Au bout du chemin

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Au bout du chemin
Au bout du chemin...
Photographies de Lynn S.K. - Textes de Lola Lafon*
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issus du livre Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s'annonce, Flammarion (2011).
D
ans un dédale d’errances urbaines, Lynn S.K. présente une exposition en
résonance directe avec le dernier livre de Lola Lafon, Nous sommes les
oiseaux de la tempête qui s’annonce (Flammarion), dont elle a réalisé le visuel.
Des photographies de filles « au bout du chemin », ponctuées par des extraits du
livre choisis par la photographe.
« Lola Lafon m’a écrit, quelque chose comme, "je crois que dans mon dernier livre, ça
dit un peu la même chose que tes photographies". J’ai lu, très vite, dans l’urgence, j’ai
été secouée de sensations trop fortes, de cris silencieux, j‘ai reconnu les oiseaux qui
tombent. Alors, j’ai voulu dessiner les contours de mon propre chemin, en
photographiant les filles-oiseaux qui m’entourent, à travers ce parcours parisien qui est
celui des trois héroïnes du livre. Peut-être quelque chose de l’ordre de la synesthésie :
ma lecture a crée des images violentes, et sans forcément être précise quant à la trame
narrative, je me suis allée à rendre en photographies des instants, à tracer des lignes de
fêlure, à parler de sensation communes.
Des respirations saccadées, des résistances fragiles, des idéaux qu’on fait taire à coup de
benzodiazépines, un murmure qui se saisit et s’évanouit presque au mêmes instant, des
errances dans un Paris liquide, des murs griffonnés de combats silencieux. Je crois en
un échange avec tous celles et ceux qui ne marchent pas droit, et dont le sang est en feu
- avec les êtres qui ont envie de croire que ça pourrait être le début de quelque chose. »
Lynn S.K.
***
Merci à Kaliane Ung, Sarah B. les toits et la nuit, Nawel S., Vincent V. (Bruno Ganz, le ciel au dessus
de Berlin), D.K., Nadine B., Lola W. et les grues à venir, Ben - à l'ancienne, Ann J., Sadie et toute la
maison Censier, Ceryse et le chemin d'Imphy, Léa "puis tu prendrais feu", Lola Lafon (!), Wendy,
Lizzie Saint-Septembre, Céline Broudin, Camille, Pauline.
« … On danse pour échapper à la légalité
des
gestes
normaux,
usuels… Le
mouvement contre la mort, non ? Mais le
mouvement, dans le corps je veux dire, il
commence où, quand ? En vérité le
mouvement a commencé depuis longtemps
et moi je le suis, je le souligne… »
PETITES FILLES DE RIEN
AU BOUT DU CHEMIN
TE RENDENT LA JUSTICE
ET GARDENT LE FEU
Comme nous sommes constamment
ensemble, l’une à côté de l’autre, je ne peux
pas lui dire ce qui ne peut que s’écrire. Alors
les mots s’absentent, de toute façon, ils
auraient formé un tas banal de - je n’ai
jamais ressenti ça avant parfois il me semble
que ça me traverse si tu savais je suis
embrasée de toi t’allonger sous mes mains.
Nous poserons donc comme principe que
dans le monde du rêve on ne vole pas parce
qu'on a des ailes, on se croit des ailes parce
qu'on a volé.
L’époque est dure aux voleuses de feu… Il
nous faudra bien redevenir impitoyables et,
sans rien céder de nos vies ou de nos corps,
saturer chaque atome de plaisirs vagabonds
sans jamais en payer aucun prix.
Voltairine… Voltairine… Est-ce que… Estce que la folie ça n’est pas aussi simple que
le chagrin ? Ou peut-être que c’est l’inverse,
je ne sais pas.
Oui, ce qu’on fait cette nuit là ne sert à rien.
