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EXPOSITION / 28 MAI 2014 - 1ER JUIN 2015 30 ANS D’ACQUISITIONS EN NORD-PAS DE CALAIS CARTE BLANCHE AUX MUSÉES DE LA RÉGION L’exposition Liste des prêteurs Commissariat Philippe Gayot, Conservateur des musées de la Porte du Hainaut, Président de l’Association des conservateurs des musées du Nord-Pas de Calais Luc Piralla-Heng Vong, Conservateur du patrimoine, chef du service conservation du musée du Louvre-Lens Arras, Musée des Beaux-Arts Boulogne-sur-Mer, Musée Calais, Cité internationale de la dentelle et de la mode Denain, Musée municipal Douai, Musée de la Chartreuse Dunkerque, Musée des Beaux-Arts Dunkerque, Musée portuaire Gravelines, Musée du dessin et de l’estampe originale Le Cateau-Cambrésis, Musée départemental Matisse Lewarde, Centre historique minier Lille, Musée d’histoire naturelle Lille, Palais des Beaux-Arts Roubaix, La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent Saint-Amand-les-Eaux, Musée de la tour abbatiale Saint-Omer, Musée de l’hôtel Sandelin Valenciennes, Musée des Beaux-Arts Villeneuve d’Ascq, LaM – Lille Métropole musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut Assistés de Germain Hirselj, historien de l’art Scénographie [A]FL // Architecture Frédéric Lebard En charge : Mathieu Naccarato Musée du Louvre-Lens Président : Jean-Luc Martinez Directeur : Xavier Dectot Administratrice générale : Catherine Ferrar Chef du service conservation : Luc Piralla Chargée de recherche et d’exposition : Anne-Sophie Haegeman Médiation : Juliette Guépratte et son équipe Délégué maîtrise d’ouvrage : Rémi Miquet Cadre juridique : Audrey Cieniewski Régie des oeuvres : Raphëlle Baume, Caroline Chenu et Marie-Clélie Dubois Mise en page et conception graphique du livret : Charles-HilaireValentin Iconographie : Élodie Couécou Cette exposition bénéficie du soutien de la Caisse d’Epargne Nord France Europe 2 Liste des auteurs Laetitia Barragué-Zouita, Conservateur du patrimoine, département du Moyen Âge et de la Renaissance au Palais des Beaux-Arts de Lille Fabien Dufoulon, Médiateur au musée du Louvre-Lens Anne Esnault, Directrice du musée des Beaux-Arts d’Arras Philippe Gayot, Conservateur des musées de la Porte du Hainaut, Président de l’Association des conservateurs des musées du Nord-Pas de Calais Sophie Henwood-Nivet, Responsable du service des collections à la Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais Germain Hirselj, Historien de l’art Judith Pargamin, Conservatrice du musée d’histoire naturelle de Lille Luc Piralla-Heng Vong, Conservateur du patrimoine, chef du service conservation du musée du Louvre-Lens Céline Ramio, Directrice du musée de Boulogne-sur-Mer 3 Grand Mécène Bâtisseur Louvre-Lens, la Caisse d’Epargne Nord France Europe parraine l’exposition « 30 ans d’acquisitions en Nord-Pas de Calais ». Fidèle à sa vocation de Banque régionale investie sur ses territoires, la Caisse d’Epargne s’associe à cet ambitieux projet qui valorise le travail des musées de la région dans leurs recherches, acquisitions et rénovations d’œuvres. En effet, ce travail de sélection des œuvres est primordial dans l’organisation et la cohérence des collections et des expositions d’un musée. La Caisse d’Epargne accompagne cet important travail d’investissement dans le prolongement de son partenariat des réserves visitables du Musée. Banque régionale coopérative, forte de 350 000 sociétaires, la Caisse d’Epargne Nord France Europe, grâce à son réseau de 260 agences et de ses centres d’affaires, accompagne et finance les clients particuliers et professionnels, les entreprises, les collectivités territoriales ainsi que les acteurs de l’économie sociale et du logement social. Philippe Lamblin Le Nord-Pas de Calais est une région riche de ses musées, de par leur densité mais surtout de par le nombre et la diversité de leurs collections. Dès son ouverture, le Louvre-Lens a voulu en témoigner notamment à travers les expositions du Pavillon de verre ; une volonté aujourd’hui renforcée, cet espace étant désormais entièrement consacré à la mise en valeur du patrimoine artistique et muséal régional. Première exposition de cette nouvelle orientation, « Carte blanche aux musées de la région » veut mettre l’accent sur un aspect à la fois connu et souvent incompris de la vie des musées, l’enrichissement des collections, en mettant en lumière trente ans d’acquisitions. C’est l’occasion de souligner le dynamisme des musées, soutenus par leurs collectivités, par l’État, par la Région Nord-Pas de Calais et par de nombreux mécènes. Qu’elles représentent la richesse du territoire, un patrimoine national et international ou la fascination pour l’ailleurs, ces acquisitions sont venues renforcer les musées de la région, souvent de chefs-d’œuvre remarquables. Bien sûr, ces acquisitions étaient trop nombreuses pour être toutes présentées ici, mais les commissaires, Philippe Gayot et Luc Piralla, sont parvenus, à travers une sélection rigoureuse et fine, à en refléter toute la force. Président du Conseil d’Orientation et de Surveillance Alain Denizot Président du Directoire Et si les mécènes sont essentiels aux acquisitions des musées, ils le sont aussi à l’organisation des expositions, et c’est aussi ici l’occasion d’exprimer la reconnaissance du Louvre-Lens à la Caisse d’Epargne Nord France Europe, partenaire fidèle du musée depuis l’époque de sa construction. Xavier Dectot Directeur du musée du Louvre-Lens 4 5 Avant-propos Les musées se définissent par les collections qu’ils conservent et valorisent et qu’ils ont le devoir d’enrichir et de compléter. Pour ce faire, ils peuvent bénéficier de dons, de legs ou acheter des œuvres auprès de particuliers, de marchands ou directement en vente publique. L’exposition présente dix-sept achats réalisés ces trente dernières années particulièrement révélateurs du dynamisme, de la diversité et de la richesse des musées de la région. L’entrée d’un bien dans les collections publiques a des conséquences importantes sur son statut, l’objet ne peut notamment plus être vendu, il devient inaliénable. Dès lors, si un musée souhaite acquérir une œuvre, il doit soumettre un dossier à une commission scientifique qui valide ou non la pertinence de l’acquisition au regard de la cohérence des collections. L’exposition souhaite montrer aux visiteurs comment s’articule cette cohérence scientifique dans les différentes collections régionales autour de trois thématiques constantes des politiques d’acquisition muséales : le rapport immédiat au territoire, la tentation encyclopédique de toute collection et enfin l’attrait de l’autre, de l’ailleurs et du lointain. Chaque œuvre présentée est à la fois révélatrice de la collection qu’elle a enrichie mais permet surtout de constater que la région est un formidable terreau d’artistes, de savants et de collectionneurs et que son histoire a passionné bien au-delà de son territoire. Les collections régionales ne se limitent pourtant pas à l’art, elles bénéficient aussi des techniques et savoir-faire qui s’y sont épanouis et de l’ouverture sur le monde qui la caractérise. Jehan de Bellegambe Sainte Barbe (détail), vers 1509 Huile sur bois, 87 × 29 cm Douai, musée de la Chartreuse 6 7 Collections régionales : collections locales ? Terreau d’identité, le musée rassemble prioritairement des collections en rapport avec son territoire et ses habitants. Il conserve ainsi naturellement des œuvres des enfants du pays, soit parce qu’ils y sont nés ou y ont un ancrage affirmé. Le Nord-Pas de Calais peut ainsi s’enorgueillir d’avoir vu naître de grands créateurs comme Matisse, Carpeaux, Herbin ou Bellegambe. Les artistes ne sont pas les seuls à rendre compte d’un territoire, les savoir-faire artisanaux ou industriels sont également caractéristiques et trouvent aussi leur place dans les collections muséales : Calais consacre ainsi une cité à la dentelle qui a fait sa puissance. Les collections mettent également en valeur l’histoire locale grâce à des œuvres représentant le territoire ou des évènements qui s’y sont produits par des artistes qui n’ont pas toujours de liens avec lui : par exemple des œuvres remarquables sur l’histoire de la mine et de la sidérurgie. P. 10 – Portrait du docteur Batailhé, Jean-Baptiste Carpeaux P. 12 – Sainte Barbe, Jehan de Bellegambe P. 14 – Femme à la Gandoura bleue, Henri Matisse P. 16 – Union, Auguste Herbin P. 18 – Intérieur aux barres de soleil, Henri Matisse P. 20 – Robes du soir P. 22 – La Remontée au jour des revenants de Courrières, František Kupka P. 24 – Allégories de la Mine et de la Sidérurgie, Lucien Jonas P. 26 – Saint Pierre repentant, Gérard Seghers Auguste Herbin Union (détail), 1959 Huile sur toile, 146 × 114 cm Le Cateau-Cambrésis, musée départemental Matisse 8 9 Collections régionales : collections locales ? Collections régionales : collections locales ? Portait du docteur Batailhé Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) Vers 1874 Huile sur toile, 40 x 32 cm Valenciennes, musée des Beaux-Arts, inv. 2011.4.1 Acquis en 2011 avec le soutien du FRAM C e petit tableau est l’œuvre de Jean-Baptiste Carpeaux. Il témoigne des talents multiples du grand sculpteur valenciennois et de son rapport si particulier à la peinture. « Tu aimes la peinture et moi je l’adore » écrivait-il à son ami peintre Bruno Chérier (lettre du 30 septembre 1864). Carpeaux peignait comme il modelait la terre, avec une vivacité et une spontanéité inégalées. Brossé à grands traits vigoureux, dans une gamme de tons terreux, le visage du docteur Batailhé semble surgir de l’ombre pour mieux nous considérer, le front en avant, le regard grave, comme suspendu dans un moment d’intimité. De fait, la pratique de la peinture s’inscrit pour Carpeaux dans le cercle des intimes. Comme le rappelle le catalogue de la rétrospective « Carpeaux peintre » présentée en 1999/2000 au musée des Beaux-Arts de Valenciennes, les portraits, qui forment environ un tiers de son œuvre peint, représentaient essentiellement les membres de sa famille ou ses amis proches. Ces œuvres, que l’artiste réalisait pour lui-même, ne furent jamais exposées de son vivant. Le docteur Batailhé était le médecin et l’ami de Jean-Baptiste Carpeaux. C’est lui qui le guérit d’une grave infection des yeux en 1855, lui qui l’initia à la science de l’anatomie si chère au