très réduite en regard des
besoins. Même le programme phare des années 70, le Comprehensive Employment and Training Act (CETA), plus
richement doté que les programmes actuels, n’était pas de grande échelle.
Depuis le CETA, les politiques publiques d’emploi et de formation ont pour objectif explicite de lutter contre la pauvreté. Leur
cible première sont les « economically disadvantaged », c'est-à-dire les personnes dont le niveau de ressources est inférieur
au seuil de pauvreté et qui cumulent des handicaps, qu’ils soient travailleurs ou non. Le CETA, qui faisait une large place
aux créations d’emplois publics comme solution à la pauvreté, fut remplacé en 1982 par le Job Training Partnership Act
(JTPA) qui a explicitement interdit le recours à ce type d’emplois (certains États ont néanmoins persévéré dans cette voie),
tout en restant focalisé sur les personnes en situation de pauvreté, tout comme la plupart des autres programmes fédéraux.
En 1994, pas moins 154 programmes fédéraux d’emploi et de formation destinés aux economically disadvantaged étaient
recensés, gérés par 14 agences différentes49.
45 M . W i l d e r , B . R u b i n , R h e t o r i c V e r s u s R e a l i t y : a R e v i e w o f S t u d i e s i n S t a t e E n t e r p r i s e Z o n e
P r o g r a m s, J o u r n a l o f t h e A m e r i c a n p l a n n i n g a s s o c i a t i o n , v o l . 6 2 , n ° 4 , 1 9 9 6
46 N . O s a d a , A N e i g h b o r h o o d E c o n o m i c D e v e l o p m e n t H a n d b o o k f o r a l l N e i g h b o r h o o d M e m b e r s ,
Neighborhood Planning for Community Revitalization, 1997
47 A . M a l l a c h , E . B r o w n , L i n k a g e : C o n n e c t i n g E c o n o m i c G r o w t h w i t h R e a l O p p o r t u n i t y f o r L o w I n c o m e U r b a n R e s i d e n t s, N J I S J , 2 0 0 2
48 T . Ba r t ik, S o l v i n g t h e M a n y P r o b l e m s w i t h I n n e r C i t y J o b s , U p j o h n I n s t i t u t e f o r E m p l o y m e n t
Research, octobre 2000
49 C . Pe r e z, E v a l u e r l e s p r o g r a m m e s d ' e m p l o i e t d e f o r m a t i o n : l ' e x p é r i e n c e a m é r i c a i n e , C e n t r e
d'Études de l'Emploi, 2001
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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DES EVALUATIONS GLOBALEMENT NEGATIVES
La littérature présente un tableau plutôt sombre, au milieu des années 90, de l’efficacité de ces politiques d’emploi et de
formation. Les évaluations du Job Training Partnership Act concluaient à l’échec de la plupart des programmes engagés
dans ce cadre50. Les gains financiers des participants s’avéraient modestes et peu durables, renvoyant au problème plus
général des « travailleurs pauvres », ces personnes qui ont un emploi trop peu rémunérateur pour assurer l’auto-suffisance
de leur ménage. A court terme, cette difficulté peut être en partie compensée par un crédit d’impôt (Earned Income Tax
Credit) réservé aux travailleurs à bas revenus, dont le montant a été fortement revalorisé sous l’administration Clinton, et
grâce à d’autres subventions (gardes des enfants, frais de transport…). Mais ces aides sont insuffisantes à long terme pour
ceux qui se trouvent piégés dans des emplois sans avenir51.
Les programmes publics d’emploi et de formation tendent en effet à placer leurs clients dans des emplois offrant de maigres
chances d’acquérir à la fois une formation validée et une expérience en situation de travail qui pourraient les aider à
progresser dans une carrière. Contraints par des objectifs de résultats rigoureux fixés par les autorités fédérales, les États
chargés de superviser ces programmes et les opérateurs chargés de leur mise en œuvre s’efforcent de minimiser les coûts
de formation des individus, sans assurer leur suivi à long terme, une fois l’emploi décroché. L’effet pervers est classique,
celui de « l’écrémage » (creaming) qui incite à réserver les meilleures prestations aux personnes les plus proches de l’emploi
plutôt qu’aux publics à problèmes. Pour contrer cette tendance, le pouvoir fédéral a régulièrement renforcé les critères
d’éligibilité en créant de nouveaux programmes catégoriels destinés aux plus vulnérables, mais sans accroître
corrélativement les moyens généraux dévolus au système de workforce development (sauf à la fin des années 90)52.
En se concentrant sur les handicaps personnels des pauvres plutôt que sur le comportement des entreprises, les
programmes fédéraux sont rarement parvenus à concevoir avec les entreprises des formations adaptées à la fois aux
besoins des entreprises et des personnes économiquement désavantagées. Ces dernières sont peu motivées par les
maigres opportunités qu’offrent ces programmes. Les employeurs ont tendance à s’en détourner. Ils sont représentés dans
les instances locales de pilotage, mais s’impliquent beaucoup plus rarement dans l’élaboration des programmes53.
LES REFORMES RECENTES
Ces constats négatifs n’ont pu que renforcer les volontés réformatrices. C’est ainsi qu’en 1998 le Congrès a remplacé le Job
Training Partnership Act par le Workforce investment Act (WIA) qui redéfinit en profondeur le cadre d’intervention du service
public local de l’emploi et de la formation, tout en veillant à une meilleure implication des entreprises et en renforçant les
budgets fédéraux.
Localement, le système de workforce development est d’une redoutable complexité, mobilisant des dizaines d’institutions, de
programmes et de sources de financement peu coordonnés entre eux. Le Workforce Investment Act exige désormais des
collectivités locales qu’elles intègrent cet ensemble disparate dans un système de guichets uniques, les « One-Stop
50 L . O r r e t a l . , D o e s T r a i n i n g f o r t h e D i s a d v a n t a g e d W o r k ? E v i d e n c e f r o m t h e N a t i o n a l J T P A
S t u d y, U r b a n I n s t i t u t e P r e s s , 1 9 9 5
51 R . P . G i l o t h , L e a r n i n g f r o m t h e F i e l d : E c o n o m i c G r o w t h a n d W o r k f o r c e D e v e l o p m e n t i n t h e
1 9 9 0 s, E c o n o m i c D e v e l o p m e n t Q u a r t e r l y , v o l . 1 4 , n ° 4 , n o v e m b r e 2 0 0 0
52 P o u r u n e p r é s e n t a t i o n d e c e t t e p r o b l é m a t i q u e , v o i r C . P e r e z , o p . c i t .
53 R . P . G i l o t h ( d i r . ) , W o r k f o r c e I n t e r m e d i a r i e s f o r t h e T w e n t y - F i r s t C e n t u r y , T e m p l e U n i v e r s i t y
Press, 2003
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 17 -
Centers », pilotés chacun par un « Workforce Investment Board » intégrant l’ensemble des acteurs locaux. Les One-Stop
Centers doivent permettre aux demandeurs d’emploi, aux travailleurs et aux entreprises d’accéder à l’ensemble des
informations et programmes à partir d’une localisation unique.
Outre « l’accès universel » (universal access), le nouveau système repose sur quelques principes cardinaux comme la
liberté de choix des clients auxquels sont remis des bons (vouchers) faisant jouer la concurrence entre opérateurs, et
l’obligation de rendre compte des résultats obtenus (outcomes accountability), traduisant non tant l’activité du système que
l’amélioration effective de la situation des clients (personnes en recherche d’emploi et entreprises). Autre rupture majeure :
contrairement au Job Training Partnership Act, le nouveau système ne fait plus référence aux personnes désavantagées
(economically disadvantaged), s’agissant du moins des programmes destinés aux adultes.
Les premières évaluations du WIA montrent l’intérêt des One-Stop Centers en comparaison de l’ancien système
fragmenté54. Cependant, la mesure des performances en termes d’accès à l’emploi, conjuguée à l’abandon de toute
référence aux adultes en situation de pauvreté, peut conduire à négliger les plus éloignés de l’emploi (the hardest-toemploy). Ne se focalisant plus sur la formation comme préalable indispensable à l’emploi, le nouveau système prévoit des
prestations à plusieurs étages, depuis le simple bilan de compétences jusqu’à la formation intensive. Compte tenu des
exigences de résultats en termes de placement, les personnes rencontrant le maximum de difficulté risquent de ne pas
bénéficier de la gamme complète des prestations au sein des One-Stop Centers.
54 U n i t e d S t a t e s G e n e r a l A c c o u n t i n g O f f i c e , W o r k f o r c e I n v e s t m e n t A c t : O n e - S t o p C e n t e r s
Implemented Strategies to Strengthen Services and Partnerships, but More Research and
Information Sharing is Needed, juin 2003
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 18 -
En pratique, beaucoup d’États concentrent leurs crédits sur les programmes de welfare-to-work, que ce soit dans le cadre du
WIA ou en dehors de celui-ci55. La réforme de l’aide sociale, adoptée en 1996, a fortement augmenté les budgets destinés à
remettre au travail les bénéficiaires de l’aide sociale, tout en accordant aux États une grande latitude pour concevoir leurs
stratégies56. Mais comme la plupart des bénéficiaires de l’aide sociale sont des mères de famille, souvent noires, d’autres
catégories de personnes en difficulté (les hommes ou les femmes sans enfants mineurs) risquent d’être laissés-pour-compte
de la concentration des crédits sur le welfare-to-work. Ou alors ils risquent d’être aiguillés vers des programmes du même
type, obéissant à la logique du « work first » qui consiste à choisir le chemin le plus rapide pour accéder à l’emploi, avec une
préparation minimale et sans formation de nature à leur garantir, à terme, un salaire décent57. L’approche work first, qui a
motivé les réformes du welfare depuis les années 80, augmente certes les gains des bénéficiaires à court terme, mais les
experts estiment que 1 000 heures de formation sont nécessaires pour espérer une promotion future, c'est-à-dire passer du
revenu minimum à un salaire de 15 dollars de l’heure58.
2.3 LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE
UNE ORIENTATION SOCIALE
Les deux orientations précédentes sont largement décevantes quant à leur capacité à répondre aux besoins spécifiques des
quartiers défavorisés et de leurs habitants. Centré sur la valorisation des lieux, le développement économique relève d’une
logique territoriale dite « place-based », tandis que les programmes d’emploi et de formation, qui visent la mobilité des
individus, sont « people-based ». Ces deux options présentent une faiblesse symétrique : les stratégies place-based de type
Enterprise zones ont tendance à négliger les habitants, tandis que les stratégies people-based ont tendance à traiter les
individus sans tenir compte du territoire où ils résident et de son rôle dans les difficultés qu’ils rencontrent.
Dans sa version contemporaine, le développement communautaire (community development) s’efforce de réconcilier ces
deux options par une approche dite « people-place-based »59. Il s’agit d’une action spatialement ciblée sur les quartiers
défavorisés, mais dont la finalité est la promotion socio-économique de leurs habitants. Le volet économique du
développement communautaire cherche plus spécifiquement à revitaliser le tissu économique des quartiers en donnant aux
habitants une forme de contrôle sur son type de développement, tout en leur permettant de tirer le meilleur parti des
opportunités d’emplois qui s’y créent et en facilitant leur accès aux emplois métropolitains.
Du fait de sa finalité explicitement sociale, le développement économique communautaire (community economic
development) se distingue du développement économique classique. Mais il n’est pas une politique sociale au sens strict
puisqu’il cherche également à orienter la production des richesses sur un territoire donné. Dans les deux cas, le community
55 U . S . G e n e r a l A c c o u n t i n g O f f i c e , W o r k f o r c e I n v e s t m e n t A c t : C o o r d i n a t i o n o f T A N F S e r v i c e s
Through One-stops has Increased Despite Challenges, mai 2002
56 C e t t e r é f o r m e a r e m p l a c é l ’ a l l o c a t i o n a p p e l é e A i d t o F a m i l i e s w i t h D e p e n d e n t C h i l d r e n ( A F D C )
par le Temporary Assistance for Needy Families (TANF) dont la durée est désormais limitée à 60
mois cumulables à l’échelle d’une vie entière.
57 U . S . G e n e r a l A c c o u n t i n g O f f i c e , W o r k f o r c e I n v e s t m e n t A c t : B e t t e r G u i d a n c e N e e d e d t o
Address Concerns Over New Requirements, octobre 2001
58 A . P . C a r n e v a l e , K . R e i c h , A P i e c e o f t h e P u z z l e : H o w S t a t e s C a n U s e E d u c a t i o n t o M a k e W o r k
P a y f o r W e l f a r e R e c i p i e n t s, E d u c a t i o n a l T e s t i n g S e r v i c e , 2 0 0 0
59 P o u r u n e m i s e e n p e r s p e c t i v e h i s t o r i q u e d e c e t t e q u e s t i o n e t d a n s u n e p e r s p e c t i v e c o m p a r a t i v e
avec la France, cf. l’ouvrage de J. Donzelot et al., Faire société. La politique de la ville aux
États-Unis et en France, Seuil, 2003
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 19 -
economic development se présente comme une démarche de valorisation concomitante des ressources des individus et des
territoires où ils résident.
La notion de « communauté », très (mal) connotée en France, doit être précisée. Dans le langage américain, la community
désigne tout groupement d’individus. Dans certains cas, le fondement de la communauté peut être le partage d’une même
origine ethnique ou raciale ou d’une même culture. Mais ce n’est pas en ce sens que l’entend le développement
communautaire qui fait référence à la communauté au sens d’un groupement d’individus résidant dans les limites d’un
quartier. En ce sens, une communauté peut dépasser l’échelle géographique du quartier pour englober une ville ou une
agglomération. Les Américains parlent dans ce cas de « community at large ».
LE VOLET ECONOMIQUE DU DEVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE : UNE BREVE MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE
Le développement économique communautaire est apparu dans les années 60, à la fois comme un produit institutionnel de
la Guerre à la pauvreté (War on Poverty) engagée par l’administration Johnson et comme le fruit des initiatives du
mouvement d’émancipation des Noirs. Non sans malentendu puisque l’administration fédérale voyait dans le développement
communautaire un vecteur d’intégration des Noirs à la société, alors qu’il s’agissait pour une partie des activistes noirs de
renouer avec l’aspiration ancienne au « développement séparé », fondée sur la conviction que l’intégration à la société
blanche était illusoire60.
Cette période a légué un outil qui connaîtra un remarquable essor : les Corporations de développement communautaire
(Community Development Corporations ou CDCs). Les premiers projets économiques des CDCs - management
d’établissements commerciaux, petites activités industrielles, rachat d’entreprises périclitant… - se sont avérés fragiles et
beaucoup n’ont pas vécu longtemps. En parallèle, ces CDC de la première génération ont souvent engagé des activités de
formation et de placement des habitants, notamment dans les emplois générés par leurs propres activités économiques.
Dans les années 80, beaucoup de CDCs ont fini par renoncer à cette stratégie, faute de soutien des acteurs publics et privés
engagés dans ce champ, pour se concentrer sur la production, la réhabilitation et la gestion de logements bon marché,
domaine où leurs performances ont été unanimement reconnues61. Elles étaient d’ailleurs encouragées en cela par les
financements relativement abondants, octroyés les fondations privées et les collectivités locales pour compenser le
désengagement du gouvernement fédéral sous les administrations Reagan et Bush. Un système de financement national
des CDCs, très axé sur le logement, a émergé durant cette période à l’initiative de fondations. Ce système repose des
« intermédiaires nationaux » (national intermediaries), créés par les fondations Ford et Enterprise et stimulés par des
avantages fiscaux consentis par l’administration fédérale pour l’investissement dans le logement bon marché.
Au cours des années 90, les Community Development Corporations vont connaître un spectaculaire essor. En 1999, le
National Congress for Community Economic Development (NCCED) qui les fédère au plan national, recensait 3 600 CDCs,
soit 1 400 de plus qu’en 199562. Leur domaine de prédilection demeure le logement, mais elles ont diversifié leurs activités :
outre la fourniture de services sociaux et éducatifs, elles ont réinvesti le champ économique63. Le logement apparaît en effet
60 R . H a l p e r n , R e b u i l d i n g t h e I n n e r C i t y . A H i s t o r y o f N e i g h b o r h o o d I n i t i a t i v e s t o A d d r e s s P o v e r t y
i n t h e U n i t e d S t a t e s, C o l u m b i a P r e s s U n i v e r s i t y , 1 9 9 5
61 A v i s C . V i d a l , R e b u i l d i n g C o m m u n i t i e s : A N a t i o n a l S t u d y o f U r b a n C o m m u n i t y D e v e l o p m e n t
C o r p o r a t i o n s, N e w S c h o o l f o r S o c i a l R e s e a r c h , 1 9 9 2
62 L e q u a r t d ’ e n t r e e l l e s i n t e r v i e n n e n t e n m i l i e u r u r a l .
63 N . J . G l i c k m a n , L . J . S e r v o n , M o r e t h a n B r i c k s a n d S t i c k s : W h a t i s C o m m u n i t y D e v e l o p m e n t
C a p a c i t y, H o u s i n g P o l i c y D e b a t e , V o l u m e 9 , n ° 3 . , 1 9 9 8
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 20 -
comme un levier trop faible de la revitalisation des quartiers pauvres. Il convient d’engager des stratégies plus globales pour
remédier à l’état de sous-investissement économique et de chômage chroniques dans les inner cities.
Dans la période récente, les CDCs retournent donc aux préoccupations économiques qui avait été le principal motif de leur
création, dans les années 60. Mais les risques inhérents à la gestion directe d’activités les conduisent à se positionner
comme intermédiaires et catalyseurs du développement, plutôt que comme acteurs de la production. Ceci par de multiples
voies : planification de projets de développement économique ou commercial, intermédiation financière auprès des banques,
fourniture directe de prêts aux entreprises, management de locaux d’entreprises, assistance technique aux microentrepreneurs, etc. (cf. infra) En 1999, on estimait que 60% des CDCs étaient impliquées dans des activités de ce type64.
De façon plus ou moins articulée à leurs stratégies de développement économique, les CDCs sont réengagées dans des
actions de renforcement du « capital humain ». Plus de la moitié d’entre elles délivrent des services de formation, de
préparation ou de traitement des barrières individuelles à l’emploi (transports, garde des enfants, santé…), ou se
positionnent comme référents « emploi/formation » d’autres programmes65. Les organisations de quartier qui optent pour la
création d’un programme ad hoc de formation et d’emploi le font généralement parce qu’il n’existe pas d’alternative adéquate
et parce qu’elles disposent d’assez de ressources humaines et financières pour s’engager dans cette voie. Mais elles sont
plus souvent des relais ou animateurs de réseaux d’acteurs de l’emploi et de la formation opérant à l’échelle des villes ou
des agglomérations66.
Les innovations les plus remarquables intervenues dans ce champ, au cours des années 90, sont le fait de réseaux
généralement appelés « intermédiaires de l’emploi » (Workforce Intermediaries). Tous les Workforce Intermediaries ne
s’adressent pas - ou pas seulement - aux plus éloignés de l’emploi et ne relèvent pas tous des pratiques du développement
communautaire. Mais ils ont pour principe commun de servir pareillement les intérêts des employeurs, des travailleurs et
demandeurs d’emploi, en offrant une main d'œuvre de qualité aux premiers et de réelles perspectives de promotion
professionnelle aux autres (cf. infra)67.
LES FLUCTUATIONS DU SOUTIEN FEDERAL
L’implication du gouvernement fédéral dans le champ du développement communautaire en général et de son volet
économique en particulier, a considérablement évolué depuis les années 60. Les programmes de la Guerre à la Pauvreté
ont été décisifs pour l’émergence du développement économique communautaire. L’administration Nixon s’est ensuite
efforcée de promouvoir un « capitalisme noir » (black capitalism) susceptible de fournir une assise électorale au parti
républicain. Cependant, tout en maintenant l’intervention fédérale à un niveau relativement élevé, l’ère Nixon a amorcé un
processus de dévolution des responsabilités aux collectivités locales qui tranchait avec l’interventionnisme de l’administration
fédérale durant les années 60.
64 C . W a lke r , C o m m u n i t y D e v e l o p m e n t C o r p o r a t i o n s a n d T h e i r C h a n g i n g S u p p o r t S y s t e m s , T h e
Urban Institute, 2002
65 id e m
66 B . H a r r i s o n e t a l . , B u i l d i n g B r i d g e s : C o m m u n i t y D e v e l o p m e n t C o r p o r a t i o n s a n d t h e W o r l d o f
Employment Training, Ford Foundation, 1995
67 R . P . G i l o t h ( d i r . ) , W o r k f o r c e I n t e r m e d i a r i e s f o r t h e T w e n t y - F i r s t C e n t u r y, o p . c i t .
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 21 -
La présidence Carter a tenté de renouer avec une posture plus volontariste. Elle a également renforcé substantiellement le
volet économique des aides au développement communautaire. L’Urban Development Action Grant (UDAG) de 1977 est
ainsi le premier programme fédéral encourageant un partenariat local systématique entre secteurs privé, public et
communautaire. Mais il ne s’agissait que d’une parenthèse car, à partir des années 80, l’administration Reagan, puis celle de
Bush Sr. ont consciencieusement éliminé de multiples programmes hérités du passé.
Il fallut attendre l’élection de B. Clinton, en 1992, pour que le gouvernement fédéral réinvestisse le champ du développement
communautaire, moyennant une tentative de repenser le rôle de l’État. L’objectif affiché était celui du renforcement du
pouvoir (empowerment) des communautés locales, celles des quartiers et au-delà. L’administration Clinton a accentué la
dévolution de responsabilités aux collectivités locales, mais en veillant à y associer les organisations communautaires, les
fondations et le secteur économique. Les engagements budgétaires de l’État fédéral étant loin de retrouver le niveau des
programmes de la Guerre à la Pauvreté, on attendait des acteurs du développement communautaire qu’ils contribuent à
affranchir les quartiers pauvres de l’aide publique, ou du moins qu’ils limitent celle-ci en oeuvrant au retour des investisseurs
privés dans les quartiers pauvres. Cette orientation était le pendant territorial de l’objectif de sortie de la pauvreté par l’autosuffisance individuelle.
Le climat politique sous l’administration Clinton était donc propice à l’expansion du développement économique
communautaire chargé de stimuler l’investissement privé et de sortir les habitants de la dépendance. Plusieurs initiatives
illustrent les nouvelles priorités du gouvernement fédéral. En 1993, la nouvelle administration fait adopter le programme
Empowerment Zones/Enterprise Communities (EZ/EC) qui combine la logique des zones franches et celle du
développement économique communautaire dans le cadre d’un projet global de revitalisation de quartiers. Ce programme
s’efforçait de traiter simultanément les questions de la revitalisation économique et du traitement des barrières individuelles à
l’emploi. Les sites ont été sélectionnés à la suite d’un appel à projet fédéral qui faisait une large place à la participation des
habitants et des organisations qui représentent leurs intérêts68.
Les autres initiatives majeures de l’administration Clinton ont concerné l’accès au capital des individus, entreprises et
organisations communautaires (cette dimension était également présente dans le programme EZ/EC). L’objectif était de
conforter l’action des « Institutions financières de développement communautaire » (Community Development Financial
Institutions ou CDFIs) qui jouent un rôle d’intermédiation entre diverses sources de financement (privées, publiques,
communautaires) et les porteurs de projets économiques (mais aussi dans les domaine du logement, de l’aménagement,
des équipements, des services sociaux…). Les CDFIs ont connu un développement important dans les années 90, avec
plus de 600 structures labellisées qui gèrent aujourd'hui près de 10 milliards de dollars d’actifs.
Trois décisions importantes de l’administration Clinton ont contribué à l’essor des CDFIs. La création tout d'abord du CDFI
Fund, en 1994, une agence gouvernementale placée sous la tutelle du Department of the Treasury qui fournit des
financements aux CDFIs, à condition qu’ils soient abondés par des ressources du secteur privé et des pouvoirs publics
locaux (cf. infra). La révision en 1995 du Community Reinvestment Act (CRA), ensuite, cette loi fédérale adoptée en 1977
pour combattre la discrimination des quartiers pauvres - et donc des minorités ethniques - par les banques (cf. infra). Enfin,
quelques semaines avant son départ, en 2000, le président Clinton a signé une loi ambitieuse, intitulée New Markets
Initiative (NMI) qui comprenait deux mesures principales : une incitation fiscale (le New Markets Tax Credit, cf. infra)
68 T . Kir szb a u m , L e t r a i t e m e n t p r é f é r e n t i e l d e s q u a r t i e r s p a u v r e s . L e s G r a n d s P r o j e t s d e V i l l e a u
miroir de l’expérience américaine des Empowerment Zones, CEDOV/PUCA/FASILD, 2002
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 22 -
permettant aux contribuables investissant dans des CDFIs de recevoir un abattement d’impôt fédéral pour un montant global
de 15 milliards de dollars sur sept ans ; la création d’une catégorie d’entreprises, appelées New Markets Venture Capital
Firms, destinées à investir du capital-risque dans les petites et moyennes entreprises des territoires urbains et ruraux
défavorisés (cf. infra). Cette loi cherchait à répondre aux besoins des «territoires laissés-en-arrière » (places left behind),
comme les appelait l’administration d’alors, ces territoires qui n’avaient pas tiré parti de la forte croissance économique de la
seconde moitié des années 90.
La New Markets Initiative empruntait aux idées défendues par certains universitaires, en particulier Michael Porter, écouté de
B. Clinton et A. Gore. Porter insistait sur l’accès au capital comme élément crucial de la revitalisation des quartiers pauvres.
Une autre source d’influence était un rapport largement diffusé de l’American Assembly (Université de Columbia) qui prônait
l’avènement d’un « capitalisme communautaire » (community capitalism), conduit par le secteur privé mais soutenu par les
pouvoirs publics et les acteurs communautaires69. Comme la création du CDFI Fund au début du double mandat de B.
Clinton, la New Markets Initiative était cohérente avec le concept de « troisième voie» faisant des partenariats public-privé la
clé de voûte du réinvestissement des quartiers pauvres70.
La montée en puissance des Community Development Financial Institutions remonte, pour l’essentiel, à la seconde moitié
des années 90, période de grande prospérité économique et d’appui déterminé de l’exécutif fédéral. La conjoncture présente
est nettement moins favorable au développement communautaire. Le ralentissement économique et les aléas du marché
boursier ont tari les sources de financement des CDFIs, notamment celles des banques commerciales qui en sont les
premiers financeurs, mais aussi des personnes privées et des organisations charitables. Le climat politique national n’est
guère plus encourageant. Ni l’administration Bush, ni le Congrès contrôlé par les Républicains depuis dix ans, ne sont
bienveillants envers le développement économique communautaire. La tentation est permanente de revenir sur la réforme
de 1995 du Community Reinvestment Act ou d’atténuer la vigilance des autorités fédérales sur son application. De même, la
mise en œuvre du New Markets Initiative est freinée par des coupes budgétaires. Reflétant la philosophie de l’administration
Bush, les subventions fédérales aux CDFIs ont été réduites, les contraignant à rechercher d’autres sources de financement
ou à devenir auto-suffisantes. Les petites institutions financières communautaires qui ne sont pas à même de couvrir la
totalité de leurs coûts de fonctionnement avec leurs recettes propres, sont obligées de limiter certaines prestations (prêts à
hauts risques, assistance technique…) pour se rapprocher de la pratique des institutions financières ordinaires71.
Le gouvernement Bush est plus enclin à maintenir les leviers fiscaux du développement communautaire, plus acceptables
idéologiquement que l’allocation directe de subventions72. Soutenu par les deux partis, le New Markets Tax Credit adopté
sous Clinton se situe dans le droit fil de nombreuses mesures fiscales adoptées par les gouvernements successifs pour
soutenir le développement communautaire. Les plus notables sont le Low Income Housing Tax Credit de 1986, qui a
fortement contribué aux investissements en faveur du logement bon marché, et les allègements de charges fiscales et
sociales en faveur des entreprises recrutant ou investissant dans les Empowerment Zones/Enterprise Communities.