Ne changera rien. Nous aurons seulement
posé des mots dans la ville. Des regards
passeront un instant à peine, les
interrogeant. Il y aura une pause. Un souffle
de questions dans un espace soigneusement
rangé de réponses qui se succèdent sans
cesse les unes aux autres, débit mécanique
détraqué d’un soliloque ne reprenant jamais
haleine, ne laissant de place à rien.
Nous n’allons pas compter les oiseaux un
par un. Les pointer du doigt. Tiens, un autre
qui tombe. Nous n’allons pas commenter.
Bouche bée, guetter, les attendre, les
oiseaux qui tombent. Cría cuervos y te
sacarán los ojos. Nourris les corbeaux et ils
t’arracheront les yeux.
Voltairine, nous allons déchirer nos
carnavals absurdes cette nuit. Puis nous
nous attaquerons à nos cicatrices.
Parfois tu sais je voudrais me refroidir le
sang, tu sais ? Le mêler au vent, l'allonger
de frais. Et de calme... ce sang furieux. […]
L'eau était tellement plus tiède que dans
mon souvenir et même le son de mes
vêtements noyés qui se décollaient
légèrement du corps, cette petite valse de
clapotis, je n’ai pas eu peur.
1°) Les Evénements, la semaine des
événements
Comme
certains
appellent
encore
aujourd’hui les dix jours, ce printemps-là,
où, sans qu’on puisse en donner une raison
exacte, la ville toute entière se trouve
démantibulée pour la première fois depuis
l’Élection.
Ces gestes illisibles car muets prennent sens
au moment où ils s’accélèrent encore, un
amoncellement d’étincelles qui précise et
donne le rythme du mouvement. Des feux
surgissent. On ne connaît pas ce qui est en
train d’arriver mais on le comprend. L’odeur
de brûlé infuse les rues, stockée dans l’air en
permanence, l’air traversé de gyrophares et
de sirènes hagardes qu’on compte comme
autant d’indices.
Mais voilà que je ne veux pas être réparée.
Sauvegardée. Rafistolée pour continuer à
avancer. Je ne voudrais pas qu'on colmate ce
que je m'acharne à défaire, découdre.
Vois-tu, je travaille à être insauvable,
irrécupérable. Aussi fugace, irrattrapable et
fragile qu'un moment dans le temps.
Ton coeur [...] que je connais, est empli de
rayons.
Bientôt, sans doute, ils diront que tout ça
n’a pas existé. Ils diront de nous que nous
n’avons pas eu lieu. Ils diront de nous que
nous sommes un bruit qui court. Et ça n’a
pas d’importance car ils n’ont jamais pris
garde aux bruissements d’ailes.
Je ne me souviens pas d’un temps classé en
jour, nuit, matin, repos. Pas de pauses. Rien
que des instants où la mémoire doit
reprendre son souffle pour avaler la marche
de tout ce présent qui est en marche.
Oh, Voltairine, ne soyons pas d’ici, surtout.
Pas de « chez nous » entre nous. Errance
immédiate pour toutes ! Et attelons nous à
une déclaration d’in-descendance. On y
déclarerait ne vouloir descendre de rien ni
de personne. On se réjouirait d’être les
enfants des mots, des idées qui tiennent
chaud, celles qu’on invente.
Chaque année on entend encore un peu mieux le sifflement des ailes de ces oiseaux de la
tempête qui s’annonce et parfois, on aimerait, on souhaiterait que ça soit déjà le son de
l’orage lui-même.
Ils disent de nous que nous n’avons pas existé. Ou si peu. Voyez, tout est rentré dans
l’ordre. Alors, maintenant que nous n’avons plus à craindre que tout ceci se termine, nous
avons notre temps…
Nous les perturberons encore vos cérémonies morbides et immuables. Nous ne partagerons
pas que des indignations.
Les petits amis au bout du chemin.
Exposition actuelle :
Contacts :
Lynn S.K. : [email protected] / www.lynnsk.com
Lola Lafon : [email protected]
Violette and Co : [email protected]

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