sculpteur, lui encore que Carpeaux agonisant appela à son secours en 1874. Le médecin vint depuis le Sud de la France jusqu’à Paris où l’artiste résidait. C’est à cette occasion que Carpeaux peignit son portrait, quelque dix ans après avoir sculpté son buste (ci-contre). Au cours de la même année 1874, le médecin mourut, précédant de quelques mois le départ du sculpteur. Le portrait passa alors dans la collection du peintre Bruno Chérier, autre artiste valenciennois et grand ami de Carpeaux. Germain Hirselj 10 Jean-Baptiste Carpeaux Le Docteur Batailhé plâtre original, H. : 46,5 cm Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, inv. S92-22 11 Collections régionales : collections locales ? Collections régionales : collections locales ? Sainte Barbe Jehan Bellegambe (1470-1534) Vers 1509 Huile sur bois, 87 × 29 cm Douai, musée de la Chartreuse, inv. 2011.1.1 Acquis en 2011 avec le soutien du FRAM L es collections municipales de Douai, installées depuis 1958 dans l’ancien couvent des Chartreux, comprennent un certain nombre d’œuvres majeures du patrimoine local. C’est notamment le cas de deux grands retables provenant d’abbayes des environs de la ville. Le polyptyque de la Trinité est commandé par Charles Coguin, abbé d’Anchin, à Jehan Bellegambe vers 1515. Son exemple est suivi quelques décennies plus tard par Jacques Coëne, abbé de Marchiennes ; il s’adresse à Jan Van Scorel qui réalise un grand polyptyque des scènes de la vie de saint Jacques et de saint Étienne vers 1540. Si le choix de ce peintre d’Utrecht est relativement difficile à expliquer – on a songé à une recommandation de celui-ci par Georges d’Egmont, évêque d’Utrecht et abbé de Saint-Amand – celui de Jehan Bellegambe paraît en revanche beaucoup plus évident. L’artiste est en effet né à Douai vers 1470. Fils d’un menuisier de la ville, il complète sa formation dans l’un des foyers de l’art flamand, Bruges ou Gand ; certains historiens ont envisagé également un passage dans l’atelier de Simon Marmion à Valenciennes. On lui attribue aujourd’hui avec certitude une vingtaine d’œuvres, provenant essentiellement de la région de Douai et Arras. Le musée de la Chartreuse conservait déjà quatre d’entre elles. Outre le polyptyque de la Trinité, entré dans les collections après la Première Guerre mondiale, étaient présentés deux volets d’un ensemble consacré à l’Immaculée Conception et deux panneaux isolés. L’acquisition de Sainte Barbe par le musée en 2011 s’inscrit donc dans une logique visant à mettre en avant la personnalité de cet artiste local, au même titre que celle des Douaisiens Jean Boulogne, Alexandre Descatoire ou Henri-Edmont Cross, dont le musée expose plusieurs œuvres. Le panneau porte les armoiries de Charles Coguin qui l’aurait commandé après sa nomination à la tête de l’abbaye d’Anchin en 1508. Avec le triptyque du Bain mystique (Lille, Palais des BeauxArts) dont il serait contemporain, il atteste des liens entre l’abbé et l’artiste avant même la commande du polyptyque de la Trinité. 12 Le Portrait de l’abbé Charles Coguin en prière (New York, Metropolitan Museum of Art, inv. 32.100.125) est aujourd’hui considéré comme le revers du panneau de Douai, qui semble bien être la face externe du volet gauche d’un petit triptyque portatif. Fermé, celui-ci était le support de deux figures en grisaille. Sainte Barbe est reconnaissable à la palme de martyre et à la tour percée de trois fenêtres – allusion à la Trinité – dans laquelle son père l’avait enfermée. La sainte était particulièrement vénérée dans la région. Elle devait faire face à un autre personnage, peutêtre sainte Catherine ou saint Étienne ; les trois saints sont en effet rassemblés sur le volet intérieur droit du polyptyque de la Trinité. L’utilisation de la grisaille montre l’intérêt du peintre pour l’art des primitifs flamands, et notamment de Jan Van Eyck. C’est seulement dans les décennies suivantes que l’influence du maniérisme anversois se fait plus nette, ce dont témoigne le Martyre de sainte Barbe (inv. 989.4) peint par Jehan Bellegambe en 1528 et acquis par le musée en 1989. Le rassemblement des deux œuvres à Douai permet ainsi de mieux saisir, autour d’une même figure de dévotion, son évolution stylistique. Fabien Dufoulon 13 Collections régionales : collections locales ? Collections régionales : collections locales ? Femme à la gandoura bleue Henri Matisse (1869-1954) 1951 Huile sur toile, 81 x 65 cm Le Cateau-Cambrésis, musée départemental Matisse, inv. 1992-9 © Succession H. Matisse Acquis en 1992 avec le soutien du FRAM Exposé du 27/01/15 au 08/06/15 P einte en décembre 1951 à Nice, la Femme à la gandoura bleue est l’ultime huile sur toile peinte par Matisse. Il a 82 ans et cette œuvre intervient à une période où sa santé lui permet difficilement d’entreprendre une peinture. Il troque alors ses pinceaux pour des ciseaux et retrouve le plaisir d’une nouvelle pratique artistique à travers la découpe de papiers gouachés, harmonieusement assemblés, qu’il expérimente pour l’album Jazz et pour la chapelle du Rosaire à Vence. Quatre ans donc que Matisse n’avait pas repris les pinceaux, ses dernières peintures – la série des « ateliers » – datant de 1947-1948. L’artiste, dont on admirait le trait et la richesse des couleurs sur la toile, s’est alors voué corps et âme à ses papiers gouachés, et la Femme à la gandoura est le témoignage ultime de sa pratique picturale à cette époque. C’est Katia, une Suissesse, qui servit de modèle et qui posa pour la toile. Louis Aragon en témoigne : « Depuis le mois d’octobre 50, de nouveaux modèles envahissent l’œil matissien. L’un d’eux, on l’appelait d’abord "Carmen", puis le peintre a préféré pour lui, pour elle, le nom de "Katia", parce qu’à son goût cela va mieux à une femme blonde. Toute une série de grandes femmes qui auraient pu être des "platanes", bien que, seule, Katia-Carmen porte ce nom pour Matisse, "Le Platane" ». Il peindra alors deux portraits de Katia ; ses deux dernières peintures. Aragon poursuit : « Un jour de l’an 51, parce que "Le Platane" aura revêtu, à son tour ledit peignoir, nous apprendrons que c’était à nouveau une gandoura, "la gandoura bleue" qui donnera son nom au tableau où Katia-Carmen prend couleur. » Cinq ou six séances suffirent à révéler sur la toile le visage épuré du jeune modèle. Les formes y sont dessinées directement par la couleur, intense, et la figure, brossée à grands coups de pinceau. Le geste pictural, vigoureux et spontané, apparaît ici totalement libéré. L’artiste, comme souvent, a habillé son modèle d’une tunique empreinte d’exotisme dont les motifs et les coloris animent la surface de la toile. 14 Cette acquisition faisait suite à une série de dons, consentis par la famille Matisse, qui avaient pour ambition d’enrichir le premier musée monographique consacré au peintre, qui demeurait encore pauvre en peintures, pour être pleinement représentatif de son œuvre. Son achat, tel un symbole fort, intervient en 1992, l’année même où le musée se voit départementalisé. Réalisée un an avant que Matisse ne décide de la création d’un musée, à la demande des habitants de la ville où il a vu le jour, et qu’il ne consente à le doter de 82 œuvres, la Femme à la gandoura est venue enrichir un fonds qui n’a cessé de croître. La collection était installée depuis 1982 dans le palais Fénelon, construit au 18e siècle par les archevêques de Cambrai, avant que le lieu n’amorce sa métamorphose et ne devienne un palais de la culture rénové, agrandi et modernisé entre 1999 et 2002, qui offre aujourd’hui un ensemble de référence dédié à l’une des figures majeures de l’art du 20e siècle. Germain Hirselj 15 Collections régionales : collections locales ? Collections régionales : collections locales ? Union Auguste Herbin (1882-1960) 1959 Huile sur toile, 146 × 114 cm Le Cateau-Cambrésis, musée départemental Matisse, inv. 1994-1 Acquis en 1994 avec le soutien du FRAM Exposé du 16/09/14 au 27/01/15 S i le musée du Cateau-Cambrésis est devenu l’un des hautslieux de l’œuvre du peintre Henri Matisse, il compte parmi les donations historiques celle consentie par Auguste Herbin en 1956, qui comprenait vingt-quatre peintures, dessins et sculptures. Le musée est à la tête depuis, du plus important ensemble consacré au peintre conservé en France. Natif de Quiévy, village proche du Cateau où il passa sa jeunesse, Herbin est considéré comme l’un des pères de l’abstraction géométrique. Depuis ses débuts postimpressionnistes, en passant par des toiles fauves, puis cubistes, Herbin rompit en 1926 avec la figuration, dans une démarche libérée de toute référence à l’objet. Remarquable par ses dimensions, Union est l’illustration parfaite de l’alphabet plastique qu’Herbin met en place au début des années 1940. Il cherche en effet les grandes lois qui peuvent régir sa création, nourri des écrits de Goethe et du philosophe Rudolf Steiner. La peinture, posée en aplat lisse couvrant des formes géométrisées, est créée à partir du mot qui la titre. Un jeu de correspondances s’établit alors entre formes géométriques et couleurs, notes de musique et lettres de l’alphabet, qui composent la toile. Il atteint cet Art non-objectif, non-figuratif – du nom du recueil publié en 1949 – qu’il a poursuivi sa vie durant, une recherche de la dimension universelle de la peinture, avec la géométrie comme base de tout. Depuis la donation originelle, le musée Matisse s’est donné pour ambition d’enrichir la collection Herbin, en particulier à l’égard des périodes de sa vie artistique, qui n’y sont que peu ou pas représentées. En effet, à l’époque de l’achat de la toile Union, le musée ne possédait aucune œuvre de la maturité de l’artiste, généralement considérée comme l’aboutissement de son travail. Il s’est depuis imposé comme le lieu de référence consacré à l’œuvre d’Auguste Herbin, y ayant en particulier consacré la première rétrospective en 1994 et une exposition en 2012, la plus importante jamais conçue. Germain Hirselj 16 17 Collections régionales : collections locales ? Collections régionales : collections locales ? Intérieur aux barres de soleil Henri Matisse (1869-1954) 1942 Huile sur toile, 78 × 50 cm Le Cateau-Cambrésis, musée départemental Matisse, inv. 1995-5 © Succession H. Matisse Acquis en 1995 avec le soutien du FRAM Exposé du 28/05/14 au 16/09/14 O n connait l’attachement de Matisse à la ville