antoine lembert (1802-1851) (*) sa biographie
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antoine lembert (1802-1851) (*) sa biographie
129 Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 2009, 148, 129-134 ANTOINE LEMBERT (1802-1851) (*) Georges Harris BRUN (1) SA BIOGRAPHIE Antoine Thomas Alfred Étienne Lembert est né à Nancy le 21 germinal, an X de la République, à 17 heures, soit le 10 avril 1802, et non le 19 comme il est souvent noté dans ses dossiers scolaires. Son père Alexis était instituteur à Nancy et sa mère Agnès mère au foyer. Il fait ses études de médecine à Paris où il soutient sa thèse le vendredi 22 février 1828, sur “ Proposition sur le système nerveux appliquée à la théorie des névroses et des inflammations ”. Il exerce la médecine et la chirurgie à Paris où il est installé 32 rue Michel Lecomte dans le 3e, puis au 27 bis rue de la Chaussée d'Antin dans le 9e arrondissement. Parallèlement, il est médecin des épidémies du département de la Seine. Il décède à Paris d'un cancer de l'estomac à l'âge de 49 ans en 1851. Il a reçu le grand prix Montyon de l'Académie des Sciences et a été premier lauréat des Hôpitaux civils de Paris. (*) (1) Manuscrit reçu le 11 juin 2009. Pr. Hon. Université Bordeaux 2, 3, place Camille Saint-Saëns, 33600 Pessac. [email protected] 130 SES TRAVAUX Ce qui caractérise Antoine Lembert, c'est la diversité de ses pôles d'intérêt, dans sa pratique comme on vient de le voir et dans ses publications qui concernent l'anatomie et la physiopathologie du système nerveux, la chirurgie, la pharmacologie, l'homéopathie et la sociologie. Dans sa thèse sur le système nerveux [9], il note que celui-ci devient plus complexe quand on s'élève dans l'échelle animale et que, dans sa formation, le système nerveux de l'homme passe successivement par tous les types du développement du système nerveux animal : système fibrillaire – ganglio-nerveux - moelle épinière - cerveau. La mort frappe les structures en sens inverse. Par ailleurs, il distingue trois sortes de sensibilité : de nutrition jamais perçue, tactile et sensorielle. La sensibilité des viscères passe par des ganglions nerveux d'où plus de lenteur pour arriver au cerveau. Sa définition de la névrose est un peu spéciale : c'est une irritation parvenue à un centre ganglionnaire, spinal ou cérébral, et dirigée de là sur les nerfs locomoteurs. Si l'irritation agit sur un filet sensitif, elle est transmise au filet locomoteur et détermine des contractions des muscles des capillaires, d'où des phénomènes de congestion locale, source elle-même d'irritation et de phénomènes inflammatoires. Mais en fait, Lembert est surtout connu comme auteur de la méthode endermique et de sa technique de suture digestive. Concernant la méthode endermique, il publie avec Lesieur [11], alors qu'ils sont élèves des Hôpitaux de Paris, en 1824, cette technique sous le nom de " Méthode emplastodermique ". Lesieur en fera son sujet de thèse en 1825 [12 ], au grand dam de Lembert qui en réclame la paternité devant l'Académie des Sciences en 1826 [7-8]. En fait, c'est un Bordelais, Guérin [4], qui le premier en 1787, dans une communication à l'Académie Royale de chirurgie, à Paris, fait état de l'efficacité de l'administration d'opium au niveau des muqueuses buccales et urétrales. Mais la Révolution de 1789 empêche la diffusion de cette communication. Cependant, en février 1824, il publie de nouveau des observations où l'opium est administré au niveau d'une brulure ou d'un vésicatoire, soit trois mois avant la publication de Lembert et Lesieur… Quoi qu'il en soit, cette méthode consiste à créer un vésicatoire non pas à l'aide d'eau bouillante qui détruit le derme, mais à l'aide de vésicants, tels les