69 C o m m u n i t y C a p i t a l i s m : R e d i s c o v e r i n g t h e M a r k e t s o f A m e r i c a ' s U r b a n N e i g h b o r h o o d s , 9 1 t h
American Assembly, 1997
70 J . S . R u b i n , G . M . S t a n k i e w i c z , E v a l u a t i n g t h e I m p a c t o f F e d e r a l C o m m u n i t y E c o n o m i c
Development Policies on Targeted Populations : the Case of the New Markets Initatives of 2000,
Paper presented at the Federal Reserve System research conference, mars 2003
71 S u r t o u s c e s p o i n t s , v o i r L . B e n j a m i n e t a l . , C o m m u n i t y D e v e l o p m e n t F i n a n c i a l I n s t i t u t i o n s :
Current Issues and Future Prospects, Journal of Urban Affairs, vol. 26, n° 2, mai 2004
72 J . S . R u b i n , G . M . S t a n k i e w i c z , o p . c i t .
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 23 -
L’évolution de ce dernier programme est symptomatique des options républicaines puisque seule la dimension de zone
franche a été maintenue, les dépenses à vocation sociale ayant disparu du programme.
Les mêmes clivages idéologiques se vérifient en ce qui concerne les programmes fédéraux d’emploi et de formation.
Contrairement au gouvernement actuel, le souci de rationalisation du système de workforce s’était accompagné, sous
Clinton, d’une majoration des crédits fédéraux. Toutefois, l’essentiel des ressources financières nouvelles était allé à la
réforme de l’aide sociale. Les résultats du welfare-to-work sont significatifs si l’on en juge par le nombre de personnes sorties
des registres de l’aide sociale (près de la moitié en quelques années). Mais la logique du « work first » est controversée
s’agissant de la qualité des emplois et des possibilités de carrière ouvertes aux ex-bénéficiaires de l’aide sociale (cf. supra).
Les « intermédiaires de l’emploi » (Workforce Intermediaries) qui affichent le souci d’une intégration professionnelle durable
des personnes désavantagées, en combinant accès à l’emploi et formation dans des secteurs porteurs, ont émergé aux
marges du système public d’emploi et de formation. Ils ne bénéficient pas encore d’un soutien explicite des autorités
fédérales. Le Workforce Investment Act de 1998 leur a certainement conféré une légitimité, mais peu de moyens financiers
spécifiques. Encore au stade expérimental, les Workforce Intermediaries mobilisent l’attention croissante des acteurs de
l’emploi et de la formation, des fondations et de nombre d’experts73. En février 2003, l’American Assembly a organisé une
conférence de trois jours sur le sujet74.
73 V o i r l ’ o u v r a g e c o l l e c t i f c o o r d o n n é p a r R . P . G i l o t h , o p . c i t .
74 K e e p i n g A m e r i c a i n B u s i n e s s : A d v a n c i n g W o r k e r s , B u s i n e s s e s a n d E c o n o m i c G r o w t h , 1 0 2 t h
American Assembly, 2003
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 24 -
3. LES ACTEURS DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE
Une typologie des acteurs du développement économique communautaire permet de distinguer entre acteurs
communautaires, publics et privés. Le tableau d’ensemble peut sembler complexe car chaque type d’acteur est susceptible
d’intervenir aux différentes échelles territoriales (nation, État, agglomération, municipalité, quartier) et d’exercer des fonctions
de financeur, d’animateur ou d’opérateur.
3.1 LES ACTEURS COMMUNAUTAIRES
Les acteurs premiers du développement communautaire sont des organisations de quartier, appelées Community-Based
Organizations (CBOs). Pour bénéficier de fonds publics ou de dons privés (comme ceux des fondations), les CBOs doivent
présenter plusieurs caractéristiques, fixées par les réglementations fédérale et locales, relatives à leur aire géographique
d’intervention, à leurs buts et à l’organisation de leur pouvoir interne. De manière générale, une CBO peut être définie
comme une organisation intervenant sur une aire géographique précise (généralement un quartier) pour en améliorer les
conditions sociales, économiques ou urbaines ; l’adhésion à une CBO est ouverte à tous les habitants, ainsi qu’aux
entreprises privées et institutions (publiques et privées) ayant une activité sur son aire d’intervention ; les membres du
conseil d'administration sont élus à l’occasion de réunions publiques, généralement annuelles.
Les CBOs peuvent être distinguées selon qu’elles sont non-profit (à but non lucratif) ou for-profit (à but non lucratif). Mais
cette distinction essentiellement fiscale renseigne assez peu sur les objectifs véritables de l’organisation. Une structure nonprofit est assujettie à l’article 501(c)(3) du Code fédéral des impôts qui les exempte des taxes pesant sur les entreprises
ordinaires. Cependant, cette exonération n’est pas le principal motif d’acquisition du statut de non-profit. Les organisations
qui demandent ce statut veulent surtout être éligibles aux subventions, prêts aidés et autres formes d’assistance fournies par
les pouvoirs publics et des acteurs privés. En pratique, les organisations non-profit peuvent d’ailleurs réaliser des profits, et
beaucoup le font, à condition de les attribuer à d’autres qu’à ceux qui contrôlent l’organisation ou à les réinvestir dans
l’organisation. Inversement, une organisation non-profit peut créer une structure subsidiaire for-profit qui peut perdre de
l’argent en raison du but social qu’elle accomplit75.
Les organisations conduisant des activités de développement économique communautaire sont le plus souvent des
Community Development Corporations (CDCs), un type particulier d’organisation non-profit. Bien qu’il n’existe pas de
définition légale des CDCs, celles-ci se caractérisent par une ouverture de leur conseil d'administration à différents acteurs
du quartier et par un contrôle plus ou moins effectif des habitants. Le quartier est souvent le point de départ de leurs actions,
mais la plupart des CDCs animent ou participent à des réseaux multiformes qui dépassent l’échelle du quartier pour
s’étendre à une ville, une agglomération ou un État. Beaucoup de CDCs sont également affiliées à des réseaux nationaux
qui donnent de la publicité aux « bonnes pratiques », leur procurent une assistance technique et exercent une fonction de
lobbying au plan national.
Les « Institutions financières de développement communautaire » (Community Development Financial Institutions) sont des
acteurs communautaires puisqu’elles poursuivent des objectifs sociaux sur des territoires particuliers. Certaines CDFIs
75 E . S t i e f v a t e r , E n t r e p r e n e u r i a l C o m m u n i t y D e v e l o p m e n t : E x p l o r i n g E a r n e d - I n c o m e A c t i v i t i e s
a n d S t r a t e g i c A l l i a n c e s f o r C o m m u n i t y - D e v e l o p m e n t N o n p r o f i t s, J o i n t C e n t e r f o r H o u s i n g S t u d i e s ,
Harvard University, Neighborhood Reinvestment Corporation, November 2001
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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peuvent être ancrées dans un quartier précis ou lui réserver la plupart de leurs prestations, mais la plupart sont peopleoriented plutôt que place-oriented. Contrairement à la plupart des Community-Based Organizations, les CDFIs déploient
souvent une activité sur un marché géographique large, celui d’une ville, d’une agglomération, voire d’un ou plusieurs État
ou du pays tout entier76.
Six catégories de CDFIs sont généralement répertoriées : les Fonds de crédit pour le développement communautaire
(Community Development Loan Funds), les Fonds de crédit pour les micro-entreprises (Microenterprise Funds), les Fonds
de capital-risque pour le développement communautaire (Community Development Venture Funds), les Banques de
développement communautaire (Community Development Banks), les Mutuelles de crédit pour le développement
communautaire (Community Development Credit Unions). Certaines CDCs qui prêtent et investissent peuvent également
obtenir le statut de CDFI.
Certaines CDFIs sont des non-profits et d’autres sont des for-profits, mais toutes génèrent des profits. Elles peuvent recevoir
des fonds d’origine publique, privée et communautaire (dans certaines limites pour les banques et mutuelles de crédit
communautaires). Leur activité principale consiste à prêter, investir et fournir une assistance technique à d’autres acteurs :
des entreprises privées, d’autres organisations communautaires, des promoteurs immobiliers ou des particuliers qui
cherchent une alternative au système financier ordinaire et/ou créent leur entreprise.
Les CDFIs diffèrent à plusieurs égards des institutions financières de droit commun. Elles ont une connaissance fine des
quartiers qu’elles servent et cultivent des liens étroits avec les organisations oeuvrant dans ces quartiers. Les produits
qu’elles créent à destination de cette clientèle sont risqués et offrent des marges bénéficiaires étroites. Elles consacrent
également un temps important à personnaliser leurs services et à fournir une assistance technique à leurs clients, du simple
conseil financier jusqu’à l’élaboration d’un business plan. Associées à des opérations financières portant sur des montants
souvent modestes, ces prestations ont un coût qui s’avérerait prohibitif pour une banque classique77.
Pour autant, les CDFIs ne se substituent pas intégralement aux institutions financières de droit commun. Elles travaillent
souvent en partenariat avec les banques, les CDFIs assumant la part la plus risquée des opérations. Lorsque les projets de
leurs clients sont couronnés de succès et qu’ils se développent, les CDFIs apportent autant de futurs clients aux banques.
Leur objectif est bien d’intégrer à terme les habitants et entrepreneurs des quartiers pauvres, dans l’économie ordinaire.
Dans le champ de l’emploi et de la formation, les structures qui animent les réseaux appelés Workforce Intermediaries ne
sont pas tous des acteurs communautaires. Ce sont le plus souvent des non-profits émanant, selon les cas, d’organisations
communautaires ou de coalitions d’organisations de ce type, de collectivités locales, de syndicats d’employeurs ou de
salariés, d’universités, etc. Une étude conduite par le National Network of Sector Partners a identifié 250 organisations de ce
type. La plupart ont moins de dix ans d’existence et servent en moyenne 500 personnes par an78.
Beaucoup de Workforce Intermediaries ont un ancrage dans les quartiers pauvres, mais ils sont structurés à des échelles
plus larges, celles des villes, des agglomérations ou des États. C’est également à ces échelles qu’ils peuvent jouer le rôle
76 J . N o w a k , C i v i c L e s s o n : H o w C D F I s C a n A p p l y M a r k e t , C a p i t a l X c h a n g e , m a r s 2 0 0 1
77 V o i r M . P i n s k y , T a k i n g S t o c k : C D F I s L o o k A h e a d A f t e r 2 5 Y e a r s o f C o m m u n i t y D e v e l o p m e n t
Finance, Capital Xchange, décembre 2001 ; Rubin and Stankiewicz, op. cit.
78 C . M a r a n o , K . T a r r , T h e W o r k f o r c e I n t e r m e d i a r y : P r o f i l i n g t h e F i e l d o f P r a c t i c e a n d i t s
Challenge, in Giloth (dir.), op. cit.
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 26 -
d’avocats (advocates) des moins qualifiés auprès des décideurs publics et privés (par exemple le Chicago Jobs Council de
Chicago, le Jobs Policy Network de Philadelphie ou le Center for an Urban Future de New York). Une structuration nationale
de ces réseaux commence également à se dessiner pour acquérir une visibilité vis-à-vis des décideurs fédéraux (Workforce
Alliance).
Les Workforce Intermediaries ne se substituent pas Workforce Investment Boards, chargés de coordonner la multiplicité de
programmes existants et de fixer des objectifs de résultats aux opérateurs d’emploi et de formation. Les Workforce
Intermediaries sont parfois des émanations ou des sous-traitants des Workforce Investment Boards, mais ils se définissent
avant tout comme des animateurs de réseaux, poursuivant des objectifs en faveur certains groupes spécifiques
d’employeurs, de travailleurs et de demandeurs d’emploi79.
3. 2 LES ACTEURS PUBLICS
Parmi les acteurs publics, l’État fédéral a profondément changé de positionnement depuis les années 60, une époque où il
n’hésitait pas à s’immiscer dans les affaires locales. Après des années de décentralisation, sa fonction s’est réduite à celle
de financeur du développement communautaire, pas forcément le plus central, mais néanmoins indispensable.
Contrairement à l’administration précédente, celle que dirige G. W. Bush impulse peu de nouveaux programmes. Elle en
élimine peu en comparaison des années Reagan/Bush (père), mais beaucoup de budgets fédéraux sont rognés année
après année. On ne perçoit pas non plus de stratégie d’envergure visant à renforcer les fonctions d’animation de réseaux et
d’évaluation de l’État fédéral, comme ce fut le cas sous B. Clinton.
Plusieurs ministères proposent des programmes intéressant le développement économique communautaire, notamment le
US Department of Housing and Urban Development (HUD). Outre la Community Renewal Initiative qui regroupe les
Empowerment zones, Enterprise communities et Renewal communities (cette dernière catégorie de zones a été créée en
2000), l’Office of Community Planning and Development (CPD) du HUD gère trois programmes d’importance. Le premier est
le Community Development Block Grant (CDBG) Program, une enveloppe globale attribuée aux collectivités locales qui la
répartissent ensuite entre opérateurs et quartiers. Le budget alloué à ce programme avait fortement augmenté sous
l’administration Clinton pour atteindre 5,1 milliards en 2001 ; il est redescendu à 4,7 milliards en 2003. Le programme CDBG
finance tout type d’interventions communautaires, mais il est devenu une source non négligeable de financement du
développement économique et de l’accès à l’emploi depuis des réformes intervenues dans les années 90. L’utilisation locale
des CDBG s’inscrit dans le cadre d’un projet stratégique à l’élaboration duquel habitants et organisations de quartier doivent
prendre une part active.
Un second programme géré par l’Office of Community Planning and Development est intitulé Section 108 Loan Guarantee
Program. Il permet aux gouvernements locaux de transformer une partie des CDBG (275 millions de dollars en 2003) en
prêts garantis par l’administration fédérale pour financer notamment des projets de revitalisation économique. Le
gouvernement fédéral accorde sa garantie si le projet permet de créer ou de préserver des emplois dans les quartiers
pauvres. Ce dispositif permet d’emprunter jusqu’à 5 fois le montant des CDBG.
79 S u r t o u s c e s p o i n t s , v o i r G i l o t h ( d i r . ) , o p . c i t .
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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Le troisième programme majeur est le Brownfields Economic Development Initiative (BEDI) qui vise à revaloriser les friches
industrielles concernées par des problèmes de décontamination et à y créer des emplois pour les habitants. Ses
financements sont souvent utilisés en tandem avec le Section 108 Loan Guarantee Program.
D’autres ministères disposent d’outils pour la promotion du développement économique communautaire. L’Economic
Development Administration (EDA) au sein du Department of Commerce, qui a pour mission première de venir en aide aux
territoires où sévit un chômage massif, gère notamment des programmes de crédit et d’assistance à l’élaboration de
stratégies économiques locales. La Small Business Administration (SBA) gère de nombreux programmes de prêts, de
garanties de prêts et d’assistance technique aux petites et moyennes entreprises (moins de 500 salariés) à travers le réseau
d’accueil des One-Stop Capital Shops. La SBA engage aussi des actions spécifiques en direction d’entrepreneurs issus des
groupes ethniques et gère le HubZone Program qui donne la priorité, dans les appels d’offres fédéraux, aux entreprises
localisées dans des zones défavorisées (cf. infra). Enfin, le Department of Treasury est une source essentielle de
financement des Community development financial institutions (CDFIs) à travers la gestion du CDFI Fund et du New markets
tax credit (cf. infra).
Trois ministères « sociaux » sont particulièrement impliqués dans les programmes d’emploi et de formation pouvant
intéresser les acteurs du développement communautaire. L’Employment and Training Administration (ETA) au sein du
Department of Labor apporte une aide fédérale aux One-Stop Centers qui coordonnent localement ces programmes ; cette
administration gère aussi les crédits liés à la réforme de l’aide sociale (Welfare-to-Work) et des programmes plus
spécifiquement destinés aux jeunes (Youth Opportunity, Job Corps…). Le Department of Education intervient dans de
nombreux programmes de formation professionnelle et d’enseignement professionnel. Enfin, l’Office of Community Services
au sein du Department of Health and Human Services (HHS) finance divers programmes destinés à créer des emplois
accessibles aux personnes à bas revenus et aider celles-ci à les saisir.
A noter enfin, que l’administration chargée des transports publics, le Department of Transportation, gère une ligne de crédits
visant à améliorer les liaisons entre inner-cities et zones d’emplois (Job Access/Reverse Commute).
Les États et les villes sont les destinataires de nombreux programmes fédéraux qu’ils abondent le plus souvent avec leurs
crédits propres et qu’ils répartissent ensuite entre quartiers et porteurs de projets. De plus en plus, à partir des années 80,
les collectivités locales ont pris des initiatives pouvant intéresser le développement économique communautaire. En 1999,
l’International City/County Management Association a conduit une enquête par questionnaire auprès 1 000 municipalités et
counties (subdivisions administratives des États) portant sur leurs initiatives économiques ciblées sur les quartiers et les
individus pauvres80. Sans surprise, les actions de développement économique de type Enterprise Zones sont les plus
courantes. Le soutien aux actions communautaires de formation et d’accès à l’emploi est également répandu.
Qu’il s’agisse du développement économique ou de l’accès à l’emploi, les Community Development Corporations sont
désormais reconnues comme des partenaires clés par les collectivités locales, notamment les grandes villes. États et villes
disposent également d’une palette d’outils (crédits revolving, garantie d’emprunts, partenariats avec des banques
commerciales, dépôt de leur trésorerie dans des Community Banks…) pour soutenir les Community Development Financial
Institutions.
80 M . W a r n e r , L o c a l G o v e r n m e n t S u p p o r t f o r C o m m u n i t y - B a s e d E c o n o m i c D e v e l o p m e n t ,
International City/County Management Association Municipal Yearbook, 2001
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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On peut distinguer plusieurs modes de relations stables (ou « régimes urbains ») entre les pouvoirs locaux et les
organisations communautaires. Dans les villes où prédomine une tradition « clientéliste » (patronage) héritée de la
« machine » traditionnelle du parti démocrate, seuls les groupes connectés aux politiciens locaux, voire contrôlés par eux,
sont considérés comme des partenaires légitimes. Dans les villes où élites politiques et économiques sont en situation de
collusion, les organisations communautaires se cantonnent dans un registre protestataire, sur fond de défiance réciproque, y
compris lorsque les classes moyennes noires s’emparent du pouvoir local. La dernière configuration correspond aux villes
« inclusives », dans lesquelles les interactions entre organisations communautaires et gouvernements locaux sont les plus
fortes81.
81 S u r c e t t e t y p o l o g i e , v o i r M . W e i r , P o w e r , M o n e y a n d P o l i t i c s i n C o m m u n i t y D e v e l o p m e n t , i n R .
Ferguson, W. Dickens, Urban Problems and Community Development, The Brookings Institution,
1999
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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3.3 LES ACTEURS PRIVES
Historiquement, les acteurs privés les plus impliqués dans le champ du développement communautaire sont des non-profits :
les institutions religieuses et les fondations charitables. Les premières jouent depuis les origines un rôle majeur dans les
quartiers pauvres et apportent un soutien non négligeable aux Community Development Financial Institutions. Leurs actions
sont aujourd'hui confortées par l’administration Bush, dont la principale initiative en matière de développement
communautaire (Faith-Based and Community Initiative) a tenté de placer les institutions religieuses sur un pied d’égalité
avec les organisations laïques, ce qui a suscité beaucoup de critiques.
L’action des fondations est également ancienne, mais elle s’est considérablement amplifiée à partir des années 80 pour
compenser le repli des administrations républicaines en matière urbaine. Il convient de distinguer les fondations locales, qui
pilotent de petits programmes de revitalisation sur des territoires spécifiques, des fondations nationales dont certaines déjà
mentionnées (Ford, Entreprise) ont institué un système de financement et d’assistance technique très perfectionné en
direction des CDCs. Locales ou nationales, les fondations sont également d’importants pourvoyeurs de fonds des
Community Development Financial Institutions. Les « intermédiaires nationaux » que sont la LISC (une émanation de Ford
Foundation) et Entreprise Foundation ont vu leur rôle renforcé par la New Markets Initiative du président Clinton (cf. supra)
qui les charge expressément de lever des fonds privés pour abonder les fonds publics recueillis au titre de ce programme.
Dans la période récente, les fondations locales et les intermédiaires nationaux ont investi dans le champ de l’accès à
l’emploi et de la formation. Une mission d’expertise financée par Ford Foundation, au début des années 90, avait attiré
l’attention sur les expériences innovantes conduites en la matière par des organisations communautaires82. D’autres
fondations ont emboîté le pas et financé des projets relevant de la logique des Workforce Intermediaries (notamment
Charles Stewart Mott Foundation ou Annie E. Casey Foundation) ou visant à renforcer les compétences des acteurs
communautaires pour la mise en oeuvre de la réforme du welfare (en particulier Rockefeller Foundation).
Une autre grande catégorie d’acteurs privés intervenant dans le champ du développement économique communautaire est
celle des banques commerciales. Contraintes de respecter les obligations nées du Community Reinvestment Act, les
banques signent des accords avec des organisations communautaires spécifiant le volume d’investissement ou l’assistance
technique qu’elles réalisent en direction de publics (petites entreprises, minorités) ou de projets spécifiques (microentreprises, développement économique communautaire). Elles peuvent également choisir de financer les intermédiaires
que sont les CDFIs ou de participer à des programmes publics de prêts destinés à des publics qui n’ont pas accès aux
institutions financières de droit commun83.
Enfin, les chefs d’entreprise peuvent s’impliquer, à titre individuel ou collectif, dans les organisations de développement
communautaire. Ceux qui siègent dans leurs conseils d'administration peuvent être des militants du développement
communautaire ou de simples résidents intéressés par le devenir de leur quartier. Les entreprises privées peuvent
également investir dans les Community DevelopmentFinancial Institutions.
82 B . H a r r i s o n e t a l . , o p . c i t .
83 S . W . H a a g , C o m m u n i t y R e i n v e s t m e n t a n d C i t i e s : a L i t e r a t u r e R e v i e w o f C R A ’ s I m p a c t a n d
F u t u r e, D i s c u s s i o n P a p e r p r e p a r e d f o r T h e B r o o k i n g s I n s t i t u t i o n , m a r s 2 0 0 0
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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Les Workforce Intermediaries constituent un lieu de partenariat très opérationnel avec le monde des entreprises (cf. infra).
Dans trois cas sur quatre, les employeurs sont représentés dans les structures de pilotage de ces réseaux, auxquels ils
peuvent apporter un soutien en nature (conception de programmes de formation, mise à disposition de formateurs ou de
locaux…)84.
84 C . M a r a n o , K . T a r r , o p . c i t .
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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4. QUELQUES OUTILS EMBLEMATIQUES DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE
4.1 LES COMMUNITY DEVELOPMENT CORPORATIONS
Comme les autres activités des CDCs, leurs projets de développement économique sont le fruit de démarches
« ascendantes » (bottom-up) qui requièrent la participation active de toutes les personnes et institutions intéressées par le
devenir du quartier où elles résident et/ou elles exercent une activité. Outre les habitants, ce processus a vocation à inclure
les institutions publiques, les entreprises locales et les associations de tous ordres.
Cette approche va à l’encore des principes traditionnels obéissant à une logique « descendante » (top-down). Mais au-delà
de ce dénominateur commun du développement économique communautaire – partir de l’initiative de ceux qui sont les
premiers concernés par l’évolution du quartier – l’orientation des projets varie considérablement d’un site à l’autre et d’une
organisation à l’autre. Certaines se positionnent en agents économiques et/ou en catalyseurs de projets de développement
portés par d’autres agents.
LA GESTION DIRECTE D’ACTIVITES ECONOMIQUES
Les organisations de quartier – et les CDC au premier chef – peuvent opter pour la gestion directe ou indirecte (via une
filiale) d’une activité marchande. C’est l’orientation qui a prévalu jusqu’aux années 80. A la différence des initiatives
purement privées, l’objectif n’est pas de maximiser les profits. Outre la production de biens et services utiles aux habitants
du quartier, il s’agit d’offrir à ceux-ci des opportunités d’emplois, au moins temporaires, le temps de se former et d’acquérir
une expérience de travail. Les profits générés par ces activités peuvent être également employés les CDC pour financer
d’autres activités à caractère social dans le quartier.
La gestion directe d’activités se déploie sur divers marchés, des produits manufacturiers au commerce de détail, en passant
divers services aux personnes et aux entreprises. A partir des années 80, les CDCs ont veillé à s’engager sur des marchés
ayant une clientèle potentiellement importante (restauration, location de voitures, services gériatriques…). Mais elles restent
souvent confrontées à des problèmes de trésorerie récurrents. En moyenne, 70% des petites entreprises américaines font
faillite dans les cinq premières années. Même en choisissant avec soin leur secteur activité, le risque d’échec existe. Ces
risques sont accrus pour les organisations non-profit car l’efficacité économique peut entrer en contradiction avec les buts
sociaux (embauche de personnes en difficulté, actions de formation, prix de vente peu élevés…) de la structure. Aussi,
quand elles ne parviennent pas à trouver l’équilibre financier, les non-profits doivent se tourner vers des aides publiques et
privées. Mais cette dépendance est problématique compte tenu du caractère erratique de ces soutiens, peu compatible avec
l’élaboration d’une stratégie économique à long terme85. En outre, les CDC sont soumises à une pression croissante de leurs
financeurs pour atteindre l’auto-suffisance. Les gestionnaires des CDC ont répondu à cette injonction en développant des
attitudes et une rhétorique entrepreneuriale. A tel point qu’elles sont parfois critiquées pour faire passer au second plan
certains de leurs buts traditionnels (l’organisation des habitants, la contestation des pouvoirs locaux, la résistance à la
gentrification…)86.
85 E . S t i e f v a t e r , o p . c i t .
86 N . P e i r c e , C . S t e i n b a c h , E n t e r p r i s i n g C o m m u n i t i e s : C o m m u n i t y - B a s e d D e v e l o p m e n t i n
America, Council for Community-Based Development, 1990 ; G. Gunn, H. Gunn, Reclaiming
C a p i t a l, C o r n e l l U n i v e r s i t y P r e s s , 1 9 9 1
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 32 -
Un courant de réflexion et de pratiques se développe aujourd'hui pour s’assurer que les habitants récoltent eux aussi un
bénéfice financier des opérations économiques conduites par les CDC, au-delà de la seule faculté de se faire entendre dans
leurs conseils d'administration. Un rapport financé par le HUD et différentes fondations a recensé l’ensemble des
« mécanismes d’appropriation par les habitants » (Resident Ownership Mechanisms ou ROMs). L’idée générale est de leur
permettre de devenir actionnaires (shareholders) des entreprises, sur le modèle de la coopérative87.
LA FONCTION DE CATALYSEUR DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE
Au lieu de s’engager dans la gestion directe d’une activité, les CDCs et autres organisations de quartier peuvent faciliter les
projets d’autres acteurs en se positionnant comme concepteurs du développement économique, comme intermédiaires entre
les entreprises et d’autres partenaires ou comme soutiens direct des entreprises. Leurs stratégies portent le plus souvent sur
ces trois domaines : la revitalisation commerciale, le développement d’un tissu des petites entreprises locales, la croissance
locale des emplois accessibles aux habitants88.