de Nice. Depuis 1917, il y passe le plus clair de son temps, louant des villas ou séjournant dans des hôtels en bord de mer. En 1938, il s’installe à l’Hôtel Régina. Il vient en effet d’acquérir deux appartements au troisième étage de cet ancien palace. Situé sur la colline de Cimiez, il avait été construit pour accueillir les riches clients hivernants – la colonie anglaise et la Reine Victoria en particulier – sur la Riviera française. C’est désormais dans ce vaste atelier que l’artiste poursuivra son œuvre, entrecoupé d’aller-retours à Vence, jusqu’à son décès en 1954, et qu’il y réalisera la plupart de ses derniers chefs-d’œuvre. Pour Aragon, Matisse représente pendant l’occupation et la tragédie de la guerre, « la liberté française qui n’est pareille à aucune autre ». L’Intérieur aux barres de soleil représente cet appartement du Régina. Tels les moucharabiehs marocains, les grands panneaux rouges et blancs – des étoffes aux motifs de fleurs d’hibiscus, de tiaré et de feuilles que l’artiste a rapportées de Tahiti – animent l’œuvre par leur verticalité, comme l’animent tout autant les volets des fenêtres. Le motif de la fenêtre traverse en effet l’œuvre de Matisse de bout en bout, ici suggérée par les volets par lesquels la lumière irradie littéralement la toile, loin de l’austère rigueur de la Porte-fenêtre à Collioure de 1914. Elle rayonne sur le sol, sur la sellette couronnée d’un vase de fleurs, et surtout sur la figure féminine assise dans un fauteuil, le visage littéralement mangé par le soleil méditerranéen. Matisse avait adressé une note à l’attention du propriétaire du tableau : « Je recommande aux futurs possesseurs de ce tableau de ne jamais avoir l’idée de colorier le personnage assis dans le fauteuil. Tel quel, il a sa couleur, voulue par moi, suggérée par l’effet d’optique, résultant de l’ensemble des couleurs du tableau. » La toile apparaît comme l’annonce de la série des intérieurs rouges des années 1947-1948, série incandes18 cente qui sera exposée en 1949 au Musée national d’Art moderne. Cette toile clôt une série de cinq tableaux sur le thème de jeunes femmes assises dans un intérieur devant une fenêtre, peints en 1942. Elle se démarque des autres par un geste spontané et libéré, et un cadrage sensiblement différent qui met en valeur le lieu luimême bien plus que le modèle. Aragon écrivit, dans son fameux Roman, à propos de cette œuvre : « Ici, l’audace de la couleur dépasse à mon sens les sœurs en question. Tout ce qui était ailleurs description devient ici simple rappel, indication des choses », ajoutant « Ce sont des toiles comme cela qui font comprendre que les audaces ultérieures ne sont en rien des improvisations, mais la suite naturelle de longues méditations sur la couleur et la lumière, lesquelles remontent à l’époque fauve, et même audelà, aux premières recherches de l’auteur. »L’œuvre fut achetée à Matisse en 1945 par Lydia Delectorskaya, auprès de qui le musée l’a acquise. Rencontrée en 1932, elle accompagnera les dernières années de l’artiste en tant que secrétaire, aide d’atelier et modèle. Germain Hirselj 19 Collections régionales : collections locales ? Collections régionales : collections locales ? Robes du soir Calais Robe du soir, vers 1926 (à gauche) Dentelle Algues Marines, Fantaisie Moderne des établissements Merlen, Bodart et Ball Création du motif : Henry Ball-Carrier-Belleuse, esquisseur en dentelle Dentelle mécanique Leavers en coton et fil lamé coloris noir et or, tulle mécanique en soie coloris or Calais, Cité internationale de la dentelle et de la mode, inv. 1998.116.4 Acquisition avec le soutien du FRAM en 1998 Exposée du 28/05/14 au 09/12/2014 Robe du soir, vers 1925 (à droite) Dentelle mécanique Leavers en fibre synthétique (rayonne) coloris parme et gris argenté, crêpe de soie coloris rose pâle Calais, Cité internationale de la dentelle et de la mode, inv. 2006.4.5 Acquisition avec le soutien du FRAM en 2006 Exposée du 09/12/14 au 08/06/15 L a dentelle mécanique est née de la volonté d’imiter la dentelle à la main, étoffe parmi les plus prisées depuis le 16e siècle. Les premiers métiers à tulle, permettant de réaliser un réseau uni et sans motif, sont mis au point en Angleterre dès les premières années du 19e siècle. Calais, ville située sur le littoral de la Manche, sera la principale destination de ces métiers introduits sur le continent dès 1816. Lorsqu’il devient possible, dans les années 1830, de réaliser une dentelle présentant un décor, l’industrie dentellière calaisienne connaît un formidable essor. Elle façonne l’urbanisme et l’architecture d’une ville qui vit jour et nuit au rythme des métiers et emploie jusqu’à 30 000 personnes. Aujourd’hui encore, quelques entreprises y perpétuent, grâce à des machines centenaires, la fabrication d’une dentelle d’exception. calaisienne alors à son apogée, donnait aux dentelliers la possibilité d’une créativité infinie, tant en ce qui concerne les motifs que les couleurs, dont les nombreux échantillons conservés se font l’écho. Conservatoire du patrimoine industriel et artistique dentellier ouvert en juin 2009, la Cité internationale de la dentelle et de la mode retrace à l’aide de ses collections deux siècles d’histoire de la mode, cette dernière étant rarement dissociable de celle de la dentelle. Sophie Henwood-Nivet La première de ces robes est réalisée dans une dentelle créée par Henry Ball, petit-fils du sculpteur Albert-Ernest Carrier-Belleuse et esquisseur calaisien parmi les plus renommés. Cette dentelle fait partie d’un ensemble plus vaste de recherches menées par l’esquisseur autour du thème de la mer. Les fils métalliques, qui caractérisent les robes du soir de cette période, forment ici un décor d’algues stylisées sur fond de spirales. Le motif de fleurs stylisées qui orne la seconde robe, est également représentatif du style Art déco. Dans le cadre de la présente exposition, deux robes sont exposées successivement pour des raisons de conservation. En se portant acquéreur de ces pièces datées des années 1920, le musée a enrichit ses collections vestimentaires de témoins d’une époque exceptionnelle pour la dentelle mécanique. La mode des Années folles, l’un des principaux débouchés à la production 20 21 Collections régionales : collections locales ? Collections régionales : collections locales ? La Remontée au jour des revenants de Courrières František Kupka (1871-1957) 1906, paru dans L’Illustration du 7 avril 1906 Lavis d’encre de Chine, crayon et gouache blanche sur papier, 55 × 79,2 cm Lewarde, Centre historique minier, inv. 2002.11529 Acquisition avec le soutien du FRAM en 2005 Exposé du 28/05/14 au 09/12/14 I nscrit au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’Unesco en 2012, le Centre historique minier est le plus important musée minier de France. Fondé en 1984 par les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais, il est installé sur une ancienne fosse, la fosse Delloye, où l’extraction de la houille avait débuté en 1927 et s’était arrêtée dans les années 1970. Les collections du musée, initialement constituées par le matériel d’extraction, les outils des mineurs, le matériel ferroviaire, les bâtiments et d’importantes archives, ont été progressivement enrichies en fossiles houillers et en objets du quotidien liés au monde minier. À partir des années 2000, l’agrandissement permit d’orienter aussi le musée vers les œuvres d’art lié au monde minier. En effet, ce dernier a inspiré les artistes depuis le milieu du 19e siècle tant par la réalisation de toiles, de groupes sculptés et de décors peints que par le biais des dessins publiés dans la presse. Le dessin représente un des épisodes les plus dramatiques de la « Catastrophe de Courrières » (10 mars 1906) qui avait tué 1099 mineurs et reste la plus meurtrière de l’histoire des mines européennes. Trois jours après le coup de grisou et le coup de poussier meurtriers (explosions de méthane puis de poussière de charbon), la recherche des survivants avait été interrompue par la direction des mines. Pourtant, vingt jours après l’explosion, treize survivants étaient remontés du fond par leurs propres moyens suscitant une émotion nationale et un mouvement de révolte du monde ouvrier, indigné du traitement infligé aux mineurs au nom du profit et réclamant des améliorations des conditions de travail et de sécurité. Avec son papier de qualité, ses illustrations en couleur et son prix de vente élevé, L’Illustration, fondée en 1848, est le parent luxueux et conservateur de la famille de la presse illustrée du début du 20e siècle. Ses propriétaires n’hésitent pas à faire appel 22 aux meilleures plumes et aux plus grands dessinateurs de leur temps. František Kupka s’est installé à Paris en 1896. S’il collabore volontiers à la revue anarchisante L’Assiette au beurre, il n’hésite pas à vendre ses dessins à la presse de droite qui sait reconnaître son talent, d’autant plus qu’ici, le thème traité s’y prête. Kupka s’est ici inspiré des croquis fait sur le vif par le correspondant local du journal. Les survivants se détachent de leur environnement, et apparaissent réellement comme des spectres. Ils se soutiennent les uns les autres sous l’œil impavide des autres personnages. Malgré son talent, Kupka n’est pas encore aussi célèbre qu’il le sera plus tard en 1906 et ce dessin s’inscrit juste avant le tournant non figuratif de sa carrière. En 2005, les propriétaires du patrimoine de L’Illustration décident de vendre aux enchères les archives et les prestigieuses collections de dessins du journal. Il était important que ce dessin emblématique d’un grand artiste puisse intégrer les collections du Centre historique minier. Philippe Gayot 23 Collections régionales : collections locales ? Collections régionales : collections locales ? Allégories de la Mine et de la Sidérurgie Lucien Hector Jonas (1880-1947) Vers 1925 Fusain et gouache sur papier Denain, musée d’archéologie et d’histoire locale, inv. 2008.3.10 et 2008.3.11 Acquisition en 2009 par la Communauté d’Agglomération de La Porte du Hainaut avec le soutien du FRAM Exposé du 09/12/14 au 03/03/15 (gauche) Exposé du 03/03/15 au 08/06/15 (droite) L e musée municipal de Denain (Nord) a été fondé en 1937 sur un projet de valorisation des artistes locaux et de la présentation du passé historique et industriel du Valenciennois. Denain, initialement