La socialisation au genre par les jouets

Transcription

La socialisation au genre par les jouets
Institut d'Etudes Politiques de Toulouse 2014-2015
Mémoire de Master 2
La socialisation au genre par les jouets
Entre discours d'égalité et pratiques différenciées
Présenté par Sophie PINÇON
et
Dirigé par Sylvie CHAPERON
Remerciements
Avant toute chose, je souhaite remercier Sylvie Chaperon qui a guidé ce mémoire
durant cette année. Un grand merci pour votre enseignement, vos conseils et vos
recommandations sans lesquels ce travail n'aurait pas vu le jour.
Merci également à Jacqueline Martin, Julie Jarty et Magalie Bacou pour leur acceuil
en réunion Egalicrèche et les informations qu'elles m'ont transmises par la suite. Un
remerciement tout spécial à Sophie Collard qui m'a reçue en entretien et a ainsi donné du
corps à ce mémoire. Bon courage dans la suite de vos recherches.
Merci aux membres d'Osez Le Féminisme 31 pour leur action contre les jouets
sexistes en décembre 2015 et la discussion féministe qui a suivi.
Merci aux huit autres filles du Master pour votre solidarité et votre écoute dans nos
recherches de stages, nos doutes d'orientation, nos derniers examens d'IEP, nos indignations et
nos convictions.
Merci à tous ceux et toutes celles qui ont exprimé leur enthousiasme pour mes
recherches et m'ont parlé de leur propre expérience des jouets.
Enfin, je remercie ma famille pour son soutien, en particulier ma mère pour la
relecture. Une pensée toute particulière à ma petite soeur avec laquelle j'ai partagé de longs
moments de jeux dits de filles, qui nous ont aidées malgré tout à devenir les jeunes femmes
que nous voulions être.
Avertissement
L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation ni improbation dans les mémoires de
recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteure.
Table des matières
Introduction......................................................................................................................1
Revue de littérature.........................................................................................................5
Partie 1. Le jouet comme instrument de socialisation au genre..................................7
A. Une différenciation genrée basée sur la naturalisation des rapports sociaux : un outil statégique
pour la vente de jouets............................................................................................................................7
1. Histoire de la différenciation dans le jeu et son renouveau à la fin du XXème siècle...........................7
2. De l'usage de l'argument naturaliste......................................................................................................11
B. Hypersexualisation des jouets sur la traditionnelle dichotomie beauté/force...............................15
1. Les jouets dits de filles: culte de l'apparence et pop-culture.................................................................16
2. Les jouets dits de garçons: une violence non questionnée....................................................................22
Partie 2. La socialisation de l'enfant par le jeu: les conséquences du paradoxe de
l'égalité des sexes............................................................................................................28
A. Les injonctions paradoxales dans le jeu .........................................................................................28
1. Un discours en apparence neutre mais de fait genré: l'exemple du choix des jouets..........................28
2. Des pratiques ludiques genrées de fait: la preuve par la transgression jeu.........................................33
B. L'enfant, acteur de sa propre socialisation au genre dont le jeu est mésinterprété.......................36
1. Connaître la construction de l'identité sexuée chez l'enfant pour comprendre son rapport aux
stéréotypes....................................................................................................................................................37
2. Le rôle du socio-cognitif dans la socialisation au genre........................................................................40
Partie 3. Comment lutter contre les stéréotypes genrés et promouvoir l'égalité des
sexes dès la prime enfance: l'exemple du programme Egalicrèche..........................46
A. La crèche, ou la socialisation précoce au genre: terrain du programme égalicrèche..................46
1. Une analyse socio-psychologique basée sur l'observation d'interactions genrées...............................46
2. Une valorisation basée sur la dichotomie beauté/force dans les interactions ludiques.......................52
B. Déconstruire les normes genrées pour promouvoir l'égalité dès l'enfance...................................55
1. Sensibiliser et former le personnel encadrant aux normes genrées......................................................56
2. Instaurer de la mixité par le jeu..............................................................................................................58
Conclusion .....................................................................................................................62
Bibliographie..................................................................................................................65
Annexes...........................................................................................................................72
Introduction
Symboles de l'amusement et de la candeur de l'enfance, les jouets jalonnent le
parcours des petits garçons et des petites filles. Alors qu'ils vaquent à leurs jeux, la société
se félicite de les éduquer de façon à avoir les mêmes chances indépendamment de toutes
leurs différences, notamment celle de leur sexe. Paradoxalement, on s'aperçoit en se
penchant sur les jeux mis dans leurs mains que ces derniers sont d'un genre fort
traditionnel : de la couleur du body à celle du cartable, du poupon à la Barbie et du camion
de pompiers aux Légos, à chaque sexe son cadeau. S'ajoute à cet aspect matériel un
discours que l'on déclame malgré soi : « quel petit garçon fort ! » « quelle mignonne petite
fille ! »
Tous ces objets quotidiens et ces comportements corporels et linguistiques nous
entourant depuis la naissance sont des processus non-intentionels de socialisation.
Autrement dit, notre apprentissage de la vie (la socialisation) va être le résultat progressif
de nos interactions et de nos observations du monde, sans même que nous ressentions cette
évolution. Le sociologue Durkheim compare la socialisation à de l'hypnose : à la sortie de
l'enfance, nous envisageons le monde d'une certaine manière sans savoir pourquoi, ayant
oublié les processus qui ont structuré notre pensée tel un patient émergeant de sa séance
d'hypnose. Si nous n'avons pas conscience de ces influences, c'est parce que la socialisation
se construit par la répétition d'habitudes qui deviennent naturelles et évidentes alors
qu'elles nous ont été apprises à un moment donné. Tout l'intérêt de l'étude de la
socialisation est de révéler le pouvoir de l'habitude et de déconstruire les inégalités qui
s'installent.
Parmi les choses qui nous semblent innées alors qu'elles sont construites, l'exemple
le plus parfait de socialisation aboutie est celui du genre. Par genre s'entend le « système
social et culturel de bicatégorisation et de hiérarchisation des individus en fonction de leur
apparence génitale ». De cette définition nous retirons trois idées sur le genre :
Premièrement, le genre s'articule autour d'une bicatégorisation (le genre fille ou le genre
garçon) et d'une hiérarchisation (le genre garçon est supérieur au genre fille) induites
respectivement par les processus de différenciation et de hiérarchisation. La
1
différenciation, c'est la construction de toutes les différences non biologiques entre les
garçons et les filles, autrement dit celles qui vont définir leur genre. La hiérarchisation va
plus loin: ces différences ne sont pas seulement marquées, elles sont valorisées et
réprimées, au détriment du genre féminin. C'est en cela que l'on qualifie les normes de
genre de sexistes. En outre, le genre est un système social et culturel, c'est à dire que les
relations entre les femmes et les hommes s'articulent autour des processus que l'on
reproduit et intériorise. C'est une information essentielle qui signifie que le genre varie en
fonction des époques et des choix de société. Enfin, le genre est basé sur le sexe: un
individu est catégorisé socialement dans le genre fille ou le genre garçon selon son sexe de
naissance, c'est-à-dire selon sa concordance biologique, anatomique et chromosomique
avec la majorité d'un des deux groupes. En effet, la compartimentation même des sexes en
deux est réductrice de la diversité biologique car construite scientifiquement et
socialement. Le genre est donc un processus qui crée des différences entre les hommes et
les femmes en les présentant comme naturelles.
Le lien entre la socialisation et le genre est que le second est construit par la
première : la socialisation nous éduque à un système social où le genre masculin et le genre
féminin sont distincts et dont l'appartenance est choisie à partir de données biologiques
pour ensuite se définir par des normes sociales distinctes et inégalitaires, le genre masculin
étant considéré comme supérieur au genre féminin. Par une « hypnose » de l'apprentissage
des normes de genre, la socialisation laisse à penser que le genre n'est pas un choix social
mais une donnée naturelle et donc immuable, alors qu'il n'y a pas « d'essence au genre,
mais un apprentissage »1. Voilà pourquoi tout au long de ce mémoire nous parlerons de
genre et non de sexe : la couleur des jouets, leur usage et les interactions qui les entourent
ne sont pas liés au sexe de l'enfant mais à son genre, c'est-à-dire toutes les caractéristiques
féminines ou masculines à laquelle on l'éduque en fonction de son sexe de naissance. La
socialisation au genre reflète donc l'idée que les rôles respectifs de la femme et de l'homme
dans la société et leurs différences de comportements ne proviennent pas du divin ou de la
nature, mais d'une répétition ancestrale d'attitudes différenciées justifiées uniquement par
leurs différences biologiques.
1 SINIGAGLIA-AMADIO Sabrina (dir.), Enfance et genre. De la construction sociale des rapports de genre
et ses conséquences, Nancy, Ed. Presses Universitaires de Nancy, 2014
2
Une fois que nous avons compris ce qu'est le genre et le rôle de la socialisation dans
sa construction, il convient d'examiner les éléments utilisés dans son élaboration Le
fondement du genre ce sont les normes genrées qui s'assemblent au moyen de stéréotypes
genrés, c'est-à-dire les attentes traditionnelles dont dépendent l'identité d'homme et de
femme aux yeux de la société, ce que Christian Baudelot et Roger Establet appellent le
« répertoire virtuel d'attentes sociales ». Une fois encore, par la force de l'habitude, la
répétition des stéréotypes nous apprend à penser et à classer en terme de féminin ou de
masculin et à ne plus nous étonner de notre propre mode de raisonnement. « C’est
précisément la répétition des mêmes connotations qui a force d’imposition. Des banalités
deviennent des arguments pesants dès lors qu’elles œuvrent dans le même sens, avec une
réitération qui les rend évidentes, naturelles et attendues. »2. Par-delà la force de
l'habitude, le stéréotype tient parce qu'il rassure psychologiquement : réunir tous les
individus dans deux cases permet de créer une forte identité collective. La limite du
stéréotype, c'est qu'il reproduit des inégalités et « sape la capacité des personnes à réaliser
leur potentiel en limitant les choix et les opportunités3 ».
Si la socialisation au genre se fait tout au long de la vie, la phase déterminante est la
socialisation primaire, celle de l'enfance, où le jouet tient un rôle décisif. Le jeu, ou le
jouet, a été choisi comme sujet d'étude car il agit en vecteur de la socialisation : le premier
à mettre en avant le rôle du jouet dans l'évolution psychique de l'enfant est Comenius, un
pédagogue tchèque du XVIIème siècle (1627). Cet instrument ludique est défini par
Sandrine Vincent comme « l'ensemble du matériel disponible dans le commerce, à l'instar
des poupées, petites voitures, figurines diverses, mais aussi jeux de société et jeux
vidéos 4». Encore peu analysé aujourd'hui, il est choisi dans ce mémoire pour appliquer à la
socialisation au genre ses trois enseignements : l'apprentissage des stéréotypes par les plus
jeunes, l'organisation de leurs désirs et les injonctions stéréotypées des acteurs et de leur
environnement5. En effet, chaque jouet est un outil d'apprentissage permettant à l'enfant
d'entrer en contact avec le monde qui l'entoure, de reproduire des comportements observés,
2 CHAUMIER Serge, « La production du petit homme », Alliage, La Science et la guerre, n°52, 2003
3 Discours de Lakshmi Puri, Directrice exécutive adjointe d’ONU Femmes et Sous-Secrétaire générale.
Table-ronde sur le thème « Lutter contre la discrimination sexuelle et les stéréotypes sexistes négatifs : des
réponses politiques efficaces », ECOSOC, Genève, le 13 juillet 2011
4 VINCENT Sandrine, Le jouet et ses usages sociaux, Paris, Ed. La Dispute/SNEDIT, 2001
5 BAUDELOT Christian, ESTABLET Roger, Quoi de neuf chez les filles ? Entre stéréotypes et libertés,
Paris, Ed. Nathan, L’enfance en question, 2007
3
et ainsi de retransmettre à l'adulte certaines des règles de société qu'il aura apprises. C'est
en cela que, selon Muriel Darmon, le jouet est un révélateur des processus de socialisation
de l'enfant. Dans le cas de notre étude, l'analyse du jeu sous une perspective genrée
permettra de rendre compte des représentations intériorisées par les enfants : le jeu tient
une place dans la reproduction des rôles sociaux de sexe6. Le second apport du jeu est de
révéler l'influence des interlocuteurs de l'enfant (parents, non-parents, pairs) dans sa
socialisation au genre, de par leurs injonctions plus ou moins stéréotypées. Enfin, le jeu en
dit long sur la société elle-même, et notamment sur la pression culturelle et économique
liée au jouet. Il ne saurait s'interpréter sans référer aux nombreuses représentations sexistes
véhiculées par le marketing. Parce qu'il est culturel et social, le jouet n'est pas un objet
neutre mais politique qui agit comme instrument de socialisation révélateur des rapports de
forces entre enfants et adultes7.
L'objectif de ce travail est de comprendre, au travers d'un instrument de
socialisation comme le jouet, de quelle façon les enfants sont éduqués au genre.
L'hypothèse qui entoure leur socialisation est celle d'une égalité paradoxale : les
inégalités de traitement subsistantes entre les filles et les garçons sont soit masquées
par un discours éducatif qui se veut neutre et égalitaire, soit justifiées par leur
différence prétendue innée.
Nous verrons tout d'abord que le jouet est un outil de socialisation au genre de part
la différenciation à laquelle il participe en véhiculant des stéréotypes spécifiques au genre
fille et au genre garçon sous couvert de l'argument naturaliste.
A la mise en lumière des normes genrées dans le jeu succédera une analyse des
acteurs dans la socialisation au genre : les adultes et leurs injonctions paradoxales
explicitées ci-dessus, mais aussi les enfants qui s'accaparent les stéréotypes de genres.
La révélation des normes de genre et leur construction permet enfin de promouvoir
une socialisation plus égalitaire en luttant contre les stéréotypes, ce que nous apprendra
l'étude réalisée par le programme égalicrèche.
6 GOLAY Dominique, « Et si on jouait à la poupée ? Observations dans une crèche genevoise » in
DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation différenciée , PUG, 2006, p. 85-100.
7 COLLECTIF, Contre les jouets sexistes, Éd. l'Echappée, Collection Pour en finir avec, 2008
4
Revue de littérature
Cette réflexion est le fruit de plusieurs lectures sur le sujet :
L'analyse du jouet comme vecteur des normes de genre est portée par des auteurs
comme Dominique Golay, pour qui le jeu libre (c'est-à-dire où les adultes encadrent à
minima) nous renseigne sur la façon dont se reproduisent les rapports de domination. Pour
Mona Zegai, doctorante en sociologie sur le rôle des jouets dans la fabrication des filles et
des garçons, « Les jouets sont un objet privilégié pour l’étude des catégories de genre. En
eux se cristallisent une multitude de représentations sociales liées aux rôles et identités
traditionnellement associés à chaque sexe et beaucoup plus marqués que dans la réalité »8.
Les analyses de l'éducation des filles et des garçons par la psychanalyste Anne DafflonNovelle9 et les nombreux auteurs dont elle s'est entourée permettent d'envisager cette
socialisation sous l'angle individuel, et de comprendre les mécanismes de construction
identitaires de l'enfant. Il convient également de citer l'ouvrage Contre les jouets sexistes
au point de vu moins impartial que les précédents mais tout aussi enrichissant. 10. Les
études sociologiques de Christian Beaudelot et Roger Establet ont également permis
d'étayer mon propos, en particulier en ce qui concerne les jouets dits de filles11.
En effet, si la socialisation au genre des filles fait l'objet de nombreuses recherches,
il n'en est pas de même pour celle des garçons. J'ai donc souhaité aborder dans ce mémoire
ce que je considère comme un élément indispensable mais oublié de la promotion de
l'égalité filles/garçons : la construction de la masculinité. Deux auteurs ont retenu mon
attention : Sylvie Ayral, qui étudie la façon dont le système scolaire « fabrique » des
garçons à l'instar de ses volontés d'égalité entre les genres, et Serge Chaumier qui se
penche sur la responsabilité des jouets dans la construction d'une masculinité violente telle
que nous la connaissons.
8 ZEGAÏ Mona, « La mise en scène de la différence des sexes dans les jouets et leurs espaces de
commercialisation. », Cahiers du Genre n° 49, 2010, p. 35-54
9 DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation différenciée, Ed. Presses universitaires
de Grenoble (PUG), 2006
10 COLLECTIF, Contre les jouets sexistes, op. cit.
11 BAUDELOT Christian, ESTABLET Roger, Allez les filles : une révolution silencieuse, Paris, Ed. Seuil,
2006
BAUDELOT Christian, ESTABLET Roger, Quoi de neuf chez les filles? Entre stéréotypes et libertés, op. cit.
5
Cette socialisation paradoxale en termes d'égalité a été soulevée par tous ces
auteurs : Sylvie Ayral parle d'injonctions paradoxales, au sens où la société accepte « la
coexistence du principe d’égalité entre les femmes et les hommes et d’une réalité fondée
sur l’inégalité réelle entre les sexes, dans tous les champs du social »12. C'est également la
thèse défendue par Mona Zegai, doctorante en sociologie qui se penche sur le sexisme dans
les catalogues de jouets : les stéréotypes de genre sont encore ancrés dans la société qui
pourtant condamne les inégalités de sexes13.
Pour expliquer ce décalage entre l'égalité dans le discours et les inégalités de faits,
je me suis également appuyée sur des recherches non-sociologiques : tout d'abord
l'anthropologue et ethnologue Françoise L'Héritier14, qui décrit ce qu'elle appelle le
paradigme différentialiste : puisque l'égalité des sexes est perçue comme acquise, les
différences qui subsistent dans le comportement des garçons et des filles est considéré
comme inné voire libre de choix, donc légitime. L'illusion naturaliste sert ainsi à justifier
les inégalités sociales par la biologie. Ensuite, les recherches de la neurobiologiste
Catherine Vidal ont permis d'aborder le neuro-sexisme et d'appuyer la thèse de la
naturalisation des rapports sociaux de genre. L'ouvrage de Sabrina Sinigaglia-Amadio nous
met également en garde contre les idéologies naturalistes : « dévoiler les inégalités de sexe
aura toujours quelque chose de forcément déplaisant pour tous ceux que la hiérarchie du
masculin/féminin rassure, arrange ou indiffère15 ».
Enfin, ce mémoire m'a amenée à examiner les jouets dans la petite enfance, grâce à
ma directrice de mémoire qui m'a recommandée auprès du groupe de travail égalicrèche.
Les rencontres avec ses différents acteurs ont apporté matière au sujet peu étudié qu'est le
genre dans la prime enfance, auxquelles s'ajoutent les ouvrages de Nathalie Coulon et
Geneviève Cresson sur la petite enfance (2007)16, ainsi que le récent livre de trois auteures
sur L'égalité des filles et des garçons dès la petite enfance17.
12 AYRAL Sylvie, « En finir avec la fabrique des garçons », Libération, 6/11/2014
13 ZEGAI Mona, « Du jeu dans les catégories de genre ? Le jouet comme outil de socialisation sexuée et de
définition du champ des possibles au centre des interactions familiales », in Sabrina SINIGAGLIA-AMADIO
(dir.), Enfance et genre. De la construction sociale des rapports de genre et ses conséquences, op. cit.
14 L'HERITIER Françoise, Hommes, femmes, la construction de la différence, Paris, Ed. Le pommier, 2002
15 LAUFER J., MARRY C. Et MARUANI M. (2003) in Sabrina SINIGAGLIA-AMADIO (dir.), Ibid.
16 COULON Nathalie, CRESSON Geneviève, La petite enfance, Paris, Ed. L’Harmattan, Collection
Logiques sociales, 2007
17 HAUWELLE Francine, RUBIO Marie-Nicole et RAYNAL Sylvie, L'égalité des filles et des garçons dès
la petite enfance, Toulouse, Collection Eres, 2015
6
Partie 1. Le jouet comme instrument de socialisation au genre
Cette partie s'attache à montrer dans quelle mesure le jouet, symbole de l'innocence
et de l'amusement enfantin, initie dès le plus jeune âge les individus à un système de
bicatégorisation hiérarchisé selon le sexe. Le jouet est en effet vecteur de ce qui caractérise
le genre dans notre société: la différenciation hiérarchisée, la naturalisation des rapports
sociaux et l'hypersexualisation.
A. Une différenciation genrée basée sur la naturalisation des rapports
sociaux : un outil statégique pour la vente de jouets
Que ses acteurs en aient conscience ou non, le monde des jouets a su exploiter
l'argument traditionnel selon lequel les garçons et les filles n'ont ni les mêmes besoins, ni
les mêmes capacités, ni les mêmes attentes. Selon des chiffres de 2000, en France, les
annonceurs dépensent 610 millions d'euros chaque année en achat d'espace publicitaire
pour toucher les enfants de moins de 12 ans18. Cet argument, c'est la naturalisation des
rapports sociaux, c'est à dire l'idée que les différences entre les sexes sont naturelles et
justifiées. De celà découle une différenciation genrée, terme abordé en introduction pour
définir la construction d'une identité fille et d'une identité garçon exclusives en termes
d'éducation, et notamment de jouets.
1. Histoire de la différenciation dans le jeu et son renouveau à la fin du XXème siècle
Bien que la différenciation genrée ne soit pas historiquement l'objet principal du
jouet, elle jalonne l'histoire de ce dernier dont les premières traces remontent au IIIème
millénaire avant Jésus-Christ, en Mésopotamie. Pourtant, le terme jué n'apparaît qu'au
XVIème siècle pour être assigné spécifiquement à l'enfance au XIXème. Historiquement,
le jouet nous renseigne sur l'évolution accordée aux enfants par la société davantage que
sur celle du genre, qui reste figée pendant des siècles.
18 BAERLOCHER Elodie, « Barbie® contre Action Man® ! Le jouet comme objet de socialisation dans la
transmission des rôles stéréo-typiques de genre » in DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons :
socialisation différenciée , op.cit.
7
Contrairement à aujourd'hui, les premiers jouets n'ont pas pour objet principal le
genre mais la religion. Comme l'analyse Sandrine Vincent19, dans l'Antiquité les enfants
tiennent une place importante dans la société, il existe donc beaucoup de jouets et
d'activités ludiques. Si les grelots et balançoires sont utilisés par les deux sexes, les filles se
voient déjà attribuer des poupées et du mobilier miniature, qu'elles donneront ensuite aux
Dieux à leur mariage pour être fécondes. Cet exemple nous montre la connotation
religieuse du jeu, qui n'en demeure évidemment pas moins genrée. De leur côté, les
garçons s'amusent avec des cerceaux, des animaux, des moyens de transport. Cette forte
séparation reflète la précoce différenciation genrée de la Rome Antique, puisqu'à 7 ans, les
garçons vont à l'école et quittent le statut d'enfant (en latin le non-parlant) pour celui de
pueri durant 10 années. Quant aux filles, elles restent à la maison et devront attendre leur
mariage pour changer de statut. En revanche en Égypte, le jeu s'avère plus mixte puisque
filles comme garçons utilisent des poupées, des jetons, dés et billes, ou encore des hochets
pour repousser les mauvais esprits, dont le fil symbolise le cordon ombilical.
Au Moyen-Age en Europe, c'est toujours la religion et en l’occurrence l'Eglise qui
guide la conception de la famille . Les historiens divergent néanmoins sur ce que les faits
nous révèlent de l'importance des enfants. Certains historiens comme Philippe Ariès
décrivent une période d'indifférence vis-à-vis de l'enfant, en raison de la forte mortalité
infantile et du placement en nourrice. L'Eglise voudrait en effet que l'allaitement soit
proscrit afin que la femme puisse retourner le plus rapidement à son devoir conjugal et
continuer de procréer. D'autres historiens interprètent en revanche l'importance de l'Eglise
comme un facteur de valorisation des plus jeunes. Loin de la théorie du délaissement de
l'enfant, ils relatent au contraire l'avènement de l'union matrimoniale et du soin aux enfants
grâce au modèle de la Vierge Marie, ce qu'ils justifient par la découverte de jouets dans les
tombes enfantines (poupées, toupies, balles). Comme évoqué précédemment, les jouets
sont en effet interprétés comme un témoignage d'affection envers l'enfant. Quoi qu'il en
soit, ces deux courants s'accordent à dire qu'à cette époque, les enfants sont considérés
comme des petits adultes qui apprennent le futur rôle dans la société par un jeu de fait
genré: les garçons s'amusent avec des figurines en bois représentant des chevaux et des
arcs miniatures, et s’entraînent à la guerre par l'escrime et le tir à l'arc, tandis que les filles
restent au foyer et pouponnent.
