l`homme sans qualités 1 - CDN Orléans Loiret Centre

Transcription

l`homme sans qualités 1 - CDN Orléans Loiret Centre
L’HOMME SANS QUALITÉS 1
SALLE BARRAULT
MER 06 OCT 2010 20H30
JEU 07 OCT 2010 19H30
VEN 08 OCT 2010 20H30
durée : 3h15 entracte compris
Spectacle en néerlandais, surtitré en français
DOSSIER DE PRÉSENTATION
l’homme sans
qualités
Un cycle en trois volets
Toneelhuis / Guy Cassiers
1
l’homme sans qualités I
L
e premier volet d’une trilogie basée sur le roman L’Homme sans
qualités de l’écrivain autrichien Musil, en collaboration avec De
Tijd.
L
’Homme sans qualités de Robert Musil est une fresque critique,
haute en couleur, ironique et grotesque d’une société qui danse
au bord du volcan, sans se douter de l’imminence de son explosion.
Cette explosion sera la Première Guerre mondiale, la société en
question est l’immense Empire multiculturel austro-hongrois, à la
fois Kaiserlich und Königlich, soit K & K, impérial et royal, d’où le
nom de Cacanie que Musil lui donnait en raillant. L’histoire se situe
en 1913, un an avant que n’éclate la Grande Guerre, qui sonnera
le glas de la Vieille Europe et signifiera la fin de l’Empire. Mais la
Cacanie est une métaphore toujours actuelle : le sentiment de vivre
dans une période de transition où toutes les valeurs vacillent, n’est
pas étranger à notre époque.
L
e roman est un échantillonnage de la sensibilité humaine et le
foyer dramatique de tout ce qui mènera au déclin d’une époque
grandiose. Musil est un ingénieur de l’âme humaine et un artisan
subtil qui met à nu les rouages de la vie sociale et politique.
M
usil mourut avant d’avoir pu achever son roman, qui compte
près de dix-huit cents pages dans sa forme actuelle. Cela
confère à L’Homme sans qualités le statut d’une symphonie
inachevée.
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mise en scène Guy Cassiers / Texte Robert Musil / adaptation Filip
VanLuchene / Dramaturgie Erwin jans / jeu dirk buyse, Katelijne
Damen, Gilda De Bal, Vic De Wachter, Tom Dewispelaere, Johan
Van Assche, Liesa van der Aa, Wim van der Grijn, Marc Van Eeghem,
Dries Vanhegen / concept stylistique & scénographie Enrico
Bagnoli, Diederik De Cock / MONTAGE d’images Frederik Jassogne
/ adaptation musicale et accompagnement live Johan Bossers /
COSTUMES BELGAT (VALENTINE KEMPYNCK WITH Johanna Trudzinski
) / Production Toneelhuis / Coproduction De Tijd, centre
dramatique national d’orléans /Loiret./centre, MAISON DE LA
CULTURE D’AMIENS, Centro Dramático Nacional (Gobierno de
España), holland festival / remerciements à Norbertijnerabdij
de Tongerlo / James Ensor, De Intrede van Christus in Brussel, ©
SABAM Belgium 2010 / Leonardo Da Vinci, Het Laatste Avondmaal
© HAL9000 Srl Novara, Italy - www.haltadefinizione.c om per
concessione del Ministero beni culturali - Soprintendenza per
i beni architettonici di Milano
Le script est basé sur la traduction en néerlandais d’Ingeborg Lesener (C) 1988/1989/1996 Ingeborg
Lesener et éditions J.M. Meulenhoff bv, Amsterdam.
Surtitrage en langue française d’après : L’homme sans qualités de Robert Musil, traduction française de
Philippe Jaccottet, publiée par Les Éditions du Seuil, 1956-1995
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l’homme sans qualités I
L
e premier volet du triptyque est une sorte de « dernière cène »
d’une civilisation qui n’a pas encore, ou refuse d’avoir, conscience
de son déclin.
C
ette première partie raconte les préparatifs de la célébration
des 70 ans de règne de l’empereur François-Joseph en 1918.
Un certain nombre de représentants des classes supérieures de la
société austro-hongroise se sont réunis dans ce qu’ils ont appelé «
l’Action parallèle » : un comité d’action qui rassemble les idées et
les projets pour cette célébration. À l’insistance de son père, Ulrich
est nommé secrétaire du comité. Ainsi, il rencontre les représentants
d’une société en déliquescence.
Musil se profile ici sous son aspect le plus acerbe, satirique. La
Cacanie est un monde en déclin, où le passé n’offre plus de repères,
l’avenir n’indique pas de nouvelle direction. Dans cette adaptation
théâtrale, Vienne est frappée par une épidémie : les chevaux sont
atteints de diarrhée violente. Alors que l’Action parallèle souhaite
montrer l’essence de la culture autrichienne, les chevaux inondent
les rues de crottin.
L
e spectacle montre un éventail de personnages surprenants
et hauts en couleur : le sceptique moral Ulrich ; l’égérie de
salon Diotime, le naïf général Stumm von Bordswehr ; l’industriel
et écrivain prussien Arnheim, un personnage au double agenda ; le
très conservateur comte Leinsdorf ; l’amateur de femmes et d’opéra,
le comte Tuzzi ; Bonadea, l’amoureuse ambitieuse ; l’hystérique
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Clarisse, qui ne jure que par Nietzsche, et Walter, son mari, l’artiste
raté. L’adaptation théâtrale introduit deux nouveaux personnages
: le cocher Palmer, qui commente les événements à partir d’une
perspective populaire et le comte Von Schattenwalt, un confident
du comte Leinsdorf qui, à mesure que le récit évolue, se révèle un
personnage dangereux aux idées d’extrême droite.
L
a technologie visuelle joue une fois de plus un rôle majeur.
Guy Cassiers transforme avec ingéniosité deux chefs-d’œuvre
de l’histoire de l’art : La Cène de Léonard de Vinci et L’Entrée du
Christ à Bruxelles de James Ensor. Dans le premier tableau tout
n’est qu’harmonie, ordre et hiérarchie, tandis que le second dépeint
un monde moderne grotesque, en déclin moral. La symétrie et
l’équilibre de La Cène se transforment en un cortège confus et
ubuesque dans l’Entrée. Derrière les masques caricaturaux d’Ensor
se cachent l’angoisse, l’insécurité, l’hypocrisie et le désespoir. Si le
Sauveur occupe une place centrale dans la fresque de Vinci, il se perd
quasiment dans la masse chez Ensor. L’Homme sans qualités brosse
un portrait sarcastique d’une société qui se survit. Le concept de la
cène et de l’entrée d’un Sauveur, maintenant dérisoire, correspond
au tableau que brosse Musil de la dégénérescence carnavalesque
d’une culture.
L
a musique occupe, elle aussi, une place privilégiée : pendant
le spectacle, le pianiste Johan Bossers interprète des motifs
de l’œuvre de Wagner. Ce dernier est au cœur du spectacle pour
deux raisons : d’une part, parce que sa musique joue un rôle
important dans le roman, et d’autre part, parce que Guy Cassiers
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L’homme sans qualités I © Koen broos
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L’homme sans qualités I © Koen broos
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travaille actuellement à la mise en scène des quatre volets du Ring
de Wagner et considère L’Homme sans qualités comme un autre
Crépuscule des Dieux.