L’activité la plus courante des CDCs porte sur la revitalisation commerciale des quartiers. L’effort est généralement
concentré sur un secteur du quartier voué au commerce (commercial district) et plus particulièrement sur la rue principale
(main street). Cette stratégie présente plusieurs intérêts : créer des emplois, apporter de nouveaux biens et services aux
habitants et modifier l’image du quartier. Cependant, même si l’emploi induit par le développement commercial va en priorité
aux habitants, la création d’emplois n’est pas la motivation première de cette stratégie car ces emplois sont souvent
faiblement rémunérés. La revitalisation commerciale est d'abord envisagée comme la porte d’entrée d’un réinvestissement
du quartier par les entreprises, les consommateurs, les investisseurs immobiliers et les futurs acheteurs ou locataires de
logements.
La stratégie typique de revitalisation commerciale commence par un diagnostic à l’initiative d’une organisation de quartier.
L’opération débute par un inventaire des commerces existants, des espaces - occupés ou vacants - et des lieux les plus
fréquentés du quartier. L’inventaire s’accompagne d’une tournée des commerçants du quartier afin de savoir ce qui marche
et ne marche pas. Idéalement, une étude de marché doit être conduite pour estimer le potentiel de développement
commercial du quartier - à partir notamment de l’analyse du pouvoir d’achat des habitants et des possibilités d’attraction de
clients extérieurs. Ces études sont conduites selon les cas par l’organisation en charge du projet ou par un cabinet
spécialisé. Une fois estimés les besoins à satisfaire, une liste d’entreprises à contacter est établie qui mettra l’accent sur tels
ou tels secteurs à privilégier dans les démarches ultérieures de prospection.
Sur la base de ce diagnostic commercial, un « projet stratégique » (strategic plan) peut être élaboré qui fera largement appel
à la contribution des différents groupes composant le quartier (habitants, commerçants, entreprises, institutions,
associations). Le projet doit décrire le type de développement commercial souhaité par la communauté du quartier et les
outils à mettre en place. Ces outils sont variables : offre de prêts avantageux aux commerçants, créés pour l’occasion ou
négociés avec d’autres financeurs ; offre de subventions pour la rénovation des façades commerciales (beaucoup de
municipalités proposent ce type d’aides) ; création d’une taxe sur les propriétés du quartier (business improvement district)
87 H . M c C u l l o c k , L . R o b i n s o n , S h a r i n g t h e W e a l t h : R e s i d e n t O w n e r s h i p M e c h a n i s m s , P o l i c y L i nk,
2001
88 L ’ e s s e n t i e l d e s d é v e l o p p e m e n t s q u i s u i v e n t s o n t t i r é s d e M . T e m a l i , T h e C o m m u n i t y E c o n o m i c
Development Handbook : strategies and tools to revitalize your neighborhood, Amherst H. Wilder
Foundation, 2002
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 33 -
moyennant l’autorisation de la ville ou de l’État ; programme de rénovation des infrastructures du district commercial (voiries,
parkings, signalétique, éclairage, végétation…) en liaison avec la municipalité ; campagnes de nettoyage du quartier
(cleanup campaigns) et fêtes de quartier avec les habitants ; programme de lutte contre l’insécurité ; opérations de marketing
auprès des entreprises et des consommateurs, etc. Un des aspects centraux des projets concerne l’offre d’immobilier
commercial. L’organisation doit décider si elle achète, rénove ou construit elle-même l’espace commercial ou si elle confie
cette opération à un développeur extérieur, privé ou communautaire.
L’autre grand domaine d’activité des CDCs est l’assistance aux micro-entreprises, celles qui emploient rarement plus de cinq
salariés. Ces très petites entreprises, parfois souterraines, interviennent le plus souvent dans le secteur des services
(ateliers mécaniques, petite restauration, transports, nettoyage, salon de coiffure...). Leur bonne santé est jugée essentielle
pour l’économie du quartier. Elles recrutent essentiellement des habitants, génèrent un revenu recyclable dans le quartier,
fournissent des biens et services répondant aux besoins des habitants et peuvent constituer des modèles de réussite (role
models). Regroupées sur un même espace, elles peuvent également contribuer à la revitalisation des districts commerciaux.
La démarche d’élaboration d’un projet de promotion de la micro-entreprise est très comparable à celle qui est mise en
oeuvre pour la revitalisation commerciale. Dans un premier temps, il s’agit de réaliser un état des lieux des besoins et de
l’offre de services dans le quartier, d’estimer l’importance des activités souterraines et le potentiel de créateurs d’activités
nouvelles, d’étudier les secteurs qui se développent le plus dans l’agglomération et qui peuvent faire appel à des soustraitants, estimer enfin la capacité de l’organisation de quartier à apporter par elle-même des réponses aux microentrepreneurs. La seconde étape consiste à choisir entre différentes options : s’adresser à l’ensemble des micro-entreprises
ou se spécialiser sur un créneau particulier d’activités ou d’entrepreneurs.
La mise en oeuvre du projet commence généralement par des opérations de sensibilisation (outreach) des petits
entrepreneurs sur le soutien dont ils peuvent bénéficier. Ces aides peuvent prendre différentes formes, à commencer par
une formation. Selon les cas, ces formations sont proposées sous forme de sessions généralistes, d’ateliers thématiques ou
d’une assistance personnalisée. Les formateurs peuvent être des professionnels bénévoles, des représentants d’autres
organisations communautaires ou des consultants privés passant contrat avec l’organisation de quartier.
Outre la formation, l’assistance aux micro-entreprises passe par l’accès au capital, que ce soit par une prise de participation
(equity) ou un emprunt (debt). L’une des formules d’equity les plus utilisées consiste à abonder avec des fonds d’un même
montant l’épargne individuelle de l’entrepreneur, collectée sur un compte appelé Individual Development Account (IDA).
Quant aux emprunts, compte tenu des réticences et du manque de disponibilité des banques vis-à-vis des petits
entrepreneurs - notamment les créateurs d’entreprise - la CDC peut servir d’intermédiaire en préparant le dossier de chaque
candidat sous forme d’un « paquet » (loan packaging) réunissant l’ensemble des pièces et soumis à différents financeurs
(une banque, des programmes publics et privés de crédit). Beaucoup d’organisations de quartier choisissent toutefois de
créer leur propre système de prêt, en appui sur les nombreuses possibilités de financements publics et privés mobilisables.
Certaines CDCs ayant acquis une forte expérience en la matière demandent à être labellisées comme Community
Development Financial Institutions.
Pour augmenter les chances de succès, l’assistance technique aux petits entrepreneurs doit être conçue dans la durée, car
des difficultés peuvent se présenter à tout moment. L’enjeu est de créer une relation de confiance. L’organisation doit être
perçue comme un lieu-ressources où l’entrepreneur pourra trouver réponse à toute une série de questions techniques :
fiscalité, gestion de trésorerie, coûts de fonctionnement, embauche de salariés, relations avec les fournisseurs, marketing,
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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politique de prix, etc. Selon les cas, cette assistance est prodiguée par l’équipe technique de la CDC ou par des experts
extérieurs, si possible bénévoles.
Enfin, une fonction essentielle de la CDC est le développement du réseau relationnel des entrepreneurs avec des clients,
sous-traitants, fournisseurs ou concurrents. Des événements spécifiques peuvent être organisés à cette fin. Ce type de
réseaux peut être également suscité par la création d’une pépinière d’entreprises (incubator), une formule qui a le vent en
poupe aux Etats-Unis et qui sert notamment à aider les créateurs (start-ups). L’incubateur a l’avantage de mutualiser les
coûts d’installation, de centraliser dans un lieu unique l’assistance technique et financière aux entreprises, et d’organiser des
formations de salariés ou de demandeurs d’emploi. En rapprochant des entreprises sur un même lieu, il permet d’intensifier
leurs relations.
Les organisations communautaires prennent souvent pour cibles les petites entreprises dont les besoins sont à la mesure de
leurs capacités. Cependant, elles travaillent aussi sélectivement avec des firmes de taille plus importante. Leurs emplois
sont potentiellement beaucoup plus nombreux que ceux que génèrent la revitalisation commerciale ou les micro-entreprises.
En aidant ces entreprises à surmonter différents obstacles freinant leur développement, les groupes communautaires
contribuent à la création d’emplois accessibles aux habitants et mieux rémunérés. Les entreprises ciblées appartiennent
souvent au secteur manufacturier, lequel offre souvent des possibilités de se former en situation de travail. Il peut s’agir
aussi d’entreprises du secteur tertiaire (santé, finance, assurances, immobilier…), à condition qu’elles offrent des emplois
accessibles aux bas niveaux de qualification et correctement rémunérés, ce qui est moins fréquent.
La stratégie à mettre en oeuvre commence par un état des lieux des entreprises créant ce type d’emplois à l’échelle
métropolitaine. Cette information va être utilisée pour déterminer les opportunités existantes, pour les entreprises du quartier,
de se connecter avec de nouveaux clients et fournisseurs en croissance rapide dans l’agglomération. Il s’agit aussi
d’identifier les secteurs à cibler pour attirer de nouvelles entreprises sur le territoire local.
En parallèle, cet état des lieux dresse l’inventaire des espaces disponibles dans le quartier et ses alentours, et identifie les
obstacles éventuels à la création ou l’expansion d’activités économiques (contraintes réglementaires, propriétaires réticents
à vendre, problèmes de pollution, obsolescence des bâtiments, infrastructures de transport inadéquates, insécurité,
opposition d’habitants à l’implantation d’activités industrielles…). Il s’agit également de mettre en évidence les atouts du site
(programmes de prêts à bas taux d’intérêt, avantages fiscaux de type « zone franche », assistance technique spécialisée,
programmes de décontamination des sites, dispositifs de formation professionnelle…) et de regarder ceux qui font défaut et
que l’organisation de quartier peut contribuer à ajouter en lien avec les pouvoirs publics locaux.
A partir de ces données, un projet stratégique peut être élaboré dont l’objet principal consiste à lever les obstacles au
développement des entreprises ciblées et à renforcer les atouts du territoire. Une palette d’outils pourra être mobilisée : offrir
une assistance technique spécialisée par le recours à des professionnels ; utiliser tous les avantages fiscaux possibles ;
impliquer les entrepreneurs dans les instances de concertation où sont évoqués les sujets tels que l’insécurité, l’image du
quartier, la qualification de la main d'œuvre, l’occupation des sols, les problèmes environnementaux, les infrastructures
publiques, etc. ; créer ou mobiliser des programmes de prêt adaptés ; connecter les entreprises aux clients et fournisseurs
les plus dynamiques de l’agglomération ; attirer de nouvelles entreprises par des opérations de marketing… Une des options
est la création d’un business cluster regroupant sur un même espace des entreprises évoluant dans des secteurs proches
ou complémentaires.
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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Pour assurer enfin l’embauche d’habitants, les organisations de quartier peuvent passer des accords préalables avec les
entreprises. La formule la plus utilisée est le « first source agreement » qui fait de l’organisation de quartier la première
« source » de candidatures, à l’instar de dispositifs comparables mis en place par les municipalités (cf. supra). En parallèle,
l’organisation devra préparer les habitants à saisir les emplois en assurant elle-même cette formation ou, plus souvent, en
connectant les habitants à d’autres organismes de formation.
UNE HESITATION ENTRE DEVELOPPEMENT ENDOGENE ET OUVERTURE A L’ECONOMIE METROPOLITAINE
Les projets de développement économique venant d’être décrits sont des opérations souvent complexes qui requièrent des
compétences techniques à la fois précises et étendues, peu familières à beaucoup de CDCs spécialistes du logement. Un
grand nombre de CDCs ont des moyens financiers limités et leurs équipes techniques sont souvent réduites (de six à huit
personnes). Un seul projet de développement pouvant mobiliser l’ensemble de leurs moyens, le fait de procéder projet par
projet ralentit inévitablement le rythme de la revitalisation économique du quartier89.
Pour surmonter leurs obstacles organisationnels et méthodologiques, de multiples réseaux nationaux et locaux, animés par
des coalitions de groupes communautaires, des fondations, des consultants et des universitaires, offrent aux CDCs la
possibilité de recevoir une assistance technique et de connaître les « bonnes pratiques » en matière de développement
économique communautaire lequel n’est pas encore, rappelons-le, le domaine où elles sont les plus aguerries.
S’ajoute parfois un obstacle de nature quasiment idéologique : le mythe du développement endogène. Tous les acteurs
communautaires se rejoignent autour de l’idée d’un partage plus équitable des richesses locales, partage conçu comme la
possibilité pour les plus désavantagés de bénéficier des fruits du développement économique ; ils s’accordent également sur
la nécessaire valorisation des ressources (assets) internes à la communauté du quartier. Mais cette orientation peut se
radicaliser quand l’objectif devient l’auto-suffisance économique du quartier. Celui-ci devrait alors générer quasiment tout
l’emploi et la consommation dont les habitants ont besoin. Cet idéal du développement endogène s’accompagne parfois
d’une dénonciation des flux monétaires (profits, consommation) qui sortent du quartier pour bénéficier à d’autres territoires.
On trouve dans cette vision un legs de l’époque où la ségrégation instituée des Noirs était aussi un système d’exploitation
économique. A partir de prémisses différents, une rhétorique sur le développement durable et équitable, aujourd'hui très
prégnante dans l’univers du développement communautaire, peut aboutir à des conceptions identiques faisant du quartier le
lieu quasi-unique de l’échange productif monétaire et non-monétaire.
Or, cette vision du développement surestime grandement les ressources propres des quartiers et sous-estime l’importance
des interactions entre territoires dans la production des richesses. Il existe certes des raisons de développer la base
économique des quartiers pauvres dans une perspective de développement durable et équitable : permettre aux habitants
de tirer parti de la croissance et d’échapper à la pauvreté, satisfaire les besoins immédiats des consommateurs, valoriser les
espaces vacants et pollués, limiter des déplacements longs et coûteux ainsi que la pollution associée, etc. Mais négliger les
interdépendances entre territoires peut aussi bien pénaliser les plus démunis en les empêchant de tirer le meilleur parti des
opportunités liées à la croissance de leur agglomération. Nombre de CDCs l’ont compris et s’efforcent de penser le
développement de leur territoire dans le cadre plus large de l’économie métropolitaine.
89 S u r c e s l i m i t e s , v o i r F o r d F o u n d a t i o n , S e i z i n g O p p o r t u n i t i e s : t h e R o l e o f C D C s i n U r b a n
Economic Development, 1998
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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4.2 LES COMMUNITY DEVELOPMENT FINANCIAL INSTITUTIONS
LE COMMUNITY REINVESTMENT ACT (CRA)90
En 1977, le Congrès a adopté le Community Reinvestment Act qui, en impliquant le milieu bancaire, allait devenir l’un des
principaux leviers du financement des CDFIs. A l’origine de la loi de 1977 était la lutte contre le « redlining », cette pratique
des banques consistant à entourer d’un trait rouge certains quartiers à éviter pour des activités de prêts (notamment
immobiliers et aux petites entreprises), ces quartiers ayant pour caractéristique commune d’avoir une forte concentration de
minorités ethno-raciales.
Le CRA demandait aux organismes fédéraux de régulation d’évaluer la capacité des banques de dépôts à répondre aux
besoins de crédits des quartiers où elles sont localisées, dans le respect des règles prudentielles. Il était également
demandé aux banques d’afficher les orientations du CRA pour informer leur personnel et de mettre à la disposition du public
les informations concernant leurs performances au regard des exigences du CRA. Cependant, la loi donnait peu
d’indications sur la méthode d’évaluation du système bancaire, et n’accordait pas d’autre pouvoir aux autorités régulatrices
que celui d’utiliser le (mauvais) bilan d’une banque pour lui refuser d’étendre ses activités à l'occasion de fusions ou
d’ouvertures d’agences. De 1977 à 1989, les jugements portés sur l’efficacité du CRA, notamment par les groupes de
pression « communautaires », étaient plus que mitigés. Beaucoup d’établissements bancaires n’avaient fait l’objet d’aucun
contrôle. La disposition permettant d’interdire des opérations nouvelles n’avait jamais été mise en œuvre. Les résultats des
contrôles n’étaient pas publiés et ne portaient que sur les engagements des banques et non sur leurs résultats effectifs.
La loi avait cependant permis aux organisations communautaires représentant les intérêts des quartiers défavorisés
d’interpeller des banques. Sous la pression, certaines banques ont passé des accords -appelés « CRA agreements »- avec
des organisations communautaires. Ces accords prévoyaient d’augmenter le volume des prêts, d’ouvrir des agences dans
les territoires délaissés, d’investir et de prêter à des CDFIs. Sur la base de ces accords, des organisations communautaires
nationales (Center for Community Change, National Community Reinvestment Coalition, Neighborhood Reinvestment
Corporation) ont engagé des campagnes d’information sur les pratiques de prêts (notamment immobiliers), montrant qu’il
était possible de réaliser des opérations profitables dans les quartiers défavorisés.
90 L e s i n f o r m a t i o n s f i g u r a n t d a n s c e t t e p a r t i e s o n t t i r é e s d e M . B u s h , T h e R e c e n t R o l e o f
Community Organizing in the Implementation of the Community Reinvestment Act in the United
S t a t e s, W o o d s t o c k I n s t i t u t e , 1 9 9 9 ; e t d u r a p p o r t d u J o i n t C e n t e r f o r H o u s i n g S t u d i e s , T h e 2 5 t h
Aniversary of the Community Reinvestment Act : Access to Capital in an Evolving Financial
Services System, Ford Foundation, Harvard University, Mars 2002.
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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En 1989, le Congrès a renforcé le dispositif légal en adoptant le Financial Institutions Reform, Recovery, and Enforcement
Act (FIRREA). Cette loi renforçait les obligations des banques en matière de prêts immobiliers en leur imposant d’intégrer
dans leurs bilans des critères ethno-raciaux, de genre et de revenus concernant les demandeurs de prêts. La corrélation
entre ces données et celle de la composition socio-raciale des quartiers devait fournir une base solide pour mettre en
évidence d’éventuelles discriminations. Le FIRREA imposait également la publicité des évaluations effectuées au titre du
CRA.
Ces avancées législatives permirent d’enclencher une dynamique nouvelle. D’autant que les autorités de régulation
paraissaient désormais plus encline à faire jouer leur pouvoir de coercition. En 1989, la Réserve Fédérale a ainsi refusé pour
la première fois, sur la base du CRA, le rachat d’une banque locale par la Continental Bank Corporation. Le même jour, la
banque centrale américaine a publié de nouvelles règles plus contraignantes concernant les contrôles, en précisant les
critères à prendre en compte par les régulateurs et en reconnaissant l’importance des auditions publiques et de l’impulsion
des groupes communautaires dans le processus. L’onde de choc fut considérable, bientôt confortée par des décisions de
justice condamnant des établissements de premier plan tels que la Chevy Chase Federal Savings Bank. Les groupes de
pression communautaires continuaient pourtant de déplorer que les évaluations des performances bancaires reposent
toujours, pour l'essentiel, sur les engagements des banques de dépôts à se conformer aux obligations nées du CRA, plutôt
que sur traduction concrète de ces engagements.
Le tournant majeur est intervenu en 1995, lorsque les régulateurs fédéraux ont redéfinis les procédures pour les recentrer
explicitement sur les performances des banques dans leur zone géographique d’activité. Des évaluations contextualisées
devaient désormais inclure des informations sur les caractéristiques économiques et démographiques de ces zones, estimer
l’offre existante dans les mêmes zones, comparer les performances d’un établissement avec celles d’autres établissements
intervenant dans le même territoire, et informer le public des résultats de l’évaluation. Une notation insuffisante par
l’organisme de contrôle peut poser problème de réels à une banque qui souhaite étendre ses activités ; une notation très
insuffisante peut la soumettre à la pression des groupes communautaires avec les risques inhérents pour réputation de la
banque. Les banques se soumettent aux exigences du CRA au moins autant pour des questions d’image et de réputation –
qui peuvent avoir des conséquences financières- que par crainte de sanctions.
D’autres modifications sont intervenues en 1999 avec le Gramm-Leach-Bliley Financial Modernization Act (GLBA). Cette loi
prévoyait l’obligation de publicité des accords passés avec des organisations (communautaires ou non). La fréquence des
contrôles exercés sur les petites banques (c'est-à-dire ayant des actifs inférieurs à 250 millions de dollars et qui
n’appartiennent pas à une holding dont les actifs excèdent un milliard de dollars) était accrue : tous les cinq ans pour celles
qui ont obtenu une notation excellente, quatre ans pour les notations satisfaisantes et aussi souvent que nécessaire pour les
autres. Pour ces petits établissements, les contrôles d’effectuent selon les critères suivants : ratio prêts/dépôts, prêts
internes/prêts externes à la zone géographique évaluée, distribution géographique des prêts dans la zone en question,
répartition des prêts selon les revenus de l’emprunteur et, le cas échéant, la taille des entreprises. Les investissements et
services de proximité (agences, distributeurs de billet…) peuvent être également pris en compte pour améliorer la notation.
Les règles applicables aux grandes banques sont beaucoup plus contraignantes. Ces établissements doivent rendre compte
chaque année du nombre et du montant des prêts immobiliers et aux petites entreprises (c'est-à-dire dont le chiffre d’affaires
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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annuel est inférieur à un million de dollars), du volume des prêts, des investissements et de l’assistance technique fournis
aux organisations de développement communautaire, mettre enfin à disposition du public les informations relatives aux
investissements et services de proximité effectués dans leurs zones d’activité. Au sein de ces zones, une attention
particulière est accordée aux prestations bénéficiant à des individus et/ou des quartiers pauvres. Les contrôles doivent
comporter en particulier une analyse de la distribution des prêts aux petites entreprises par zones de recensement,
regroupées en quatre catégories de revenus. Ces données n’étaient pas collectées et/ou rendues publiques avant 1995.
Cependant, le fait que cette évaluation ne prenne pas en compte des critères ethno-raciaux ou de genre relatifs aux
entrepreneurs est considéré par certains observateurs comme une limite à l’efficacité du dispositif.
Le débat actuel porte en grande partie sur la question des critères utilisés par les évaluateurs fédéraux. Les banques
déplorent l’arbitraire qui peut résulter du choix de ces critères, définis en fonction du contexte local. Les institutions
financières ont cependant la possibilité d’être évaluées à l’aune d’un « projet stratégique » qu’elles élaborent elles-mêmes.
Ces projets d’une durée de cinq ans maximum sont soumis à l’approbation des autorités régulatrices fédérales. Au
préalable, ils doivent faire l’objet de débats publics avec les organisations communautaires et contenir des objectifs chiffrés.
Selon maints observateurs, l’efficacité du dispositif pourrait encore être améliorée. Des études ont montré, par exemple, qu’il
existait des disparités dans la manière dont les différentes agences fédérales mettent en œuvre leur contrôle.
LES COMMUNITY DEVELOPMENT LOAN FUNDS (CDLFS)
Les Community Development Loan Funds (Fonds de crédit ou fonds d’emprunt pour le développement communautaire) ont
plusieurs origines, parmi lesquelles les efforts conduits dans les années 60 et 70 par quelques CDCs et programmes
gouvernementaux pour apporter du capital aux entreprises localisées dans les quartiers pauvres, et le rôle des « national
intermediaries » créés à l’initiative des fondations Ford et Entreprise pour financer les CDCs ou d’autres organisations
communautaires. En 1985, ces fonds de crédits ont été regroupés au sein d’une association nationale, la National
Association of Community Development Loan Funds, devenue la National Community Capital Association en 1997 (cf. infra).
Ce changement de dénomination rend compte de la diversification des adhérents puisque l'association inclut aujourd'hui
presque tous les types de CDFIs. Elle a joué un rôle actif dans leur expansion et notamment celle des Community
Development Loan Funds, au nombre de plus de 500 aujourd'hui.
Les CDLFs sont des organisations locales à but non lucratif, contrôlés par des acteurs communautaires. La plupart
démarrent leur activité dans un quartier spécifique, mais beaucoup étendent progressivement leur aire d’intervention à une
ville, une agglomération voire au-delà. Le trait commun à ces fonds de crédit est de fournir du capital et une assistance
technique à des entreprises et des organisations communautaires exclues d’autres sources de financement. Exemptés
d’impôts en tant que non-profits, les CDLFs sont financés par des banques commerciales, sociétés d’épargne, crédits
mutuels et autres institutions financières (42% de leurs ressources), des fondations locales et des « intermédiaires
nationaux » (20%), l’État fédéral et les gouvernements locaux (18%), des entreprises privées (8%), des institutions
religieuses (6%) et des individus soucieux d’éthique sociale (4%).
Ces financeurs, appelés « investisseurs sociaux », font des dons ou prêtent de l’argent aux fonds de crédit en acceptant un
retour sur investissement inférieur aux taux du marché, ou sans intérêt. Ces ressources sont ensuite re-prêtées à des taux
variables selon le degré de risque de l’opération, mais néanmoins inférieurs à ceux que pratiqueraient les institutions
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financières traditionnelles. Les crédits peuvent être proposés conjointement avec ces dernières, les CDLFs prenant alors en
charge l’essentiel de la part de risque.
En volume, ces prêts concernent toujours très majoritairement le logement (74%), le reste servant à financer des entreprises
(14%), des services sociaux (9%) et des micro-prêts (3%). Beaucoup de CDLFs commencent par se concentrer sur un
secteur, puis diversifient leur clientèle (le financement du logement et des micro-entreprises est cependant souvent le fait
d’organisations spécialisées dans ces seuls secteurs).
Parce que les prêts des CDLFs sont plus risqués que ceux que les banques classiques sont disposées à accorder, ces
Fonds de crédit communautaires assurent une assistance technique intensive en direction de leurs clients. Cette assistance
est apportée au moment de la préparation du prêt et généralement poursuivie après son obtention. Elle porte sur tous les
aspects de la gestion, depuis la rédaction d’un business plan jusqu’aux stratégies de marketing en passant la gestion
financière. Aussi les taux d’échec dans le remboursement des crédits sont-ils relativement faibles (3,7% en moyenne pour
les entreprises et micro-prêts ; 0,2% seulement pour le logement et les services sociaux)91.
LES MICROENTERPRISE LOAN FUNDS
Les Fonds de crédit pour les micro-entreprises (Microenterprise Loan Funds) sont une catégorie particulière de Fonds de
crédit pour le développement communautaire. Ils proposent des micro-prêts s’inspirant des pratiques de la célèbre Grameen
Bank au Bengladesh ou de FINCA et ACCION en Amérique latine. Ces expériences ont été transposées aux États-Unis à
partir des années 80. Depuis lors, le micro-crédit figure au premier plan de l’agenda politique, surtout depuis le sommet
international tenu à Washington, en 1997, et placé sous le haut patronage d’Hillary Clinton. Plus que tout autre CDFI, les
micro-prêteurs font l’objet d’un consensus des forces politiques américaines et sont souvent présentés comme la panacée.
Leur postulat idéologique est l’empowerment individuel : en créant sa propre entreprise, une personne pauvre peut
reprendre le contrôle de son existence.
Forte de soutiens multiples, la formule des micro-prêts a littéralement explosé aux États-Unis. On comptait environ 700
programmes de ce type, en 2000, correspondant à un investissement cumulé de plus de 160 millions de dollars dans 55 000
projets individuels92. Les programmes en question sont extrêmement divers, tant du point de vue des structures porteuses
que des populations ciblées ou du type de prêts consentis.
Les programmes pionniers étaient généralement le fait de petites organisations non-profit, créées pour ce seul objet. Avec le
temps, des organisations plus importantes (Community Development Loan Funds, Community Development Corporations,
Credit Unions, services sociaux…) ont intégré cette activité parmi leurs prestations. Il s’agit le plus souvent d’organisations à
but non lucratif, mais les micro-prêts sont parfois proposés par des banques commerciales. Certaines organisations ne
prêtent pas directement, mais jouent une fonction d’intermédiaire avec ces banques, tenues de démonter qu’elles prêtent
aussi à la population des quartiers défavorisés.
