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Vos missions Agir sur…
L’accompagnement
des salariés
Départs volontaires
DES PROJETS À
BIEN SÉCURISER
Dans la gestion,
par les entreprises, des
suppressions de poste s
pour motif économique,
le recours au volontariat
devient de plus
en plus fréquent.
Au grand soulagement
des repré s e n tants du
personnel, qui, du coup,
se montrent parfois
moins exigeants
sur l’examen du projet
de restructuration et
l’accompagnement
des salariés.
Or, le volontariat peut
aussi être porteur
de risques. Revue
de détail des points
de vigilance.
2 Par Mariette Kammerer
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22 CEC magazine nº 134 juin 2009
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ini la barbarie des licenciements contraints, place
aux départs volontaires.
Tel est le mot d’ordre
dans de plus en plus d’entreprises, c o n s t atent en
chœur les experts qui
a c c o m p ag n e n t les CE
lors des procédures de licenciements. Il
faut dire que pour mettre en œuvre le
« reclassement extern e » des salariés, le
Code du travail diversifie les possibilités :
plan de départs volontaires et congés de
mobilité aménagent les PSE classiques (voir
encadré p. 24). Réclamé, naturellement,
par les représentants du personnel confrontés aux licenciements, le volontariat n’est
p o u rtant pas toujours la panacée. « C’est
plus confo rt able pour tout le monde, plus
indolore, mais dans le contexte actuel, c’est
un peu du pousse-au-crime, estime même
Christian Pellet, président du cabinet Sextant.
Dès lors qu’ils ont évité des départs contraints, les représentants du personnel ont le
sentiment d’avoir fait leur travail, alors que
ce n’est pas suffisant ! ». Un dispositif de
d é p a rts volontaires mal préparé peut être,
en effet, très destructeur, tant pour les salariés qui restent dans des équipes sinistrées,
que pour ceux qui partent, parfois sans
perspective d’emploi. Il appartient aux
représentants du personnel de négocier
un maximum de garanties pour encadrer et
sécuriser le volontariat, comme pour tout
licenciement économique. Conseils.
TÉMOIGNAGE
Olivier LELONG > Délégué CDFT et élu au CE Neuf-Cégétel, puis SFR
« On joue un rôle très étrange
et assez éloigné de notre fonction »
« En tant qu’élu, gérer un plan de départs volontaires est très difficile,
car on perd to ta lement le contrôle du processus. On ne peut pas contraindre
la direction à organiser un dispositif de reclassement en interne visant à proposer
des solutions aux salariés dans les catégories d’emploi touchées.
Ces derniers n’ont qu’à postuler en interne et passer des entretiens !
Donc, on a du mal à savoir si des salariés ont pu être re c l a ssés dans le groupe.
On doit aussi gérer les pressions de salariés qui veulent partir mais n’en ont pas
le droit : ils nous demandent de les aider à se faire licencier !
C’est le monde à l’envers, on doit jouer un rôle très étrange et assez éloigné
de notre fonction première, qui est de pérenniser l’emploi dans l’entreprise.
Pour le plan prévu ce t te année, nous avons pris soin d’exiger des volontaires
un contrat de tra vail ou un projet de création d’entreprise finalisé et validé
par le cabinet de re c l a ssement.
L o rs du plan de 2005, nous avions fait l’erreur de négocier uniquement
sur le montant de l’indemnité de départ et de laisser partir des volontaires
sans autre projet que celui de chercher un emploi. Nombre d’entre eux
s’étaient ensuite retrouvés sur le carreau. »
L’aide au reclassement des salariés –
plus ou moins – volontaires est aussi
indispensable que dans un PSE classique
large : la déstabilisation des services. Martin
R i cher observe qu’il y a « souvent des
d é p a rts massifs dans certaines équipes et
quasiment aucun dans d’autres, avec pour
conséquences de gros déséquilibres et des
équipes désorganisées ». Pour éviter autant
que possible ces situations, l’expert conseille
aux représentants du personnel de négocier,
en amont, un dispositif qui encourage,
après les départs, la mobilité interne des salariés, avec des fo rm ations ou des aides au
déménagement, de manière à rééquilibrer
les équipes et à éviter des surch a rges de
travail pour les salariés qui restent.
