Janvier 2014

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Janvier 2014
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doit en faire parvenir la version définitive, sur support papier ou électronique, avec
ses coordonnées, au rédacteur en chef, au moins 60 jours avant la date de parution,
à l’adresse suivante:
Cahiers de propriété intellectuelle
Rédacteur en chef
Centre CDP Capital
1001, Square-Victoria – Bloc E – 8e étage
Montréal (Québec) H2Z 2B7
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L’article doit porter sur un sujet intéressant les droits de propriété intellectuelle ou une question de droit s’appliquant à de tels droits. Les articles de doctrine
ne doivent pas dépasser 50 pages dactylographiées, sans les notes; les textes relatifs à des commentaires d’arrêts, à de l’information et à de la législation ne doivent
pas être de plus de 20 pages dactylographiées.
Les textes doivent être en langue française, dactylographiés à double interligne sur format 21 cm x 28 cm (81 2" x 11"). Le texte sur le support électronique ne
doit être justifié à droite et il doit être aligné à gauche; aucun code ne doit être
employé et l’auteur doit indiquer le type d’appareil et le programme utilisés. Les
notes doivent être consécutives et reportées en bas de page.
Les articles de doctrine doivent être accompagnés d’un résumé en langue
française, libre à l’auteur de joindre une version anglaise. Les titres de volumes et
de revues, les décisions des tribunaux, ainsi que les mots et expressions en langue
autre que le français doivent être en italiques; les articles de revues doivent être
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L’auteur conserve son droit d’auteur mais accorde une licence de première
publication en langue française, pour l’Amérique du Nord, accorde à la revue et à
l’éditeur de même qu’une licence non exclusive de diffusion sur le site Internet des
C.P.I. L’auteur est seul responsable de l’exactitude des notes et références ainsi
que des opinions exprimées.
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Cahiers de propriété intellectuelle inc., sont édités par cette dernière. Ils sont
publiés et distribués par Les Éditions Yvon Blais inc.
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ISSN : 0840-7266
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H3C 2N6, tél. : (514) 842-3937. Pour abonnements : 1-800-363-3047.
CAHIERS DE PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE INC.
CONSEIL D’ADMINISTRATION
Georges AZZARIA, professeur
Faculté de droit
Université Laval, Ste-Foy
Louise BERNIER, professeure
Faculté de droit
Université de Sherbrooke
Laurent CARRIÈRE, avocat
Robic, Montréal
Rédacteur en chef des CPI
Florence LUCAS, avocate
Gowlings, Montréal
Vice-présidente des CPI
Ejan MACKAAY,
professeur retraité
Faculté de droit,
Université de Montréal,
Montréal
Vivianne DE KINDER, avocate
Montréal
Hélène MESSIER, avocate
directrice générale COPIBEC
Montréal
Hilal EL-AYOUBI, avocat
Fasken Martineau Dumoulin
Montréal
Annie MORIN, avocate
ArtistI
Montréal
Mistrale GOUDREAU, professeure
Section de droit civil,
Université d’Ottawa, Ottawa
Présidente des CPI
Daniel PAUL, avocat
Vice-président – Affaires
juridiques CGI
Montréal
Marie-Josée LAPOINTE, avocate
BCF, Montréal
secrétaire trésorière des CPI
Daniel URBAS, avocat
Borden Ladner Gervais,
Montréal
Rédacteur en chef
Laurent CARRIÈRE
Comité de rédaction et comité de lecture
Georges AZZARIA, professeur
Faculté de droit
Université Laval, Ste-Foy
Louise BERNIER, professeure
Faculté de droit
Université de Sherbrooke
Laurent CARRIÈRE, avocat
Robic, Montréal
Rédacteur en chef des CPI
Florence LUCAS, avocate
Gowlings, Montréal
Vice-présidente des CPI
Ejan MACKAAY,
professeur retraité
Faculté de droit,
Université de Montréal,
Montréal
Vivianne DE KINDER, avocate
Montréal
Hélène MESSIER, avocate
directrice générale COPIBEC
Montréal
Hilal EL-AYOUBI, avocat
Fasken Martineau Dumoulin
Montréal
Annie MORIN, avocate
ArtistI
Montréal
Mistrale GOUDREAU, professeure
Section de droit civil,
Université d’Ottawa, Ottawa
Présidente des CPI
Daniel PAUL, avocat
Vice-président – Affaires
juridiques CGI
Montréal
Marie-Josée LAPOINTE, avocate
BCF, Montréal
secrétaire trésorière des CPI
Daniel URBAS, avocat
Borden Ladner Gervais,
Montréal
Comité exécutif de rédaction
Louise BERNIER
Laurent CARRIÈRE
Mistrale GOUDREAU
Comité éditorial international
Bassem AWAD, Ph.D.
Chef magistrat, ministère
égyptien de la Justice
consultant, Département
de la Justice de Abu Dhabi
Al Ain, Emirates of Abu Dhabi
Professeur Nicolas BINCTIN
Professeur agrégé de droit privé
Faculté de droit, Université
de Poitiers – CECOJI
France
Jacques DE WERRA, professeur
Faculté de droit,
Université de Genève
Genève, Suisse
Paul Edward GELLER
Attorney at Law
Los Angeles, États-Unis
Jane C. GINSBURG, professeure,
Columbia University School of Law
New York, États-Unis
Teresa GRZESZAK, professeure
Faculté de droit
Université de Varsovie, Pologne
Lucie GUIBAULT, avocate
Professeure associée
Instituut voor Informatierecht,
Amsterdam, Pays-Bas
Tomoko INABA, avocate
Infotech Law Offices
Tokyo, Japon
Marshall LEAFFER, professeur
Maurer School of Law,
Indiana University
Bloomington, États-Unis
Stefan MARTIN, membre
Office de l’harmonisation
dans le marché intérieur
Alicante, Espagne
Victor NABHAN, Président
de l’ALAI Internationale,
professeur étranger OMPI
Paris
GianLuca POJAGHI, avocat
Studio Legale Pojaghi
Milan, Italie
Antoon A. QUAEDVLIEG,
avocat et professeur
Faculté de droit
Université catholique de Nimègue
Nijmegem, Pays-Bas
Alain STROWEL
Avocat et professeur de droit
Université Saint-Louis et UCLouvain
Avocat Covington & Burling LLP
Bruxelles, Belgique
Paul Leo Carl TORREMANS,
professeur, School of Law,
University of Nottingham
Nottingham, Grande Bretagne
Jacques LABRUNIE, avocat
Gusmao Labrunie
Sao Paulo, Brésil
Silke von LEWINSKI, chercheure
Chef de département
Max-Planck Institute for
Intellectual Property
Münich, Allemagne
Dr Fransumo LEE
Conseil en propriété intellectuelle
Cabinet ORIGIN
Séoul, Corée du Sud
Ghislain ROUSSEL
Secrétaire du comité
Avocat conseil
Montréal
Présentation
Le soulignement en lecture est l’épreuve préliminaire
de la citation (et de l’écriture), un repérage visuel,
matériel, qui institue mon droit de regard sur le
texte. Telle une reconnaissance militaire, il pose des
jalons, des repaires surchargés de sens, ou de valeur ;
il surimpose une nouvelle ponctuation au texte,
faite au rythme de ma lecture : ce sont les pointillés
suivant lesquels je découperai plus tard.
– Antoine Compagnon, La seconde main ou le
travail de la citation (Paris, Seuil, 1979), p. 21.
Ben, tu te prends pas trop pour de la merde, comme
écrivain, à part ça !
– Nathalie Berr et Alexis Robin, Kumlikan, série
Borderline (Charnay Les Mâcon, Bamboo, 2010)1.
Une 26e année de parution qui commence.
L’éditeur a voulu souligner cette 25e année complétée2 de
parution des Cahiers de propriété intellectuelle par ce bandeau qui
apparaissait sur la couverture du numéro d’octobre 2013 et par une
réception des membres, actuels et passés, du conseil d’administration.
À cette occasion, de belles paroles ont été prononcées et on en
retiendra trois extraits.
1. Juanjo GUARDINO et Juan DIAS CANALES, « Tu as l’air d’un idiot. Lire des bd
à ton âge… », Amarillo, série Blacksad (Paris, Dargaud, 2013) p. 19. Mais on ne se
refait pas !
2. « Tarataboum tarataboum Boum ! Boum ! » eût dit Tintin dans Hergé (George Rémi,
dit), Le lotus bleu (1934) (Tournai, Casterman, 1936), planche 48.
VII
VIII
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ghislain Roussel, rédacteur en chef de 1988 à 1999, puis président jusqu’en janvier 2014 :
Rappelons que la sortie du premier numéro des Cahiers de
propriété intellectuelle a eu lieu en octobre 1998 et que le lancement officiel s’est tenu le 7 novembre 1988 à la Bibliothèque
nationale du Québec. Cela résultait d’une initiative de ma part
et de la constitution d’un comité de planification, que je coordonnais, en avril 1987, de la formation du comité de rédaction
en août 1987, puis de la signature en août 1988 d’un contrat
avec Les Éditions Yvon Blais inc. comme éditeur et diffuseur
de la revue à paraître. En janvier 1990, ont été nommés les
premiers dirigeants de la société éditrice, dont le premier
président Jacques A. Léger, et a été créé le Prix des Cahiers
de propriété intellectuelle. Un comité éditorial international a
été constitué en 1996. Un nouveau rédacteur en chef, Laurent
Carrière, a été nommé. Le 10e anniversaire a été souligné en
octobre 1997 par un premier numéro thématique et un index ;
le 20e a été marqué, en octobre 2007, par un numéro Halloween.
L’objectif de la revue en 1987 était : « […] oser assurer la parution régulière d’une revue canadienne de langue française en
propriété intellectuelle, de haut niveau scientifique, mais non
de stricte information ni de vulgarisation, alors que, somme
toute, les spécialistes et auteurs ne pullulaient pas au Québec
et que les lecteurs ne se précipitaient pas au portillon ; puis
mettre en liaison des juristes provenant de cabinets du milieu
de la création et des universitaires, maillage qui a fort bien
réussi… ». Le constat en 1997 : « Il (le bébé) sera à coup sûr
un adolescent brillant et il connaîtra un âge adulte étonnant
et son rayonnement ira au-delà du Québec et du Canada et se
manifestera sur les autoroutes de l’information. »
Mistrale Goudreau, nouvelle présidente des Cahiers :
Les Cahiers de propriété intellectuelle est la seule revue de
propriété intellectuelle à publier entièrement en français3 en
Amérique du Nord. Elle publie trois numéros par année, comprenant une revue des cinq décisions canadiennes marquantes
de l’année dans les grands secteurs de la propriété intellectuelle
et, à l’occasion, des numéros thématiques ou partiellement
3. Note d’un rédacteur en chef « parfois » tatillon. Dans le numéro hors série Victor
Nabhan (vol. 16, octobre 2004), douze articles étaient en anglais et dans le spécial
Vingt ans déjà (vol. 20, no 3), deux articles étaient en anglais. Mais sur 763 articles,
on ne chipotera pas.
Présentation
IX
thématiques, de portée internationale. Les contributeurs viennent de tous les continents, et tous les milieux, universitaires,
artistiques et juridiques y collaborent. Son caractère unique en
fait une publication savante incontournable pour les personnes
s’intéressant à la propriété intellectuelle dans la Francophonie,
puisqu’elle est à la croisée des chemins des traditions civiliste
et anglo-saxonne, familière de la culture américaine, ouverte
sur le monde et qu’elle s’adresse à un auditoire tant de juristes
que de non-juristes. Au cours des ans, elle a fourni un forum
d’expression essentiel aux chercheurs et auteurs francophones qui peuvent ainsi participer aux débats sur la propriété
intellectuelle à l’échelle internationale et joindre un auditoire
étendu et varié, comme en font foi les citations de ses articles
tant au Canada qu’à l’étranger. Outil de référence choyé par
les institutions, gouvernementales ou autres, les entreprises et
les cabinets d’avocats, elle est d’une utilité toute particulière
pour les étudiants universitaires qui peuvent, grâce à elle, se
familiariser avec le monde parfois hermétique de la propriété
intellectuelle.
Laurent Carrière, rédacteur en chef depuis 1999
Une des caractéristiques des CPI, c’est son ouverture.
Des sujets qui ne se limitent pas à la propriété intellectuelle
traditionnelle (brevets-marques-dessins-droits d’auteur) mais
aussi les sujets connexes relevant tant des technologies de
l’information (cyberespace, vie privée, publicité) que du droit
des affaires s’y rapportant (licensing, concurrence, secrets de
commerce) : 763 articles publiés témoignent d’un éclectisme
éclaté.
Des auteurs qui viennent de tous les horizons, d’ici et d’ailleurs
sur les cinq continents et de tous les milieux : universités, pratique privée et contentieux, sociétés de gestion collective, monde
des arts et des techniques : 491 auteurs différents (dont des
étudiants) peuvent en attester de même qu’une pareille représentativité aux comités de rédaction national et international.
De numéros à thèmes dont on retiendra ceux sur le journalisme, les modifications de 1997 et celles de 2012 à la Loi sur
le droit d’auteur, la propriété intellectuelle dans le monde de
la cuisine, un spécial Halloween, les œuvres orphelines, sans
compter ceux sur le dépôt légal et le droit moral, des briques
devenues références.
Bref, 76 numéros pour 18 744 pages de plaisirs partagés.
X
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Et un retour statistique4, bien loin du contrat d’origine5 !
Quelques tableaux, assortis de notes de bas de pages explicatives car
« Dessiner est un très joli plaisir mais écrire est un plaisir utile6 ».