91 S u r t o u s c e s p o i n t s , v o i r C D F I D a t a P r o j e c t , P r o v i d i n g c a p i t a l , b u i l d i n g c o m m u n i t i e s , c r e a t i n g
impact, Fiscal Year 2002 ; Benjamin et al., op. cit.
92 F I E L D ( F u n d f o r I n n o v a t i o n , E f f e c t i v e n e s s , L e a r n i n g a n d D i s s e m i n a t i o n ) , M i c r o e n t e r p r i s e F a c t
S h e e t S e r i e s, 2 0 0 0
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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Les emprunteurs sont divers, même s’il s’agit le plus souvent de personnes à faibles revenus (« travailleurs pauvres »,
chômeurs, bénéficiaires de l’aide sociale…). Certains programmes ciblent des groupes plus spécifiques : groupes ethniques,
femmes, habitants des quartiers pauvres. De fait, les bénéficiaires réunissent souvent ces trois caractéristiques. Ce sont
souvent (mais pas seulement) des personnes économiquement désavantagées, mais ayant atteint un certain niveau
d’éducation ou de formation93.
La formule originelle est celle du « prêt de groupe » (peer group lending). Les personnes intéressées par un emprunt
forment un groupe qui, après avoir reçu une formation, examine et approuve le prêt de chacun des membres. Si tous les
membres du groupe remboursent correctement leur emprunt, ils peuvent emprunter à nouveau, sans quoi les membres ne
sont pas éligibles pour de futurs prêts. Dans certains cas, le prêt n’est pas consenti aux membres individuels, mais au
groupe lui-même qui le répartit entre les participants ou assure une rotation du prêt entre participants dès qu’un
remboursement est effectué. Cette formule de caution solidaire permet en principe de garantir une meilleure sécurité des
remboursements, de créer un système d’entraide et d’émulation, ainsi que de réduire les coûts de transaction pour le
prêteur94. Faute de donner pleinement satisfaction, ce système a été peu à peu délaissé aux Etats-Unis : 16% des
programmes de micro-entreprises continuent de l’utiliser, tandis que 65% font des prêts individuels et 10% utilisent les deux
méthodes95.
Les organisations proposant ces programmes se sont également aperçues que la grande majorité des participants ne
venaient pas chercher des prêts, mais une formation96. Du coup les programmes ont pris des orientations très distinctes
quant à leurs objectifs et la manière de définir leur succès. Certains se focalisent essentiellement sur la formation, afin de
promouvoir l’auto-suffisance des participants ; des crédits peuvent être proposés, mais ce sont parfois de simples prétextes
pour une démarche éducative97. D’autres programmes continuent de se concentrer sur le prêt dans une optique de
revitalisation économique ; certains s’adressent aux plus démunis pour les aider à échapper à la pauvreté, d’autres
privilégient des micro-entrepreneurs déjà expérimentés98. Dans tous les cas, la plupart des programmes demandent aux
participants de suivre a minima une formation de base sur la vente, le marketing, la gestion financière ou l’écriture d’un
business plan.
Une étude longitudinale conduite par Aspen Institute auprès de 405 micro-entrepreneurs ayant obtenu un prêt montre que
72% d’entre eux ont accru leurs revenus de près de 9 000 dollars par an, en moyenne, permettant à 53% de se situer audessus du seuil de pauvreté dans les cinq ans99. Mais ces résultats sont controversés, certains experts soulignant que le
micro-entrepreneur typique voit au contraire son revenu diminuer100. La plupart travaillent sur leur lieu d’habitation et la
micro-entreprise ne fait souvent qu’apporter un complément de revenu au conjoint salarié (le mari dans beaucoup de cas),
93 P . C l a r k e t a l . , M i c r o e n t e r p r i s e a n d t h e P o o r , T h e A s p e n I n s t i t u t e , 1 9 9 9
94 M . B h a t t , S . - Y . T a n g , M a k i n g M i c r o c r e d i t W o r k i n t h e U n i t e d S t a t e s : S o c i a l , F i n a n c i a l , a n d
Administrative Dimensions, Economic Development Quarterly, vol. 15, n° 3, août 2001
95 F I EL D , o p . c i t .
96 J . L a n g e r e t a l . , 1 9 9 9 D i r e c t o r y o f U . S . M i c r o e n t e r p r i s e P r o g r a m , T h e A s p e n I n s t i t u t e , 1 9 9 9
97 L . J . S e r v o n , B o o t s t r a p C a p i t a l : M i c r o e n t e r p r i s e s a n d t h e A m e r i c a n P o o r , B r o o k i n g I n s t i t u t i o n
Press, 1999
98 J . E l s e , M i c r o e n t e r p r i s e D e v e l o p m e n t i n t h e U . S . , I L O , 2 0 0 0
99 P . C l a r k , o p . c i t .
100 L . Be n ja m in e t a l. , o p . cit .
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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ce qui permet effectivement au ménage de dépasser le seuil de pauvreté, mais pas forcément au micro-entrepreneur luimême101.
Les évaluations montrent que les micro-prêts apportent des bénéfices autres que financiers : confiance et estime de soi,
accès au savoir et inscription dans des réseaux sociaux sont les résultats les plus souvent soulignés102. Lisa J. Servon,
l’universitaire sans doute la plus experte du sujet, voit dans le micro-crédit une stratégie située au carrefour du
développement économique et du travail social, devant être évaluée à l’aune de cette double dimension103.
Dans cette perspective, il faudrait juger acceptables des taux d’insuccès relativement importants et des coûts de gestion
élevés. Si les rapports de la Grameen Bank et d’institutions similaires en Amérique latine ont montré que les échecs étaient
rares, les évaluations américaines aboutissent à des conclusions moins optimistes, du moins très variables d’un programme
à l’autre (entre 2 et 25% de défaillances dans le cas des programmes de peer lending)104. D’autres évaluations montrent que
les coûts de gestion des programmes sont disproportionnés en regard de la taille des prêts105. Les Microenterprise Loan
Funds atteignent par conséquent rarement l’auto-suffisance et nécessitent le soutien constant de financeurs extérieurs, bien
davantage en tous cas que d’autres CDFIs106.
LES COMMUNITY DEVELOPMENT VENTURE CAPITAL (CDVC) FUNDS
Les Fonds de capital-risque pour le développement communautaire (Community Development Venture Capital Funds)
cherchent à soutenir de petites et moyennes entreprises en forte croissance qui créent des emplois bien rémunérés et
accessibles aux personnes faiblement qualifiées, ainsi qu’à promouvoir l’entreprenariat dans les territoires en difficulté
(urbains et ruraux). Le recours au capital-risque par les acteurs du développement communautaire remonte aux premières
CDCs qui ont utilisé les aides fédérales pour développer leurs propres entreprises. L’échec de cette stratégie (cf. supra) les
a conduites à réorienter ces capitaux vers d’autres entreprises du secteur marchand en échange d’une prise de participation
dans leur capital. La pionnière en ce domaine a été Kentucky Highlands Investment Corporation, dont l’expérience fut
célébrée, à la fin des années 70, par de grands journaux économiques. A la même période, beaucoup d’États ont
commencé à mettre en place des fonds de capital-risque mais, sauf exception (celui du Massachusetts en particulier), leur
objectif n’était pas de combattre la pauvreté. De son côté l’État fédéral a proposé les Specialized Small Business Investment
Companies (SSBICs) qui ciblaient les minorités, mais ce programme n’est pas considéré comme probant. Les véritables
moteurs de l’essor des fonds de capital-risque pour le développement communautaire ont été les Community Development
Loan Funds (cf. supra) et les fondations (notamment Ford et MacArthur). Les organisations qui gèrent ces fonds sont
aujourd'hui regroupées au sein du Community Development Venture Capital Alliance qui rassemble plus d’une centaine
d’adhérents.
Comme les autres CDFIs, les fonds de capital-risque pour le développement communautaire se sont accrus en nombre et en
taille au cours des années 90, en partie grâce au soutien de l’administration Clinton. Le point culminant a été l’adoption, en
101L . J. L . Se r vo n , M i c r o e n t e r p r i s e D e v e l o p m e n t a s a n E c o n o m i c A d j u s t m e n t S t r a t e g y , E c o n o m i c
development administration, Rutgers University, 1998
102 E. Ed g co m b e t a l. , T h e P r a c t i c e o f M i c r o e n t e r p r i s e i n t h e U . S . , T h e A s p e n I n s t i t u t e , 1 9 9 6 ; L .
J. Servon, 1999, op. cit ; p. Clark et al, op. cit.
103 L . J. Se r vo n , 1 9 9 9 , o p . c i t .
104 E. Ed g co m b e t a l. , o p . cit .
105 M . Bh a t t , S . - Y . T a n g , o p . c i t .
106 L . J. Se r vo n , 1 9 9 9 , o p . c i t .
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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2000, de la New Markets Initiative qui prévoyait d’apporter 150 millions de dollars à ces fonds. Géré par la Small Business
Administration (SBA), le New Markets Venture Capital Program a vocation à doter de jeunes organisations en subventions
abondées par d’autres financements (matching grants). Ce programme fédéral est géographiquement ciblé : au moins 80%
des fonds de capital-risque doivent être investis dans les quartiers pauvres.
Redoutant que le président Bush, alors nouvellement élu, ne supprime ce programme, l’administration Clinton a demandé au
SBA de désigner rapidement un premier groupe d’entreprises lauréates. En juillet 2001, sept entreprises de capital-risque
pour le développement communautaire étaient choisies (six étaient des CDFIs préexistants et la septième était un fond créé
par l’Université du Maryland). Les craintes de l’équipe Clinton étaient justifiées car le second « round » de désignations n’a
pas été financé par le Congrès à la demande de l’administration Bush en 2003.
Le gouvernement fédéral apporte en moyenne 25% des ressources des CDVC funds. Mais la Kentucky Highlands
Investment Corporation en absorbe à elle seule une grande partie. Les banques et institutions financières sont leurs
principales pourvoyeuses de fonds (31%) et leur implication va croissant dans les CDVC Funds récemment créés. Ces fonds
sont perçus positivement par le secteur bancaire et financier et y investir leur permet de satisfaire à leurs obligations légales.
Les autres financeurs majeurs des CDVC Funds sont les fondations (16%) et les collectivités locales (11%).
Selon les cas, les structures qui gèrent les Fonds de capital-risque sont non-profit ou forprofit. Leurs conseils
d'administration comprennent le plus souvent des organisations communautaires, des chefs d’entreprises et des
représentants des administrations publiques.
Un investissement sous forme de capital-risque ne rapporte généralement pas de dividendes avant une échéance lointaine
(au moins cinq ans). Le retour sur investissement de ce « capital patient » n’est substantiel que si l’entreprise s’est
développée continûment pendant cette période. Le fonds peut alors vendre ses parts et réaliser un profit important. Si les
financeurs des Fonds de capital-risque communautaires n’attendent pas de gains comparables à ceux que réalisent les
investisseurs en capital-risque traditionnels, leurs gestionnaires communautaires sont néanmoins soucieux de la rentabilité
de leurs investissements. C’est la condition pour attirer de nouveaux investisseurs et prospérer. Une forte profitabilité est
également un gage de la réussite des entreprises financées107.
Tout l’enjeu consiste à trouver un point d’équilibre satisfaisant entre objectifs financiers et sociaux. Le critère de la réussite
sociale est la création d’emplois de qualité bénéficiant à des personnes pauvres. De ce point de vue, le bilan des CDVC
Funds semble flatteur. Selon une organisation réunissant des données sur les CDFIs, les entreprises soutenues par 10
fonds étudiés ont accru de 103,6% le nombre d’emplois équivalent temps plein destinés à des personnes pauvres (lowincome jobs), entre leur premier investissement en capital-risque et la fin 2002, alors que les autres types d’emploi ont crû de
25,3% dans la même période108.
Un autre aspect central de la mission de ces fonds est la fourniture d’une assistance technique intensive, non seulement aux
entreprises figurant dans leur portefeuille, ou à celles qui pourraient y entrer. Compte tenu du prix élevé des cabinets de
107 Su r t o u s ce s p o in t s, vo ir J. S. R u b in , C o m m u n i t y d e v e l o p m e n t v e n t u r e c a p i t a l : a d o u b l e bottom line approach to poverty alleviation, Proceedings, avril 2001 ; T. Bates, Government as
venture capital catalyst : pitfalls and promising approaches, Economic development quarterly, vol.
16, n° 1, février 2002
108 C D F I D a t a Pr o je ct , o p . cit .
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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consultants spécialisés, les managers des CDVC Fund passent eux-mêmes collectivement en revue des milliers de business
plans chaque année, ou alors font appel à des experts qui interviennent sur une base volontaire109.
109 J. S. R u b in , o p . cit .
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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LES COMMUNITY DEVELOPMENT BANKS (CD BANKS)
Comme leur nom l’indique, les Community Development Banks sont des banques de dépôt dont la mission première est de
financer les initiatives de développement communautaire et d’encourager notamment la revitalisation économique des
quartiers pauvres. La pionnière est la South Shore Bank de Chicago, créée dans les années 70 par des investisseurs qui
voulaient démontrer qu’une activité de prêt pouvait être rentable dans les zones négativement discriminées par les banques.
Une organisation parente de South Shore (Shorebank) possède aujourd'hui une douzaine de filiales opérant à travers le
pays. D’autres CD Banks se sont créées dans les années 90, leur nombre total passant de 27 en 1992 à 39 en 2001. Le
montant total des dépôts dans ces établissements est passé dans le même temps de 61,5 millions de dollars à 108,1
millions110.
Les Community Development Banks proposent des prêts à des acteurs très divers : petites entreprises, développeurs
d’immobilier commercial, organisations non-profit, organisations spécialisées la réhabilitation de logements bon marché,
particuliers souhaitant acheter ou rénover leur logement, etc. Le crédit aux petites entreprises représente la majorité du
volume de leurs prêts, tandis que les crédits personnels à la consommation (souvent d’un faible montant) et « l’éducation »
des emprunteurs représentent la majorité de leurs opérations. Il s’agit d’éviter à ces populations d’avoir recours à des
prêteurs pratiquant des taux proches de l’usure (predatory lending).
Pour recevoir un agrément, les Community Development Banks doivent réunir un capital minimum (en principe supérieur à 5
millions de dollars) qu’elles sollicitent auprès de particuliers et d’institutions. En raison de la modestie de leurs actifs et des
faibles marges qu’elles réalisent, leurs programmes sont limités en comparaison de ceux d’autres CDFIs. Les règles
prudentielles auxquelles elles sont soumises limitent leurs prises de participation dans le capital des sociétés (equity).
Contrairement aux Community Loan Funds qui ne sont pas régulés par les lois bancaires, les CD banks doivent atteindre à
terme une auto-suffisance financière. Leurs opérations sont cependant plus coûteuses que les opérations de banque
traditionnelles et leurs performances financières sont moins élevées. Les défaillances sont plus importantes en matière de
remboursement d’emprunts, notamment ceux des petites entreprises, mais les CD Banks ne peuvent les compenser en
augmentant exagérément leurs taux d’intérêt, sauf à renier leur mission sociale. De plus, elles passent beaucoup plus de
temps avec leurs clients qu’une banque ordinaire, ce qui demande du personnel et des ressources. L’équilibre financier
d’une banque de développement communautaire dépend par conséquent de leur capacité à attirer des ressources qu’elles
remboursent avec de faibles taux d’intérêt. C’est pourquoi elles s’adressent à ces investisseurs sociaux qui acceptent de
renoncer à un rendement élevé de leurs investissements pourvu que l’organisation réalise ses buts sociaux111.
110 W o o d s t o c k I n s t i t u t e , D o i n g W e l l W h i l e D o i n g G o o d : t h e G r o w t h o f C o m m u n i t y D e v e l o p m e n t
Banking : 1992-2001, Reinvestment Alert, n° 18, septembre 2002
111 Su r t o u s ce s p o in t s, vo ir L . Be n ja m in e t a l. , o p . cit .
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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LES COMMUNITY DEVELOPMENT CREDIT UNIONS (CDCU)
Les Mutuelles de crédit pour le développement communautaire ont une longue histoire aux États-Unis. La première a été
créée au début du siècle précédent en s’inspirant des sociétés d’aide mutuelle qui proliféraient dans beaucoup de
communautés d’immigrants. D’autres furent créées dans le sud rural, durant la Grande dépression, à l’instigation d’églises
de la communauté noire. Le principal objet de ces mutuelles de crédit était l’épargne et la mise à disposition de petites
sommes d’argent assurant la survie de leurs membres. C’est à partir des années 60 que les Community Development Credit
Unions ont connu une réelle expansion, impulsée par l’administration fédérale. 400 organismes de ce type ont été créés
entre 1964 et 1973. Mais beaucoup ont fait faillite en raison du manque de savoir faire de leurs gestionnaires. En dépit de
ces échecs à répétition, de nouvelles CDCUs ont vu le jour dans les années qui suivirent, en réponse aux discriminations
des banques traditionnelles, puis au désengagement de l’État fédéral. Dans les années 90, l’action résolue de la Fédération
nationale (National Federation of Community Development Credit Unions), conjuguée au soutien actif de l’administration
Clinton et des fondations, ont accéléré la croissance du secteur : on comptait 538 établissements en 1999, contre 142 en
1990 ; dans le même temps, le montant des dépôts a quadruplé pour dépasser 2 milliards de dollars et le nombre moyen de
clients par établissement est passé de 1 400 à près de 2 400.
Leurs clients sont propriétaires de ces organisations non-profit. Dans le champ traditionnel des mutuelles, l’adhésion est
ouverte à certaines catégories de clients généralement définis par leur appartenance à certaines entreprises ou syndicats.
Dans le champ du développement communautaire, les mutuelles de crédit adoptent une définition plus large, centrée sur le
revenu des clients. Celui-ci doit être inférieur à 80% du revenu médian de leur agglomération.
Les CDCUs sont fortement ancrés dans les quartiers qu’ils servent et leurs conseils d'administration sont composés pour
l’essentiel de volontaires émanant de ces quartiers. Dans les organismes de très petite taille, le principe « une personne,
une voix » n’est pas seulement formel ; il peut se traduire par une implication directe des clients dans les orientations de la
Credit Union.
Les sources de financement des CDCUs sont triples : les dépôts de leurs clients qui peuvent être des particuliers ou des
organisations ; les apports en capital, venant le plus souvent des États, des institutions financières commerciales et des
fondations ; les dépôts d’institutions non-adhérentes, principalement des fondations et des institutions financières
commerciales. Ces derniers types de dépôts sont souvent essentiels à la survie des plus petits CDCUs. Car les CDCUs sont
généralement de petite dimension. En 1999, 64% avaient des actifs inférieurs à 5 millions et inférieurs à 1 million de dollars
pour la moitié d’entre eux. Mais à l’inverse, certains pèsent pour plus de 40 millions de dollars.
Ces établissements sont exemptés de tous les impôts fédéraux et de la plupart des impôts locaux, ce qui leur permet de
proposer des services bancaires bon marché et des prêts à faibles taux. Souvent d’un faible montant, leurs prêts peuvent
servir à promouvoir le développement économique, mais seuls les membres des CDCUs peuvent y prétendre et peu de
CDCUs ont été autorisées par les instances de régulation bancaire à consentir cette sorte de prêts pour des motifs de
sûreté.
Le principal objectif des CDCUs est « l’empowerment » individuel qui passe par la responsabilisation des personnes pauvres
et modestes dans la gestion de leurs revenus et épargne. Ces mutuelles ont donc une parenté avec les programmes de
micro-crédit, la plupart proposant une assistance technique personnalisée à leurs clients, aux petites entreprises et à
d’autres organisations communautaires.
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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Les Mutuelles de crédit communautaires ont généralement besoin de peu financement pour démarrer, mais leur clientèle
spécifique engendre des coûts importants liés à la petite taille des comptes et des prêts, ainsi qu’à des opérations et
conseils financiers plus fréquents. En dépit du soutien accordé par leurs « sponsors », beaucoup ont du mal à trouver un
équilibre financier. Du coup, les CDCUs ont tendance à s’en remettre au bénévolat, ce qui garantit le respect de leurs
missions sociales, mais limite leur potentiel de développement. Le manque de personnel qualifié est la principale raison pour
laquelle les taux de faillite demeurent importants (environ 50% pour les CDCUs créés dans les années 90). Ce qui
n’empêche pas la création d’un nombre toujours croissant d’établissements de ce type112.
112 Su r le s d é ve l o p p e m e n t s q u i p r é c è d e n t v o i r C . D . T a n s e y , C o m m u n i t y D e v e l o p m e n t C r e d i t
Unions : an Emerging Player in Low-Income Communities, Capital Xchange, septembre 2001 ; J.
DeFilippis, On Community, Economic Development and Credit Unions : the Case of Bethex FCU
and the South Bronx, Working paper, COMM-ORG, 2001 ; L. Benjamin et al. op. cit.
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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4.3 LES WORKFORCE INTERMEDIARIES
UNE DOUBLE CLIENTELE : LES EMPLOYEURS ET LES PERSONNES DESAVANTAGEES SUR LE MARCHE DU TRAVAIL
Au début des années 90, la fondation Ford a demandé à une équipe de chercheurs d’étudier les activités de formation et de
placement en emploi dans le champ du développement économique communautaire. Dix dispositifs ont été analysés dans le
détail, principalement portés par des Community Development Corporations. Les chercheurs ont souligné l’importance du
concept de réseau (network) pour rendre compte de ces expériences et notamment des stratégies visant à connecter les
habitants à des emplois localisés en dehors de leur quartier. Selon les cas, les CDCs sont apparues comme le pivot de ces
réseaux ou comme un chaînon dans le large éventail de services qu’ils s’efforcent de coordonner113.
Parmi les expériences examinées, deux ont acquis une notoriété nationale du fait de leur capacité à assurer la promotion
économique de personnes faiblement qualifiées, cela dans un contexte de fort scepticisme sur la performance des
programmes publics d’emploi et de formation (cf. supra). Ces deux dispositifs avaient pour point commun d’être initiés par
des organisations communautaires ayant réussi à établir des liens très forts avec les employeurs (un point faible de la
plupart des programmes traditionnels) et de proposer un éventail de services comprenant une formation extensive, au lieu
de viser un placement immédiat en emploi sans possibilité de promotion future. En apportant simultanément des réponses
aux besoins des entreprises locales et des personnes en quête d’intégration professionnelle, ces expériences s’adressaient
à une « double clientèle ». Cette notion de programmes « dual costumer » allait faire fortune pour décrire l’originalité des
« intermédiaires de l’emploi » (Workforce Intermediaries).
L’un des programmes les plus connus est conduit par le Center for Employment Training (CET) à San Jose (Californie). Créé
en 1967, le CET s’adresse principalement à des personnes d’origine mexicaine, souvent d’anciens paysans dépourvus de
qualifications reconnues, mais aussi à des mères de famille dépendantes de l’assistance publique, à des jeunes ayant
abandonné précocement l’école ou à d’anciens détenus. A ces différents publics, le CET propose à la fois une remise à
niveau éducative et une formation en situation de travail. Dans le même temps, le CET s’est bâti une réputation
d’organisation capable de répondre aux besoins de recrutement des entreprises de la Silicon Valley, en pleine croissance
sur un marché du travail tendu. Les évaluations de ce programme ont régulièrement fait état d’une hausse significative du
revenu annuel des publics mis en relation avec ces entreprises, de l’ordre de 8 000 dollars au bout de deux ou trois années
de suivi. Impressionné par ces performances, le ministère fédéral du travail (Department of Labor) a promu, à partir du milieu
des années 90, la reproduction du modèle « CET » dans différentes villes des États-Unis114.
113 B. H a r r iso n e t a l. , o p . cit .
114 U . S. D e p a r t m e n t o f L a b o r , W h a t ’ s W o r k i n g ( A n d W h a t ’ s N o t ) , 1 9 9 5
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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Une source d’inspiration majeure des Workforce Intermediaries vient des programmes financés par des fondations à partir
des années 90. Comme celui de Project QUEST (cf. infra), ces programmes se focalisent sur des métiers et filières
d’activités spécifiques. Les plus connus de ces programmes sont le Sectoral Employment Development Project et la Sectoral
Employment Initiative, respectivement financés par les fondations Charles Stewart Mott et Ford. Ces stratégies
« sectorielles » sont en phase avec l’évolution des politiques de développement économique qui tendent à se focaliser eux
aussi sur des « clusters » (cf. supra). Mais en matière d’emploi et de formation, les « sectoral strategies » se concentrent sur
des métiers (occupations) spécifiques.
Cette approche n’est pas entièrement nouvelle. Une publication de Aspen Institute, en 1995, avait montré comment des
initiatives portées par des structures diverses (organisations communautaires, groupement d’employeurs, centres de
formation, agences publiques…), incorporaient ces mêmes principes : le ciblage sur des métiers spécifiques dans une filière
donnée où existe un gisement d’emplois de qualité accessibles aux moins qualifiés ; la capacité de répondre dans des délais
très courts aux évolutions du marché local de l’emploi ; une double approche consistant à améliorer la compétitivité des
entreprises et à traiter les barrières de populations servies, au-delà du seul problème de la qualification. Cependant, le
même document soulignait les limites de ces expériences comme instruments d’intégration des personnes de couleur issues
des quartiers pauvres. Les intérêts des de ces personnes étaient mal représentés, surtout quand les syndicats étaient
influents, les sectoral strategies ayant alors tendance à privilégier les personnes licenciées ayant déjà une expérience de
travail115.
Les initiatives des fondations Charles Stewart Mott et Ford ont cherché à corriger ces défauts en sélectionnant notamment
des opérateurs travaillant avec des personnes appartenant aux minorités ethniques. Les évaluations des deux programmes
sont là aussi positives, montrant une augmentation du revenu des bénéficiaires, très inégale cependant d’un site à l’autre.
Une autre limite ressort de ces évaluations : si les participants sont pour la plupart des personnes de couleur désavantagées
au plan économique, elles ne sont pas forcément les plus éloignées de l’emploi, ceux que les Américains appellent « the
hardest-to-serve ». Une majorité des participants aux programmes avait en effet un niveau bac et avait travaillé dans
l’année116.
De manière générale, l’effet « d’écrémage » dans les Workforce Intermediaries paraît très variable d’une organisation à
l’autre. Les procédures de sélection des participants aboutissent selon les cas à l’exclusion du public confronté à de
« multiples barrières » ou au contraire à une forme de spécialisation sur ce créneau. Reste que, dans tous les cas, les
Workforce Intermediaries se préoccupent davantage de ce public que les programmes de droit commun117.
Une autre limitation des stratégies « sectorielles » concerne leur impact sur les quartiers pauvres. Organisées à l’échelle des
agglomérations, elles drainent des participants de tous quartiers et sont rarement conçues pour avoir un impact significatif
sur un quartier précis. En conséquence, un programme sectoriel ne constitue généralement pas une réponse complète au
problème de l’emploi dans un quartier donné, mais il peut être l’une des composantes d’une stratégie plus globale. Dans ce
cas, la mission principale des organisations de quartier consiste à recruter des habitants et à leur fournir le cas échéant une
115 P. C la r k, S. L . D a w so n , o p . cit .
116 M . E l l i o t t e t a l . , G e a r i n g U p . A n I n t e r i m R e p o r t o n t h e S e c t o r a l E m p l o y m e n t I n i t i a t i v e ,
Public/Private Ventures, 2001 ; I. Rademacher, Working With Value : Industry-Specific
Approaches to Workforce Development, The Aspen Institute, 2002
117 R . P. G ilo t h , I n t r o d u c t i o n : a C a s e f o r W o r k f o r c e I n t e r m e d i a r i e s, i n R . P . G i l o t h ( d i r . ) , o p . c i t .