L
es créatrices de costumes Valentine Kempynck et Johanna
Trudzinski se sont inspirées de la culture équestre si présente
à Vienne, à l’époque comme à ce jour. Le lipizzan est la fierté de
Vienne, et son École espagnole d’équitation est l’une des plus
anciennes au monde. Les costumes présentent bon nombre de
références ludiques à l’univers des chevaux : rosettes, bandages,
brides, selles, perruques en crin de cheval…
L
a deuxième et la troisième partie de la trilogie seront créées
au cours de la saison 2011-2012. L’Homme sans qualités
II (première en septembre 2011) raconte l’amour « incestueux »
d’Ulrich et de sa sœur Agathe. L’Homme sans qualités III (première
en avril 2012) nous fait affronter, par le biais de l’assassin et violeur
Moosbrugger, la face amorale et les pulsions inconscientes de la
société. Dans les deux premières parties, Moosbrugger est le sujet
de nombreuses conversations. Dans la troisième partie, il prend luimême la parole. Les trois volets montrent le prisme d’une société
en chute libre, dans laquelle tant les forces constructives que
destructrices se déchaînent.
L
e protagoniste du roman est Ulrich, un homme sans qualités,
qui croit plus en la potentialité qu’en la réalité. Le roman fait
s’entrelacer deux grandes lignes narratives : une satire politique et
une histoire d’amour. La première pose un diagnostic pertinent et
acerbe de l’époque, la seconde analyse les possibilités d’échapper
aux pressions et aux obligations de la société.
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WALTER (à propos d’Ulrich)
Cela revient à ceci. C’est simple. C’est un homme sans qualités. Il
y en a des millions de nos jours. C’est la race qu’a produite notre
époque. Tu n’as qu’à le regarder. A-t-il l’air d’un médecin, d’un
commerçant, d’un peintre… d’un diplomate, d’un mathématicien?
CLARISSE
Comment veux-tu que je sache de quoi peut avoir l’air un
mathématicien ?
WALTER
C’est bien ça. Un mathématicien n’a l’air de rien du tout. Il a l’air si
généralement intelligent que ça n’a plus aucun sens. À l’exception
des membres du clergé catholique, personne n’a d’ailleurs plus
l’air qu’il devrait avoir. Et réfléchis un peu à comment il est. Il
sait toujours ce qu’il doit faire. Il peut regarder une femme dans
les yeux. Il peut engager une réflexion sérieuse à tout moment.
Il peut boxer. Il est doué, énergique, sans préjugés, courageux,
endurant, réfléchi. Une à une, il aura bien toutes ses qualités,
mais il ne les possède pas, en fin de compte. Elles ont fait de lui
ce qu’il est, et déterminé son orientation. Et pourtant, elles ne lui
appartiennent pas. Quand il est en colère, quelque chose rit en
lui. Quand il est triste, il mijote quelque plaisanterie. Si quelque
chose le touche, il l’écarte. Il ne juge d’une cause qu’après avoir
entrevu les relations possibles Rien n’est stable, pour lui. Tout est
susceptible de changement, tout n’est que part d’un ensemble,
d’innombrables ensembles qui font probablement partie d’un
super-ensemble dont il ne sait cependant rien. Ce qui importe
pour lui dans une chose, ce n’est pas ce qu’elle est, mais une
manière d’être accessoire.
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Une esquisse historique
L
’Homme sans qualités de Robert Musil se déroule à Vienne
en 1913. Le roman se situe peu avant le début de la Première
Guerre mondiale, qui sonnera le glas de la vieille Europe.
L
’Autriche-Hongrie était un État d’Europe centrale, constitué en
1867 et qui perdura jusqu’en 1918. Cette fédération était née
de la fusion de l’Empire d’Autriche et du Royaume de Hongrie.
Au XVIIe et au XVIIIe siècle, l’Autriche était l’État le plus important
du Saint Empire romain germanique, dissous en 1806. Entretemps, la Prusse avait gagné en influence dans la Confédération
germanique, au détriment de l’Autriche. En 1848, année de
révolutions en Europe, tant les Hongrois que les peuples slaves
se soulevèrent, ce qui affaiblit l’empire. En outre, l’unification de
l’Italie et de l’Allemagne de Bismarck exerça une pression accrue.
Les Hongrois persistaient à revendiquer un Royaume de Hongrie à
part entière. Ils obtinrent cette reconnaissance après la défaite de
l’Autriche contre la Prusse en 1866. L’empereur François-Joseph
donna à la Hongrie le même statut qu’à l’Autriche, mais ignora
les revendications des peuples slaves, ce qui entretint les tensions
dans le royaume. L’Autriche-Hongrie demeura la proie de conflits
communautaires qui débouchèrent sur l’assassinat du prince
héritier en 1914, l’événement déclencheur de la Première Guerre
mondiale.
D
e 1848 à 1916, François-Joseph I fut empereur d’Autriche.
Dès 1867, s’ajoutèrent les titres de Roi de Bohème et de roi
apostolique de Hongrie et de Croatie. François-Joseph régna près
de 68 ans. L’Autriche-Hongrie fut aussi connue sous le nom de
Monarchie du Danube, Double Monarchie ou Monarchie K.&.K.
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(Kaiserlich und Köninklich : ce nom inspira à Robert Musil la Cacanie
de son roman).
E
n 1913, la Monarchie du Danube se composait des États
actuels d’Autriche, de Hongrie, de Tchéquie, de Slovaquie, de
Pologne, d’Ukraine et de l’ex-Yougoslavie, ainsi que des parties de
l’Italie. On y parlait allemand, hongrois, tchèque, croate, polonais,
ukrainien, slovaque, italien, serbe, roumain, bosniaque et slovène.
Le royaume comptait près de 51 millions d’habitants pour une
superficie d’environ 680 000 km2 (à titre de comparaison, la France
actuelle : 550 000 km2 et l’Allemagne : 360 000 km2), et avait
deux capitales : Vienne et Budapest. On y pratiquait cinq religions
officielles : le catholicisme, le judaïsme, l’islam, le protestantisme
et le christianisme orthodoxe. Il s’agissait en d’autres mots d’un
royaume multinational et multiculturel avant la lettre, avec diverses
langues et sous-cultures, toutefois dominé par les germanophones.
Ceux-ci se sentaient proches de la Nation allemande, elle-même
principalement dirigée par les Prussiens. Or entre la Prusse et
l’Autriche, les tensions furent constantes. Musil a concentré ces
tensions dans le personnage de l’industriel prussien Arnheim.
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L’homme sans qualités I © Koen broos
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L’homme sans qualités I © Koen broos
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La dissolution de la Monarchie du Danube
C
e que L’Homme sans qualités nous donne à voir est la
dissolution de l’Empire. Ceci, non pas dans l’optique de
révoltés ou de révolutionnaires, mais dans celle de la classe sociale
qui n’est que peu, voire pas du tout, consciente des importants
changements qui se préparent. Les grands conflits de l’empire
sont toujours évoqués de manière indirecte, et souvent en termes
voilés.
À
travers le texte de Musil résonne une série de thèmes
(politiques) contemporains : l’Europe, l’identité nationale,
le séparatisme, le racisme, l’extrême droite, les problèmes
communautaires, les conflits linguistiques, le fossé entre les
citoyens et la politique, le rôle de l’économie et de l’argent mêlé à
un attrait de la spiritualité et du mysticisme, etc.
L
es différents personnages autour de l’Action parallèle
représentent diverses attitudes à l’égard de la crise politique,
sociale et culturelle sévissant dans leur empire.
L
’adaptation théâtrale a réorganisé et introduit un certain
nombre d’éléments dans l’histoire. Ainsi, la Bonadea de la
pièce est une synthèse de deux personnages du roman : Bonadea
et Gerda. Le cocher Palmer et le comte Von Schattenwalt sont de
nouveaux personnages. La diarrhée chevaline qui frappe Vienne
est également un élément ajouté dans l’adaptation.