La fluctuation du nombre de pages par numéro est sans doute
un cauchemar pour l’éditeur7. Chose certaine, il ne semble pas manquer de matériel8.
Et par rapport aux autres revues juridiques canadiennes
spécialisées dans la propriété intellectuelle, quelques statistiques (à
prendre toutefois avec un grain de sel car l’irrégularité de parution
force le tableau comparatif sur une base de volumes plutôt que d’année de parution) :
4. Les trois numéros de la 16e année comptent 905 pages mais, aux fins de ce tableau,
les 413 pages des Mélanges Nabhan ont été ajoutées. Cet ajustement a permis, par
la suite, que le numéro de volume corresponde à une seule année civile.
5. « L’ÉDITEUR s’engage à éditer, imprimer, commercialiser et distribuer la REVUE à
ses frais et moyennant la parution de trois numéros par année, chacun ayant au
moins 96 pages, y inclus les pages publicitaires », nous apprend la Convention d’édition de 1988, exhumée des tiroirs à l’occasion de la célébration du 25e anniversaire.
6. Françoise D’AUBIGNÉ, marquise de Maintenon, « Lettre au duc de Noailles »,
11 décembre 1700, dans Lettres et mémoires de madame de Maintenon à M. le duc
de Noailles, Tome 5 (La Haye, Gosse, 1757), p. 3 (« Deffiner eft un très joli plaifir
mais écrire eft un plaifir utile »).
7. Et l’on profite de l’occasion pour souligner la patience de Me Johanne Forget (des
Éditions Yvon Blais) qui, depuis le début de l’aventure des Cahiers, agit comme
pivot entre le comité de rédaction et l’éditeur.
8. « Il s’ensuit qu’une armée qui manque d’équipement lourd, de fourrage, de nourriture
et de matériel sera perdue ». Sun TZU, L’art de la guerre (Paris, Flammarion, 1972),
c. VII-8.
Présentation
Vol.
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
9.
CIPR9
436
334
506
405
436
296
387
230
344
762
390
415
345
261
338
910
XI
IPJ10
390
396
350
417
406
403
349
386
375
369
343
354
381
433
475
CPI11
418
407
385
404
445
439
452
525
521
748
769
1014
845
914
1044
Vol.
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
CIPR
480
655
709
228
426
286
197
242
443
358
409
420
296
314
IPJ
630
499
476
597
426
406
344
461
321
347
CPI
1318 HS
739
667
1185
979
757
832
1629
740
1166
Publié sous l’égide de l’Institut canadien de la propriété intellectuelle/Intellectual
Property Institute of Canada (IPIC), la Revue canadienne de propriété intellectuelle (RCPI)/Canadian Intellectual Property Review (CIPR), est le successeur du
PTIC Bulletin. Le premier numéro des CIPR a été publié en juin 1984. Parution
irrégulière : vol. 1 : juin et décembre 1984, mars 2005 ; vol. 2 : août 1985 et janvier
1986 ; vol. 3 : juin 1987, juin 1987 (bis) et juillet 1987 ; vol. 4 : octobre 1987 et
mai 1988 ; vol. 5 : décembre 1988 et mai 1989 ; vol. 6 : octobre 1989 et avril 1990 ;
vol. 7 : juin 1990 et février 1991 (changement de couleur de couverture, du bleu
au blanc et bleu) ; vol. 8 : août et décembre 1991 ; vol. 9 : janvier 1992 et janvier
1993 ; vol. 10 : septembre et octobre 1993, mai 1994 (changement de couverture
pour le nouveau logo du PTIC et ajout de la couleur verte) ; vol. 11 : septembre
1994 et février 1995 ; vol. 12 : octobre 1995 et août 1996 ; vol. 13 : décembre 1996
et avril 1997 ; vol. 13 : décembre 1996 et avril 1997 ; vol. 14 : septembre 1997 et
mars 1998 ; vol. 15 : septembre 1998 et mars 1999 ; vol. 16 : septembre 1999 ;
vol. 17 : octobre 2000 et avril 2001 ; vol. 18 : novembre 2001 et avril 2002 ; (remplacement de PTIC par IPIC) et avril 2000 ; vol. 17 : octobre 2000 et avril 2001 ;
vol. 19 : juillet 2003 ; vol. 20 : novembre 2003 (changement de couverture) ; vol.
21 : novembre 2004 ; vol. 22 : novembre 2005 ; vol. 23 : novembre 2006 ; vol. 24 :
juin 2008 (changement de couleur de couverture) et décembre 2008 ; vol. 25 : juin
2009 et décembre 2009 ; volume 26 : juin 2010 et décembre 2010 ; vol. 27 : juin
2011 et décembre 2011 ; vol. 28 : juin 2012 et décembre 2012 ; vol. 29 : juin 2013
et décembre 2013. Un des numéros réunit généralement les textes de certaines
des présentations faites à l’assemblée générale de l’Institut. On aura le droit,
préférence personnelle, de réitérer combien on exècre les notes de fin de texte
plutôt que de bas de pages ; heureusement depuis le vol. 27, no 2, ce sont des notes
de bas de page. Au vol. 29, no 2, un décompte « manuel » donnait 559 articles (dont
26 en français) pour 11345 pages, soit une moyenne 20, 30 pages par article.
10. Le premier numéro du trimestriel Intellectual Property Journal (Carswell) a
été publié en juillet 1984. État des parutions : vol. 1 : juillet 1984, février et juin
1985 ; vol. 2 : novembre 1985, mai et novembre 1986 ; vol. 3 : février et juin 1987,
janvier 1988 ; vol. 4 : juillet et décembre 1988, mai 1989 ; vol. 5 : août 1989, janvier
XII
Les Cahiers de propriété intellectuelle
11
Pas facile d’harmoniser tout cela pour tenter un graphique
comparatif :
Ces comparaisons entre les trois revues ne veulent sans doute
pas dire grand-chose dans la mesure où la présentation du texte, la
et mai 1990 ; vol. 6 : septembre 1990, juin et septembre 1990 ; vol. 7 : décembre
1991, août 1992 et juin 1993 (ajout des coordonnées du numéro sur le dos de
couverture ; page couverture qui annonce le contenu du numéro) ; vol 8 : décembre
1993, juillet et décembre 1994 ; vol. 9 : décembre 1994 (bis), juin et décembre
1995 ; vol 10 : décembre 1995 (bis), mai et octobre 1996 ; vol 11 : décembre 1996,
août et novembre 1997 ; vol. 12 : décembre 1997, juin et septembre 1997 ; vol. 13 :
novembre 1998, août et octobre 1999 ; vol. 14 : décembre 1999, mai et septembre
2000 ; vol. 15 : décembre 2000, octobre 2001 et février 2002 ; vol 16 : août 2002,
janvier et juin 2013 ; vol. 17 : septembre 2003, février et avril 2004 ; vol. 18 :
mai et août 2004, mars 2005 ; vol. 19 : juin 2005, avril et octobre 2006 ; vol. 20 :
décembre 2006, mai et septembre 2007 ; vol. 21 : décembre 2007, août 2008 et
mars 2009 ; vol. 22 : décembre 2009, août et novembre 2010 ; vol. 23 : décembre
2010, juin et septembre 2011 ; vol 24 : décembre 2011, juillet et novembre 2012 ;
vol. 25 : décembre 2012, juillet 2012 (sic) et novembre 2013. Au vol. 25, no 3, un
décompte « manuel » donnait 443 articles, tous en anglais, pour 10 334 pages, soit
une moyenne de 23, 32 pages par article.
11. Les Cahiers de propriété intellectuelle sont publiés par Yvon Blais, une société
qui fait maintenant partie du groupe Thomson Reuters à laquelle appartient
également Carswell. À l’origine, le numéro 1 était publié en octobre d’une année
et les numéros 2 et 3, en janvier et mai de l’année suivante : c’est ce qui a prévalu jusqu’au numéro 16:3 de mai 2004. Le numéro des volumes a commencé à
correspondre avec l’année de calendrier en janvier 2005. L’éditeur a habilement
profité du hors-série – Mélanges Victor Nabhan pour ajuster la publication des
volumes à l’année de calendrier. Ajout du numéro sur le dos de couverture à partir
du 2:1 ; erreur de couleur sur le dos du 2:2 ; le hors-série est bleu. Au vol. 25, no 3, on
comptait 763 articles en 18 744 pages, soit une moyenne de 24, 6 pages par article.
Présentation
XIII
largeur des pages, la police de caractère et le mode de citation diffèrent
d’une à l’autre12.
L’abonnement annuel initial aux Cahiers coûtait 35 $ ;
aujourd’hui il est de 225,95 $13. Cette augmentation, si elle ne suit ni
le nombre de pages ni l’indice des prix à la consommation, demeure
quand même comparable à celles des autres revues juridiques14.
Donc, janvier 2014 : volume 26, numéro 115.
LE NUMÉRO
Six articles.
12. Et, encore une fois, les chiffres ne rendent pas compte de tout, mais peuvent
servir de pistes de recherche pour une éventuelle recherche historiographique
de l’évolution de la doctrine canadienne en propriété intellectuelle.
13. Un commentaire du Calembour masqué (de la défunte revue Croc) pour souligner :
« Savez-vous pourquoi Salvador Dali n’aurait jamais pu peindre les montres molles
pendant la crise économique ? Parce que pendant une récession, les temps sont
durs ». Le Calembour masqué, « Courrier » (novembre 1991) 148 Croc 4.
14. L’abonnement annuel initial aux IPJ était de 70 $ ; il est maintenant de 380 $
(mais comprend l’envoi d’une reliure des numéros du volume/année). Le coût
de l’abonnement aux recueils de jurisprudence des Canadian Patent Reporter
(C.P.R.) est maintenant de 457 $ par volume (et comprend également une reliure
du volume) et il y a entre 9 ou 10 volumes par année !
15. On a le droit d’être bien fier mais on reste modeste car « Qui se dresse sur la
pointe des pieds ne tiendra pas longtemps debout » enseignait Lao-Tseu, Tao tö
king (Paris, Gallimard/NRF, 1967), p. 91.
XIV
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Avec plaisir, les Cahiers publient « L’OMPI : transposition en
droit canadien des Traités Internet de 1996 » de Frédéric Alexandre
Yao16 lauréat pour le Prix des CPI17.
L’écrit est venu à remplacer le témoignage18 mais le document
électronique peut-il remplacer l’écrit : une question de confiance et
d’évolution des mœurs mais toujours sous le spectre du faux, ce dont
traite François Senécal dans son « Du témoin à l’écrit ; du papier à
l’électronique : la notion de faux en toile de fond ».
Toujours dans le domaine de la preuve, l’utilisation des archives
Internet, telles la WayBack Machine19 dans les litiges de propriété
intellectuelle, dont ceux mus devant la Commission canadienne des
oppositions des marques de commerce, par Laurence Bich-Carrière.
16. « Beaucoup de choses peuvent devenir des charges, des fardeaux, si nous nous
y attachons aveuglément et inconsciemment », extrait de « Notre étude et la
situation actuelle », (12 avril 1944), dans Citations du président Mao Tsé-toung
(Pékin, Éditions en langues étrangères. 1967), c. XXIV-3.
17. Ce prix est assorti d’une bourse offerte par l’Association littéraire et artistique
(ALAI-Canada) qui est ici remerciée de son soutien « récurrent ».
18. « Derrière une piece de velours figuré à feuilles de menthe près d’Ouy-dire, je
vys nombre grand de Percherons et Mançeaux, bons estudiants, jeunes assez et
demandans en quelle faculté ils appliquoient leur estude, entedismes que là de
jeunesse ils apprenoient à estre tesmoings, et en cestuy art proufitoient si bien,
que partans du lieu et retournez en leur province, vivoient honnesternent du
mestier de tesmoignerie, rendans seur tesmoignage de toutes choses à ceux qui
plus donneroient par journée, et tout par Ouy-dire ». – François RABELAIS, Le
cinquième livre (1562), c. XXX « Comment au pays de Satin nous veismes Ouy-dire,
tenant école de tesmoignerie » (Paris, Gallimard/LGF, 1969), p. 303.
19. Parmi les machines à voyager dans le temps qu’offre la bande dessinée, on pourra
ici penser, entre autres et dans un désordre iconographique iconoclaste, à la
fusée-motocyclette [KAHLES (Charles W.), Hairbreadth Harry (1924)], à la
Chronosphère ou Toupie du temps [GRAY (Clarence) et al., The Time Top, série
Rick Bradford (1935-04-20) Central Press Association, King Features Syndicate],
au Ballon [SAINT-OGAN (Alain), Zig et Puce au XXIe siècle (Paris, Hachette,
1935)], au portail temporel ou Doc Wonmug’s device [HAMLIN (Vincent Trout),
Alley Oop (1939-04-09) NEA ], à la machine à capter les ondes du passé ([JiJÉ
(Joseph Gillain, dit), Spirou et l’aventure (1944-11-02) 6:5 Le journal de Spirou],
au Télétemps [VANDERSTEEN (Willy), L’île d’Amphoria, série Bob et Bobette
(1947) (Anvers, Erasme, 1974)], au Chronoscaphe [JACOBS (Edgard-P), Le
piège diabolique, série Blake et Mortimer (Bruxelles, Lombard, 1962)], au tapis
roulant [INFANTINO (Carmine) et al., Cosmic Powered Treadmill (Septembre
1963) 139 The Flash], au siège temporel [ALEXIS (Dominique Vallet, dit ),
Time Is Money, série Ils voyagent dans le temps pour de l’argent (Paris, Dargaud,
1974)], au Translateur [LELOUP (Roger), La spirale du temps, série Yoko Tsuno
(Marcinelle, Dupuis, 1981)], au bracelet [SOKAL (Benoît), Un misérable petit
tas de secret, série Canardo (Tournai, Casterman, 2001)], au téléphone mobile
[ZEP (Zéphyrin Zeppoman, dit) et al., Les ChronoKids – Tome 1 (Grenoble, Glénat,
2008) ] et, bien sûr à la boîte de carton [WATTERSON (Bill), Calvin and Hobbes
(1992-05-23)].
