Exil fiscal et ISF - Méthodes de Statistique Appliquée

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Exil fiscal et ISF - Méthodes de Statistique Appliquée
Exil fiscal et impôt de solidarité sur la fortune
Thierry Foucart
L’exil fiscal est un sujet d’actualité devenu très polémique du fait du départ récent à l’étranger d’un
certain nombre de personnalités françaises, François Pineau et Gérard Depardieu pour ne citer
qu’eux.
L’installation à l’étranger de personnes très fortunées n’est pas toutefois pas nouvelle : on ne
compte plus les artistes, sportifs, hommes d’affaires domiciliés en Belgique, en Suisse ou ailleurs
depuis longtemps, et dont certains ont abandonné la nationalité française. D’après un journal
luxembourgeois, le Luxembourg compte environ 30 000 expatriés français, la Belgique 109 426, la
Suisse 155 743 et le Royaume Uni 123 306 (Le Quotidien, http://www.lequotidien.lu/leconomie/35385.html); tous ne sont pas bien sûr des exilés fiscaux, mais tous profitent d’une
fiscalité avantageuse. D’autres Français, disposant généralement d’une fortune moindre, résident à
l’étranger, au Maroc en particulier où ils bénéficient eux aussi d’avantages fiscaux considérables.
On a l’impression que l’exil fiscal s’accélère actuellement, par suite des dernières mesures
fiscales prises par le gouvernement, sans pouvoir l’affirmer faute de statistiques précises.
Parmi ces mesures, il y a évidemment l’impôt de solidarité sur la fortune rétabli à son niveau
de 2007 par le nouveau gouvernement (le seuil d’imposition restant à 1 300 000 €). Cet impôt n’est
pas prélevé sur le revenu, mais sur le patrimoine. Il s’agit donc, très précisément, d’une spoliation,
d’une atteinte au droit de propriété reconnu dans la Déclaration Universelle des droits de l’homme :
l’alinéa 2 de l’article 17 précise que « nul ne peut être privé arbitrairement de sa propriété ». Ce
droit, qui ne figure pas explicitement dans la Constitution française, a été déclaré en 1981 droit
constitutionnel mais reste soumis à l’intérêt général défini par le gouvernement en place, ce qui a
permis de légaliser les nationalisations (avec indemnisation des actionnaires) effectuées dans
l’idéologie socialiste de l’époque.
La justification de l’ISF, créé en 1982 par le gouvernement Mauroy sous le nom d’impôt sur
les grandes fortunes (IGF), est la justice sociale. Dans la situation financière actuelle, imposer aux
plus fortunés une contribution particulière semble raisonnable à la plupart des gens. Mais ils
ignorent en fait la nature de l’ISF, le patrimoine à partir duquel l’impôt est perçu, le montant de cet
impôt, et sont nombreux à croire qu’il s’agit d’un prélèvement supplémentaire sur le revenu du
capital réservé aux personnalités extrêmement riches.
La grande majorité des Français, n’étant pas assujettis à l’ISF, trouvent donc normal que les
riches soient particulièrement taxés. Cette opinion n’est pas suffisante pour justifier cet impôt et son
montant, pour contredire les principes fondamentaux que sont le droit de propriété et l’égalité en
droit : les contribuables soumis à l’ISF doivent leur fortune à la chance, au talent, à leur travail, à
des successions, ou à plusieurs de ces facteurs. Il s’agit d’argent honnête (l’argent malhonnêtement
gagné n’entre pas dans nos considérations) sur lequel ils ont déjà versé des droits ou payé des
impôts. La solidarité, autre principe démocratique, ne peut être assurée que par la collectivité, alors
qu’actuellement elle est imposée particulièrement sévèrement à cette minorité par des prélèvements
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spoliateurs qui peuvent même dépasser 75% des revenus, contrairement à ce que de prétendus
fiscalistes affirment. Cette spoliation est une entorse à l’égalité en droit puisqu’elle est fondée sur la
discrimination par la fortune.
Le tableau ci-dessous donne l’impôt dû en fonction d’un patrimoine certes élevé, mais sans
être outrancier (beaucoup de médecins, des cadres supérieurs et des cadres moyens en fin de
carrière).