village rural, est devenu à cette époque une ville de 30 000 habitants implantée sur la mine et la sidérurgie. Le projet du musée a évolué mais cet ancrage historique local lui est resté. Cette industrie lourde, employeuse de masse, presque disparue au milieu des années 1980, a laissé dans les esprits des représentations d’un âge de fer, mais aussi d’un âge d’or. En outre, les œuvres représentant des industries et des ouvriers, en plus de leur aspect documentaire, révèlent la vision des artistes mais aussi de leurs commanditaires. Lucien Jonas, est un peintre né à Anzin. De formation académique aux Beaux-Arts de Valenciennes puis de Paris. Protégé par Henri Harpignies (1819-1916), il gardera sa vie durant un style postimpressionniste loin des avant-gardes artistiques, très populaire, mais aussi très apprécié de la bourgeoisie traditionnelle. Il exposa au salon des artistes français dès 1901 et obtint un second prix de Rome en 1905. Très vite, il est sollicité par les industriels du Valenciennois. Ces derniers lui ouvrent les portes des usines où, d’un trait vif et sûr, il se constitue une formidable iconothèque de croquis, de machines et de portraits. Ces dessins lui serviront pour produire de grands décors muraux mais aussi les toiles commandées par les industriels. Attentif aux ouvriers et aux petites gens, ses dessins précis, bienveillants et humains, mettent en traits le catholicisme social dont il était proche. Les deux oeuvres présentées sont des études proposées pour des décors muraux, elles mettent en scène les allégories de la Mine et de la Sidérurgie. Pour la Sidérurgie (ci-dessus, à droite), le personnage central est un puddler, ouvrier d’élite qui affinait 24 la fonte en acier. Un observateur et un loucheur contemplent la scène. Héphaïstos, dieu forgeron et Athéna déesse de la Sagesse sont représentés à l’arrière plan. Pour la Mine (ci-dessus, à gauche), des mineurs sculptent la statue d’une déesse qui pourrait être Gaïa, la terre nourricière ou une représentation de la Prospérité. Les représentations des divinités du panthéon gréco-romain sont régulièrement présentes dans ces décors, Valenciennes ayant été surnommée l’Athènes du Nord pour sa richesse culturelle. Les pratiques représentées dans ces allégories sont antérieures de vingt ans aux dates de réalisation des œuvres : après les années 1920, le pic du mineur fut supplanté par le marteau pneumatique et le puddlage par le four Martin. Les ouvriers des croquis du début du 20e siècle sont eux aussi devenus des personnages mythologiques. Ces deux œuvres font partie d’un ensemble de 80 dessins de Lucien Jonas acquis en 2009. Pour la direction du musée, cet ensemble important éclairant la genèse de nombreuses œuvres majeures connues réalisées par un artiste local, déjà présent dans les collections, était une nécessité scientifique et culturelle. Philippe Gayot 25 Collections régionales : collections locales ? Collections régionales : collections locales ? Saint-Pierre repentant Gérard Seghers (1591-1651) Vers 1620 Huile sur toile, 135 x 107 cm Arras, musée des Beaux-Arts, Inv 982.1.1 Achat en 1982 avec le soutien du FRAM A rras, qui fut tour à tour bourguignonne au 14e siècle puis espagnole au 16e siècle, n’intégra le royaume de France qu’en 1640. La capitale de l’Artois, qui demeura dans les Pays-Bas du Sud – de confession catholique – appartient pleinement aux Flandres historiques. Les tableaux des écoles du Nord, présents dans les collections du musée d’Arras depuis sa fondation à la période Révolutionnaire, traduisent cette réalité historique et cette présence artistique. Dès 1794, le peintre arrageois Dominique Doncre, chargé de choisir des œuvres pour le Museum parmi les biens saisis, sélectionna majoritairement des tableaux issus des écoles du Nord. L’école flamande se trouva largement prépondérante. Citons parmi ces premières œuvres Les Trois anges chez Abraham de Barent Fabritius et Mercure endormant Argus de Van Bloemen. Depuis la création du Fonds régional d’acquisitions pour les musées en 1982, le musée des Beaux-Arts d’Arras a procédé à une vingtaine d’achats. Les peintures des écoles du Nord constituent environ un quart de ces acquisitions, juste après les paysagistes de l’école d’Arras au 19e siècle, mais devant les artistes du 18e siècle ou l’histoire locale. L’objectif visé est d’enrichir le fonds historique tout en complétant avec d’autres artistes. La Marchande de fruits du flamand Pieter van Boucle Bouillon, dépôt du musée du Louvre en 1985, parachève la présentation de cet ensemble homogène. Saint Pierre repentant de Gérard Seghers, acheté dès 1982, illustre pleinement cet axe de la politique d’acquisition. Le tableau de ce caravagesque anversois est confronté au Saint François recevant les stigmates de Pierre Paul Rubens, véritable chef-d’œuvre, commandé au maître d’Anvers pour le couvent des Récollets d’Arras vers 1615. Ces représentations de saint, d’une égale force plastique chez Seghers et Rubens, étaient appréciées par l’Église désireuse d’encourager le culte des saints dans le cadre de la Contre-Réforme catholique notamment dans les bastions septentrionaux. Anne Esnault 26 Pierre Paul Rubens Saint François recevant les stigmates Huile sur toile Arras, musée des beaux-arts 27 Vers des collections encyclopédiques Parce qu’un musée a vocation à faire le tour de tout un domaine de connaissances défini par son projet scientifique et culturel (PSC), il peut acquérir une nouvelle œuvre afin de combler une lacune, de compléter ses collections et d’en permettre une meilleure compréhension. Lorsque le musée des Beaux-Arts de Dunkerque, riche en peintures flamandes, acquiert un chef-d’œuvre de la peinture française, que le Palais des Beaux-Arts de Lille s’enrichit d’une plaque de reliure limousine, ils sortent de leur région de prédilection mais pas de leur projet encyclopédique. L’achat de la céramique de Chagall illustre pleinement la vocation du musée de Roubaix de mettre en valeur les arts décoratifs, pont entre l’art et les savoir-faire. Lorsque le musée de Gravelines, dédié à l’estampe originale achète la série Apocalypse de Dürer, que celui de Saint-Amand s’enrichit d’une Vierge baroque, ou que Saint-Omer acquiert un tableau de Boilly ayant appartenu à l’un des amateurs ayant constitué ses collections, ces musées paraissent s’éloigner de leurs principaux champs chronologiques, géographiques ou thématiques. Pourtant il est cohérent d’acquérir un chef-d’œuvre de la Renaissance de la technique à laquelle le musée est dédié, de mieux comprendre l’évolution d’un modèle iconographique déjà présent dans les collections ou de rassembler des ensembles qui font historiquement sens. P. 30 – L’Apocalypse, Albrecht Dürer P. 38 – Vierge à l’Enfant, anonyme P. 40 – Crucifixion, Marc Chagall P. 42 – Allégorie d’un Ministre parfait, Eustache Le Sueur P. 44 – Ah ! ça ira, Louis Boilly P. 46 – Plat de reliure de Dormeuil, anonyme Marc Chagall Crucifixion (détail de la reproduction p. 41), 1952 Pièce tournée en terre blanche, décor aux engobes et aux oxydes, gravée au couteau et à la pointe sèche, émail partiel au pinceau, doublée de couverte à l’intérieur, H. 45,8 cm Roubaix, La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent 28 29 Vers des collections encyclopédiques Vers des collections encyclopédiques L’Apocalypse Albrecht Dürer (1471-1528) 1498, édition de 1511 Série de 16 Xylographies sur papier vergé, 25 x 15 cm Gravelines, Musée du Dessin et de l’Estampe originale Acquisition avec le soutien du FRAM en 1991 L e musée du Dessin et de l’Estampe originale de Gravelines est né de la volonté des artistes du « Groupe de Gravelines », et de leur président Charles Gadenne (1925-2012), de développer la présentation de ce médium au travers d’expositions présentant l’œuvre gravée des artistes aux côtés de leur œuvre peint ou sculpté. Installé dans l’arsenal du 17e siècle construit par Vauban, il ouvre ses portes en octobre 1982. Les collections du musée sont initialement constituées autour de l’œuvre d’artistes modernes et contemporains comme Émile Laboureur (1877-1943), Marcel Gromaire (1892-1971) ou Eugène Leroy (1910-2000). Cette politique d’acquisition est confortée par la publication de catalogues raisonnés et valorisée par des expositions temporaires, parfois itinérantes1. L’estampe est par essence multiple. La matrice gravée par l’artiste ou selon son modèle permet d’effectuer de nombreux tirages. Son « originalité » correspond pour les artistes modernes ou contemporains à la limitation volontaire du nombre d’exemplaires pour en préserver la qualité ; mais aussi la rareté attestée par la justification du tirage. Pour les périodes anciennes, les matrices peuvent être utilisées plusieurs décennies durant, voire quelques siècles pour les plus renommées, jusqu’à une usure quasi-complète. La xylographie consiste à graver dans un bois dur une image qui sera encrée. Lors du passage à la presse, l’image sera imprimée sur le papier. La technique s’est développée au 14e siècle en Europe dans le but de fabriquer en série des images pieuses vendues par les colporteurs. Elle est donc considérée initialement comme un art mineur, quoique beaucoup plus diffusé que les autres. À partir de 1470, le développement des livres imprimés et illustrés lui donnera un nouvel essor, mais les graveurs sont encore souvent des artisans qui répondent aux commandes des libraires. L’Apocalypse est différente. C’est une œuvre dont Albrecht Dürer est le seul maître d’œuvre, où il réussit à saisir l’angoisse et l’es- 1. D’après Dominique Tonneau-Rychelinck in FRAM 1982-1992, 10 ans d’acquisitions du F.R.A.M. de la région Nord-Pas-de-Calais, ACMNPC, 1992, p. 139-140. 30 pérance millénariste de cette fin de siècle troublée. Là où le texte biblique imprimé au verso des feuillets glisse d’une image à une autre, il organise le drame, fixant les scènes. Entre deux mondes, l’absence de perspective mathématique unitaire rattache l’Apocalypse au gothique tardif ; la représentation de l’Homme, de ses souffrances et de ses passions la fait entrer en Renaissance. L’œuvre aura un immense succès et sera copiée très vite. En 1678, Malvasia, critique d’art italien écrivait que « tous ces artistes fameux qui nous paraissent si originaux ne seraient que des mendiants si, un jour, ils se voyaient contraints de rendre à Dürer ce qu’ils lui ont volé2 ». L’acquisition de L’Apocalypse par le musée du Dessin et de l’Estampe originale de Gravelines est une reconnaissance de la dette des graveurs. Cette œuvre, premier livre conçu et publié par un artiste, faisait entrer le support de prédilection du maître de Nuremberg dans les arts majeurs. D’autres acquisitions de maîtres anciens viendront par la suite enrichir les collections du musée. Philippe Gayot 2. D’après K.A. Knappe, in Dürer, Gravures, Œuvre Complet, Arts et Métier Graphiques, 1964. 