Présentation
XV
Dans un article imposant, Victor Dzomo-Silinou dresse un
inventaire des mesures proposées par des gouvernements français,
anglais, belge, allemand, espagnol, australien et néo-zélandais pour
lutter contre le piratage numérique20.
La réserve de droits à l’usage exclusif est une institution particulière au droit mexicain, probablement une figure unique dans le
droit comparé. Il s’agit de cette faculté d’utiliser et exploiter exclusivement les titres, noms, dénominations, caractéristiques physiques
et psychologiques distinctives, ou les caractéristiques d’opération
originales appliquées, en accord avec leur nature, à un des genres
énumérés dans la législation. C’est ce dont traite Ana Nomen Corominas dans son « Entre le droit d’auteur et le droit de marques : les
réserves de droits au Mexique ».
Deux capsules et un compte rendu.
L’hébergeur doit-il se faire juge ? Vers une obligation de l’hébergeur d’apprécier le caractère diffamatoire ou non d’un contenu notifié
comme illicite au sens de la LCEN de Aurélie Brégou21.
Félix R. Larose et Mistrale Goudreau commentent l’arrêt
Socan c. Bell par où la Cour suprême du Canada tranche pour une
conception souple et libérale de l’exception de l’utilisation équitable et
« reconnaît le rôle grandissant qu’occupe l’utilisateur dans l’économie
informationnelle contemporaine ».
Pour conclure un imposant compte rendu de Mistrale Goudreau
sur l’ouvrage Codification of European Copyright Law, une codification européenne du droit d’auteur que certains perçoivent comme
une uniformatisation et d’autres comme une harmonisation. De quoi
certes alimenter la réflexion.
CHANGEMENT DE GARDE À LA PRÉSIDENCE
Rédacteur en chef durant les 10 premières années et président du conseil d’administration des Cahiers pendant les 15 années
suivantes, Ghislain Roussel aura marqué ceux-ci. Il tire sa révérence
20. « L’enquête est comparable à une longue gestation, et la solution d’un problème
au jour de la délivrance. Enquêter sur un problème, c’est le résoudre ». Mao
TSÉ-TOUNG, « Contre le culte du livre », (mai 1930), dans Écrits choisis en trois
volumes – volume I (Paris, Maspéro, 1973), p. 60.
21. Xiaolong QIU, « Sur Internet, quand un article était censuré, on disait qu’il avait
été harmonisé, effacé pour préserver l’harmonie de notre société capitaliste.
Maintenant, on dit qu’il a été mis en eau douce », Cyber China, (Paris, Liana Levi/
Points policier, 2012), p. 320.
XVI
Les Cahiers de propriété intellectuelle
et tous lui sauront gré de son travail constant à la promotion, au
développement et à la diffusion des CPI22.
Les Cahiers, de par leur structure, ne disposent pas d’une
importante équipe éditoriale de réviseurs de notes et de citations non
plus que de relecteurs de style. Les textes sont tout de même remis
« clé-en-main » à l’éditeur pour publication. À compter du numéro de
mai 2014, des changements stylistiques de présentation sont d’ailleurs
à prévoir23, ne serait-ce que pour la suppression des points dans les
abréviations de recueils24.
COMITÉ DE LECTURE
Les membres du comité de rédaction sont également membres
du comité de lecture mais la rédaction fait également appel à des
membres externes ou à ceux du comité international. Le cas échéant,
les articles sont soumis à une lecture anonyme (auteur et correcteurs/
relecteurs)25.
COMITÉS26
Pour qui lit les pages de garde des Cahiers, quelques corrections
dans la composition des Conseil d’administration, comité de rédaction
et comité de lecture, quelques ajustements
Mistrale GOUDREAU, professeure
Section de droit civil
Université d’Ottawa. Ottawa
Présidente des CPI
22. LAO-TSEU, « « L’œuvre une fois accomplie, retire-toi », telle est la loi du ciel »,
Tao tö king (Paris, Gallimard/NRF, 1967), p. 68.
23. À compter de mai 2014, la rédaction des Cahiers prévoit adopter, avec ajustements,
la huitième édition du Manuel canadien de la référence juridique (dans la mesure
où cette révision quadriennale sera alors disponible). Les règles de citation seront
donc « revisitées » afin de tenir compte des nouveaux usages et, qui sait, de la
« Politique sur le Recueil des lois et des règlements du Québec » (2013-01-03)
145:1 Gazette officielle du Québec – Partie 2, 45.
24. Par contre, le rédacteur en chef, sauf s’il est mis en minorité, compte maintenir
le nom complet des revues, certaines abréviations étant obscures et se refuse à
dépouiller les auteurs de leur(s) prénom(s) complet(s).
25. Ludwig WITTGENSTEIN, « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence »,
Tractatus logico-philosophicus (1921) (Paris, Gallimard/Tel, 1993), p. 31.
26. La rédaction des CPI n’en est pas au « divin écheveau » mais compte sur ses
comités pour la sélection – à l’avance, ce qui relève parfois de l’art divinatoire – de
sujets d’actualité et d’intérêt. « Ce que l’on appelle « information » préalable ne
peut pas être tiré des esprits, ni des divinités, ni d’analogie avec des évènements
passés, ni de calculs. Il faut l’obtenir d’hommes qui connaissent la situation de
l’ennemi » Sun TZU, L’art de la guerre (Paris, Flammarion, 1972), c. XII-4.
Présentation
XVII
Florence LUCAS, avocate
Gowlings, Montréal,
Vice-présidente des CPI
Marie-Josée LAPOINTE, avocate
BCF, Montréal,
Secrétaire trésorière des CPI
Ghislain ROUSSEL (supprimer)27.
Pour ce qui est du Comité international, une correction
Lucie Guibault
Professeure associée
Instituut voor Informatierecht
Amsterdam, Pays-Bas
et un ajout :
Nicolas Binctin
Professeur agrégé
Facultés de droit, Université de Poitiers – CECOJI
Poitiers, France.
« LU ET ENTENDU » – LE PERLIER28
Montesquieu affirmait « [L]es écrits contiennent quelque chose
de plus permanent que les paroles »29 : De l’esprit des lois, XII, 13
(1748). De là à trouver du sous-texte dans les lapsus qui suivent…
• La ré-édition de comptes (la reddition de compte) ;
27. Même sur papier seulement, quand même avec un gros pincement de cœur.
28. « Taisez-vous », « C’est moi qui trouve les idées et cette idée est excellente »
« Silence ! D’ailleurs je n’ai que des idées excellentes », de dire le professeur
Stanislas à Timoléon Dominique Vallet, dit ALEXIS et al., 4 pas dans l’avenir,
série Ils voyagent dans le temps pour de l’argent (Paris, Dargaud, 1975), p. 7.
29. Charles DE SECONDAT baron de Montesquieu, « De l’esprit des lois », c. XII, 13
(1748) dans Oeuvres complètes de Montesquieu (Paris, Firmin Didot, 1838), p. 286
[et je voudrais bien savoir qui a emprunté ma copie…]. Cette citation est d’ailleurs
un exemple typique de détournement car incomplète et traitant plutôt du crime
de lèse-majesté ! Complétons donc « […] ; mais, lorsqu’ils ne préparent pas au
crime de lèse-majesté, ils ne sont point une matière du crime de lèse majesté »,
qui, comme on le sait est un « crime très-grave, attendu que les souverains sont les
images de Dieu sur terre, & que toute puissance vient de Dieu », dans Encyclopédie
ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, tome 19, 3e édition
(Neuchâtel, Société typographique, 1779), p. 593, sous l’entrée « lèse-majesté »
attribuée à Louis, chevalier De Jaucourt.
XVIII
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• Dure la laisse cède la laisse (dura lex sed lex) ;
• « L’estoppel et les taches en jurisprudence arbitrale » de JeanClaude D’Aoust et Louis Dubé (plutôt que « L’estoppel et les
laches en jurisprudence arbitrale » ; d’ailleurs, ironiquement,
la base de données Papyrus indexe cette monographie de 1990
avec l’épellation lâches, ce qui laisse perplexe) ;
• « Monsieur, à qui appartiennent les usufruits qui tombent de
l’arbre ? » (cours de droit des biens, on s’en doute) ;
• « Et si on perd devant la Queen’s Bench est-ce qu’on peut en
appeler à la King’s Bench ? ». « Monsieur, ne confondez pas un
cours d’histoire du droit avec un jeu de cartes. » (cours d’histoire du droit) ;
• « Before you get laid » plutôt qu’un « before you get paid » ;
• […] Thank you and have a good weakened. Relecture tardive
après l’envoi : Spell check is funny – I meant have a good
“weekend”! –) ;
• « Si t’aimes » pour « systèmes » (pourquoi pas cite me, tant qu’à
y être30 – terme fréquemment utilisé en droit de la construction
et qui explique les dépassements de coûts) ;
• La radioactivité de la marque pour la radiation de la marque
(en fait, dans la première mouture, c’était the radiation of the
trade-mark registration plutôt que the expungement of the
trade-mark registration.
Et, pour ne pas faire de jaloux, combien de fois peut-on amender
sans que cela n’en devienne une chanson31 :
• Groupe Enico inc. c. Agence du revenu du Québec, 2013 QCCS
2222 (C.S.Q. ; 2013-05-13), le juge Reimnitz
30. Le « tant qu’à y être » est un terme fréquemment utilisé en droit de la construction
et qui explique les dépassements de coûts.
31. Souvenir : « Donnez-moi le do, donnez-moi le ré, donnez-moi le mi » enseignait
le professeur de solfège à coups de diapason sur les doigts de qui faussait ; très
loin et moins pédagogique que le « RÉ Rayon de soleil d’or » de la Mélodie du
bonheur (1965) de Robert Wise, disponible à <http://www.youtube.com/watch?v=ey-Dm4Pxbw>. « Re est la première syllabe du second vers de l’hymne latin de saint
Jean-Baptiste attribué à Paul Diacre : Resonare fibris. Il a été choisi par Guido
d’Arezzo (995-1050) pour nommer la seconde note de la gamme. La fréquence du
ré intermédiaire est de 587,33Hz », nous apprend Wikipédia.
Présentation
XIX
[1] Le tribunal doit disposer d’une Requête pour permission
d’amender la requête. On demande d’amender la requête
ré-ré-ré-ré-ré-ré amendée ;
• Webster c. Woodard (Succession de), 2013 QCCS 5620 (C.S.Q. ;
2013-11-14), la juge Mireault
[1] Dans sa procédure introductive d’instance ré-ré-ré-ré-réré-amendée, C. Webster requiert entre autres ce tribunal…
Sur ce, bonne lecture32.
Laurent Carrière
Rédacteur en chef
32. Juanjo GUARDINO et Juan DIAS CANALES, « Les mots nous éclairent, ils nous
montrent la voie », Amarillo, série Blacksad (Paris, Dargaud, 2013), p. 4.
Rapport du président des Cahiers de
propriété intellectuelle inc.
Assemblée générale annuelle du
7 janvier 2014
Mesdames et messieurs,
Je suis très ému et honoré de vous soumettre mon rapport
pour l’exercice financier 2013 des Cahiers de propriété intellectuelle
inc. car, comme vous le savez, c’est le dernier à titre de président en
exercice. Je quitte dès aujourd’hui la direction et la rédaction des
Cahiers de propriété intellectuelle après plus de 25 ans et en ce 25e
anniversaire de la revue. Je suis heureux d’annoncer que ma collègue
Mistrale Goudreau a gentiment et spontanément accepté de prendre
la relève et d’assumer la présidence. Je l’en remercie vivement.
Elle pourra compter sur la collaboration sans réserve et assidue de tous les membres du comité de rédaction de la revue qui a
atteint un haut niveau d’expertise et qui fait montre de beaucoup de
dynamisme et de solidarité. Merci à Georges Azzaria, Louise Bernier,
Laurent Carrière, Vivianne de Kinder, Hilal El-Ayoubi, Mistrale
Goudreau, Marie-Josée Lapointe, Florence Lucas, Ejan Mackaay,
Hélène Messier, Annie Morin, Daniel Paul et Daniel Urbas. Et cela
sans compter la tolérance, la persévérance, l’imagination fertile et le
travail colossal du rédacteur en chef, Laurent Carrière.
J’adresse également mes habituels remerciements aux Éditions
Yvon Blais, membre du groupe Thomson Reuters, et à sa représentante au sein du comité de rédaction, Johanne Forget, pour son soutien
de tous les instants et sa compréhension face à nos délais de remise de
textes. L’éditeur a de plus offert, le 2 décembre 2013, une réception afin
de souligner le 25e anniversaire de la revue, en plus de poser d’autres
gestes en vue de promouvoir les Cahiers de propriété intellectuelle.
XXI
XXII
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La revue s’appuie aussi sur la complicité et la contribution des
membres du comité éditorial international qui s’est enrichi en 2013 de
l’expertise de Tomoko Inaba du Japon, de Christophe Caron de France
et de Marshall Leaffer des États-Unis d’Amérique. Il en est de même
pour les collaborateurs québécois, canadiens et étrangers au contenu
de la revue et les initiatives entreprises en vue de développer une
section « Nouvelles de l’étranger » avec des collègues chinois (Weining
Zou), japonais (Tomoko Inaba), mexicain et, éventuellement, turc.