2004
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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pré-formation pour les rendre éligibles à ces programmes118. Certaines initiatives conçues à l’échelle des agglomérations
ciblent néanmoins la population de quartiers spécifiques. C’est le cas d’un projet lancé en 1995 par Annie E. Casey
Foundation. Intitulé Jobs Initiative, ce programme d’une durée de huit ans et doté d’un budget de 30 millions de dollars,
exigeait que la moitié des participants soit des personnes de moins de 35 ans résidents de quartiers pré-définis dénommés
« Impact Communities » (cf. infra). Un autre projet soutenu par plusieurs fondations, Neighborhood Jobs Initiative, fixe des
objectifs quantifiés de réduction du chômage dans cinq quartiers de 15 000 habitants environ.
UNE FONCTION D’ANIMATION DE RESEAUX
Par-delà la diversité de leurs origines institutionnelles et de leurs priorités programmatiques, les Workforce Intermediaries
partagent plusieurs caractéristiques communes. Que ces intermédiaires délivrent ou non directement des services d’emploi
et de formation, ils se donnent tous pour mission d’animer un réseau d’acteurs pertinents pour créer des programmes
souvent relatifs à un (ou plusieurs) secteur(s) d’activité et type(s) de métier(s), qui bénéficient tant aux employeurs qu’aux
personnes économiquement désavantagées. Généralement constitués à l’échelle du marché local du travail, c'est-à-dire
l’agglomération, ces réseaux regroupent autour d’une organisation « pivot » (une CDC, un service municipal, un syndicat
professionnel, une université…) d’autres acteurs tout aussi divers. La formalisation d’une « structure de gouvernance » et le
maintien d’une mobilisation optimale des partenaires est un aspect crucial de la réussite des Workforce Intermediaries.
Un autre aspect essentiel de l’animation du réseau concerne la collecte d’une information fine sur l’évolution des secteurs
d’activités et postes d’emplois sur le marché local du travail. Cette information doit être actualisée en permanence, des
opportunités d’emplois pouvant apparaître et disparaître très rapidement. Les Workforce Intermediaries les plus performants
font montre d’une grande réactivité face à des évolutions qui peuvent les conduire à refaçonner leurs programmes en
continu ou en concevoir de nouveaux. Il ne s’agit pas seulement de diffuser une information sur les entreprises qui recrutent,
mais de créer avec celles-ci des programmes répondant à des besoins insatisfaits sur le moment, ou à anticiper leurs
besoins futurs. Contrairement aux dispositifs traditionnels qui traitent des besoins d’un employeur individuel, les Workforce
Intermediaries agrègent les besoins communs d’un groupe d’employeurs appartenant à une même filière d’activités. Là où
un employeur individuel manque de temps et de compétences pour prendre à lui seul une initiative, il sera incité à participer
si un tiers permet de réaliser des économies d’échelle. Dans le meilleur des cas, cette mutualisation permet aussi de relier
les programmes de formation et d’emploi aux stratégies de développement économique centrées sur une filière, par exemple
dans le cadre d’un cluster.
La fonction d’animation de ces réseaux requiert ainsi une aptitude à parler le langage des entreprises et des pouvoirs
publics, en même temps que d’être capable de représenter les intérêts des personnes désavantagées. Mais le gage de
réussite le plus important réside dans la confiance des employeurs. C’est pourquoi la plupart des Workforce Intermediaries
font appel à une personne ou une équipe ayant une connaissance intime du monde des entreprises119.
UN POTENTIEL DE « CHANGEMENT SYSTEMIQUE »
118 W . F le isch e r , J. D r e ssn e r , P r o v i d i n g t h e M i s s i n g L i n k : a M o d e l f o r a N e i g h b o r h o o d - F o c u s e d
Employment Program, Annie E. Casey Foundation, 2002
119 Su r t o u s le s p o in t s q u i p r é c è d e n t , v o i r J o b s f o r t h e F u t u r e , W o r k f o r c e I n t e r m e d i a r i e s a n d T h e i r
Roles in Promoting Advancement, janvier 2004
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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Le thème du « changement systémique » est commun à beaucoup de Workforce Intermediaries qui ne veulent pas se
contenter d’assurer l’interface entre employeurs et demandeurs d’emploi. La plupart affichent des buts plus ambitieux et
cherchent à faire évoluer les comportements des firmes ou des politiques publiques locales120. En infléchissant les pratiques
des entreprises et l’orientation des politiques publiques, le but ultime est d’améliorer les conditions d’accès de l’ensemble
des demandeurs d’emploi à des métiers ciblés sur le marché local du travail.
Vis-à-vis des entreprises, le changement consiste à négocier un meilleur niveau de salaires pour un métier donné, à
conduire les employeurs à modifier leurs critères d’embauche, à obtenir d’eux qu’ils s’investissent dans la formation de leurs
employés ou qu’ils redéfinissent les parcours de promotion internes à l’entreprise etc.
Les Workforce Intermediaries peuvent également inciter les institutions publiques locales à coopérer pour créer un
environnement plus efficace et équitable. Beaucoup de stratégies de promotion des personnes économiquement
désavantagées supposent une réorientation des politiques publiques, que cela passe par un surcroît de ressources pour des
activités traditionnellement négligées ou par la levée des obstacles à l’innovation, par exemple la modification des objectifs
de résultats assignés à un programme public, dont on a dit qu’ils risquaient d’évincer les publics les plus éloignés de
l’emploi. Il peut s’agir également d’intégrer la dimension « accès à l’emploi des publics défavorisés » dans les stratégies
locales de développement économique121.
Enfin, les expérimentations conduites dans le champ des Workforce Intermediaries sont souvent conçues et financées dans
une perspective de transférabilité, soit à d’autres secteurs professionnels, soit sur d’autres sites. L’un des objets de
l’abondante littérature existant sur le sujet, souvent financée par des fondations, est de convaincre les décideurs publics et
privés, locaux et nationaux, de la pertinence de cette approche tant pour améliorer la performance de l’économie que de
répondre aux difficultés d’emploi de ceux qui restent aux marges du marché du travail.
120 Vo ir R . Ka zis, W h a t D o W o r k f o r c e I n t e r m e d i a r i e s D o ? , i n R . P . G i l o t h ( d i r . ) , o p . c i t . 2 0 0 4
121 Su r ce d e r n ie r p o in t , vo ir J. F it zg e r a ld , M o v i n g t h e W o r k f o r c e I n t e r m e d i a r y A g e n d a F o r w a r d ,
Economic Development Quarterly, vol. 18, n° 1, février 2004
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
- 51 -
5. COMPTE-RENDU DE LA MISSION D’ETUDE AUX ETATS-UNIS
La visite d’une quinzaine d’organisations à New York, Newark, Philadelphie et Washington DC a permis de porter un regard
plus précis sur trois dimensions du développement économique communautaire : les stratégies globales de revitalisation,
l’accès au capital et l’accès à l’emploi.
Les stratégies globales de revitalisation d’un ou plusieurs quartier(s) reposent sur une conjonction variable d’actions
économiques, sociales, urbaines et civiques. Dans trois des cas étudiés (New Community Corporation, Church Avenue
Merchants Block Association, Bedford Stuyvesant Restoration Corporation), ces stratégies sont portées par une organisation
« communautaire » en position quasi hégémonique sur un territoire donné. Dans un autre cas (University City District), la
stratégie est définie dans le cadre d’un partenariat avec une institution privée (University of Pennsylvania). Dans deux autres
cas, enfin, il s’agit d’organisations intervenant à une échelle plus large et qui jouent un rôle d’impulsion, de financement et/ou
de coordination de l’action des organisations de quartier (Philadelphia Empowerment Zone, The Reinvestment Fund).
Le second volet de la visite a porté sur des organisations spécialisées dans l’accès au capital comme vecteur de
développement économique dans les quartiers défavorisés. Les responsables de trois programmes fédéraux (CDFI Fund,
HUBZones, SBA’s Micro Loan Program) ont été rencontrés, de même qu’une représente de ACCION, dont l’agence newyorkaise est le plus important des organismes de micro-prêts aux Etats-Unis. Enfin, la rencontre avec les responsables d’une
fédération nationale de CDFIs (New Community Capital Association) a permis d’entendre le point de vue des intermédiaires
financiers du développement communautaire.
Le dernier volet de la visite concernait des organisations spécialisées dans l’accès à l’emploi des populations défavorisées.
Le système public des One-Stop Centers a été observé à Philadelphie (CareerLinks). Une représentante d’Aspen Institute,
chargée d’évaluer les Workforce Intermediaries, a relaté l’expérience de Project Quest à San Antonio. Une organisation
spécialisée dans les soins à domicile a été étudiée à New York (Cooperative Home Care Associates) et Philadelphie (Home
Care Associates). Enfin, le responsable du programme « Jobs Initiative » de la fondation Annie E. Casey a évoqué les
conditions de réussite de ce type d’expériences, à partir des exemples du Wisconsin Regional Training Partnership et du
Seattle Jobs Initiative.
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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5.1 LES STRATEGIES GLOBALES DE REVITALISATION
NEW COMMUNITY CORPORATION (NCC)
Personnes rencontrées :
Ellen Boddie, Licensed Practical Nurses Program
Elyse Henry, Workforce Development
Jo Ann Laurel, Gateway to Work and Rapid Transition Service
Leslie D. Lesley, Marketing and Communication Relations
Willam J. Linder, President
Dan Passarella, Workforce Development Management
Jo Ann Williams, Gateway to Work Support Service
Durant l’été 1967, de sanglantes émeutes (23 morts) ravagent le quartier de Central Ward, le plus pauvre et le plus peuplé
de la ville de Newark (New Jersey). Les émeutes avaient laissé le quartier exsangue. Les besoins étaient criants en matière
de logement, d’emploi et de services essentiels. Face au désintérêt de la municipalité pour ce quartier essentiellement Afroaméricain, des habitants emmenés par un jeune prêtre non conventionnel (William J. Linder) ont décidé de fonder New
Community Corporation à la fin des années 60. La renaissance du quartier de Central Ward a valu une grande renommée
nationale et internationale à cette Community Development Corporation, devenue l’une des plus importantes du pays..
La première des priorités de l’organisation fut d’offrir des logements bon marché et de qualité aux habitants pauvres de
Central Ward, et de prendre appui sur ces logements pour ancrer les processus de participation. NCC possède aujourd'hui
plus de 3 000 logements, adaptés à différentes clientèles (locatif social, résidentiel pour personnes âgées, en accès à la
propriété, temporaire pour les SDF…).
Le champ des activités de NCC s’est rapidement étendu à d’autres domaines au nom d’une approche « holistique ».
Devenue le premier employeur de Newark, avec 2 300 salariés, NCC gère un nombre considérable de programmes en
matière d’éducation, notamment deux « charter schools »122), des équipements pour la petite enfance, des actions pour la
jeunesse, en matière de santé, de formation professionnelle, de culture.... Dans le cadre d’un réseau d’organisations (New
Community Network) dont elle est le pivot, NCC a contribué à l’essor d’une organisation parente (The Hispanic Development
Corporation) dans le quartier voisin de Lower Roseville pour répondre aux besoins plus spécifiques de la population
hispanique (formation linguistique, assistance juridique aux immigrants, événements culturels…).
Les réalisations économiques de New Community Corporation couvrent tout le champ du développement économique
communautaire. Le New Community Development Loan Corporation permet à des entrepreneurs locaux négligés par les
122
Ecoles sous contrat appliquant une pédagogie spécifique.
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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institutions financières classiques d’avoir accès au capital. Aux prêts visant le développement d’entreprises existantes,
s’ajoutent des investissements sous forme de capital-risque.
L’un des points forts de NCC concerne les commerces de proximité. Après les émeutes, tout restait à faire en la matière. La
plupart des enseignes commerciales avaient déserté Central Ward. Les habitants de ce quartier de 55 000 habitants étaient
obligés de parcourir de grandes distances pour trouver des produits de première nécessité. New Community Corporation
s’est battue pour que la ville lui cède un terrain sur lequel se sont établis un supermarché et quatre magasins franchisés que
gère NCC. Le supermarché reçoit 50 000 clients chaque semaine. Plus de la moitié de ses 250 employés viennent de
Newark, tandis que les magasins franchisés ont généré 93 emplois. Le supermarché a longtemps été co-géré avec la chaîne
Pathmark (qui possède 146 établissements aux USA). NCC a récemment décidé de lui revendre les deux tiers du capital du
supermarché qu’elle détenait. L’opération a permis un excellent retour sur investissement, réinvesti dans d’autres activités
de la CDC.
Les multiples activités de NCC ont généré de nombreux emplois, dans la construction de logement, la sécurité, la santé,
l’éducation, etc. En vertu de son approche holistique -celle d’un continuum de services proposés aux habitants depuis l’âge
pré-natal jusqu’à la retraite- NCC prépare les habitants à saisir ces opportunités d’emploi ou d'autres opportunités à l’échelle
de l’agglomération, au travers de nombreux programmes mis en place par son Department of Human Development. Une
stratégie d’éducation tout au long de la vie se déploie dans ce cadre.
Pour les jeunes et les adultes, NCC a créé un Workforce Development Center (Centre de Ressources Humaines) qui
constitue désormais le premier point d’accueil (One-Stop Center) de l’État du New Jersey. Ouvert en 1999, il est le fruit d’un
partenariat entre NCC, des fondations, des institutions financières privées et des agences gouvernementales. Ce centre
offre des prestations d’accueil, d’orientation, de formation et de placement des demandeurs d’emploi. En son sein, un
programme intitulé « Literacy Education Achievement Program » propose une remise à niveau des compétences de base.
D’autres programmes préparent plus spécifiquement aux métiers de la santé, de l’informatique, de la mécanique, de la
sécurité et de la restauration :
•
Licensed Practical Nurse : NCC a reçu un agrément pour délivrer ce diplôme d’« infirmière auxiliaire diplômée », le
plus important des programmes de formation de l’organisation, dans un secteur tendu où les salaires augmentent
rapidement. Les personnes formées passent de 8 dollars de l’heure pendant la durée de la formation à 26 dollars
de l'heure, une fois embauchées par NCC ; pour ne pas avoir à rembourser leur indemnité, elles doivent s’engager
à travailler trois ans pour NCC. La formation dure 14 mois, dont une majorité à dominante pratique dans différents
hôpitaux de la région. En sus de la formation, NCC offre de nombreuses facilités (prêts d’argent, soutien
psychologique…) aux personnes formées qui sont souvent des mères célibataires dépendantes de l’assistance
sociale.
•
Certified Nurse's Aides : ce diplôme d’infirmier assistant permet de travailler dans une grande variété de structures
de soins.
•
Home Health Aides : il s’agit d’une formation de soins à domicile, un secteur très porteur aux États-Unis.
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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•
Clinical Medical Assistants : il s’agit de préparer à des postes de premier niveau de qualification dans différentes
spécialités médicales ou dans les fonctions administratives médicales.
•
Personal Computer Office Specialists : ce programme de perfectionnement informatique prépare à des postes
administratifs dans différents métiers du secteur secondaire et tertiaire (public et privé).
•
CISCO Networkers : il s’agit d’un joint-venture entre NCC et Cisco Systems, leader mondial en matière de réseaux
Internet ; les étudiants peuvent obtenir le diplôme de Cisco Certified Network Administrator.
•
Automotive Technicians : ce programme prépare aux carrières de techniciens dans la filière automobile ; le centre
de formation est situé dans un garage équipé avec du matériel dernier cri, obtenu grâce à un don d’un million de
dollars de Ford ; le diplôme obtenu est certifié par Ford, ce qui lui donne une grande valeur sur le marché du
travail.
•
Building Trades, Security Officer et Culinary Arts Specialists : ces formations concernent respectivement les
métiers du bâtiment, de la sécurité et de la cuisine.
New Community Corporation est également opérateur de formation et de placement dans le cadre de la réforme du welfare.
Avec plus de 2 000 personnes par an, son programme Gateway To Work est le plus important programme de « welfare-towork » du New Jersey. Les financements proviennent du County, de l’État New Jersey, de plusieurs agences fédérales ainsi
que de fondations privées. Pour sa mise en oeuvre, NCC a établi des liens étroits avec différents employeurs de la région
pour préparer les bénéficiaires du programme à des emplois qui se créent effectivement. Les formations sont de courte
durée, mais l’obtention d’un emploi est quasi assuré. Ainsi, dans le cadre d’un partenariat avec ShopRite (une chaîne de
magasins), NCC a formé plus de 100 caissiers et manutentionnaires recrutés dans les magasins de la région. Un partenariat
similaire a été mis en place avec les hôtels Marriott. Les taux de placement et de maintien dans l’emploi sont de l’ordre de
65% dans le cadre de ce programme qui fournit toute une série d’aides permettant de lever les barrières à l’emploi
(transports avec notamment la mise en place d’un système de bus à horaires décalés, garde d’enfants, maîtrise de la
langue, santé et usage de drogues, « relooking »…). Une évaluation du cabinet KOG Associates a montré que pour chaque
dollar investi dans le programme, la collectivité obtenait un retour de 4,24 dollars.
Le programme Gateway to Work s’inscrit dans la logique « work first » imposée par le gouvernement fédéral (cf. supra).
Cependant, si à la fin de la phase de travail, les anciens bénéficiaires de l’aide sociale désirent suivre une formation plus
poussée, ils doivent en faire la demande à leur référent (au niveau du County). En cas d’accord, des passerelles sont alors
aménagées entre Gateway et les autres programmes de formation proposés par NCC.
Plus récemment, NCC a créé un nouveau service appelé NewSource Staffing. Il s’agit d’une agence de travail temporaire.
Outre que le salaire moyen (9 dollars de l’heure) est supérieur à la norme dans ce secteur, l’originalité de cette initiative est
d’aider les intérimaires à occuper de façon permanente les emplois pour lesquels ils sont sollicités de manière temporaire
(l’employeur bénéficie alors d’un crédit d’impôt de 2 000 dollars par an et par employé). La pratique de NCC est inhabituelle
dans le secteur de l’intérim, beaucoup d’agences interdisant à leurs employés de postuler pour un emploi permanent chez
leurs clients.
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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L’ensemble de ces programmes a fait de New Community Corporation un opérateur de formation et de placement majeur
dans l’État du New Jersey. L’organisation reçoit à ce titre d’importants financements publics et privés (banques, fondations,
entreprises). Organisation non-profit, New Community Corporation a créé plusieurs entités for-profit qui génèrent leurs
propres revenus, en particulier dans le domaine commercial et des services à la personne. Ces activités commerciales lui
permettent de dégager des marges servant à financer d’autres programmes. Les actifs de NCC sont évalués à 700 millions
de dollars.
CHURCH AVENUE MERCHANTS BLOCK ASSOCIATION, INC. (CAMBA)
Personnes rencontrées :
Kathleen A. Masters, General Counsel
Eileen F. Rilley, Director of Workforce Development and Refugee Services
Brian Singer, Program Director, Business Services Program
Robyn Vogel, Director of Corporate Partnership Development
Church Avenue Merchants Block Association a été créée dans les années 70, dans le quartier de Flatbush, à Brooklyn, l’un
des cinq arrondissements (boroughs) de New York. Cette période était marquée par une crise urbaine aigue (en 1975, la
ville New York avait été déclarée en faillite). C’est l’époque où s’accélère le white flight (le mouvement résidentiel des
familles blanches des villes-centres vers les banlieues). En 1977, des commerçants de Flatbush inquiets de l’évolution
économique du quartier décident alors de former une association. Rapidement, celle-ci obtient des subventions de la ville et
de l’État pour venir en aide aux demandeurs d’asile, notamment asiatiques, qui affluent à Brooklyn. C’est ainsi qu’un
programme linguistique a été monté, suivi d’un programme d’accès à l’emploi, puis de nombreuses autres initiatives.
CAMBA gère aujourd'hui un budget annuel de 45 millions de dollars. Cette croissance reflète en partie les priorités de la
municipalité de New York (sa principale pourvoyeuse de fonds), notamment en faveur du logement des SDF ou de l’aide aux
malades du sida. Mais les activités de CAMBA se déploient dans bien d’autres domaines : emploi, formation, éducation, aide
juridique, aide aux entreprises, activités liées à la jeunesse, etc. L’association sert environ 28 000 personnes chaque année,
dont 83% appartiennent aux minorités ethniques et plus de 30% sont des immigrants récents, principalement venus des
Caraïbes, d’Amérique latine et d’Europe de l’Est.
Deux objectifs principaux sont visés par CAMBA : permettre aux personnes pauvres de devenir autosuffisantes aux plans
économique et social ; stabiliser l’économie du quartier en travaillant avec les commerçants et entrepreneurs. Dans le cadre
de ces programmes de « Business and Economic Development », CAMBA a été choisie pour être l’une de 20 agences
locales dans l’État de New York chargées de mettre en œuvre le programme international intitulé « Trickle Up ». Créé en
1979 par une ONG éponyme, Trickle Up qui permet d’investir sous forme de ventures dans des entreprises détenues par
des micro-entrepreneurs à faibles revenus. Un autre programme de CAMBA, le Micro-Loan Program, propose des prêts
jusqu’à 15 000 dollars à ce même public d’entrepreneurs ayant un accès limité au crédit. Pour les prêts plus importants, les
entrepreneurs locaux sont aiguillés vers d’autres organismes oeuvrant à l’échelle de l’agglomération.
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Pour les prêts directement accordés par CAMBA, le critère premier d’éligibilité est la stratégie de l’entreprise (business plan)
et non l’histoire bancaire de l’emprunteur (credit history) que privilégient les établissements bancaires traditionnels.
S’ajoutent d’autres critères de nature géographique et économique : résider à Brooklyn et mener ou avoir le projet de créer
une entreprise dans les quartiers les plus pauvres de Brooklyn (tels que déterminés par le recensement général de la
population) ; disposer de faibles revenus (low-income). Si un entrepreneur a des revenus trop importants, il doit au minimum
satisfaire la première condition. Inversement, si une personne a de faibles revenus, mais réside en dehors des quartiers
prioritaires, elle est éligible pour un prêt. Décidés en interne, ces critères sont similaires à ceux qu’impose l’administration
fédérale (cf. infra) pour recevoir le statut de CDFI. CAMBA a obtenu ce label qui lui permet de recevoir des fonds du CDFI
Fund, et facilite la mise à disposition de fonds par l’État et les banques. Ces dernières prêtent à CAMBA à des taux très bas,
de l’ordre de 1%.
Les créations d’emploi générées par les prêts aux micro-entrepreneurs sont relativement peu nombreuses, car les
entreprises ainsi aidées sont souvent de très petite taille. Lorsqu’une demande de prêt est déposée, 80% de la note
attribuée porte sur la viabilité du projet économique et 20% seulement sur son impact pour le quartier (appartenir aux cibles
prioritaires, créer ou préserver des emplois, apporter un service aux habitants...). Cependant, ce dernier critère est impératif :
si la viabilité du projet n’est pas certaine mais que son impact promet d’être fort, le prêt est généralement accordé ;
inversement, si l’impact communautaire est nul mais que le projet est solide, la réponse sera négative. En pratique, l’action
de CAMBA a surtout un impact sur le revenu des entrepreneurs individuels.
Outre des prêts, CAMBA fournit une assistance technique aux petites entreprises Dans le cadre de son Entrepreneurial
Assistance Program, CAMBA propose des séminaires sur le business planning. Il s’agit d’un programme financé par l’État de
New York, décliné dans 22 quartiers. A chaque session, un aspect du business plan est étudié. Le coût de participation est
minime : de l’ordre 100 dollars pour 90 heures de formation, voire moins si une personne a des ressources trop faibles. Les
minorités et les femmes sont les cibles privilégiées mais non exclusives de ce programme.
D’autres formes d’assistance technique aux entreprises locales sont proposées : ateliers mensuels, conseils individualisés,
aide au démarrage d’un service de garde d’enfants, gestion des relations avec les prêteurs... Des professionnels viennent
régulièrement apporter leur expertise sur différents sujets. Ils le font sur une base volontaire pour « aider la communauté ».
Une organisation appelée Volunteers of Legal Services encourage ainsi les juristes à donner de leur temps aux
organisations communautaires. De ce cadre, un des plus gros cabinet d’avocats de Manhattan apporte sa contribution à
CAMBA. Des banques viennent également proposer leur aide. Elles y trouvent un intérêt plus direct car les (futurs)
entrepreneurs sont susceptibles d’ouvrir un compte chez elles.
Dernier volet des actions de développement économique : la participation de CAMBA à un programme appelé Business
Improvement District (BID). La ville de New York comprend 50 de ces districts. Celui de Church Avenue regroupe 165
entreprises (contre 23 000 pour Grand Central Partnership à Manhattan). Le BID est financé par les propriétaires fonciers qui
paient une taxe locale en échange d’actions de valorisation de leur quartier, censées augmenter la valeur des propriétés.
Chaque BID est géré par un conseil d'administration où sont représentés les contributeurs. Les priorités du BID de Church
Avenue énoncées dans son « projet stratégique » sont diverses : collectes de données sur l’évolution démographique et
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économique du quartier, opérations promotion du quartier vis-à-vis des entreprises extérieurs, aide au maintien de celles qui
sont déjà sur place, aménagements urbains, ramassage des ordure, nettoyage des graffitis, lutte contre la vacance,
réalisations de fresques murales, plantation de végétaux… Le BID joue aussi le rôle d’avocat des entreprises auprès des
gouvernements locaux sur des sujets qui ont trait à la revitalisation du quartier.
En direction des habitants qui ne sont pas entrepreneurs, CAMBA mène des actions d’emploi et de formation. 3 400
personnes sont reçues chaque année par l’organisation, parmi lesquelles 1 100 font l’objet d’un suivi poussé. Ces personnes
sont sollicitées par des actions de sensibilisation (outreach), au moyen de messages publicitaires (à la télévision, dans les
journaux ethniques de quartier, par des fêtes de quartier…) ou par le truchement d’associations ethniques. Parmi ses
missions contractuelles, CAMBA a notamment la responsabilité de trouver du travail aux demandeurs d’asile, dans un délai
de trois mois après leur arrivée. Les autres publics prioritaires sont les jeunes sans formation et les plus de 55 ans à qui sont
proposées des activités d’utilité sociale conçues comme des tremplins vers l’emploi non subventionné.
CAMBA est partenaire du système public de formation et d’emploi pour fournir des services aux personnes ayant une
maîtrise limitée de l’anglais. En sus des compétences de base (lire, écrire et utiliser un ordinateur), l’association affiche une
expertise sur le traitement des « barrières culturelles » à l’emploi (ou dans d’autres domaines de la vie sociale). 60% des 700
salariés de CAMBA sont eux-mêmes issues des minorités ethniques. Toutes origines confondues, les salariés ne parlent pas
moins de 42 langues !
Dans le cadre de ses « Job Training and Placement Services », CAMBA propose à l’ensemble de ses publics une panoplie
de services d’accès à l’emploi qui privilégie les domaines suivants : la sécurité, en aidant les personnes formées à atteindre
le niveau requis par l’État pour obtenir une licence dans ce secteur en pleine croissance ; les services sociaux, avec une
formation proposée aux emplois de premier niveau (entry-level) tels ceux de médiateurs et d’aides familiaux ; les métiers de
la vente, grâce à une formation qui porte sur l’informatique et d’autres compétences aujourd'hui requises pour ces métiers.
Avant de s’engager dans ces domaines, CAMBA a conduit une étude prospective pour connaître les marchés porteurs en
termes d’emploi. Puis, contact a été pris avec des entreprises pour connaître leurs contraintes en termes de recrutement.