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Diotime (Gilda De Bal)
“Devons-nous nous résigner à cette époque matérialiste qui a fait du
monde un jeu futile et criminel, dans lequel un être doué d’âme, pris
entre l’athéisme, le socialisme et le positivisme, n’a pas la possibilité de
s’élever à la hauteur de sa vraie nature ? Je ne veux pas que ce salon
soit un jouet ; Son Altesse sérénissime m’a confié que la grande Action
patriotique a besoin du couronnement d’une grande idée, et je veux la
trouver à tout prix. Donner réalité avec les moyens de tout un Empire, et
sous les yeux attentifs du monde entier, à l’un des plus grands thèmes
de la culture, ou du moins, plus modestement, qui révélerait l’intimité
de la culture autrichienne.”
Comte Leinsdorf (Vic De Wachter)
“Austriae Est Imperare Orbi Universo. Il appartient à l’Autriche de
commander tout l’univers. Cette maxime, qui orne le fronton de bon
nombre de nos bâtiments, nous rappelle notre grande mission : réunir
unanimement les différentes tribus de notre empire impérial-royal avec
Vienne pour phare. Notre Ringstrasse est unique en son genre, nulle part
au monde il est possible de voir, au milieu de l’élégance européenne la
plus raffinée, un mahométan avec un fez rouge, un Slovaque en peau
de mouton et un Tyrolien aux jambes nues. C’est précisément parce
que cette action patriotique émane du peuple qu’elle doit être dirigée
d’en haut.
Chacun d’entre nous est rempli de fierté à l’idée de la noblesse de
cet ancien État et du désir d’en montrer l’exemplarité aux peuples de
l’Europe, car les peuples de l’Europe se laissant tous entraîner dans
le maelström d’une démocratie matérialiste, l’Action parallèle doit être
à la fois un avertissement et un signe de repentir. Elle doit tendre à
mettre l’Autriche à la tête de tous les États afin que cette manifestation
somptueuse de la vitalité autrichienne soit un jalon de l’histoire et serve
à lui remettre sa véritable nature en mémoire.”
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de l’ensemble. Depuis que l’Église a perdu de son influence, il n’y a plus
d’autorité dans notre chaos.”
Le cocher Palmer (Marc Van Eeghem)
“Un bien frais et charmant minois, la petite soubrette qui vous a fait
sortir. Une étrangère pas de chez nous, pour sûr, elle a quelque chose
d’arabe ou d’algérien ou de juif, avec ces yeux de braise… Il y a de
plus en plus d’étrangers dans la ville, les derniers temps, des nègres,
des juives parmi les gens de maison. Des Arabes, des Turcs parmi les
mitrons et les garçons bouchers… Comme si nous n’avions pas assez
de Hongrois et de Bohémiens qui ont le droit de se dire citoyens.”
Arnheim (Johan Van Assche)
“Je me suis moi aussi penché sur la question de l’âme, et en ma qualité
d’important entrepreneur commercial, j’ai toujours considéré comme
un défi d’essayer d’atteindre la fusion de l’âme avec l’économie.
Curieusement, mes écrits à ce sujet ont connu le succès, et le temps
de l’hostilité aux spécialistes a déjà commencé. Il s’agit de créer de
nouveaux liens, des liens inexploités par-delà les spécialisations.”
Walter (Dires Vanhegen)
“Je ne veux pas savoir ce qu’Ulo t’a raconté, Clarisse, mais je peux te
dire que la force que tu admires en lui n’est que du vide. Il est facile
d’avoir des sentiments héroïques quand on est insensible de nature. Et
de penser en kilomètres quand on ne sait pas quelle plénitude recèle le
moindre millimètre.”
Clarisse (Katelijne Damen)
“La plus grande bassesse n’est pas de faire, mais de laisser faire.”
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Ulrich (Tom Dewispelaere)
“Essayons de nous aimer comme si vous et moi étions les personnages
d’un écrivain, qui se rencontrent dans les pages de son livre.”
Comte Von Schattenwalt (Wim Van der Grijn)
“La marque de la véritable originalité n’est pas dans la vanité de la
particularité, mais consiste à s’ouvrir, dans une part toujours plus haute
de participation et de dévouement, et jusqu’au sacrifice ultime, à une
communauté d’anonymes qui se fondent dans la masse. C’est qu’alors
que le moi trouve son essence ; et de nos jours il ne se révèle pas plus
clairement que dans un éclair, dans une perception extracorporelle qui
n’a de retombées que dans les grandes œuvres d’art qui en sont le
symbole, dans la beauté de la discipline d’un corps de police. Toute
une rue pleine d’hommes qui se meuvent de la même manière, vêtus
du même uniforme.
C’est la grande tâche politique de notre époque. Soit le Royaume sombre
sous le poids des radotages parlementaires, le chaos communautaire
et les influences étrangères, soit il se range comme un seul homme
derrière son fils le plus fort et se laisse aveuglément guider par lui.”
Comte Tuzzi (Dirk Buyse)
“L’heure n’est pas à l’expérimentation, à l’aventure irréfléchie. Ce dont
nous avons besoin, c’est de stabilité et de confiance.”
Général Stumm von Bordswehr (Marc Van Eeghem)
“Peut-être est-ce dû à mon esprit de soldat. Lorsqu’on s’est longtemps
tenu entre les idées, tout votre corps démange même si l’on se gratte
jusqu’au sang ! Monsieur Arnheim, vous êtes-vous jamais demandé
combien de livres on imprime chaque année ? Plus de cent par jour.
Et l’on fonde chaque année plus de mille périodiques ! Chacun écrit
quand cela lui chante, personne ne pense à prendre la responsabilité
17
La dissolution de l’âme
L
a seconde ligne narratrice, qui se trame autour d’Ulrich, Walter,
Clarisse et Bonadea, relate une crise intérieure. Nous sommes
face à des personnages sensibles, des artistes et des intellectuels. Ce
sont des « exaltés » pour renvoyer à une autre œuvre de Robert Musil.
La Vienne de Musil était aussi celle de Klimt, Freud, Wittgenstein,
Kokoschka, Loos, Schönberg, Kraus et Zweig : l’une des époques
culturelles les plus riches, les plus fertiles de l’histoire moderne,
pendant laquelle tous les concepts traditionnels de la philosophie,
la philologie, la littérature, l’art pictural, l’architecture, la musique, la
médecine, etc. furent remis en question, et souvent jetés aux orties.
C’est l’époque qui voit émerger l’image d’un homme nouveau dans
un monde nouveau. Dans le spectacle, ce combat s’observe chez les
personnages suivants :
Clarisse
“Existe-t-il un pessimisme de la force ? Une prédilection de l’intelligence
pour ce qui est rude, effrayant, mauvais ? Un abîme de tendances
amorales ? Un désir du terrible considéré comme le seul ennemi
digne de nous ? De tels mots, me mettent en bouche une excitation
sensuelle, douce et puissante comme du lait.”
Bonadea
“Nous sommes tous les victimes d’une hypersensibilité constitutionnelle.
J’ai le cœur à faire des folies. Les folies du cœur sont aussi honorables
que les crimes romantico-politiques. Cela finit toujours par faire rentrer
dans l’ordre ce dont la raison n’a pu venir à bout.”
