Le rôle des bibliothèques dans la diffusion sociale de la

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Le rôle des bibliothèques dans la diffusion sociale de la
LE ROLE DES BIBLIOTHEQUES
DANS LA DIFFUSION SOCIALE DE LA SCIENCE
Francis Agostini, Cité des Sciences et de l’Industrie, Paris, France
Centre de ressources indispensable à l’écrivain scientifique ou au concepteur
d’exposition, la bibliothèque est-elle prête à prendre une part active dans la
diffusion sociale de la science? Certaines expériences, comme celle de la
Médiathèque de la Cité des Sciences et de l’Industrie (Paris), le laissent penser.
L’objectif de cette communication est de présenter les voies de la médiation
scientifique en bibliothèque1, en nous appuyant sur huit ans d’expérience auprès
du public de la Cité des Sciences et de l’Industrie.
Nous présentons tout d’abord la bibliothèque comme espace de découverte et
insistons ensuite sur la spécificité de la médiation documentaire. Nous examinons
enfin en quoi la bibliothéconomie peut s’inspirer de la muséologie.
Le développement de la culture scientifique passe par une fertilisation croisée des
métiers de la bibliothèque et de ceux de l’exposition, telle est l’hypothèse que nous
formulons dans cette communication.
L’expérience des premières années à la Cité des Sciences et de l’Industrie a montré
le prix qu’attachait le public à la présence d’animateurs dans les espaces
d’exposition. Du coté de la Médiathèque, la multiplicité des supports et des
niveaux d’une part, la variété des publics et des attentes d’autre part, n’ont jamais
fait douter ses bibliothécaires de l’importance et du rôle de la médiation
documentaire.
Dans les deux cas, il s’agit de fournir au public des aides pour mieux se repérer
dans les savoirs. L’animateur apporte des repères dans la connaissance, le
bibliothécaire des clés d’accès à l’information.
S’adressant à un large public, la bibliothèque publique peut être amenée à adopter
des techniques de communication de masse (publicité par voie d’affiche, diffusion
2
de plaquettes d’information, film institutionnel, etc.). D’autre part, elle diversifie
son offre en proposant de nouveaux supports documentaires (disques optiques,
logiciels éducatifs) et des services inédits (démonstration d’interrogation de
banques de données, salle pour déficients visuels).
Mais c’est lorsque la bibliothèque adopte une logique de communication dans son
service même qu’elle assure pleinement sa fonction sociale.
L’appropriation des collections par le public le plus large suppose la médiation:
renseigner individuellement le public, ménager une variété d’accès et permettre
une diversité d’usages, contrôler la qualité de l’offre dans l’interaction avec le
public, tout cela fait partie des missions de la bibliothèque publique.
Mettre à la libre disposition du public dans le même lieu des livres et des revues
scientifiques, de niveau vulgarisation et de niveau professionnel, représente déjà
un bouleversement dans le paysage documentaire2.
Mais une simple mise à disposition ne répondrait qu’aux besoins d’un public initié.
La difficulté qu’éprouve le grand public à appréhender le monde de la science
demande bien plus: il faut faire connaître les balises de la connaissance, en inventer
de nouvelles et faire une partie du chemin avec ce public.
LA BIBLIOTHEQUE EN TANT QU’ESPACE DE DECOUVERTE
L’ancienne bibliothèque – celle où l’on accumule les documents dans des magasins
– est un coffre dont le bibliothécaire possède la clé.
Avec la mise en accès libre des collections, la bibliothèque devient un territoire à
explorer. Les catalogues en représentent les cartes. L’informatisation des
catalogues permet leur intégration dans une banque de données unique, que l’on
peut interroger par différents critères, éventuellement combinés.
En accédant à l’ensemble du corpus à partir d’un même point – situé sur place ou à
distance – le visiteur a la possibilité de découvrir les ressources de la bibliothèque
et l’organisation des connaissances qui la structurent3.
3
Un plan général des espaces (maquette, dépliant) reprend les éléments essentiels
de la signalétique qui balisent le territoire.
Des cartes fragmentaires (sélections bibliographiques, itinéraires thématiques,
programmes d’animation) complètent le dispositif de communication.
La bibliothèque virtuelle met potentiellement l’ensemble des connaissances à la
disposition du public. Dans cet environnement, le bibliothécaire n’est plus chargé
d’ouvrir le coffre aux initiés: il doit servir d’initiateur, d’incitateur, de déclencheur
de curiosité4.
La bibliothèque de lecture publique traditionnelle fait la part belle aux humanités.