Vis-à-vis de ces entreprises, CAMBA se positionne comme service de ressources humaines. Elle leur offre la possibilité de
réaliser des économies en prenant en charge jusqu’à 100% du salaire d’un employé formé par elle, pendant trois mois, en
contrepartie de son embauche. Un autre de ses programmes, le Workplace Literacy Program, assure la formation continue
d’employés déjà en poste, sans frais pour les employeurs, pour élever leur niveau de compétences et contribuer à leur
maintien dans l’emploi et leur avancement.
CAMBA se préoccupe des conditions de travail et de salaire, ainsi que des avantages sociaux afférents aux emplois. Par
exemple, le programme de formation d’agents de sécurité conduit CAMBA à privilégier des établissements culturels ou des
organisations non-profit où les conditions de travail et de salaires sont favorables et où existent des possibilités de
progresser dans la carrière. CAMBA travaille avant tout avec des employeurs ayant le souci de la communauté (communityoriented), c'est-à-dire soucieux d’avoir un impact positif sur les quartiers et les personnes défavorisés.
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Enfin, CAMBA fait partie de différentes coalitions d’organisations qui s’efforcent d’infléchir les décisions publiques de la ville
et de l’État pouvant intéresser ses « clients » (immigrants, SDF, demandeurs d’emploi, entrepreneurs…). En matière
d’emploi et de formation, cette démarche d’« advocacy » est conduite par la New York Employment and Training Coalition
qui regroupe 60 organisations. Cette association fait elle-même partie d’une coalition nationale, appelée Workforce Alliance,
dont les actions de lobbying visent les autorités fédérales.
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BEDFORD STUYVESANT RESTORATION CORPORATION (BSRC)
Personnes rencontrées :
Colvin W. Grannum, President
Geri Jasper ; Vice President, Economic Development
Créée peu après, en 1967, Bedford Stuyvesant Restoration Corporation est la première Community Development
Corporation a avoir vu le jour aux USA. Durant les programmes de la « Guerre à la pauvreté » des années 60, le cas de
Bedford Stuyvesant fut vanté par le pouvoir fédéral comme un modèle de mobilisation civique. A l’issue d’une visite
fortement médiatisée dans ce quartier de Brooklyn, le sénateur Robert Kennedy a souhaité généraliser l’implication des
habitants dans l’élaboration de stratégies de revitalisation globale (physique, sociale, économique et culturelle).
Au fil du temps, BSRC a su conserver l’approche « holistique » qui a contribué à sa notoriété. Comme toutes les CDCs, la
priorité historique de BSRC a été le logement, mais avec une volonté de relier cette préoccupation à celle de l’emploi et du
développement économique. Les réhabilitations de logements ont ainsi permis de recruter et de fournir une expérience de
travail à des milliers de jeunes du quartier.
Grâce à des fonds publics et privés importants, BSRC a acquis environ 4 000 logements. L’organisation possède aussi
divers locaux commerciaux. Créé en 1975, le plus important est le Restoration Plaza, construit sur le site d’une usine
désaffectée de conditionnement alimentaire. Restoration Plaza, qui accueille 4 000 visiteurs par jour, s’est affirmé comme le
lieu emblématique de la revitalisation du quartier de Bedford Stuyvesant. Il s’agit d’un équipement de centralité à la fois
commercial, culturel et social, qui abrite 65 PME, des banques, un théâtre, une patinoire et différents services sociaux.
BSRC y possède les deux tiers du capital d’un supermarché Pathmark, lequel a réalisé 28 millions de dollars de ventes en
2001.
Ce quartier de Brooklyn est aujourd'hui en proie à un processus de gentrification qui vient soutenir la dynamique
commerciale. Le quartier est traversé par Fulton Street, une artère commerciale majeure qui relie le Queens à Manhattan.
Pour conforter la vitalité commerciale du quartier de Bedford, BSRC développe des programmes visant à diversifier le tissu
commercial. Dans le cadre du programme « Fulton First Initiative », l’organisation apporte son soutien à une association de
commerçants locaux, la Fulton-Nostrand United Merchants Association, qui coordonne les efforts d’embellissement,
d’aménagement et de marketing du quartier. BSRC a notamment financé une étude commerciale sur les besoins des
habitants en matière de commerce de détail. Il en a résulté l’ouverture d’un supermarché et d’un restaurant ayant permis de
créer 360 emplois. BSRC a veillé à ce que ces emplois soient occupés en priorité par des habitants du quartier. Voulant
s’affirmer comme de bons « community members », les responsables de ces entreprises ont joué le jeu.
Au fil de son histoire, BSRC a pris des participations dans un grand nombre d’entreprises locales (un promoteur immobilier
privé, une pharmacie, un fast-food, une compagnie de disques…), toutes ces opérations n’ayant pas été couronnées de
succès. BSRC se positionne aujourd'hui davantage en soutien des entreprises locales, dans lesquelles elle ne prend pas
nécessairement de participation. Dans cette optique, le Restoration Capital Fund a mis sur pied pour proposer des aides
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financières à la création d’entreprise (700 dollars en moyenne) dans le cadre du Trickle Up program (cf. supra), des prêts à
faible taux (jusqu’à 50 000 dollars) et une assistance technique.
La priorité est clairement donnée aux entrepreneurs locaux, mais leurs projets manquent parfois de solidité. Aussi, BSRC at-elle développé une stratégie pour attirer des entrepreneurs extérieurs, le plus souvent issus minorités ethno-raciales. L’un
des enjeux du moment est de limiter les risques d’une appréciation excessive de l’immobilier dans un quartier qui connaît un
processus de valorisation important. Les petites entreprises sont donc encouragées à se développer dans les rues
adjacentes à l’artère commerciale de Fulton, où les loyers sont moins élevés.
Une dimension importante de l’action de BSRC est la création d’emplois au travers du développement économique. Le
premier projet d’envergure a été l’implantation d’un établissement d’IBM dans un entrepôt désaffecté, ayant permis la
création de 400 emplois occupés par des habitants. Avec l’aide de BSRC, cet établissement a été vendu à Advanced
Technological Solutions, une des plus importantes des entreprises américaines détenues par des minorités, dont le statut
est celui d’une coopérative de travailleurs. En 2004, BSRC a réussi à attirer 6 millions de dollars d’investissements de
grandes entreprises telles que Foodtown, Applebee, Duane Read ou Washington Mutual Bank.
La CDC continue de développer des logements subventionnés pour assurer le maintien sur place de la population modeste
du quartier, tout en s’efforçant de faciliter son intégration économique. BSRC développe un programme de formation et
d’accès à l’emploi, avec une spécialisation forte dans les nouvelles technologies car les salaires y sont relativement élevés.
« Il faut permettre aux gens de gagner plus, explique son président. Il s’agit de les connecter aux opportunités d’emploi et de
formation qui existe dans le quartier et, surtout, à l’extérieur. Se contenter d’améliorer le logement n’améliore pas la vie des
gens. Il n'y a pas de corrélation entre l’amélioration physique des lieux et l’amélioration de la condition des gens s’ils ne sont
pas préparés à tirer parti des opportunités d’emplois. Notre équipe se concentre là-dessus : comment prendre avantage des
opportunités ».
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UNIVERSITY CITY DISTRICT (UCD)
Personnes rencontrées :
Esther Wiesner, Director of Development
Lewis C. Wendell, Executive Director
Andy Toy, LISC Program Officer
Au début des années 90, un groupe composé de leaders de quartier et de bailleurs privés de West Philadelphia décide de
lancer un projet pilote visant à compenser la médiocre qualité des services municipaux d’entretien et de ramassage des
ordures. Le projet était financé par les bailleurs, des habitants, des entrepreneurs et, surtout, par la prestigieuse University of
Pennsylvania (le plus gros employeur de Philadelphie) implantée dans ce quartier qui était alors l’un des plus pauvres de la
ville. L’initiative a permis de changer radicalement l'image du quartier, incitant l’université à pérenniser l’expérience. C’est
ainsi qu’en 1997 est né University City District, une organisation rassemble des représentants du quartier, des entrepreneurs
locaux et de puissantes institutions locales, à commencer par University of Pennsylvanie, mais aussi d’autres universités
plus petites et des hôpitaux. Cette organisation permet aux principaux protagonistes de poursuivre leur agenda propre : pour
l’université, il s’agit de rendre le quartier plus attractif pour les 40 000 étudiants qui y résident ; pour les représentants de la
« communauté », l’enjeu est d’impliquer (y compris financièrement) l’université dans l’amélioration du quartier pour que ses
50 000 habitants (autres qu’étudiants) en tirent bénéfice.
UCD se présente comme un Business Improvement District (cf. supra), mais à l’inverse de la plupart des BID qui sont
focalisés sur le développement économique, sans prendre en compte les habitants, celui de West Philadelphie a un agenda
social. Parce que les entités susceptibles de payer une taxe sont trop peu nombreuses, les financements de UCD viennent
exclusivement de contributions volontaires (et déductibles des impôts) de l’université et d’autres institutions locales, ainsi que
d’entreprises et de particuliers. Le budget actuel de UCD de l’ordre de 5,5 millions de dollars par an. Les institutions
universitaires y contribuent pour les deux tiers, mais les deux tiers des services fournis par UCD concernent des habitants
autres que les étudiants.
Ce budget sert à financer une équipe d’une soixante « d’ambassadeurs de quartier » (community ambassadors) chargés de
l’entretien et de la sécurité du quartier (en liaison avec la police), à réaliser des opérations de marketing et de communication
pour promouvoir le quartier, ainsi qu’à attirer des ressources additionnelles publiques et privées pour améliorer l’aspect du
quartier. Dans le domaine plus spécifiquement économique, UCD a obtenu plusieurs subventions publiques et privées pour
mettre en valeur Baltimore Avenue et Lancaster Avenue qui sont les deux principales artères commerciales (commercial
corridors) du quartier. Un représentant de UCD est présent en permanence sur chacun de ces deux sites pour travailler en
lien avec les commerçants, coordonner les opérations de marketing et de promotion, s’assurer de la bonne maintenance du
quartier et fournir des aides, notamment pour la rénovation des façades commerciales.
Les habitants et étudiants du quartier ont été interrogés à l’occasion d’études de marché visant à connaître leurs souhaits en
matière de consommation. Ces actions commerciales sont jugées d’autant plus cruciales que la population du quartier se
renouvelle en partie, au profit d’une plus grande mixité résidentielle -sociale et raciale- au-delà de la seule présence des
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étudiants. Une offre commerciale diversifiée est essentielle pour satisfaire les besoins des différents groupes qui cohabitent
dans le quartier. Cette stratégie a permis d’ouvrir vingt-cinq enseignes au cours des quatre dernières années. UCD a veillé à
leur bonne localisation et accessibilité géographique, afin de donner le sentiment aux étudiants, aux salariés et aux habitants
que personne n’est exclu. Il fallait aussi éviter de déstabiliser le tissu de petits commerçants locaux en attirant des enseignes
qui viendraient leur faire concurrence.
A ces initiatives s’ajoute un programme de l’université destiné à favoriser « l’inclusion économique » des habitants
(Economic Inclusion Program). Il s’agit d’utiliser le levier du pouvoir d’achat de l’université pour renforcer le tissu des petites
entreprises locales et créer des opportunités d’emploi. Pour cela, l’université a décidé d’accroître les commandes adressées
notamment aux entreprises locales détenues par des minorités ethno-raciales. Elle encourage également des entreprises
extérieures à s’implanter sur le site en faisant valoir l’importance des commandes qu’elle peut leur passer. Enfin, l’université
se donne comme objectif d’augmenter l’emploi des habitants et/ou des minorités ethniques dans les chantiers financés par
elle. En dépit d’une opération intitulée « Achetez et recrutez dans West Philadelphia », l’impact de cette dernière orientation
n’a pas été mesuré.
PHILADELPHIA EMPOWERMENT ZONE (EZ) AND RENEWAL COMMUNITY (RC)
Personne rencontrée :
Jim Flaherty, Renewal Community Senior Manager
L’Empowerment Zone de Philadelphie a été créé en 1994, à la suite d’un appel d’offres fédéral. Comme il s’agissait d’une
Empowerment Zone intercommunale (et inter-étatique), la ville voisine de Camden (New Jersey) est également concernée
par le dispositif. Celle de Philadelphie couvre trois territoires non contigus, définis par des critères de pauvreté, mais aussi en
fonction de leur potentiel de re-développement. Il s’agit en effet de territoires anciennement industrialisés, autrefois
prospères. L’EZ était prévue pour une durée de dix ans. A l’instar d’autres sites, elle a été prolongée d’une année pour
permettre de solder le reliquat de la subvention fédérale de 100 millions de dollars. Le dispositif prévoit également des
avantages fiscaux en faveur des entreprises localisées dans la zone.
Le projet stratégique a été élaboré dans le cadre d’une coopération entre les organisations de quartier et la municipalité.
Dans chacune des trois aires de l’EZ de Philadelphie, une instance appelée Community Trust Board assure le pilotage du
projet dans la durée. Ces instances sont composées de représentants des quartiers (organisations communautaires,
entreprises locales, habitants) et collaborent avec la ville.
Transversale aux trois territoires de l’EZ, une « Unité de Développement Economique » (Economic Development Unit) (EDU)
a été créée pour maximiser le potentiel de création d’emplois. Cette Unité a joué un rôle de coordination et de catalyseur des
ressources mobilisables au sein des différentes agences publiques et privées intervenant à Philadelphie en matière de
développement économique, de commerce, d’emploi et de formation. L’EDU sert de point de jonction entre les intérêts des
entreprises et des quartiers représentés par les Community Trust Boards. Elle informe les entreprises, sur les avantages
fiscaux fédéraux auxquelles elles peuvent être éligibles dans le cadre de l’EZ, mais aussi sur les avantages offerts par la
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municipalité ou l’État. Dans le cadre d’un guichet unique (One-Stop), elle apporte son expertise technique aux entreprises
pour faciliter le démarrage, l’expansion ou la rétention d’activités. L’EDU représente aussi l’intérêt des quartiers dont elle
assure la promotion vis-à-vis des entreprises extérieures qui pourraient trouver avantage à s’y implanter. Plus largement,
l’EDU est compétente pour élaborer des stratégies de développement économique et de valorisation foncière, fondées sur le
principe de développement durable.
En matière commerciale, l’expérience la plus notable est celle de Girard Avenue, l’une des principales artères commerciales
de Philadelphie, qui traverse les trois aires de l’EZ. En 2000, encouragée par l’autorité locale en matière de transports qui
souhaitait rouvrir une ligne de tramway le long de cet axe, l’Empowerment Zone a réuni 40 organisations chargées de
coordonner un projet de revitalisation commerciale et de le plaider auprès de différents financeurs. La Girard Avenue
Coalition a rapidement été soutenue par la Local Initiatives Support Corporation (LISC) de Philadelphie123 qui a apporté son
aide technique et financière. Grâce à ce soutien, la Coalition a mis sur pied une équipe opérationnelle et sécurisé les fonds
nécessaires pour engager des études foncières, d’aménagement urbain et de marketing. Des entretiens approfondis ont été
menés auprès des membres de la coalition, de chefs d’entreprise et d’habitants. De ce travail d’étude est sorti un document
stratégique proposant une stratégie de développement globale (incluant par exemple la problématique des déplacements).
Au niveau des quartiers, les Community Trust Boards ont créé trois organismes de prêts. Ces « Community Lending
Institutions » ont été capitalisées à hauteur de 30 millions de dollars par les Community Trust Boards. L’argent remboursé
par les emprunteurs est systématiquement réinvesti dans un dispositif appelé « Neighborhood Funding Stream ». Ce
mécanisme a permis d’assurer l’auto-suffisance du dispositif, devenu apte à survivre à l’extinction du programme EZ. En
mars 2004, 164 prêts avaient été consentis, pour un montant de 30 millions de dollars environ, auquel s’est ajouté un effet
levier de près de 80 millions de dollars de fonds publics et privés. Ces prêts ont contribué à créer ou préserver 1 159 emplois
destinés aux résidents de la zone. Outre une gamme de produits et de services financiers aux entreprises, les Community
Lending Institutions interviennent aussi dans les domaines foncier, immobilier et des équipements.
Afin de faciliter l’accès des habitants aux opportunités d’emploi, l’EDU coopère avec les agences compétentes. Les
principales réalisations ont porté sur : l’information des demandeurs d’emploi dans le cadre d’une banque de données sur
l’emploi (Job Bank), en privilégiant les emplois durables ; la mise en relation des entreprises avec les structures qui
proposent des formations « taillées sur mesure » (Customized Job Training), notamment la Philadelphia Workforce
Development Corporation qui coordonne des points d’accueil appelés Career Links (cf. infra) ; la mobilisation enfin des
ressources disponibles dans le cadre de la réforme de l’aide sociale (welfare-to-work).
L’approche des EZs étant globale, elle intègre, au-delà des seules actions de nature économique, de nombreuses initiatives
en matière de santé, d’éducation, de sécurité, etc. C’est une différence importante avec le dispositif fédéral promu par
l’administration Bush, appelé « Renewal Community ». Quarante sites bénéficient de ce programme aux USA, dont
Philadelphie. Comme les Empowerment Zones, les Renewal Communities sont sélectionnées au terme d’une compétition
nationale. Celle de Philadelphie, adjacente à l’Empowerment Zone, comprend 200 000 habitants (bien davantage que l’EZ
qui était définie à partir de seuils de pauvreté plus élevés). Les avantages accordés aux entreprises y sont plus importants (il
123
Au plan national, il s’agit de la fondation la plus importante en matière de développement communautaire, cf. supra.
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y a en particulier une exonération complète d’impôt sur les sociétés), mais l’incitation à embaucher des habitants est moins
forte (1 500 au lieu de 3 500 dollars d’exonérations annuelles de charges fédérales par emploi). Alors que le gouvernement
fédéral demandait des bilans détaillés aux structures de pilotage des Empowerment Zones, l’évaluation fédérale des
Renewal Communities est succincte. Localement, la municipalité ne parvient pas à savoir avec précision combien d’emplois
bénéficient aux habitants dans le cadre de ce dispositif. « C’est une politique très républicaine. On dit aux entreprises :
prenez l’avantage fiscal et on ne leur demande rien d’autre ! », estime le responsable du programme à Philadelphie.
THE REINVESTMENT FUND (TRF)
Personne rencontrée :
Margaret B. Bradley, Strategic Communications and Program Development
Créé en 1985 sous l’appellation de Delaware Valley Community Reinvestment Fund, The Reinvestment Fund est une CDFI
sans but lucratif qui intervient dans l’agglomération de Philadelphie, jusque dans le New Jersey et le Maryland. Comme la
plupart des intermédiaires de développement communautaire, l’organisation s’est tout d'abord fortement spécialisée dans le
logement bon marché avant d’amplifier et de diversifier ses interventions. Créé à l’origine pour être un petit fonds de prêt, le
revenu de TRF atteignait 257 millions de dollars en 2004.
Au cœur de ses missions demeurent les activités d’intermédiation financière. Les fonds reçus en aval par près de 1 000
investisseurs ont de multiples origines : institutions financières, fondations, gouvernements, entreprises et particuliers. En
amont, TRF prête, investit et subventionne des opérateurs de logement, mais aussi des entreprises, des services sociaux et
éducatifs, des opérateurs commerciaux, d’emploi et de formation, ou encore des producteurs d’énergies renouvelables.
TRF se singularise par une stratégie « place-based » qui n’est pas nécessairement focalisée sur les quartiers les plus
handicapés, à partir du constat selon lequel la norme n’est pas de travailler et de consommer seulement dans le quartier où
l’on vit. Son programme intitulé « Neighborhood Investment Strategies » (NIS) est ainsi centré sur des quartiers considérés
comme stratégiques à l’échelle d’une ville, bénéficiant de forts atouts pour leur développement et capables de produire un
effet d’entraînement sur d’autres quartiers. Mené à Philadelphie et Camden, ce programme a reposé sur la collecte de
données ayant permis d’identifier six quartiers prioritaires, dans lesquels ont été engagées des actions de revitalisation
couvrant différents domaines. Se positionnant comme « lieu-ressources » et « médiateur », TRF travaille très en amont avec
ces quartiers pour créer une infrastructure partenariale (entre acteurs publics, privés et communautaires) et apporter son
savoir faire en matière d’élaboration de projets stratégiques. Pour assurer la conduite du projet dans la durée, TRF a mis en
place des mécanismes de financement. Enfin, TRF déploie d’importants efforts pour évaluer ce qu’elle appelle « l'impact
social » du projet.
Dans le domaine plus spécifique de l’accès à l’emploi, The Reinvestment Fund a été choisi, en 1995, par la fondation Annie
E Casey pour mettre en œuvre son programme expérimental « Jobs Initiative » (cf. infra). Le défi était important car le
système d’emploi et de formation était particulièrement fragmenté à Philadelphie, les employeurs peu investis dans les
programmes de formation et la municipalité peu sensibilisée à cette question. Dans ce contexte, TRF a engagé une stratégie
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dans trois directions : diffuser l’information sur les besoins et les ressources en matière d’emploi et de formation ; organiser
les employeurs autour d’intérêts communs en les incitant à coopérer avec le secteur public ; engager des efforts de
formation sur certains secteurs spécifiques qui répondent aux besoins locaux. Le tout devait se traduire par un agenda de
réformes du système public local d’emploi et de formation.
L’expérience acquise par TRF en matière de revitalisation économique des quartiers s’est avérée décisive quand il a fallu
intégrer les besoins des employeurs dans la démarche. Étant à la table des montages financiers, TRF a été informée en
temps réel des projets d’investissement des employeurs et de leurs besoins de recrutement. Toute la stratégie en direction
des entreprises a consisté à les convaincre qu’une politique de ressources humaines favorable aux travailleurs peu qualifiés
servait leur intérêt économique. En contrepartie, TRF a proposé différentes incitations aux entreprises partenaires du
programme Job Initiative. Elle a créé également un service d’assistance fiscale pour les aider, ainsi que leurs employés, à
maximiser leurs opportunités de réductions et de crédits d’impôts. Surtout, TRF prend des participations dans le capital des
entreprises, avec l’objectif de créer une moyenne de 30 emplois pour 500 000 dollars investis.
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Un simple prêt autorise moins de contrôle sur les décisions de l’entreprise qu’une prise de participation. Mais les prises de
participation ne concernent que des entreprises ayant des besoins de recrutement et manifestant la volonté de faire de
l’entreprise un lieu où l'on apprend et où l’on a envie de rester. Un accord formel est passé avec ces entreprises pour
qu’elles recrutent des publics prioritaires et pour que ces publics soient formés. Un aspect important de l’expérience de TRF
concerne la mesure fine du maintien des salariés dans l’emploi, de leur avancement et des bénéfices financiers qu’ils
retirent.
Dans le cadre du programme Job Initiative, une autre contribution essentielle de TRF a porté sur la formation dans le
domaine de la vente de détail. Un dispositif partenarial intitulé « Customer Service Training Collaborative » (CSTC) a été mis
sur pied, après la consultation extensive d’employeurs localisés dans l’agglomération, et en lien avec la fédération nationale
des métiers du commerce de détail (National Retail Federation Foundation), CSTC est parvenu au constat que les emplois
de vendeur demandaient certaines compétences de base. Grâce à des financements publics et privés, une formation a été
conçue en partenariat avec le Jewish Educational and Vocational Services, une organisation non-profit fortement reconnue
dans le domaine de la formation et du placement. TRF s’est efforcé d’organiser les employeurs de différents secteurs
commerciaux, pour s’assurer d’un feedback constant sur la qualité de la formation proposée.
Le CSTC n’aspire pas seulement à fournir des services aux travailleurs et aux employeurs directement engagés dans le
dispositif, mais à changer la réglementation nationale sur les conditions de travail dans ce secteur. Au niveau local, et audelà du secteur de la vente de détail, TRF se positionne en lobbyiste et consultant des gouvernements locaux. Avec un autre
financement de Annie E Casey Foundation, elle a procédé par exemple à la mise à plat de l’ensemble du système public
d’emploi et de formation de Pennsylvanie. L’auteur de l’étude est devenu directeur de l’emploi et de la formation au sein des
services de l’État de Pennsylvanie.
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5.2 L’ACCES AU CAPITAL
COMMUNITY DEVELOPMENT FINANCIAL INSTITUTIONS FUND (CDFI FUND)
Personnes rencontrées :
Art A. Garcia, Director
Linda G. Davenport, Deputy Director, Office of Policy and Programs
Le Community Development Financial Institutions Fund a été créé en 1994 par l’administration fédérale. Géré par le
Département du Trésor, ce fond est la plus importante entité individuelle de financement des CDFIs. Son rôle consiste à leur
apporter des dotations en capital, à prendre des participations et financer une assistance technique. Le CDFI Fund
concentre ses efforts sur des cibles géographiques appelées « hot zones », situées en milieu urbain et rural, et définies par
des critères de chômage et de pauvreté.
Le fonds fédéral a grandement contribué à la visibilité et la crédibilité des CDFIs. Outre ses interventions financières, il joue
un rôle de régulation important en attribuant le label de CDFI aux organisations qui en font la demande. Elles doivent
respecter six critères impératifs : avoir pour mission première d’exercer une activité de développement communautaire, avoir
une activité financière, fournir d’autres services que les seuls produits financiers, servir une cible identifiée, rendre des
comptes (to be accountable to) aux destinataires des produits et services, être une organisation non-gouvernementale. En
pratique, la plupart des CDFIs ont une spécialité territoriale (place-based), mais certaines ciblent des publics (peopleoriented) ; dans ce dernier cas, les groupes ciblés doivent être des minorités marginalisées.
Sous l’administration Bush, les critères de labellisation des CDFIs sont restés les mêmes que sous l’administration
précédente, mais l’esprit du programme a quelque peu changé. Certains critiques considèrent que les CDFIs certifiées par
l’administration fédérale n’apportent pas toutes les garanties en matière d’investissement dans les quartiers les plus pauvres
et au bénéfice des populations les plus démunies. Le CDFI Fund cherche en effet à labelliser le maximum d’organisations (à
ce jour, 740 CDFIs ont été certifiées, contre 300 en 1998), dont une bonne partie gère des logements en accession,
conformément à la priorité actuelle de l’administration Bush.
La labellisation du CDFI Fund est un pré-requis pour recevoir le soutien financier de nombre d’autres programmes publics et
de donateurs ou prêteurs privés. Pour recevoir le soutien du CDFI Fund lui-même, qui dispose d’un budget de 30 à 40
millions de dollars par an, les CDFIs sont tenues de rassembler d’autres fonds privés et publics non fédéraux (matching
funds), du même montant au minimum. La philosophie du fonds fédéral est celle du « continuum de croissance », qui passe
par l’attribution prioritaire de ses ressources aux CDFIs les plus petites et fragiles, afin de contribuer à l’expansion globale du
secteur. Dès qu’une CDFI commence à croître, le fonds la contraint à « lever » davantage de ressources extérieures. Le
CDFI Fund possède également un volet d’assistance technique qui permet de financer les CDFIs pour « construire leur
capacité ».
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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Une autre mission importante du CDFI Fund est la gestion du New Markets Tax Credit qui encourage les investissements
privés dans les territoires pauvres (cf. supra). Ce dispositif permet à des particuliers et des entreprises de recevoir un crédit
d’impôt fédéral (jusqu’à 39% de leur impôt, étalés sur sept ans) en contrepartie des investissements réalisés dans des
organisations recevant le label de Community Development Entities (CDEs). En plus de la réduction d’impôt, l’investisseur
peut escompter un retour sur son investissement. Pour être labellisées, les CDEs doivent démontrer, dans le cadre d’une
compétition nationale, qu’elles consacrent au moins 60% de leurs ressources à servir des quartiers ou des populations
pauvres, soit directement, soit par l’intermédiaire d’autres organisations. Elles doivent également faire la preuve que des
représentants de ces quartiers participent à leur conseil d'administration ou à une instance consultative. Les CDEs ne sont
pas forcément des CDFIs, mais beaucoup de CDFIs ont créé des CDE.