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Walter (à propos d’Ulrich)
“C’est bien ça. Un mathématicien n’a l’air de rien du tout. Il a l’air si
généralement intelligent que ça n’a plus aucun sens. À l’exception
des membres du clergé catholique, personne n’a d’ailleurs plus
l’air qu’il devrait avoir. Et réfléchis un peu à comment il est. Il sait
toujours ce qu’il doit faire. Il peut regarder une femme dans les yeux.
Il peut engager une réflexion sérieuse à tout moment. Il peut boxer.
Il est doué, énergique, sans préjugés, courageux, endurant, réfléchi.
Une à une, il aura bien toutes ses qualités, mais il ne les possède
pas, en fin de compte. Elles ont fait de lui ce qu’il est, et déterminé
son orientation. Et pourtant, elles ne lui appartiennent pas. Quand
il est en colère, quelque chose rit en lui. Quand il est triste, il mijote
quelque plaisanterie. Si quelque chose le touche, il l’écarte. Il ne
juge d’une cause qu’après avoir entrevu les relations possibles Rien
n’est stable, pour lui. Tout est susceptible de changement, tout
n’est que part d’un ensemble, d’innombrables ensembles qui font
probablement partie d’un super-ensemble dont il ne sait cependant
rien. Ce qui importe pour lui dans une chose, ce n’est pas ce qu’elle
est, mais une manière d’être accessoire.”
Ulrich (à propos de Walter)
“Walter lutte et il souffre pour sauvegarder la pureté de son activité
intellectuelle, comme il convient à un génie. Il le paie avec l’enjeu
d’un talent qui ne créera jamais rien de vraiment grand.”
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Robert Musil
R
obert Musil est né le 6 novembre 1880 à Klagenfurt, en Carinthie, dans le sud de l’Autriche. Son père, ingénieur en mé-
canique, travaille d’abord pour un fabricant de machines, devient
ensuite directeur d’une école technique publique, et enseigne enfin
à l’École Polytechnique de Brünn. De même que son épouse Hermine Bergauer, Musil père est originaire d’un milieu bourgeois, dans
lequel on occupait le plus souvent des fonctions publiques ou militaires.
A
dulte, Robert Musil ne se souvient pas grand-chose de son enfance et de son adolescence, et le peu de souvenirs qui lui
restent ne sont pas particulièrement positifs. De nature introvertie,
il a du mal à se soumettre aux conventions imposées aux enfants.
Ainsi, des images croquées dans son journal intime et des ébauches
d’autobiographie nous apprennent que son activité favorite était de
regarder par la fenêtre de la maison familiale et de fixer au hasard
ce qui attirait son regard. Plus tard, cette image d’une personne méditant à la fenêtre reviendra plus que toute autre dans son œuvre.
Dans le roman L’homme sans qualités, le lecteur rencontre Ulrich
pour la première fois contemplant Vienne derrière la fenêtre de sa
nouvelle demeure.
M
usil quitte la maison familiale dès 1892 et entre comme interne au collège militaire d’Eisenstadt. Il s’inscrit à l’académie
militaire de Vienne en 1897, mais renonce bien vite à la carrière des
armes. Il opte pour l’École Polytechnique de Brünn, où il obtient son
diplôme d’ingénieur en 1901. Ensuite, il effectue son service militaire dans l’infanterie à Brünn. C’est alors qu’il découvre et dévore les
œuvres de Nietzsche et d’Ernst Mach. Celles-ci ont fortement contribué à la réflexion intellectuelle et à l’écriture de Musil. La pensée de
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Nietzsche à propos de la morale, de la foi, des relations humaines,
de la justice et de l’injustice résonne à divers niveaux dans l’œuvre de
Musil. Peu de temps après, Musil perd ses illusions professionnelles :
sa fascination initiale pour le caractère rationnel de la technique disparaît et la littérature devient sa seule issue. En 1903, il entame des
études de philosophie et de psychologie à l’Université de Berlin. En
1908, il est promu après avoir soutenu sa thèse sur les possibilités et
les limites des sciences naturelles. C’est à Berlin qu’il commence les
premiers jets de L’Homme sans qualités : on a retrouvé des annotations sur ses amis d’enfance Gustav Donath et Alice Charlemont, qui
lui ont inspiré les personnages de Walter et de Clarisse.
M
usil commence à écrire le roman L’Homme sans qualités en
1921 et continuera à y travailler jusqu’à son dernier souffle.
Le roman lui coûte bien de la peine : il écrit beaucoup, mais n’a
de cesse de retravailler, réadapter et réagencer le tout. La première
partie du roman est publiée en 1930. La deuxième partie paraît en
1933. Dès l’avènement du nazisme, Musil quitte Berlin et s’installe à
Vienne. Plus tard, les nazis qui ne l’apprécient guère interdiront ses
livres. En 1938, après l’Anschluss, Musil et sa femme partent pour
l’Italie, puis pour la Suisse. Aux autorités autrichiennes, il prétend
partir pour des raisons de santé, car s’il émigre officiellement, tous
ses avoirs pourraient être saisis. Ce qui n’empêchera pas que, vers
la fin de la guerre, tous ses papiers, notes, livres, meubles et autres
effets personnels d’être anéantis.
M
usil travaille à L’Homme sans qualités jusqu’au jour de sa mort,
le 15 avril 1942. Ce jour-là, il passe la matinée à écrire à son
bureau. L’après-midi, il prend une douche et lorsque sa femme entre
dans la salle de bain, quelques minutes plus tard, elle le trouve décédé : un accident cérébral. Il laisse deux caisses de manuscrits, parmi
lesquels la troisième partie, inachevée, de L’homme sans qualités.
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E
n 1982, Adolf Frisé établit dans son Plädoyer für Robert Musil
une liste des jugements que les personnes ayant connu Musil
ont portés sur lui : froid, fier, introverti, de glace, impitoyable dans
ses jugements, acerbe, orgueilleux, élégant, poli, soigné, distant, bureaucrate, intègre, forte personnalité mais peu sympathique, fier de
son passé militaire et de ses faits de guerre, inaccessible, frustré de
ne pas être reconnu, réservé, solitaire, apostrophant les gens sur un
ton martial, plus souvent dénigrant que flatteur. Ces qualités sont
souvent mentionnées d’un trait dans les biographies de Musil, ainsi
que deux autres aspects ayant joué un rôle important dans sa vie ;
la pauvreté dans laquelle il a vécu la plus grande partie de son existence et son attitude à l’égard d’autres auteurs.
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Biographies
Guy Cassiers
Guy Cassiers (1960) est compté au rang des créateurs de théâtre
les plus innovants d’Europe. Il a développé un langage dramaturgique très personnel, dans lequel la technologie visuelle se marie
heureusement à la passion de la littérature. Les points culminants,
parmi ses spectacles sont le cycle Proust en quatre volets et Rouge
décanté, d’après le roman du même nom de Jeroen Brouwers.
Les dernières années l’ont vu travailler d’arrache-pied au Triptyque
du pouvoir (Mefisto for ever, Wolfskers et Atropa. La vengeance de
la paix) soit sur les relations complexes entre l’art, la politique et le
pouvoir. Il retravaille ces thèmes dans la trilogie de L’Homme sans
qualités, le roman de Robert Musil. Le premier volet de cette trilogie
a vu sa première à la fin de la saison 2009-2010.
Que, outre l’image, la musique occupe un rôle de plus en plus
important dans ses spectacles, a été prouvé une fois de plus dans
ses nouvelles créations d’opéra en 2009 : House of the Sleeping
Beauties (musique Kris Defoort) et Adam in Ballingschap (musique
Rob Zuidam). Et sa mise en scène du cycle wagnérien L’Anneau du
Nibelung à Berlin et Milan n’est pas le fruit du hasard.