Le numéro spécial de janvier 2013 de plus de 500 pages a été
consacré aux droits moraux à l’échelle nord-américaine, communautaire et internationale avec plus de 25 collaborateurs des divers
continents ; ce numéro réalisé sous ma direction a nécessité beaucoup
d’énergie et de temps et le soutien de membres du comité de rédaction et du comité éditorial international que je remercie. Le numéro
de mai 2013 portait, tradition oblige, sur les cinq décisions les plus
marquantes dans divers domaines de la propriété intellectuelle au
Canada. Enfin, le numéro d’octobre avait pour thème la Loi sur la
modernisation du droit d’auteur au Canada, le fameux projet de loi
C-11 entré en vigueur au début de novembre 2012, projet fort critiqué
qui revisite et réinterprète le droit d’auteur au Canada. Je désire
mentionner tout particulièrement les démarches de membres du
comité de rédaction qui ont rendu possible la parution de ce numéro
et la coordination assumée par Georges Azzaria.
Quant au Prix des Cahiers de propriété intellectuelle, les critères d’admissibilité ont été élargis de nouveau afin de rendre admissibles des coauteurs. Le Prix des Cahiers de propriété intellectuelle
2012-2013 a été remis le 26 septembre 2013 à Frédérick-Alexandre
Yao, étudiant à la Faculté de droit de l’Université Laval ; le Prix était
accompagné d’une bourse de 500 $ de l’ALAI Canada que les Cahiers
remercient.
Par ailleurs, les statuts et règlements généraux de l’association ont fait l’objet d’une refonte afin de les réviser et de les rendre
conformes à la nouvelle législation canadienne sur les organismes
à but non lucratif. Je remercie la secrétaire-trésorière, Marie-Josée
Lapointe, pour l’excellent travail de révision effectué.
En conclusion, un chaleureux merci ultime à mes collègues
anciens et actuels du conseil d’administration et de la rédaction et
du comité éditorial international, à l’énergique rédacteur en chef, à
tous les contributeurs de la revue, aux Éditions Yvon Blais du groupe
Rapport du président
XXIII
Thomson Reuters et à Johanne Forget et aux plus que fidèles lecteurs
de la revue.
Bon 25e anniversaire et longue vie aux Cahiers de propriété intellectuelle.
Ghislain Roussel
Montréal, 7 janvier 2014
TABLE DES MATIÈRES
Présentation
Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII
Rapport du président des Cahiers de propriété intellectuelle inc.
Ghislain Roussel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XXI
Articles
Archives Internet : quelques problèmes de preuve – Application
particulière à la Commission des oppositions
Laurence Bich-Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal :
entre riposte graduée et filtrage de l’Internet
Victor Dzomo-Silinou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Entre le droit d’auteur et le droit de marques : les réserves de
droits au Mexique
Ana Nomen Corominas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Du témoin à l’écrit; du papier à l’électronique : la notion de faux
en toile de fond
François Senécal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
L’OMPI : transposition en droit canadien des Traités Internet
de 1996
Frédérick-Alexandre Yao . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
XXV
XXVI
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Capsules
L’hébergeur doit-il se faire juge ? Vers une obligation de
l’hébergeur d’apprécier le caractère diffamatoire ou non d’un
contenu notifié comme illite au sens de la LCEN
Aurélie Brégou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Commentaire d’arrêt : Socan c. Bell
Félix R. Larose . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Compte rendu
Codification of European Copyright Law
Mistrale Goudreau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245
Vol. 26, nº 1
Archives Internet : quelques
problèmes de preuve – Application
particulière à la Commission des
oppositions
Laurence Bich-Carrière*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
NOTES LIMINAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1. LA COMMISSION DES OPPOSITIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.1 Fardeaux de la preuve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.2 Motifs d’opposition et recours à la WBM . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.2.1 Motifs d’opposition et dates critiques . . . . . . . . . . . . 7
1.2.2 Alinéa 38(2)a) L.m.c. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.2.2.1 Alinéa 30b) L.m.c. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.2.2.2 Alinéa 30c) L.m.c. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.2.2.3 Alinéa 30d) L.m.c. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.2.2.4 Alinéa 30e) L.m.c. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.2.3 Alinéa 38(2)b) L.m.c. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.2.4 Alinéa 38(2)c) L.m.c. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.2.5 Alinéa 38(2)d) L.m.c.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
© Laurence Bich-Carrière, 2014.
* BCL/LLB 08 (McGill), LLM 09 (Cantab.), avocate, Heenan Blaikie, SENCLR, SRL.
1
2
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.3 Admissibilité de principe : la décision ITV . . . . . . . . . . . . 15
2. FIABILITÉ DE LA WBM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
2.1 Droit commun de la preuve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
2.2 Fonctionnement de la WBM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2.2.1 La page Internet originale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2.2.2 L’archivage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
2.2.2.1 Le processus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
2.2.2.2 Caractère incomplet de l’archivage . . . . . . 24
2.2.2.2.1 Pages non répertoriées ou
rendues inaccessibles . . . . . . . . 24
2.2.2.2.2 Pages incomplètes ou
reconstituées . . . . . . . . . . . . . . . 26
2.2.3 Les pages archivées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
2.3 Quelques propositions de droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
3. DROIT COMPARÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
3.1 États-Unis : le problème de la connaissance personnelle . . 33
3.2 Australie : « inadmissible », « peu fiable » et pourtant
largement acceptée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
3.3 France : du respect des formes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
3.4 Instances supranationales : réceptivité et habitude . . . . . 38
3.4.1 Office européen des brevets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
3.4.2 Centre d’arbitrage et de médiation de l’Office
mondial de la propriété intellectuelle . . . . . . . . . . . 38
4. VERS UNE CONNAISSANCE D’OFFICE ? . . . . . . . . . . . . . . . 39
INTRODUCTION
Proposition banale s’il en est que celle du caractère protéiforme, éphémère et évanescent de l’Internet. Cette nature transitoire
contrarie toute aspiration à la pérennité électronique : le contenu
d’aujourd’hui pourra ne plus exister demain, qu’il soit modifié ou
simplement supprimé. En fait, il le sera probablement1. Non seulement une page Internet risque-t-elle fort d’être remplacée, mais,
vraisemblablement, elle le sera sans véritablement laisser de trace. Au
contraire du livre imprimé, dont les éditions précédentes subsistent
au moins sur le plan matériel2, la modification d’une page Internet
coupe l’accès aux versions antérieures, sauf à contacter l’auteur
original de la page.
1. S’il est difficile de contester le caractère volatile de l’Internet, quantifier la « vie
moyenne » d’une page Internet l’est tout autant. En 2001, l’Internet Archive
l’estimait à 44 jours, deux ans plus tard, à 100 jours, aujourd’hui, à 77 jours. Voir :
Nancy C. KRANICH « Libraries, the Internet, and Democracy », dans Nancy C.
KRANICH (dir.), Libraries and Democracy : The Cornerstones of Liberty (Chicago,
American Library Association, 2001), p. 83, p. 87 ; Maureen PENNOCK et Brian
KELLY, « Archiving Web Site Resources: a Record Management View », dans
Proceedings of the 15th International Conference on World Wide Web (New York,
ACM, 2006), 987 et Internet Archive, FAQs, en ligne : <www.archive.org/faq> [site
consulté le 31 octobre 2013]. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les guides de
citation préconisent l’inclusion de la date de consultation lorsque référence est
donnée à un site Internet : Didier LLUELLES (coll. Josée RINGUETTE), Guide
des références pour la rédaction juridique, 7e éd., (Montréal, Thémis, 2008), p. 93 ;
Peter W. MARTIN, Introduction to Basic Legal Citation (2012), en ligne : <www.law.
cornell.edu/citation/index.htm>, § 2-110(3) ; Columbia Law Review Association et
al. (dir.), The Bluebook: A Uniform System of Citation, 19e éd., (New Haven, Conn.,
(2010) Yale University Press), no 18.2.2c), ou, à tout le moins, mettent en garde
contre l’obsolescence éventuelle des références électroniques : Manuel canadien de
la référence juridique, 7e éd., (Toronto, Carswell, 2010), p. F-138 : « Plusieurs textes
en ligne disparaissent après un certain temps. Renvoyer à une source en ligne
seulement si cette source fournit des documents archivés remontant à quelques
années ».
2. Contra Ray BRADBURY, Fahrenheit 451, (New York, Ballantine, 1953), Carlos
RUIZ ZAFON, L’ombre du vent (trad. fr. par François MASPERO) (Paris, LGF/
LdP, 2006 (Barcelone, Planeta, 2001)) ou Hiro ARIKAWA, Library Wars (trad. fr.
par Virgile MACRE) (Grenoble, Glénat, 2010 (Tokyo, Mediaworks, 2006)). Voir
Lucien X. POLASTRON, Books on Fire: The Destruction of Libraries throughout
History (Rochester, VT, Inner Traditions, 2007) ; Rebecca KNUTH, Burning Books
and Leveling Libraries: Extremist Violence and Cultural Destruction (Westport, CT,
Praeger, 2006).
3
4
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’envers de la mise à jour en continu de l’information c’est, en
quelque sorte, une constante désuétude. On aimerait parfois retrouver
une page dans une ancienne interface ou retrouver de l’information
retirée. C’est pour éviter cette perpétuelle obsolescence qu’a été créée
l’Internet Archive, un projet de bibliothèque numérique de versions
antérieures de pages Internet modifiées depuis. Comme l’explique
Brewster Kahle, l’un de ses fondateurs : « I feel like we’ve touched
a raw nerve in attempting this project, since it can change the Net
forever from an ephemeral medium to an enduring one »3. Le moteur
de recherche de cette cyberarchive c’est la Wayback Machine (WBM),
nommée en clin d’œil à la WABAC Machine de l’émission Rocky &
Bullwinkle4 qui permettait à Sherman et à Mr. Peabody de remonter
dans le temps et de présenter leurs capsules de l’histoire improbable5.
Fréquemment invoquée devant la Commission des oppositions
des marques de commerce, la fiabilité de la WBM est rarement remise
en question, essentiellement parce qu’un jugement de la Cour fédérale
l’a déclarée fiable6. Loin de nous l’idée de nier l’utilité pratique du
dispositif, toutefois, on peut se demander si les limites en sont bien
comprises. C’est ce que le présent article se propose d’explorer. On
brossera d’abord l’état du droit à la Commission des oppositions (1)
avant d’explorer les questions de preuve soulevées par l’utilisation
de la WBM tant au Canada (2) qu’ailleurs dans le monde (3), voire
d’offrir quelques pistes de solution (4).
NOTES LIMINAIRES
Bien sûr, l’Internet Archive n’est pas le seul site de cyberarchivage existant sur Internet7. Ses concurrents sont généralement
3. Propos rapportés dans Alyssa N. KNUTSON, « Proceed with Caution: How Digital
Archives Have Been Left In the Dark », (2009) 24 Berkeley Technology Law Journal
437, 446.
4. « Peabody’s Improbable History » est l’une des mini-séries composant les aventures
de Rocky & Bullwinkle, télésérie de dessins animés produite par Jay Ward Productions et diffusées sur ABC et NBC entre 1959 et 1964. Les personnages ont toujours
prononcé « wayback machine », toutefois, l’orthographe « WAYBAC » a été utilisée
dans le quatrième épisode de la première saison, plutôt que l’habituel « WABAC ».
5. Judy TONG, « Responsible Party – Brewster Kahle: A Library of the Web On the
Web », New York Times (8 septembre 2002), en ligne : <www.nytimes.com/2002/09/08/
business/responsible-party-brewster-kahle-a-library-of-the-web-on-the-web.html>
[site consulté le 31 octobre 2013].
6. ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2003 CF 1056 (conf. à d’autres motifs
dans WIC TV Amalco Inc. c. ITV Technologies Inc., 2005 CAF 96 ; désistement de
la demande d’autorisation de pourvoi no 30935 (19 août 2005)).
7. Pour une comparaison des fonctionnalités des moteurs de recherche de certaines
archives, voir : Jinfang NIU, « Functionalities of Web Archives », en ligne : (2012) 18:3
D-Lib 1, <www.dlib.org/dlib/march12/niu/03niu2.html> [site consulté le 31 octobre
2013].
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
5
des services payants, souvent axés sur la conformité réglementaire
et la communication de documents électronique, tels Aleph Archives8,
Iterasi9 ou Reed Archives10. Il existe également des programmes
d’archivage visant la constitution de répertoires propres à certains
médias : c’est le cas de l’Internet Memory11, agrégateur de contenu
multimédia, de Hanzo Archives12, qui se dit spécialiste de l’archivage
du Web 2.0, ou d’ArXiv13, WebCite14 et The Web Archiving Service15,
destinés aux publications académiques. Il faut encore compter avec
les archives des pages officielles, souvent constituées par les autorités
elles-mêmes16. Fondée en 199617, l’Internet Archive est toutefois de loin
l’entreprise la mieux établie18, c’est elle qu’a considérée la jurisprudence canadienne et c’est sur elle que sera concentré le présent article.
De même, c’est à dessein que nous avons choisi de nous limiter
à l’utilisation de la WBM devant la Commission des oppositions des
marques de commerce du Canada, parce qu’il s’agit, de jurisprudence
rapportée, du tribunal où cet outil d’archivage est le plus souvent utilisé. Au Canada, en matière de propriété intellectuelle, des plaideurs
ont également eu recours à la WBM pour montrer une violation d’une
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
Aleph Archives, en ligne : <http://aleph-archives.com> [site consulté le 31 octobre
2013].