19 VINCENT Sandrine, Le jouet et ses usages sociaux, cit. op.
8
A la Renaissance, nous explique Sandrine Vincent, la famille est débarrassée de
l'influence seigneuriale et se replie sur elle-même en diminuant les nourrices. Les écrits de
Jean-Jacques Rousseau sur la bonté originelle consacrent une vision idyllique de l'enfant,
qui se traduit par des espaces dédiés à ses jouets et le développement des bimbelotiers qui
deviennent spécialistes de la fabrication de jouets.
Il faudra néanmoins attendre le XIXème siècle qu'enfants et jouets soient associés
au jeune âge, avec le passage de la production artisanale à la production industrielle. En
effet jusqu'à l'Ancien Régime par-exemple, la poupée reste le fait des adultes pour faire
circuler la mode vestimentaire : l'enfant ne peut y toucher.
Jusqu'au XXème siècle, le jouet reste l'apanage des citadins de classe élevée, les
autres n'ayant pas les moyens de s'en procurer et travaillant tôt. La production de masse va
permettre la démocratisation de l'accès au jouet, mais également sa séparation typologique
et sexuée: des objets volants et à pédales symbolisant l'avenir technologique deviennent
spécifiques aux garçons alors que les filles restent dans l'univers traditionnel maternel avec
les poupées. C'est véritablement à ce moment que le jeu commence à développer un
rapport à la consommation et à en transmettre les valeurs. Aujourd'hui, la France est la
deuxième consommatrice de jouets d'Europe, la Chine en est la première exportatrice 20.
Selon Sutton Smith (1986)21, ce phénomène de multiplication est caractéristique de
l'avènement d'une société individualiste, caractérisée par le repli à l'intérieur et
l'autonomie, où l'enfant doit s'occuper seul dans la maison. Objet religieux puis outil de
consommation, l'évolution paradoxale du jouet s'illustre par le parcours du Père Noël : créé
par Thomas Clark Moore dans un poème de 1822, le Père Noël est à l'origine un
personnage païen condamné par l'Eglise. Il deviendra pourtant populaire en 1930 grâce à
Coca Cola qui y apposera son code de couleur pour être aujourd'hui un emblème de Noël,
fête chrétienne par excellence.
S'il est précisé que les jouets se démocratisent, il ne faut pour autant pas oublier que
le statut social est une variable dans le jeu, au même titre que le genre. Jean- Claude
20 COLLECTIF, Contre les jouets sexistes, Éd. l'Echappée, Collection Pour en finir avec, 2008
21 SMITH Sutton (1986) cité in DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation
différenciée , op.cit.
9
Chamboredon et Jean Prévost22 nous indiquent que l'opposition entre le travail et les loisirs
augmente en fonction de la précarité de la classe sociale : le jouet est perçu chez les classes
populaires comme une simulation matérielle (comme punition ou récompense) et
récréative, détachée de l'avenir social des enfants. A l'inverse, il est chez les classes les plus
aisées un outil intellectuel et éducatif : le travail est la continuité du ludique alors que pour
les premiers, le jouet reste uniquement l'occasion de saisir les bons moments tant qu'ils
existent.
Aujourd'hui, les jouets se déclinent en trois catégories23: les jouets typiquement
féminins, que nous appellerons « jeux dits de filles », réfèrent majoritairement au
maternage, à la beauté, aux soins ou au ménage. Les jouets typiquement masculins, que
nous appellerons « jouets dits de garçons », sont liés aux moyens de transport, à la
construction, aux jeux de guerre, au bricolage, mais aussi aux jeux vidéos. L’appellation
« dits de » permet d'éviter l'amalgame naturel/culturel : ces jeux sont associés aux filles et
aux garçons par la société, et non intuitivement. La troisième catégorie24 regroupe les
jouets neutres/mixtes, principalement en rapport à la créativité, l'éveil ou l'adresse comme
les hochets, peluches, perles, mallettes de jeux.
Ce qui frappe particulièrement, c'est la forte segmentation genrée employée par le
marketing pour les deux premières catégories de jouets : couleurs, rayons dans les
magasins, catalogues de jeu, et couleurs : tout se divise par genre et non par thématique. La
sociologue Mona Zegai25 explique que si tous les jouets ne sont pas genrés, le marketing
l'est systématiquement. Depuis les années 1990, il s'empare des stéréotypes de genre,
utilisant l'avantage de la différenciation genrée pour mieux vendre : le rose devient la
couleur des filles, le bleu celle des garçons. La division genrée des objets dans le
marketing n'est d'ailleurs pas réservée aux enfants, mais s'applique à bon nombre de
produits dits féminins/masculins, comme l'ont montré de récentes analyses sur la Woman
22 DARMON Muriel, La Socialisation, Ed. Armand Colin, 2ème édition, Collection 128, 2010
23 BAERLOCHER, Elodie, « Barbie® contre Action Man® ! Le jouet comme objet de socialisation dans la
transmission des rôles stéréotypiques de genre » op. cit.
24 BAUDELOT Christian, ESTABLET Roger, Quoi de neuf chez les filles? Entre stéréotypes et libertés, op.
cit.
25 ZEGAI Mona, « Du jeu dans les catégories de genre ? Le jouet comme outil de socialisation sexuée et de
définition du champ des possibles au centre des interactions familiales », in Sabrina SINIGAGLIAAMADIO (dir.), Enfance et genre. De la construction sociale des rapports de genre et ses conséquences, op.
cit.
10
Tax26. Outre le fait qu'il soit un exemple parlant d'inégalités de genre, l'argument phare du
marketing genré, soit l'utilisation des couleurs, est une preuve de l'aspect culturel et non
naturel de la différence des sexes. En effet, le rose fille et le bleu garçon ne sont apparus
que récemment : il y a un siècle, le bleu était la couleur des filles en référence à la vierge
Marie et à la sensibilité. Le rose était réservé aux garçons en tant que « petit rouge »,
dérivé de la puissance masculine. Le code couleur tel qu'on le connaît de nos jours
proviendrait d'Italie en 1929, où une sage-femme aurait différencié les bébés par des
rubans colorés.
Ainsi, l'histoire du jouet nous montre que la promotion d'une utilisation différenciée
du jouet selon le genre est récente, bien que l'utilisation même soit traditionnellement
bicatégorisée. Auparavant, le jouet était avant tout un révélateur des enjeux qui traversaient
la société : la psychologie n'ayant pas fait son apparition, le jouet n'avait pas pour vocation
de participer au développement de l'enfant mais de reproduire en miniature le monde des
adultes, jalonné d'une division genrée des tâches et empreint d'une forte religiosité. De nos
jours, le jouet reflète encore une société fortement sexiste dans le sens où les attributs et les
valeurs qu'ils enseignent ne sont pas les mêmes selon qu'il s'agisse d'un garçon ou d'une
fille. Ce constat étonne au vu de l'avancée de notre société en matière d'égalité
hommes/femmes.
2. De l'usage de l'argument naturaliste
Cette sous-partie s'attache à expliquer comment une société prônant l'égalité des
sexes a pu laisser se diffuser à grande échelle des jouets stéréotypés contribuant à la
différenciation abordée ci-dessus. En réalité, si la construction d'une différence entre les
sexes perdure, c'est parce qu'elle est toujours perçue comme légitime, non plus au nom du
divin prôné par l’Église mais au nom de la science. Comprendre ce que l'on appelle
l'argument naturaliste permet de faire un premier pas vers l'analyse de la socialisation au
genre, qui suppose une hiérarchie : le recours à la nature pour justifier une idéologie
26 LE BRETON Marine, « Woman tax: Bercy lance une enquête sur les produits de consommation qui
seraient plus chers pour les femmes », Huffington Post, 03/11/2014
11
permet de camoufler un rapport de pouvoir27.
Le premier élément en faveur de la différenciation est celui du poids de l'histoire :
pour certains, si la division des sexes est si ancienne, c'est qu'elle a des raisons de perdurer.
A cela on peut répondre que tout ce qui dure dans le temps n'en est pas pour autant
louable : le crime, les massacres, la pédophilie sont autant de faits durables que personne
n'oserait juger légitime. De plus, l'histoire même est soumise à l'interprétation qu'en font
ses historiens : on valorise le mythe de l'homme des cavernes chassant le gibier en oubliant
qu'un tiers de la nourriture était fournie par la collecte des fruits qu'effectuaient les femmes
sur des kilomètres. En son temps, Simone de Beauvoir s'interrogeait déjà sur la division
genrée de la société : serait-elle un choix historique ? Si nul n'est en mesure d'expliquer
l'origine ancestrale d'une division entre les sexes, Françoise L'Héritier 28 explore la théorie
anthropologique de l'évolution : constatant que seules les femmes peuvent produire des
garçons et des filles mais qu'elles ont besoin pour cela de l'homme, il est déduit que
l'homme est à l'origine de tout et que les femmes se limitent à un lieu de passage. De son
coté, Annick Houel29 dépeint une confusion historique entre féminité et maternité,
masculinité et virilité, qui n'a d'ailleurs plus lieu d'être à l'époque de la contraception et de
la démocratie, où les femmes ne se réduisent plus à la maternité et les hommes à la guerre.
Enfin, Catherine Vidal nous met en garde contre le recours à des arguments historiques et
notamment aux comparaisons avec les autres mammifères du fait de nos antécédents
animaliers : l'être humain est doté d'un cortex cérébral spécifique qui ne se retrouve chez
aucune autre espèce et lui permet « d'échapper à tous les programmes biologiques […] ; il
n'existe aucun instinct qui va s'exprimer à l'état brut, tout va être contrôlé par la
culture30 ».
De fait, la différenciation genrée se justifie également par l'écueil naturaliste,
consistant à attribuer à la nature ou à l'anthropologie des différences qui sont socialement
construites et introduites à un moment donné. Or, attribuer à des garçons ou des filles des
qualités selon leur sexe biologique, c'est oublier tout l'acquis entourant leur socialisation, et
27 GUILLAUMIN (1992) in HAUWELLE Francine, RUBIO Marie-Nicole et RAYNAL Sylvie, L'égalité
des filles et des garçons dès la petite enfance, op. cit.
28 L'HERITIER Françoise, Hommes, femmes, la construction de la différence, op. cit.
29 HOUEL Annick, « Approche psychologique des rapports de genre », in SINIGAGLIA-AMADIO Sabrina
(dir.), Enfance et genre. De la construction sociale des rapports de genre et ses conséquences, op. cit.
30 VIDAL Catherine, Le cerveau a-t-il un sexe ?, 21/07/2012
12
en particulier les nombreuses heures passées à jouer. Nombreux sont les exemples
scientifiques montrant que la nature est surtout le résultat de constructions sociologiques, à
commencer par Darwin qui expliquait que l'individu évoluait physiquement de manière à
s'adapter à son environnement. Si l'on admet sa théorie de l'évolution, pourquoi refuser que
certaines différences biologiques entre les sexes comme la taille soient le fruit d'une longue
période de division des tâches ? Pour ne citer que Serge Chaumier, « l’examen
anthropologique de la diversité des formes humaines devrait pourtant inciter à la
prudence et à comprendre que la nature est surtout le résultat de sa construction
culturelle, de sa mise en forme. Les rôles tenus par les hommes ou par les femmes varient
selon les époques et les sociétés, et ne recouvrent pas les mêmes attributs.31».
L'argument scientifique comme justificatif des différences de traitement est
pourtant dangereux : utilisé par de nombreux systèmes comme le nazisme ou le
colonialisme par-exemple, il est aujourd'hui repris pour chercher les origines des inégalités
entre les sexes à partir du cerveau et des hormones, ce que l'on appelle le neuro-sexisme.
Au-delà de justifier l’inacceptable, le danger des explications naturelles des différences
sociales est qu'elles rendent vaines toute politique d'égalité des chances. De fait, si les
capacités mentales sont inscrites dans la biologie, pourquoi pousser les filles à faire des
sciences et les garçons à apprendre des langues ? En outre, les travaux de la chercheuse
Catherine Vidal32 montrent clairement que même s'il existe des différences anatomiques et
biologiques entre les deux cerveaux, l'intelligence dépend de la qualité des connexions
entre neurones dont 90% s'effectuent après la naissance. Comme le corps, c'est l'expérience
qui façonne le cerveau, ce qui explique les différences anatomiques constatées entre les
sexes, au vu des centaines d'années de bipolarisation des rôles et des socialisations
différenciées. Comme le souligne Françoise L'Héritier33, « Étant donné les propriétés de
plasticité du cerveau, il n’est pas étonnant de constater des différences de stratégies
cérébrales entre les hommes et les femmes, puisqu'ils ne vivent pas les mêmes expériences
dans l’environnement social et culturel. Mais cela n'implique pas que les différences soient
dans le cerveau depuis la naissance 34». A titre d'exemple, il a été montré que les musiciens
31 CHAUMIER Serge, « La production du petit homme », op.cit.
32 VIDAL Catherine, « Plasticité cérébrale et identité sexuée » in SINIGAGLIA-AMADIO Sabrina (dir.),
Enfance et genre. De la construction sociale des rapports de genre et ses conséquences, op. cit.
33 L'HERITIER Françoise, Hommes, femmes, la construction de la différence, op. cit.
34 L'HERITIER Françoise, Hommes, femmes, la construction de la différence, Ibid.
13
développaient davantage la zone de motricité des mains et de l'audition, et que les
représentations de l’espace des conducteurs de taxis variaient selon leur ancienneté dans la
profession. Ainsi, la socialisation différenciée ne va pas développer les mêmes aptitudes
dans les cerveaux des garçons et des filles.
En effet, les jeux dits de garçons encouragent le développement d’habiletés visuspatiales, de mécaniques et d’exploration de l’environnement : toute leur enfance, les
garçons évoluent à l'extérieur, courent, jouent à la balle, développant ainsi une aisance
physique et une capacité à s'orienter. Les filles elles, de par leurs jeux de faire semblant,
développent davantage les habiletés sociales, la communication et les relations
interpersonnelles35. Se déroulant en intérieur, ils stimulent davantage la parole que les
déplacements. Même lorsqu'elles jouent dehors les filles se cantonnent à un espace réduit :
la marelle, la corde à sauter restreignent dès le plus jeune âge leur évolution dans l'espace,
car « une femme prend toujours trop de place »36. Psychologiquement, la socialisation
différenciée impacte le processus d'apprentissage en lui-même, comme l'explique Anne
Dafflon-Novelle37. Par le jeu notamment, les filles adoptent une stratégie d'assimilation
décrite comme « l'introduction d'informations dans un schéma cognitif pré-existant ». Les
garçons en revanche passent par une stratégie d’accommodation, qui consiste à « modifier
des schémas cognitifs pour avoir des expériences nouvelles ». En d'autres termes, chacun
des deux sexes appréhende d'ores et déjà différemment la société et ses normes.
Serge Chaumier nous met en garde contre la levée de bouclier en faveur des
discours de l'égalité dans la différence, qui est bien souvent davantage une différence dans
l'égalité : « L'égalité dans la différence est le leitmotiv de ceux qui constatent que les
divergences subsistent malgré les luttes pour faire avancer les droits38 ». Il est en effet plus
facile d'attribuer une différence de traitement à une différence naturelle que de remettre en
cause l'échec ou l’inachèvement de mesures d'égalité. Outre le fait qu'elle limite les
capacités des enfants selon le genre et non selon leur réelle personnalité, cette socialisation
différenciée s'accompagne d'une hiérarchie des sexes, jusque dans le jeu. Comment
35 ROUYER V. et ZAOUCHE-GAUDRON (2006) in DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons :
socialisation différenciée , op.cit.
36 CHOLLET Mona, Beauté Fatale, Les nouveaux visages d'une aliénation féminine, Hors Collection Zones,
2012
37 DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.) Ibid.
38 CHAUMIER Serge, « Modes de socialisation et construction des genres : l’exemple des jouets », op. cit.
14
expliquer sinon que les filles soient en moyenne naturellement plus douées pour le langage
et la communication mais ne soient pas majoritaires en politique, en avocates, en
journalistes ? « La croyance dans les capacités innées des femmes s'arrête là où le prestige
commence39 ».
***
Tous ces phénomènes de justification des inégalités par la science ou par l'histoire
appartiennent à ce que les auteurs dénomment la "naturalisation des rapports sociaux". Les
sociétés peinant à admettre qu'elles sont auteurs de leurs propres règles, même les plus
injustes, elles font intervenir une force extérieure pour justifier leurs actions : si Dieu
permettait auparavant d'imposer la division des sexes, c'est désormais la biologie qui en
endosse la responsabilité.40 Désormais, nous comprenons mieux les faiblesses du
raisonnement permettant au monde des jouets de vendre des stéréotypes de genre à une
société prétendue égalitaire qui continue pourtant de croire en la nécessité de catégoriser
ses individus dès leur naissance. Après avoir montré comment fonctionnait la
différentiation et sur quels arguments elle s'appuyait, nous allons étudier quelles
différences sont mises en avant et de quelles façons elles contribuent à créer deux univers
incompatibles.
B. Hypersexualisation des jouets sur la traditionnelle dichotomie
beauté/force
En 1975, 70% des jouets n'étaient pas spécifiquement étiquetés selon le genre41.
Depuis les années 1990, on sépare pour mieux vendre en renforçant l'idée de différences
innées entre les genres auprès des parents. La différenciation que nous avons évoquée se
base dans le jeu - comme dans la publicité d'ailleurs- sur une dichotomie beauté/force
transmise par une hypersexualisation des objets. Dans un rapport du Sénat, Chantal
Jouanno42 nous donne la définition suivante: "La notion d’hypersexualisation renvoie à la
39 HAUWELLE Francine, RUBIO Marie-Nicole et RAYNAL Sylvie, L'égalité des filles et des garçons dès
la petite enfance, op. cit.
40 SINIGAGLIA-AMADIO Sabrina (dir.), Enfance et genre. De la construction sociale des rapports de
genre et ses conséquences, op. cit.
41 SWEET Elizabeth, « Guys and Dolls No More? », The New York Times, 21/12/2012
42 JOUANNO Chantal, Contre l'hypersexualisation, un nouveau combat pour l'égalité, Rapport du Sénat,
Ministère des solidarités et de la cohésion sociale, 2012
15
sexualisation des expressions, postures ou codes vestimentaires, jugées trop précoces. Elle
s’appuie sur le retour des stéréotypes dès le plus jeune âge.[...]Associée à la notion de
séduction, c'est une stratégie mise en place intentionnellement dont l’objectif de séduction
est central "43. L'hypersexualisation est donc le phénomène social visant à séduire l'autre
par une mise en scène sexualisée du corps, que l'on retrouve dès le plus jeune âge :
féminité et masculinité sont exagérément stéréotypés dans les jouets.
1. Les jouets dits de filles: culte de l'apparence et pop-culture
Les jouets dits de filles encore aujourd'hui peuvent tenir dans quatre catégories 44 : la
mère (jouets de pouponnage type bébé), la ménagère (jouets copiant les outils de ménage),
la femme séduisante (jouets de maquillage, Barbie), l'amoureuse (la gamme princesse de
Disney). Leur sexisme semble plus évident que celui des jouets dits de garçons parce qu'il
est davantage identifiable en termes de cliché et a été dénoncé par les courants féministes.
Comme nous l'avons déjà remarqué, ce sont des jeux aux possibilités restreintes
(différenciation) et dévalorisées par la société (hiérarchisation). Au-delà du sexisme latent
que nous venons d'évoquer, je souhaiterais mettre en lumière deux phénomènes récents des
jouets dits de filles : leur hyper sexualisation (touchant à l'apparence du jouet) et le retour
du mythe de la princesse sous la forme du mythe de star (relative à l'usage du jeu).
Comme le note Mona Zegai dans ses recherches sur le rôle des jouets dans la
« fabrique des filles », l'hypersexualisation transparaît dans la plupart des jouets dits de
filles. Nous pouvons citer l'exemple frappant de Charlotte aux fraises: au fil du temps, la
petite fille s'est féminisée : elle a troqué ses bonnes joues enfantines des années 1970
contre apparence plus pulpeuse pour devenir une princesse séduisante 45. L'accentuation des
stéréotypes de féminité chez les jouets dits de filles est étonnante dans le sens où la société
semble évoluer en matière d'égalité.
L'une des raisons avancées est que l'hyper-sexualisation des jouets réservés aux
43 RICHARD BESSETTE Sylvie (2006) in JAOUNNO Chantal, Ibid.
44 COLLECTIF, Contre les jouets sexistes, op. cit.
45 PIQUEMAL Marie, « Livres pour enfants : les clichés sexistes n'ont jamais été aussi présents »,
Libération, 8/03/2014
16
filles compenserait le fait que les parents cherchent à élever les filles comme des garçons,
s'entend « de façon égalitaire ». Selon Catherine Monnot46, une fille apprend vite que si elle
s'affirme adepte d'un discours, d'une apparence ou d'une activité masculine, elle doit
compenser cette rupture de façon symbolique en cultivant un aspect de femme
traditionnelle, afin de garder sa féminité. Cette même idée est soulevée par la réalisatrice
Cécile Deangeant dans son documentaire sur la pop-culture. Elle prend l'exemple du
personnage de Lara Croft, témoin que les femmes guerrières sont forcément sexy, ou
encore le film La revanche d'une blonde, où une jeune femme étudiante à Harvard
compense de « façon branchée » son évolution dans un univers masculin compétitif par
une attitude ultra-féminine. Le jouet révèle la nécessité de s'affirmer intellectuellement en
tant qu'égale de l'homme en marquant intentionnellement une différence esthétique ultra
stéréotypée afin de conserver son genre femme. Lors d'un interview pour le documentaire
de Cécile Dengeant, la journaliste Monia Kashmire explique que les filles surjouent ce
qu'on leur reproche d'être pour être écoutées : « Les hommes se méfient, ils font les coqs,
donc je fais la poule pour ne pas montrer que je suis un coq ».
Si pour certain(e)s affirmer sa féminité est un moyen d'investir le territoire
masculin, d'autres estiment que la reconnaissance de l'égalité s'accompagne d'un gommage
des spécificités féminines. Mona Chollet explique dans son livre que les spécificités du
corps féminin sont davantage tolérées lorsqu'il y a une division sexuée des rôles, à
l'exemple des femmes à la maison et les hommes au travail. En terrain masculin, les
femmes doivent compenser ce déséquilibre en diminuant la place que prend leur corps,
notamment par un aspect masculin/androgyne et par la minceur, synonyme d'obéissance et
non de beauté. Cette idée transparaît dans les canons de beauté actuels de mannequinat qui
peuplent les magazines. Notons d'ailleurs qu'il s'agit presqu'exclusivement de femmes
blanches, le racisme dans la mode comme dans jouets pouvant faire l'objet d'un mémoire à
part entière. Quoi qu'il en soit, qu'elles se féminisent à l’extrême ou se masculinisent, les
femmes doivent dans tous les cas compenser leur rupture avec l'univers féminin par leur
apparence, en s'en démarquant ou en le réaffirmant. Cette peur de la perte de la féminité à
cause du féminisme habite de nombreuses femmes, ce qui n'est guère étonnant puisque les
féministes dénoncent la dictature de l'apparence chez le genre féminin, un trait que de
46 MONNOT Catherine, Petites filles d'aujourd'hui. L'apprentissage de la féminité, Paris, Ed. Autrement
(coll. Mutations), 2009
17
nombreuses filles puis femmes ont intériorisé comme essentiel à la définition de leur
identité.
Vendue toutes les six secondes dans le monde, le personnage disproportionné de
Barbie est l'un des jouets dits de filles les plus connus. Nicoletta Bazzano a montré
l’ambiguïté de sa condition : certes, Barbie a pour principale activité de changer de tenue,
de sac et de coiffure, en se limitant aux métiers de chanteuse et de mannequin. Elle
véhicule le devoir social de beauté incombant aux petites filles, et lui fait découvrir les
artifices de séduction qui ne pourront que lui apparaître naturels à l'âge adulte. Un récent
court-métrage de Lola Rougier-Onnis, Je suis Louie, est particulièrement parlant sur le
sujet. A mi-chemin entre documentaire et fiction, la réalisatrice met en scène un casting de
petites filles qui ont le choix entre endosser le rôle d'une jolie fille très méchante et celui
d'une gentille fille très laide. On sent le malaise des filles face à ce dilemme qui pourtant
tranchent toutes en faveur de la beauté. Cependant, même si elle véhicules ces stéréotypes,
Barbie fait aussi des choix assez originaux : elle renonce à la maternité, n'est pas ménagère
pour un sou, a été représentée comme présidente et comme astronaute, et enfin n'a pas de
copain attitré, puisqu'elle flirte autant avec Ken qu'avec Blain (ce qui reste toutefois
conforme aux normes hétéro-genrées). Cependant comme le souligne Cécile Dangeant, la
frontière entre le droit au plaisir et l'obligation de plaire est mince, et la confusion entre la
liberté sexuelle et le devoir d'être sexy est rapide.