La science y est réduite à la portion congrue (moins de 7% des titres selon une
enquête menée en France auprès des bibliothèques publiques) et les ouvrages
traitant la science sous l’angle philosophique, historique ou «STS» se trouvent
dispersés. Quant aux bibliothèques universitaires scientifiques, elles négligent en
général les dimensions culturelles de la science et présentent les collections de
manière strictement disciplinaire. Ces dernières ne visent nullement le grand
public.
On explique couramment le sort réservé à la vulgarisation scientifique en
bibliothèque publique par le manque de formation dans le domaine et par la
structure de la production. En France au moins, l’édition de vulgarisation est
dispersée sur un grand nombre d’éditeurs et quantitativement «noyée» dans la
production universitaire et professionnelle.
Pour répondre à la demande d’un public qui délaisse les romans au profit des
documentaires, les bibliothèques doivent consentir un effort particulier en matière
de formation et d’acquisitions.
Le domaine des sciences et des techniques présente des particularités que le
bibliothécaire de lecture publique ne peut ignorer. Il déplore que l’édition de
vulgarisation se cantonne encore trop souvent dans les thèmes les plus porteurs
(santé, nature, origines). Les demandes répétées du public sur des sujets négligés
par l’édition conduisent à dépouiller les revues et à constituer des dossiers
4
documentaires. L’absence d’une banque d’articles de vulgarisation largement
accessible se fait cruellement sentir.
En contrepartie, ce domaine offre un avantage: des documents a priori ciblés
peuvent être proposés à des publics variés (tranche d’âge, niveau).
Pour exploiter au mieux leurs collections et satisfaire les différentes catégories de
public (scolaires, amateurs, professionnels, simples curieux), les bibliothécaires
sont amenés à favoriser les migrations d’usages.
À un jeune collégien qui se documente pour préparer un exposé sur les
phéromones, il faudra proposer de consulter des dictionnaires ou encyclopédies
adaptés à son niveau, chercher dans un ouvrage de vulgarisation sur la
communication animale et dans un livre d’initiation à la chimie du vivant. À un
astronome amateur ou à un programmeur en herbe, on pourra montrer des
ouvrages de référence destinés aux professionnels. La personne qui vient se
renseigner sur une pathologie n’hésitera pas à consulter un traité de spécialité. Un
adulte qui souhaite se mettre à jour en algèbre utilisera un manuel scolaire.
À l’inverse, on verra des étudiants plongés dans des BD pédagogiques, et des
enseignants se servir d’ouvrages de vulgarisation.
Mais la variété des usages est encore plus manifeste avec les documents
audiovisuels proposés en consultation sur des consoles spécialisées: du visiteur qui
s’installe au hasard devant un écran libre à celui qui cherche des images montrant
le comportement de la salamandre, de la famille qui occupe quatre consoles et
reconstitue un cercle convivial à celle qui visionne sur le même écran L’homme qui
plantait des arbres de Frédéric Back, les modes de consultation semblent assez riches
pour justifier une étude approfondie.
De très jeunes enfants paraissent captivés par des documentaires conçus plutôt
pour un public adulte et, inversement, des adultes ne boudent pas les films pour
enfants (par exemple, Connais-tu les ours?).
Un film sur l’utilisation de l’image de synthèse en architecture sera vu
successivement dans la même journée par des utilisateurs extrêmement différents,
5
de la petite fille qui reconnaît Paris en 3D à l’étudiant qui prend des notes en
visionnant.
En l’absence d’études systématiques qui mettraient à contribution des chercheurs
(chercheurs
en
science
de
l’éducation,
psychosociologues,
sémiologues,
muséologues), on en est réduit à glaner des observations ponctuelles: on se perd en
conjectures sur le bénéfice retiré par l’enfant qui a regardé le dessin animé sur le
sang de Jacques Rouxel. Mais en aurait-on une idée plus précise dans le cas d’un
adulte?
Malgré tout, l’observation empirique des usages du public apporte des indications
au bibliothécaire désireux de proposer des «menus» multimédia. Le succès du film
de Claude Edelmann sur la naissance, programmé très régulièrement sur console,
en fait un classique de la Médiathèque. Quant aux audiovisuels pédagogiques de
chimie, leur utilisation en vulgarisation dépasse très largement celle des supports
imprimés équivalents.
Le réservoir inépuisable du film animalier, lui, trouve toujours son public.
Les possibilités de navigation offertes par les encyclopédies et les journaux stockés
sur disque optique sont largement exploitées par le public. L’offre crée la
demande: un lycéen ne nous demandait-il pas récemment un dictionnaire
d’anglais sur CD ROM parce que c’était «plus agréable à consulter»?