31 Vers des collections encyclopédiques Le Martyre de saint Jean l’Évangéliste (détail) Cette planche qui suit le frontispice n’est pas une illustration du texte biblique mais représente le martyre de saint Jean qui selon la tradition aurait été jeté dans une cuve d’huile bouillante par l’empereur Domitien à la Porte latine à Rome. Il aurait survécu puis été exilé à Patmos, une île grecque dans la mer Égée où il rédigea l’Apocalypse. Il est important de constater que Dürer représente l’action qui se déroule au 1er siècle de notre ère avec des costumes contemporains de la publication des gravures. Saint Jean appelé aux cieux (détail) « À l’instant, je tombai en extase. Voici, un trône était dressé dans le ciel, et, siégeant sur le trône, Quelqu’un... [...] Vingt-quatre sièges entourent le trône, sur lesquels sont assis vingt-quatre Vieillards vêtus de blanc, avec des couronnes d’or sur leurs têtes. Du trône partent des éclairs, des voix et des tonnerres, et sept lampes de feu brûlent devant lui, les sept Esprits de Dieu. Devant le trône, on dirait une mer, transparente autant que du cristal. Au milieu du trône et autour de lui, se tiennent quatre Vivants, constellés d’yeux par-devant et par-derrière. Le premier Vivant est comme un lion ; le deuxième Vivant est comme un jeune taureau ; le troisième Vivant a comme un visage d’homme ; le quatrième Vivant est comme un aigle en plein vol. [...] Ils ne cessent de répéter jour et nuit : "Saint, Saint, Saint Seigneur, Dieu Maître-de-tout ; Il était, Il est et Il vient." » Ap (4 : 2-8). 32 La Chute des étoiles (détail) « Lorsqu’il ouvrit le sixième sceau, alors il se fit un violent tremblement de terre, et le soleil devint noir comme une étoffe de crin, et la lune devint tout entière comme du sang, et les astres du ciel s’abattirent sur la terre comme les figures avortées que projette un figuier tordu par la tempête, et le ciel disparut comme un livre qu’on roule, et les monts et les îles s’arrachèrent de leur place ; et les rois de la terre, et les hauts personnages, et les grands capitaines, et les gens enrichis, et les gens influents, et tous enfin, esclaves ou libres, allèrent se terrer dans les cavernes et parmi les rochers des montagnes, disant aux montagnes et aux rochers : « Croulez sur nous et cachez-nous loin de Celui qui siège sur le trône et loin de la colère de l’Agneau. Car il est arrivé, le grand Jour de sa colère, et qui donc peut tenir ? » Ap (6 : 12-17). Les Quatre Anges de l’Euphrate (détail) « Et le sixième Ange sonna... Alors j’entendis une voix venant des quatre cornes de l’autel d’or placé devant Dieu ; elle dit au sixième Ange portant trompette : "Relâche les quatre Anges enchaînés sur le grand fleuve Euphrate." Et l’on relâcha les quatre Anges qui se tenaient prêts pour l’heure et le jour et le mois et l’année, afin d’exterminer le tiers des hommes. Leur armée comptait deux cents millions de cavaliers : on m’en précisa le nombre.Tels m’apparurent en vision les chevaux et leurs cavaliers [...]. » Ap (9 : 13-17). 33 Vers des collections encyclopédiques Vers des collections encyclopédiques Le Dragon à sept têtes et la Bête à cornes d’agneau (détail) « Alors je vis surgir de la mer une Bête ayant sept têtes et dix cornes, sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des titres blasphématoires. La Bête que je vis ressemblait à une panthère, avec les pattes comme celles d’un ours et la gueule comme une gueule de lion ; et le Dragon lui transmit sa puissance et son trône et un pouvoir immense. L’une de ses têtes paraissait blessée à mort, mais sa plaie mortelle fut guérie ; alors émerveillée, la terre entière suivit la Bête. On se prosterna devant le Dragon, parce qu’il avait remis le pouvoir à la Bête ; et l’on se prosterna devant la Bête en disant : "Qui égale la Bête, et qui peut lutter contre elle ?" ». Ap (13 :1-4). La Femme vêtue de soleil et le Dragon à sept têtes (détail) « Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! [... ] Puis un second signe apparut au ciel : un énorme Dragon rouge feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d’un diadème. […] Le Dragon se lança à la poursuite de la Femme, la mère de l’Enfant mâle. Mais elle reçut les deux ailes du grand aigle pour voler au désert jusqu’au refuge où, loin du Serpent, elle doit être nourrie un temps, deux temps et la moitié d’un temps. Le Serpent vomit alors de sa gueule comme un fleuve d’eau derrière la Femme pour l’entraîner dans ses flots. Mais la terre vint au secours de la Femme : ouvrant la bouche, elle engloutit le fleuve vomi par la gueule du Dragon. » Ap (12 : 1-16) Saint Michel terrassant le Dragon (détail) « Alors, il y eut une bataille dans le ciel : Michel et ses Anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses Anges, mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel. On le jeta donc, l’énorme Dragon, l’antique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l’appelle, le séducteur du monde entier, on le jeta sur la terre et ses Anges furent jetés avec lui. Et j’entendis une voix clamer dans le ciel : "Désormais, la victoire, la puissance et la royauté sont acquises à notre Dieu, et la domination à son Christ, puisqu’on a jeté bas l’accusateur de nos frères, celui qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu. [...] Soyez donc dans la joie, vous, les cieux et leurs habitants. Malheur à vous, la terre et la mer, car le Diable est descendu chez vous, frémissant de colère et sachant que ses jours sont comptés." » Ap (12 : 7-12). 34 La Grande Prostituée de Babylone (détail) « Alors l’un des sept Anges aux sept coupes s’en vint me dire : "Viens, que je te montre le jugement de la Prostituée fameuse, assise au bord des grandes eaux ; c’est avec elle qu’ont forniqué les rois de la terre, et les habitants de la terre se sont saoulés du vin de sa prostitution". Il me transporta au désert, en esprit. Et je vis une femme, assise sur une Bête écarlate couverte de titres blasphématoires et portant sept têtes et dix cornes. La femme, vêtue de pourpre et d’écarlate, étincelait d’or, de pierres précieuses et de perles ; elle tenait à la main une coupe en or, remplie d’abominations et des souillures de sa prostitution. Sur son front, un nom était inscrit - un mystère ! - : "Babylone la Grande, la mère des prostituées et des abominations de la terre". Et sous mes yeux, la femme se saoulait du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus. Ap (17 : 1-6) 35 Vers des collections encyclopédiques Vers des collections encyclopédiques Exposées du 28/05/14 au 02/09/14 Exposées du 09/12/14 au 03/03/15 Le Martyre de saint Jean l’Evangéliste G 991 001 (04) La Chute des étoiles G 991 001 (02) Exposées du 02/09/14 au 09/12/14 Saint Jean appelé aux cieux G 991 001 (08) 36 Les quatre anges de l’Euphrate G 991 001 (05) La Femme vêtue de soleil et le Dragon à sept têtes G 991 001 (12) Saint Michel terrassant le Dragon G 991 001 (13) Exposées du 03/03/15 au 08/06/15 Le Dragon à sept têtes et la Bête à cornes d’agneau G 991 001 (14) La Grande prostituée de Babylone G 991 001 (15) 37 Vers des collections encyclopédiques Vers des collections encyclopédiques Vierge à L’enfant Anonymes, Pays-bas du Sud Premier quart du 17e siècle Grès Saint-Amand-les-Eaux, musée de la tour Abbatiale, inv. 983.8.1 Acquisition avec le soutien du FRAM en 1983 L e musée de Saint-Amand-les-Eaux fut fondé en 1949 pour abriter une importante collection de faïences amandinoises acquises par la municipalité. Il est abrité dans la tour porche de l’église abbatiale d’un grand monastère bénédictin presque complètement détruit par la Révolution française. Les collections sont donc à l’origine constituées de céramiques locales et de quelques œuvres d’art (peintures et sculptures) ayant subsisté malgré la tourmente révolutionnaire. En 1982, la création par l’État du Fond régional d’acquisition pour les musées, fut un formidable outil pour les compléter en développant une politique d’acquisition exceptionnelle bâtie sur deux axes, la céramique et les œuvres d’art religieux des anciens Pays-Bas du sud du 16e au 18e siècles. Le but étant de « mener le visiteur du Moyen Âge finissant à l’aube du néoclassicisme » au travers de 8 sculptures de grande qualité. En outre, elles correspondent historiquement à une période particulièrement faste pour l’ancienne abbaye bénédictine reconstruite au début du 17e siècle (1636) dans le style maniériste de la fin de la Renaissance flamande. Cette Vierge à l’Enfant est caractéristique du style baroque de la Contre-Réforme, il s’agissait pour les jésuites qui en furent les principaux artisans de réaffirmer la primauté de l’Église catholique romaine face aux « hérésies » réformées et, pour ce faire, rien n’était trop beau pour la plus grande gloire de Dieu. Le SaintEsprit est symbolisé par la tête d’angelot en diadème ; telle une nouvelle Ève exempte du péché originel, elle piétine le serpent et sa pomme et, posée sur le croissant de lune, est en même temps la reine du ciel décrite dans l’Apocalypse de saint Jean. Mais l’artiste a su retenir les leçons d’humanisation de la divinité de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance. Sa vierge est aussi une jeune femme radieuse aux gestes souples, élégants, aux vêtements au modelé aérien. L’enfant Dieu regarde les fidèles de haut, avec sérieux. L’origine de cette vierge est incertaine, malgré les tentatives d’attribution, l’auteur reste anonyme et la légende familiale des 38 Vierge à l’Enfant, premier tiers du 16e siècle École de Conrad Meit Albâtre, 110 x 60 x 41 cm Saint-Amand-les-Eaux, musée de la tour Abbatiale, inv. D 985.25 anciens propriétaires la placerait sur un des murs extérieurs de l’église Saint Charles Borromée d’Anvers mais rien n’est moins sûr1. Dans le musée actuel, elle fait pendant à une Vierge à l’Enfant de l’école de Conrad Meit (ci-dessus), en albâtre, antérieure d’un siècle environ, qui appartenait aux collections de l’ancienne Abbaye. Caractéristique de la Renaissance, cette dernière est plus une mère qui joue avec son enfant avec douceur, que la reine du Ciel. La comparaison avec une vierge baroque resplendissante renforce l’intérêt des deux œuvres de taille très proches qui témoignent brillamment de deux visions artistiques de la divinité. Philippe Gayot 1. D’après Geneviève Becquart in FRAM 1982-1992, 10 ans d’acquisitions du F.R.A.M. de la région Nord-Pas-de-Calais, ACMNPC, 1992, p. 217-224. 