Si l'on peut expliquer l'hypersexualisation des jouets dits de filles par une peur
(certes injustifiée mais présente) de la disparition de la "féminité", on peine à comprendre
que l'usage du jouet reste aussi restreint chez les filles. En effet, l'apparence du jouet est
ultra-féminisée et sa fonction tourne exclusivement autour de l'entretien de cet esthétique.
Le modèle des fillettes n'a pas évolué vers les premières femmes scientifiques, astronautes
ou politiciennes : il reste celui de la princesse. Or, la princesse est un personnage passif,
matérialiste, obsédée par son apparence, ou du moins limité à l'utilisation de cette dernière
pour l'expression de soi. Curieusement, le retour au modèle de la princesse s'est opéré
après les événements du 11 septembre 2001, en grande partie par le lancement d'une
collection de princesses chez Disney, comptant 26 000 produits dérivés avec l'idée de
rédemption suivante: le monde est dur mais les petites filles vont le sauver. On peut certes
18
arguer que certaines princesses de Disney sont des femmes indépendantes et courageuses,
comme Mulan. Or, la déclinaison commerciale de Mulan est un exemple frappant
d'hypersexualisation47 : il n'existe pas de poupée Mulan en soldat alors que cette dernière
passe la moitié du film dans cette tenue et qu'elle déteste sa tenue de mariage, celle-là
même que l'on propose aux petites filles. Les rares vêtements de combat proposés en sus de
sa tenue de poupée passent du vert neutre au violet « fille ». De plus, elle porte du
maquillage et des cheveux longs, alors même que la coupe de ses cheveux en tout début du
film est un symbole de son émancipation.
Un parallèle intéressant est fait par Cécile Deangeant entre l'univers des princesses
et le show business actuel : la pop culture serait un conte de fée moderne. De la princesse
rêvant d'être découverte par un prince à la jeune fille insignifiante aspirant à être
découverte par un producteur, il n'y a qu'un pas. Princesses comme popstars, chanteuses ou
mannequins vivent un conte de fée basé sur la reconnaissance de leur beauté leur
permettant d'atteindre leur rêve : amour, argent, voyages, et la fuite d'un quotidien banal 48.
Comme la princesse, la future star attend que quelqu'un vienne transcender son quotidien et
sublimer ses qualités (esthétiques), notamment le « grand amour » , auquel elles aspirent à
plaire, ce qui fait dire à Naomie Wolf, féministe auteur du Mythe de la Beauté, que « ce
que les petites filles apprennent, ce n'est pas à désirer l'autre, mais à désirer être désirée
par l'autre ». Le mythe de la pop culture se traduit par les nombreux téléfilms retraçant le
scénario cité qui se décline en rayons par des panoplies de chanteuses, de maquillage, de
boîtes à bijoux et autres accessoires, qui s'éloignent des poupées réservées aux petites
soeurs. Interrogé sur ce sujet lors d'une émission France inter 49, Ludovic Jérôme Gombault,
directeur de rédaction des magazines Fan2 et Girly Style résume la base de cette culture :
too young for boys, too old for toys.
Si les jeux traditionnels des petites filles restent le maternage et le ménage, ils
évoluent à la pré-adolescence vers des jouets tournant autour de l'apparence. Ils semblent
dépeindre une génération lolita dont les rêves sont uniquement la quête de l'amour et de la
reconnaissance sociale de qualités esthétiques ou lyriques. Ils préparent les petites filles (et
47 LIAM, « Disney : Empire, Marchandise, Idéologie (Partie 2/5 : Les produits dérivés, ou comment Disney
s’approprie la culture des enfants) », Le Cinéma est politique, 26/10/2013
48 CHOLLET Mona, Beauté Fatale, Les nouveaux visages d'une aliénation féminine, op. cit.
49 Émission France Inter, Comment la société de consommation fabrique-t-elle les filles?, 3/10/2014
19
les petits garçons !) à songer que la réussite des femmes passe exclusivement par le
mannequinat, le chant ou le cinéma. Ces métiers sont tout à fait admirables : le danger
réside dans l'exclusivité des modèles qui n'offrent que peu de perspectives aux jeunes filles
et cloisonnent leurs choix d'orientation. Comme le dit si bien le documentaire sur « La
Domination masculine » de Patrick Jean : « les petites filles ont des rêves, pas des
ambitions ». Maria Deraismes, féministe du XXème siècle soulignait déjà en son temps
que la valorisation de la beauté n'est pas une mauvaise chose, mais que son exclusivité
dans la définition du genre féminin posait ce dernier dans une situation de faiblesse et de
superficialité par-rapport aux hommes détenant le monopole de l'intellectuel : « Sans doute
la beauté est un grand don. Je puis franchement l'avouer : quelque chose de beau me
touche, et je pense que la laideur est une privation. Mais ne perdons pas de vue que la
beauté est un capital que l'on mange tous les jours ; c'est un fonds dont on ne tire pas de
revenu. On ne fait pas des épargnes de beauté, on ne fait pas des économies de jeunesse.
Mais s'il y a un fonds moral, s'il y a un capital intellectuel, scientifique, ce sont là des
revenus que vous percevez tous les jours ; avec eux vous pouvez braver les cheveux
blancs.50»
L'autre danger d'enfermer les petites filles dans un culte de l'apparence est celui
bien connu de l'anorexie, toujours analysée comme une pathologie individuelle et non le
résultat de la condition féminine actuelle : 90% des anorexiques sont pourtant des filles 51.
C'est ce que Patrizia Romito appelle la psychologisation 52 : beaucoup de problème
découlant des rapports sociaux de sexes sont dépolitisés en étant analysés en termes
individuels et psychologiques, ce qui conforte la domination masculine. Aucun lien n'est
donc fait entre les multiples injonctions à la beauté envers les fillettes et les jeunes femmes
se sentant mal dans leur peau. Pourtant comme le dit Nicoletta Bazzano, « Barbie enseigne
quel est […] le véritable visage de la femme: toujours prête au changement dès que
survient une nouvelle sollicitation. Et la fillette qui, ignorante, continue à l'enrubanner
[...] dans la rassurante répétition de l'enfance, apprend les rudiments de cette attention
spasmodique portée à son propre aspect physique qu'elle conservera par la suite 53 ». Ce
50 DERAISMES Maria, Eve dans l’humanité, Réedition Côté femmes, Paris, 1891, p.136-138 et 142-143
51 CHOLLET Mona, Beauté Fatale, Les nouveaux visages d'une aliénation féminine, op. cit.
52 ROMITO Patrizia, Un silence de mortes. La violence masculine occultée, Collection Nouvelles Questions
féministes, Éditions Syllepse, Paris, 2006
53 BAZZANO Nicoletta, La femme parfaite : Histoire de Barbie ,Ed. Naïve, 2009
20
que transmettent en définitive les jouets aux petites filles, c'est que l'essence féminine est la
beauté.
Un dernier point à soulever dans la « fabrique des filles » est l'importance de la
catégorie sociale des parents face aux normes de genre. Comme l'explique Mona Zegai
durant l'émission de France Inter, l'émancipation des stéréotypes est plus facile dans les
milieux plus favorisés culturellement, qui développent des stratégies pour que les enfants
se détachent de ces stéréotypes. Ainsi, Sandrine Vincent nous apprend que les petites filles
de classes supérieures ont moins de Barbies (9%) que celles de classes populaires (16%) 54.
De même, le diplôme de la mère et sa situation familiale influencent l'achat: une femme
seule et moins diplômée sera plus généreuse dans ses cadeaux, sans doute pour compenser
une culpabilité de ne pas répondre au modèle familiale hétéro-normé. En revanche, quel
que soit le milieux social, la mère tolérera davantage que le père une transgression de genre
dans le jeu de la part de leurs filles, elles semblent moins attachées que leurs conjoints à la
division sexuelle des jouets. Les pères, une fois encore quelle que soit la classe, ont
tendance à trouver normal que les filles reproduisent les stéréotypes féminins. Ainsi, la
variable du genre reste déterminante dans le jeu, chez les enfants comme les parents.
Outre qu'ils limitent les contours de la féminité à la beauté, les jouets stéréotypés
creusent davantage l'écart entre les filles et les garçons. En effet l'hypersexualisation est
systématiquement appréhendée au féminin sans que son miroir masculin ne soit interrogé,
ce qui contribue à renforcer la hiérarchie des sexes. De manière générale, l'empire des
sentiments est la chasse gardée du monde édulcoré et esthétique des filles. Comme l'écrit le
Collectif, « le sentimentalisme est institutionnalisé comme forme de relation aux autres et
au monde : la gentillesse est la valeur numéro 1 chez les filles ». De leur côté, les garçons
sont eux aussi soumis à des stéréotypes dans la définition de leur genre : il s'agit dans leur
cas de codes et d’attitudes qui vantent une sexualité active, machiste, sexiste et violente
fondée sur des codes pornographiques55.
54 VINCENT Sandrine, Le jouet et ses usages sociaux, cit. op.
55 JOUANNO Chantal, Contre l'hypersexualisation, un nouveau combat pour l'égalité, Rapport du Sénat,
Ministère des solidarités et de la cohésion sociale, 2012
21
2. Les jouets dits de garçons: une violence non questionnée
La socialisation au genre des petits garçons par les jouets et en général est un angle
mort de la recherche féministe. Ce que l'on appelle les men studies (les études sur la
masculinité) sont un domaine peu étudié, notamment en France, dont le retard peut
s'expliquer pour plusieurs raisons. Tout d'abord, un refus des féministes à se focaliser sur
les hommes qui représentent la classe dominante, par volonté de se concentrer sur les
femmes délaissées trop longtemps des sciences. En outre, une des faiblesses du féminisme
et des forces du patriarcalisme est de laisser penser que l'égalité passe par la valorisation
des filles pour qu'elles atteignent les normes masculines, sans véritablement questionner
ces mêmes normes. Patrizia Romito, le rappelle avec justesse dans son livre Un silence de
Mortes (p. 50) : « s’opposer à la violence masculine est […] un travail considérable car il
s’agit non seulement de modifier des lois et des mentalités, mais aussi de mettre en cause
un système de contrôle et une chaîne de privilèges structurés et bien enracinés 56». En
somme, comme le souligne Serge Chaumier dans ses recherches, on reste dans le schéma
que l'on tâche de remettre en cause, à savoir considérer les hommes de façon neutre,
comme représentant le genre humain. Pourtant, l'étude de la socialisation des garçons est
essentielle car comme les filles, elle est le fruit de processus qui les conduisent à adopter
un rôle dans la société. Nous allons voir qu'elle se caractérise par un univers de violence et
de guerre, où la figure hyper-sexualisée du héros sert de modèle à des garçons dans leur
quête d'une masculinité virile et puissante.
A première vue, les jouets dits de garçons présentent des atouts que n'ont pas ceux
des filles : ils offrent davantage de possibilités en termes d'usage et mobilisent autre chose
que l'apparence. Cependant, l'absence de men studies et l'exclusivité des études de genre
sur l'éducation des filles masquent la clôture dont les petits garçons font l'objet. Certes, leur
rôle prédestiné du mâle dominant les préserve du sort des femmes, mais leur genre est
soumis à des diktats : ceux de la virilité et de la force.
Pour comprendre la thèse de Serge Chaumier sur la socialisation des garçons au
genre par les jouets, il convient préalablement de présenter celle de Sandrine Ayral qu'elle
56 ROMITO Patrizia, Un silence de mortes. La violence masculine occultée, op. cit.
22
intitule la fabrique des garçons57. Suite à ses recherches en milieu scolaire, la sociologue
affirme que les difficultés scolaires et les transgressions des garçons sont liées à la
construction de leur identité masculine, et ce indépendamment de leur origine sociale.
Cette thèse est intéressante car elle prend l'échec et la violence scolaires sous l'angle du
genre et des faits, sans se cantonner au discours de mixité dont se réclame l'école
républicaine. Pour Sandrine Ayral, les sanctions scolaires consacrent et construisent
l'identité masculine. De fait, l'école véhicule des valeurs traditionnellement perçues comme
féminines (sagesse, calme, obéissance, discrétions) qui se heurtent aux incitations des pairs
et de la société valorisant les comportements virils, l'insolence, l'affirmation par la force.
Les garçons instrumentalisent donc l'appareil disciplinaire et l'orientation scolaire pour se
démarquer de tout ce qui est assimilé au féminin et affirmer leur masculinité. Cette thèse a
un double apport : elle montre tout d'abord que lutter contre les stéréotypes sexués sous le
seul angle de la promotion des filles s’avère inefficace, en prenant des innombrables
Chartes et Conventions pour l'égalité. De plus, elle décrit le conditionnement de la
masculinité, qui passe par un rejet du féminin et une valorisation de la violence. Selon elle,
c'est « en envisageant globalement l’éducation des garçons, non en réplique aux acquis
des filles mais en complémentarité, que les choses pourront évoluer. »
Serge Chaumier applique l'idée de la fabrique des garçons dans le cadre de la
socialisation par les jouets. Il montre à quel point les jouets dits de garçons participent à la
socialisation masculine dans une logique de domination. Son analyse basée sur une
cinquantaine de catalogues de jouets nous prouve que la socialisation des petits garçons
porte les germes de la violence, qui est transmise notamment via les jouets dès le plus
jeune âge : « ce qui est problématique pour une société qui veut dépasser les divisions
sexistes, c’est l’unicité des messages. De même que les invitations à la maternité
fonctionnent très bien pour les filles, il y a tout lieu de postuler que les messages invitant
les petits garçons à exprimer agressivité et domination par l’exercice de la force physique
produisent, à terme, un monde machiste et violent. 58» A ses yeux, les jouets dits de garçons
sont tout aussi stéréotypés que ceux des filles, malgré leur plus grande diversité apparente.
« Les petits garçons sont invités à d’autres rôles, plus diversifiés, et à première vue moins
stéréotypés. Il n’est pas anecdotique de s’y intéresser, car ils participent pleinement à la
57 AYRAL Sylvie, La fabrique des garçons : sanctions et genre au collège, Éditions PUF, 2011
58 CHAUMIER Serge, « La production du petit homme », op. cit.
23
construction de l’identité masculine. Plus complexes à décrypter, ils véhiculent des
éléments tout aussi traditionnels dans leur fond, si ce n’est dans leur forme. En allant du
plus évident, du plus prégnant au plus insidieux et au plus diffus, nous pouvons découvrir
les territoires de la socialisation masculine. 59»
A l'instar de Mulan, l'indépendante transformée en princesse coquette lors de son
passage en jouet, les jouets des garçons sont eux-aussi victimes d'hypersexualisation et
surtout, d'une militarisation injustifiée. En termes d'apparence, la figure stéréotypée
masculine est celle du héros, qui prône les valeurs masculines : force, courage, don de soi,
puissance. Matérialisé par les figures du pompier, du policier ou le célèbre action man et
leurs véhicules et accessoires, le héros accomplit des exploits pour avoir un statut social
valorisant. En outre, il apprend aux garçons que le corps masculin ne fait qu'un avec la
machine pour transformer et conquérir le monde grâce à la puissance, la guerre, la
technique, le savoir, ce qui tranche avec la gentillesse et l'apparence réservées aux filles. Le
véhicule ou l'arme qui servent de jouet sont analysés par Serge Chaumier comme un
prolongement symbolique du corps masculin dans un espace infini qui lui appartient, et
donc qu'il occupe de manière visuelle, sonore, géographique sans besoin de limiter son
désir. Même lorsqu'ils sont présents dans les deux univers, les jouets n'ont pas la même
symbolique : Mona Zegai prend l'exemple des voitures, qui ont une fonction utilitaire chez
les filles (promener un bébé ou faire du shopping) alors qu'elles sont « constitutives de
l’identité des garçons, puisqu’elles condensent en un petit objet les principales
caractéristiques de la masculinité : vitesse, puissance, technique, danger et dépassement
de soi. 60» Pour les filles, l'intérêt est la finalité à laquelle conduit la voiture ; pour les
garçon, c'est la voiture en elle-même.
En termes d'usage, le plus surprenant est que des actions pourtant neutres sont
inexplicablement militarisées: l'auteur cite une diligence munie d'un canon, un VTT Action
Man qui tire des missiles, un chien loup tirant un traîneau-mitraillette, une voiture Turbo
bolide lançant des missiles. De nombreux jouets incitent au combat, à la destruction :
Nitendo Jet Force propose « des armes super destructrices ! Des explosions dévastatrices
59 CHAUMIER Serge, « La production du petit homme », op. cit.
60 ZEGAI Mona, « La mise en scène de la différence des sexes dans les jouets et leurs espaces de
commercialisation. », Cahiers du Genre n° 49, 2010, p. 35-54
24
! », Action Man symbolise l’agressivité, la puissance et la domination. Même les jeux nonmilitaires réservés aux garçons transmettent ces valeurs par des couleurs vives, des lignes
agressives et des objets massifs.
Ainsi, les jeux traditionnels des garçons stimulent d'autres aptitudes que ceux des
filles ; il n'en reste pas moins qu'ils véhiculent des valeurs toutes aussi discutables de par
leur exclusivité et leurs effets, notamment celle de la violence. Les soldats de plomb,
châteaux forts, corsaires, fusils et carabines sont désormais des navires de guerre, porteavions, missiles et vaisseaux spatiaux qui peuplent l'univers des petits garçons. Ces jouets
ont tous en commun de simuler la conquête, l'espace, mais aussi la guerre et la destruction.
Or, comme le souligne l'auteur, les conséquences de cette violence ne sont pas abordées en
terme de souffrance et de dévastation, mais en termes de victoire et de puissance, parce que
« ce n'est qu'un jeu ». Pourtant, la guerre existe bel et bien partout dans le monde et comme
le souligne Serge Chaumier, « si la guerre est un jeu dans lequel il s’agit de « dégommer »
le plus d’adversaires possibles, l’éducation aux conséquences possibles, en termes de
souffrance et de dévastation, n’est pas envisagée 61». Une fois n'est pas coutume, ces jouets
violents sont réservés aux garçons au nom de prétendue pulsions d’agressivité qu'ils
auraient besoin de sublimer. Serge Chaumier constate qu'encore une fois, la naturalisation
de la différence des sexes justifie non seulement le fait que les filles ne soient jamais
incitées à jouer à la guerre, mais permet aussi de masquer les processus poussant les
garçons à s'identifier aux militaires.
L'une des dernières caractéristiques de la socialisation au genre des garçons est
tabou et invisible, mais pourtant bien présente : c'est celle de la norme hétérosexuelle. Elle
est d'ailleurs abordée dans très peu d'ouvrages, et les réflexions suivantes sont
principalement le fruit du livre « Contre les jouets sexistes ». Ladite norme est
omniprésente dans l'univers des jeux dits de fille, sous la figure du Prince Charmant, des
poupons, des jeux d’imitations de ménagère, qui leur fait intégrer l'image d'un modèle de
couple et de famille dont la clé est l'amour de l'Homme : « l'amour permet de justifier le
sacrifice de soi, le dévouement et le temps passé à s'occuper des autres. Il permet de
rendre acceptable ce qui ne l'est pas : la domination, le mépris, l'absence d'estime de
61 CHAUMIER Serge, « La production du petit homme » , op. cit.
25
soi.62». Chez les garçons en revanche, l'amour est totalement absent et les seules filles
présentes dans leur univers sont des guerrières sexys ou des princesses à sauver. La norme
hétérosexuelle des garçons ne passe pas par la valorisation d'un modèle familial mais par
un rappel à l'ordre en termes de sexualité : un homme doit se tourner vers les filles, pas
vers les garçons, et dans ses relations avec ces dernières, rester fier, hors d'atteinte et
distant pour affirmer sa virilité et son indépendance. Ces injonctions sont difficiles à
dévoiler d'autant plus qu'elles s'effacent progressivement avec les avancées du féminisme :
un exemple concret est celui des garçons jouant à la poupée sur lequel nous reviendrons
dans la sous-partie consacrée à la transgression dans le jeu (Partie 2. A. 2.)
Ainsi la violence s'apprend, elle n'est pas innée, et si les petits garçons y réagissent
de façon positive dans le jeu puis se tournent massivement vers les jeux vidéos une fois
adolescents, c'est parce qu'ils comprennent qu'affirmer sa puissance est l'unique moyen
d'être reconnu comme un homme. Comme le dit Serge Chaumier, « Puisqu’il semble dans
la destinée des petits garçons d’assumer les rôles de maîtres du monde et de tortionnaires,
la seule réponse est la révolte ou la transformation en jeux de rôles. Le virtuel est une
réponse à l’incurie du monde, mais c’est aussi, malheureusement, une façon de
l’apprivoiser et d’en faire l’apprentissage, au risque de le reproduire plus tard. ». L'enjeu
de la socialisation au genre des garçons est résumé par Sylvie Ayral : « Le problème n’est
pas de «sauver» les garçons, ni de lutter pour l’égalité entre les filles et les garçons, ni
même de combattre une homophobie qui structure leur construction identitaire. Le
problème est d’en finir avec la fabrique des garçons. D’explorer la manière dont familles,
école et société projettent sur les «petits mâles» des rêves, des désirs ou des fantasmes qui
influent sur leurs identités et leurs carrières. De décrypter les situations qui permettent à
ces enfants d’intégrer et d’expérimenter les mille et une ficelles du métier d’homme. Et de
contrer, enfin, les mécanismes de séparation et de hiérarchisation des sexes à l’œuvre à
l’école et dans les activités périscolaires. Tout ce qui encourage les enfants de sexe
masculin à réprimer, peu à peu, leurs goûts personnels, leurs émotions, leurs affects, à
rompre la relation à soi-même et à autrui. 63»
62 COLLECTIF, Contre les jouets sexistes, op. cit.
63 AYRAL Sylvie, « En finir avec la fabrique des garçons », op. cit.
26
***
Le marché du jouet exploite ce qui constitue le genre dans nos sociétés
occidentales: la croyance dans des différences innées entre les filles et les garçons (la
naturalisation des rapports sociaux) impliquant une socialisation propre à chaque genre (la
différenciation). La catégorisation genré des jouets n'a à priori pas grand chose à voir avec
l'évolution de l'égalité des sexes mais nous renseigne sur les faiblesse de cette dernière.
Comme le souligne Mona Chollet, « le marketing ne fait qu'identifier les tendances
profondes qui travaillent une société afin de les exploiter ». Ces tendances, ce sont d'abord
l'hypersexualisation comme construction du masculin et du féminin, où force structure les
ambitions des premiers et beauté caractérise les rêves des secondes. Il n'existe pas en
France de suivi des enfants qui ont emprunté les codes de l’hypersexualisatio. En revanche,
une étude canadienne64 du phénomène a identifié chez les filles une perte d’estime,
l’insatisfaction face à leur image corporelle au point d’adopter des troubles alimentaires et
l’adhésion aux stéréotypes sexuels et sexistes, au point d’être plus souvent victimes de
violences psychologiques, physiques ou sexuelles. Chez les garçons, elle décrit une plus
grande adhésion aux stéréotypes sexistes, une violence plus fréquente dans leurs relations
amoureuses et une volonté d’augmenter leur masse musculaire et de prendre du poids.
Cette première partie montrait que les jouets proposés aux enfants sont conçus
selon les normes de genre en vigueur qui contrastent avec les discours d'égalité de choix et
de chance véhiculés par l'école, les médias, la famille. Comment peut-on encore considérer
que les filles et les garçons sont éduqués de la même façon en leur mettant entre les mains
un faux pistolet ou un poupon ? C'est ce paradoxe qu'étudie la seconde partie, au moyen de
deux concepts clés : le paradigme différencialiste et les injonctions paradoxales. Nous nous
placerons cette fois du côté de l'acteur, dans une perspective davantage psychologique. En
effet, il ne s'agira plus de dépeindre les normes de genre de la société révélés par les jouets
mais d'analyser la façon dont les acteurs les intériorisent et les transmettent dans leurs
interactions ludiques.