L’intérêt que Guy Cassiers porte à l’histoire européenne, et le sentiment qui l’anime, à savoir que nous vivons un point de rupture,
vont croissant. Cette optique se dessine de plus en plus clairement
dans les projets de théâtre actuellement en chantier.
Dirk Buyse (°1946) achève ses études de mise en scène théâtrale à l’école RITS à Bruxelles, en 1970. Comédien et metteur en
scène indépendant, il participe à plusieurs productions de théâtre
dans diverses maisons flamandes, principalement chez Arca, De
Tijd et Braakland-Zhebilding. De 1975 à 1985, il est directeur artistique/metteur en scène/comédien au Brussels Kamertoneel. Il
23
enseigne depuis plus de vingt ans la pratique de la scène aux étudiants en arts dramatiques de l’école RITS à Bruxelles.
En 2010, on peut le voir dans la première partie de la trilogie Musil
de Guy Cassiers, L’homme sans qualités I.
Katelijne Damen a travaillé, entre autres, avec les compagnies
Blauwe Maandag, Het Zuidelijk Toneel, Cie De Koe et le RO Theater
et avec les metteurs en scène Luk Perceval, Eric De Volder, Ivo Van
Hove, Alize Zandwijk, Dirk Tanghe, Guy Joosten et Guy Cassiers.
Pour la télévision, elle a travaillé avec e.a. Guido Henderickx, Frank
Van Passel, Jan Matthys et Maarten Moerkerke. Début 2009, on a
pu la voir dans la série télévisée à succès De Smaak van De Keyser,
appréciée au-delà des frontières nationales. En 1990, elle obtient le
Theo d’Or (prix du théâtre des Pays-Bas) pour son rôle dans la pièce de théâtre Strange Interlude et en 1996, elle se voit attribuer le
prix Mary Dresselhuys pour son « engagement total pour le théâtre
et l’ensemble de sa carrière ». En 2006, elle est sélectionnée pour
le prix de théâtre Colombina pour son interprétation de Vera dans
Hersenschimmen (Chimères).
À la Toneelhuis, on a pu la voir dans différentes productions, dont
De geruchten (La rumeur) d’Olympique Dramatique et Guy Cassiers, Mefisto for ever, Atropa. La vengeance de la paix et Sous le
Volcan. Au cours de la saison 2010-2011, elle joue dans L’homme
sans qualités I et dans Sang et roses. Le chant de Jeanne & Gilles.
Gilda De Bal a fait partie du Brusselse Koninklijke Vlaamse
Schouwburg pendant onze ans, d’Acra pendant trois ans et de la
Blauwe Maandag Compagnie pendant dix ans. Elle a joué le rôle
principal dans les films De Verlossing de Hugo Claus et De zusjes
Kriegel de Marc De Bel. Elle a incarné la maman dans De helaasheid der dingen de Felix Van Groeningen.
On a également pu voir Gilda De Bal à la télévision, entre autres,
24
dans la série Heterdaad, dont elle a incarné le rôle principal quatre
ans durant ; dans 25 épisodes de l’émission de voyage 2x enkel
sur Canvas, qu’elle présentait avec Chris Dusauchoit en 2001 ; et
récemment, dans la série télévisée de VTM De Rodenburgs, dans
laquelle elle a interprété ave brio le rôle de Bénedicte RodenburgCénépart, la mater familias.
Depuis 2000, Gilda De Bal travaille régulièrement avec la Toneelhuis. En 2004, elle a reçu le prix Colombina pour le meilleur second
rôle féminin de la saison de théâtre néerlandophone, celui de Maria
Vassilievna, mère de Vania, dans Oncle Vania d’après Tchekhov. En
juin 2006, elle joue dans la première mise en scène de Guy Cassiers pour la Toneelhuis, Onegin, et puis dans Mefisto for ever, Een
geschiedenis van de wereld in 10 ½ hoofdstuk, Wolfskers et Atropa.
La vengeance de la paix. La saison 2010-2011 la verra dans la première partie de la trilogie Musil, L’homme sans qualités I.
Vic De Wachter a été lié pendant plusieurs saisons aux compagnies Reizend Volkstheater, KVS et Arca, et a joué dix ans avec la
Blauwe Maandag Compagnie. En 1990, il obtient aux Pays-Bas le
prix VSCD Arlecchino pour son interprétation de Basov dans Zomergasten. Outre ses apparitions sur les planches, on le voit souvent à
l’affiche de films, comme De Leeuw van Vlaanderen (Hugo Claus,
1985), De Zaak Alzheimer (Eric Van Looy, 2003) et De Indringer
(Frank Van Mechelen, 2005) et dans diverses séries télévisées, dont
la récente De Smaak van De Keyser (2008). Il prête par ailleurs sa
voix à plusieurs personnages de dessins animés.
Depuis 1998, Vic De Wachter travaille régulièrement avec la Toneelhuis : en 2006, il collabore pour la première fois avec Guy Cassiers
dans Onegin, et puis dans Mefisto for ever, Een geschiedenis van
de wereld in 10 ½ hoofdstuk, Wolfskers et Atropa. La vengeance
de la paix. Il fait partie de la distribution de la première partie de la
trilogie Musil, L’homme sans qualités I et de la nouvelle production
25
de la Toneelhuis, Sang et roses. Le chant de Jeanne & Gilles, dont
la première aura lieu en 2011.
Tom Dewispelaere forme avec Ben Segers, Stijn Van Opstal et
Geert Van Rampelberg le collectif de théâtre Olympique Dramatique. Avec des pièces comme De Krippel, De Jossen, De kale zangeres et Donkisjot, le collectif a obtenu la reconnaissance du public
pour ses adaptations audacieuses et ses interprétations pétillantes.
Tom Dewispelaere a joué dans Neen Serieus, 3 Kleuren wit, Het
Aanzoek, De parelvissers, Oom Wanja, Andromak, The Lieutenant
of Inishmore, Mama Medea, De Theatermaker, Lits Jumeaux, Baron von Munchausen, Peer Gynt, Nachtmoeder van de dag, Generation Vickx et Onegin. La saison passée, on a pu le voir aux côtés
de Stijn Van Opstal et Ben Segers dans De geruchten, leur première
collaboration avec Guy Cassiers.
Johan Van Assche (°1956) achève ses études au Conservatoire
d’Anvers en 1979, alors dirigé par Dora Van der Groen. Quelques
années plus tard, il y enseigne lui-même et en 1995, il devient coordinateur de la formation d’arts dramatiques. Depuis 2001, il est
membre de la direction artistique du Studio Herman Teirlinck. Van
Assche est comédien et cofondateur de la compagnie Het Gezelschap van de Witte Kraai, qui fusionnera plus tard avec De Tijd. En
1987, il devient directeur artistique de la compagnie De Tijd. Jusqu’en 2000, il travaille régulièrement en tant que comédien indépendant avec Het Zuidelijk Toneel à Eindhoven. Il ne se borne pas
à jouer, mais met également en scène : pour de Tijd, il dirige, entre
autres, Bérénice, Bal van de pompiers et Husbands and wives. En
2004, il met en scène Zullen we het liefde noemen pour ’t Arsenaal
à Malines. On peut en outre le voir régulièrement à la télévision
(Niet voor publicatie, Recht op recht, Flikken, Witse, Rupel…) et
au cinéma (Egmont, De zaak Alzheimer, De hel van Tanger…). En
26
2010, il est à l’affiche de la première partie de la trilogie Musil,
L’homme sans qualités I.