39 Vers des collections encyclopédiques Vers des collections encyclopédiques Crucifixion Marc Chagall (1887-1985) 1952 Pièce tournée en terre blanche, décor aux engobes et aux oxydes, gravée au couteau et à la pointe sèche, émail partiel au pinceau, doublée de couverte à l’intérieur, H. 45,8 cm Roubaix, La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent, inv. 2012.32.1 Acquis en 2012 avec le soutien d’un mécénat privé réuni par les amis du musée, d’un partenariat avec la société Nortia, d’une participation de l’association 14AA et d’une subvention du Fonds régional d’acquisition pour les musées I nstallé depuis plusieurs mois à Vence, Marc Chagall aborde la céramique en 1949, au retour de son exil aux États-Unis auquel l’avaient contraint les lois antisémites de Vichy. S’il travaille d’abord chez Madame Bonneau à Antibes, chez Serge Ramel à Antibes et Vence, ou à la poterie « L’Hospied » à Golfe-Juan, c’est à Vallauris, dans l’atelier Madoura si cher à Pablo Picasso, qu’il s’exerce à la céramique auprès de Georges et Suzanne Ramié et qu’il réalise ce vase. Se contentant d’abord de peindre directement sur les pièces terminées, il éprouve rapidement le besoin d’expérimenter par lui-même le modelage de la terre. Et bientôt, les formes utilitaires deviennent de vraies sculptures au point qu’elles susciteront chez lui l’envie de transposer dans la pierre ou dans le marbre les sujets qui lui sont chers. À la différence de Picasso, l’œuvre céramique de Chagall demeure longtemps méconnu. Pourtant nombreuses, deux cent vingt pièces entre 1949 et 1972, elles n’ont pas bénéficié du même écho que celles du malagais dont l’édition permit la large diffusion, principe que Chagall refusait. Ce dernier décore les pièces façonnées à sa demande et y décline ses thèmes privilégiés. De forme classique, le vase de la Crucifixion date de 1952, année de son mariage avec Valentine et figure parmi les premières productions de l’œuvre céramique de l’artiste. Son thème renvoie assez directement au cycle du Message biblique auquel l’artiste s’est consacré depuis son arrivée dans le sud – il réalise dix-sept grandes toiles qui illustrent la Genèse et l’Exode, 40 les deux premiers livres de la Bible, et Le Cantique des Cantiques. Sur le côté et à l’arrière du vase, la maternité et l’âne volant sont des figures classiques de l’univers poétique chagallien, illustrant à merveille son univers plastique et allégorique. Le musée La Piscine de Roubaix s’est donné, entre autres, pour mission, la mise en valeur des arts appliqués et des arts décoratifs, développant de manière active une politique de dépôts – notamment consentis par le Centre national des arts plastiques – et d’achats, en particulier à l’égard de la céramique d’artiste, faisant fi d’une prétendue hiérarchie des genres. Plusieurs expositions ont mis en valeur ce domaine à part entière en lien avec les beaux-arts : « Picasso, peintre d’objets / objets de peintre » en 2004, « Édouard Pignon, Du rythme entre les choses » en 2005, « Chagall et la céramique » en 2007 ou « Marc Chagall, L’épaisseur des rêves » en 2012. Cette dernière fut ainsi l’occasion de traiter la question du volume dans l’œuvre prolifique de Chagall. Avec le vase à la Crucifixion, La Piscine devient la première collection publique française à posséder une pièce illustrant l’œuvre céramique de Chagall, enrichissant ainsi sensiblement un fonds constitué ces dix dernières années par des acquisitions de céramiques d’artistes signées Raoul Dufy, Fernand Léger, Pablo Picasso, Édouard Pignon ou André Fougeron. Germain Hirselj 41 Vers des collections encyclopédiques Vers des collections encyclopédiques Allégorie d’un ministre parfait Eustache Le Sueur (1616-1655) 1653 Huile sur toile, 84,5 × 71 cm (ovale) Dunkerque, Musée des Beaux-Arts, inv. BA.1983.003.1 Acquis en 1983 avec le soutien du FRAM F ermé à la suite des bombardements de Dunkerque durant la Seconde Guerre mondiale, le musée des Beaux-Arts de la ville n’a rouvert ses portes au public qu’en 1973. Les travaux de reconstruction s’accompagnent alors d’une politique d’enrichissement des collections. Si les acquisitions visent d’abord à étoffer le premier fonds municipal constitué de tableaux hollandais, elles s’orientent rapidement vers la peinture française du Grand Siècle. L’acquisition de deux natures mortes de Nicolas de Largillierre en 1967 marque le coup d’envoi de cette politique destinée à combler les lacunes de la collection. Le début des années 1980 voit entrer au musée l’Attaque des voyageurs et l’Extase de sainte Madeleine de Sébastien Bourdon (1980), le Repas chez Simon de Claude Vignon (1981), Dieu le Père de Charles de La Fosse (1981) et surtout le Jeune Nègre tenant un arc de Hyacinthe Rigaud (1982) et l’Allégorie du Ministre parfait d’Eustache Le Sueur (1983). Le passage de cette dernière sur le marché de l’art londonien est une aubaine. Eustache Le Sueur est en effet considéré comme l’un des grands maîtres de l’école française. Signe de cet intérêt ancien pour l’artiste, l’acquisition par Louis XVI en 1776 de deux ensembles majeurs, le cycle de la vie de saint Bruno et les toiles du Cabinet de l’Amour et du Cabinet des Muses de l’hôtel Lambert, s’inscrit dans l’ambitieux projet de création d’un Muséum au Louvre. Le tableau de Dunkerque est bien connu grâce à un mémoire de Guillet de Saint-Georges de 1690. Il y mentionne un tableau représentant le « Conseil, accompagné de la Sagesse, de la Prudence et du Silence » peint pour Planson en 1653. L’œuvre a été interprétée par Nicolas-Henri Tardieu ; la lettre de la gravure a fixé durablement le titre de l’œuvre (« Le Conseil et le Secret, la Valeur et la Prudence, par leur douce intelligence, d’un ministère parfait offrent ici le portrait »). Le tableau avait pour pendant un Marcus Curtius se précipitant dans le gouffre ; ils illustrent ensemble les qualités attendues d’un serviteur de l’État, jusqu’au sens du 42 sacrifice. Planson, qui était proche de Mazarin, a pu vouloir rendre hommage ici au ministre au sortir de la Fronde. Eustache Le Sueur peint d’ailleurs l’année suivante une allégorie comparable pour la cheminée de la chambre du roi au Louvre, la Monarchie française triomphant de ses ennemis, connue aujourd’hui uniquement par un dessin (Paris, musée du Louvre, inv. 30660). Aux côtés du Conseil se tiennent Minerve – la Sagesse ou la Valeur – et la Prudence, reconnaissable à son miroir. Un dessin préparatoire (Paris, musée du Louvre, inv. 30659) montre bien le soin avec lequel le peintre élabore sa composition. Comme il l’avait fait dans le Cabinet des Muses, il regroupe les trois figures au pied d’un bouquet d’arbres, créant ainsi une impression d’harmonie renforcée par le format ovale de la toile. L’enfant posant un doigt sur sa bouche dans l’ombre doit être le Silence ou le Secret. Le classicisme élégant des visages et des drapés tend à confirmer la date de la toile, caractéristique des dernières années du peintre. Fabien Dufoulon 43 Vers des collections encyclopédiques Vers des collections encyclopédiques Ah ! ça ira Louis Boilly (1761-1845) Vers 1789 Huile sur toile, 60 x 49 cm Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, inv. 982.091 Acquis en 1991 avec le soutien du FRAM Ancienne appartenance : Vers 1789 ? achat par Calvet de Lapalun à l’artiste ; coll. Chaix d’Est-Ange ; galerie Charpentier Paris, Coll. Comte de Bozas ; coll. Clarence Dillon, Far Hills, Etats-Unis, Sotheby’s New York, 1980, Noortmann and Brod Gallery, Londres, 1982, Rafael Valls, Londres. L ’acquisition de cette œuvre de Louis Boilly par le musée de l’hôtel Sandelin de Saint-Omer illustre parfaitement comment un musée complète son fonds en rassemblant des collections un temps dispersées. C’est bien son historique, c’est-à-dire la succession de ses différents propriétaires, qui rend l’acquisition particulièrement pertinente. En effet cette grisaille a été commandée vers 1789 à l’artiste par un avocat et aristocrate avignonnais : Antoine Joseph François Xavier Calvet de Lapalun (1736-1820). Ce dernier a possédé d’autres œuvres peintes par Boilly dans les années 1790, dont une série de neuf scènes de genre. Quatre de ces œuvres (La Visite reçue, Le Concert improvisé, Ce qui allume l’amour l’éteint, Le Vieillard jaloux) restent dans les mains de la famille jusque dans les années 1840, puis passent dans la collection d’un autre avocat, homme politique et grand collectionneur : Gustave Chaix d’Est-Ange (1800-1876), où elles sont rejointes par au moins une autre œuvre de Boilly, un Portrait d’homme au verre brisé, trompe-l’œil des années 1800. Ce groupe d’œuvres sera partagé entre les deux petits-enfants, Gustave (1863-1923) et Marie (1866-1933) Chaix d’Est-Ange. Cette dernière épouse en 1890 le baron Joseph du Teil (1863-1918), avocat à la cour d’appel de Paris et érudit qui s’est particulièrement intéressé à la région de Saint-Omer. C’est en souvenir de son mari, mort au front pendant la Grande Guerre, que la baronne donne en 1921 à la Ville de Saint-Omer sa collection d’œuvres d’art dans laquelle on trouve la série Calvet de Lapalun et le Portrait d’homme en trompe-l’œil. Ah ! ça ira est quant à lui attribué au frère de la baronne qui le transmet à son fils adoptif le comte Emmanuel du Bourg de Bozas (1894-1990). Le tableau est ensuite acquis par un collectionneur américain avant de revenir en Angle44 terre chez plusieurs marchands dans les années 1980. On comprend mieux l’intérêt de cette acquisition qui vient compléter le fonds Boilly par une œuvre du même commanditaire et qui a fait partie de la collection Chaix d’Est-Ange, particulièrement importante dans l’histoire du musée. Il s’agit d’une toile peinte à l’imitation de l’estampe, une catégorie de trompe-l’œil