***
64 Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de Rimouski au QUEBEC,
Lucie Poirier et Joane Garon, 2009 cité in JOUANNO Chantal et COURTE Roland, « Rapport d'information
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur
l’importance des jouets dans la construction de l’égalité entre filles et garçons », Sénat, 2014.
27
Partie 2. La socialisation de l'enfant par le jeu: les conséquences
du paradoxe de l'égalité des sexes
Cette partie s'attache à la thèse des injonctions paradoxales, désignant pour rappel
un décalage inconscient entre un discours d'égalité des sexes et des pratiques stéréotypées,
pour montrer le rôle inconscient des adultes dans la reproduction des normes genrées
jusque dans le jeu et que les enfants y répondent de façon si positive non pas par de l'inné
mais pour se faire accepter. L'objectif de cette démonstration, qui s'appuie sur une partie du
terrain du mémoire, est de dénoncer l'idéologie du paradigme différentialiste,
A. Les injonctions paradoxales dans le jeu
Plusieurs études ont déjà été menées sur la reproduction des stéréotypes de genre
dans les jouets et la socialisation différenciée qui en découle, notamment par Mona Zegai 65
et la conclusion est la suivante: en dépit d'une volonté de donner les mêmes chances aux
plus jeunes indifféremment de leur sexe, les adultes agissent de façon stéréotypée lorsqu'il
s'agit d'achat et d'utilisation des jouets. La sociologue a également étudié la réaction des
enfants face aux injonctions genrées, ce sur quoi nous reviendrons dans la deuxième partie.
Suite à cette lecture et saisissant l'occasion d'une campagne d'action d'Osez le Féminisme
(OLF) 31 contre les jouets sexistes pour noël 2014, j'ai effectué une recherche terrain pour
vérifier lesdites conclusions.
1. Un discours en apparence neutre mais de fait genré: l'exemple du choix des jouets
Prévenue de l'action d'OLF 31 par une amie, j'ai rejoint des militantes de
l'association devant le magasin de la Grande Récré le 20 décembre 2014. Leur objectif était
de sensibiliser les consommateurs au sexisme véhiculé par les jeux par la distribution d'une
brochure (cf. Annexe 1) introduite par un micro-trottoir questionnant leurs critères de
choix. J'ai été chargée avec une militante de recueillir des témoignages au microphone (cf.
Annexe 2 pour la retranscription complète) en ciblant préférentiellement des personnes
65 ZEGAI Mona, « Du jeu dans les catégories de genre ? Le jouet comme outil de socialisation sexuée et de
définition du champ des possibles au centre des interactions familiales », in Sabrina SINIGAGLIA-AMADIO
(dir.), Enfance et genre. De la construction sociale des rapports de genre et ses conséquences, op.cit.
28
entrant dans le magasin afin que cette sensibilisation puisse enrichir leur choix du jouet.
L'entretien devait suivre la trame suivante, transmise par mail par les organisatrices de
l'action quelques jours auparavant:
Pour qui allez-vous acheter des jouets ?
(vos enfants, petits-enfants, neveux/nièces, …)
Avez-vous déjà une idée de ce que vous allez leur acheter ?
Oui
Non
Comment vous est venue cette idée ?
(votre idée, souhait de l’enfant, …)
Comment allez-vous choisir un jouet ?
Sur quels critères ?
Avez-vous déjà remarqué que les magasins et les catalogues de jouets véhiculent des
stéréotypes de genre et entretiennent le sexisme ‘ordinaire’ ?
Introduire la plaquette ‘jouets sexistes’ quelle que soit la réponse de la personne
Il convient de préciser que la période tardive dans les achats de noël ainsi que
contexte de l'enquête (un samedi après-midi bondé de monde) n'ont pas été propices à de
longs échanges. Cependant, ces brefs témoignages m'ont permis de tester la thèse du
décalage (inconscient) entre les discours et les pratiques dans le choix du jouet de la part
des adultes sur plusieurs points:
–
Le genre n'est pas un critère de choix, c'est « pareil » qu'il s'agisse d'une fille ou
d'un garçon.
29
Dès les années 1980, plusieurs auteurs ont montré que le choix d'un jouet est orienté par le
sexe de l'enfant, du parent voire des deux 66. Sandrine Vincent
67
s'est penchée sur les
variables influençant le don de jouets aux enfants: c'est principalement le fait des mères:
52,2% décident seules de l'achat, 53,2% les enfants en parlent avec elle. Cet argument est
appuyé par nos observations: nous avons vu beaucoup de femmes rentrer dans la Grande
Récré, parfois accompagnées d'hommes et d'enfants, mais aucun homme seul ou avec
d'autres hommes.
Pourtant, les personnes intéressées nient que le sexe de l'enfant ait déterminé leur
achat "Non je pense que ça aurait été pareil », « Je peux acheter les mêmes choses »,
« Pour moi sur le fond y a pas de différence ». La position de l'adulte par-rapport à l'enfant
est néanmoins un facteur de variabilité face aux jeux : les parents tiennent davantage
compte des stéréotypes lorsqu'ils achètent un jouet à leurs propres enfants que lorsqu'il
s'agit d'un autre enfant68. Ainsi, une dame qui a longuement échangé avec nous sur ses
convictions féministes, a admis que l'aspect financier passait avant les considérations
féministes dans son choix de cadeau: « Des bijoux j'en ai, [...] j'en vendais avant sur les
marchés, donc elle va avoir un cadeau de fille, tant pis ». Le sexe serait donc un critère
délaissé, au profit du goût des enfants « Moi ça m'est égal, fille garçon, c'est selon ce que
le gosse aime, avant tout c'est ça », de l'âge « c'est le plus important », et du prix « Je vais
choisir en fonction du prix ». Le recours aux injonctions paradoxales nous permet
d'expliquer ce phénomène : les adultes n'ont pas conscience des stéréotypes entourant les
jouets, ni du rôle du sexe dans leurs choix quotidiens, un sujet sur lequel nous reviendrons
amplement dans la troisième partie.
Le désintérêt affiché pour le sexe dans le choix du jeu est d'autant plus surprenant
qu'il est le critère numéro un des enfants ! Mona Zegai nous apprend ainsi que l'enfant ne
justifie pas son choix de jouet par-rapport à ses goûts ou à l'objet, mais parce qu'il
66 EISENBERG, Parental Cocialization of young children's play: a short term longitudinal Study,
Child Developement, 1985
SNOW, JACKLIN, MACCOBY, Sex of Child differences in Father-child Interactions at 1 year of Child,
Child development, 1983
LINDSEY et al, Differential plays patterns of mother and fathers of sons and daughters: implications for
children's gender role development, Sex roles, 1987
in DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation différenciée , op.cit.
67 VINCENT Sandrine, Le jouet et ses usages sociaux, cit. op.
68 BAERLOCHER, Elodie, « Barbie® contre Action Man® ! Le jouet comme objet de socialisation dans la
transmission des rôles stéréotypiques de genre » op. cit.
30
l'identifie comme propriété d'un genre: il va ainsi rejeter un jouet parce qu'il est pour une
fille (ou un garçon), donc il n'est pas pour lui (ou elle). La seconde variable justifiant le
désintérêt d'un enfant pour un jouet est l'âge, que l'on retrouve dans le critère de choix des
parents.
–
La genrisation marketing dérange plus ou moins mais n'apparaît pas comme un
facteur de discrimination genrée.
Lorsqu'on leur demande leur avis sur la séparation genrée des jeux en magasin,
certaines personnes évoquent l'aspect pratique, tout en réfutant un lien avec une
différenciation sexiste. Ainsi, une dame déclare au sujet des rayons : « Après pour moi sur
le fond y a pas de différence, mais quand on cherche c'est quand même plus pratique. ».
Nous sommes donc face au discours paradoxal d'une personne qui dément tout traitement
différencié selon le genre, mais reconnaît que la division des jeux fille/garçon a quelque
chose de pratique puisqu'elle guide son choix, par ailleurs fortement genré puisqu'elle
achète une Tortue Ninja (représentation de la virilité masculine hypersexualisée) à son
neveu et Violetta (mythe de la popstar) à sa nièce Cette exemple montre bien ce qui a été
souligné dès 1975 par André Michel: « ce qui frappe, c'est la contradiction entre ce que
disent souhaiter les parents et la réalité de leur comportement envers les enfants. On parle
de l'égalité des sexes, mais en réalité on éduque de façon fort traditionnelle garçons et
filles.69 »
A l'inverse, d'autres adultes interrogés regrettent cette division sexuée, et placent
l'amusement et l'envie des enfants au centre des priorités. Deux femmes interrogées
déclarent ainsi successivement : « Je pense qu'elle n'est pas très juste, les enfants devraient
pouvoir jouer avec ce dont ils ont envie de jouer. » ; « Je trouve ça dommage. Les petits
garçons auraient autant le droit que les petites filles de jouer à la dînette. Ou que les
petites filles puissent jouer aux voitures. » Nous voyons transparaître également l'ampleur
des normes marchandes sur la définition de ce qu'on « le droit » de faire ou de ne pas faire
les plus jeunes : la division marketing posséderait le pouvoir de décider à qui se destine un
jeu, un ressenti bien compréhensible lorsque l'on se penche sur l'étendue du phénomène.
69 MICHEL André, « De la Dînette au train électrique », in Autrement, Finie la famille, 1975
31
–
Le pouvoir des normes genrées identifié mais non questionné
Bien qu'elle ne soit pas évoquée en termes sociologiques, la norme bicatégorique de
genre n'échappe pas aux consommateurs qui déplorent : « je pense que c'est dommage de
cantonner les garçons aux voitures et les filles aux poussettes mais pourquoi pas mélanger
tous ces jouets ? Le principal c'est que les enfants s'amusent sans regarder le produit. Je
pense que la société est beaucoup cadrée sur des règles à faire à ne pas faire et que tout ça
conditionne les enfants pour jouer avec tel jouet, je pense que c'est un tout.».
Conditionnement, cadre, cantonnement... Ces termes reflètent bien la clôture dans laquelle
on enferme les garçons et les filles en fonction de leur genre. Les acteurs ont très bien
intériorisé les normes : poussettes pour filles, voitures pour garçons : s'ils encouragent à
leur utilisation par les deux genres, ils ne questionnent pourtant pas la définition même du
genre. Autrement dit, lorsqu'une petite fille déclare : « Les garçons ont le droit de jouer
avec les trucs de filles, et les filles avec les trucs de garçons », elle reconnaît qu'il existe
des objets spécifiques aux filles et d'autres aux garçons et qu'il est injuste qu'ils ne puissent
pas s'inter-changer, sans questionner pour autant ce domaine réservé. Le marketing remplit
son paris : présenter un jouet comme typiquement masculin ou féminin sans que cette
attribution soit remise en cause. Les filles ont le droit d’emprunter un jouet de garçon, mais
un camion ne deviendra pas pour autant un jouet de fille...
–
Face à l'adoption par les enfants d'un comportement ludique sexiste, l'explication
invoquée est encore celle de la naturalisation des rapports sociaux
Le dernier apport de ces rencontres est le suivant : face à une situation sexiste
clairement explicitée, l'explication reste celle du naturel, même pour les plus avertis. La
femme avec laquelle nous avons le plus échangé en est une preuve : elle nous raconte que
ses neveux ont avec la seule petite fille présente un comportement que leur père qualifie
« d'hyper-sexiste » puisque lesdits garçons « la foutent de côté dans les jeux, ils disent
qu'elle est trop petite" » alors qu'ils ont le même âge. Elle commente : « c'est instinctif
alors qu'ils ont pas eu cette éducation là [...] les parents c'est des gens cools », et nous
précise : « Et on en parlait justement, parce que moi je la connais pas et il faut que je lui
fasse un cadeau, et mon frère me dit "elle est coquette, mignonne, petite, la pauvre elle va
se sentir bien seule pour noël parce que c'est la seule fille".» Ce discours confirme la thèse
du paradoxe de l'égalité des sexes. En effet, le père des enfants n'est pas dupe : il reconnaît
32
lui-même le caractère sexiste de ses garçons qui excluent la petite fille parce qu'elle est une
fille sous le prétexte incohérent de son âge: il serait donc sensible à ces questions, ce que sa
sœur appuie en citant l'éducation qu'il leur a délivré. Pourtant, en dépit de leur sensibilité
au genre, ces deux adultes sont prisonniers de leurs propres normes et véhiculent sans en
avoir conscience des stéréotypes genrés. Le premier, c'est de croire que le comportement
des garçons est instinctif : puisque leur éducation n'a pas été sexiste, leur attitude violente à
l'égard de la fillette ne peut qu'être naturelle. Le second, c'est de qualifier la petite fille
uniquement par son apparence « mignonne, coquette » et de la placer dans une position de
victime face aux garçons, « la pauvre, c'est la seule fille ». Cette scène familiale montre
bien que l'égalité des garçons et des filles n'est pas seulement une question de bonne
volonté de la part des adultes : c'est un véritable défi qui va au-delà de ce que l'on croit
savoir sur le genre, qui questionne la représentation même que l'on se fait de ses
convictions. Face à ce problème, les adultes auraient pu discuter avec les garçons de
l'importance du respect des autres quel que soit leur sexe, et leur dire, face à la petite fille,
que cette dernière est toute aussi intelligente et capable qu'eux : elle a le droit, à ce titre,
d'être incluse dans leur jeu, qui par ailleurs n'a pas à faire l'objet de violences. On imagine
la scène réelle qui se déroulera : la petite fille protégée par ses parents et mise à part pour
jouer avec ses bijoux qui lui attireront nombreux compliments esthétiques, pendant que les
garçons occuperont l'espace sonore et visuel sous prétexte qu'ils ont naturellement besoin
de davantage de place pour s'épancher.
Le cas de ce noël familial interroge : comment des adultes persuadés de ne pas
véhiculer de normes genrées peuvent-ils se comporter comme tel, contre leur volonté ? La
réponse est dans la perniciosité des comportements sexistes, que l'on adopte sans le savoir
parce qu'ils font partie intégrante de notre propre socialisation et qu'ils ne sont pas
identifiés comme tels.
2. Des pratiques ludiques genrées de fait: la preuve par la transgression jeu
Comme le soulignent Christian Beaudelot et Roger Establet « à l'origine, un jouet
ne produit pas le stéréotype, il donne des outils pour se conformer et construire son
33
identité sexuelle 70». Le stéréotype vient de l'utilisation que l'on en fait, donc de ses acteurs
principalement.
En 2001, Stéphane Clerget71 cite des études qui ont constaté qu’avec un même
jouet, l’adulte ne joue pas de la même façon lorsqu’il s’adresse à un petit garçon ou à une
petite fille. Ce qu’il nomme « l’identification projective » conduit à être plus doux, plus
mesuré, avec des gestes moins brusques et plus attentionnés dès lors que l’on joue avec une
fille. Les gestes violents et agressifs sont mieux tolérés chez les petits garçons, quant ils ne
sont pas suscités ou stimulés. Combien de pères apprennent-ils à leur fille à se bagarrer ?
Apprendre à devenir un petit dur commence très tôt. Davantage invités à prendre des
risques, et à manifester leurs caractères, les petits garçons sont plus bruyants et prennent
plus de place que leurs petites sœurs.
Un des exemples les plus parlants est la réaction des adultes face à la transgression
de genre dans le jeu. En effet, comme le souligne Christine Delphy, la différence entre les
garçons et les filles dans le jeu est une hiérarchie, sinon les jouets seraient
interchangeables. Nous allons voir que les règles d'échange de jouets reflètent parfaitement
les normes de genre de la société. En effet, la féminisation des jouets sans réciprocité
montre que les changements de mentalités sont plus féminins que masculins, ce qui se
vérifie dans tous les segments de la société : les femmes s'approprient des milieux
masculins mais pas l'inverse. Ainsi à 3 ans, les filles ont davantage tendance que les
garçons à préférer un jouet contre-stéréotypé à un jouet mixte72. Ceci s'explique en partie
par une dévalorisation des activités dites féminines. Si les garçons ne sont pas incités à
aller vers des jeux dits de filles, c'est parce que ces derniers sont d'autant plus dévalorisés
que les jeux masculins sont valorisés pour les valeurs qu'ils portent. « Les filles savent
qu'elles rêvent pas seulement de valeurs de garçon mais de valeurs dominantes dans la
société (agressivité, aventure, action, compétition) plus que les garçons ne rêvent de
dînettes, de poupées73 ». Par ailleurs, comme nous l'avons vu plus haut, les jouets et
activités féminins sont perçus comme davantage stéréotypés que les jouets masculins.
70 BAUDELOT Christian, ESTABLET Roger, Quoi de neuf chez les filles? Entre stéréotypes et libertés, op.
cit.
71 Cité in CHAUMIER Serge, « La production du petit homme », Alliage, La Science et la guerre, n°52,
2003
72 VINCENT Sandrine, Le jouet et ses usages sociaux, cit. op.
73 COLLECTIF, Contre les jouets sexistes, op. cit.
34
Étant plus limités en nombre et en possibilité, ils justifieraient aux yeux des adultes que les
filles se tournent vers des jeux dits de garçons, un argument qui rejoint le premier dans la
dévalorisation du féminin.
Le revers de la médaille, c'est-à-dire le peu de garçons allant vers les jouets de
filles, s'explique non seulement par le peu de crédit accordé à ces derniers mais surtout par
le coût que cela représente pour lui. Si la masculinisation de la panoplie de jouets des filles
ne pose aucun problème voire fait l'objet d'un encouragement, la féminisation de celle des
garçons est associée à une manifestation d'homosexualité. Force est de constater que les
garçons qui choisissent des attributs féminins (poupée, déguisement de princesse) se voient
qualifier de trop fusionnels à leur mère ou d'homosexuel, des conclusions qui ne
concernent pas une seconde les filles. On assiste ainsi à une véritable prévention à l'égard
des fils, qui risquent de devenir homosexuels s'ils jouent à la poupée, alors que l'adulte
n'envisage pas une seconde que cette attitude puissent simplement consister à « faire
comme papa ». Un garçon utilisant un jouet de fille pose un doute sur son identité
masculine74. Cette constatation est très intéressante car elle révèle une autre angoisse de
l'égalité des sexes : le pendant de la « féminité perdue » que nous avons évoqué, c'est la
« masculinité entachée » Nous retrouvons là les éléments de la fabrique du petit mâle, où
« adopter des comportements masculins pour une fille est une simple transgression ;
adopter des comportements féminins pour un garçon est une dévalorisation 75». Or, qui dit
dévalorisation chez l'homme dit homosexualité, qui est considérée dans le cadre de la
virilité masculine comme une défaillance, un manque de force : on n'est pas un « vrai
mec » quand on se comporte « comme une fille » ou comme une « tapette ». Ce phénomène
est spécifique aux garçons : on ne voit nullement de parents s'inquiéter de l'homosexualité
de leur fille lorsque cette dernière transgresse son genre. Encore une fois, cette association
injustifiée qui fait de l'homosexualité masculine l'antagonisme du genre homme est un
aspect peu abordée actuellement par les féministes. Au niveau des jouets, l'unicité des
transgressions transparaît dans les raisons avancées par les enfants pour justifier de leur
refus : interrogés par Mona Zegai, les garçons rejettent un jouet dits de fille car "c'est pour
les filles", là où les filles développent une explication.
74 HAUWELLE Francine, RUBIO Marie-Nicole et RAYNAL Sylvie, L'égalité des filles et des garçons dès
la petite enfance, op. cit.
75 COLLECTIF, Contre les jouets sexistes, op. cit.
35
Révélatrice des normes encore machistes qui entourent le genre masculin, la
transgression dans le jeu nous apprend aussi le retard de la société sur ses représentations
des genres. Comme le souligne Elodie Baerlocher, un petit garçon qui lange est toujours
associé à sa mère, et pas à son père s'occupant des enfants. Les stéréotypes faussent le
jugement des adultes mêmes, au-delà de pratiques égalitaire : pour eux l'homme ne
s'occupe pas des enfants, donc l'usage d'une poupée par un petit garçon ne participe pas à
sa construction masculine.
***
Nous avons vu que même lorsqu'ils affichent une volonté ferme de ne pas traiter
inégalitairement les filles et les garçons, les adultes agissent différemment selon le genre.
Ce phénomène est d'autant plus amplifié que les enfants reprennent à leur compte ces
stéréotypes dès le plus jeune âge. En effet, dès 20 mois, un enfant montre des préférences
pour les jouets de son sexe. L'adulte se tourne donc vers la naturalisation des rapports
sociaux de sexe pour expliquer les comportements différenciés qu'il observe précocement
chez les garçons et les filles, inconscient de ses propres injonctions stéréotypées. Or, si
l'enfant est si réceptif aux stéréotypes de sexes, c'est qu'il comprend l'importance suprême
des normes de genre et des comportements qui en sont attendus L'importance accordée à
son jugement et ses désirs ne doit pas cacher la socialisation au genre à laquelle il est
soumis. C'est sur les processus psychologiques d'intériorisation des normes que nous allons
nous pencher.
B. L'enfant, acteur de sa propre socialisation au genre dont le jeu est
mésinterprété
Rares sont les études sur la socialisation au genre qui prennent en compte le point
de vu du principal concerné, c'est-à-dire l'enfant. Si nous analysons l'enfant comme acteur
de sa socialisation, on va plus loin dans la justification de son utilisation des stéréotypes de
sexes, on reconnaît qu'il se les approprie de leur plein gré, au delà de l'influence des
médiateurs et de son entourage. Cette appropriation est nécessaire dans le processus
36
d'identification sexuée. Comme nous le rappelle Chiland (2003)76 l'identité sexuée est à la
fois objective « le sexe assigné à l'enfant par la société » et subjective « sentiment
d'appartenir à un sexe et sentiment de sa féminité ou masculinité ». Pourquoi les enfants
adhèrent-ils tant aux stéréotypes de sexe qu'ils retranscrivent dans les jouets ?Pourquoi
connaissent-ils mieux les jouets de leur sexe que ceux de l'autre ?
1. Connaître la construction de l'identité sexuée chez l'enfant pour comprendre son rapport
aux stéréotypes
Grâce à la psychologie, on peut comprendre que l'adhésion aux stéréotypes de
sexes par les plus jeunes fait partie d'un processus de construction de l'identité sexuée,
alimenté par le jouet qui propose des connaissances socio-culturelles sur le féminin et le
masculin. Le courant cognitif a développé l'idée que le développement de comportements
genrés s'expliquait par l'acquisition de connaissances sur le genre, tant chez Kohlberg que
chez Martin et Halverson.
Selon Kohlberg, l'un des premiers à établir un modèle théorique du développement
de l'identité de genre, (1966), la construction est le fruit de 3 étapes : les changements de
comportements genrés correspondent aux changements cognitifs de développement de la
pensée de l'enfant.
–
L'identité de genre.
Les auteurs s'accordent à dire que la découverte du sexe se fait vers l'âge de 2 ans,
même si la distinction des deux sexes est déjà constatée à 6 mois. A 2 ans, ils ont
61% de réussite au classement des jouets sexués, un pourcentage qui atteint 86% à
3 ans77. Selon Véronique Rouyer78, cette prise de conscience de l'appartenance à un
genre s'expliquerait par l'acquisition de la position assise. Pour d'autres, elle dépend
de la prise de conscience des organes génitaux. A cette étape de l'enfance, l'individu
comprend qu'il existe deux genres, et pense encore que sa définition dépend de
facteurs socio-culturels et non de caractéristiques physiques. Ceci explique
76 CROITY-BEL Sandrine, PRETEUR Yves, ROUYER Véronique, Genre et socialisation de l’enfance à
l’âge adulte, Toulouse, ERES « Hors collection », 2010, p. 1 à 50
77 HAUWELLE Francine, RUBIO Marie-Nicole et RAYNAL Sylvie, L'égalité des filles et des garçons dès
la petite enfance, op. cit.