1 ÀLEQUIVOLOOUVRIR
NTARIAT ?
2 EXIGER
UN PROJET SOLIDE
Dans la prat i q u e, les représentants du
personnel cherchent, la plupart du temps,
à permettre le départ d’un maximum de
volontaires, quels qu’ils soient. Ainsi, au
j o u rnal Le Monde, qui, en avril 2008, a
annoncé la suppression de 129 postes, les
élus ont refusé de négocier les cri t è res
d’ordre et exigé un plan de départs volontaires qui soit ouve rt à tous les salariés : « Il
fallait réduire la masse salariale, et comme
beaucoup de gros salaires ont été volontaires, il y a eu moins de départs que prévu
et aucun licenciement contraint », se félicite
Alain Faujas, délégué SNJ. « En revanche,
admet-il, certains services ont été complète-
ment dépouillés. » Ouvrir le volontariat à
tous les salariés, c’est, en effet, s’exposer à
une hémorr agie des compétences et à un
surplus de demandes. « La direction doit
alors refuser des volontaires et gérer leur
démotivation, ou laisser partir tout le monde
et réembaucher après », indique Jean-Paul
Vouiller, délégué CFTC à Hewlett-Packard,
qui a opté pour la seconde solution. C’est
pourquoi les experts préconisent de définir
très précisément les métiers et les catégories
d’emploi éligibles au départ, « pour éviter,
comme à Peugeot Mulhouse, de voir un
quart de la DRH se porter volontaire ! »,
illustre Martin Rich e r, d i recteur général
de Secafi. On peut tout de même l’élargir à
d’autres catégories d’emploi que celles qui
sont menacées, mais « sous réserve qu’un
départ permette le reclassement en intern e
d’un salari é , propose Dominique Paucard,
responsable du pôle restructurations ch e z
Syndex. Dans ce cas, la commission de
suivi a un rôle fondamental pour vérifier
le nombre de postes supprimés in fine ».
Autre effet prévisible d’un volontariat trop
Autre point essentiel de la négociation : définir les conditions pour se porter volontaire.
Unanimes, les experts alertent les élus sur la
nécessité de « ne pas laisser les gens partir
à l’aventure sans un projet solide, martèle
C h ristian Pellet, même s’il est parfois difficile de résister à la pression des salariés qui
veulent s’en aller ».
Pour que le dispositif négocié mène bien les
salariés partants vers une solution d’emploi,
des garde-fous sont indispensables : mettre
en place un point info-conseil avant la fin de
la procédure pour leur permettre de s’informer sur les conditions de départ ; négocier
un délai suffisant pour leur laisser le temps k
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CEC magazine nº 134 juin 2009 23
Vos missions Agir sur…
L’accompagnement des salariés
JURIDIQUE
Des modalités plus ou moins
contraignantes
Le volontariat peut
être négocié dans trois
c a d res différents :
LE PLAN DE
1
LICENCIEMENTS
COLLECTIFS
Le dispositif le plus sécurisé
consiste à introduire une
phase de volontariat dans
un plan de sauvegarde de
l’emploi (PSE), avant de procéder à des licenciements
contraints. En général, on
annonce le nombre de
postes qui seront supprimés par service et par
métier, et les volontaire s
ont quelques semaines pour
se faire connaître. « On définit les critères d’ordre de
licenciement dans le cadre
de la procédure Livre III et
on les met en œuvre seulement s’il n’y a pas assez de
volontaires », indique Evelyn
Bledniak, avocate au cabinet Atlantes. « On peut
aussi prévoir un dispositif
en deux temps, propose
Martin Richer, directeur
général de Secafi, d’abord
une phase de volontariat
avec une procédure légère,
et, s’il n’y a pas assez de
volontaires, une vraie information-consultation avec
ordre des licenciements. »
2
LE PLAN
DE DÉPARTS
VOLONTAIRES
Très en vogue depuis
quelques années, l’accord
établissant un plan de
départs volontaires détermine les modalités de
consultation du CE et les
conditions du volontariat.