Mettre à disposition du public des dispositifs faisant appel aux technologies de
l’information suppose la présence de bibliothécaires prêts à venir en aide aux
utilisateurs novices. C’est l’occasion de développer la culture technique: Notre
lycéen d’Aubervilliers, croyant que le CD ROM était une disquette, fut très étonné
d’apprendre qu’il s’agissait d’un disque similaire au disque compact audio…
LA RELATION DE MEDIATION
Il existe un paradoxe de la médiation scientifique: compte tenu du poids des
sciences dans l’évaluation scolaire, le public qui vient poser une question s’expose
à être jugé et donc peut préférer éviter de solliciter de l’aide.
6
Le public déjà familiarisé avec les sciences, lui, n’hésite pas à interroger le
personnel. Poser une question pointue permet aussi de montrer son niveau de
connaissance.
Une
transaction
est
souvent
l’occasion
pour
chacun
des
protagonistes de se positionner. Elle peut se dérouler dans l’indifférence, dans la
concurrence ou dans la coopération.
Dans quelle situation le bibliothécaire trouve-t-il le plus de gratification? Lorsqu’il
effectue une recherche pour un thésard ou bien lorsqu’il accueille une famille5 ou
renseigne un visiteur profane? Cela dépend de son profil professionnel et
personnel mais aussi de la manière dont l’établissement est dirigé.
Mettre en avant simplement sa compétence documentaire («j’apporte la réponse»)
n’est pas toujours le meilleur moyen d’engager la transaction. Devant une question
complexe, il sera préférable de se situer d’emblée dans la coopération («nous allons
chercher ensemble»).
La formation professionnelle de base des bibliothécaires met l’accent sur le
catalogage et sur les techniques documentaires. Avec la diversification des publics
et des demandes, la reconnaissance de la fonction de médiation s’impose: le
bibliothécaire doit désormais accorder autant d’attention aux canaux de la relation
qu’aux canaux de l’information.
Les conditions matérielles de la relation sont déterminées par l’environnement (le
site), l’aménagement des espaces, l’environnement visuel et sonore et la
fréquentation même.
Dans les canaux de la relation entrent les différentes composantes de l’attitude du
médiateur; dans les canaux de l’information, la panoplie des outils documentaires,
depuis l’index d’une encyclopédie jusqu’à l’interrogation de banques de données
internationales en passant par l’usage du catalogue en ligne.
À chaque transaction, le bibliothécaire doit se mouvoir dans la complexité: quelle
stratégie adopter, quel va être le juste investissement documentaire, quel
accompagnement dans les systèmes techniques, à partir de quelle étape de la
recherche passer la main au client, quelles sont les meilleures voies de
l’autonomisation?
7
On a dit que la bibliothèque se situait entre culture et formation. En s’en tenant à
l’étude de la relation au public, on peut sans doute la positionner entre la relation
en environnement muséal et la relation pédagogique. Si les bibliothécaires de la
lecture publique reprennent à leur compte le terme de pédagogie documentaire
utilisé par les documentalistes des lycées et collèges, c’est par extension. En effet,
leur public (si l’on excepte l’accueil des classes) n’a rien de captif.
Mais
les
frontières
disparaissent
entre
loisir,
formation,
information.
L’enseignement vise autant à aider l’élève à se repérer dans le flot des informations
qu’à transmettre une connaissance (Guy Calande, 1990). Du côté de la
bibliothèque, les demandes à finalité scolaire ou professionnelle prennent une
place croissante. Certaines bibliothèques publiques sont devenues les relais de
programmes régionaux de formation permanente.
Les rapprochements fonctionnels justifient les emprunts conceptuels. Les
bibliothécaires soucieux de fonder leur pratique peuvent s’appuyer sur les
résultats des recherches en communication et en didactique.
À l’instar de la relation éducative, la relation de médiation, dans l’approche
traditionnelle, n’est pas symétrique. Symétriser la relation de médiation, c’est
possible en bibliothèque, à condition d’adopter une approche systémique.
Le nombre de paramètres de la médiation documentaire et la complexité de leur
agencement ouvre les voies de la symétrisation:
–
intersubjectivité;
–
multidimensionnalité de la compétence (cf. infra);
–
multiplicité des stratégies;
–
hétérogénéité des demandes;
–
variété des contenus.
La combinatoire entre éléments pour partie situés dans des registres différents
(représentation de la science, type de compétence exploitée, choix de la stratégie,
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formulation de la demande, propos, part informulée) rend le jeu des possibles
infini.