78 ROUYER Véronique, La construction de l'identité sexuée, Ed. Armand Colin, 2007
37
pourquoi ils expriment déjà des préférences pour les jouets de leur genre qui leur
apporte des indices leur permettant de différencier les hommes et les femmes. Fait
curieux, ils sont déjà capables d'attribuer un genre aux professions et aux activités
alors qu'ils côtoient peu d'adultes, n'ont pas une connaissance approfondie des
métiers, et ce même lorsqu'ils sont issus d'une famille où le partage des tâches est
égalitaire. Anne Dafflon-Novelle nous explique que ces stéréotypes proviennent de
l'influence des médiateurs (jouets, livres, publicités). Or, dans l'apprentissage des
rôles de sexes, les enfants raisonnent par statistiques, d'où l'importance des
représentations qui les entourent.
En définitive à ce stade, un petit garçon sait qu'il est garçon, qu'il y a d'autres
garçons, mais il ne sait pas déterminer qui est garçon ; en d'autres termes, il ne peut
pas encore associer deux éléments à un même groupe de genre. Ce n'est que
progressivement qu'il apprend à généraliser son sexe et évaluer les comportements
par-rapport au genre garçon.
–
La stabilité de genre
Vers 3,4 ans, les enfants comprennent que le sexe est une donnée stable dans le
temps, et font le lien entre être une fille ou un garçon et devenir une femme ou un
homme. Cependant, à leurs yeux, on peut encore changer de genre en changeant
d'attributs, d'où l'importance des stéréotypes dans l'apprentissage des rôles. Ils
comprennent que le comportement des adultes est différent selon leur sexe, ainsi
que leurs attentes79. Par conséquent, ils savent rapidement qu'il existe des jouets
différents selon le sexe, comme le souligne Elodie Baerlocher : « les jouets
adéquats selon leur typicité sexuée sont intériorisés très rapidement par les
enfants ». La transgression de genre devient inacceptable, puisque pour eux ce
dernier dépend du contexte.
–
La constance du genre
Entre 5 et 7 ans, l'enfant comprend que le sexe biologique ne changera pas, il est
constant au-delà des situations. Au fur et à mesure, les jeunes vont intérioriser qu'il
est possible de transgresser les normes genrées sans remettre en cause l'identité
79 MULLER et GOLDBERG (1980) in DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation
différenciée, op. cit.
38
sexuée. Néanmoins ils savent que ces transgressions sont plus ou moins acceptées
par la société. L'acquisition de la constance de genre a été illustrée par une étude de
Martin en 198980. Lorsqu'ils doivent choisir un jouet pour un autre enfant, les
enfants utilisent uniquement le sexe comme information et attribuent des jouets
qu'ils pensent appartenir au genre féminin ou masculin. En revanche, les plus âgés
prennent en compte le fait que l'enfant en question ait envie ou non d'un jouet
stéréotypé, parce qu'ils ont compris qu'il existe des conceptions morales autour du
genre, au-delà de données biologiques. Ils intériorisent également le prestige des
valeurs masculines mais les valeurs féminines sont assez attractives pour que les
filles s'y adonnent.
La théorie de Kohlberg présente l'avantage d'expliquer les réactions stéréotypées
des plus petits qui étonnent les parents les plus égalitaires : leur adhésion aux stéréotypes
s'explique en partie par la prise de conscience de l'importance du respect des normes de
genre. La construction de l'identité sexuée est en revanche plus complexe que ne le laisse
paraître cette théorie, puisqu'elle implique de la part de l'enfant un rôle actif. Par ailleurs,
les stades qu'ils présentent sont erronés puisque l'on a montré depuis que même les bébés
ont conscience du rôle du genre dans les relations sociales. Ces deux interrogations
peuvent être étayées par l'étude de Martin et Halverson avec le schéma genre, et ce que
font tous les adultes sans le savoir : le genre est un moyen simple d'analyser rapidement les
situations.
A Kohlberg qui situe la prise de conscience des normes de genre à 2 ans, les
auteurs Martin et Halverson81 opposent en 1981 l'idée que l'enfant applique la norme du
genre avant même d'en prendre conscience. Selon eux, les stéréotypes de genre structurent
la pensée, s’acquièrent, se maintiennent et influencent les perceptions des plus jeunes. Le
genre, en tant que classification dichotomique, agit comme un schéma permettant aux
enfants de filtrer les informations liées à la construction de leur identité. Ainsi, ils classent
les activités et les rôles dits masculins et féminins et savent dès lors qu'ils doivent se
comporter différemment selon leur genre, ce qui est traduit dans le jeu. En effet, comme le
80 DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Ibid.
81 MARTIN et HALVERSON, A schematic processing model of sex typingad stereotyping in Children, Child
developpment, 52, 1119-1134, 1981 in DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation
différenciée, op. cit.
39
précise Pierre Tap (1985)82, les enfants choisissent les jouets de leur sexe pour affirmer et
élaborer l’image qu’ils ont d’eux-mêmes comme fille ou garçon : il faut se conformer pour
se confirmer : « L'enfant en vient à aimer ce qu'il a le droit ou la possibilité de posséder, à
apprécier les jouets qui peuvent être siens, et à rejeter les jouets qui ne font pas partie de
son champ d'appropriation ». Par ailleurs, ils cessent progressivement de développer leurs
connaissances de l'autre groupe, d'où le fait que chaque genre connaît davantage ses jouets
que ceux de l'autre. Ainsi, au-delà d'une réalité sociétale, le genre est un filtre permettant
de voir les attitudes liées à chacun des sexes ; il va structurer la pensée en cadrant le
traitement de l'information et son interprétation. Voilà pourquoi au-delà de normes
sociétales, les enfants s'approprient les stéréotypes de jouet dits de leur genre. L'attrait pour
ce schéma genre est compréhensible, puisqu'il permet de classer de façon omniprésente
tous les aspects de la société, même à un âge où les capacités cognitives sont limitées.
Comme le disait Hurtig83, l'identification par le genre permet une « catégorisation simple
puisque binaire, stable et basée sur une discrimination considérée comme évidente ». A
terme, cette vision est tant intériorisée que la bicatégorisation des individus devient
inconsciente et automatique, et seul un travail sur le genre permet de réaliser que ce filtre
nous a été transmis un jour.
Ainsi, le cognitif, c'est-à-dire les connaissances sur le genre, ne déterminent pas les
comportements ou les goûts des enfants, mais augmentent les expériences de socialisation
en structurant ces dernières. Avant la constance de genre énoncée par Kohlberg, l'enfant
possède déjà un schéma socio-cognitif du genre face à ce qu'il perçoit. En d'autres termes,
les stéréotypes de genre ne sont pas à l'origine des comportements et de la pensée, en
revanche ils les organisent. Reste à savoir d'où vient l'appétence précoce des enfants pour
les stéréotypes genrés : il est important de prendre en compte le socio-cognitif, autrement
dit, le rôle des interactions humaines.
2. Le rôle du socio-cognitif dans la socialisation au genre
Contrairement à ce que prétendait Freud, plusieurs études ont montré l'importance
de l'entourage et du sexe assigné à la naissance sur le développement du genre par-rapport
82 TAP Pierre (1985) in CHAUMIER Serge, « La production du petit homme », op.cit.
83 HURTIG citée in CROITY-BEL Sandrine, PRETEUR Yves, ROUYER Véronique, Genre et socialisation
de l’enfance à l’âge adulte, op. cit. p.29
40
au facteur biologique.84 Comme nous cherchons à le montrer dans ce mémoire, c'est
l'assignation à un genre qui déclenche un comportement social différencié chez les adultes,
et non le sexe de l'enfant qui déterminerait une attitude innée. L'apport des sociocognitivistes est d'introduire l'influence de ce qui est socialement construit et transmis par
les autres dans le développement des rôles de genre. Ainsi, les pratiques parentales seraient
des antécédents des différences genrées plutôt que des conséquences : une petite fille est
coquette parce qu'on la qualifie comme telle, la remarque initie le comportement en
croyant le constater. Dans cette perspective, nous nous penchons désormais non plus sur la
connaissance du genre mais sur les injonctions genrées, transmises par les autres filles et
garçons rencontrés dans les institutions de la petite enfance, à l'école, mais aussi les
membres de la famille, les encadrants...
L'apprentissage des normes de genre provient en premier lieu de l'incitation et la
désapprobation des autres face à une attitude. Mischel en 1966 puis Bandura en 1971 85
montrent qu'il y existe deux façons pour l'adulte d'intervenir dans l'apprentissage social de
l'enfant. Pour Mischel, la première s'intitule le renforcement via l'encouragement ou la
punition : l'adulte va encourager ou décourager un comportement typique d'un genre ou de
l'autre, auquel cas l'enfant répétera uniquement ce qui est perçu comme positif. C'est pour
cela que les garçons évitent d'autant plus le choix d'un jouet traditionnellement féminin
lorsqu'un examinateur est en présence, sachant la désapprobation qui s'en suivra. 86 La
seconde façon est un processus d'observation puis de remodelage : l'enfant va décrypter les
attentes sociales de genre puis reproduire ce qu'il a perçu comme un comportement admis
pour son genre. Bandura reprendra cette théorie qu'il intitulera le modèle socio-cognitif du
genre en insistant sur la motivation au modelage : cette dernière dépendrait des injonctions
de l'entourage. Au début, ce dernier compte beaucoup dans l'apprentissage, puis avec l'âge,
les enfants s'auto-renforcent à la sortie de la petite enfance en anticipant ce qui va être
valorisé ou non.
84 Voir les différentes études de MONEY et EKRHARDT (1972) et celle de COLLAER et HINES (1995) in
ROUYER Véronique, La construction de l'identité sexuée, op. cit.
85 BANDURA, « A social learning theory », Englewood Cliffs : Prentice Hall, 1971 ; MISCHEL, « A
social learning view of sex differences in behavior », in E. E. Maccoby, The developpement of sex
differences, Stanford, 1966
in DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation
différenciée, op. cit.
86 HARTUP, MOORE et SAGER, « Avoidance of innapropriate sex-typing by young children », Journal of
Consulting Psychology, 1963, in DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Ibid.
41
Ce processus d'encouragement des normes n'est pas que le fait des adultes : les
pairs jouent un double rôle dans la socialisation au genre: soit en tant que police du genre,
où les transgressions sont désapprouvées, soit en tant qu'initiateur de transgressions,
notamment dans le cas de fratrie où les plus jeunes imitent les plus grands. D'ailleurs dans
le jeu, les activités désapprouvées par les pairs sont terminées plus rapidement que celles
qui sont renforcées positivement. A la crèche, dès 2 ans chez les filles et 3 chez les garçons,
les groupes de pairs genrés se forment dans le jeu87. Ces groupes ont une influence sur les
pratiques ludiques : plus les filles et garçons passent de temps avec les enfants du même
genre, plus leur comportement devient différencié. 88A la longue, on observe qu'en présence
de pairs, et surtout de sexe opposé, un enfant a moins tendance à jouer avec un objet
traditionnellement attribué à l'autre genre. Déjà en 1934, Goodenough expliquait que la les
groupes de pairs genrés se formaient pour faciliter les interactions dans le jeux et éviter les
conflits : au fond, ce n'est pas tant le genre du pair ou celui du jouet qui explique le choix
mais le style comportemental qui découle de ces deux facteurs : s'il est similaire à celui de
l'enfant, le jeu est plus compréhensible et permet donc d'interagir. Or, les filles et les
garçons n'ont pas les mêmes objectifs de jeu : les premières maintiennent les relations
sociales et sont agressives verbalement, les seconds cherchent à se positionner dans le
groupe de pair par l'agression physique. Pour autant, il existe plus de différence dans un
même groupe qu'entre les deux groupes de genre ! Le constat est différent dans les fratries :
Mona Zegai nous explique que jouer avec ses frères et sœurs permet autant de
transgressions de genre que d'exemples de comportement, le grand influençant le petit. La
sociologue observe notamment en entretien une véritable « leçon de genre » du grand frère
sur le petit en matière de jouets : la réaction de la mère rejoint notre exemple de Noël
puisqu'elle indique à la sociologue « qu'ils n'ont pas été élevés comme ça ». Pour certains,
l'attitude de l'aîné(e) face au genre déterminerait même le comportement du cadet.
Un dernier élément inhérent à la socialisation socio-cogitive au genre est révélé par
le jeu dans une étude de Rouyer et Robert sur 102 enfants de 3 ans 89 : il s'agit de
87 LA FRENIERE, STRAYER et GAUTHIER, "The emergece of same-sex preferences among preschool
peers: a developmtenal ethological perspective", Child development, 1984, in DAFFLON-NOVELLE Anne
(dir.), Filles-garçons : socialisation différenciée, op. cit.
88 DUCRET Véronique et LE ROY Véronique, « La poupée de Timothée et le camion de Lison. Guide
d’observation des comportements des professionnel-le-s de la petite enfance envers les filles et les garçons »,
Genève : le 2ème Observatoire, 2012
89 ROUYER et ROBERT, « Les jouets sont-ils un outil de transmission des stéréotypes de sexe? » in
CROITY-BEL Sandrine, PRETEUR Yves, ROUYER Véronique, Genre et socialisation de l’enfance à l’âge
42
l'égocentrisme de l'enfant. Les sociologues ont cherché à comprendre sur quels critères se
basaient les enfants pour déterminer à quel genre est destiné un jouet. Le constat est que ce
sont tant les relations interpersonnelles de l'enfant que sa familiarité avec le jouet qui
façonnent sa connaissance du genre : c'est en cela que l'enfant est actif dans sa socialisation
au genre. L'observation de ses pairs permet de généraliser un genre dont il tire ses
connaissances de part son expérience du jeu. Ainsi, la pratique du jeu et de celle de ses
proches joue un rôle clé dans la représentation que se fait l'enfant du genre. Pour autant,
l'égocentrisme est inhérent à la définition du genre par les jeunes enfants : la moitié d'entre
eux justifie son classement des jouets à partir d'une généralisation de son propre sexe ou de
celui d'un pair qui le possède : « ce jouet est à moi, je suis une fille, donc c'est un jouet
pour fille ». Les enfants des deux genres vont d'ailleurs s'attribuer uniformément les jouets
neutres. L'expérience des pairs explique la progressive différenciation de jouets
filles/garçons. En interrogeant les enfants sur le genre des jouets sur catalogue, Mona
Zegai fait le même constat de biais égocentrique : les plus jeunes sont à la fois conformes
et contradictoires dans leur choix de jeux: encore incapables d'identifier tous les labels
genre du fait de leur âge et de leur analphabétisme, ils s'attribuent les jouets qu'ils pensent
socialement attribués à leur sexe mais parfois aiment des jouets de l'autre sexe et donc se
les approprient. A l'inverse, Mona Zegai constate que chez des enfants plus âgés, c'est le
goût présumé du genre pour l'objet, et non plus le goût de l'enfant qui détermine le choix
d'un jeu. Le raisonnement inverse s'effectue: « je suis une fille, le jouet est pour un garçon,
donc pas pour moi » (et vice-versa). Comme le précise Mona Zegai, les enfants "se posent
en s'opposant", c'est-à-dire qu'ils construisent leur identité de genre face à l'identité
sexuelle contraire, ce qui n'étonne pas sachant que cette division organise la société entière.
Quelle que soit son avancée dans l'apprentissage du genre, les jouets sont un moyen pour
l'enfant de se positionner dans une identité de pair, et de s'affirmer de façon positive mais
surtout négative, notamment chez les garçons qui rejettent davantage les jeux de filles que
l'inverse. Comme nous l'explique Rouyer, l'égocentrisme justifie aussi le désintéressement
progressif des enfants pour l'autre genre : ils évaluent davantage le même sexe que le leur,
pour maintenir leur identité de genre dont ils n'ont pas de définition abstraite. Ce
désintéressement se traduit par un mauvais classement des jouets : les filles vont s’attribuer
plus de jouets dits féminins que ne leur réservent les garçons
adulte, op. cit.
43
Il existe peu de travaux sur le point de vue des enfants du schéma genre. Est
pourtant apparue au cours de mes recherches l'étude de Manuel Tostain sur l'origine des
différences de sexe selon les enfants. Pour le courant essentialiste, les enfants la justifient
par des propriétés naturelles : ils seraient donc victimes du biais essentialiste. Pour les
psychologues comme Carrey, ils l'attribuent au désir et aux normes sociologiques (le droit
de faire quelque chose ou pas). C'est cette idée que Tostain va confirmer en 2006 90 : les
enfants avancent trois explications aux différences de comportement face au foot :
biologique (les garçons sont nés avec le goût du football), sociologique (on leur apprend à
jouer au football alors qu'aux filles non) et psychologique (les garçons préfèrent le foot,
c'est pour cela qu'ils y jouent davantage que les filles). Plus ils sont jeunes, plus ils
penchent pour l'explication psychologique : l'égocentrisme enfantin sous-estime le pouvoir
de la socialisation et place le choix au-dessus de la biologie. Quand ils grandissent, ils
délaissent les justifications biologique et psychologique au profit du social.
90 TOSTAIN et LEBREUILLY (2006) cités in CROITY-BEL Sandrine, PRETEUR Yves, ROUYER
Véronique, Genre et socialisation de l’enfance à l’âge adulte, op. cit.
44
***
Les pratiques ludiques nous révèlent que la construction du genre est non seulement
le résultat des normes de genre induites par la société mais aussi et surtout le fruit des
interactions personnelles de l'enfant. Or, ces interactions sont fortement structurées par un
schéma genré que transmettent malgré eux les adultes et que reproduisent les enfants :
comme le dit Chiland (2003), « l'enfant a un sexe dans la tête de l'autre avant d'en avoir
un dans sa tête »91 : il n'y a pas d'éducation neutre. Si la force de la socialisation n’est plus
à prouver, quelques études psychologiques sur les jeux, véritables outils d'observation de la
socialisation enfantine, nous montrent que l'enfant est fortement égocentrique. Ce trait qui
n'est pas forcément pris en compte dans l'analyse sociologique est pourtant porteur
d'espoir : lorsqu'ils n'ont pas encore entièrement intériorisé les normes de genre et de par
leur égocentrisme, les enfants échappent encore au biais essentialiste que nous avons
maintes fois évoqué comme frein à une véritable égalité entre les filles et les garçons. Ils
placent encore le choix comme explication principale aux comportements genrés, auquel
ils ajoutent progressivement le poids des normes. En définitive, les trois explications
données par les plus jeunes expliquent la socialisation au genre : les garçons aiment le foot
parce qu'on leur apprend à l'aimer, et ce en raison d'une croyance en l'amour inné du genre
masculin pour le football.
Puisque nous sommes « façonnés par le regard des autres » selon Françoise
l'Héritier, comment distinguer ce que l'on impose de ce que l'on souhaite réellement, afin
de ne brimer aucun des genres dans son accomplissement personnel ? La meilleure
solution reste encore l'éducation de tous à l'égalité, et la mise en lumière des stéréotypes
pour permettre aux individus de s'en défaire s'ils le souhaitent, ou de les accepter en
sachant qu'ils sont construits, donc qu'ils peuvent changer. Cette promotion de l'égalité dès
l'enfance, c'est l'objectif d'un programme déployé à Toulouse dans trois crèches pilotes par
plusieurs acteurs que j'ai eu l'occasion de rencontrer.
***
91 CHILAND in ROUYER Véronique, La construction de l'identité sexuée, op. cit.
45
Partie 3. Comment lutter contre les stéréotypes genrés et
promouvoir l'égalité des sexes dès la prime enfance: l'exemple
du programme Egalicrèche
A. La crèche, ou la socialisation précoce au genre: terrain du programme
égalicrèche
Inédit en France, le travail effectué par le programme égalicrèche a tout d'abord
permis de confirmer plusieurs études sur le sujet, mais surtout de fournir de la matière sur
un domaine peu exploré des sciences sociales. La contribution des institutions préscolaires
au processus de socialisation différenciée est en effet peu étudiée, c'est "l'angle mort des
recherches sociologiques en France" si l'on en croit les membres du groupe de travail
égalicrèche92. Pourtant, les institutions de la petite enfance ont un rôle centrale de
socialisation en tant que premier contact de l'individu hors de la famille dans une période
de construction identitaire.
Lorsque je l'ai rencontrée en entretien, en mars 2015, la coordinatrice du
programme Egalicrèche Sophie Collard m'a expliqué que l'étude portait sur trois crèches.
Elle est achevée aux crèches municipales toulousaines Claude Nougaro et Les Trois
Renards, toutes deux gérées par le Centre Communal d'Action Sociale (CCAS) et
composées chacune de 60 enfants et 20 professionnelles. La troisième crèche Nids d'Anges
à Cadours était en cours d'analyse, cette fois en zone rurale et gérée par une association
parentale, composée de 17 enfants et 8 professionnelles. Est à noter que cette crèche, de
part sa taille, a permis d'observer davantage d'interactions entre les professionnels et les
enfants (8000 contre 7000 pour les deux autres confondues).
1. Une analyse socio-psychologique basée sur l'observation d'interactions genrées
Comme nous l'avons vu précédemment, la faiblesse des études sur le genre dans
l'enfance est de ne pas observer l'enfant comme acteur de sa socialisation, mais comme une
victime des forces profondes des normes sociales. En effet, la sociologie se penche
92 Propos recueillis lors de la réunion du groupe de travail égalicrèche (5/12/2015)
46
davantage sur l'institution, les livres, les magazines vecteurs de stéréotypes, que sur le rôle
actif de l'enfant sur sa socialisation, comme nous l'avons vu précédemment. C'est là tout
l'intérêt du programme Egalicrèche, qui se fonde sur une phase concrète d'observation des
comportements des plus jeunes et de leurs interactions avec les adultes. Orientée vers les
professionnelles qui en sont le public cible, cette étude part de situations concrètes propres
à chaque crèche et chaque groupe, suivies de l'analyse du groupe de travail composé à la
fois de sociologues et de psychologues. L’intérêt d'un travail socio-psychologique est
double : renseigner sur les normes genrées tout en prenant en compte les données
psychologiques de l'individu, c'est-à dire considérer qu'il n'est pas seulement le produit de
la socialisation mais qu'il va se positionner par-rapport aux conflits auxquels il se trouve
confronté.
Comme le souligne Hurtig93, la principale difficulté dans l'étude de la petite enfance
sous l'angle du genre réside dans la contradiction des résultats. En effet, l'étiquetage genré
des enfants étant très précoce et le genre de l'adulte comme de l'enfant jouant un tel rôle
dans leurs interactions, il est difficile d'en distinguer l'origine de la conséquence. Le
programme se positionne donc dans une politique de choix et de sensibilisation : l'objectif
est d'éclairer les adultes sur les stéréotypes genrés qu'ils véhiculent souvent malgré eux afin
de proposer une éducation plus neutre et de fait davantage attentive aux véritables désirs
des enfants.
L'observation des jeux révèle, comme on peut s'y attendre, des pratiques genrées.
Bien que nous n'en ayons pas conscience, et même en souhaitant agir en sens inverse, nous
avons un comportement différent face à un garçon et à une fille. « Dans les deux premières
crèches, inconsciemment les professionnelles dirigent les filles ou les garçons vers des
activités, elles jouent davantage avec les filles et les poupons, avec les garçons et les
camions. 94» Comme l'explique Sophie Collard concernant la crèche de Cadours, "on a
seulement 27% de jeux collectifs mixtes, 14% des garçons jouent de façon collective contre
11% des filles ». Par ailleurs, il est apparu que même lorsque garçons et filles sont placés
dans des jeux mixtes collectifs, « les garçons jouent davantage entre eux à 30% et les filles
93 In COULON Nathalie, CRESSON Geneviève, La petite enfance, op. cit
94 Toutes les citations en italique de cette partie (sauf mention inverse) sont issues de l'entretien avec Sophie
COLLARD, coordinatrice du programme Egalicrèche, retranscrit en Annexe 3
47
entre elles à 30% ». Cela confirme la théorie de Goodenough sur la préférence des enfants
pour leurs pairs dans le jeu. En outre, comme chez leurs aînés, les jouets font l'objet d'une
utilisation genrée: « On voit que les jeux d'imitation coiffure, ménage, cuisinière, poupons,
ce sont à 100% des filles, quand les jeux de construction, legos, puzzle, bricolage c'est à
peu près 20% de filles. » En extérieur, la répartition est plus ou moins mixte: « Les jeux
d'adresse, il y a à peu près une mixité (un peu plus les filles pour Cadours) alors qu'il y a
des ballons, des bascules, des trotteurs, des toboggans. Par contre, les camions, voiture et
avions ce sont plus les garçons, même au niveau des jeux mixtes les garçons y jouent
davantage. 60% des enfants qui jouent à des jeux de construction sont des garçons, 99%
des enfants qui jouent à des jeux d'imitation sont des filles, et 97 % des enfants qui jouent
avec des camions, voiture et avions sont des garçons ». Cette mixité plus ou moins acquise
peut s'expliquer par la neutralité des jouets : si les ballons et toboggans sont désormais
l'apanage des garçons comme des filles, les voitures et les avions restent encore fortement
étiquetés comme masculins.