cantharides. Les drogues peuvent être introduites dans la vésicule 131 mais en général elles sont déposées sur le derme dénudé. Lembert utilise la strychnine dans les paralysies, l'émétique dans l'érysipèle de la face, la morphine dans les douleurs, le kermès dans les obstructions bronchiques, l'assa foetida ou le safran dans les céphalées et le musc dans l'asthme. D'autres ont eu recours à l'iode, à la belladone, etc. Ces médications sont utilisées sous forme de poudre ou de grains. La dose de médicament administrée est fonction des surfaces du vésicatoire. Si l'effet est trop important, on peut en retirer. Lambert a également proposé l'injection de médicaments dans le tissu cellulaire à l'aide d'un petit appareil [5]. Mais cela a soulevé un tollé " Ce moyen pourrait avoir de graves inconvénients. Comment limiter l'étendue de l'injection ? Comment arrêter les progrès de l'inflammation qui pourrait en être la suite. " [3]. Concernant sa technique de suture digestive [1-6], il note que les sutures muco-muqueuses sont de mauvaise qualité et doivent être abandonnées au profit des sutures séro-séreuses. L'originalité de Lembert est de faire une suture musculo-séreuse à points séparés avec adossement des surfaces séreuses et inversion des bords de la plaie dans la lumière intestinale. Cette suture est parfois appelée loin-près-près-loin en fonction des points de pénétration de l'aiguille par rapport au bord de la plaie intestinale. En cas de suture circulaire, celle-ci est facilitée par l'invagination sur elle-même et sur un centimètre de chaque extrémité intestinale, ce qui en fin d'intervention constitue un bourrelet circulaire intraluminal. De nombreux auteurs ont fait référence à la technique de Lembert et l’ont adoptée. Ses publications sur le sujet ont été en particulier traduites en anglais et en néerlandais [14] et il est cité plus de 300 fois dans la littérature. Fairlie [2] a appliqué sa technique à la suture vaginale après hystérectomie pour prévenir la formation de granulomes. Autant le traitement par voie endodermique n'a plus aucune raison d'être depuis l'apparition de médications injectables, autant sa technique de suture constitue encore la technique de référence dans les sutures intestinales. Si son cancer de l'estomac ne l'avait pas emporté prématurément, Lembert avait projeté la publication de deux monographies : - l'une sur la "méropathie ou conciliation de l'homéopathie et de l'allopathie" - l'autre sur "l'organisme social décalqué de l'organisme humain". 132 Mais la publication la plus inattendue pour ce médecin est celle sur " la famille, société d'assistance mutuelle contre les accidents de la vie et pour ses besoins " [10 ]. Il prêche pour une assistance à « ceux qui sont tombés dans la détresse, l'amélioration physique et morale de ceux qui végètent dans la gêne du présent et l'anxiété de l'avenir. » Or si la charité procure la quiétude aux riches, elle est notoirement insuffisante pour réaliser cet objectif. Il convient de lutter contre le paupérisme par, selon lui, l'amélioration de l'agriculture afin de retenir les gens à la campagne et de limiter l'afflux vers les villes de personnes qui vont se trouver au chômage et alors complètement démunies. Il faut également et surtout constituer une grande association mutuelle qui prend pour nom LA FAMILLE. Celle-ci propose une charité sociale, associée à la charité privée pour ceux qui n'ont vraiment rien. Pour les autres, elle propose une cotisation afin de bénéficier d'une assistance médicale, judiciaire, économique (coopérative d'achat), registre d'offres et de demandes d'emplois, éducation des enfants et même prêts de faibles sommes sans intérêts, service des sinistres, retraite ! Il publie les