Dans un environnement universitaire, la documentation a tendance à rester
déterministe (exhaustivité, évaluation binaire de la pertinence, classification
disciplinaire). Dans un établissement voué à la vulgarisation scientifique, la
documentation devra être probabiliste, adopter une logique floue: proposer des
sélections de documents qualifiés plutôt que des bibliographies exhaustives, jouer
sur la diversité des médias, détecter les indices d’heuristique, les réinjecter dans la
recherche à la manière de la cybernétique.
Des compétences multiples sont désormais requises:
–
compétences documentaires;
–
compétences relationnelles;
–
compétences scientifiques.
Dans un contexte de vulgarisation, aucune de ces compétences ne se suffit à ellemême: c’est le projet culturel qui les rend solidaires et leur intégration forme la
culture professionnelle de l’entreprise documentaire.
Symétriser la relation de médiation, cela veut dire:
–
Partager l’intérêt porté par le client (empathie): il n’y a pas de question
illégitime, mais des questions auxquelles l’institution est plus ou moins
préparée.
–
Faire partager (car l’institution est porteuse d’un projet).
–
Rechercher ensemble (coopération).
–
Se rendre mobile: se faire relais plutôt que guichetier.
–
Tirer des bénéfices partagés:
•
service apprécié ➙ fidélisation du client;
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• avis du client pris en compte ➙ évaluation du service.
Nous partirons de l’hypothèse qu’une question exprime un besoin d’information.
Si ce besoin n’est pas ressenti, il n’y a pas lieu de s’adresser au bibliothécaire. Si ce
besoin s’accompagne d’une appréhension (le risque de paraître idiot) voire d’un
sentiment de culpabilité (mauvais souvenir d’école), la personne devra vaincre des
résistances pour s’adresser au bibliothécaire. Le problème se déplace –
symétrisation – si l’on admet que face aux disciplines scientifiques le bibliothécaire
(non spécialisé) est aussi démuni que son client (profane).
TYPOLOGIES DES TRANSACTIONS
Lorsqu’on souhaite disposer d’une image globale de l’activité face au public, une
1re typologie s’impose:
demande d’orientation,
renseignement pratique,
demande d’aide sur un dispositif technique,
recherche documentaire,
présentation générale,
présentation d’un service ou d’une activité particulière,
prise en compte de réactions ou suggestions,
intervention de régulation.
Dans le contexte Cité des Sciences et de l’Industrie – Parc de La Villette, le public
qui entre dans la Médiathèque n’a pas de représentation bien déterminée de
l’espace. Des remarques glanées au passage indiquent que les représentations sont
extrêmement diverses:
–
bibliothèque municipale (donc encyclopédique),
–
BPI-bis (donc encyclopédique),
10
–
librairie,
–
exposition,
–
bibliothèque universitaire (donc bibliothèque d’étude),
–
centre de documentation,
–
complexe multimédia,
–
espace franc.
Cela explique que de nombreuses transactions concernent l’orientation générale
dans la Médiathèque. Ces questions d’approche sont implicitement ouvertes. Elles
donnent donc lieu à une présentation générale des espaces et des activités qui
débouche souvent sur une deuxième question plus précise.
L’évaluation du degré d’ouverture de la question est un élément clé de la qualité de
la transaction (question fermée, pointue, large, ouverte).
Lorsque l’on se penche sur l’aspect qualitatif de la transaction, on est amené à
analyser le contenu et la relation.
L’éventail très large des questions posées (sujet et contexte) nous amène à
systématiser la démarche de référence en termes de typologie, de méthodologie et
de réinjection dans le travail interne.
On trouvera en annexe 2 un échantillon des questions posées au point accueil de la
Médiathèque et qui débouchent sur une recherche documentaire. En annexe 3
figurent des exemples de «questions à tiroirs»: on passe d’une première
énonciation plus ou moins ouverte à une deuxième énonciation qui précise
l’objectif. Une phase d’écoute et d’investigation de la part du bibliothécaire sépare
les deux.
À coté de la myriade de questions «particulières», flottent dans l’air du temps des
questions «communes», médiatisées. Ces dernières possèdent en général une forte
charge émotionnelle: mystère, angoisse ou espoir.
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Du côté de l’angoisse:
• L’effet de serre additionnel peut-il entraîner des changements climatiques aux
conséquences dramatiques?
• Les manipulations génétiques risquent-elles d’altérer la notion d’individu?
• L’informatisation des tâches est-elle source de chômage?
Du côté de l’espoir:
• Les biotechnologies pourront-elles faire disparaître la faim dans le monde?
• Les thérapies géniques permettront-elles dans un avenir proche de guérir le sida
et le cancer?