Forte de ses observations sur le choix des jouets, l'équipe Egalicrèche a souhaité
tout d'abord intervenir en montrant aux professionnelles que la façon de jouer différait
selon les genres. L'objectif de l'atelier était de placer l'enfant dans un jouet typiquement
genré de l'autre sexe et d'observer sa réaction.
« On a mis des groupes de filles avec des jeux dits masculins et on a observé. [Les
professionnelles] se sont rendues compte que les filles étaient perdues, « qu'est ce qu'on va
faire avec ces jeux là » ? Elles demandaient de l'aide de la part des professionnelles qui
les ont accompagnées. On avait un atelier bricolage plus un train et un garage à voitures,
et en fait, elles ont commencé à jouer ensemble d'abord à un jeu, le garage à voitures, puis
à la menuiserie, puis le train. Elles discutaient et échangeaient entre elles. On a fait la
même expérience avec des garçons et ces jeux là, de suite ils sont allés dessus, ils étaient
plus dans la dispute, s'imposaient dans les jeux et ne jouaient pas forcément ensemble
même avec des jeux dits masculins. Et après on a fait la même expérience avec des jeux
dits féminins, en mixité aussi filles et garçons et les filles étaient d'un côté, les garçons de
l'autre ils ne jouaient pas ensemble. Puis les garçons avec des poupons, pour langer, ils
étaient vraiment perturbés, y en a beaucoup qui ne voulaient pas jouer, juste un, ils
échangeaient pas, ne communiquaient pas trop. De façon générale, ils ont du mal avec ces
48
jeux là, beaucoup plus que les filles avec des jeux dits masculins, mais même avec leurs
jeux, ils ont tendance à jouer moins ensemble que les filles et échanger là dessus. »
La différence dans le jeu chez les plus jeunes avait déjà été observé par Dominique
Dolay avec les poupées95: les filles reproduisent systématiquement des scènes de
maternage avec les poupées et construisent des fictions, ce qui n'est pas le cas des garçons
qui n'élaborent jamais d'histoires entre eux. En outre, les filles n’intègrent pas les garçons
dans leur fiction mais les associent à des activités qu’elles perçoivent comme masculines
(conduire un bus, un train, etc). Ici, nous voyons que la manière de jouer est genrée, audelà même du type de jouet utilisé : les filles sont dans une logique de coopération, les
garçons de compétition. Les adeptes de la naturalisation y verront une preuve de
l'indiscutable différence innée entre les sexes. Or, c'est ramener l'enfant à un animal guidé
par son instinct que de considérer que les garçons sont biologiquement violent et les filles
anatomiquement gentilles. Nous préférerons donc l'interprétation sociologique soulignant
l'intelligence des enfants, qui comprennent ce qui est socialement admis et ce qui ne l'est
pas dès le plus jeune âge. Le garçon sait que jouer avec des jeux de filles est considéré
comme dégradant, et qu'un "vrai garçon" se démarque par son indépendance. Et, comme le
soulevait déjà Carpenter en 198996, les filles sont plus enclines à participer à des activités
encadrées, elles demandent de l'aide et du conformisme car elles savent qu'elles ne
pourront s'exprimer que dans un cadre structuré où les garçons sont contenus. C'est
d'ailleurs l'explication psychologique avancée par Anne Dafflon-Novelle97 en première
partie concernant les stratégies d'apprentissage face aux normes induites par la
socialisation différenciée.
En outre, nous retrouvons ici ce que nous avons abordé au sujet de la transgression
par le refus des garçons de jouer à la poupée. Cette norme semble donc être très forte et
précoce, ce qui suggérerait que la socialisation au genre est encore plus traditionnelle et
intransigeante chez les garçons que chez les filles. Lorsqu'ils sont tout de même contraints
à essayer un jeu dit de filles, les garçons adoptent une stratégie de détournement pour rester
dans leur rôle de petit mâle: « Quand ils jouent à des jeux d'imitation type poupée, dînette,
95 DUCRET Véronique et LE ROY Véronique, « La poupée de Timothée et le camion de Lison », op. cit.
96 CARPENTER, « Les Institutions de la petite enfance » in DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Fillesgarçons : socialisation différenciée , op.cit.
97 DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation différenciée , op.cit.
49
etc de façon générale, ils détournaient le jeu, ils utilisaient les poupons comme pistolet, ils
tiraient les cheveux, ils les balançaient, ils étaient beaucoup moins dans l'imitation de la
maman ou du papa que le sont les filles. »
Outre un apport sur le genre dans l'utilisation des jouets, l'équipe Egalicrèche met
en lumière que le jeu dit libre est en réalité le lieu de reproduction des rapports de pouvoir
et des stéréotypes. Dominique Golay s'est penchée sur le jeu libre qui désigne les activités
à l'initiative de l'enfant et entend tenir compte de leurs intérêts et de leur potentiel. Le jeu
libre s'inscrit dans l'approche de Lockzy selon laquelle l'enfant répond mieux à ses besoins
s'il est à l'initiative de l'activité et que l'adulte se porte simplement garant de la sécurité en
lui évitant le conditionnement, l'exigence de précocité et le laissez-faire. Cette vision
idyllique de l'enfant s'amusant dans un jeu bon et naturel masque la réalité d'une
reproduction des rapports sociaux de domination entre les genres: c'est du moins la thèse
que défend Dominique Golay98 . Comme elle l'explique, le jeu répond à une culture
enfantine, définie comme un « ensemble de pratiques, de connaissances, de compétences
et de comportements qu'un enfant doit connaître et maîtriser pour intégrer un groupe de
pairs99 ». Or, le propre de la culture est la répétition de normes par la création d'un habitus,
et l'adhésion du sujet aux modèles sociaux qu'il incorpore 100. Dans leur organisation, les
enfants intègrent donc ceux qui connaissent ces pratiques et excluent les autres en créant
un habitus genré: sans la régulation des adultes, les rapports de domination s'apprennent et
s'installent. « La politique, c'est 'on laisse les enfants libres de leurs choix'. Sauf qu'on sait
très bien que ce ne sont pas des choix libres, mais des injonctions qu'on reçoit dès la petite
enfance » commente Sophie Collard.
Dans le jeu libre, c'est donc le petit homme qui s'impose impunément : les filles
abandonnent rapidement la bataille: « ils occupent notamment dans la dernière crèche
80% de l'espace sonore et physique, ils sont à 90% d'imposition dans le jeu des autres, ils
ont des comportements agressifs en majorité en direction des garçons, puis des filles ».
« De façon générale les garçons jouent plus aussi, 56% des enfants qu'on a observés jouer
98 GOLAY Dominique, « Le jeu libre en crèche : une expression des rapports sociaux de sexe? » in
COULON Nathalie, CRESSON Geneviève, La petite enfance, op. cit.
99 DELALANDE (2003), in COULON Nathalie, CRESSON Geneviève, Ibid.
100 BAUDELOT Christian, ESTABLET Roger, Quoi de neuf chez les filles? Entre stéréotypes et libertés,
op. cit.
50
contre 44% des filles, les filles sont souvent plus passives, immobiles, elles ne jouent pas,
elles attendent dans le cadre des jeux libres». Lorsqu'on les laisse sans surveillance,
garçons et filles tombent dans un rapport de force où les garçons imposent leur loi. C'est du
moins le résultat de deux observations différentes faites sur le coin poupée, par Dominique
Dolay puis Véronique Ducret et Véronique Le Roy : à 5 ans, le coin poupée devient
réservé aux filles qui en excluent les garçons. Dès lors, ces derniers s'y rendent pour
occuper l'espace, interrompre le jeu, voire les faire partir. Face à cela, les filles cherchent la
conciliation, négocient, et bien souvent ont besoin de l'aide des adultes pour renverser le
rapport de force. « Souvent les garçons s’immiscent un peu plus facilement dans les jeux
des filles, souvent elles laissent la place au garçons et arrêtent. Par exemple dans les jeux
à l'extérieur, on peut voir que les filles ont du mal à avoir les motos et les garçons
s'imposent dans leur jeu et elles laissent tomber relativement rapidement » confirme
Sophie Collard.
Les auteurs s'accordent pour mettre en garde contre les dangers du jeu libre dans la
reproduction de stéréotypes. Sous couvert du respect de l'autonomie de l'enfant, l'absence
d'intervention favorise une reproduction précoce des rapports de genre. Plus grave encore:
l'inertie de l'adulte est perçue chez les enfants comme une validation des comportements
genrés ; les filles se laissent faire, les garçons continuent. Comme le disent Ducret et Le
Roy, « Les filles sont souvent les perdantes quand l’adulte est absent-e pour gérer les
conflits101 ». La réaction des adultes est donc importante dans ces situations, en particulier
dans les cas d'agressivité de la part des garçons. Une étude 102 montrait d'ailleurs que les
professionnelles réagissent davantage aux comportements agressifs des garçons qu'aux
demandes des filles. La plupart du temps, elles ne perçoivent pas la variable genre dans les
bagarres et ne réprimandent donc pas en conséquence, notamment dans les cas
précedemment évoqués. Pourtant, les comportements agressifs des garçons envers les filles
représentent 45% de l'agressivité, alors qu'entre elles ou envers les garçons, les filles ne
présentent à chaque fois que 15% des comportements brutaux103. « Quand il y a agressivité
de la part des garçons, quand les professionnelles voient des comportements agressifs,
elles réagissent, d'ailleurs les garçons sont beaucoup plus réprimandés, à 70%. Mais elles
101 DUCRET Véronique et LE ROY Véronique, « La poupée de Timothée et le camion de Lison », op. cit.
102 SERBIN et all (1973) "A comparison of Teacher response to the preacademic and Problem behaviour of
boys and girls", in DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation différenciée , op. cit.
103 Diaporama de présentation du programme Egalicrèche de novembre 2014
51
ne voient pas toujours les agressivités des garçons en direction des filles: c'est deux
enfants qui se disputent. ». L'intérêt des lunettes genre est d'expliquer que les filles et les
garçons se comportent différemment car ils comprennent que les attentes que l'on formule
inconsciemment à leur égard ne sont pas les mêmes. Or l'enjeu de l'égalité des sexes, ce
n'est pas seulement de donner plus de pouvoir aux filles mais aussi de diminuer les
injonctions à la violence envers les garçons. Il est cependant à préciser que le fait que les
filles soient moins réprimandées ne signifient pas forcément que leur comportement est
plus exemplaire que les garçons: on oublie que les stratégies comme les minauderies ou les
chamailleries verbales qui passent pour "mignonnes" sont elles aussi une forme de brutalité
pour lesquelles on ne les sanctionne pas104.
Tout comme nous nous interrogions sur le rôle des injonctions paradoxales et leur
lien avec le comportement genré des enfants dans les parties précédentes, le programme
égalicrèche utilise son terrain pour montrer le traitement différencié des adultes envers les
enfants.
2. Une valorisation basée sur la dichotomie beauté/force dans les interactions ludiques
Egalicrèche utilise une volumineuse analyse statistique pour montrer aux
intervenantes de crèche que leurs interactions avec les enfants sont placées sous le signe du
genre. Elle se traduit dans les cas étudiés par une valorisation stéréotypée des activités et
une attention à l'avantage des garçons.
Lorsqu'elle se base uniquement et de façon répétitive sur des caractéristiques
typiques du genre, la valorisation contribue à renforcer les normes de genre et à enfermer
les enfants dans un rôle pré-établi en laissant de côté d'autres qualités. La dichotomie
beauté/force que nous avions évoquée en première partie se retrouve qualitativement et
quantitativement lorsque les petits reçoivent des encouragements de la part des encadrantes
dans leurs activités. D'une part, « elles encouragent beaucoup plus les garçons que les
filles dans les deux premières crèches » : 64 % des félicitations vont vers les garçons,
contre 32% vers les filles105. D'autre part, « dans la seconde elles encouragent plus les
104 COLLECTIF, Contre les jouets sexistes, op. cit.
105 Diaporama de présentation du programme Egalicrèche de novembre 2014
52
filles, mais des encouragements et félicitations plus sur leur apparence esthétique, pour les
garçons c'est plus la performance physique, de développement moteur ». La contenu de
l'encouragement 106 fait également l'objet de différence : les garçons sont encouragés quand
aux filles on conseille « essaye encore » sans réellement donner de conseil technique.
Ces différences se retrouvent dans les autres aspects de la vie de la crèche : les
garçons sont davantage portés, 61% des portages contre 39% pour les filles 107. Est à noter
cependant que le contact physique (câlin, portage) évolue avec l'âge : 71% des contacts
physiques sont dévolus aux bébés garçons contre 35% pour les grands garçons, alors que
chez les filles le portage passe de 29% chez les bébés à 65% chez les grandes 108. Par
ailleurs, les garçons sont davantage aidés dans la nourriture et l’habillement, puisque 74%
du soutien dans ces besoins primaires leur est accordé109. Il va sans dire que ces
comportements sont inconscients : ils partent même sans doute d'une intention honorable,
qui est de considérer que les filles sont plus calmes et autonomes que les garçons et
nécessitent donc moins d'attentions positives (câlins, aide) et négatives (réprimandes).
Un exemple typique de reproduction des stéréotypes de sexe peut être illustré dans
la petite enfance : celui du rangement. Ducret et Le Roy110 écrivent en effet que les filles
sont davantage sollicitées pour le rangement des jeux et nullement félicitées pour
l'accomplissement de cette tâche là où un garçon le serait. Comme le remarque Dominique
Dolay avec l'exemple du pliage de linge, quand une fille a un comportement en phase avec
les stéréotypes elle est oubliée alors que le petit garçon est valorisé. Consciencieuses, les
petites filles proposent donc d'elles-mêmes de ranger les jouets même quand elles n’ont pas
joué avec, intériorisant que cette activité est par essence féminine puisqu'il semble
"normal" qu'elles rangent pour les garçons. Dans toutes les crèches observées par le
programme, les filles rangent davantage que les garçons, 56% des rangements contre 44%.
Sophie Collard m'a confirmé que généralement, « les filles sont beaucoup plus incitées au
rangement que les garçons. » Ainsi, dans les deux premières crèches, 59% des sollicitation
de rangement s'adressent aux filles contre 32% aux garçons. 111 En revanche, elle m'a
106 DUCRET Véronique et LE ROY Véronique, « La poupée de Timothée et le camion de Lison », op. cit.
107 Diaporama de présentation du programme Egalicrèche de novembre 2014
108 Diaporama de présentation du programme Egalicrèche d'avril 2014
109 Diaporama de présentation du programme Egalicrèche de novembre 2014
110 DUCRET Véronique et LE ROY Véronique, « La poupée de Timothée et le camion de Lison », op. cit.
111 Diaporama de présentation du programme Egalicrèche d'avril 2014
53
confié que ce déséquilibre ne s'observait pas dans la crèche Nids d’Anges à Cadours où
l'écart d'incitations au rangement n'est que de 3% : « Je pense que ça dépend des équipes et
de leur façon de fonctionner, même si oui il y a un comportement différencié filles/garçons
dont elles ne se rendent pas compte au premier abord ».
Comme les parents qui s'étonnaient de trouver des attitudes sexistes chez leurs
enfants, les professionnelles n'ont pas conscience des différences qu'elles font. « Ce n'est
pas flagrant. On n'entend pas des professionnelles dire : « ça c'est pour les garçons ça
c'est pour les filles ». Elles pensent que les enfants sont trop petits pour avoir déjà une
utilisation différenciée des jeux, des activités. De façon générale c'est les mêmes enfants.
Elles regardent plus l'âge que le sexe. Et après quand elles se rendent compte, qu'elles
chaussent les lunettes genre, elles voient que telle phrase peut être différenciée ».
L'exemple d'Egalicrèche s'inscrit dans l'analyse de Dominique Dolay, pour qui les
professionnelles sont persuadées de ne pas faire de différence entre les garçons et les filles,
davantage portées sur les différences ethniques ou sur l'âge. La littérature relate néanmoins
des cas où les professionnelles reconnaissent appliquer une différence de traitement des
capacités enfantines liée à l'attitude qu'elles disent observer chez les filles et chez les
garçons112. Elles admettent par-exemple accepter davantage la turbulence et l'agressivité
chez les petits garçons au motif que ces derniers auraient plus besoin de se dépenser que
les filles, et laisser les filles copier les attitudes des garçons sans que l'inverse soit accepté.
Qu'elles en aient conscience ou non, les professionnels de la petite enfance traitent
différemment les garçons et les filles, et quand ils sont interrogés, prêtent à l'inné cette
différence qu'ils instaurent. C'est ce que la psychologue Barbara Chasen appelle le mythe
de l'égalité ressentie113: les professionnels n'ont pas conscience de mettre les enfants en
rivalité et de prêter davantage attention aux uns qu'aux unes. Elle souligne également le
lien entre croyances et interactions: en observant une différence sexuée, on oublie de
s'interroger sur sa propre lecture de la réalité et les conséquences qui en découlent.
Autrement dit, les professionnels croient observer un comportement différencié naturel là
où la différence constatée n'est que la conséquence de leur propre vision du genre, et donc
112 COULON Nathalie, CRESSON Geneviève, La petite enfance, op. cit
113 CHASEN Barbara, "Sex role stereotyping and prekindergarten Teachers", The elementary school
journal, 1974, Vol. 74, No. 4, pp. 220-235
54
de leur comportement genré. Voilà pourquoi les structures de la petite enfance qui disent
penser les enfants asexués et égaux du point de vue du développement peuvent
paradoxalement les considérer sexués (lorsqu'elles prétendent que les garçons seraient plus
bagarreurs et les filles plus calmes par exemple).
114
Pour illustrer le mythe de l'égalité
ressentie, nous pouvons prendre l'exemple des pleurs. Dans les faits, les filles versent
davantage de larmes que les garçons : 58 % des pleurs proviennent des filles, 42% des
garçons ; pourtant le taux de réaction aux pleurs des filles est de 49%, contre 76% pour les
garçons : le temps de réaction aux pleurs des garçons est d'ailleurs deux fois plus rapide (6
secondes au lieu de 11)115. Autrement dit, les filles pleurent davantage mais on les console
moins. Cette incohérence illustre la construction de ce que les individus qualifient d'inné :
en présupposant que les larmes sont l'apanage de la féminité, on réagit davantage à celles
des garçons tout en reléguant au second plan le recours aux pleurs chez les filles.
***
L'analyse quantitative de comportements genrés en crèche a permis au programme
Egalicrèche de montrer les injonctions paradoxales dans la petite enfance. Comme le
précise la coordinatrice, « c'est pernicieux, c'est dans la multitude des échanges qu'on peut,
en observant beaucoup, voir une différence. » Cette inégalité de traitement invisible et
répétitive est l'une des clés explicatives des comportements stéréotypés observés à un âge
si précoce que l'on pourrait croire à une essence de genre. Restent à inventer des solutions
pour harmoniser les discours et les pratiques en matière d'égalité des genres. Le projet
Egalicrèche propose certaines solutions en matière d'aménagement du jeu ; au sujet des
jouets en eux-mêmes, quelques initiatives américaines ont commencé à naître.
B. Déconstruire les normes genrées pour promouvoir l'égalité dès l'enfance
La prise de conscience de sa propre socialisation au genre est une étape essentielle
dans la déconstruction des stéréotypes. Lorsque l'on porte un regard neuf sur les choses, il
est possible d'envisager de nouvelles façons de jouer. Comme le dit Sylvie Ayral, « lutter
contre les inégalités sexuées, c'est d'abord reconnaître leur existence puis mettre en place
114 DOLAY Dominique, « Et si on jouait à la poupée ? Observations dans une crèche genevoise » in
DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), op. cit.
115 Diaporama de présentation du programme Egalicrèche d'avril 2014
55
des dispositifs, notamment institutionnels, pour les corriger »116. En guise de dispositif, le
programme Egalicrèche propose d'agir à la fois sur les professionnelles en leur fournissant
des outils d'analyse pour développer un point de vie critique sur leurs pratiques, et à la fois
sur les activités des enfants, en particulier le jeu. Outre le programme Egalicrèche, la toute
fin du mémoire abordera quelques jouets conçus pour déjouer les stéréotypes et appuyer la
liberté de choix.
1. Sensibiliser et former le personnel encadrant aux normes genrées
Le programme Egalicrèche a fait le choix de cibler les professionnelles, afin
d'impacter sur leur carrière, au cours de laquelle elles suivront des centaines d'enfants.
Comme l'explique Sophie Collard, « notre groupe cible c'est plus les professionnelles que
les enfants. Notre objectif c'est de former les professionnelles pour que du coup les
générations suivantes soient dans plus d'égalité, pas forcément les enfants accompagnés
même si on espère que ça aura un impact ». Il faut également envisager la crèche dans son
ensemble : les agents d'entretien, les auxiliaires de puériculture, les éducateurs, les
directrices de crèche. Le niveau de formation varie selon les catégories professionnelles :
« les agents d'entretien [...] n'ont souvent pas de diplôme, les auxiliaires de puériculture
ont une formation très courte de 8 mois avec du coup beaucoup de séances de stages et
peu de cours en école. [Elles] sont dans le concret : comment changer un enfant, l'habiller,
pas vraiment sur la pédagogie. » Or, la différence de formation joue un rôle dans la
réceptivité du programme. Ainsi, les éducateurs de jeunes enfants (EJE) représentent « le
public le plus réceptif, car dans leur cursus ils ont beaucoup de psychologie, un peu de
sociologie, et une ouverture d'esprit proposée dans leur formation par-rapport aux
auxiliaires de puériculture. »
La formation au genre ne doit pas uniquement être le fait du milieu professionnel,
mais aussi de la formation au métier. Or, elle est presque absente des programmes
d'enseignement : les auxiliaires de puériculture n'en reçoivent aucune, si ce n'est une action
de l'association Artémisia à l'IFRAS (Institut de Formation Recherche Animation Sanitaire
et Social). Les EJE ont une action de sensibilisation journalière depuis 2009 en MidiPyrénées. Enfin, si les directrices des crèches sont davantage formées pédagogiquement
116 AYRAL Sylvie, La fabrique des garçons : sanctions et genre au collège, op. cit.
56
parlant, notamment au développement de l'enfant, à la gestion administrative et au
management d'une équipe, elles n'ont pas de sensibilisation à l'impact du genre. Ce constat
s'applique d'ailleurs à tous les secteurs de formation, et en particulier dans ceux où le taux
de femmes est très élevé ou inversement.
Former au genre, c'est tout d'abord faire prendre conscience aux professionnelles
qu'elles font une différence entre les sexes. « Si elles n'en ont pas conscience, c'est difficile
d'agir là dessus. La prise de conscience dans tous nos ateliers c'est la première chose, on
travaille beaucoup là dessus. » Cela peut passer par exemple par un inventaire des jeux ou
une observation de l'espace. La démarche Egalicrèche est celle d'une sensibilisation suivie
d'un accompagnement personnalisé dans la recherche de solutions : « on n'arrive pas avec
des réflexions touts prêtes, en disant « faut faire comme ça ». On travaille avec elles sur ce
qui peut être mis en place. C'est important qu'elles s'approprient le sujet. » « L'objectif
c'est de développer l'esprit critique des professionnelles et des enfants pour petit à petit
aller vers du changement. » Cette démarche est très intéressante car pédagogique et
apolitique. Pédagogique, parce qu'elle autonomise les intervenants en leur donnant des
outils d'analyse et des pistes de réflexions. Apolitique, parce que le genre n'est nullement
cité dans le programme : c'est l'argument de l'égalité, la liberté de choix, ou encore
l'ouverture des possibilités et le développement des habilités qui sont mis en avant. En
effet, l'un des défis lorsque l'on traite de ces problématiques est d'éviter le « stigmate
féministe »117 : a été cité l'exemple d'une mère qui avait peur de ne pas pouvoir transmettre
à sa fille sa vision de la féminité si elle tenait un discours trop égalitaire. Le rôle du
programme se cantonne donc à proposer et non imposer une autre manière de voir les
choses, par la sensibilisation à la lecture genrée. C'est le principe d'égalité, plus que le
féminisme, qui ressort du discours Egalicrèche. Cette stratégie est nécessaire face aux
réactions des non-connaisseurs du genre qui s'indignent parfois de comportements horsnormes : « bien souvent, [les
professionnelles]
sont confrontées
aux parents,
essentiellement les pères, mais aussi les mères, qui en voyant leurs enfants garçons jouer
avec des poupées sont scandalisés. Elles ont du mal à avoir des arguments, c'était surtout
« mais non il va pas devenir homosexuel parce qu'il joue à la poupée ». Maintenant elles
ont des arguments du type « c'est pour développer toutes ses capacités, quand il joue que à
certains jeux il se limite, notamment le psycho-affectif s'il ne joue pas au pouponnage » .