Iterasi, Entreprise Web Archiving Service, en ligne : <www.iterasi.com> [site
consulté le 31 octobre 2013].
Reed Archives, Home, en ligne : <www.reedarchives.com> [site consulté le 31 octobre 2013].
Internet Memory, en ligne : <http://internetmemory.org> [site consulté le 31 octobre
2013].
Hanzo Archives, Home, en ligne : <www.hanzoarchives.com> [site consulté le
31 octobre 2013].
ArXiv, ePrint Archive, en ligne : <http://arxiv.org> [site consulté le 31 octobre 2013].
WebCite, en ligne : <www.webcitation.org> [site consulté le 31 octobre 2013].
The Web Archive, Yesterday’s Web, Today’s Archive, en ligne : <http://webarchives.
cdlib.org> [site consulté le 31 octobre 2013].
Pour une liste des archives gouvernementales voir : Aïda CHEDDID, Archivage
du Web organisationnel dans une perspective archivistique, thèse de doctorat en
sciences de l’information, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal, 2012 [non publiée] ;
en ligne <https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/9203/
Chebbi_Aida_2013_these.pdf;jsessionid=5B44CE1A64290537A62FB94E0D2AE
251?sequence=4>.
À l’époque, « You could look at the Web and it was about the size of two Coke®
machines, […], about 30 million pages », explique Brewster Kahle, dans « The
Wayback Machine: Preserving the History of Web Pages », conférence enregistrée
par ForaTV (30 décembre 2011) [non publiée], en ligne : <www.youtube.com/
watch?v=JsL1TADosN0>, à 0:58 [site consulté le 31 octobre 2013].
Elle recevrait en moyenne de mille requêtes à la seconde pour plus de 500 000
utilisateurs quotidiens. Voir Brewster KAHLE, « The Wayback Machine: Preserving the History of Web Pages », conférence enregistrée par ForaTV (30 décembre
2011) [non publiée], en ligne : <www.youtube.com/watch?v=JsL1TADosN0>, à 2:21
[site consulté le 31 octobre 2013].
6
Les Cahiers de propriété intellectuelle
marque de commerce à la suite de la résiliation d’une licence19 ainsi
que pour établir les antériorités devant la Commission d’appel des
brevets20. On compte en outre, toujours au Canada, certaines utilisations en matière criminelle ou pénale21, de responsabilité civile22, de
diffamation et de vie privée23. Nous laissons toutefois à d’autres le soin
d’en traiter dans ces contextes. Bien sûr, plusieurs de nos commentaires relèveront du droit commun de la preuve, mais il faudra compter
avec certaines spécificités de ce tribunal administratif fédéral.
1.
LA COMMISSION DES OPPOSITIONS
1.1
Fardeaux de la preuve
Celui qui s’objecte à l’enregistrement d’une marque de commerce doit former opposition devant la Commission des oppositions
des marques de commerce du Canada, laquelle examinera alors le
bien-fondé de la demande d’enregistrement. Le fardeau ultime est
celui du requérant, puisque c’est à lui qu’il revient de démontrer,
par prépondérance de preuve, que sa demande est, entre autres,
conforme aux prescriptions de l’article 30 de la Loi sur les marques
de commerce24. Toutefois, avant que ne s’applique ce fardeau « légal »,
19. C’était d’ailleurs en partie ce qu’invoquait la demanderesse reconventionnelle dans
ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2003 CF 1056 (conf. à d’autres motifs
dans WIC TV Amalco Inc. c. ITV Technologies Inc., 2005 CAF 96 ; désistement de
la demande d’autorisation de pourvoi no 30935 (19 août 2005)). Voir aussi : Hollick
Solar Systems Ltd. c. Énergie Matrix Inc., 2011 CF 1213.
20. Re U-Haul International Inc., (2010) 82 C.P.R. (4th) 279 (C.A.B.).
21. Voir par exemple R. c. Ballendine, 2009 BCSC 1938, conf. par 2011 BCCA 221,
par. 17 (utilisation de la WBM pour démontrer l’historique de visionnement d’une
personne accusée de possession de pornographie juvénile) ; R. c. Pommer, 2008
BCSC 423. Sur la mémoire cache et la mens rea généralement, voir R. c. Morelli,
2010 CSC 8, [2010] 1 R.C.S. 253. On se rappellera également cette affaire de 2005
où le tribunal torontois chargé du procès de trois adolescents pour le meurtre du
jeune frère de l’un d’entre eux avait déclaré le non-lieu après que des journalistes
du National Post eussent, par l’entremise de la WBM, accédé aux pages d’un forum
dont on pouvait conclure que la témoin clé de la Couronne s’était lourdement
parjurée : Siri AGRELL, « Teenage Witness Feared Jeopardizing Johnathan
Trial, Web Log Reveals », National Post (17 février 2005), p. A7 ; voir aussi :
David KESMODEL, « Lawyer’s Delight: Old Web Material Doesn’t Disappear »,
The Wall Street Journal (27 juillet 2005), en ligne : <online.wsj.com/article/0,,
SB112242983960797010,00.html> ; Leonard POLSKY, « Web Time Travel with
the Wayback Machine », Lawyers’ Weekly (18 novembre 2011), en ligne : <www.
lawyersweekly.ca/index.php?section=article&articleid=1540> ; Matthew FAGAN,
« «Can you do a Wayback on that?» The Legal community’s use of cached Web pages
in and out of trial », (2007) 3 Boston University Journal of Science & Technology
Law 46, 61.
22. Loychuk c. Cougar Mountain Adventures Ltd., 2012 BCCA 122.
23. Atlantic Lottery Corporation (Re), 2009 CanLII 70462 (Comm. vie privée N.-É.).
24. Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), c. T-13 [L.m.c.].
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
7
l’opposant aura le fardeau « factuel » de démontrer l’existence des
faits allégués au soutien de ses motifs d’opposition25. Ce fardeau
initial, cependant, est plutôt léger26 quant aux motifs d’opposition
sur la non-conformité à l’article 30 L.m.c., puisqu’il s’agit de faits qui
sont davantage de la connaissance du requérant que de l’opposant27
(ce qui n’est pas sans faire écho à la présomption de fiabilité des
documents « enregistrés ou mis en mémoire par la partie adverse »
de l’alinéa 31.3b) de la Loi sur la preuve au Canada28, sur laquelle
on aura l’occasion de revenir). Pour léger que soit ce fardeau, il est
néanmoins réel29.
1.2
Motifs d’opposition et recours à la WBM
1.2.1 Motifs d’opposition et dates critiques
Les motifs d’opposition sont énoncés de façon sommaire mais
exhaustive au paragraphe 38(2) L.m.c. :
38. (2) Cette opposition peut
être fondée sur l’un des
motifs suivants :
38. (2) A statement of opposition may be based on any
of the following grounds:
a) la demande ne satisfait
pas aux exigences de l’article 30 L.m.c. ;
(a) that the application does
not conform to the requirements of section 30;
25. John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., (1990) 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F.P.I.), aux
p. 298-299, conf. (1985) 4 C.P.R. (3d) 387 (Comm. opp.) ; conf. par (1992) 42 C.P.R.
(3d) 495 (C.A.F.) ; Continental Teves AG & Co. c. Canadian Council of Professional
Engineers, 2013 CF 801.
26. Cheung Kong (Holdings) Ltd. c. Living Realty Inc. (1999), [2000] 2 C.F. 501
(C.F.P.I.), Loblaws Inc. c. Telecombo inc., 2006 CF 634, par. 36 : « Cependant, le
fardeau de preuve imposé à un opposant est léger. C’est-à-dire qu’il ne faut pas
beaucoup de preuves pour mettre en doute la question de l’emploi, ce qui oblige
la partie qui sollicite l’enregistrement à démontrer, selon la prépondérance de la
preuve, qu’elle s’est conformée aux exigences de l’alinéa 30b) de la Loi » ; Association royale de golf du Canada c. Ontario Regional Common Ground Alliance,
2009 CanLII 90300, (2009) 72 C.P.R. (4th) 59 (Comm. opp.) ; Hortilux Schreder
B.V. c. Iwasaki Electric Co. Ltd., 2010 COMC 179 (inf. à d’autres motifs par 2011
CF 967, conf. par 2012 CAF 321), par. 28.
27. Tune Masters c. Mr. P’s Mastertune Ignition Services Ltd., (1986) 10 C.P.R. (3d)
84 (Comm. opp.), p. 89 ; Association royale de golf du Canada c. Ontario Regional
Common Ground Alliance, 2009 CanLII 90300, (Comm. opp.) p. 4 ; Heather Ruth
McDowell c. 2103214 Ontario Inc., 2012 COMC 227, par. 15.
28. Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), c. C-5 [L.p.C.].
29. Cheung Kong (Holdings) Ltd. c. Living Realty Inc. (1999), [2000] 2 CF 501 (C.F.P.I.),
par. 36-38 ; Reed Solutions Plc c. Reed Elsevier Group Plc, 2011 COMC 263.
8
Les Cahiers de propriété intellectuelle
b) la marque de commerce
n’est pas enregistrable [au
sens de l’article 12 L.m.c.] ;
(b) that the trade-mark is
not registrable [as per s. 12
T.M.A.];
c) le requérant n’est pas la
personne admise à l’enregistrement [au sens de l’article 16 L.m.c.] ;
(c) that the applicant is not
the person entitled to registration of the trade-mark
[as per s. 16 T.M.A.]; or
d) la marque de commerce
n’est pas distinctive [au
sens de la définition qu’en
donne l’article 2 L.m.c.].
(d) that the trade-mark is
not distinctive [as defined
in s. 2 T.M.A.].
Ce que ne précise pas le paragraphe 38(2) L.m.c., c’est la date
pertinente pour l’évaluation du motif d’opposition, la date critique,
qui, pour chacun d’eux, varie. Or, cette date est de prime importance
puisqu’aucun poids ne sera accordé à l’élément de preuve postérieur
à la date critique pertinente30. Après certains flottements jurisprudentiels et doctrinaux31, on peut maintenant tirer que ces dates
critiques sont :
• La date de production de la demande sous opposition pour le
motif de l’alinéa 38(2)a) L.m.c. ;
• La date de production de la demande pour le motif de l’alinéa
38(2)b) L.m.c. si celui-ci se fonde sur les alinéas 12(1)a) ou 12(1)
b) L.m.c. mais plutôt celle de la décision de la Commission des
oppositions si l’on s’appuie sur les autres sous-paragraphes ;
• La date de premier emploi ou de révélation alléguée pour les
demandes fondées sur une telle base et la date de production
de la demande pour celles fondées sur les enregistrement et
emploi étrangers ou sur celui de l’emploi projeté au Canada
pour le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)c) L.m.c. ;
30. Voir, par exemple, Ansell c. Industria De Diseno Textil SA, 2013 COMC 171, par. 37 ;
2013 COMC 170, par. 28 ; 2013 COMC 169, par. 37.
31. Voir généralement Cynthia ROWDEN, « The Statement of Opposition: The Crucial First Step in Opposition Proceedings », (septembre 2009) en ligne : <www.
bereskinparr.com/files/file/docs/OppositionsPaper_0909CR.pdf> [site consulté le
31 octobre 2013] ; Jean CARRIÈRE, « Les dates pertinentes en matière d’opposition
à l’enregistrement de marques de commerce : la machine à voyager dans le temps »,
dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Développements
récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2004), p. 125 et Roma COLBERT et Douglas FYFE, « Opposition Before the
Canadian Trade-Marks Office » (1998) 14 Canadian Intellectual Property Review
174.
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
9
• La date de production de la déclaration d’opposition pour le
motif fondé sur l’alinéa(2)d) L.m.c. ;
• Et pour compliquer les choses, lorsqu’une priorité conventionnelle est revendiquée (art. 34 L.m.c.) et que la date critique
serait autrement celle de la production de la demande d’enregistrement, c’est la date de la priorité qui sera la date critique32
puisque la demande canadienne rétroagit à cette date33.
Pour ce qui est du motif de non-enregistrabilité, la preuve
s’évalue « en temps réel » et toute preuve admissible sera prise en
compte quel que soit le moment de sa confection. Dans les autres cas
toutefois, le moment où l’opposant devra produire sa preuve ne surviendra qu’après la date critique, souvent même beaucoup plus tard.
On peut très bien imaginer une demande d’enregistrement produite
en 2010 sur la base d’une allégation d’emploi au Canada depuis 2005
qui ne fasse l’objet d’une opposition qu’en 2014, pour n’être finalement
entendue, si l’on tient compte des délais statutaires, réglementaires
et administratifs, qu’en 201834. D’où l’intérêt du recours à la WBM,
qui permet de retrouver des documents d’usage courant à l’époque
critique, en l’occurrence, des pages Internet qui soient l’indice d’une
activité donnée35 et d’ainsi constituer une preuve de faits qui se sont
passés bien avant la date où les motifs d’opposition ont été connus36.
32. Helene Curtis Ltd. c. Jeffrey Martin Canada Inc., (1985) 5 C.P.R. (3d) 329 (Comm.
opp.), p. 332 ; Austin Nichols & Co. c. Cinnabon Inc., (2000) 5 C.P.R. (4th) 565
(Comm. opp.), par. 10.
33. « L’article 34 L.m.c. prévoit les circonstances faisant que la date de demande à
l’étranger (dépôt de base ou d’origine) est réputée être la date de demande au
Canada (dépôt réflexe) » : Laurent CARRIÈRE, « Traitement administratif des
marques de commerce : bases d’enregistrement et priorité », fascicule 14 (mise à
jour août 2013), dans JurisClasseur Québec – Propriété intellectuelle, (Montréal,
LexisNexis, 2012), no 115.