• Pourra-t-on un jour prévoir les catastrophes naturelles?
• Les ordinateurs élargiront-ils massivement l’accès au savoir?
Ces questions forment les lieux communs entre science et société, entre nature et
culture. Elles pourraient constituer pour le bibliothécaire un formidable levier pour
restructurer l’offre documentaire et toucher un public plus large (cf. infra).
Centres d’accès à l’information, les bibliothèques publiques doivent être en mesure
d’apporter des éléments de réponse au public. Les questions vives, à l’interface de
la science et de la société, sont l’objet de controverses. Aussi les bibliothèques
publiques doivent-elles étendre au domaine technoscientifique ce qu’elles
proposent dans le domaine sociopolitique – le moyen de se faire une opinion – en
présentant les positions en présence. Elles restent, pour le public curieux, un
instrument irremplaçable pour approfondir ce que les médias ne font qu’effleurer.
Pour répondre à l’évolution de la demande, les bibliothèques publiques doivent
faire évoluer leurs missions:
–
Favoriser la découverte, susciter la curiosité pour la science.
–
Faciliter la circulation dans les savoirs au public le plus large.
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–
Donner la possibilité de s’initier aux concepts de base et aux savoir-faire.
–
Fournir les moyens d’autoformation et de formation permanente.
–
Permettre au citoyen de s’informer de manière contradictoire.
DEUX VOLETS POUR UNE FENETRE
La plupart des bibliothèques de musée ont été conçues pour l’enseignement et la
recherche. L’ouverture à un large public des espaces d’exposition n’a pas entraîné
de modifications dans les missions et dans le fonctionnement des bibliothèques.
Les différences de rythme d’une bibliothèque et d’un musée, aussi bien du point de
vue de la gestion interne que de l’exploitation publique, les pesanteurs
professionnelles freinent les efforts d’intégration.
Les tentatives se limitent encore trop souvent à des renvois d’un espace sur l’autre.
Or pour le public des grands sites et des centres complexes, la distinction entre
fonction muséologique et fonction documentaire n’a pas vraiment de pertinence.
Des images et des débats, des émotions et de la lecture au calme, de la
manipulation et des informations, des explications et du spectacle, de la
consommation partagée et de la rêverie solitaire, du fugace et des traces à emporter
chez
soi,
de
l’interactivité
et
de
l’abandon,
du
«butinage»
et
de
l’approfondissement, du connu retrouvé et de la découverte, c’est tout cela
qu’attend le public.
Seule une fenêtre ouverte sur la science dans ses deux volets – muséologique et
documentaire – peut offrir à chacun la possibilité de choisir ses chemins de la
connaissance et de reconstruire sa propre unité du savoir.
Le souci d’offrir une échappée documentaire était manifeste dans l’exposition La
Douleur. Le public avait la possibilité de se reposer, se distraire, voire de se
recueillir, dans un espace de lecture clos, particulièrement réussi.
On a pu voir l’avantage qu’il y avait à intégrer des animateurs au stade de la
conception des expositions. Certaines expériences menées à la Cité des Sciences et
de l’Industrie à l’occasion du thème «Santé» témoignent de l’intérêt d’associer
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également des professionnels de la documentation non seulement comme
fournisseurs mais aussi comme partenaires.
À moins de réduire la bibliothèque à sa fonction académique et de sacrifier un
puissant ressort de la curiosité, l’entreprise de mise en scène de la science a tout
intérêt à incorporer dans son offre la dimension documentaire.
Mais la bibliothèque, de son coté, doit restructurer l’offre documentaire en
s’inspirant de la pratique muséologique.
LA BIBLIOTHEQUE EST BLEUE COMME UNE EXPOSITION
Après s’être démarqués de la bibliothèque (Decrosse, 1988), les musées se trouvent
confrontés au défi du virtuel: si le CDI permet la visite à distance, quel réel
proposer au public qui se déplace?
Avec le développement de la bibliothèque virtuelle (catalogues accessibles à distance,
banques de données en ligne, services en vidéotex, disques optiques compacts,
numérisation des collections, réseaux interbibliothèques), les bibliothécaires se
posent une question analogue depuis plusieurs années. Doivent-ils devenir des
courtiers en information ou des animateurs d’espaces?
En adoptant une logique de service, la bibliothèque intègre des activités fortement
différenciées allant de la fourniture d’information qualifiée pour les entreprises au
festival de films d’animation pour enfants, en passant par la conservation de fonds
anciens. Les professionnels des grandes bibliothèques publiques se spécialisent et
la redéfinition des missions centrales et des compétences communes est à l’ordre
du jour.