Patrimoine
1 400 000,00 €
2 000 000,00 €
3 000 000,00 €
ISF (par an)
3 575 €
8 075 €
16 750 €
Mensuellement
298 €
670 €
1 396 €
Un foyer dont le revenu imposable atteint 36 000 € annuels doit donc consacrer 10% de ce
revenu à l’ISF si son patrimoine atteint 1 400 000 €. Une telle situation est très vraisemblable, en
particulier lorsque le contribuable est en retraite et surtout depuis la hausse très rapide des prix de
l’immobilier et du foncier dans certaines régions. L’ISF, loin d’être négligeable, est alors très mal
ressenti. C’est la raison pour laquelle de nombreux foyers refusent de payer l’ISF qu’ils devraient et
s’abstiennent de déclarer leur patrimoine. L‘ISF est alors perçu rétroactivement avec des pénalités
lors des successions, ce qui incite un peu plus à la dissimulation fiscale.
Il suffit d’un changement de plan local d’urbanisme (PLU), transformant des terres agricoles
en terrains à bâtir, pour multiplier par 30 ou plus un patrimoine sans évidemment que les revenus
soient modifiés. La seule solution est alors la vente du bien : c’est une expropriation forcée, sans
déclaration d’utilité publique , et l’indemnisation, ici le produit de la vente du terrain, peut être de
moins de la moitié de la valeur du bien compte tenu des prélèvements sociaux, des taxes diverses et
de l’impôt sur la plus-value. La contradiction avec l’article 545 du Code civil qui précise que « nul
ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant
une juste et préalable indemnité. » est flagrante.
Le taux de l’ISF est progressif. Le tableau ci-dessous donne le montant de l’impôt dû dans le
cas des très grosses fortunes :
Patrimoine
10 000 000,00 €
20 000 000,00 €
30 000 000,00 €
ISF (par an)
113 210 €
283 400 €
463 400 €
Mensuellement
9 434 €
23 617 €
38 617 €
Il faut avoir de très gros revenus pour pouvoir conserver un très gros patrimoine. Ces gros
revenus diminuent fortement à la retraite, qui coïncide en outre à une augmentation du patrimoine
privé par l’apport des biens professionnels et par suite à une augmentation de l’ISF.
Cette situation est fréquente dans l’agriculture : le patrimoine privé d’un céréalier qui
possède 500 ha de terres évaluées à 6 000 € l’hectare est augmenté immédiatement de trois millions
d’euros quand il prend sa retraite. Son ISF atteint alors au minimum 16 750 €, au moment où ses
revenus diminuent fortement. Les patrons propriétaires de PME sont dans une situation analogue.
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L’État a pris des mesures complémentaires pour limiter cet effet (le pacte Dutreil par exemple),
mais elles ne sont pas toujours applicables.
L’exil fiscal apparaît donc aux contribuables assujettis à l’ISF comme une solution
moralement acceptable pour éviter un impôt élevé qu’ils voient comme une spoliation, d’autant plus
acceptable d’ailleurs qu’ils considèrent fréquemment que c’est la politique menée par les
gouvernements successifs qui est responsable des difficultés financières et sociales actuelles dues à
la dette de l’État. Pour ceux – de nombreux petits industriels, des professions libérales, des cadres,
– dont le patrimoine vient de leur travail et de leur choix de vie, c’est la cigale qui oblige la fourmi à
être solidaire.
La France a signé des accords de liberté de circulation des personnes et des biens : elle
accueille de nombreux résidents étrangers qui paient leurs impôts en France, des capitaux qui
viennent y créer des emplois. Elle ne peut empêcher légalement ce qu’elle a autorisé et reconnu
comme un droit universel : l’alinéa 2 de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme précise que « toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir
dans son pays. ». Il n’y a donc aucun jugement de valeur officiel à porter sur le comportement des
exilés fiscaux (d’autant moins que certains sportifs français installés à l’étranger ont reçu la Légion
d’honneur) qui ne font qu’appliquer la loi. Les responsables politiques actuels seraient plus avisés
de régler les problèmes de corruption connus chez certains élus et de s’interroger sur leur façon de
dépenser l’argent public.