A ce jour, le CDFI Fund a alloué 8 milliards de dollars (sur les 15 milliards maximum prévus par la loi), répartis entre 170
CDEs, au cours de trois « rounds » successifs. Les CDEs ont été sélectionnées à partir de plusieurs critères : fournir un
projet, avoir impact sur les quartiers défavorisés en y réalisant des investissements, avoir élaboré un business plan, dire
quels seront les investisseurs, démontrer sa capacité à lever d’autres fonds publics et privés, faire état d’une expérience
dans le domaine du développement économique communautaire. Le NMTC ne comporte pas d’obligation de recrutement de
la part des entreprises financées par les CDEs. Cette dimension n’est pas absente, mais l’objectif premier du dispositif est de
développer l’économie des territoires défavorisés et apporter de nouveaux services à leurs habitants.
A noter enfin, le CDFI Fund a développé un programme, appelé Bank Enterprise Award, qui récompense les banques qui
investissent dans des entreprises localisées dans les territoires en difficulté ou dans des CDFIs. Dans le cadre de ce
programme, la dotation fédérale peut atteindre 3 millions de dollars, selon la nature et l’importance des efforts de la banque.
Les banques qui prennent des participations dans les CDFIs reçoivent la dotation la plus élevée.
US SMALL BUSINESS ADMINISTRATION’S HUBZONES PROGRAM
Personne rencontrée :
Michael P. McHale, Associate Administrator Office of HUBZone Program
Ce programme a été adopté à l’unanimité du Congrès en 1997. Il est géré par la U.S. Small Business Administration (SBA).
Il s’agit de stimuler le tissu des petites et moyennes entreprises et l’embauche d’habitants des zones défavorisées en
réservant une partie des marchés publics fédéraux à des PME localisées dans des « HUBZones » (Historically Underutilized
Business Zones). En milieu urbain, il existe 11 600 HUBZones, choisies en fonction de critères de pauvreté et de chômage,
parmi les aires du recensement (census tracts).
Dès lors qu’une agence fédérale estime pouvoir trouver plusieurs entreprises localisées dans des HUBZones et capables de
répondre avec succès à un appel d'offres, 3% au minimum du montant des contrats fédéraux leur sont réservés. Dans les
marchés publics fédéraux ouverts à toutes les entreprises, les entreprises localisées dans une HUBZone reçoivent un bonus
et les grandes entreprises sont encouragées à sous-traiter ou à s’associer à elles.
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A ce jour, 13 000 entreprises environ ont été certifiées comme « HubZone companies ». Outre le fait d’être une PME, les
principaux critères d’éligibilité sont : la réalisation d’un investissement dans la zone et la présence de 35% d’habitants de la
zone dans le personnel de l’entreprise, ceci pendant toute la durée du contrat, sauf si le travail nécessite des compétences
particulières impossibles à trouver dans la zone. 70 agents de la SBA sont chargés d’effectuer des contrôles sur la réalité de
ces deux critères. En cas de fraude, des peines d’emprisonnement et des amendes substantielles sont prévues.
Alors qu’il porte sur des montants importants (3,24 milliards de dollars de contrats fédéraux en 2003 et 5 milliards attendus
en 2004), le coût de fonctionnement du programme est très limité. Le nombre d’emplois créés grâce à lui est estimé à 177
000. Le Congrès a demandé une évaluation plus précise du nombre de résidents recrutés, dont les résultats devraient être
publiés en août 2005. En attendant, la SBA a fait la promotion du programme auprès des gouvernements locaux et sept
États envisagent de le mettre en place.
US SMALL BUSINESS ADMINISTRATION’S MICROLOAN PROGRAM
Personne rencontrée :
Bruce Purdy, Acting Chief, Microenterprise Development Branch
En 1992, la Small Business Administration a mis en place un programme de micro-prêts destiné aux petites et moyennes
entreprises qui rencontrent des difficultés d’accès au crédit. Sont considérées comme PME aux États-Unis, les entreprises
de moins de 500 salariés. Mais ce programme prête à des entreprises de 5 salariés en moyenne. En 2004, 2 400 prêts ont
été réalisés pour un montant global de 32,9 millions de dollars (soit 21 000 prêts pour 250 millions de dollars depuis 1992),
faisant de ce dispositif le plus important des programmes fédéraux de micro-prêts. Le montant des crédits peut aller jusqu’à
35 000 dollars. En moyenne, la taille des prêts est inférieure à 12 000 dollars.
La SBA ne prête pas directement aux entreprises. Elle capitalise des intermédiaires non profit –appelés « SBA
intermediaries »- qui doivent faire état d’une expérience d’un an minimum en matière de micro-crédit et d’assistance
technique aux PME. Ces intermédiaires peuvent recevoir jusqu’à 750 000 dollars sur dix ans de la SBA. Ils prêtent à leur
tour aux entreprises pour une période de six ans maximum, à un taux base de 2% la première année, c'est-à-dire en deçà
du taux de base bancaire. Selon le montant du prêt, l’emprunteur paiera effectivement entre 10,75% et 12,25% d’intérêt.
Jusqu’au quart de la somme versée à l’intermédiaire peut servir à financer une assistance technique avant et après le prêt,
considérant que les faillites de PME s’expliquent au moins autant par un manque de savoir faire que par un manque de
capital. Cette assistance porte sur l’élaboration du business plan, le management et le marketing, ainsi que sur tous les
problèmes que peut rencontrer l’entreprise au fil de son existence.
L’intermédiaire de la SBA doit constituer une réserve (appelée Loan Loss Reserve Fund), équivalente à 15% du montant du
prêt consenti à l’entreprise. Le but est de se prémunir contre les pertes et s’assurer que la SBA sera remboursé. En treize
ans d’existence, celle-ci n’a connu que 1% de pertes sur les prêts octroyés aux intermédiaires.
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Initié avec 25 intermédiaires, le programme en comporte 170 aujourd'hui (sur les 600 micro-prêteurs que comptent les EtatsUnis). Certains de ces intermédiaires ont une couverture territoriale large (tout l’État en Arizona, par exemple), d’autres très
restreinte (un quartier). Quand un nouvel intermédiaire se propose, la SBA donne la priorité aux zones non couvertes.
L’intermédiaire peut prêter à n’importe quelle PME, mais la SBA encourage les entreprises détenues par les minorités, les
femmes et les vétérans. Certaines organisations sont d’ailleurs spécialisées de fait dans les prêts à ces groupes. D’autres
ont une spécialisation territoriale, en particulier dans les zones pauvres et/ou de concentration des minorités. Si elles ne
peuvent prêter exclusivement à un groupe défini par ses origines ethno-raciales, la plupart des intermédiaires ont néanmoins
pour mission explicite de servir les personnes à faibles revenus. Les statistiques montrent que 44% des bénéficiaires sont de
femmes, 25% des Noirs et 19% des Hispaniques. Ajoutons que 40% des entreprises concernées sont localisées en milieu
rural.
La SBA estime que 60 000 emplois ont été créés grâce à ce programme, pour un coût moyen de 3 500 dollars par emploi.
En dépit de ces résultats flatteurs, le président Bush a proposé d’éliminer ce programme dans le budget 2006, affirmant qu’il
fait double emploi avec d’autres programmes de la SBA.
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ACCION
Personne rencontrée :
Florence Juillard, Loan Consultant
ACCION a été fondé au Venezuela, dans les années 70, par des bénévoles américains. L’organisation internationale est
implantée aux USA depuis 1991, où elle se répartit entre huit agences locales. Celle de New York est la plus grosse
organisation de micro-crédit des États-Unis. En quinze ans, ACCION New York a prêté 44 millions de dollars à l'occasion de
7 000 prêts. Pour la seule année 2004, 1 091 prêts ont été consentis, pour 10,3 millions de dollars, traduisant le succès de la
formule.
ACCION New York est une organisation non-profit localisée à Manhattan après l’avoir été longtemps à Brooklyn. Elle y
possède encore des bureaux, de même que dans d’autres parties défavorisées de New York (Bronx et Harlem). La majorité
des demandes proviennent des quartiers pauvres et concernent des projets de petite dimension (le prêt moyen était 9 415
dollars en 2004).
Si la plupart des emprunteurs ont de faibles revenus, ce n’est pas un critère d’éligibilité impératif. Des entreprises plus
importantes qui éprouvent des difficultés à accéder au crédit et qui sont localisées dans des quartiers plus riches peuvent
également être aidées. Reste que 40% des clients sont des femmes et 95% appartiennent à des minorités d’origine diverses
(hispaniques dans deux cas sur trois). Presque tous les conseillers d’ACCION parlent espagnol et certains le français,
puisque 11% des clients sont Africains. Tous travaillent sur un secteur géographique précis (sauf un conseiller qui ne
travaille qu’avec les Africains).
Jusqu'à une période récente, ACCION ne prêtait qu’aux entreprises. Elle consent aujourd'hui des prêts personnels (Personal
Development Loans) à des personnes qui n’ont pas accès aux banques classiques. Mais sa mission première reste le
développement économique. Elle travaille typiquement avec des petits commerçants, des entrepreneurs à domicile, des
vendeurs de rue, des chauffeurs de taxi, des artistes, etc. Plusieurs types de produits leur sont proposés, s’échelonnant de
500 à 50 000 dollars : des prêts à la création d’entreprise (Start Up Loans), à condition que 50% du projet soit auto-financé ;
des prêts aux entreprises existantes (Business Loans) ; des prêts pour l’achat, la réparation et l’assurance des taxis ; des
prêts pour l’achat d’une voiture (Vehicule Purchase).
Les critères d’éligibilité varient selon le type de prêt. ACCION s’efforce de traiter chaque cas dans sa singularité. Une
exigence est imposée à tous les demandeurs : évaluer leur historique de crédit. Mais le résultat n’est jamais disqualifiant.
« On ne donne jamais l’impression que la porte est barrée à tout jamais », explique la personne rencontrée. ACCION
propose d’ailleurs des prêts de 500 à 1 000 dollars pour aider ses clients à commencer un historique de crédit, beaucoup
étant des immigrants qui ne sont pas en mesure de faire état d’un passé en la matière. Pour ACCION, l’enjeu est d’établir
des liens de confiance avec des entrepreneurs souvent hors normes, situés aux frontières de l’économie illégale et qui
peuvent reconnaître, au cours d’un entretien, ne pas payer leurs impôts ou ne pas placer leur argent à la banque. ACCION
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s’efforce de les faire entrer dans l’économie légale, mais affiche une grande souplesse, se refusant à imposer des
contraintes qui rendraient la relation impossible.
Dans 90% des cas, ACCION exige une caution en contrepartie du prêt. Elle demande aussi la présence d’une autre source
de revenu (le travail de l’époux, une épargne…), ainsi qu’une expérience d’entrepreneur ou de salarié dans le secteur
d’activité visé. La caution peut être formée dans le cadre de prêts groupés (peer lending), qui concernent surtout des
personnes venues d’Afrique dont l’installation est récente. Il s’agit de groupes de 3 à 5 personnes, dont l’une doit être en
mesure de payer la totalité de la mensualité cumulée des membres du groupe. Le taux de défaillance est identique aux
autres formes de prêt (environ 5%). Ces prêts groupés ne représentent toutefois qu’une faible part de l’ensemble des prêts
octroyés par ACCION.
Selon la nature de l’activité, ACCION demande un business plan plus ou moins formalisé. Pour les aider à l’élaborer, les
demandeurs sont parfois mis en relation avec le Small Business Development Center (les guichets locaux de la SBA), où
des consultants fournissent une assistance technique gratuite. De son côté, ACCION propose des ateliers de formation,
également gratuits et ouverts y compris à des personnes qui n’ont pas l’intention d’emprunter. Ces ateliers portent
notamment sur l’historique de crédit. Pour les prêts inférieurs à 20 000 dollars, une société d’avocats propose des conseils
juridiques gratuits. Par ailleurs, huit volontaires d’Americorps (un programme fédéral d’étudiants bénévoles) travaillent en
permanence au sein d’ACCION.
Les principaux critères d’évaluation du succès des prêts sont le remboursement de ceux-ci et la possibilité de se refinancer
auprès d’une banque ordinaire. ACCION développe des relations avec des agences bancaires au niveau des quartiers,
susceptibles de lui adresser des clients quand elles ne peuvent pas répondre positivement à leurs demandes de prêts.
Plusieurs micro-prêts d’ACCION sont souvent nécessaires avant que l’emprunteur retrouve crédit auprès d’une banque
traditionnelle. Quand elle sent que la situation du client le permet, ACCION l’oriente vers une des banques de son réseau.
Des étudiants de Columbia ont réalisé une étude d’impact auprès de 400 clients d’ACCION montrant que les revenus des
emprunteurs augmentent globalement (de façon substantielle dans 50% des cas), qu’ils ont été « empowered », c'est-à-dire
qu’ils ont tendance à se prendre en main, à participer à la vie du quartier, à en fréquenter les associations. « Même si leur
revenu n’a pas augmenté, les gens sont très heureux de travailler à leur compte, précise la représentante d’ACCION. Ils se
sentent empowered, ils sentent qu’ils ont la maîtrise de leur vie. Tous nos clients disent cela ».
En 2004, l’agence new-yorkaise d’ACCION estime qu’elle a contribué à préserver ou créer près de 2 000 emplois dans des
quartiers où l’emploi est rare. Mais la création d’emplois n’est qu’un aspect relativement mineur de l’évaluation des résultats,
la logique qui prévaut étant celle de l’auto-emploi (self-employment). La pratique d’ACCION se situe donc à un niveau très
individuel, mais cela ne l’empêche pas de participer à des dispositifs de revitalisation des quartiers pauvres, comme le Bronx
Overall Economic Development ou à l’Empowerment Zone de Harlem.
En tant qu’organisation non-profit, ACCION ne couvre que 63% de ses besoins financiers. Elle ne facture ses prestations
que 25 dollars et ses prêts sont d’un montant modeste, avec de faibles taux d’intérêt et beaucoup de temps passé avec
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chaque client. Même si les défaillances sont relativement peu élevées en matière de remboursement, l’équilibre financier
d’ACCION dépend donc des prêts des banques et de l’argent des fondations.
NATIONAL COMMUNITY CAPITAL ASSOCIATION (NCCA)
Personnes rencontrées :
William Dorsey, Director, Consulting
Blake Myers, Associate, Special Projects
Mark Pinsky, President & CEO
Kathy Stearns, Executive Vice President & Chief Financial Officer
La National Community Capital Association a été créée dans les années 80. Initialement appelée la National Association of
Community of Development Loan Funds, elle a changé de dénomination, en 1997, pour refléter la diversité croissante de
ses adhérents qui couvrent l’ensemble du champ des CDFIs, à l’exception des banques communautaires. NCCA a pour
mission principale d’aider à l’expansion des CDFIs, en les aidant à « construire leur capacité », en facilitant leur accès au
capital et en intervenant sur les enjeux de politique publique afin de créer un environnement qui leur soit favorable.
Concernant l’accès au capital, NCCA fournit des prêts et investit dans des CDFIs, depuis 1991, grâce à différents produits
dont les échéances et les prix dépendent du degré de risque. Des prêts d’un montant minimal de 50 000 dollars, appelés
« Senior Loans », sont destinés à capitaliser le portefeuille de prêts des CDFIs. NCCA réalise également des
investissements de 100 000 à 1 million de dollars dans des CDFIs, afin de renforcer la capitalisation de leur portefeuille de
prêts et d’investissements. En 2003, NCCA a reçu 8 millions de dollars du New Markets Tax Credit (cf. supra). L’association
a utilisé cette somme pour financer les projets de ses adhérents éligibles à ce dispositif, lesquels ont reçu par ailleurs 670
millions de dollars au titre du NMTC, la même année
NCCA gère un crédit revolving, appelé Financing Fund, pour des investisseurs institutionnels privés désirant avoir accès à
réseau national de CDFIs particulièrement performantes. Les investisseurs sont aidés dans leurs décisions par un système
d’évaluation de la performance des CDFIs (CDFIs Assessment and Rating System). Ces investisseurs sont des fondations,
des banques, des compagnies d’assurance, des fonds de pension, des institutions religieuses, etc. L’investissement
minimum est de 100 000 dollars, sur sept ans minimum. NCCA rémunère l’investisseur à des taux d’intérêt variant de 0% à
4%, puis re-prête cet argent à court terme (deux ou trois ans). NCCA s’efforce de réduire le risque pour les investisseurs en
imposant un contrôle rigoureux sur l’utilisation des prêts par les structures bénéficiaires.
NCCA cherche à démontrer, tant aux investisseurs privés qu’aux gouvernements que les CDFIs (au sens strict) peuvent
constituer un « bon business » sur des marchés qui ne présentent pas de risques exagérés et qui ne justifient donc pas de
pratiquer des taux d’intérêt inacceptables. La stratégie poursuivie par NCCA consiste à trouver un équilibre satisfaisant entre
la mission sociale d’une CDFI et une part de risque qui ne doit pas être excessive, car il faut rembourser des investisseurs
soucieux d’une utilisation adéquate (financièrement et socialement) de leur argent. NCCA donne une définition restrictive
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aux CDFIs incluses dans son réseau, se refusant à prendre en compte des organisations qui n’aident pas réellement les
territoires et populations marginalisés.
NCCA a acquis une expertise unique sur « l’industrie » des CDFIs, au sujet desquelles elle collecte et actualise des données
nationales. En 2003, 477 CDFIs ont été analysées à partir de 150 paramètres. Cette connaissance est mise à profit pour
conseiller les CDFIs, mais également pour démontrer leur utilité aux gouvernements, même si les financements publics ne
représentent que 10% environ des sources de financement des CDFIs à l’échelle nationale.
Vis-à-vis des pouvoirs publics (surtout fédéraux), NCCA prend position et mobilise ses adhérents sur tous les sujets
d’actualité. Une actualité marquée, ces dernières années, par les tentatives de l’administration Bush de mettre en cause
différents outils indispensables au dynamisme des CDFIs : le CDFI Fund, le Community Reinvestment Act ou le New
Markets Tax Credit.
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5.3 L’ACCES A L’EMPLOI
CAREER LINKS
Personnes rencontrées :
Sallie A. Glickman, WIB, Executive Director
Jamece Joyner, WIB, Associate, Public Investments
Colleen McCloud, Aramark, Staffing Center Manager
Fernando Mendoza, Congreso, Education, Training and Employment Director
Eric Nelson, WIB, Director of Public Investments
Carlos Rivera, Chief Financial Officer
Dans le cadre de la réforme du Workforce Investment Act (cf. supra), la Philadelphia Workforce Development Corporation,
en charge du système public d’emploi et de formation de la ville, a implanté neuf « Career Links » dans différents de
quartiers de Philadelphie. Telle est l’appellation locale des guichets uniques (One-Stop Centers) promus par le
gouvernement fédéral, qui jouent un rôle-clé dans la consolidation des différents canaux de financement des politiques
publiques d’emploi et de formation.
Ces structures fonctionnent selon un principe d’accès universel, mais le public accueilli à Philadelphie (40 000 visiteurs par
an) est typiquement un public à faibles revenus et qualifications. Cependant, les responsables veillent aux conditions
d’accueil et au climat positif qui doit régner dans les Career Links. Leur localisation a été choisie en fonction de critères de
pauvreté, mais « on fait en sorte que les gens ne sentent pas qu’ils arrivent dans un endroit pour pauvres », précise le
responsable d’un des Career Links visités.
Les Career Links s’inscrivent dans un réseau d’organisations de quartier, dont certaines ont du personnel présent dans la
structure. Le Career Link du Nord de la ville (un quartier à majorité hispanique) est hébergé dans les locaux de Congreso,
une organisation de 200 salariés qui propose toute une gamme de services sociaux, sanitaires, éducatifs et économiques.
Conformément à la logique du Workforce Investment Act, les Career Links doivent apporter des réponses aussi bien aux
demandeurs d’emploi qu’aux entreprises. Les premiers peuvent obtenir toutes les informations sur l’emploi, la formation et
les aides dont ils peuvent disposer en Pennsylvanie ; ils peuvent également bénéficier d’une assistance individualisée sur
tous les aspects de leur recherche d’emploi. Les entreprises bénéficient quant à elles d’un service gratuit de ressources
humaines, comprenant en particulier : une analyse des évolutions du marché du travail et de la façon dont ces évolutions
peuvent affecter la stratégie des entreprises ; un bilan de compétences des employés actuels d’une entreprise et les
possibilités d’amélioration, le diagnostic étant réalisé par une société sous-traitante du Career Link ; la possibilité pour les
employés de bénéficier, sur leur lieu de travail, d’une remise à niveau de leurs compétences de base (alphabétisation,
maîtrise de la langue, informatique). Le Career Link apporte également des informations et des aides aux entreprises dans
toute une série de domaines : réductions d’impôts fédérales et locales auxquelles elles ont droit pour le recrutement de telle
Développement économique communautaire / rapport final / juillet 2005
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ou telle catégorie de salariés ; accès aux services de gardes d’enfants ; liens avec la société locale de transports collectifs et
les organisations de co-voiturage pour une amélioration des dessertes ; procédures liées à l’immigration et l’acquisition de la
nationalité américaine, etc.
L’un des motifs qui pousse une entreprise à collaborer avec le Career Link est la prévention du turn-over, lorsqu’elle est
confrontée à des problèmes de recrutement sur des secteurs en croissance. Le Career Link leur propose une aide financière
pour concevoir des formations taillées sur mesure (costumized training), que les entreprises peuvent mettre en œuvre ellesmêmes. L’un des Career Links visités (Congreso) propose ainsi des formations à la conduite de poids lourds à une société
de transports, une formation linguistique bilingue à une banque, et une formation aux techniques de communication pour un
centre d’appels. L’employeur prend en charge la moitié du coût de la formation, éventuellement en nature (mise à disposition
de locaux, etc.).
Pour ce type de formations sur mesure, une convention est passée avec l’entreprise sur le nombre de gens à former et le
nombre de recrutements à opérer. Le Career Link réalise toutes les opérations de sélection des candidats, tandis que
l’entreprise s’engage à recruter à temps plein les candidats qui réussissent leur formation, pour un salaire décent (8 dollars
de l’heure minimum comme salaire de départ), ainsi qu’à ménager des possibilités d’avancement. Le parcours des
personnes recrutées fait l’objet d’un suivi par le Career Link.
ARAMARK, une des plus grandes multinationales de restauration pour entreprises et collectivités, est l’exemple d’une
collaboration réussie. A Philadelphie, ARAMARK a établi son centre de recrutement dans les locaux mêmes du Career Link
de North Philadelphia, et fait partie du Workforce Investment Board qui régule le système public d’emploi et de formation
dans la ville. ARAMARK propose une grande variété d’emplois, temporaires (pour des événements sportifs, par exemple) ou
permanents. Ses salaires sont avantageux et, en cas de recrutement permanent, il existe des possibilités de gravir les
échelons internes de la société. En échange du recrutement des demandeurs d’emploi adressés par le Career Link,
ARAMARK bénéficie d’une aide à la formation qui concerne un flux continu de 100 personnes, pour un montant de 6 000
dollars par emploi, pris en charge à parité. Comme tout autre prestataire de formation, ARAMARK a l’obligation de placer
90% des personnes formées et d’en conserver 80% après six mois, alors que le turn-over est de 50% en moyenne dans le
secteur.
Le cas d’ARAMARK n’est pas isolé. D’autres Career Links de Philadelphie accueillent dans leurs locaux ou établissent des
partenariats étroits avec des entreprises importantes comme UPS, FedEx ou IKEA. A noter, que le Workforce Investment
Board comprend à l’échelle de Philadelphie une majorité d’employeurs privés dans son conseil d'administration. Ces
entreprises apportent une contribution financière. « La condition pour faire partie du système est que l’entreprise soit animée
par un esprit communautaire », précise un responsable du Career Link de North Philadelphia.
ASPEN INSTITUTE
Personne rencontrée :
Maureen G. Conway, Director, Workforce Strategies Initiative
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Aspen Institute est un think tank politiquement neutre, qui contribue à faire progresser la connaissance sur toute une série
d’enjeux de politiques publiques. Son programme baptisé « Economic Opportunities Program » a produit de nombreuses
études sur les stratégies permettant de connecter les personnes pauvres à l’économie de marché. Aspen Institute met en
œuvre une approche participative de recherche appliquée, afin d’encourager le dialogue et les actions de financeurs,
décideurs publics et organisations communautaires. L’un des volets du Economic Opportunities Program porte sur les
initiatives locales en matière d’accès à l’emploi (Workforce Strategies Initiatives). Sa responsable a relaté l’expérience de
Project QUEST à San Antonio (Texas) qui constitue une référence dans toutes les réflexions sur les Workforce
Intermediaries aux États-Unis.
Le constat de départ est partout le même : certains secteurs économiques ont une forte implantation locale et/ou sont en
croissance forte, mais ils rencontrent des difficultés de recrutement ; dans le même temps, certains publics rencontrent des
problèmes d’accès à l’emploi ou se trouvent bloqués dans leur avancement. Au début des années 90, dans un contexte de
fermetures accélérées d’industries locales (notamment Levi Strauss qui a licencié 1 000 personnes), Project QUEST a été
créé pour rassembler des employeurs, des universités locales (community colleges) et des acteurs du développement
communautaire. En analysant le marché local du travail, les organisations communautaires ont réalisé que les créations
d’emploi surpassaient largement les pertes liées aux restructurations industrielles, mais que les nouveaux emplois étaient
mieux payés et exigeaient de nouvelles compétences. En parallèle, ces groupes communautaires ont multiplié les réunions
de quartier. Elles ont constaté l’appétit des habitants pour l’acquisition de compétences qui leur permettraient d’améliorer
leur condition économique. Mais ces mêmes personnes manquaient d’informations et de ressources pour suivre des
formations, et leurs expériences avec les programmes existants les avaient souvent frustrées.
L’objectif de Project QUEST était de préparer des personnes peu qualifiées à accéder à de bons emplois dans deux
secteurs spécifiques : la santé et les services aux entreprises. Son succès a reposé, en partie, sur sa capacité à attirer des
fonds publics, grâce à une campagne efficacement menée par des groupes de personnes communautaire qui cherchaient à
attirer l’attention des pouvoirs locaux sur les problèmes liés à la reconversion des anciens travailleurs manufacturiers. Ceuxci bénéficiaient d’une rémunération relativement élevée, mais étaient peu préparés à changer d’emploi faute de formation.
Outre les personnes licenciées, les bénéficiaires du programme sont le plus souvent des mères de famille dépendantes des
aides sociales, des femmes isolées et des travailleurs pauvres. Sur les 700 à 1 000 personnes formées chaque année par
Project QUEST, 75% sont des femmes et 70% sont hispaniques. La plupart des participants actuels n’ont eu qu’une
expérience de travail sporadique.
Project QUEST a conçu un programme de formation spécialement destiné aux personnes à l’anglais et aux compétences de
base limités. Cette remise à niveau est souvent nécessaire, car Project QUEST exige un équivalent du baccalauréat pour
accéder aux formations professionnelles proprement dites. Mais les services proposés portent sur toutes les barrières à
l’emploi : problèmes psychologiques, garde d’enfants, transports, etc. L’objectif est d’apporter des réponses sociales
individualisées aux demandeurs d’emploi.