Dans un lieu dédié à la vulgarisation scientifique comme la Médiathèque de la Cité
des Sciences et de l’Industrie, les bibliothécaires doivent s’appliquer à restructurer
le réel explorable et à rematérialiser le virtuel.
Traiter la bibliothèque comme un espace d’exploration, cela veut dire remodeler
l’espace documentaire dans les trois dimensions en créant une nouvelle économie
du tout et de la partie.
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C’est une véritable mutation professionnelle que doivent accomplir les
bibliothécaires:
– Rompre avec la linéarité de la présentation et gérer des discontinuités.
– S’évader des classifications hiérarchiques universelles et proposer d’autres
systèmes intégrateurs.
– Abandonner une logique d’accumulation pour une logique de promotion.
– Rompre avec l’uniformité du traitement documentaire en explicitant les choix.
– Rompre avec la massivité de l’offre en créant plusieurs niveaux d’intégration.
– Inventer des points d’ancrage, des balises et des boussoles documentaires.
– Assumer la fragmentation sans se reposer sur l’idée de totalité.
Nous ne proposerons ici que quelques pistes dans la mise en œuvre d’un tel
programme.
Recontextualiser en bibliothèque
La production éditoriale et audiovisuelle se répartit en production primaire,
production pédagogique et en production de vulgarisation. Selon les missions
assignées à leurs établissements, les bibliothécaires choisiront d’équilibrer leurs
acquisitions en attribuant un poids différent aux trois sources (nombre de titres,
nombre d’exemplaires, budget).
À la grille de la production se superpose la grille de la diffusion, que l’on peut
structurer autour de deux pôles, celui de la Référence et celui de l’Actualité.
Le pôle Référence ou pôle de la documentation rassemble les documents de
référence au sens large: traités de spécialité, ouvrages de synthèse, «classiques» de
la science, écrits de grands scientifiques, documents d’archives, rapports officiels,
dictionnaires spécialisés, dictionnaires et encyclopédies «grand public», logiciels
éducatifs, audiovisuels de formation, CD ROM, etc.
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C’est le centre de ressources pérenne. On peut lui adjoindre les documents
d’actualité
professionnelle
(études
et
rapports
techniques,
annuaires
professionnels) qu’il faut renouveler plus fréquemment.
Dans un contexte de vulgarisation, le bibliothécaire se doit de constituer des
espaces d’actualité, destinés à accueillir le public le plus large, avec les nouveautés
du livre, les revues de vulgarisation des sélections de documents en lien avec
l’actualité (ex. du secteur Santé de la Médiathèque).
Il s’agit d’espaces de découverte, incitant le public à s’approprier les ressources
mises en valeur, à pousser plus loin l’exploration des ressources et des activités.
Cette organisation peut affecter tous les domaines par l’adjonction aux rayonnages
de référence (stockage plus dense) de kiosques thématiques avec tables de librairies
(présentation à plat et en piles)
Remodeler l’organisation des connaissances
Le paysage de la bibliothèque traditionnelle est plat, linéaire. Tous les domaines de
la connaissance se trouvent insérés dans une organisation hiérarchique d’une part
(le tout) et séquentielle d’autre part (les mètres linéaires).
Créer des reliefs, ménager des carrefours dans l’à-plat des connaissances est
possible à condition de restructurer la présentation des collections: mettre en avant
des pôles intégrateurs, des passerelles interdisciplinaires.
Certaines bibliothèques publiques ont choisi des modes de classement par centres
d’intérêt. Dans le domaine scientifique, il est hasardeux d’abandonner totalement
la référence aux savoirs scolaires qui structurent les représentations. C’est
pourquoi la Médiathèque de la Cité des Sciences et de l’Industrie a adopté un
classement hybride ménageant les disciplines et des carrefours (Alimentation,
Âges de la vie, Origines, Travail-Industrie).
Dix ans après la conception du plan de classement, il est permis de se demander si
l’on n’aurait pas pu aller plus loin dans la restructuration des connaissances et si
ces carrefours ont fonctionné comme nous l’imaginions. Des réaménagements sont
à l’ordre du jour. Si l’on poussait jusqu’au bout la logique de la communication, il
faudrait bouleverser les équilibres et la présentation des collections: regrouper des
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disciplines dans des univers intégrateurs (le vivant, l’univers, l’information, les
machines et la production, etc.) et scénariser ces espaces.
Modules de sensibilisation multimédia
L’évolution qualitative de la production et la diversification des supports permet
aujourd’hui de proposer aux utilisateurs des bibliothèques publiques des ateliers de
découverte multimédia.