Il n’est pas étonnant que les contribuables gèrent leur patrimoine en fonction de leurs
intérêts et utilisent les montages financiers légaux qui sont faits pour ça : l’État, initiateur de ces
montages financiers, est pris à son propre piège, parfois grossièrement. La moralité des
comportements, à laquelle le gouvernement actuel fait appel pour mener sa politique, est
complètement perturbée par ce dirigisme que bien des contribuables contestent quand ils deviennent
perdants. La plupart des citoyens favorables à l’ISF lui deviennent opposés dès qu’ils y sont
assujettis, et ne sont pas les derniers à protester en cas de hausse, même très minime, de leur
imposition, des cotisations sociales ou de la TVA. Les leçons de morale que certains n’hésitent pas
à donner sont souvent placées sous l’emprise de leur situation fiscale et financière.
Les mesures fiscales sont souvent éphémères, ne profitent et ne sont imposées parfois qu’à
quelques-uns. Les joueurs de football ont profité au début du mandat de Nicolas Sarkozy d’une
fiscalité particulière, les journalistes et d’autres professions en profitent toujours. Il n’y a pas
d’égalité devant la loi fiscale. Des entreprises nommément désignées perçoivent des subventions,
ont des dérogations : Eurodisney bénéficie d’avantages fiscaux particuliers par rapport aux autres
entreprises du même secteur. Les Qataris sont exemptés d’impôt sur la plus value des opérations
immobilières qu’ils font en France (http://www.marianne.net/La-France-un-paradis-fiscal-pourresidents-qataris_a213572.html), etc. Il est paradoxal que des investisseurs étrangers soient
favorisés en France par rapport aux investisseurs français, que la France attire des étrangers riches
par des avantages fiscaux et des entreprises étrangères par des subventions et veuille empêcher les
Français riches de partir et les entreprises françaises de « délocaliser ».
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Certes, il existe des patrimoines considérables par rapport à d’autres. Ils sont constitués
d’entreprises, d’immobilier, de terres. L’État peut tout prendre à François Pineau, la dette publique
n’en sera pas diminuée : pour la rembourser, il faudrait vendre ce patrimoine aux créanciers
étrangers. Est-il préférable que le propriétaire de LVMH soit un fond de pension américain qui
récupère les bénéfices au profit de ses adhérents retraités ou François Pineau qui les réinvestit et
paie des impôts en France ? En cas de nationalisation sans indemnisation comme le propose certains
partis d’extrême gauche, ce n’est pas le capital qui est partagé, ce sont les revenus qu’il génère, et la
gestion de ces patrimoines par l’État ne donnerait certainement pas les mêmes résultats
qu’actuellement. Il faut enfin raisonner dans la durée : ces patrimoines finiront par se disperser au
fur et à mesures des successions.
La crise actuelle, en France, n’est donc pas seulement économique et financière. Elle est
aussi culturelle : il y a une perte de valeurs et de rationalité sous la pression de la conjoncture. La
solidarité, nécessaire, est imposée à une minorité en contradiction avec l’égalité en droit. Cette
minorité a les moyens de faire face aux exigences de l’État ; mais ces exigences sont telles qu’elles
en ont enlevé le désir à certains. Les uns s’exilent, les autres cessent de travailler. Ce sont ceux qui
créent le plus de richesses.
Toutes ces difficultés viennent d’une législation financière et sociale complètement dépassée
par les événements. Plus le nombre de lois et règlements sera élevé, plus il y aura de contradictions
entre eux, entre les valeurs qu’ils sont supposés défendre. L’empilement incessant de lois et
règlements ne peut résoudre cette contradiction des valeurs, au contraire, il provoque des situations
inextricables, génère des solipsismes comme la « discrimination positive ». C’est pourquoi le
gouvernement cherche un moyen d’action différent, fondé sur une morale officielle diffusée par
l’école dont le rôle est de « changer les mentalités » comme l’explique le ministre de l’éducation
nationale Vincent Peillon dans sa lettre aux recteurs à propos du mariage des homosexuels. C’est le
contraire de la laïcité qu’il prétend défendre, et laisse des relents d’ « homme nouveau » de triste
mémoire.
La population ne peut guère raisonner qu’à court terme. Si les responsables politiques ne se
préoccupent pas du long terme, notre pays va finir par ressembler à une République Populaire
analogue à celles que nous avons connues avant la chute du mur de Berlin.
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