Liesa Van der Aa (°1986) achève ses études à la section variétés
du Studio Herman Teirlinck en 2008, avec un projet musical personnel, qui s’appuie sur la combinaison de sa voix et d’un violon.
En 2009, elle se produit seule sur scène durant la tournée littéraire
Saint Amour, donne des concerts avec son groupe Louisa’s Daughter, joue avec plusieurs autres groupes et continue à travailler à ses
projets en solo. Ses compositions musicales empruntent également
la voie du théâtre ; ainsi, elle écrit avec Pieter-Jan De Smet la musique du spectacle En hij sprak tot zijn hart (LOD), travaille avec des
collectifs de théâtre comme 4 Hoog, FC Bergman et De Filmfabriek.
À la Toneelhuis, elle joue dans De geruchten d’Olympique Dramatique et Guy Cassiers, et collabore par la même occasion avec le
concepteur sonore Diederik De Cock. En 2010, elle participe à la
première partie de la trilogie Musil, L’homme sans qualités I.
Wim Van der Grijn (°1946) achève ses études au cours d’art
dramatique Toneelschool d’Amsterdam en 1967. Ensuite, il effectue un parcours impressionnant en tant que comédien et travaille
avec de multiples metteurs en scène, dans plusieurs théâtres en
Flandre et aux Pays-Bas, dont Toneelgroep Centrum (avec lequel
il obtient un Louis d’Or), Publiekstheater, Zuidelijk Toneel Globe,
Art+Pro, KVS, Kaaitheater, Nationaal Toneel et Theater Malpertuis.
Depuis quelques années, il participe également à des spectacles de
la compagnie De Tijd, et c’est aux côtés de deux autres comédiens
de cette compagnie, Johan Van Assche et Dirk Buyse, qu’il est à
l’affiche de la première partie de la trilogie Musil, L’homme sans
qualités I.
27
Marc Van Eeghem achève ses études au Studio Herman Teirlinck à
Anvers en 1983, et participe ensuite à diverses productions de théâtre
en Belgique et aux Pays-Bas. Il travaille, entre autres, avec les compagnies Arca, De Tijd, Het Zuidelijk Toneel, Toneelhuis, DAS-theater et ‘t Arsenaal. À la télévision, on a pu le voir dans des séries telles que Katarakt,
De Parelvissers, Matroesjka’s et Terug naar Oosterdonk.
À la Toneelhuis, il a joué dans De geruchten d’Olympique Dramatique et
Guy Cassiers et dans Mefisto for ever, Wolfskers, Sous le volcan, et en
2010, dans de L’homme sans qualités I, de Guy Cassiers.
Dries Vanhegen (°1967) fait ses études au Conservatoire d’Anvers et
jour ensuite tant aux Pays-Bas avec le Noord Nederlands Toneel à Groningen, l’ALBA et Het Nationale Toneel à La Haye, qu’en Flandre avec
Het Manifest, Malpertuis/De bloedgroep, Mathilde Speelt et BAFF. Il participe aussi à plusieurs séries télévisées et interprète le rôle-titre du film
Ex-drummer (2007), inspiré du roman de Herman Brusselmans.
À la Toneelhuis, on a pu le voir au cours des dernières années dans des
productions de De Filmfabriek, comme De wilde wilde weg et De indringer, ainsi que dans Wolfskers de Guy Cassiers. En 2010, il participe à la
première partie de la trilogie Musil, L’homme sans qualités I.
Le pianiste Johan Bossers a étudié auprès de Simone Willems, Frédéric Gevers et Levente Kende, dont il a été l’assistant pendant de nombreuses années. Sous la direction de Leo Verheyen, il remporte le concours Orpheus, en 1987.
Il travaille ensuite de manière indépendante avec divers orchestres symphoniques et ensembles de musique contemporaine nationaux, comme
Champ d’action, Zeitklang, Ictus, Spectra, Oxalys, hetCollectief, QO-2,
I Fiamminghi, Musiques Nouvelles… Il a ainsi pu travailler de manière
directe avec des compositeurs comme L. Berio, S. Reich, H. Pousseur,
K. Saariaho, J. Harvey, C. Newman, P. Eötvös, T. Johnson, W. Rihm, C.
Wollf, F. Rzewski, A. Coleman. En tant que répétiteur au Théâtre royal
28
de la Monnaie, il a participé, outre au répertoire classique, à des
opéras de Ligeti, Nono, Carter, Zimmermann, Ullmann… Dans le
champ du théâtre musical, il se produit en tant qu’interprète, mais
assure aussi les fonctions d’arrangeur, de compositeur et de dramaturge musical pour, entre autres, Thierry Salmon, Jan Lauwers,
Lorent Wanson, Claudio Bernardo, Isabelle Pousseur, Sam Bogaerts, Enrico Bagnoli, Caroline Petrick… On peut l’entendre jouer
sur des CD de Brewaeys (Megadisc), Scelsi (SubRosa), R. de Putter (SubRosa), Wolpe (SubRosa)…Les enregistrements de Wolpe
pour NEOS (Munich) lui ont valu des commandes de composition
de Dietrich Eichmann, Christoph Ogiermann, Samir Odeh-Tamimi,
Marcel Dortort… Récemment, DeutschlandRadio a consacré une
émission entière à son portrait et sa carrière. Outre sa participation
fixe au projet d’improvisation Vollemaan, il réalise d’innombrables
projets et compositions dans le cadre de son enseignement du
piano, afin d’aider activement des jeunes à étendre leurs modes
d’expression grâce à la musique contemporaine.
Enrico Bagnoli commence sa carrière théâtrale en tant que
technicien, mais depuis 1985, il conçoit la lumière de spectacles
et a ainsi collaboré avec, entre autres, Luk Perceval, Guy Cassiers,
Thierry Salmon et Raoul Ruiz. Avec Marianne Pousseur, il a mis
en scène et créé le décor et la lumière de différents spectacles et
opéras. Il conçoit aussi la lumière d’expositions, travaille en tant
que consultant lumière avec de nombreux architectes et développe
des logiciels pour des dispositifs lumineux et multimédias. Il fait
entretemps partie de l’équipe fixe de Guy Cassiers.
Le concepteur de sons Diederik De Cock explore les sons analogiques et l’univers sonore d’instruments comme la batterie, la guitare, le saxophone et le piano. Il crée des paysages sonores inhabituels qu’il marie à des sonorités différentes pour ainsi obtenir des
29
univers acoustiques particuliers.
En 2000, il rencontre Guy Cassiers et travaille depuis lors avec lui,
entre autres, pour le cycle Proust et les spectacles Bezonken rood,
Hersenschimmen, De geruchten, de Triptiek van de macht et cette
saison pour L’homme sans qualités I.
Valentine Kempynck (°1963) est une autodidacte dont la pratique artistique touche à la conception de costumes et au stylisme,
tant pour des créateurs de théâtre que pour une œuvre plastique
autonome. La simplicité et les extrêmes sont des éléments récurrents de ses créations ; la réalité qui nous entoure est sa principale
source d’inspiration.
Elle collabore en particulier avec des créateurs de théâtre qui placent l’image et le son sur le même plan que le langage parlé. Ainsi,
elle a conçu les conçu les costumes et le stylisme de productions
d’entre autres, Ivo Van Hove (entre 1985 et 1990, e.a. pour Gered
et Don Carlos), Johan Simons (à l’époque de Hollandia, entre 1990
et 1995, e.a. Leonce en Lena et Gelukkige Dagen), Guy Cassiers
(The Woman Who Walked into Doors - 2001, le cycle Proust - 20022004), et Benjamin Verdonck (I like America and America likes me
- 2003, WEWILLLIVESTORM – 2003, hirondelle/dooi vogeltje/the
great swallow – 2004).