dans laquelle Louis Boilly s’est particulièrement illustré. L’artiste y démontre toute sa virtuosité en détaillant tous les éléments attendus d’une gravure, que ce soit la scène principale rendue dans un camaïeu de gris, ou la cuvette créée par la plaque gravée au moment de l’impression et bien sûr la lettre de la gravure, c’est-à-dire les inscriptions sous l’image. La scène représente deux enfants jouant chacun avec un oiseau auprès de leur mère qui leur indique le chat aux aguets, une évocation de l’innocence confrontée aux menaces de l’existence. Ce motif issu des scènes de genre nordiques provient d’une composition peinte de Boilly. Bien que le rapport entre les armes des Virieu, une grande famille du Dauphiné (département de l’Isère actuel), le titre du chant révolutionnaire Ah ! ça ira et la scène représentée reste encore mystérieux, l’œuvre n’en démontre pas moins les qualités traditionnelles du peintre et notamment le mœlleux de sa touche si sensible dans la robe de la mère. Luc Piralla 45 Vers des collections encyclopédiques Vers des collections encyclopédiques Plat de reliure de Dormeuil Anonyme, Limoges Vers 1190-1200 Cuivre champlevé, émaillé, ciselé, gravé et doré ; ais de bois (moderne) H. 26,7 cm ; l. 15,8 cm ; pr. 1,8 cm (ais moderne compris) Lille, Palais des Beaux-Arts, inv. 2008.1.1. Historique : collection du baron Guillaume de Crassier(t) (Liège, 1725) ; coll. Boy ; vente Boy, 15-24 mai 1905 ; coll. George Dormeuil et ses héritiers ; acquis par le Palais des Beaux-Arts de Lille lors de la vente Dormeuil le 19 novembre 2007 (Paris, Sotheby’s). Acquise en vente publique par préemption en 2007. L’acquisition a bénéficié du soutien du mécénat du Crédit du Nord, du Fonds du patrimoine et du Fonds régional d’acquisition pour les musées. C ette acquisition présentait un intérêt à la fois esthétique et historique. Du point de vue de l’histoire de l’art, l’œuvre consiste en une plaque de cuivre champlevé et émaillé, montée après 1905 sur un ais de bois orné d’une bordure couverte de lames de cuivre afin d’imiter un plat de reliure complet. Originellement destinée à orner un livre religieux, elle est un exemple remarquable de la production d’orfèvrerie limousine à la fin du 12e siècle en raison de sa qualité d’exécution, notamment du travail de ciselure des personnages. Le thème de la Crucifixion, fréquemment repris sur ce type d’objet, se démarque par la présence des deux anges aux ailes dressées inscrits dans des médaillons. Cette plaque permet de renforcer les collections d’orfèvrerie du musée de Lille et notamment l’ensemble d’émaux limousins médiévaux avec une pièce de premier plan. Les autres objets représentant cette technique conservés au sein de l’établissement, plus tardifs, présentent en effet un intérêt moindre. L’objet peut également être mis en relation avec d’autres émaux de la collection, notamment le Reliquaire de la dent de saint Nicolas (inv. A 79), exécuté dans le Nord de la France, et la Plaque figurant Gédéon et la Toison (inv. A 56) provenant de la région mosane ; ce sont ainsi trois foyers de production d’émaux entre le milieu du 12e siècle et le début du 13e siècle qui sont représentés par des œuvres importantes. De manière plus générale, l’achat de cette œuvre participe de l’ambition encyclopédique des collections du Palais des BeauxArts de Lille et permet d’étoffer une collection médiévale déjà 46 riche. L’origine de la plaque de reliure mérite également d’être mentionnée. Elle provient de la collection de George Dormeuil (1846-1939), riche industriel spécialisé dans le textile. Grand amateur d’art, il réunit à partir de 1905 une collection de pastels du 18e siècle ainsi qu’un important ensemble d’objets d’art et de sculptures du Moyen Âge ; il contribua à l’enrichissement des collections publiques françaises par des dons au musée du Louvre et au musée Carnavalet. Une provenance plus ancienne a pu être établie : l’objet a été identifié comme faisant partie d’une collection privée à Liège dès 1725. Le baron Crassier, son propriétaire, en fournit une description et un dessin, aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France, au célèbre érudit Bernard de Montfaucon. L’œuvre est donc un témoignage précoce du collectionnisme et de l’étude des objets du Moyen Âge, ce qui lui confère une valeur historique exceptionnelle justifiant d’autant plus son acquisition pour une collection publique française. Laetitia Barragué-Zouita 47 Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs Les musées sont les descendants des cabinets de curiosités de la Renaissance, qui conservaient des objets insolites des lieux les plus reculés. Aujourd’hui encore, nombre d’entre eux continuent d’acquérir des pièces pour affiner la connaissance des civilisations lointaines, de l’Autre. Largement ouvert sur le monde, le Nord-Pas de Calais recèle nombre de ces trésors qui sont autant d’invitations à regarder vers d’autres horizons. Ainsi, si l’Égypte ancienne est bien représentée à Boulogne-surMer, c’est grâce au grand égyptologue Auguste Mariette qui a fait don à sa ville natale d’une partie de sa collection, que le musée continue de compléter. Le costume-masque provenant d’Indonésie vient compléter la collection ethnographique du musée d’histoire naturelle de Lille dont la constitution remonte au milieu du 19e siècle. Quant à la maquette d’embarcation chinoise acquise par le musée portuaire de Dunkerque, elle illustre là encore la cohérence de l’achat par rapport à la collection d’une ville résolument tournée vers la mer. Mais l’Autre et l’Ailleurs ne sont pas forcément lointains, ainsi est exposée une grande toile d’Augustin Lesage, peintre spirite de la région, pour rappeler que le voyage est aussi intérieur et que l’exotisme est à notre porte. P. 50 – Statuette d’Anubis, anonyme P. 52 – Masque-Costume funéraire, anonyme P. 54 – Jonque ou bateau-sel (Yen-Tchouan), anonyme P. 56 – Sans titre, Augustin Lesage Augustin Lesage Sans titre (détail), 1925 Huile sur toile, 212 × 144 cm Villeneuve-d’Ascq, LaM 49 Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs Statuette d’Anubis Anonyme, Égypte 665 av. J.-C. – 525 av. J.-C. (Basse Époque, XXVIe dynastie) Bronze Boulogne-sur-Mer, musée, inv. 2008.0.7 Acquisition réalisée avec le soutien du FRAM C ette statuette d’Anubis, dieu égyptien à tête de chacal, a été préemptée par le musée de Boulogne-sur-Mer en mars 2003, lors de la vente de l’ancienne collection Ambroise Baudry à l’Hôtel Drouot. Outre l’élégance et la qualité plastique de cette statuette qui venait renforcer de façon significative la collection égyptienne déjà existante au musée, l’intérêt de cette acquisition venait surtout de l’historique de cette pièce. En effet, elle faisait partie d’un lot de 120 objets qu’Auguste Mariette avait offerts à cet important architecte du 19e siècle. C’est en 1871, à son arrivée au Caire, qu’Ambroise Baudry (18381906) rencontra Mariette Pacha et que les deux hommes entamèrent une profonde amitié. Brillant architecte, frère du peintre Paul Baudry, Ambroise Baudry obtint de nombreuses commandes tant privées que royales et devint architecte en chef du Khédive Ismâ’il entre 1875 et 1877. Auguste Mariette (1821-1881), boulonnais d’origine, aimait à dire qu’il était « entré dans l’Égypte par la momie du musée de Boulogne ». Employé au musée du Louvre, il fut envoyé en mission en Égypte en 1850 où il découvrit le Serapeum de Memphis et entama une brillante carrière d’égyptologue ponctuée de découvertes majeures (le scribe accroupi du Louvre ; le Cheikh-el-Beled du Caire...). Il fut également à l’origine de la mise en place d’une véritable législation sur la protection du patrimoine égyptien en créant le Service des Antiquités Égyptiennes, ainsi que le premier musée du Caire à Boulaq. La collection égyptienne du musée de Boulogne est fondamentalement liée à la figure de Mariette, d’une part pour le rôle qu’elle joua sur la vocation du jeune boulonnais, d’autre part en raison des 150 objets dont il fit don à sa ville natale dans les années 1860. 50 L’acquisition de cette statuette apparaissait donc particulièrement cohérente et justifiée pour le musée. Son entrée dans les collections au printemps 2003 offrait de plus un préambule à l’important hommage rendu à l’égyptologue lors de l’exposition « Des dieux, des tombeaux, un savant. En Égypte sur les pas de Mariette Pacha », organisée au musée de Boulogne-sur-Mer en partenariat avec le musée du Louvre en 2004 dans le cadre de Boulogne 2004, autour de Lille 2004, capitale culturelle de L’Europe. Céline Ramio 51 Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs Masque-costume funéraire Anonyme, Indonésie 20e siècle Peuple asmat, Nouvelle-Guinée occidentale (Indonésie actuelle) Bois, fibres, plumes de casoar et de cacatoès, coton, graines, écorce de bambou Lille, musée d’histoire naturelle, inv. 2003.3.1 Acquis en 2003 L es collections ethnographiques de Lille trouvent leur origine en 1851, dans le don fait à la commune par les héritiers d’un collectionneur, Alphonse Moillet. Ces collections ont été exposées à partir de 1851 dans les salles du Palais Rihour. Plutôt que la simple démarche d’un amateur de curiosités, les acquisitions d’Alphonse Moillet témoignent d’un plan réfléchi, par grandes séries thématiques et géographiques, probablement acquises auprès de marchands. Ce fond initial sera enrichi au cours des années, puis faute d’espace, ce musée ethnographique fermera en 1890. Les très riches collections Moillet sont alors affectées au Palais des Beaux-Arts où la plupart du temps, elles seront conservées en réserve. En 1990 dans le cadre de la rénovation du Palais des Beaux-Arts, la commune prend la décision de transférer ces œuvres au Musée d’histoire naturelle de Lille. En effet, historiquement ce type d’objets est conservé dans les musées scientifiques, à l’instar du Musée de l’Homme de Paris, département du Muséum National d’Histoire Naturelle. L’autre raison de ce transfert est la volonté de constituer au sein du Musée d’histoire naturelle un ensemble cohérent de collections scientifiques témoignant du rapport entre l’homme et son environnement : zoologie, géologie, ethnographie, sciences et techniques. C’est dans ce contexte que les acquisitions ont repris, 100 ans après la fermeture du musée. Depuis presque 25 ans, le fond de 6500 objets