Dans les périodes d’affluence, comme les vacances scolaires, ces animations
représentent un moyen de capter un public qui ne s’approprierait pas
spontanément les collections. La Médiathèque en a fait récemment la
démonstration autour du thème de l’informatique auprès d’un public jeune.
Balises du savoir
Les «balises» comprennent:
–
les repères visuels donnés dans l’organisation spatiale des connaissances,
–
les documents de communication présentant une sélection dans l’offre,
–
les indications fournies par le système documentaire (catalogue en ligne, outils
et dossiers ad hoc),
–
les documents de référence – ou jugés tels dans le contexte.
Pour qu’elles fonctionnent effectivement comme des repères, ces balises doivent
jouer à plein la logique de communication.
À chaque visiteur son chemin dans la base de connaissances. Même si la
bibliothèque propose des menus en plus de sa carte, c’est toujours le visiteur qui
construit son parcours6.
Idéalement, lorsque le visiteur n’est pas familiarisé avec les ressources de la
bibliothèque, il s’adresse au point d’information. Une fois le contact établi, le
bibliothécaire fournit des renseignements qui vont guider le client dans sa
recherche ou dans sa découverte. Commence alors un processus de déambulation
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qui peut le conduire à différer, à interagir avec d’autres personnels, à utiliser les
outils documentaires, à s’approprier les ressources et les espaces de la
bibliothèque.
Le succès de la bibliothèque se mesure non seulement à la fréquentation mais aux
usages des collections, attestés par des sondages (consultation sur place), des
éditions statistiques (prêt), ou des enquêtes auprès des publics.
La Médiathèque de la Cité des Sciences et de l’Industrie, qui reçoit 4 000 visiteurs
par jour en moyenne (cf. en annexe la distribution de la fréquentation), se donne
comme objectif de fidéliser ses visiteurs. Pour cela il lui faut faire connaître ses
ressources, autonomiser les utilisateurs, satisfaire leurs demandes explicites. Cela
passe, pour l’essentiel des visiteurs, par la médiation humaine. Or la plupart, y
compris les occasionnels, ne s’adressent pas spontanément au bibliothécaire.
La bibliothèque doit donc imaginer des dispositifs favorisant le contact et
encourager la disponibilité et la mobilité du personnel (attitude d’accueil,
démarche volontaire vers les publics manifestement désorientés, service volant,
etc.).
Elle doit être à l’écoute, et pas seulement des questions explicites. Les « nonquestions» d’un public qui ne sait comment entrer dans la connaissance doivent
autant stimuler les professionnels que les «bonnes questions».
VERS UNE NOUVELLE ALLIANCE?
L’origine commune de la bibliothèque et du musée (dans leur acception la plus
large) explique la similitude de leurs liens institutionnels. Mais l’essor inouï des
musées et de la muséologie a éclipsé quelque peu la bibliothèque. De nouveaux
liens fonctionnels se sont tissés autour des musées alors que les déterminants
institutionnels des bibliothèques paraissent toujours très prégnants.
Les mutations technologiques dans le domaine de la communication et de
l’information, les évolutions de la demande devraient conduire toutefois à
rapprocher sensiblement l’offre dans les deux types d’espaces de médiation. En se
convertissant au «marketing des services», musées et bibliothèques témoignent
déjà d’une capacité de questionnement.
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Des évolutions récentes indiqueraient les prémisses d’un rapprochement:
–
volonté
affichée
par
les
muséologues
d’abandonner
le
modèle
comportementaliste pour une perspective constructiviste, d’une part;
–
recentrage de la bibliothèque sur les actions de médiation dans une logique de
communication d’autre part.
Il faudra suivre de près les échanges entre les deux entités au sein des nouveaux
centres intégrés (Rennes, Chambéry) comme des plus anciens (Cité des Sciences et
de l’Industrie) pour savoir s’il s’agit de tendances lourdes. Si ces tendances se
confirmaient, on irait alors vers une «nouvelle alliance» parmi les acteurs de la
culture scientifique et technique.
Notes
1. Le terme est utilisé de manière générique pour recouvrir les différentes
catégories de bibliothèques de lecture publique.
2. Ce bouleversement frise la révolution dans le cas de la médecine.
3. Cette affirmation mériterait d’être nuancée. On ne traitera pas ici des
techniques documentaires visant à assurer la qualité des accès du catalogue en
ligne.
4. Cf. opération «graine de curieux» du Ministère de la Culture en 1985.
5. La Médiathèque, qui bénéficie de la présence d’un public familial, en a fait une
cible prioritaire.