« Tout plan de départs
volontaires doit comporter
une procédure d’information-consultation du CE
(livre III et IV), rappelle Evelyn
Bledniak, c’est obligatoire
dès lors qu’il y a volonté de
réduire l’effectif pour motif
économique. » L’employeur
est également tenu de
mettre en place un PSE
comprenant des mesures
d’aide au re c l a s s e m e n t
e x t e rne des volontaires : la
jurisprudence en fait une
obligation et le comité d’entreprise doit y veiller. « En
revanche, il n’est pas nécessaire de définir des critères
d’ordre de licenciement »,
précise Dominique Paucard,
responsable du pôle restructurations chez Syndex, ni
de rechercher des reclassements internes. En ce sens,
le plan de départs volontaires est moins contraignant pour l’employeur.
LE CONGÉ
3
DE MOBILITÉ
Le congé de mobilité
(articles L. 1233-77 et suivants du Code du travail),
utilisé depuis peu, est le
troisième dispositif faisant
appel au volontariat.
Réservé aux entreprises de
plus de 1 000 salariés ayant
signé un accord de GPEC, il
de monter un projet ; exiger une promesse
d’embauche, un projet de création d’entreprise, ou une fo rm ation de reconversion,
« et faire valider les projets par une antenne
de reclassement indépendante et une commission de suivi paritaire », défend Mart i n
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24 CEC magazine nº 134 juin 2009
était conçu, au départ, pour
permettre la reconversion
des salariés dont l’emploi
est menacé. Utilisé dans le
cadre d’un plan de réduction des effectifs, il constitue
une mesure parmi d’autres,
et doit s’appuyer sur l’information-consultation du CE.
« La direction a choisi ce
dispositif pour faire partir
les gens très vite, car s’il y
a assez de volontaires, elle
n’aura pas à négocier les
critères d’ordre de licenciement », explique José Desa
M o re i r a , délégué CFDT
chez Faurecia, équipementier automobile. S’apparentant à un congé de
re c l a s s e m e n t ( p e n d a n t
lequel le salarié peut occuper un emploi), il faut néanmoins en négocier la durée,
les conditions d’accompagnement et d’indemnisation, que la loi cadre
beaucoup moins. Dominique Paucard attire, par
ailleurs, l’attention sur l’intérêt de prévoir des modalités
de suivi, ce dispositif négocié par les syndicats offrant
moins de contrôle au CE.
Enfin, les départs volontaires constituant une « rupture d’un commun accord
pour motif économique,
cette mention doit apparaître afin que les volontaires puissent bénéficier
de l’allocation chômage »,
précise Evelyn Bledniak.
R i cher… Et puis, « éviter les “projets personnels”, catégorie très vague, qui, souvent,
conduisent les gens tout droit vers le ch ômage », ajoute Dominique Paucard. Pour
dissuader les volontaires motivés uniquement par le chèque, mais sans solution
sérieuse, « on peut verser la moitié de l’indemnité au moment du départ et l’autre
quand la personne a retrouvé un emploi »,
propose-t-il. Enfin, en cas de demandes trop
nombreuses, il vaut mieux définir des critères de priorité – type de projet, ancienneté,
âge, qualités professionnelles – de manière
à laisser partir les plus employables. « Plus les
critères seront clairs et objectifs, moins les
représentants du personnel auront à gérer
des litiges, et à refuser le départ d’un collègue », prévient Evelyn Bledniak, avo c ate
au cabinet Atlantes.
Pourtant, il n’est pas rare que les élus acceptent de laisser partir les volontaires sans
aucun projet professionnel. Leur objectif ?
Hervé LASSALLE >
Délégué central CFDT,
Alcatel Lucent
Souvent, le
volontariat n’est pas
réel, on a fait en
sorte de décourager
le salarié
« Éviter à tout prix les licenciements
contraints », résume Alain Faujas, du Monde.
« On sait que les salariés pro ches de la
retraite vont se retrouver au chômage, mais
au moins, ils l’auront choisi », t r a n che José
Desa Moreira, délégué CFDT de Faurecia,
qui prévoit de supprimer 1 215 postes et
vient de négocier des congés de mobilité.