34. Office de la propriété intellectuelle du Canada, Énoncé de pratique concernant
la procédure d’opposition en matière de marque de commerce (31 mars 2009) en
ligne : <www.opic.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/wr01558.html>
[site consulté le 31 octobre 2013].
35. Bien sûr, tout n’est pas sur la toile et celui qui demande l’enregistrement d’une
marque de commerce est libre du choix de ses canaux de distribution ou de promotion (Culinar Inc. c. Mountain Chocolates Ltd., 1998 CanLII 18561 (Comm.
opp.) (liberté de moyens) ; Heather Ruth McDowell c. 2103214 Ontario Inc., 2012
COMC 227 (service de vente en ligne) ; voir Cindy BÉLANGER, « Pour en finir
avec la marque de service », (2010) 22:2 Cahiers de propriété intellectuelle 165 et
n’a aucune obligation d’opérer un site Internet (sauf s’il le mentionne nommément
dans l’état déclaratif des marchandises ou services de sa demande) : Culinar Inc.
c. Mountain Chocolates Ltd., 1998 CanLII 18561 (Comm. opp.) ; St. Joseph Media
Inc. c. Starwood Hotels & Resorts Worldwide Inc., 2010 COMC 188, par. 25 ; ICI
Canada Inc. c. IC Companys A/S, 2012 COMC 55, par. 9.
36. Dans l’affaire Ansell c. Industria De Diseno Textil, SA, 2013 COMC 169, par
exemple, la demande 1544448 du 21 septembre 2011 visant l’enregistrement de
10
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Voyons, pour chacun des motifs d’opposition, comment le
recours à la WBM peut permettre de bonifier la preuve d’un opposant.
1.2.2 Alinéa 38(2)a) L.m.c.
Comme on l’a vu, la date critique d’évaluation de la conformité
de la demande avec les prescriptions de l’article 30 est le moment de
la production de cette demande37, l’idée étant que la demande qui n’y
satisfait pas porte un vice de conception38 auquel un amendement
postérieur à la publication ne saurait remédier (art. 32 R.m.c.).
1.2.2.1 Alinéa 30b) L.m.c.
Aux termes de l’alinéa 30b), la demande doit comporter la
« date à compter de laquelle le requérant [a] […] employé la marque
de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de
marchandises ou services décrites dans la demande », dite « date de
premier emploi ». Un opposant aura gain de cause lorsqu’il démontrera que le requérant n’employait pas la marque à cette date, qu’il ne
l’ait fait que par la suite ou qu’il ne l’ait pas employée du tout. Pour
technique qu’il puisse paraître, un tel défaut de conformité est fatal.
De plus, si cette date est contestée avec succès39, la date critique, pour
le motif prévu à l’alinéa 38(2)c) L.m.c. devient celle de la production
de la demande40.
37.
38.
39.
40.
la marque ZARA ACCESSORIES alléguait un emploi au Canada depuis au moins
aussi tôt que 1999 : pas facile pour un opposant de prouver en 2012 le non-emploi
de la marque en cause douze ans plus tôt. Autre exemple que révèle un examen
du registre des marques de commerce : la demande 1028780 du 10 septembre
1999 pour l’enregistrement d’une marque ZARA fondée, entre autres, sur la base
d’enregistrement étranger et d’un emploi hors Canada : la tâche des opposants
de prouver, en 2013, la non-conformité de la demande à la date de production de
la demande, en 1999, ne sera pas d’emblée chose aisée.
Du moins pour les alinéas 30b) (emploi au Canada), 30c) (révélation au Canada),
30d) (enregistrement et emploi étrangers) et 30e) (emploi projeté au Canada)
L.m.c. ; John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. 293 (C.F.P.I.) ;
Jean CARRIÈRE, « Les dates pertinentes en matière d’opposition à l’enregistrement de marques de commerce : la machine à voyager dans le temps », dans
Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Développements récents
en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004),
p. 125, p. 130.
Roma COLBERT et Douglas FYFE, « Opposition Before the Canadian TradeMarks Office », (1998) 14 Canadian Intellectual Property Review 174, 176.
En soi, avoir gain de cause sur ce seul point pourra être suffisant pour rejeter la
demande, sans examen des autres motifs.
Everything for a Dollar Store (Canada) Inc. c. Dollar Plus Bargain Centre Ltd.,
1998 CanLII 18549 (Comm. opp.), par. 24 ; Guevin c. Tall and Handy Handyman
Services Ltd., 2011 COMC 222, par. 21-22.
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
11
À l’inverse d’un requérant qui se servirait de pages antérieures
pour tenter de montrer qu’à la date de premier emploi allégué, il
exploitait la marque au moins par l’entremise d’un site Internet41,
un opposant pourra avoir recours à la WBM pour tenter de montrer
que la marque en question n’était pas employée sur le site à la date
critique42, ou qu’elle n’y figurait pas en relation avec les services pour
lesquels elle a été demandée43. La date à attaquer est la date de premier emploi alléguée dans la demande de requérant. Dans un premier
temps, l’opposant tentera de prouver qu’au moment de la production
de la demande – la date critique – la marque de commerce n’était
pas employée par le requérant, ce qui attaquera le caractère continu
de l’emploi allégué ; si nécessaire, l’opposant s’attaquera ensuite à la
réalité de la date de premier emploi alléguée.
Sur le plan pratique, il importe pour ce motif de distinguer
l’« emploi » en liaison avec des marchandises (art. 4(1) L.m.c.) et
l’« emploi » en liaison avec des services (art. 4(2) L.m.c.). En effet,
ce n’est que dans ce second cas qu’une présence Internet pourra
suffire pour établir l’emploi ; pour qu’il y ait emploi en liaison avec
des marchandises, il faut prouver un transfert de propriété ou de
possession au Canada dans le cours normal des affaires44, ce qu’une
simple présence Internet ne permet pas de démontrer. À cet égard, on
pourrait utiliser la WBM pour montrer que les versions antérieures
d’un site où figure la marque en litige n’étaient pas destinées à un
public canadien, par exemple, qu’il n’était pas possible d’y choisir le
41. Hayes c. Sim & McBurney, 2010 CF 924, par. 26 et 30 ; Cogan c. EmusicCom
Inc., 2011 COMC 34, par. 18 ; Imagine Intellectual Property Law c. Alarmforce
Industries Inc., 2012 COMC 144, par. 13 ; HomeAway.com Inc. c. Hrdlicka, 2012
CF 1467, par. 22.
42. Fleet Street, Ltd. c. Benisti Import Export Inc., 2010 COMC 69, par. 19.
43. Admis : Aird & Berlis LLP c. Vecile, 2008 CanLII 88403 (Comm. opp.) ; Marcus
Cohen Law Office c. Society of Management Accountants of Alberta, 2009 CanLII
82133 (Comm. opp.), par. 11-12 ; SX Inc. c. Gill, 2010 COMC 185, par. 21 et 25 ;
Boughton Law Corporation c. CTV Ltée, 2011 COMC 37 ; Reed Solutions Plc c.
Reed Elsevier Group Plc, 2011 COMC 263 ; Riches, McKenzie & Herbert LLP
c. Bell Canada, 2012 COMC 215, par. 63 ; International Clothiers Inc. c. Dorna
Sports, SL, 2012 COMC 43, par. 68 ; 1772887 Ontario Limited c. Bell Canada,
2012 COMC 42, par. 14 ; admis mais jugé insuffisant : Spin Master Ltd. c. Tri-X
Medical Centers of Excellence Inc., 2011 COMC 19, par. 9 ; Lion Global Investors
Limited c. Lion Capital LLP, 2012 COMC 252, par. 66 ; Littlewoods Limited c.
Allyson Grabish, 2013 COMC 34, par. 12-14.
44. Marcus Cohen Law Office c. Society of Management Accountants of Alberta, 2009
CanLII 82133 (Comm. opp.), par. 9 ; St. Joseph Media Inc. c. Starwood Hotels &
Resorts Worldwide Inc., 2010 COMC 188, par. 24 ; Conseil canadien des ingénieurs
c. Kelly Properties Inc., 2010 COMC 224, par. 60 ; Cogan c. EmusicCom Inc., 2011
COMC 34, par. 18 ; 24 Hour Glass Ltd. c. On Set Glass Inc., 2011 COMC 258,
par. 24.
12
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Canada dans un menu déroulant de pays45, ou qu’il y avait redirection
automatique vers un site d’un autre pays46.
En outre, comme mentionné, l’emploi allégué de la marque
doit être continu depuis la date de premier emploi jusqu’à la date de
production de la demande47 : il ne suffit pas qu’une marque ait été en
usage au moment de la production de la demande d’enregistrement
et qu’elle le soit également au moment du litige, elle doit l’être sans
interruption entre ces deux moments ; un opposant pourrait se servir
des instantanés de la WBM pour montrer que tel n’a pas été le cas48.
1.2.2.2 Alinéa 30c) L.m.c.
La demande qui vise une marque de commerce qui n’a pas été
employée au Canada mais qui y a été révélée, notamment par l’emploi dans un autre pays, doit indiquer ces pays ainsi que la « date à
compter de laquelle le requérant [l’a] […] fait connaître au Canada »
au point où elle est devenue bien connue (art. 5 L.m.c.).
La logique est la même que celle de l’alinéa 30b) L.m.c. : l’opposant cherche à prouver que la date de révélation alléguée par le
requérant est fausse49, c’est-à-dire, par exemple, qu’il n’y avait pas,
avant la date de révélation alléguée pour le Canada, emploi dans
un autre pays ou qu’il n’y avait pas eu distribution ou annonce au
Canada. De façon analogue, si la contestation est victorieuse sur ce
point, la date critique devient celle de la production de la demande
pour le motif fondé sur l’alinéa 38(2)c) L.m.c.
Là encore, la jurisprudence a qualifié de plus léger le fardeau
de la preuve d’un opposant50, les moyens mis en œuvre pour qu’une
45. Conseil canadien des ingénieurs c. Kelly Properties, Inc., 2010 COMC 224 ; voir
aussi 1300 Australia Pty Ltd. c. 1800 Blinds Pty Ltd., [2008] ATMO 57 (3 juillet
2008), par. 20 (où la page des zones de livraison excluait l’une de celles où l’on
alléguait pourtant emploi).
46. Motion Limited c. Brandlab AG, 2011 COMC 91, par. 30.
47. Mövenpick Holding AG c. Exxon Mobil Corporation, 2011 CF 1397, par. 45, conf.
par 2013 CAF 6.
48. Confédération des caisses populaires et d’économie Desjardins du Québec c. Accord
Business Credit Inc., 2005 CanLII 78302 (Comm. opp.), p. 14 du texte intégral : « Je
suis d’accord avec la requérante pour dire qu’elle n’a pas besoin d’établir l’emploi
de sa marque de commerce pour chacun des mois de la période pertinente, mais
l’intervalle de cinq ans en l’espèce est trop important pour être écarté compte
tenu de la preuve produite par l’opposante. » ; Loblaws Inc. c. No Frills Auto and
Truck Rental Ltd., 2006 CF 537, par. 27 à 29.
49. Hortilux Schreder B.V. c. Iwasaki Electric Co. Ltd., 2011 CF 967, conf. par 2012
CAF 321.
50. Roma COLBERT et Douglas FYFE, « Opposition Before the Canadian TradeMarks Office », (1998) 14 Canadian Intellectual Property Review 174, 178, no 14,
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
13
marque de commerce soit révélée étant davantage à la connaissance
du requérant qu’à celle de l’opposant.
1.2.2.3 Alinéa 30d) L.m.c.
Cette disposition prévoit que lorsqu’un demandeur s’appuie
sur une demande d’enregistrement ou un enregistrement étrangers
et un emploi étranger pour sa demande canadienne, il doit fournir
« les détails de cette demande ou de cet enregistrement et, si la marque n’a été ni employée ni révélée au Canada, le nom d’un pays où
[il] l’a employée en liaison avec chacune des catégories générales de
marchandises ou services décrites dans la demande ».
Il y a donc ici une double condition, d’une part, l’« [e]nregistrement (ou demande d’enregistrement) dans un pays de l’Union (ou un
membre de l’OMC) par le requérant (ou un prédécesseur en titre) »
et d’autre part, « l’emploi de cette marque par le requérant (ou un
prédécesseur en titre) n’importe où dans le monde (sauf au Canada) à
la date de production de la demande canadienne pour chacun des services ou marchandises mentionnés dans la demande canadienne »51.
Afin d’attaquer la conformité de la demande, un opposant devra
tenter de démontrer qu’à la date de la production de la demande
canadienne52, le requérant n’employait pas la marque dans le pays
indiqué à sa demande53.
Encore ici, un opposant pourra avoir recours à la WBM pour
démontrer qu’à la date pertinente l’emploi hors Canada allégué par
le requérant n’existait pas ou ne couvrait pas chacun des services et
marchandises mentionnés à la demande.
1.2.2.4 Alinéa 30e) L.m.c.
L’alinéa 30e) L.m.c. permet à un requérant de « réserver »
une marque de commerce sur la base d’un emploi projeté. Comme il
s’agit d’un droit exorbitant du droit commun des marques – lequel est
généralement fondé sur l’emploi –, il est interprété assez strictement.
citant Burns Philp Canada Inc. c. Geo. A. Hormel & Co., (1993) 51 C.P.R. (3d) 524
(Comm. opp.), p. 528.
51. Laurent CARRIÈRE, « Traitement administratif des marques de commerce :
bases d’enregistrement et priorité », fascicule 14, (mise à jour : août 2013), dans
JurisClasseur Québec – Propriété intellectuelle (Montréal, LexisNexis, 2012), no 1.