Son œuvre plastique autonome se situe sur le plan tangent de
l’architecture et de l’installation. Son œuvre la plus récente, Bankje,
est à voir sur différents toits en Belgique et aux Pays-Bas. Valentine
Kempynck conçoit les costumes du spectacle L’homme sans qualités I, mis en scène par Guy Cassiers (juin 2010).
30
L’homme sans qualités I © Koen broos
31
l’homme sans qualités II
L
e second volet se focalise sur l’amour entre Ulrich et Agathe.
Bien que frère et sœur, ils ne se sont plus vus depuis leur petite
enfance. Après la mort de leur père, ils reprennent contact. Entre
eux naît un lien intense, qui oscille entre le mystique et l’inceste.
Ulrich et Agathe veulent échapper au déclin imminent, en pénétrant
un monde qui n’existe pas encore. Ils sont des êtres de la possibilité,
dans le sens musilien du mot. Pour eux aussi, la langue est le
moteur du mécanisme d’évasion, mais elle diffère du tout au tout
à celle du premier volet. Ils sont beaucoup plus lucides et ont une
idée plus claire du déclin. Ils y répondent de façon poético-perverse,
philosophico-incestueuse. Les deux autres personnages, Walter et
Clarisse, sont une sorte d’alter ego des protagonistes. L’équivalent,
dans l’art pictural, est l’œuvre symboliste : une tentative de faire
fusionner le physique et le spirituel. Contrairement aux personnages
du premier volet, les deux couples sont des figures complexes dont
Musil analyse l’identité psychique et sexuelle. Les autres personnages
sont présents sous une forme spectrale par le biais d’images vidéo.
jeu Katelijne Damen, Gilda De Bal, Vic De Wachter, Tom Dewispelaere,
Marc Van Eeghem, LIESA VAN DER AA / Production Toneelhuis /
coproduction holland festival, grand théâtre de luxembourg,
et autres
32
l’homme sans qualités III
M
usil n’a pas achevé son roman. L’une des pistes possibles,
retrouvées dans ses notes, est l’évasion de l’assassin et
délinquant sexuel Moosbrugger. Dans le troisième volet, Moosbrugger
prend la parole dans un monologue. C’est le bas-ventre de la
société, l’occulté et l’inconscient, que s’expriment par sa bouche.
Les tableaux de Francis Bacon, avec leurs figures encore à peine
humaines emprisonnées dans des cages sont la référence picturale.
Dans ce volet, le reste de la société est présent sous une forme
spectrale (en projection). À mesure que le cycle se déroule, la
société perd de sa présence matérielle et spirituelle, et il n’en reste
qu’un brut substrat animal.
jeu
Johan Leysen / Production Toneelhuis
/ coproduction
holland festival, grand théâtre de luxembourg, et autres
33
TOURnée
L’homme sans qualités I
première 10 juin 2010
juin 2010 – novembre 2010
L’homme sans qualités II
première septembre 2011
octobre – décembre 2011
L’homme sans qualités III
première avril 2012
mai – juin 2012
L’homme sans qualités: trilogie
juin – novembre 2012
34
TOURnée
L’homme sans qualités I
10-12/06/10
Toneelhuis, Bourla (BE)
15-19/06/10
Toneelhuis, Bourla (BE)
08-12/07/10
Festival d’Avignon, Opéra-Théâtre (FR)
15-17/07/10
Theater der Welt, Grillo Theater Essen (DE)
10-11/09/10
Toneelhuis, Bourla (BE)
15-19/09/10
Toneelhuis, Bourla (BE)
21/09/10
CC De Spil, Roeselare (BE)
24/09/10
Chassé Theater, Breda (NL)
29-30/09/10
Vooruit, Gent (BE)
01-02/10/10
Vooruit, Gent (BE)
06-08/10/10
CDN Orléans, Salle Jean-Louis Barrault (FR)
12/10/10
CC Brugge, schouwburg (BE)
16/10/10
CC Hasselt, schouwburg (BE)
19/10/10
Parktheater Eindhoven, schouwburg (NL)
21-23/10/10
Kaaitheater, Brussel (BE)
26/10/10
Stadsschouwburg Utrecht (NL)
29-30/10/10
Stadsschouwburg Amsterdam, Rabozaal (NL)
04-07/11/10
CDN Madrid, Teatro Valle-Inclan (ES)
16-17/11/10
30CC Leuven (BE)
19-20/11/10
Toneelhuis, Bourla (BE)
23-24/11/10
MC2 Grenoble (FR)
30/11/10
Stadsschouwburg Rotterdam (NL)
02/12/10
Stadsschouwburg Groningen (NL)
04/12/10
Koninlijke Schouwburg Den Haag (NL)
35
Libération.fr – 10 juli 2010
Un «Homme» de qualité
trilogie . Guy Cassiers s’attache au volet politique du roman de Robert
Musil.
René Solis
Revoici, à l’Opéra-Théâtre, le metteur en scène Guy Cassiers et les exceptionnels comédiens du Toneelhuis d’Anvers, qui présentaient au
même endroit, en 2007 et 2008, une trilogie sur le pouvoir (Mefisto
For Ever, Wolfskers, Atropa). Cassiers aime les romans fleuve. Après, A
la recherche du temps perdu de Proust en quatre parties, il s’attaque
aux 1 800 pages inachevées de l’Homme sans qualités de Robert Musil
(qui se déroule à Vienne en 1913), dont il prévoit de venir à bout en
trois spectacles. L’Homme sans qualités I, créé à Anvers il y a un mois,
s’attache au volet politique du roman et suit les méandres de la création
de «l’Action parallèle», organisme qui prétend célébrer la grandeur de
l’empire austro-hongrois à l’occasion des 70 ans de règne de l’empereur
François-Joseph.
Envoûtant.
Guy Cassiers est un hypnotiseur. Munis de micros HF, ses comédiens
chuchotent et semblent raconter à chaque spectateur une histoire à
l’oreille. Deux tableaux forment le décor : la Cène de de Vinci dans la
première partie, et l’Entrée du Christ à Bruxelles de James Ensor dans
la seconde. Sous forme d’images projetées en fond de scène, une caméra les explore, fixe des détails en gros plan, se promène sous la table,
entre les colonnes, au creux des vêtements, ne reculant qu’à de rares
moments pour redonner une vue d’ensemble de la toile. C’est envoûtant, même si dramaturgiquement limité.
Si l’on comprend bien, Ulrich, le héros du roman, est une figure christique, placée au centre d’une cène qui n’aura pas de dénouement. Tous
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se tournent vers lui, mais il n’a rien à offrir que le doute. Envers de
celui de de Vinci, le tableau d’Ensor symbolise la mascarade, le
chaos, la déconstruction de l’empire, et renvoie le héros à sa condition de pantin. Pourquoi pas ? Il n’est pas très sûr que cet univers
à la lisière du rêve ne soit pas autre chose qu’une belle imposture.
Mais ce n’est pas trop grave : la douceur au théâtre n’est pas une
qualité si répandue et ce n’est pas tous les jours que des comédiens du niveau de ceux du Toneelhuis vous prennent par la main.
On se glisse avec eux dans le roman, on en aime les personnages,
Ulrich le spectateur lucide, Bonadea sa maîtresse, Diotime sa cousine, Arnheim le Prussien industriel écrivain. On en entend surtout
les résonances actuelles. Le portrait d’une Europe à la veille de la
catastrophe, obsédée par sa grandeur et son déclin, déchirée entre repli sur soi et universalisme, traversée de tensions culturelles
et minée par l’argent roi. L’évocation d’une querelle en Slovénie autour de l’apprentissage de l’allemand dans une école, «qui menace
de faire tomber le gouvernement» semble citer l’actualité belge.