statuts de cette association mais l'histoire ne dit pas si elle a été effectivement mise sur pied et si elle a fonctionné. Lambert, en tout cas, était un précurseur des mesures sociales et de la solidarité qu'il fallait mettre en œuvre au moment où commençait l'industrialisation. CONCLUSION Lembert a été un esprit curieux, touchant à de multiples domaines. Certes, les progrès de la médecine ont rendu caducs, comme on l'a vu, ses travaux sur la voie endodermique et le système nerveux. Par contre, son nom restera attaché pour toujours à son procédé de suture intestinale qui a défié le temps. Quant à sa vision de la Société, on ne peut s'empêcher d'y reconnaitre son rôle de précurseur dans la nécessité de développer la solidarité, en particulier sous forme d'assistance mutuelle organisée. Lembert mérite notre reconnaissance. Remerciements : Je remercie le Pr. John Livingston Powell [13 ] de Wilmington (États-Unis), qui m'a fait connaitre Antoine Lembert et le Pr. Guy Devaux de l'Université de Bordeaux 2 qui m'a apporté son concours dans la recherche bibliographique. 133 RÉFÉRENCES 1- 2- 3- 456- 78- 9- Bernard (C.L.), Huette (C.) - Procédé de Lembert. In Précis iconographique de médecine opératoire et d’anatomie chirurgicale. Paris : Méquignon-Marvis, 1855, p. 257, pl. 59 p. 260-261 (495 p.). ftp://ftp.bnf.fr/570/N5707796_PDF_1_534.pdf Fairlie (E.J.), Al-Hassani (S.S.M.) - The Lembert suture in the prevention of vaginal vault granulation after total abdominal hysterectomy. - BJOG: Int. J. Obstetrics Gynaecol., 1973, 80(9), 839-843. Gintrac (É.) - Cours théorique et clinique de pathologie interne et de thérapie médicale. Tome premier. Paris : G. Baillière, 1853, p. 575-577 (669 p.). http://books.google.fr/books/download/Cours_ th__orique_et_clinique_de_patholog.pdf?id=OMwIgkaBIHkC&outpu t= pdf Guérin (P.) - Suite au mémoire précédent sur l'emploi de l'opium. - J. Méd. Gironde, 1824, 1, 65-73. Lembert (A.) - Appareil pour injection de médicaments dans le tissu cellulaire. - Nouv. Biblioth. Méd., 1826, 4, 35. Lembert (A.) - Mémoire sur l'entéroraphie avec la description d'un procédé nouveau pour pratiquer cette opération chirurgicale. - Répert. Gén. Anat. Physiol. Pathol., 1826, 2, 100-107. [traduit en anglais : Antoine Lembert 1802-1851. Study on intestinal suture with a description of a new procedure for performing this surgical operation. - Dis. Colon Rectum, 1988, 31(6), 489-494]. Lembert (A.) - Notice sur la méthode endodermique. - Nouv. Biblioth. Méd., 1826, 4, 28. Lembert (A.) - Essai sur la méthode endermique, lu à l'Académie royale des sciences le 25 septembre 1826. Paris : Parmentier, Ballière 1828, ii, 124 p. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5688083d.r=. lang FR Lembert (A.) - Propositions sur le système nerveux, appliquées à la théorie des névroses et des inflammations. Thèse Méd. Paris 1828 (36), 19 p. ftp://ftp.bnf.fr/568/N5688083_PDF_1_-1DM.pdf 134 10 Lembert (A.) - Assistance mutuelle. La famille, société d'assistance mutuelle contre les accidents de la vie et pour ses besoins... Paris : Comon, 1851, 48 p. 11 - Lembert (A.), Lesieur (A.J.) - Exposé sommaire d’une médication nouvelle par la voie de la peau privée de son épiderme, ou par celle des autres tissus accidentellement dénudés. - Archiv. Gén. Méd., 1824, 5, 158-159. http://books.google.com/books?id=VzQwAAAAIAAJ &oe=UTF-8 12 Lesieur (A.J.) - De la méthode endodermique. Thèse Paris, 1825, n°92. 13 Powell (J.L.) - Lembert suturing and the correct use of eponyms. - J. Gynaecol. Surgery, 1999, 15(2), 113. http://www.liebertonline.com/ doi/abs/10.1089/gyn.1999.15.113 14 Thiery (M.) - Antoine Lembert (1802-1851) en de Lembert-hechting. Tijdschr. Geneeskd., 2003, 59(8), 557-558. __________