52. Reitmans (Canada) Limitée c. Thymes LLC., 2011 COMC 100, par. 37, conf. par
2013 CF 127, par. 18 (désistement de l’appel A-124-13 produit le 1er octobre 2013).
53. Allergan Inc. c. Lancôme Parfums and Beauté & Cie, 2007 CanLII 80839 (Comm.
opp.).
14
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ainsi, il est établi qu’une demande d’enregistrement fondé sur un
emploi projeté est incompatible avec un emploi effectif (de la même
marque pour les mêmes marchandises ou services) et partant, qu’un
emploi effectif avant la date de production de la demande emportera
l’invalidité de celle-ci54.
C’est donc pour prouver l’emploi au Canada de sa marque par le
requérant avant la date de production de la demande, qu’un opposant
aura recours à la WBM plutôt que pour prouver un non-emploi comme
c’était le cas avec les trois motifs précédents.
1.2.3 Alinéa 38(2)b) L.m.c.
Le concept d’ « enregistrabilité » renvoie aux articles 12 à 15
L.m.c. La date pertinente pour déterminer si une marque de commerce
est enregistrable sera celle de la production de la demande pour les
motifs des alinéas 12(1)a) (patronymie) et 12(1)b) (descriptivité)55,
mais la date de la décision du registraire pour les alinéas, notamment
l’alinéa 12(1)d) (confusion)56. Le recours à la WBM trouvera donc son
utilité dans les premiers cas pour démontrer, à la date pertinente, le
caractère descriptif (ou faux et trompeur) d’une marque de commerce
ou encore qu’elle ne constituait principalement qu’un nom de famille.
Moins directement nécessaire dans les autres cas puisque la preuve
peut se faire au présent, on pourra néanmoins y trouver de quoi
bonifier un dossier.
1.2.4 Alinéa 38(2)c) L.m.c.
L’expression « personne admise à l’enregistrement » renvoie à
l’article 16 L.m.c. qui énumère les conditions qu’un demandeur doit
remplir avant de pouvoir présenter une demande. La disposition
donne les dates pertinentes pour chacun des cas de figure qu’elle
considère. Ainsi, le paragraphe 16(1) L.m.c. vise la demande faite au
Canada : la date pertinente est donc celle du premier emploi ou de
la révélation de la marque dans ce pays. Pour le paragraphe 16(2)
L.m.c. sur la reconnaissance des marques déposées et employées dans
d’autres pays, la date critique est donc celle de la production de la
demande au Canada. Finalement, en ce qui a trait à l’emploi projeté
54. Tone-Craft Paints Ltd. c. Du-Chem Paint Co. Ltd., (1969) 62 C.P.R. 283 (Comm.
opp.) ; Nabisco Brands Ltd. c. Cuda Consolidated Inc., 1997 CanLII 15856 (Comm.
opp.).
55. Continental Teves AG & Co. c. Canadian Council of Professional Engineers, 2013
FC 801.
56. Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd., (1991) 37 C.P.R.
(3d) 413 (C.A.F.).
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
15
envisagé par le paragraphe 16(3), ne sera pas considéré l’élément de
preuve postérieur à la date de production de la demande57.
Le recours à la WBM pourra alors se faire de la même façon
que pour les motifs d’oppositions de l’article 30.
1.2.5 Alinéa 38(2)d) L.m.c.
Une marque de commerce doit être « distinctive », tel que le
définit l’article 2 L.m.c., c’est-à-dire qu’elle doit « distingue[r] véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est
employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres
propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi ».
Une marque de commerce ne sera pas distinctive si à la date
critique, soit celle du dépôt de la déclaration d’opposition58, elle était
utilisée par des tiers non licenciés59, qu’il subsistait à la suite de son
transfert des droits chez plus d’une personne60 ou si la marque faisait
l’objet d’un emploi par plusieurs autres personnes. Dans ce contexte,
la WBM peut permettre d’établir l’existence de signes semblables à
ceux de la marque à laquelle on s’oppose à la date critique. Attention :
l’opposant naviguera souvent ici dans les sites de tiers et non dans
ceux de la partie adverse. Il n’y a donc normalement pas lieu d’alléger
son fardeau en fait d’authenticité comme cela se fait lorsque l’original
éventuel est en possession du demandeur.
1.3
Admissibilité de principe : la décision ITV
On a vu quand envisager le recours à la WBM. Reste à savoir,
bien sûr, si la preuve qu’on en tire est admissible. En effet, la page
archivée, comme toute page Internet, est susceptible de constituer du
57. Vergina Foods Inc. c. Vergina Import, 2001 CanLII 37735 (Comm. opp.).
58. Re Andres Wines Ltd. and E. & J. Gallo Winery, (1975) 25 C.P.R. (2d) 126 (C.A.F.) ;
Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd., (1991) 37 C.P.R.
(3d) 413 (C.A.F.) ; contra Clarco Communications Ltd. c. Sassy Publishers Inc.,
(1994) 54 C.P.R. (3d) 418 (C.F.P.I.), où le juge Denault estime, en obiter, que ce
devrait plutôt être la date de la décision du registraire. Cette décision est minoritaire. Voir Jean CARRIÈRE, « Les dates pertinentes en matière d’opposition à
l’enregistrement de marques de commerce : la machine à voyager dans le temps »,
dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Développements
récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2004), p. 125, p. 138-139.
59. Reed Solutions Plc c. Reed Elsevier Group Plc, 2011 COMC 263, par. 23 ; Effigi
Inc. c. HBI Branded Apparel Limited Inc., 2010 COMC 160, par. 19.
60. Voir le paragraphe 48(2) L.m.c. parce qu’alors la marque de commerce ne distingue
plus les marchandises ou services d’une personne de ceux des autres.
16
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ouï-dire61. Elle pourrait en outre se heurter à la règle de la meilleure
preuve, dans la mesure où il s’agit d’une copie de la page Internet
d’origine. Ces deux questions ont été considérées, encore que brièvement, dans ce qui est devenu la décision-clé en la matière, ITV62.
Dans cette affaire, les deux parties avaient produit de la preuve
Internet et avaient consenti à l’admissibilité des documents au stade
préliminaire. Pour WIC, détentrice des marques « itv » et du nom de
domaine itv.ca, il s’agissait de démontrer qu’elle avait employé sa
marque sur son site depuis son lancement en 1995 ; pour ITV Technologie, détentrice du nom de domaine itv.net, il s’agissait plutôt de
démontrer qu’à l’époque pertinente, la marque « itv » n’avait rien de
distinctif et que de nombreux sites Internet utilisaient alors cette
combinaison de lettres en relation avec des services informatiques
ou multimédias.
La juge Tremblay-Lamer s’est toutefois interrogée sur l’admissibilité et la valeur probante des pages Internet dont copie lui avait
été présentée. Au sujet de l’Internet Archive, elle déclare que « ce site
d’archives est fiable et que la Cour pouvait compter sur sa bibliothèque numérique pour lui fournir une représentation exacte des sites
Web en question durant la période considérée »63. Elle poursuit avec
une explication générale : selon elle, les sites officiels, c’est-à-dire ceux
qui sont tenus à jour par leurs propriétaires (et non, comme on aurait
pu le croire, par analogie avec les documents officiels, ceux émanant
d’autorités gouvernementales), sont en général plus fiables que les
sites non officiels, c’est-à-dire ceux qui contiennent de l’information
sur un organisme mais qui sont tenus par d’autres personnes (par
exemple, des répertoires, des sites de partage, des forums de discussion) ; alors que la fiabilité des premiers peut être admise prima
facie, celle des seconds devrait faire l’objet d’une évaluation ad hoc
de facteurs tels que la crédibilité de l’auteur, l’appréciation de ses
sources, la corroboration indépendante du contenu, la possibilité d’une
modification au contenu du site, etc.64. L’Internet Archive appartenant
à cette seconde catégorie, on eut aimé une analyse plus poussée de
ces facteurs avant que ne soit posé le constat de sa fiabilité : le fait
61. Voire du double ouï-dire : John SOPINKA, Sidney N. LEDERMAN et Alan W.
BRYANT, The Law of Evidence in Canada, 3e éd., par Alan W. BRYANT, Sidney
N. LEDERMAN et Michelle K. FUERST, (Toronto, LexisNexis, 2009), no 6.246,
p. 305. Voir aussi Bereskin & Parr c. Mövenpick-Holding, 2008 CanLII 88341
(Comm. opp.), p. 6 du texte intégral ; Association royale de golf du Canada c.
Ontario Regional Common Ground Alliance, 2009 CanLII 90300 (Comm. opp.),
p. 4 du texte intégral.
62. ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2003 CF 1056.
63. Ibid., par. 14.
64. Ibid., par. 16-18.
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
17
que l’Internet Archive soit compilée à des fins sociohistoriques plutôt
que juridiques lui confère-t-elle plus ou moins de valeur ? quid du
fait que l’Internet Archive est un tiers au litige ? une entreprise à
but non lucratif ?
Par ailleurs, le fait que la page archivée puisse être considérée
comme une copie ne préoccupe guère la cour : la règle de la meilleure
preuve lui semble obsolète et elle l’écarte expressément un peu
plus loin65. La juge Tremblay-Lamer conclut son raisonnement en
rappelant que, pour fiable que puisse être l’Internet Archive et donc,
admissibles, les pages archivées, elles, ne pouvaient suffire pour
permettre à l’opposant de former bonne et valable opposition dans
la mesure où la preuve de l’existence d’un site Internet ne vaut pas
preuve de sa consultation66. À cet égard, en tout état de cause, les
pages demeuraient du ouï-dire.
Deux ans plus tard, la Cour d’appel fédérale confirmait la
décision de la juge Tremblay-Lamer, sans toutefois avaliser son
raisonnement sur l’admissibilité des éléments de preuve Internet,
pourtant longuement résumé67, insistant plutôt sur le fait que les
deux parties y avaient eu recours68 et sur le fait que ces éléments
n’étaient pas nécessaires pour soutenir la conclusion à laquelle elle
était parvenue :
Étant donné ma position sur le fond de l’appel à l’encontre
de la demande reconventionnelle, il me semble qu’il y a des
éléments de preuve à l’appui de la position adoptée par la juge
de première instance sans qu’il soit nécessaire de faire appel
à la preuve Internet. Par conséquent, tout ce que je pourrais
dire au sujet de l’admissibilité de cette preuve ne serait pas
nécessaire à la décision sur l’appel. J’ajouterais qu’à mes
yeux, le dossier n’est pas suffisamment étoffé pour fournir
un fondement factuel adéquat permettant l’examen éclairé
des questions juridiques soulevées par l’utilisation d’Internet
comme source de preuve documentaire.69
Quoi qu’il en soit, la conclusion de la juge Tremblay-Lamer sur
la fiabilité de la WBM était ensuite reprise – mais sans discussion
ni référence au jugement confirmatif de la Cour d’appel – par le juge
65.
66.
67.
68.
69.
Ibid., par. 20.
Ibid., par. 22.
WIC TV Amalco Inc. c. ITV Technologies, Inc., 2005 CAF 96, par. 7-8.
Ibid., par. 7, 9.
Ibid., par. 30.
18
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Teitelbaum dans Candrugs70, une affaire où se posait la question
de l’absence de caractère distinctif d’une marque. Il s’agissait toutefois presque d’une remarque incidente dans la mesure où aucune
force probante n’a été accordée aux pages produites, puisqu’elles ne
démontraient en rien qu’il y avait eu consultation des sites visés par
des consommateurs canadiens71. La Cour d’appel, qui a infirmé la
décision à d’autres motifs, a d’ailleurs noté qu’aucun poids ne leur
avait été donné72.
Pourtant, forte des décisions ITV et Candrugs, la Commission
des oppositions semble désormais généralement tenir pour acquise
la fiabilité de la WBM, pour se reporter plutôt sur la question de la
consultation des pages ou de la prestation du service allégué à des
consommateurs canadiens73. Mais l’outil est-il aussi fiable qu’on le
prétend ? Eu égard au fonctionnement véritable de la WBM, il nous
semble que cet aval, que la jurisprudence subséquente a rondement
consacré, est parfois un peu hâtif. Dans la section qui suit, après un
rappel des principes généraux en matière de fiabilité (1), nous nous
proposons d’exposer la mécanique de la WBM (2) et certains problèmes
pratiques qui peuvent en découler (3).
2.
FIABILITÉ DE LA WBM
2.1
Droit commun de la preuve
Au final, sera admissible l’élément de preuve qui permet de
découvrir la vérité tout en assurant l’intégrité du processus judiciaire74, c’est-à-dire, pour reprendre la terminologie de la Loi sur la
preuve au Canada qui s’applique devant la Commission des oppositions75, qui permet « de conclure que le document est bien ce qu’il
paraît être » (art. 31.1 L.p.C.). Il doit offrir des garanties suffisamment
sérieuses pour que l’on puisse s’y fier et croire à son exactitude.
The focus of admissibility is on the authenticity and reliability
of the electronic documents which can be demonstrated by
70.
71.
72.
73.
Candrug health solutions ltd. c. Thorkelson, 2007 CF 411, par. 17.
Ibid., par. 21.
Thorkelson c. Pharmawest Pharmacy Ltd., 2008 CAF 100, par. 13.
Voir par exemple Marcus Cohen Law Office c. Society of Management Accountants
of Alberta, 2009 CanLII 82133 (Comm. opp.), par. 9 ; St. Joseph Media Inc. c.