117 Propos recueillis lors de la réunion du groupe de travail égalicrèche (5/12/2015)
57
Des arguments empruntés à la sociologie : le pouponnage est en effet important pour
développement affectif: l'enfant y rejoue son vécu, se libère des tensions et développe
imagination et créativité118.
La démarche s'inscrit dans une réciprocité de la socialisation à la fois primaire et
secondaire : la relation adulte/enfant interfère sur le second comme sur le premier. Outre la
formation des encadrants, l'une des solutions proposées en pratique est la conception de
nouvelles façons de jouer, plus neutres et donc plus enrichissantes en termes de
développement.
2. Instaurer de la mixité par le jeu
Le premier changement porte sur le réaménagement non genré de l'espace sous la
forme du « jeu centre-ville ». « Les enfants ne circulent pas de la même façon » : les filles
se réfugient dans des endroits fermés et isolés alors que les garçons occupent l'espace
sonore et physique, séparer des coins de jeux type dînette ou coin garage renforce les
séparations genrées. Pour inciter à la diversification de l'utilisation des jouets en
décloisonnant les espaces de jeu, une réflexion a été menée autour de la création d'un
espace centre-ville. L'intérêt est double : d'une part changer le vocabulaire utilisé et d'autre
part mélanger l'usage des jouets dans une perspective d'imitation des « grands » : « on ne
parle plus de dînette ou d'établi de bricolage mais d'imitation : d'aller au restaurant, chez
le vétérinaire, la crèche, le coiffeur plus que le poupon, la menuiserie, le supermarché, la
laverie, le garage. Cela permet pour les professionnelles de changer de thèmes, pour les
enfants c'est moins connoté fille/garçon et en plus ça permet de mélanger tous les jeux
dans l'espace. Elles ont mis des images d'enfants qui jouent au restaurant, à la fois des
filles et des garçons. C'est des messages qu'elles et les enfants voient ». Il est à préciser que
le jeu d'imitation joue un rôle fondamental dans le développement psycho-affectif des plus
jeunes, en leur enseignant à vivre en société.
118 DOLAY Dominique, « Et si on jouait à la poupée ? Observations dans une crèche genevoise » in
DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), op. cit.
58
Une solution du même type intitulée « jeu libre thématique » a été proposée dans
les crèches sans structure fixe, c'est-à-dire où l'espace est réaménagé quotidiennement en
fonction de la journée (sieste, repas, jeux). Il s'agit de sortir les jouets par thème, par
exemple le lundi les jeux de construction, le mardi l'expression artistique, le jeudi les
poupons etc... Le but recherché est d'inciter les enfants à apprendre à jouer les uns avec les
autres sur un même jeu et non en fonction de leur genre, tout en s'adaptant au besoin de
mobilité du mobilier.
Pour atteindre la mixité, il est aussi parfois nécessaire d'aller vers de la non-mixité,
ce que Sophie Collard appelle des « activités compensatoires » : il s'agit de proposer à des
filles des jeux habituellement réservés aux garçons et vice-versa. Comme le note la
coordinatrice, « des moments de non-mixité peuvent être intéressants pour inciter les
enfants à développer des capacités qu'ils ne développent pas avec certains jeux ». Cette
idée a également été développée par une autre équipe119 qui a cherché, via des jeux en
groupes volontairement genrés, à apprendre aux garçons à communiquer, à s'entraider, à
attendre et écouter, et aux filles à parler fort, à s'imposer, à dire non.
Malgré l'innovation en la matière, une étude sur les petits de 3 à 5 ans a déjà montré
qu'une exposition prolongée à un programme préscolaire non-sexiste peut modifier leurs
conceptions stéréotypées120. De leur côté, les professionnelles ayant suivi le programme
Egalicrèche confirment que le réaménagement de l'espace a déjà apporté davantage de
mixité dans le jeu.
S'il est possible de sensibiliser au genre, il est en revanche plus compliqué de
trouver des jouets non sexistes en magasin (outre les jeux de société) et de proposer aux
enfants d'autres alternatives. Elles existent pourtant, financées par du crowdfunding121.
Cependant, les exemples que j'ai trouvés touchent uniquement les jouets dits de filles, ce
119 HAUWELLE Francine, RUBIO Marie-Nicole et RAYNAL Sylvie, L'égalité des filles et des garçons dès
la petite enfance, op. cit.
120 KOBLINSKY Sally et SUGAWARA Alan, "Nonsexist curricula, Sex of Teacher, and Children sex-role
learning", Sex roles, Vol. 10, 1984, p. 357-367
121 Le Crowdfunding que l’on pourrait traduire par le financement par la foule, désigne le financement
participatif permettant aux entreprises comme aux particuliers de récolter des fonds pour leurs projets. C’est
habituellement par l’association d’un grand nombre de personnes investissant un petit montant d'argent que
les porteurs de projets trouvent les fonds demandés.
59
qui s'explique en grande partie par l'invisibilité du sexisme dans les jouets dits de garçons.
Prenons ainsi la poupée Lamilly. Lancée par Nickolay Lamm, cette poupée a pour
ambition de présenter une « Barbie normale » et a donc été conçue à partie des proportions
moyennes d'une adolescente américaine de 19 ans. L'objectif de son auteur est de montrer
que la normalité est belle, « Average is beautiful », afin d'être soi-même dans un monde qui
pousse à se conformer aux standards. Si la poupée revêt encore de nombreuses tenues
comme sa cousine Barbie, « Exploring Rio » « celebrating Denmark », elle dénote par
deux aspects : un lot de 38 stickers permettant de lui appliquer des imperfections cutanées :
acné, cellulite, bleus, cicatrices, vergetures, toujours dans l'objectif de « faire vrai ». Le site
propose également des vidéos permettant de construire un parapente, un fauteuil roulant,
un vaisseau spatial. Fort de la commercialisation de 19 000 poupées, son créateur envisage
de proposer différentes gammes ethniques ainsi que des éditions inspirées de personnalités
réelles, et enfin de créer des garçons. Cette solutions propose donc une alternative au
phénomène d'hypersxualisation des jouets que nous avons évoqué précédemment tout en
sortant des diktats de beauté transmis aux fillettes.
L'histoire de Miss Possible est différente. Cette petite poupée représentant Marie
Curie (dont elle porte le nom) propose aux fillettes d'enfiler sa tenue de chimiste et
d'explorer son laboratoire ; elle s'accompagne d'une application livrant l'histoire de la
célèbre chercheuse et proposant des activités scientifiques. L'objectif de ses deux
créatrices, étudiantes en ingénierie à l'université d'Illinois, est de bousculer les idées des
fillettes et de leur proposer de nouvelles perspectives d'avenir. Miss Possible va plus loin
que Lamilly dans l'approche de la réalité puisqu'il ne s'agit plus uniquement de mettre entre
les mains des enfants une poupée aux proportions réalistes mais de se baser sur l'histoire de
femmes aux parcours atypiques et novateurs. La seconde poupée à paraître est d'ailleurs
Beesie Coleman, première femme noire pilote américaine. L'enjeux de ce jouet est de
varier les modèles proposés aux filles, qui comme nous l'avons vu tournent souvent autour
de la mode et de la célébrité.
Un autre jouet empreinte le même chemin. Derrière Goldie blox et son slogan "our
goal is to get girls building" se cache une réelle ambition pédagogique qui s'explique par le
60
parcours de sa créatrice, Debbie Sterling. Pour cette ingénieure américaine, si seulement
14% des ingénieurs sont des femmes, ce n'est pas en raison d'un désintérêt ou d'inaptitudes
mais d'une méconnaissance de cette possibilité pour les filles. Ayant elle-même découvert
par hasard l’ingénierie au moment de son inscription à la faculté de Stanford, elle entend
rendre accessible cette passion aux petites filles et développer leurs outils spatiaux. Suite à
son observation, elle a constaté que les filles se désintéressaient assez vite des jeux de
construction pour préférer les histoires. Elle s'est d'ailleurs heurtée à un mur en présentant
son prototype au salon du jouet Toy Fair au motif que les « jeux de construction pour les
filles ne se vendent pas. C'est comme ça ». Cela n'a pas découragé l’ingénieure qui a
habilement conçu un jouet où chaque livre s'accompagne de jeux techniques pour imiter
l'héroïne Goldie dans ses péripéties. Comme Nickolay Lamm, elle a fait appel au
crowdfunding, se donnant 30 jours pour recueillir 5 000 promesses de commandes ; elle en
a reçu 200 000 en 4 jours.
Ces exemples témoignent de la volonté d'innovation dans les jouets, dont le rôle
dans la découverte de soi, le développement d'aptitudes et la création d'aspirations
professionnelles n'est plus à démontrer. Les trois créateurs ont été eux-mêmes surpris du
succès de leur produit dont les commandes ont dépassé leurs attentes. En restant sur un
registre dit de filles (les poupées) afin de capter leur public et de minimiser la transgression
dont nous avons abordé le coût pour l'enfant, ils arrivent à proposer à ces dernières de
nouvelles perspectives délaissées par les jouets traditionnels.
61
Conclusion
Comme j'ai pu le lire au cours de mes recherches, le jouet cache bien son jeu : le
marketing fait usage de la pérennité de la reproduction de stéréotypes de genre d'autant
plus que la société dit vouloir s'en détacher. De fait, il s'inscrit dans la continuité des
images hyper-sexualisées dont nous sommes quotidiennement bombardés par les média.
C'est donc le premier apport du genre dans le jouet que de nous mettre en garde contre les
modèles et les valeurs que l'on offre aux plus jeunes.
L'analyse des jouets illustre également l'un des grands enjeux de la lutte pour
l'égalité des filles et des garçons : celle de la remise en cause de la socialisation au genre
masculin. Certes, il faut œuvrer à sortir les filles de leur position attentiste car « un
conditionnement sexuel ne se maintient que si l'on suscite un conditionnement opposé chez
l'autre sexe. La supériorité et la force d'un sexe se fondent exclusivement sur l'infériorité et
la faiblesse de l'autre122 ». Pourtant, dans le jeu enfantin comme dans tous les segments de
la société (harcèlement de rue, environnement professionnel, violences sexuelles), nous
sommes victimes du biais d'andocentrisme, c'est-à-dire considérer que c'est à la femme
(l'Autre) de s'adapter au modèle de l'homme (l'Un) : on apprend donc aux fillettes à gagner
en force et en ambitions pour s'adapter au système, sans apprendre aux garçons à se
respecter et à bannir la violence pour changer ce système. Or, « éduquer contre le sexisme
c'est aussi éduquer contre la violence 123». La prise en compte de la clôture des petits
garçons n'efface pas la domination subie par les femmes: au contraire, elle renforce les
convictions féministes du bien fondé de l'égalité en montrant qu'une pluralité de
masculinité est possible. Elle participe également à la lutte contre les actes d'homophobie
qui sont intrinsèquement liés à la définition actuelle de la masculinité. Enfin, elle permettra
d'intéresser davantage de garçons aux sujets féministes en leur faisant comprendre qu'il ne
s'agit nullement d'un sexe gagnant mais d'une libération des individus de leur condition
sociale et biologique.
Car c'est également une volonté humaniste 124 qui ressort de ce mémoire : nous nous
122 COULON Nathalie, CRESSON Geneviève, La petite enfance, op. cit.
123 COLLECTIF, Contre les jouets sexistes, op. cit.
124 Par ce terme emprunté au mouvement du XVIème siècle, j'entends la croyance en la capacité et la
volonté de l'être humain d'améliorer la société dans laquelle il évolue.
62
refusons à analyser les rapports entre les hommes et les femmes comme la conséquence
irrémédiable de la biologie. Dotés de l'intelligence humaine et des sciences naturelles et
historiques, nous n'avons plus d'excuse pour attribuer à la nature, la science ou l'histoire
des inégalités résultant de nos propres choix. La différence entre l'inné et l'acquis, c'est la
possibilité de changement.
Se pose alors la question de la définition du genre : comment distinguer les
individus si ce n'est plus par leur sexe et le genre qui y est étiqueté ? Un modèle unisexe
fait le pari d'une société qui distingue sur d'autres différences que les divisions
sexuelles :« un monde non sexiste ne signifie pas que les individus sont castrés ou asexués,
mais que la différence entre les sexes n'a pas plus d'importance que la couleur des
yeux 125». La féministe Christine Delphy va même plus loin en précisant qu'il existe deux
façon de considérer la bicatégorisation homme/femme: soit la différenciation est un
contenant et la hiérarchie un contenu, auquel cas une complémentarité non-hiérarchique est
possible entre les genres. Soit la hiérarchie est la raison d'être de la division des genres,
auquel cas l'égalité amènera la fin de la division. S'il semble inenvisageable que le genre
homme et le genre femme disparaissent dans un futur proche, ils peuvent néanmoins
s'effacer pour ne devenir qu'une des nombreuses caractéristiques composant l'individu, un
élément de son histoire et de sa personnalité au même titre que sa couleur, sa nationalité, sa
langue, sa classe sociale ou sa religion de naissance. En effet, ces éléments sont transmis à
notre naissance et structurent notre socialisation, mais nous pouvons en donner notre
propre définition et refuser de laisser les autres nous résumer à un seul de ces traits. « La
différence n'est pas contradictoire avec l'égalité : elle en est la condition. Un kilo de plume
est égal à un kilo de de plomb, car ils ont un critère commun : la valeur est une propriété
commune.126 »
Le but n'est pas de « forcer » les filles à jouer au foot ou les garçons à jouer à la
poupée, ou à l'inverse, de diminuer celles qui rêvent d'être princesse et ceux qui rêvent
d'être super-héros. C'est d'accepter l'idée qu'un petit garçon joue à la poupée pour se
préparer à être père ou parce qu'il aimerait travailler avec des enfants sans y associer des
125 CARNINO Guillaume, Pour en finir avec le sexisme, Ed . L'échappée, 2007
126 HAUWELLE Francine, RUBIO Marie-Nicole et RAYNAL Sylvie, L'égalité des filles et des garçons dès
la petite enfance, op. cit.
63
traits sexuels. C'est se dire qu'une petite fille monte aux arbres parce qu'elle en a envie, et
pas pour faire comme les garçons. Montrer la force de la socialisation au genre, c'est
montrer qu'il y a autant de façon de devenir une femme ou un homme qu'il existe
d'individus. Déconstruire les stéréotypes de genre, c'est donner dès le plus jeune âge la
possibilité aux enfants de continuer à penser que la volonté et le savoir permettent de
s'accomplir, indépendamment des stéréotypes dont sont victimes la plupart des gens qui les
entourent. Comme le disait déjà Elena Gianini Belotti en 1973 127, il faut « faire en sorte
que chaque individu qui naît ait la même possibilité de se développer de la façon qui lui
convient le mieux, indépendamment du sexe auquel il appartient ».
127 GIANINI BELOTTI Elena in COULON Nathalie, CRESSON Geneviève, La petite enfance, op. cit.
64
Bibliographie
Livres
AYRAL Sylvie, La fabrique des garçons : sanctions et genre au collège, Éditions PUF,
2011, 205 pages.
BAUDELOT Christian, ESTABLET Roger, Allez les filles : une révolution silencieuse »,
Paris, Ed. Seuil, 2006, 283 p.
BAUDELOT Christian, ESTABLET
Roger, Quoi de neuf chez les filles ? Entre
stéréotypes et libertés, Paris, Ed. Nathan (L’enfance en question), 2007, 141 p.
BAZZANO Nicoletta, La femme parfaite : Histoire de Barbie ,Ed. Naïve, 2009, 220 p.
CARNINO Guillaume, Pour en finir avec le sexisme, Ed . L'échappée, 2005, 127 p.
CHOLLET Mona, Beauté Fatale, Les nouveaux visages d'une aliénation féminine, Hors
Collection Zones, 2012, 240 p.
COLLECTIF, Contre les jouets sexistes, Éd. l'Echappée, Collection Pour en finir avec,
2008, 128 p.
COULON Nathalie, CRESSON Geneviève, La petite enfance, Paris, Ed. L’Harmattan,
Collection Logiques sociales, 2007, 234 p.
CROITY-BEL Sandrine, PRETEUR Yves, ROUYER Véronique, Genre et socialisation de
l’enfance à l’âge adulte, Toulouse, ERES « Hors collection », 2010, 238 p.
DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation différenciée , Ed.
Presses universitaires de Grenoble (PUG), 2006, 399 p.
65
DARMON Muriel, La Socialisation, Ed. Armand Colin, 2ème édition, Collection 128,
2010, 128 p
DERAISMES Maria, Eve dans l’humanité, Réédition Côté femmes, Paris, 1891, p.136-138
et 142-143
GUILBERT Georges-Claude, C'est pour un garçon ou pour une fille ? La Dictature du
genre, Ed. Autrement, Paris, 2004, 116 p.
HAUWELLE Francine, RUBIO Marie-Nicole et RAYNAL Sylvie, L'égalité des filles et
des garçons dès la petite enfance, Toulouse, Collection Eres, 2015, 202 p.
KNIBIEHLER, Yvonne, La révolution maternelle depuis 1945, Paris, Ed. Perrin, 1999,
370 p.
L'HERITIER Françoise, Hommes, femmes, la construction de la différence, Paris, Ed. Le
pommier, 2002, 192 p.
MONNOT Catherine, Petites filles d'aujourd'hui. L'apprentissage de la féminité, Paris, Ed.
Autrement (coll. Mutations), 2009, 176 p.
ROMITO Patrizia, Un silence de mortes. La violence masculine occultée, Collection
Nouvelles Questions féministes, Éditions Syllepse, Paris, 2006, 298 p.
ROUYER Véronique, La construction de l'identité sexuée, Ed. Armand Colin, 2007, 175 p.
SINIGAGLIA-AMADIO Sabrina (dir.), Enfance et genre. De la construction sociale des
rapports de genre et ses conséquences, Nancy, Ed. Presses Universitaires de Nancy, 2014,
292 p.
VINCENT Sandrine, Le jouet et ses usages sociaux, Paris, Ed. La Dispute/SNEDIT, 2001,
220 p.
66
Articles et sites internet
AYRAL Sylvie, « En finir avec la fabrique des garçons », Libération, 6/11/2014
Disponible sur http://www.liberation.fr/societe/2014/11/06/en-finir-avec-la-fabrique-desgarcons_1137816 (consulté le 7/11/2014)
BAERLOCHER, Elodie, « Barbie® contre Action Man® ! Le jouet comme objet de
socialisation dans la transmission des rôles stéréotypiques de genre » In DAFFLONNOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation différenciée , PUG, 2006.
Disponible sur http://claroline.hecfh.be/claroline/claroline/backends/download.php?
url=LzAzX3Byb2JsZW1hdGlxdWVfZHVfZ2VucmUvQmFyYmllX0FjdGlvbl9NYW4uc
GRm&cidReset=true&cidReq=PM2ATC (consulté le 10/11/2014)
BROUGERE Gilles, « Les expériences ludiques des filles et des garçons ». in Yannick
Lemel & Bernard Roudet (coord.) Filles et garçons jusqu'à l'adolescence. Socialisations
différentielles, Paris, Ed. L'Harmattan, 1999.
CHASEN Barbara, "Sex role stereotyping and prekindergarten Teachers", The elementary
school journal, 1974, Vol. 74, No. 4, pp. 220-235
CHAUMIER Serge, « La production du petit homme », Alliage, La Science et la guerre,
n°52, 2003.
CHAUMIER Serge, « Modes de socialisation et construction des genres : l’exemple des
jouets », Panorama Art et Jeunesse, Publications de l’INJEP, Centre Pompidou, DEPS
Ministère de la culture, 2007, pp. 96-115.
COCHRANE Kira, « The fightback against gendered toys », The Guardian, 22/04/2014,
Disponible
sur:
http://www.theguardian.com/lifeandstyle/2014/apr/22/gendered-toys-
stereotypes-boy-girl-segregation-equality (Consulté le 16/12/2014)
67
DAFFLON NOVELLE Anne, « Sexisme dans la littérature enfantine : quels effets pour le
développement des enfants ? », 2003
Disponible sur:
http://www.cemea.asso.fr/aquoijouestu/fr/pdf/textesref/SexismeLitteratEnfants.pdf
(consulté le 28/07/2015)
DUCRET Véronique et LE ROY Véronique, « La poupée de Timothée et le camion de
Lison. Guide d’observation des comportements des professionnel-le-s de la petite enfance
envers les filles et les garçons », Genève : le 2ème Observatoire, 2012
Disponible
sur:
http://www.2e-observatoire.com/downloads/livres/brochure14.pdf
(consulté le 28/07/2015)
GOLAY Dominique, « Et si on jouait à la poupée ? Observations dans une crèche
genevoise ». In DAFFLON-NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons : socialisation
différenciée , PUG, 2006, p. 85-100
JOUANNO Chantal, « Contre l'hypersexualisation, un nouveau combat pour l'égalité »,
Rapport du Sénat, Ministère des solidarités et de la cohésion sociale, 2012
JOUANNO Chantal et COURTE Roland, « Rapport d'information au nom de la délégation
aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur
l’importance des jouets dans la construction de l’égalité entre filles et garçons », Rapport
du Sénat, 2014
KOBLINSKY Sally et SUGAWARA Alan, "Nonsexist curricula, Sex of Teacher, and
Children sex-role learning", Sex roles, Vol. 10, 1984, p. 357-367
LE BRETON Marine, « Woman tax: Bercy lance une enquête sur les produits de
consommation qui seraient plus chers pour les femmes », Huffington Post, 03/11/2014
Disponible sur: http://www.huffingtonpost.fr/2014/11/03/woman-tax-bercy-enqueteproduits-plus-cher-femmes_n_6092868.html (consulté le 28/07/2015)
68
LIAM, « Disney : Empire, Marchandise, Idéologie (Partie 2/5 : Les produits dérivés, ou
comment Disney s’approprie la culture des enfants) », Le Cinéma est politique, 26/10/2013
Disponible sur: http://www.lecinemaestpolitique.fr/disney-empire-marchandise-ideologie25-les-produits-derives-ou-comment-disney-sapproprie-la-culture-des-enfants/ (Consulté le
06/08/2015)
MICHEL André, « De la Dînette au train électrique », Autrement, Finie la famille, 1975
MURCIER Nicolas, « La réalité de l'égalité entre les sexes à l'épreuve de la garde des
jeunes enfants », Mouvements n°49, 2007, p. 53-62
Disponible sur: www.cairn.info/revue-mouvements-2007-1-page-53.html (consulté le
28/05/2015)
MURCIER Nicolas, "À quoi joues-tu ?", Atelier transnational thématique jeux, jouets,
activités - Bruxelles 16 et 17 avril 2005
Disponible sur: http://www.cemea.asso.fr/aquoijouestu/fr/pdf/textesref/ConstrucSocSexuee.pdf
(consulté le 28/05/2015)
OLF 31, « L'univers des jouets ou la propagation du sexisme ordinaire », Osez le
féminisme 31, 23/12/2014
Disponible sur: http://osezlefeminisme31.com/lunivers-des-jouets-ou-la-propagation-dusexisme-ordinaire/ (Consulté le 06/01/2015)
PIQUEMAL Marie, « Livres pour enfants : les clichés sexistes n'ont jamais été aussi
présents », Libération, 8/03/2014
Disponible sur : http://next.liberation.fr/sexe/2014/03/08/livres-pour-enfants-les-clichessexistes-n-ont-jamais-ete-aussi-presents_985317 (Consulté le 15/01/2015)
ROSIN Hanna, « La fin des «jouets de fille» et des «jouets de garçon» », Slate, 24/12/2012
Disponible sur: http://www.slate.fr/story/66307/jouets-fille-garcon-fin-sexisme-stereotypegenre (consulté le 12/02/2015)
69
SAMAKOW Jessica, « PHOTOS. Cette publicité LEGO de 1981 devrait être vue par tous
ceux qui fabriquent, achètent ou vendent des jouets », The Huffington Post, 19/01/2014
Disponible sur : http://www.huffingtonpost.fr/2014/01/19/publicite-lego-1981jouets_n_4626503.html (Consulté le 18/08/2015)
SWEET Elizabeth, « Guys and Dolls No More? », The New York Times, 21/12/2012
Disponible
sur:
http://www.nytimes.com/2012/12/23/opinion/sunday/gender-based-toy-
marketing-returns.html?smid=tw-share&_r=1& (Consulté le 06/08/2015)
ZEGAI Mona, « Trente ans de catalogues de jouets : Mouvances et permanences des
catégories de genre », in Actes du colloque Enfance et cultures : regards des sciences
humaines et sociales, Sylvie Octobre et Régine Sirota (dir), Paris, 2010
Disponible sur: http://www.enfanceetcultures.culture.gouv.fr/actes/zegai.pdf (consulté le
17/03/2015)
ZEGAÏ Mona, « La mise en scène de la différence des sexes dans les jouets et leurs
espaces
de
commercialisation. », Cahiers
du
Genre
n°
49,
2010,
p. 35-54
Disponible sur: www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2010-2-page-35.htm (consulté le
09/01/2015)
Site internet du jouet Goldie
http://www.goldieblox.com/pages/about
Site internet de la poupée Lamilly
http://nickolaylamm.com/
http://lammily.com/
Site internet de la poupée Miss Possible
https://www.indiegogo.com/projects/miss-possible-dolls-to-inspire-acrossgenerations#/story
70
Multimédias
EGALICRECHE – Filles et garçons sur le chemin de l'égalité
Réunion du groupe de travail le 5/12/2014
Diaporama de présentation du programme Egalicrèche d'avril 2014
Diaporama de présentation du programme Egalicrèche de novembre 2014
Diaporama de présentation des résultats de la crèche Nids d'Anges de Cadours
FRANCE INTER – Comment la société de consommation fabrique-t-elle les filles ?