6. La Médiathèque a envisagé de proposer des visites de groupe les jours de forte
affluence.
Bibliographie
CALADE, Guy, DE BRUEGER-VANDER BORGHT, Cécile, Plaisirs des sciences, De Boeck,
1990.
19
DECROSSE, Anne, «En quoi les musées diffèrent de la bibliothèque?», Protée, 1988,
automne, p. 41-47.
20
ANNEXE 1
1.
Élaborer des typologies de questions, de transactions, d’usages et de publics:
❏
❏
❏
❏
❏
❏
❏
❏
❏
❏
Questions plus ou moins ouvertes
Questions pratiques ou acquisition de connaissances de base
Questions «neutres» ou chargées émotionnellement
Recherches plus ou moins finalisées
Usages scolaires, professionnels, de loisir ou autres
Individuels ou personnes en groupe
Recherches bibliographiques ou factuelles
Prestation de type «service public» ou prestations commerciales
Niveau d’exigence, profondeur de la demande
Niveau de spécialisation
2.
Garder à l’esprit une série d’interrogations du genre: Avons-nous...
•
•
correctement évalué le niveau et l’objectif de la question?
exploité suffisamment les ressources documentaires disponibles pour
répondre efficacement?
choisi une stratégie de recherche efficiente?
consenti le «juste investissement documentaire»?
maintenu une bonne qualité d’écoute?
contrôlé l’ajustement à la question pendant la transaction?
conclu la transaction par un échange visant à évaluer la pertinence de
l’intervention?
•
•
•
•
•
3.
Réinjecter dans le travail interne les modifications dans l’offre documentaire
suggérées par la transaction:
❏
lacune dans les acquisitions, actualisation d’une édition
❏ adéquation des outils documentaires
❏ adéquation des accès catalogue ?
❏ adaptation des acquisitions à la demande?
❏
La présentation matérielle des collections favorise-t-elle la diffusion des
connaissances scientifiques vers un public large?
21
ANNEXE 2
•
Un retraité vient pour savoir comment bricoler un éclairage à base de fibres
optiques.
•
Un collégien se documente sur la grue électromagnétique.
•
Une jeune femme cherche un schéma montrant le fonctionnement d’un sèchecheveux.
•
Une famille voudrait des documents sur les sourciers.
•
Une étudiante cherche des articles sur les «vaches folles».
•
Une dame s’inquiète des effets sur la santé des lignes haute tension.
•
Une journaliste rassemble de la documentation sur la DAB (radio numérique).
•
Un malade atteint de la maladie d’Alzheimer cherche des informations sur sa
pathologie et sur les nouveaux traitements.
•
Un demandeur d’emploi se renseigne sur une société.
•
Un couple de retraités cherche à identifier des roches et des minéraux à partir
de leur composition chimique.
•
Une maman se renseigne sur l’histoire de l’informatique pour son fils qui a un
exposé à préparer (classe de 6e).
•
Un collégien recherche des documents sur Chappe et le télégraphe, d’une part,
sur le niveau à bulle d’autre part.
•
Des étudiants demandent à consulter les index de revues de vulgarisation pour
trouver des articles sur le four à micro-ondes.
•
Un visiteur de l’exposition La douleur souhaite emprunter un ouvrage consulté
dans l’espace lecture de l’exposition, pour sa femme qui souffre d’une
migraine chronique.
•
Une enseignante de Rouen qui n’a pu joindre le musée de Besançon, téléphone
pour constituer une documentation sur la mesure du temps (elle avait visité
l’exposition L’invention du temps).
22
ANNEXE 3
Comment peut-on se repérer ici?
➘
C’est la 1re fois que je viens...
➘
J’ai un dossier à faire sur l’informatique
en Europe.
Je cherche des documents sur le massage
thérapeutique.
Je cherche des informations sur les
métiers.
➘ Le secteur qui m’intéresse, c’est la
plongée sous-marine.
Je voudrais consulter la dernière édition
du guide des sources d’information. ➘
J’ai besoin d’un répertoire des clubs
d’astronomie.
J’ai repéré une BD cotée R96. Où se
trouve le rayon?
➘
Je recherche des livres d’initiation à la
biologie
pour
des
enfants
non
francophones.
Où se trouve le secteur médecine?
Je ➘m’intéresse à la rééducation
fonctionnelle.
Nous recherchons des bibliothèques
susceptibles de fournir des informations
sur un sujet spécial.
Il s’agit du traitement des handicapés
➘
mentaux par l’équitation.
Le département sciences humaines.
➘
Je cherche des informations sur le sport
des filles à l’école (et spécialement le
foot).