confiés au Musée d’histoire naturelle en 1990 a presque été doublé par des acquisitions complétant les collections initiales et les élargissant à l’ensemble des cultures extraeuropéennes, disparues ou existantes. Ce costume de danse asmat a été tissé en Nouvelle-Guinée Occidentale, une des îles d’Indonésie. Le peuple asmat a vécu isolé ou presque de l’influence occidentale jusqu’en 1938 avec l’installation d’un comptoir décidée par le gouvernement colonial néerlandais. À partir de 1953, les missionnaires catholique évangélisent les populations locales au détriment de leurs pratiques 52 religieuses traditionnelles. Cependant, la plupart les cérémonies sociales des Asmats ont été intégrées à la liturgie catholique. Si les 65000 Asmats sont encore relativement isolés, leurs contacts avec le monde extérieur augmentent significativement avec le risque de voir leurs pratiques culturelles se modifier. Ce masque-costume figure les récents défunts du village. Lorsqu’il était porté lors de danses, seulement par les hommes, il permettait aux esprits des morts de revenir un jour et une nuit dans leur village natal avant de quitter définitivement le monde des vivants. Le masque devenait le passeur vers l’au-delà, comme le Charon de la mythologie gréco-romaine, difficilement conciliable avec le culte catholique. Ouverture et pont entre les civilisations, témoignage de cultures en danger d’extinction, ce masque, avec une vingtaine d’autres objets asmats, avait sa place dans les collections du Musée d’histoire naturelle. Judith Pargamin 53 Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs Jonque ou bateau-sel (Yen-Tchouan) Anonyme, Chine Vers 1920 Bois, chanvre et tissus, 160 × 160 × 43 cm Dunkerque, musée portuaire, inv. 92.47 Acquis en 1991 avec le soutien du FRAM A u tournant des années 1980, la communauté professionnelle des dockers est désireuse de préserver la mémoire historique et patrimoniale d’un métier en complète transformation. Les autres professions portuaires, la Chambre de commerce et d’industrie et les pouvoirs publics dunkerquois ont fait leur ce désir de « patrimonialisation » du port. Produit de cette dynamique, le musée portuaire de Dunkerque ouvre le 26 septembre 1992. Si au départ les collections étaient composées des outils traditionnels collectés par les dockers, elles s’enrichissent des dons de toutes les entreprises portuaires mais aussi des dépôts de la Chambre de commerce et d’industrie dont une riche collection de maquettes de navires européens. La politique d’acquisition est traditionnellement orientée vers l’histoire du port de Dunkerque depuis ses origines, et les activités du port d’hier et d’aujourd’hui. Cette maquette représente une jonque. Héritière de près de 15 siècles d’architecture navale chinoise presque immuable, elle a été réalisée avec les mêmes méthodes que les modèles en taille réelle ce qui en fait un objet technique remarquable. Gouvernail d’étambot, coque sans quille renforcée de cloisons étanches, etc…, développés indépendamment des autres civilisations maritimes, les innovations technologiques datant du 5e siècle de notre ère font de la jonque un des modèles les plus anciens de bateaux encore en service. Elles furent reprises ensuite par les navigateurs arabes et européens. À la fin du 19e siècle et jusqu’aux années 1940, ces bâtiments de haute-mer sont destinés à transporter le sel depuis l’Annam (Vietnam actuel) jusqu’au port de Fujiam (au sud-est de la Chine, situé en face de l’île de Taiwan). Le modèle de Dunkerque a conservé ses peintures d’origine, ce qui en fait aussi un témoignage ethnographique : les yeux ronds de la proue sont sensés éloigner les mauvais esprits et la richesse de l’ornementation attirer la protection des divinités marines sur l’équipage et le chargement1. 1. D’après Pierre Combes, in FRAM 1982-1992, 10 ans d’acquisitions du F.R.A.M. de la révgion Nord-Pas-de-Calais, ACMNPC 1992, p. 123-132. 54 La maquette a été acquise à Shanghai, au début du 20e siècle par Roger Bouillon, de Paris, alors qu’il faisait son service militaire dans la Marine nationale. Il l’a transmise à sa nièce en 1967 avant que celle-ci ne la propose au musée portuaire. Elle est caractéristique des objets de port qu’achetaient les marins au long cours pour les ramener en Europe comme objets de curiosités sachant que le gréement, remonté par le marin à l’issue du voyage, a fait l’objet de quelques erreurs d’interprétation révélatrices d’une faible connaissance des techniques de construction navale chinoise. En faisant cette acquisition, à priori géographiquement éloignée de sa terre d’élection, le musée portuaire de Dunkerque montre l’universalité des problématiques traversant les univers portuaires et maritimes et affirme que le musée, comme le port, « est une porte ouverte à tous les échanges, à tous les rêves2 ». Philippe Gayot 2. In Pierre Combes, op. cit. 55 Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs Vers de nouveaux horizons : l’Autre et l’Ailleurs Sans titre Augustin Lesage (1876-1954) 1925 Huile sur toile, 212 × 144 cm Villeneuve-d’Ascq, LaM, inv. 2000.5.7 Acquis en 2000 avec le soutien du FRAM A ugustin Lesage est ouvrier-mineur. Né en 1876 à SaintPierre-lez-Auchel, commune minière située à l’est de Béthune, son destin semble alors tracé. Il sera mineur comme son père, comme son frère et comme tous ceux qui vivent dans le même coron. Le certificat d’études en poche, il devient naturellement galibot dès quatorze ans. C’est dire si rien ne le prédestinait au métier d’artiste. Pourtant, vingt-deux ans plus tard, en 1912, la vocation, irrésistiblement, s’impose à lui. Alors qu’il travaille au fond de la mine, il entend une voix lui annoncer qu’il deviendra peintre. Il a trente-cinq ans. S’adonnant à des séances de spiritisme, il y exécute ses premiers dessins automatiques. De mineur de fond, Lesage devient peintre-médium. Il est alors « la main qui exécute et non l’esprit qui conçoit ». Issue de l’ancienne collection de l’Institut Métapsychique International, la toile acquise par le LaM, signée « Médium Lesage», appartient à la première manière de l’artiste, où le motif figuré est quasiment absent de la toile. Son format monumental s’impose au spectateur, tout autant que l’originalité de l’expression de l’artiste, la précision d’un geste répété à l’infini et l’aspect construit et architecturé d’un ensemble à la rigoureuse symétrie. L’horreur du vide, l’exubérance des formes qui envahissent la toile jusqu’à créer une surcharge ornementale qui la sature, créant une grande harmonie décorative, caractérisent l’œuvre et ce n’est qu’à partir de 1930 qu’il introduira dans ses toiles tout un peuple de figures mythologiques, l’Égypte antique s’imposant alors comme source d’inspiration majeure mais non exclusive. Dans son village de Burbure, la pièce principale de sa maison de mineur lui servait d’atelier. L’artiste œuvrait, la toile fixée au mur, l’enroulant à mesure que le travail avançait. Il structurait ainsi l’œuvre en registres horizontaux réguliers, sans jamais voir la composition globale et peignant de manière rapide et constante, presque automatique. L’artiste ne fit pas commerce de ses toiles. Tout juste étaientelles vendues au prix des fournitures auquel était ajouté le temps passé à les peindre, calculé au taux du salaire horaire du mineur 56 qu’il était tout autant, quand il ne les offrait pas à ceux qu’il jugeait digne de les recevoir. Pendant longtemps, rares furent les musées à posséder ses œuvres. Aujourd’hui, le LaM conserve le fonds le plus important consacré à Lesage. Figure légendaire de l’Art Brut, célébrée par André Breton et Jean Dubuffet, il fallut attendre l’année 1989 pour que soit organisée la première grande rétrospective consacrée à Augustin Lesage et mesurer pleinement l’importance de son œuvre. La donation de plus de 3500 œuvres d’Art Brut consentie en 1999 par l’Association L’Aracine justifiait à elle seule l’agrandissement du musée de Villeneuve d’Ascq, le LaM s’étant imposé depuis comme l’un des hauts-lieux de l’Art Brut en France et en Europe auprès de la collection de l’Art Brut à Lausanne. Germain Hirselj 57 Bibliographie sommaire Catalogues d’exposition Acquisitions, dons et restaurations de 1967 à 1983, cat. exp., Dunkerque, musée des Beaux-Arts, 1983. Augustin Lesage 1876-1954, Paris, Philippe Sers Éditeur, 1988. Augustin Lesage – Elmar Trenkwalder, les Inspirés, Lyon, Fage Éditions, 2008. Carpeaux Peintre, Valenciennes, musée des Beaux-Arts, Paris, musée du Luxembourg, Paris, RMN, 1999. Fonds régional d’acquisition pour les musées, FRAM 10, 19821992 : dix ans d’acquisitions du FRAM de la région Nord-Pas de Calais, Lille, Association des conservateurs de la région Nord-Pas de Calais, 1994. Éloge de la clarté. Un courant artistique au temps de Mazarin 1640-1660, cat. exp., Dijon, musée Magnin ; Le Mans, musée de Tessé, 1998, notice n°51, p. 124. Eustache Le Sueur, cat. exp., Paris, RMN, 2000, notice n°36, p. 123. From Van Eyck to Bruegel, early Netherlandish painting in the Metropolitan Museum of Art, cat. exp., New York, Metropolitan Museum of Art, 1998, p. 184. 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Matisse : p. 15, 19 © Succession Jonas © Centre historique minier, Lewarde : p. 23 © CIDM / Emmanuel Watteau : p. 21 (gauche) © CIDM / Frédéric Collier : p. 21 (droite) © Claude Thériez : p. 57 © Direction des Musées de Dunkerque, MBA / Claude Thériez : couverture et quatrième, p. 43 © Dominique Coulier : p. 7, 13, 31-37 © DR : p. 45 © Florian Kleinefenn : p. 15 © Jean-Claude Mallevaey : couverture, p. 55 © Monsieur Devos : p. 51 © Musée d’archéologie et d’histoire locale, Denain / Ph: D. Coulier : p. 25 © Musée de la Tour abbatiale / Claude Thériez : p. 39 © Musée des Beaux-Arts d’Arras / C. Thériez : p. 27 © Musée des Beaux-Arts d’Arras / G. Poteau : p. 27 © Musée La Piscine (Roubaix), Dist. RMN-Grand Palais / Alain Leprince : p. 28, 41 © Philip Bernard : p. 8, 17, 19, 53 © RMN-GP (Musée des Beaux-Arts de Valenciennes) / Franck Raux : p. 11 (bas) © RMN-GP (Musée des Beaux-Arts de Valenciennes) / Michel Urtado : p. 11 (haut) © RMN-GP (Palais des Beaux-Arts de Lille) / Michel Urtado : p. 47 59 Musée du Louvre-Lens 99, rue Paul Bert, Lens Ouvert tous les jours de 10h à 18h Fermé le mardi et le 1er mai Réservations : 0 321 186 321 (groupes) / 0 321 186 262 (individuels)