Pour savoir ce que ces salariés deviennent, il
est possible de confier une mission de suivi
au cabinet de reclassement. À HewlettPackard, t rois syndicats ont mené une
enquête auprès des volontaires partis en
2003 : « Deux ans après, 25 % des gens qui
ont répondu ont échoué dans leur projet,
mais l’impact psychologique est moindre
que s’ils avaient été licenciés de manière
contrainte », se rassure Jean-Paul Vouiller,
délégué CFTC.
LES MESURES
COMPAGNEMENT
3 BDÉ’ACTONNER
Néanmoins, il ne faut pas se voiler la face :
« Dans beaucoup d’entreprises, le volontari at n’est pas réel, on fait en sorte de décourager le salarié en le mettant au placard,
reconnaît Hervé Lassalle, délégué central
CFDT chez Alcatel Lucent, où un plan de
d é p a rts volontaires est ouvert jusqu’à fin
juin. C’est un peu ce qui se passe en ce
moment sur un site commercial à Vélizy,
où les salariés dénoncent le fait qu’une partie
de leur travail est déjà délocalisée sans le dire
et qu’ils sont dépossédés de leurs projets.
Tout est fait pour les pousser à partir bien
qu’ils n’en aient pas envie. » Christian
Pellet confirme : « Le volontariat donne
bonne conscience à tout le monde alors
que, parfois, l’entreprise fait clairement
comprendre aux salariés qu’ils n’ont plus
leur place dans la société. »
L’aide au reclassement des salariés – plus
ou moins – volontaires s’avère donc aussi
indispensable que dans le cadre d’un PSE
classique. Or, « les représentants du personnel ont tendance à se focaliser sur le montant
de l’indemnité et à oublier les mesures de
reclassement », constate Julien Sport e s , de
Tandem Expertise. À savoir le suivi, par un
cabinet de reclassement, des aides financières
à la fo rm ation, à la création d’entreprise, à
la mobilité géographique, le paiement du
différentiel de salaire pendant un temps
donné… Chez Sanofi-Aventis, le congé de
mobilité ouve rt aux visiteurs médicaux
dure de dix-huit à vingt-quatre mois, avec
intégralité du salaire, trois ans de fo rm ation
payés et une prime de sortie allant jusqu’à
dix mois de salaire. « Dans le cadre du
plan de sauvegarde de l’emploi, nous avons
négocié des indemnités financières plus
intéressantes que celles prévues dans l’accord
REPÈRES
UTILISATION
DE LA RUPTURE
CONVENTIONNELLE
La loi précise bien que
la rupture conventionnelle
n’est en aucun cas applicable
dès lors que la rupture
du contrat résulte d’un PSE
ou de l’application d’un
accord GPEC. Néanmoins
note Evelyn Bledniak,
avocate au cabinet Atlantes,
« contrairement à l’accord
interprofessionnel
du 11 janvier 2008, la loi
n’interdit pas d’utiliser
la rupture conventionnelle
pour supprimer des emplois
par moins de dix.
Et l’employeur peut être tenté
de s’en servir pour éviter
l’information-consultation
du comité d’entreprise.
Mais une telle décision risque
fort d’être invalidée
par le juge, car la rupture
conventionnelle n’a pas été
prévue pour cela ».
Cependant, la DDTEFP,
GPEC », précise un représentant syndical. Les
experts préconisent de prévoir une somme
incitative, mais en aucun cas supérieure à
l’indemnité des licenciements contraints.
Car, malgré tout ce qui peut être négocié,
le volontariat ne suffit pas toujours pour
éviter les départs contraints. En 2007 et en
2008, Alcatel-Lucent proposait des prére-
qui homologue les demandes
de rupture conventionnelle,
ne contrôle pas le motif
de la rupture. Il appartient
alors aux élus d’être vigilants :
« Le seul moyen de contrôle
pour le comité d’entreprise
est de demander
tous les mois, dans
la situation d’effectifs,
le nombre de ruptures
conventionnelles (comptées
dans la case « autres
sorties »), les postes
concernés, et s’il vont être
remplacés. »
traites qui ont attiré 80 % de volontaires,
« mais, dans le nouveau plan en cours de
négociation, les mesures d’âge ne sont plus
possibles, et la direction ne trouvera pas assez
de volontaires. Reste à savoir la décision
qu’elle prendra », s’inquiète Hervé Lassalle,
qui se prépare déjà à rediscuter des critères
d’ordre. 1
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