Calcul.
Et que dire des innombrables remarques sur les mœurs des étrangers et la décadence ? Le clou reste la scène où Ulrich liste les
propositions susceptibles d’être reprises par l’Action parallèle, cela
va de la protection des chats domestiques à la délivrance d’un titre
de professeur aux ailiers droits de football, en passant par la suppression du capitalisme, l’interdiction du socialisme, la stimulation
du calcul mental et la construction d’une deuxième tour pour la
cathédrale de Vienne… Ce qui pourrait n’être qu’un fourre-tout hilarant, renvoie au désarroi dont chacun des personnages, du plus
séduisant au plus odieux, porte une part. «Avec de la sensibilité,
difficile de dissimuler le fiasco», disait Musil.
37
LesEchos.fr – 13 juli 2010
L’Homme sans qualités I d’après Robert Musil
Conversations au bord de l’abîme
Les stores descendus des cintres sont constellés de taches de couleur,
peinture d’un monde éclaté qui ne voit pas venir sa chute. Un intermède entre deux chefs-d’oeuvre : La Cène, de Vinci, symbole d’un temps
ancien mystique et harmonieux ; puis, L’Entrée du Christ à Bruxelles
, d’Ensor, vision grimaçante et apocalyptique des temps modernes.
Ces deux toiles peintes projetées sur des écrans mobiles, en détail ou
dans leur plénitude, constituent l’essentiel du décor de L’Homme sans
qualités I, mis en scène par Guy Cassiers à l’Opéra-Théâtre d’Avignon.
Un écrin sublime pour un texte colossal : l’oeuvre de toute une vie de
l’écrivain autrichien Robert Musil (1880-1942).
Saga philosophique
Le metteur en scène redonne vie aux tableaux comme aux mots, qui
jaillissent en filets d’eau limpide de la bouche de comédiens habités.
Le basculement-délitement de l’Empire austro-hongrois à la veille de
1914 se joue de façon feutrée, presque dans un souffle, trois heures
durant sous nos yeux - rythmé par les sonates wagnériennes du pianiste Johan Bossers.
Cassiers est un habitué des grands textes impossibles : A la recherche
du temps perdu, Méphisto, Au-dessous du volcan … et aujourd’hui,
pour ce 64 e Festival d’Avignon, L’Homme sans qualités . En véritable
alchimiste, il transforme la littérature absolue en théâtre - absolument.
Il ne se contente pas d’une lecture en forme de tableaux vivants. Le
verbe mélancolique et désespéré de Musil s’incarne dans la chair vibrante des personnages en action : Ulrich, le héros « sans qualités »
ténébreux et sensuel ; Walter et Clarisse, amis d’enfance et époux malheureux, déchirants ; Diotime, la mondaine idéaliste incandescente ;
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Arnheim, le trouble homme d’affaires-écrivain prussien, qui veut
réconcilier l’âme et l’économie ; Schattenwaltt, le comte d’extrême
droite sournois et brutal (personnage inventé pour la pièce)… Avec
une économie de gestes, sans élever la voix, les comédiens les font
un à un sortir de l’ombre.
L’Homme sans qualités I est la première partie d’un triptyque. Ce
volet I nous raconte la création de « l’Action parallèle », comité
Théodule chargée de célébrer les soixante-dix ans de François-Joseph en 1918 (un pied de nez à la Prusse, qui s’apprête à fêter les
trente ans de règne de son empereur). Le jeune Ulrich devient le secrétaire de cette mission suprême, désespérément en quête d’une
« grande idée ». Le monde change tout autour, mais, à part Ulrich,
personne ne pressent que l’Ancien Régime est en train d’imploser.
On cajole les fantômes de la grandeur passée, pour asseoir ses
certitudes et son pouvoir. Apogée, déclin, chute… l’éternelle valse
triste du monde.
De la comédie humaine à la tragédie intime : les états d’âme de nos
pitoyables héros sont montrés en gros plans par un subtil jeu de
projections en noir et blanc. L’image est magnifique, on pense aux
premiers films de Bergman… A la toute fin, alors que le plateau nu
est éclairé sans artifice, Ulrich, la voix brisée, dit sa grande solitude.
L’Homme sans qualités a tout perdu, même la joie de survivre, la
pensée libre.
Soyons francs : malgré tout le talent de Cassiers et de sa troupe, on
perd parfois un peu le fil de cette grande saga philosophique : tous
les mots comptent et, forcément, on en laisse en route. Qu’importe
! Le spectateur retombera toujours sur ses pieds. L’Homme sans
qualités I est un spectacle exigeant, mais lisible, ouvert, qui fait entrer en finesse un grand texte introspectif dans la quatrième dimension du théâtre. Le coeur de Musil se remet à battre. Puisse celui du
public battre à l’unisson.
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LES INROCKUPTIBLES – juillet 2010
De man zonder eigenschappen I
(L’homme sans qualités I)
Entre théâtre et cinéma, Guy Cassiers offre une adaptation de
L’Homme sans qualités de Robert Musil d’une beauté envoûtante.
Dans le fond de la scène, un piano égrène du Wagner. Détail on ne
peut plus ironique quand on sait qu’Ulrich, le héros de L’Homme
sans qualités, abomine le piano, “cette idole basse sur pattes, à large
gueule, croisée de bouledogue et de basset”. Ulrich est en visite
chez ses amis Clarisse et Walter. II sait que Clarisse se refuse pendant des semaines a Walter quand celui-ci joue du Wagner.
Le monde dans lequel évolue Ulrich est en perpétuelle transformation. Le curieux attelage qu’est devenue l’Autriche-Hongrie va bient6t
s’effondrer sous les coups de boutoir de la guerre de 1914-1918.
Dans la première partie du roman qu’adapte ici Guy Cassiers, Musil
décrit une haute société viennoise extrêmement raffinée égarée dans
les préparatifs d’un évènement a la gloire de l’empereur FrançoisJoseph, sans apercevoir les nuages noirs qui s’amassent a l’horizon.
Ulrich, a la fois décalé et a son aise dans ce milieu, est un observateur privilégié. Double de l’auteur, il donne a ce roman inachevé de
plus de 1 500 pages sa nature d’essai philosophique.
Guy Cassiers, qui s’est déjà attaque par le passe à La Recherche de
Proust ou à Anna Karenine de Tolstoï, a pris quelques libertés avec le
livre en introduisant notamment une maladie chevaline qui empeste
toute la ville. C’est sur ce fond nauséeux qu’il installe ce premier
volet d’un triptyque consacre au roman.
40
Très plastique, sa mise en scène fait un large usage de la vidéo,
inventant une forme de théâtre-cinéma ou les visages des comédiens apparaissent parfois en gros plan sur un écran dispose en
fond de scène ; fascinant effet de loupe ou leurs traits se mélangent
presque en une fusion quasi hallucinatoire. Un monde de rêve assis sur un volcan. Ulrich propose d’ailleurs d’abolir la réalité. Mais à
travers les interstices de ce patchwork
a la Klimt - même si l’on voit surtout des images de Leonard de Vinci
et de James Ensor – filtre une réalité plus inquiétante, la révolte sociale, la montée de l’extrême droite et la figure étrange du criminel
Moosbrugger; qui ne cesse d’obséder Ulrich. Beau et magnétique.
H.L.T.
41
L’homme sans qualités I © Koen broos
42