Présenté par Guillaume ERNER, 3/10/2014
Invité(e)s :
Ludovic Jérôme Gombault, directeur de la rédaction Fan2, Girly Style
Mona Zegai, sociologue en thèse sur rôle des jouets dans la fabrication des filles
Cécile Deangeant, réalisatrice du documentaire Arte "Princesses, popstar et Girl Power »
Bérénice Levet, philosophe
Ecoutée le 5/10/2014 sur: http://www.franceinter.fr/emission-service-public-comment-lasociete-de-consommation-fabrique-t-elle-les-filles
JEAN Patrick, La domination masculine, 2009
Visionné en décembre 2014 sur: http://www.ladominationmasculine.net/themes/48-jeuxnon-sexistes-et-cooperatifs.html
DANGEANT Cécile, Princesses, Popstar et Girl Power, documentaire 2014
Visionné en décembre 2014 sur Arte
VIDAL Catherine, Le cerveau a-t-il un sexe ?, 21/07/2012
Visionné en janvier 2015 sur: http://www.dailymotion.com/video/xsb9xo_catherine-vidaldecortique-le-determinisme-biologique_news#.UWaNilFdlQ4
ROUGIER-ONNIS Lola, Je suis Louie, 21/10/2014
Visionnée en novembre 2014 sur: http://www.festivalnikon.fr/video/2014/159
71
Annexes
Annexe n° 1 – Brochure de l'action OLF 31
Annexes
Annexe n° 1 – Brochure de l'action OLF 31
72
Annexe n° 2 – Retranscription du micro-trottoir réalisé par OLF31 en face de la
Grande Récré à Toulouse le 20 décembre 2014
Entretien 1 : Une femme
Je vais acheter des jeux de société.
C'est pour un garçon ou pour une fille?
Des garçons.
Ça a orienté votre choix ou ça aurait été pareil pour une fille ?
Non je pense que ça aurait été pareil et puis ça dépend aussi de leurs goûts.
Entretien 2 : Une femme
C'est pour deux filles et un garçon. Je vais choisir en fonction du prix.
Entretien 3 : Une jeune femme pour un cadeau pour ses frères et soeurs
Avant de venir, je savais à moitié ce que j'allais acheter, de toutes façons il n'y a plus rien
on est samedi avant noël, j'ai dû m'adapter.
Qui vous avait donné les idées?
Les parents.
Est ce que vous vous êtes orientée par-rapport aux jouets pour filles ou garçons ?
Non, je peux acheter les mêmes choses.
Les rayons filles/garçons ça vous dérange ? Vous préféreriez que ce soit différent?
Je préférerais que ce soit différent ouais.
Entretien 4 : Une femme pour sa petite nièce et son neveu venue avec une fille d'une
dizaine d'années
Vous savez déjà ce que vous allez acheter?
A priori oui, Violetta pour la petite fille, je sais pas ce que c'est, et Tortues Ninja pour le
petit garçon.
Qu vous avait donné les idées?
La maman pour le petit garçon, et toi (s'adresse à la fille qui l'accompagne) pour la petite
fille
Est-ce que les rayons filles/garçons ça vous dérange ?
Non c'est plutôt pratique. Après pour moi sur le fond y a pas de différence, mais quand on
73
cherche c'est quand même plus pratique.
Entretien 5 : Une femmee venue pour ses neveux qui se présente comme féministe et
complimente notre action
C'est le business. Moi je viens ici parce que y a des jouets pas chers et j'ai 16 cadeaux à
faire. Mon neveu on lui a offert une poupée à un moment donné, il y joue pas trop mais
bon... Moi ça m'est égal, fille garçon, c'est selon ce que le gosse aime, avant tout c'est ça.
Quand j'étais petite je préférais les trucs de garçons. En plus moi j’ai les boules parce que
mon frère m'a dit, par-rapport à une des gamines qu'il va y avoir, que les garçons sont
hyper sexistes. Pourtant les parents c'est des gens cools. La petite elle a 6 ans, le même âge
que mon neveu, et ils la foutent de côté dans les jeux, ils disent "elle elle est trop petite":
c'est instinctif alors qu'ils ont pas eu cette éducation là. Et on en parlait justement, parce
que moi je la connais pas et il faut que je lui fasse un cadeau, et mon frère me dit "elle est
coquette, mignonne, petite, la pauvre elle va se sentir bien seule pour noël parce que c'est
la seule fille". J'avais un peu les boules, je lui ai dit "fais quelque chose, dis quelque chose
à tes fils !". Donc qu'est ce que je fais pour elle, je lui offre quoi ? Un bijou ? Nan mais si
elle aime ça... Moi je pensais offrir aux plus grands des jeux, aux petits je sais pas trop...
Des bijoux j'en ai, je joue un peu avec le fric que j'ai, j'en vendais avant sur les marchés,
donc elle va avoir un cadeau de fille, tant pis. Bon par contre pas de dînette, pas de poupée
Barbie, mais des jolis trucs, genre des bracelets brésiliens, peut-être que je vais en offrir
aux mecs. Mais ça fait pas beaucoup de cadeaux.
Les entretiens suivants ont été interrogés par un autre membre de l'association :
Entretien 7 : Des femmes venues avec leurs enfants
Bonjour, qu'est ce que vous pensez de cette séparation filles/garçons des jouets pour les
enfants?
Je pense qu'elle est pas très juste, les enfants devraient pouvoir jouer avec ce dont ils ont
envie de jouer.
Qu'est ce que ça vous évoque ?
Je trouve ça dommage. Les petits garçons auraient autant le droit que les petites filles de
jouer à la dînette. Ou que les petites filles puissent jouer aux voitures.
74
(A petite fille) et toi alors ?
Pareil que ma maman. Je sais pas trop quoi dire parce que je comprends pas trop. Les
garçons ont le droit de jouer avec les trucs de filles, et les filles avec les trucs de garçons.
Entretien 7 : Une femme
Bonjour, qu'est ce que vous pensez de cette séparation filles/garçons des jouets pour les
enfants?
Je pense que c'est dommage de cantonner les garçons aux voitures et les filles aux
poussettes mais pourquoi pas mélanger tous ces jouets ? Le principal c'est que les enfants
s'amusent sans regarder le produit.
Vous pensez que ça a un lien avec les rôles dans la société ?
Je pense que la société est beaucoup cadrée sur des règles à faire à ne pas faire et que tout
ça conditionne les enfants pour jouer avec tel jouet, je pense que c'est un tout.
Entretien 8 : Une femme pour un garçon et une fille
J'achète selon l'âge des enfants, c'est le plus important. Après, les rayons me servent plutôt
de guide.
75
Annexe n° 3 : Retranscription de l'entretien avec Sophie Collard, coordinatrice du
programme égalicrèche le 27/02/215 dans les locaux d'Artémisia
Combien a-t-on d'enfants et de crèches ?
On a accompagné trois crèches, deux municipales CCAS128 sur la communauté de
Toulouse et dans chaque crèche 60 enfants et 20 professionnelles, et là on est en train
d'accompagner une troisième crèche en zone rurale, associative parentale, où là il y a 8
professionnels et 17 enfants.
Au niveau de la phase d'observation des jeux en crèche, est-ce que vous avez constaté une
répartition genrée du jeu dans l'espace, des groupes de pairs ?
Oui tout à fait, (elle me montre un diaporama) dès la prime enfance il y a une non-mixité
dans l'utilisation des jeux. Là c'est sur les résultats de la troisième crèche, à Cadour, où on a
vachement plus observé d'interactions que dans les autres crèches c'est-à-dire que comme
la crèche est plus petite, les professionnels échangent plus avec les enfants : on a 8000
interactions observées alors que sur les 2 autres tout cumulé on était sur 7000 interactions
alors qu'il y avait beaucoup plus d'enfants.
Sur les jouets, on a seulement 27% de jeux collectifs mixtes, 14% des garçons jouent de
façon collective contre 11% des filles. On voit dans les jeux en collectif que la mixité ne
concerne que 51% des cas, et les garçons jouent davantage entre eux à 30% et les filles
entre elles à 30%. De façon générale les garçons jouent plus aussi, 56% des enfants qu'on a
observés jouer contre 44% des filles, les filles sont souvent plus passives, immobiles, elles
ne jouent pas, elles attendent dans le cadre des jeux libres. Là on est que dans les jeux
libres car dans les activités structurées les professionnelles accompagnent les enfants de la
même façon. Et sur les différences de jeux, on voit que les jeux d'imitation (coiffure
ménage cuisinière poupon) ce sont à 100% des filles, les jeux de construction, lego, puzzle,
bricolage c'est à peu près 20% de filles. Les jeux d'adresse y a à peu près une mixité, un
peu plus les filles pour Cadour alors qu'il y a des ballons, des bascules, des trotteurs, des
toboggans. Dans les autres crèches, on avait observé une majorité de garçons. Par contre,
camions, voiture, avions ce sont plus les garçons, même au niveau des jeux mixte les
garçons jouent davantage. 60% des enfants qui jouent à des jeux de construction sont des
garçons, 99% des enfants qui jouent à des jeux d'imitation sont des filles, et 97 % des
128 Centre Communal d'Action Sociale
76
enfants qui jouent avec des camions, des voitures et des avions sont des garçons.
Est ce que vous avez observé des cas de transgression de jeux, les réactions des enfants et
des adultes ?
Oui alors souvent on observe davantage de transgression de jeux des filles qui vont vers
des jeux dits masculins : camions, voiture, vélo etc . Elles n'y jouent pas de la même façon
que les garçons c'est-à-dire que souvent les garçons s’immiscent un peu plus facilement
dans les jeux des filles, souvent elles laissent la place au garçons, et arrêtent. Par exemple
dans les jeux à l'extérieur, on peut voir que les filles ont du mal à avoir les motos et les
garçons s'imposent dans leur jeux et elles laissent tomber relativement rapidement. Et du
côté des garçons quand ils jouent à des jeux d'imitation type poupée, dînette, etc, déjà dans
la crèche quand on a observé (Cadour) on n'a pas vu de garçons avec des poupées, dans les
autres crèches dès fois ils étaient plus dans le maternage, le pouponnage puisque c'est des
garçons mais de façon générale ils détournaient le jeu, ils utilisaient les poupons comme
pistolet, ils tiraient les cheveux, ils les balançaient, ils étaient beaucoup moins dans
l'imitation de la maman ou du papa que le sont les filles. »
Et ça c'est quand ils jouent tout seuls ou on peut avoir des groupes de garçons qui
pouponnent ensemble ?
Non ça on n'a pas observé.
Et de filles qui jouent aux voitures ensemble ?
Oui, là par-exemple (elle me montre une photo de deux filles). Quand on a fait dans les
ateliers dans les autres crèches pour que les pro puissent observer ça d'elles-même pour
prendre conscience de ça, on a mis des groupes de filles avec des jeux dits masculins et on
a observé. Elles se sont rendu compte que les filles étaient perdues, qu'est ce qu'on va faire
avec ces jeux là ? Elles demandaient de l'aide de la part des professionnelles qui les ont
accompagnées. On avait un atelier bricolage plus un train et un garage à voiture, et en fait
elles ont commencé à jouer ensemble d'abord à un jeu, le garage à voiture puis à la
menuiserie, puis au train. Elles discutaient et échangeaient entre elles. On a fait la même
expérience avec des garçons et ces jeux là, de suite ils sont allés dessus, ils étaient plus
dans la dispute, s'imposaient dans les jeux et ne jouaient pas forcément ensemble même
77
avec des jeux dits masculins. Et après on a fait la même expérience avec des jeux dits
féminins, en mixité aussi filles et garçons et les filles étaient d'un côté, les garçons de
l'autre : ils ne jouaient pas ensemble. Puis les garçons avec des poupons, pour langer, ils
étaient vraiment perturbés, il y en a beaucoup qui ne voulaient pas jouer, juste un, ils
n'échangeaient pas, ne communiquaient pas trop. De façon générale, ils ont du mal avec
ces jeux là, beaucoup plus que les filles avec des jeux dits masculins, mais même avec
leurs jeux ils ont tendance à jouer moins ensemble que les filles et échanger là dessus.
Vous voulez dire que même quand ils jouent avec des jeux du sexe opposé, ils continuent à
jouer comme avec des jeux de leur sexe ?
Voilà.
Est-ce qu'il y a des cas de police du genre, des petites filles qui vont dire « nous on est des
filles dont tu peux pas jouer avec nous car tu es un garçon », ou est-ce qu'ils sont encore
trop jeunes ? J'ai lu quelque chose sur l'égocentrisme chez les jeunes enfants, c'est plutôt
ce jouet est à moi, je suis une fille donc c'est un jouet de fille. Quelle est la logique ?
Ça c'est une question très intéressante très pertinente à laquelle je ne pourrai pas répondre
de façon tranchée, mais là c’est vrai que dans les crèches ils étaient un peu petits pour
formuler ça c’est pour les filles ça pour les garçons, on l'a jamais entendu. Est ce qu'ils se
le disent, je sais pas. En tout cas nous on l'a jamais entendu formulé de la bouche des
enfants. Chez les plus grands, dans la deuxième crèche, en fin d'année scolaire donc partant
bientôt à l'école, on a pu entendre des remarques du type « ça c'est du rose c'est pour les
filles j'en veux pas », sur les gobelets ou les bavoirs, de la part des garçons, jamais de la
part des filles.
Du coup j'en viens aux professionnelles, y a t-il des injonctions différenciées au niveau de
l'attention, du rangement (plus solliciter les filles) et ne pas valoriser cette activité chez
elles ?
Dans les deux premières crèches, inconsciemment les professionnelles dirigent les filles ou
les garçons vers des activités, elles jouent davantage avec les filles et les poupons, avec les
garçons et les camions. Et en effet les filles sont beaucoup plus incitées au rangement que
les garçons. Dans la troisième crèche c'est pas vrai, il y a une mixité. Je pense que ça
78
dépend des équipes et de leur façon de fonctionner, même si oui il y a un comportement
différencié filles/garçons dont elles ne se rendent pas compte au premier abord. Même dans
les encouragements, elles encouragent beaucoup plus les garçons que les filles dans les
deux premières crèches, dans la seconde elles encouragent plus les filles, mais des
encouragements et félicitations plus sur leur apparence esthétique, pour les garçons c'est
plus la performance physique, de développement moteur. Mais vous aurez tous les chiffres
des trois restitutions. En effet c'est pernicieux, c'est dans la multitude des échanges qu'on
peut, en observant beaucoup, voir une différence, mais ce n'est pas flagrant, on n'entend
pas des professionnelles dire « ça c'est pour les garçons ça c'est pour les filles ». Il y a une
volonté de la part des professionnelles, elles pensent que les enfants sont trop petits pour
avoir déjà une utilisation différenciée des jeux, des activités. De façon générale c'est les
mêmes enfants. Elles regardent plus l'âge que le sexe. Et après quand elles se rendent
compte, qu'elle chaussent les lunettes genre, elles voient que telle phrase peut être
différenciée. Ce n'est pas flagrant d'un premier abord.
Vous avez eu des rendez-vous avec les parents pour présenter le projet?
Dans la crèche parentale oui il va y en avoir. Dans les 2 premières crèches c'était prévu,
mais on leur a pas présenté le projet directement, c'est la mairie de Toulouse qui leur a
présenté. Ils ont reçu un courrier et les directrices des crèches en question recevaient les
parents lors de l'inscription ou en début d'année pour expliquer la mise en place de ce
projet. On devait organiser des séances de sensibilisation avec les parents mais comme
l'équipe municipale a changé, ça a compliqué notre projet il devait y avoir d'autres crèches,
c'est en stand-by mais on va organiser une séance de diffusion du film. Pour l'instant on n'a
pas échangé directement avec les parents.
Sur le jeu libre, voit-on la reproduction de rapports de domination filles/garçons ? Les
professionnelles n'interviennent pas quand elles voient par-exemple des garçons qui
poussent les filles pour prendre un jouet ?
Bah elles le voient pas forcément toujours, et puis la politique c'est : « on laisse les enfants
libres de leurs choix » sauf qu'on sait très bien que ce ne sont pas des choix libres, mais des
injonctions qu'on reçoit dès la petite enfance. Quand il y a agressivité de la part des
garçons, ils occupent notamment dans la dernière crèche 80% de l'espace sonore et
79
physique, ils sont à 90% d'imposition dans le jeu des autres, ils ont des comportements
agressifs en majorité en direction des garçons, puis des filles. Quand elles voient des
comportements agressifs, elles réagissent, d'ailleurs les garçons sont beaucoup plus
réprimandés, à 70%. Mais elles ne voient pas toujours les agressivités des garçons en
direction des filles: c'est deux enfants qui se disputent.
Qu'est ce que vous leur proposez au niveau du jeu ?
Au niveau du jeu, ça se joue sur plusieurs points. Déjà ce qui est important c'est de leur
montrer que oui elles font des différences, d'où la phase d'observation. Si elles n'en ont pas
conscience, c'est difficile d'agir là dessus. La prise de conscience dans tous nos ateliers
c'est la première chose, on travaille beaucoup là dessus. Après, sur les jeux en question, on
a proposé différents point..
Sur l'aménagement de l'espace, le fait de séparer des coins dînette, poupée et coin bricolage
garage dans la crèche ça crée de la non mixité puisque les enfants privilégient tel ou tel
jeux, les enfants ne circulent pas de la même façon. Pour diversifier l'utilisation des jouets
au niveau des enfants, on a proposé de créer un espace centre vile qui permet deux choses :
de changer le vocabulaire utilisé, on ne parle plus de dînette ou d'établi de bricolage mais
d'imitation : d'aller au restaurant, chez le vétérinaire, la crèche, coiffeur plus que le poupon,
menuiserie, supermarché, laverie, garage. Ça permet pour les professionnelles de changer
de thèmes, pour les enfants c'est moins connoté fille/garçon et en plus ça permet de
mélanger tous les jeux dans l'espace. Elles ont mis des images d'enfants qui jouent au
restaurant, à la fois des filles et des garçons. C'est des messages qu'elles et les enfants
voient.
On leur a proposé aussi par exemple, pour les crèches sans structure fixe, qui ont des
espaces faisant à la fois sieste, repas, de ne pas sortir tous les jouets mais de faire des jeux
libre thématique, c'est-à-dire à un moment ne sortir le lundi par exemple que les jeux de
construction, le mardi que l'expression artistique, le mercredi que le restaurant, le jeudi que
les poupons, le vendredi que le bricolage pour que les enfants apprennent à jouer ensemble
à ce jeux là, pas en fonction de leur sexe.
Au niveau des jouets, on leur a proposé de faire un inventaire des jeux, de voir s'il y a plus
de jeux dit masculins ou féminins pour se rendre compte de l'organisation et faire des
observations avec les groupes et différents types de jeux, la prise de conscience c'est
80
important. Par exemple organiser une rotation des jouets, proposer des activités
compensatoires, aller dans la non mixité, c'est-à-dire proposer à des filles des jeux que
masculins et à des garçons des jeux dits féminins. Des moments de non-mixité peuvent être
intéressants pour inciter les enfants à développer des capacités qu'ils ne développent pas
avec certains jeux. Sans cesse se questionner, réfléchir. On n'arrive pas avec des réflexions
touts prêtes, en disant « faut faire comme ça », on travaille avec elles sur ce qui peut être
mis en place. C'est important qu'elles s'approprient le sujet . Bien entendu ça va pas
changer du jour au lendemain, y a l'impact des médias, de la famille, de l'école après, mais
l'objectif c'est de développer l'esprit critique des professionnelles et des enfants pour petit à
petit aller vers du changement. Déjà sur le réaménagement de l'espace, les professionnelles
ont constaté que oui y a plus de mixité.
Vous avez un suivi de cette éducation égalitaire à la fin d'un parcours de crèche d'un
enfant ?
Non, par contre on fait des suivis des professionnelles. En termes de budget on n'a pas la
possibilité de suivre un groupe d'enfant. Notre groupe cible c’est plus les professionnelles
que les enfants, notre objectif c'est de former les professionnelles pour que du coup les
générations suivantes soient dans plus d'égalité, pas forcément les enfants accompagnés
même si on espère que ça aura un impact. L'objectif c'est plus les professionnelles qui vont
suivre toute leur carrière les enfants que sur un groupe d'enfants.
Il n'y a aucune formation au genre dans leur cursus?
Oui et non. Dans les professionnelles il y a différentes catégories socio-professionnelles :
les agents d'entretien qu'on a accompagné aussi qui n'ont souvent pas de diplôme, les
auxiliaires de puériculture qui ont une formation très courte de 8 mois avec du coup
beaucoup de séances de stage et peu de cours en école, là aucune formation sur le genre.
Nous on va proposer un projet pour proposer des formations dans les lycées pro, les CAP
petite enfance, dans les instituts de formation. Il y a aussi les éducateurs qui depuis 2009
ont une action de sensibilisation au genre proposée mais c'est une journée sur tout le
cursus. Nous on travaille là dessus en Midi-Pyrénées sur deux écoles depuis 2009.
D'ailleurs dans l'une des crèche on a une des professionnelles qui avait suivi notre
formation. Au niveau des EJE129 c'est le public le plus réceptif car dans leur cursus ils ont
129 Educateurs de jeunes enfants
81
beaucoup de psychologie, un peu de sociologie, et une ouverture d'esprit proposée dans
leur formation par-rapport aux auxiliaires de puériculture qui sont dans le concret :
comment changer un enfant, l'habiller, pas vraiment sur la pédagogie. On a fait une
formation à l'IFRAS à destination des puéricultrice, les directrices des crèches ont une
formation médiale puis de puéricultrice sur le développement de l'enfant, l'administratif, le
management d'une équipe mais pas de formation sur le genre.
Une dernière question : on voit que quand les garçons jouent avec des jouets de fille il y a
tout de suite une suspicion d'homosexualité, est ce que sont des remarques qui ont été
faites ?
De la part des professionnelles non par contre bien souvent elles sont confrontées aux
parents, essentiellement les pères, mais aussi les mères qui en voyant leurs enfants garçons
jouet avec des poupées sont scandalisés et elles ont du mal à avoir des arguments, c'était
surtout « mais non il va pas devenir homosexuel parce qu'il joue à la poupée ». Maintenant
elles ont des arguments du type « c'est pour développer toutes ses capacités, quand ils ne
jouent que à certains jeux ils se limitent, notamment le psycho-affectif s'ils ne jouent pas au
pouponnage » .
82