L’ensemble du cursus de formation a une durée très longue de dix-huit mois. Durant cette période, les personnes sont prises
en charge par les services sociaux, en particulier quand elles touchent l’aide sociale. Cependant, un certain nombre de
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personnes en formation sont contraintes de travailler à temps partiel pendant la durée de la formation. En dépit de cette
contrainte, 70% environ suivent l’intégralité du cursus. Pour s’assurer de leur mobilisation, ils font partie de petits groupes de
pairs (peer groups) qui se réunissent à une fréquence hebdomadaire. De leur côté, les employeurs s’engagent à recruter en
priorité les personnes proposées par Project QUEST même s’il leur est difficile de garantir un emploi dix-huit mois à
l’avance. Project QUEST a récemment mis sur pied des formations sur mesure (customized training) pour approfondir ses
liens avec certains employeurs du secteur de la santé et pouvoir servir avec plus d’efficacité les publics obligés de trouver
rapidement un emploi selon la logique du « work first ».
COOPERATIVE HOME CARE ASSOCIATES (CHCA) ET HOME CARE ASSOCIATES (HCA)
Personnes rencontrées à CHCA :
Zianna Ameer, Employment Services Manager
Elizabeth Collet, Training Program Manager
Crystal Harris, Nurse Manager
Elisabeth Nichols, Service Delivery Manager
Gloria Pichardo, Chief Clinical and Learning Officer
Stu Schneider, Special Projects Associate
Personnes rencontrées à CHA :
Tovah Poster, Executive Associate
Tatia Harris, Director of Service Delivery
L’une des stratégies « sectorielles » d’accès à l’emploi les plus remarquées aux USA est celle de Cooperative Home Care
Associates (CHCA) dans le domaine de l’aide à domicile pour les personnes dépendantes, un domaine en très forte
croissance. CHCA est une coopérative de travailleurs, créée en 1985 à New York, puis étendue à d’autres villes, dont
Philadelphie. La forme coopérative est fréquente dans l’agriculture et le logement, mais beaucoup plus rare dans le domaine
de la santé, CHCA étant la plus importante de ce type, avec 700 employés ayant opté pour l’achat d’une part de l’entreprise
(chaque part s’achète au prix de 100 dollars).
La majorité du conseil d'administration (8 sur 14 membres) est composée d’employés élus par leurs pairs pour un mandat de
deux ans. Des réunions sont régulièrement organisées pour débattre des orientations de la coopérative, dans les quartiers
où vivent la plupart des employés (le Bronx, où CHCA est implantée, et Upper Manhattan). Ceux-ci sont hispaniques à 77%
et noirs à 22% ; 56% sont nés hors des États-Unis (surtout en République Dominicaine). CHCA qui se définit comme une
organisation « community-based » a noué des relations étroites avec d’autres organisations locales qui informent les
habitants des possibilités de formation et d’emploi dans cette structure.
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Toute la philosophie de CHCA tient dans l’idée d’un jeu à somme positive (win win game) : en améliorant la qualité des
emplois, on améliore la qualité des services rendus, dans un secteur où la qualité est souvent perçue comme problématique.
C’est pourquoi la formation est plus poussée que d’ordinaire. Contrairement à la plupart des autres programmes, cette
formation est gratuite alors même que sa durée est plus longue que la norme légale (158 heures au lieu 75). La différence
est prise en charge par des subventions publiques. Dans le même sens, l’encadrement de chaque cursus est assuré par
sept infirmières au lieu d’une seule exigée par la réglementation.
CHCA ajoute ses propres critères concernant la sélection des candidats à la formation : disponibilité à plein temps et deux
week-ends par mois, volonté de s’occuper de ceux qui sont malades et handicapés, ponctualité, comportement adéquat, etc.
Le métier est contraignant et les personnes doivent être préparées à travailler à distance de leur foyer, à répondre aux
urgences. Outre le test de la motivation et de la disponibilité des candidats, l’équipe de CHCA s’assure qu’il n’y a pas
d’autres barrières (garde des enfants, logement…) et s’efforce d’y remédier si elles existent.
CHCA forme entre 200 et 300 aides à domicile chaque année. Les gens sont formés dans de quasi conditions de travail.
Comme il s’agit de personnes en difficulté qui n’ont souvent pas travaillé depuis des années, il ne s’agit pas seulement de
leur délivrer des connaissances, mais de traiter tous les aspects de leur vie quotidienne ou de leur psychologie pouvant
constituer des obstacles ou au contraire des points d’appui pour l’obtention d’un emploi. « Au lieu de réprimander quelqu'un
qui arrive en retard, on essaie de comprendre pourquoi », explique un formateur.
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Une fois la formation effectuée, des pairs expérimentés (peer mentors) suivent les nouveaux formés pour les aider dans leur
travail plus que pour les contrôler. C’est une autre originalité de CHCA : le placement est assuré au sein de la structure ellemême, après une mise à l’essai de trois mois, alors que les autres programmes forment mais ne placent pas.
Les employés de CHCA sont payés en fonction du nombre d’heures travaillées, avec un minimum de travail garanti (à
condition d’accepter chaque proposition, les employés sont payés l’équivalent de 30 heures). Le niveau des salaires est plus
élevé que la norme du secteur. Et les salariés qui veulent gagner davantage le peuvent, de même que ceux qui désirent
travailler moins. Il existe également des possibilités de promotion interne : un tiers de l’administration de CHCA est composé
d’anciens auxiliaires de soins à domicile, ce qui permet d’augmenter leur salaire ; tous les formateurs sont d’anciennes
personnes formées ici. CHCA encourage également ses employés à suivre des formations à l’extérieur pour progresser
dans la carrière. Le turn-over est beaucoup plus faible que la moyenne dans ce secteur professionnel. Plus on reste
longtemps dans la structure et plus les revenus augmentent. Le statut coopératif, la syndicalisation et la sécurité de l’emploi
constituent d’autres motifs de fidélisation des employés.
CHCA joue un rôle important de défense des intérêts de ses employés auprès des pouvoirs publics, par l’intermédiaire d’une
émanation de l’organisation, Paraprofessional Healthcare Institute (PHI), qui anime un réseau national. PHI se préoccupe du
« changement systémique » en pesant sur les politiques de l’État et du gouvernement fédéral, sachant que Medicare et
Medicaid, les deux principaux systèmes publics de couverture santé, financent les deux tiers des soins à domicile.
L’expérience de CHCA a servi de modèle pour un changement de la réglementation fédérale dans une profession jusque-là
très déréglementée.
Les financements publics (notamment dans le cadre des programmes de welfare-to-work) et ceux des fondations
représentent une part importante de l’équilibre financier de CHCA qui a connu des déficits ces dernières années. Le budget
annuel de l’agence du Bronx est de l’ordre 20 millions de dollars et le coût d’une formation individuelle de l’ordre de 3 500
dollars.
Home Care Associates est une réplication à Philadelphie du modèle de la Cooperative Home Care Associates de New York
(d’autres expériences sont en cours dans le New Hampshire et l’Arkansas). HCA a connu une forte croissance. La
coopérative emploie 150 personnes et plus de 1 100 personnes ont trouvé un emploi depuis la création de HCA, en 1993. La
plupart des personnes formées viennent des quartiers défavorisés de Philadelphie et plus de 80% appartiennent aux
minorités. Plus de la moitié d’entre elles sont d’anciennes personnes dépendantes du welfare. HCA est en relation étroite
avec un grand nombre d’organisations de quartier qui reçoivent des financements pour sensibiliser les habitants (outreach).
Les salaires commencent à 7,5 dollars de l’heure et atteignent jusqu’à 13 dollars, voire davantage, ce qui peut sembler
modeste, mais qui est très supérieur aux salaires moyens du secteur. Comme à New York, le turn-over est faible (22% au
bout de 6 mois), grâce aux avantages que HCA procure à ses salariés en matière de transports, de garde des enfants, de
couverture sociale… Mais les employés sont encouragés à poursuivre leurs études. Il existe des possibilités de progresser
dans la carrière en interne grâce à une formation supplémentaire proposée par HCA dans une spécialité.
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Compte tenu de l’ensemble des services proposés aux salariés, la structure a mis longtemps à trouver un équilibre financier.
Elle perçoit des aides de différents institutions publiques et privées (The Reinvestment Fund, par exemple).
ANNIE E. CASEY FOUNDATION
Personne rencontrée :
Robert P. Giloth, Director of Family Economic Success
La fondation Annie E. Casey gère 3 milliards de dollars qu’elle a reçus du fondateur de l’entreprise UPS. Chaque année, la
fondation distribue 200 millions de subventions, mais également des prêts à bas taux et des investissements sous forme de
capital-risque. La plupart des fondations se contentent de verser des subventions.
Lancé en 1995 par Annie E. Casey, le programme intitulé Jobs Initiative a été mis en oeuvre dans six quartiers de six villes
(Denver, Milwaukee, New Orleans, Philadelphie, Saint-Louis et Seattle). Il s’agissait d’un programme expérimental de dix
ans. Annie E. Casey a investi 30 millions de dollars de ressources propres. Se sont ajoutés 10 millions de dollars de fonds
additionnels levés, chaque année, auprès de fondations locales et de municipalités.
On compte entre 30 et 40 Workforce Intermediaries aux USA pouvant être considérés comme très performants. Le
programme Jobs Initiative consistait à investir dans certaines de ces expériences pour démontrer, par des évaluations
précises, que biens conçus ces intermédiaires de l’emploi peuvent faire la différence par rapport au système public
classique, au bénéfice des employés comme des employeurs. Il s’agissait également de promouvoir des changements plus
larges dans le fonctionnement des systèmes publics locaux de formation et d’emploi.
Les six sites retenus pour la mise en oeuvre de ce programme ont été financés aussi longtemps que les résultats
paraissaient bons. Dans l’un des six sites (celui de Denver), le programme a été arrêté prématurément. « La seule manière
d’être innovant, c’est d’échouer ! estime le directeur du programme. Or, les programmes gouvernementaux n’autorisent pas
l’échec… ». Les trois sites les plus performants (Seattle, Milwaukee et Philadelphie)124, ont réussi à placer 6 655 personnes
en emploi. Le salaire moyen de départ était de 10,14 dollars de l’heure, le taux de maintien dans l’emploi au bout d'un an
était de 58%. Quand le projet a pris fin, en 2004, plusieurs des Workforce Intermediaries financés par la fondation Casey ont
été en mesure de se pérenniser.
L’expérience de Milwaukee (Wisconsin Regional Training Partnership, WRTP), co-animée par des industries
manufacturières et syndicats de salariés (dont l’AFL-CIO), est l’une des plus probantes. Fort de 30 organisations adhérentes,
en 1995, WRTP en comptait 125 en 2003. Des liens étroits ont été établis avec les responsables politiques locaux, des
fondations, l’University du Wisconsin et le Milwaukee’s Private Industry Council, alors en charge du système public d’emploi
124
Le cas de Philadelphie a été évoqué plus haut avec The Reinvestment Fund.
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et de formation de la ville. Cette dynamique partenariale a permis d’abonder considérablement la mise de fonds initiale de la
fondation Casey.
Les secteurs privilégiés par le Wisconsin Regional Training Partnership sont les industries manufacturières, la santé, le
bâtiment, les télécommunications et l’hôtellerie. Une part importante de la stratégie mise en oeuvre a reposé sur l’ouverture
d’un centre de formation (appelé Worker Training Center). Des organisations de quartier (dites « communautaires ») se sont
associées au fonctionnement de cet équipement localisé dans le quartier d’affaires, en assurant les opérations quotidienne
de formation et de placement. Les candidats ont obtenu des emplois notamment dans les grands projets de développement
de la ville en matière de transports, d’énergie et d’immobilier. Un bilan partiel effectué en 2003, faisait état de la préservation
et de la création de 1 750 emplois dans les seuls secteurs manufacturier et des télécommunications. De nature à pourvoir
aux besoins d’une famille (family-supporting), ces emplois ont été pourvus par des habitants des quartiers pauvres qui sont
la cible du dispositif.
Un autre exemple jugé probant est celui de Seattle, où les autorités politiques locales ont joué un rôle prépondérant dans la
mise en place du dispositif. Appelé Seattle Jobs Initiative (SJI), ce Workforce Intermediary est géré par un service municipal,
l’Office of Economic Development. Les responsables locaux ont convaincu la fondation Annie E. Casey de soutenir
l’expérience en l’assurant que les règles bureaucratiques habituelles n’allaient pas être appliquées. Le conseil
d'administration du Seattle Jobs Initiative comprend plusieurs entreprises d’importance ainsi que l’Université de Washington.
L’objectif essentiel de SJI est d’assurer l’auto-suffisance économique de jeunes adultes des quartiers pauvres. Sa création
est une conséquence directe des débats sur la réforme du welfare alors en cours au Congrès. La ville a considéré qu’elle
devait mettre à niveau son offre de formation destinée aux populations défavorisées. Les organisations de quartier sont les
principaux partenaires du dispositif. La proximité de ces organisations avec le public visé était un avantage certain. Mais il
fallait dans le même temps que ces organisations améliorent leur savoir faire en termes de traitement des cas individuels, de
relations avec les employeurs et de suivi des personnes placées en emploi (pendant un an à deux ans après le placement).
L’approche des demandeurs d’emploi est globale, mais les métiers retenus sont spécifiques (services aux entreprises,
nouvelles technologies…). SJI a notamment ciblé l’industrie aéronautique et travaillé avec une université locale pour
concevoir un cursus de formation à certains métiers de ce secteur. Quand il est apparu que les taux de placement et de
maintien dans l’emploi étaient inférieurs aux prévisions, SJI a engagé une concertation avec des groupes d’employeurs afin
de mieux comprendre leurs préoccupations. Les programmes de formation ont été modifiés en conséquence et l’accès à
l’emploi des personnes formées a été amélioré. Une réflexion a été engagée en parallèle avec les organisations de quartier
pour comprendre leurs difficultés –notamment celle que posent les « barrières multiples » des personnes suivies- et y
remédier.
A Seattle, le Workforce Intermediary a contribué à créer des filières permettant aux personnes les moins qualifiées d’accéder
à des services de qualité et de bénéficier des liens du SJI avec les entreprises. L’expérience a influencé également la
pratique des prestataires de formation et d’accès à l’emploi, désormais accoutumée à travailler selon une logique de
résultats. Grâce à la diffusion des bonnes pratiques, l’expérience de Seattle est créditée d’un rôle majeur dans la
rationalisation du système local de formation et d’emploi
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6. LES ENSEIGNEMENTS POUR LA POLITIQUE DE LA VILLE
A l’issue de la mission d’étude aux États-Unis, une réunion avec le département « Emploi, insertion, développement
économique » de la DIV a permis d’en tirer des enseignements pour la politique de la ville. Les expériences observées
témoignent dans certains cas d’une intervention réelle de l’État, visant par exemple à orienter les comportements privés
(épargnants, banques). En outre, au-delà des politiques « place-based » centrées sur la revitalisation économique des
quartiers, la notion d’empowerment se traduit tout à la fois par une mobilisation importante d’organisations de quartier dans
le champ économique, et par un accent sur la promotion des publics, en termes de formation et de revenus (approche
« people-place based »). Enfin, beaucoup d’initiatives américaines prennent en compte les minorités ethniques dans un
souci d’efficacité.
Certains des programmes ou initiatives observés dans le cadre de la mission d’étude, sont apparus susceptibles d’inspirer
des innovations dans la politique française. D’autres, trop liées aux spécificités américaines, ont semblé difficilement
transférables. Enfin, certaines pratiques américaines ont des équivalents en France. Elles sont évoquées ici dans la
perspective d’une pérennisation éventuelle du réseau d’échange transatlantique qui s’est créé à l’occasion de la mission
d’étude.
6.1 ORIENTER L’EPARGNE VERS LES QUARTIERS DEFAVORISES
L’IMPLICATION DU SECTEUR BANCAIRE
Le Community Reinvestment Act (CRA), voté en 1977 et réformé en 1995, permet aux organismes fédéraux de régulation
d’évaluer la capacité des banques de dépôts à répondre aux besoins de crédits des quartiers où elles sont localisées, dans
le respect des règles prudentielles. Cette évaluation est contextualisée, intégrant des informations sur les caractéristiques
économiques et démographiques de la zone géographique d’implantation de la banque. Les autorités fédérales disposent
d’un pouvoir de sanction (l’interdiction d’étendre les activités bancaires à l'occasion de fusions ou d’ouvertures d’agences),
mais il est rarement utilisé. C’est l’information du public sur les résultats des évaluations de tel ou tel établissement qui joue
un rôle fondamental d’incitation au changement des pratiques bancaires. Les banques se soumettent aux exigences du CRA
pour des questions d’image et de réputation (pouvant avoir des conséquences financières), davantage que par crainte des
sanctions.
La DIV souhaite encourager l'implication des banques localisées dans les quartiers défavorisés ou à proximité. En l’absence
de données financières permettant de mettre en évidence des « financing gaps », il pourrait être envisagé d’engager une
expérience pilote, avec une ou plusieurs banque(s) volontaire(s) (par exemple, le Crédit Mutuel ou les Banques
Populaires...). Une action de formation pourrait être mise en place en direction de responsables de services et chargés de
clientèle s’adressant notamment aux petites entreprises.
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Cette expérience pilote pourrait se concrétiser par la signature d’une ou plusieurs convention(s) nationale(s) d'objectifs entre
la DIV et un ou plusieurs réseau(x) bancaire(s). Ces conventions établiraient des indicateurs territorialisés de performance,
par exemple : ratio prêts/dépôts, prêts internes/prêts externes à la zone géographique évaluée, distribution géographique
des prêts au sein de la zone, répartition des prêts selon les revenus de l’emprunteur ou la taille de l’entreprise. Les services
de proximité (agences, distributeurs de billet…) pourraient être aussi pris en compte.
LES INTERMEDIAIRES FINANCIERS
Aux USA, le capital privé et public, prêté ou investi dans les quartiers défavorisés transite le plus souvent par des
intermédiaires financiers, les Community Development Financial Institutions (CDFIs), qui ont démontré que l’investissement
économique dans ces quartiers n’était pas exagérément risqué. Pour atténuer les risques pesant sur les épargnants privés,
ou pour compenser un rendement moins élevé, des dispositions fiscales avantageuses existent d’ailleurs. Le New Market
Tax Crédit, par exemple, a été évoqué. Il s’agit d’un crédit d’impôts de 39 % (étalé sur 7 ans) du montant global de
l’investissement réalisé. Le CDFI Fund (qui dépend du Département du Trésor) est autorisé par la loi à allouer chaque année
des crédits d’impôts (15 milliards de dollars sur 7 ans) à des investisseurs qui placent leur argent dans des CDFIs mobilisant
60 % au minimum de leurs fonds dans des quartiers défavorisés.
En France, la notion de fonds d’investissement dédié aux quartiers est inconnue et deux des leviers mobilisés aux USA –les
leviers bancaire et fiscal- sont ignorés. Un fonds d’investissement pourrait être néanmoins expérimenté dans le cadre de la
loi Dutreil qui autorise la création de Fonds d’investissement de proximité (FIP, articles 26 et 27 de la loi). Il s’agit de fonds
communs de placement à risques ayant pour objet de mobiliser, sur un territoire donné, l’épargne de particuliers sensibilisés
à la bonne santé des entreprises locales et incités à souscrire à ces fonds grâce à des dispositions fiscales avantageuses.
Les FIP permettent à des PME, locales ou régionales, d’obtenir les capitaux nécessaires à leur création ou à leur
développement. Les collectivités territoriales peuvent participer à la constitution financière du FIP (dans la limite de 30% de
son actif) et, pour limiter le risque pris par les épargnants, participer financièrement au coût de garantie du portefeuille du FIP
ou aux dépenses de sélection des entreprises financées par les FIP.
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LES DISPOSITIFS D’APPUI AU MICRO-CREDIT
La formule des micro-prêts connu un grand succès aux Etats-Unis, avec 700 programmes de ce type (en 2000), mis en
oeuvre par des intermédiaires financiers de nature diverse, le plus souvent à but non lucratif. Les micro-prêts bénéficient de
sources de financement tout aussi diversifiées (dont celles du gouvernement fédéral, via plusieurs départements ministériels,
dont la Small Business Administration). Les organismes de micro-crédit s’adressent à des porteurs de projets économiques
exclus du système bancaire traditionnel. Les critères d’octroi des prêts varient d’une structure à l’autre, combinant des
approches par publics (personnes à faibles revenus, femmes, minorités ethniques…) et par territoires (lieu d’implantation de
l’activité ou de résidence de l’entrepreneur). L’accent est fortement mis sur la formation et l’assistance technique aux
entrepreneurs. Enfin, les programmes de micro-crédit s’articulent le plus souvent avec d’autres initiatives locales en faveur
de la revitalisation des quartiers pauvres.
En France, les Réseaux d’Appui à la Création d’Activités, l’ADIE ou 3CI, présentent des similitudes avec l’expérience
américaine. Ils bénéficient d’appuis publics (via la DIV) ou quasi publics (via la Caisse des Dépôts et Consignations)
d’ingénierie et/ou en termes de bonification de prêts. La dimension « quartier » de l’activité des organismes de micro-crédit
pourrait cependant être davantage renforcée.
LA RESERVATION DE MARCHES PUBLICS AUX ENTREPRISES DES QUARTIERS
Ce programme créé en 1997 et géré par la U.S. Small Business Administration permet de stimuler le tissu des petites et
moyennes entreprises et l’embauche d’habitants des zones défavorisées en réservant une partie des marchés publics
fédéraux à des PME localisées dans 11 600 « HUBZones » (Historically Underutilized Business Zones), définies en fonction
de critères de pauvreté et de chômage. Dès lors qu’une agence fédérale estime pouvoir trouver plusieurs entreprises
localisées dans des HUBZones et capables de répondre avec succès à un appel d'offres, 3% au minimum du montant des
contrats fédéraux leur sont réservés. Dans les marchés publics fédéraux ouverts à toutes les entreprises, les entreprises
localisées dans une HUBZone reçoivent un bonus et les grandes entreprises sont encouragées à sous-traiter ou à s’associer
à elles. Pour être certifiées comme « HUBZone companies », les entreprises doivent réaliser un investissement dans la zone
et avoir 35% d’habitants de la zone dans son personnel. La mise en place d’un dispositif innovant de ce type supposerait un
agrément de la Commission de Bruxelles.
Dans le même esprit, mais en dehors d’un cadre légal obligatoire, l’expérience de University City District, à Philadelphie,
montre le rôle d’impulsion économique que peut jouer une institution locale implantée dans un environnement défavorisé. De
même que l’University of Pennsylvania passe des marchés aux petites entreprises locales, une réflexion pourrait être
engagée en France sur les retombées en termes de développement économique de certains équipements culturels,
éducatifs, sportifs ou de santé localisés dans ou à proximité des quartiers de la politique de la ville.
6.2 MIEUX RELIER LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET L’ACCES A L’EMPLOI
LES INTERMEDIAIRES DE L’EMPLOI
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Le système public américain d’accès à la formation et l’emploi connaît certaines faiblesses récurrentes : sous-dotation par
les pouvoirs publics, coordination insuffisante des acteurs, éviction des publics peu qualifiés, faible intérêt des entreprises…
En dépit de certains progrès consécutifs au Workforce Investment Act de 1998, c’est en marge du système public que se
sont développées les expériences les plus innovantes d’accès à l’emploi des personnes peu qualifiées, souvent résidentes
des quartiers défavorisés.
L’originalité des Workforce Intermediaries (intermédiaire de l’emploi) consiste à répondre simultanément aux besoins des
demandeurs d’emploi et des entreprises dans des secteurs porteurs (santé, aide aux personnes dépendantes, nouvelles
technologies, mécanique, bâtiment, vente, sécurité, restauration, hôtellerie…). Ces dispositifs s’appuient sur une implication
forte du secteur économique, notamment pour la définition de programmes de formation ou l’aménagement de carrières
internes aux entreprises. Les intermédiaires de l’emploi proposent également de nombreuses prestations d’appui à la
recherche d’emploi et de suivi individuel, au-delà de l’embauche, tout en veillant au niveau des salaires. Les collectivités
locales (la ville de Seattle, par exemple) peuvent être à l’origine de ces dispositifs.
Notre pays connaît également cette situation paradoxale qui voit de nombreuses offres d’emploi non pourvues dans des
secteurs porteurs, faute de mise en relation avec une main d'oeuvre possédant les qualifications adaptées. Les secteurs
d’activités privilégiés par les Workforce Intermediaries sont d’ailleurs très proches de ceux qui ont été identifiés en France à
travers la mise en oeuvre du Plan de Cohésion Sociale. A défaut de reproduire strictement des structures de type
« Workforce Intermediaries », une démarche d’inspiration comparable pourrait être engagée avec des organismes de
formation. En lien étroit avec les entreprises évoluant sur des secteurs où existe une pénurie de main d'oeuvre, il s’agirait de
concevoir des programmes de formation adaptés. Le cahier des charges des organismes ne se limiterait pas à la formation
du public (dont une proportion à définir devrait être issu des ZUS), mais prévoirait une obligation de placement en emploi et
de suivi de carrière.
L’APPROCHE GLOBALE A L’ECHELLE DES QUARTIERS
Plusieurs des organisations rencontrées sont parvenues à créer, à l’échelle des quartiers, une synergie entre le
développement économique, l’accès à l’emploi et le traitement des difficultés sociales des résidents.
A Newark, New Community Corporation (NCC) est emblématique de l’approche « holistique » qui inspire de nombreuses
organisations locales : NCC fournit des prêts aux entreprises, développe une infrastructure commerciale, génère des
emplois liés à ses diverses activités (logement, sécurité, santé, éducation, etc.), tout en proposant un continuum de services
aux habitants, parmi lesquels une palette de formations et des aides multiples pour surmonter les barrières à l’emploi.
A Brooklyn, l’action de CAMBA vise simultanément l’autosuffisance individuelle (par des programmes sociaux et de
formation) et la stabilisation de l’économie du quartier en apportant un soutien aux entrepreneurs locaux. Mais les relations
de CAMBA ne se limitent pas aux seules entreprises du quartier. Son programme de formation repose aussi sur un
partenariat étroit avec des entreprises de l’agglomération, dans certains secteurs d’activité spécifiques.
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A Brooklyn également, Bedford Stuyvesant Restoration Corporation (BSRC) a mené une politique active d’attraction
d’entreprises extérieures. Dans un environnement soumis à des processus de gentrification, BSRC a développé une
stratégie d’éducation, de formation et de logement afin de permettre aux résidents défavorisés de tirer parti des opportunités
locales, et au-delà du quartier.
A Philadelphie, l’Economic Development Unit (EDU) de l’Empowerment Zone (EZ) a été créée pour maximiser les créations
locales d’emplois. Elle joue à ce titre un rôle de coordination et de catalyseur des ressources mobilisables en faveur du
développement économique. Mais pour faciliter l’accès des habitants à ces opportunités, l’EDU coopère avec l’ensemble des
structures compétentes en matière d’emploi et de formation. L’approche se voulant globale, elle intègre également de
nombreuses initiatives en matière de santé, d’éducation, de sécurité, etc.
A Philadelphie toujours, le système public de l’emploi s’articule étroitement au réseau des organisations de quartier. L’un des
points d’accueil du public (le Career Link de North Philadelphia) est ainsi localisé dans un équipement de quartier
(Congreso) proposant une palette étendue de services sociaux, sanitaires, éducatifs et économiques (soutien aux
entrepreneurs locaux).
A l’heure où se mettent en place des Maisons de l’Emploi, et compte tenu de l’expérience acquise par les Equipes Emploi
Insertion et les chefs de projet ZFU, ces démarches intégrées ont pour intérêt d’échapper aux sectorisations traditionnelles,
au profit de stratégies locales s’efforçant d’établir des passerelles entre développement économique, accès à l’emploi et
traitement des barrières sociales. Une offre de services de qualité peut se concrétiser dans la création de guichets uniques
rassemblant, à l’échelle d’un territoire, l’ensemble des intervenants en matière de développement économique, d’emploi, de
formation et d’action sociale.
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