Starwood Hotels & Resorts Worldwide Inc., 2010 COMC 188, par. 24 ; Conseil
canadien des ingénieurs c. Kelly Properties Inc., 2010 COMC 224, par. 60 ; Cogan
c. EmusicCom Inc., 2011 COMC 34, par. 18 ; 24 Hour Glass Ltd. c. On Set Glass
Inc., 2011 COMC 258, par. 24.
74. Jean-Claude ROYER (coll. Sophie LAVALLÉE), La preuve civile, 4e éd., (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008), p. 569, no 717.
75. Article 2, Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), c. C-5 [L.p.C.].
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
19
showing the integrity of the electronic documents system
rather than the individual record itself.76
Authentification, prohibition du ouï-dire, règle de la meilleure
preuve, ces règles traditionnelles de la common law (reprises et pour
la plupart codifiées en droit québécois et dans la Loi sur la preuve
au Canada) ont toutes, fondamentalement, cet objectif d’assurer
la fiabilité de la preuve déposée77. C’est gouvernée par cet objectif
d’ailleurs que la jurisprudence moderne les a considérablement assouplies, adoptant une interprétation large et libérale de l’admissibilité
des documents78. Ainsi, certaines considérations qui présidaient à
l’élaboration de certaines règles de preuve se sont atténuées avec le
temps : sans doute y avait-il davantage lieu de craindre qu’une copie
ne soit pas fidèle à l’original à l’époque où celles-ci étaient réalisées
76. John SOPINKA, Sidney N. LEDERMAN et Alan W. BRYANT, The Law of Evidence
in Canada, 3e éd., par Alan W. BRYANT, Sidney N. LEDERMAN et Michelle K.
FUERST, (Toronto, LexisNexis, 2009), no 6.249, p. 306.
77. D’autres se sont interrogés sur la nature de la page Internet. Voir : Claude
FABIEN, « La preuve par document technologique », (2004) 38 Revue juridique
Thémis 533, 551 ; Vincent GAUTRAIS et Patrick GINGRAS, « La preuve des
documents technologiques », dans Barreau du Québec, Congrès annuel du Barreau du Québec, (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012), p. 1 ; Dominic JAAR et
François SÉNÉCAL, « L’administration de la preuve électronique au Québec »,
dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements
récents et tendances en procédure civile, (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010),
p. 129, p. 153. À notre avis, et pour insatisfaisante que cette réponse puisse être,
la qualification de la page Internet variera selon la nature de ce qu’on cherche
à lui faire établir car elle n’est, à notre avis, que le support d’une information et
c’est cette information qu’il faut chercher à qualifier pour trouver le régime de
preuve applicable. Ainsi, lorsqu’une page Internet est produite comme preuve
des propos qui s’y trouvent, elle devra être traitée comme une déclaration. Cela
étant, en matière de propriété intellectuelle – plutôt qu’en diffamation disons –,
une page Internet est-elle vraiment une déclaration ? N’est-elle pas plutôt un
écrit ou un élément matériel de preuve ? Ainsi la page Internet qui confirme une
transaction, par contre, paraît relever plutôt du simple écrit, à l’instar d’un reçu
de caisse. Par contre, la page qui n’est présentée que pour montrer un agencement
graphique doit être considérée comme un élément matériel de preuve, au même
titre que le logo sur une brochure, par exemple. Plusieurs auteurs ont appelé à
ce que la page Internet soit considérée comme un simple écrit : tout comme l’écrit
ni authentique ni semi-authentique « traditionnel », il constate ou rapporte des
faits, simplement, il le fait en code binaire. Considérer la page Internet comme un
écrit de façon générale aurait peut-être des avantages d’unification des régimes
lorsqu’il sera possible de dématérialiser les actes authentiques. Pour l’instant
toutefois, en pratique, la distinction est sans réelle incidence quant à la page
Internet d’origine : qu’on y voie un écrit rapportant un fait matériel admissible ou
qu’on permette au tribunal d’observer l’élément matériel et d’en tirer ses propres
conclusions, le résultat ne risque guère d’être différent.
78. Jean-Claude ROYER (coll. Sophie LAVALLÉE), La preuve civile, 4e éd., (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008), p. 265, no 386.
20
Les Cahiers de propriété intellectuelle
à la longue main et avant l’avènement des photocopieurs79. Plutôt
qu’une question de recevabilité, le moyen de reproduction devrait
relever, s’il doit encore avoir quelque incidence, de la valeur probante80.
Ainsi, la Loi sur la preuve au Canada dispose très nettement
que les exigences de la règle de la meilleure preuve seront satisfaites
dès lors que « la fiabilité du système d’archivage […] est démontrée »
(al. 31.2a) L.p.C.), ce que l’on présume dans trois cas : s’il est établi que
le dispositif fonctionnait bien ou que ses dysfonctions n’en compromettaient pas l’intégrité (al. 31.3a) L.p.C.), que le document présenté
en preuve émanait de la partie adverse (al. 31.3b) L.p.C.) ou qu’il a
été établi dans le cours ordinaire des affaires par un tiers neutre (al.
31.3c) L.p.C.). La preuve de la fiabilité peut se faire par affidavit (al.
31.6 L.p.C.). À titre comparatif ou supplétif, on remarquera que c’est
tout à fait là l’esprit de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information81 qui pose non seulement l’admissibilité de
la copie qui préserve « l’intégrité du document » (art. 2838 C.c.Q., art.
5 L.c.c.j.t.i.), c’est-à-dire qui permette de vérifier « que l’information
n’est pas altérée et qu’elle est maintenue dans son intégralité et que
le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la
pérennité voulue » (art. 2839 C.c.Q., art. 6 L.c.c.j.t.i.), mais également
une présomption d’intégrité : c’est à celui qui la conteste de « préciser
les faits et les motifs qui rendent probable l’atteinte à l’intégrité du
document » (art. 2840 C.c.Q., art. 7 L.c.c.j.t.i.)82.
79. R. v. Governor of Pentonville Prison, ex Parte Osman, [1989] 3 All E.R. 701 (H.L.) :
« this court would be more than happy to say goodbye to the best evidence rule.
We accept that it served an important purpose in the days of parchment and quill
pens. But since the invention of carbon paper and, still more, the photocopier
and the telefacsimile machine, that purpose has largely gone. Where there is an
allegation of forgery the court will obviously attach little, if any, weight to anything
other than the original; so also if the copy produced in court is illegible. But to
maintain a general exclusionary rule for these limited purposes is, in our view,
hardly justifiable. » De même, la méfiance initiale à l’égard des photographies
s’est-elle estompée : n’admet-on pas aujourd’hui volontiers des photographies
en preuve alors qu’il fallait autrefois passer par le rigoureux processus de la
défunte Loi sur la preuve photographique de documents, L.R.Q., c. P-22, abrogée
en 1992 ; voir Jean-Claude ROYER (coll. Sophie LAVALLÉE), La preuve civile,
4e éd., (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008), p. 1168-1169, no1270 et p. 824,
no 944 et Draper c. Jacklyn, [1970] R.C.S. 92. Sur les photographies disponibles
par l’entremise de Facebook ou MySpace, voir : Kent c. Laverdiere, 2009 CanLII
16741 (Ont. Sup. Ct.), p. 2 du texte intégral.
80. John SOPINKA, Sidney N. LEDERMAN et Alan W. BRYANT, The Law of Evidence
in Canada, 3e éd., par Alan W. BRYANT, Sidney N. LEDERMAN et Michelle K.
FUERST, (Toronto, LexisNexis, 2009), p. 1224-1225, no 18.24.
81. Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, R.L.R.Q., c.
C-1.1 [L.c.c.j.t.i.].
82. Jean-Claude ROYER (coll. Sophie LAVALLÉE), La preuve civile, 4e éd., (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008), p. 279, no 406 ; Léo DUCHARME, Précis de la
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
21
Quelle que soit la règle de preuve traditionnelle considérée,
une question s’impose au final et c’est elle qui doit, à notre avis,
gouverner l’admissibilité des documents générés par une recherche
dans la WBM : l’intégrité de la page originale a-t-elle été préservée
par le processus d’archivage ? C’est ici qu’il convient de se pencher
sur le fonctionnement de la WBM.
2.2
Fonctionnement de la WBM
Une cyberarchive se présente comme une collection des versions antérieures de pages Internet, qui ont pu être modifiées voire
supprimées depuis. Pour chaque page Internet archivée, il a existé
une page originale, qui ne correspond normalement plus à la page
de son adresse actuelle. Le processus peut être conceptualisé en trois
étapes : la création de la page Internet originale, l’archivage et l’accès
ultérieur aux pages archivées. On verra pourquoi il est nécessaire de
comprendre la différence entre la page originale et la page archivée,
même si, au plan formel, elles devraient être identiques.
2.2.1 La page Internet originale83
Générer une page Internet demande la collaboration d’au
moins deux ordinateurs. Sur un premier serveur, le serveur source,
(à nos fins, celui du propriétaire du site Internet visé), sont stockées
des ressources ou des indications de la manière d’y accéder si ces
ressources sont stockées sur des tiers serveurs. Par ressource, on
entend tout élément informatique ayant une identité propre pouvant
être exprimée sur l’Internet, par exemple, un document texte, une
image, un multimédia.
Les pages Internet sont servies à travers le protocole http,
lequel repose sur un mécanisme de requête-réponse entre client et
serveur : le client demande une ressource, le serveur la lui sert. Ce
mécanisme est utilisé pour transférer au client une description – en
langage html – qui spécifie à la fois le contenu et la structure d’une
page. Cette description peut indiquer au programme qui l’interprète
quelles ressources additionnelles aller chercher, et de quelle manière
les afficher.
preuve, 5e éd., (Montréal, Wilson & Lafleur, 2005), p. 187 et s., nos 467 et s. ; Vincent
GAUTRAIS et Patrick GINGRAS, « La preuve des documents technologiques »,
dans Congrès annuel du Barreau du Québec, (Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2012), p. 1.
83. Office de la langue française du Québec, Grand dictionnaire terminologique,
en ligne, s.v. « fureteur Internet », « Internet », « navigateur Internet », « page
Internet », « page Web ».
22
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Autrement dit, lorsqu’un utilisateur (le client) demande à
accéder à une page Internet, le serveur source envoie à son adresse
IP les instructions d’agencement des ressources requises à cette fin.
Ces ressources sont compilées par le fureteur Internet de l’ordinateur
de l’utilisateur, qui les stocke dans sa propre mémoire (la cache) puis
les affiche selon les indications du codage fourni par le serveur source.
Grossièrement, une page Internet, c’est donc une série de déclarations que donne un serveur source à l’ordinateur de l’utilisateur sur
l’endroit où trouver et la manière d’agencer différentes ressources.
2.2.2 L’archivage
2.2.2.1 Le processus
Les archives numériques comme l’Internet Archive sont créées
par balayage (crawling)84, un processus systématique de visite, d’extraction et d’entreposage de pages Internet. Les robots d’indexation
Internet sont des logiciels envoyant des milliers de requêtes automatiques en continu dans l’Internet afin d’en collecter les ressources et
de permettre à un moteur de recherche de les indexer, c’est-à-dire de
créer des fichiers séquentiels permettant de les retrouver plus rapidement. Afin de hâter le processus de recherche, ces robots opèrent
souvent selon des algorithmes de fréquentation ou des historiques
de consultation.
Le robot indexeur de l’Internet Archive lui est fourni par Alexa
Internet inc., nommée en hommage à la bibliothèque d’Alexandrie85.
Balayer le Web permet de savoir ce qui s’y trouve mais également ce
qui s’y consulte : Alexa, qui appartient aujourd’hui au groupe Amazon,
s’est donné comme objectif la compilation de statistiques d’utilisation
de l’Internet : indices de fréquentation, habitudes de consultation,
indicateurs de trafic, etc.86.
84. À notre connaissance, seul le commissaire à la vie privée et à l’accès à l’information de la Saskatchewan a tenté une définition « judiciaire », dans Re Regina
Qu’Appelle Regional Health Authority, 2012 CanLII 25520 (Sask. I.P.C.), no 68 :
« A Web crawler is technology that is used by search engines to gather, or “crawl,”
contents from webpages saved on Web servers. Crawling enables search engines
to index, or process, the gathered contents. Indexing enables search engines to
make contents searchable ».
85. Jessica LIVINGSTON, Founders at Work – Stories of Startups’ Early Days, (New
York, APress, 2009), p. 274.
86. Voir Alexa Internet, en ligne : <www.alexa.com> [site consulté le 31 octobre 2013].
À titre secondaire, l’Internet Archive utilise aussi Heritrix, un autre robot développé en partenariat avec le réseau de bibliothèques nationales nordiques Nordbib : Gordon MOHR et al., « An Introduction to Heritrix – An open source archival
quality Web crawler » (14 juillet 2003), présenté au 4th International Web Archi-
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
23
Quoi qu’il en soit, quotidiennement, ce sont 1,6 téraoctet
qu’emmagasine Alexa, pour une collection qui représente aujourd’hui
plusieurs milliards de pages Internet en provenance de 16 millions de
sites87. Chaque recension du Web prend environ deux mois88.
Les pages recensées par Alexa sont ensuite versées dans
l’Internet Archive où elles sont indexées selon sa propre méthode.
Notamment, les adresses des pages Internet archivées sont normalisées comme suit : http://web.archive.org/web/AAAAMMJJHHMMSS/
http ://site, où « AAAMMJJHHSS » correspond au moment d’archivage
par l’Internet Archive (et non au moment de la copie par Alexa du
site Internet) et « site », à l’adresse Internet de la page visée. Ainsi,
la page du cabinet Heenan Blaikie telle qu’elle se présentait dans
sa première version recensée, soit celle mise en ligne à 19h09 le 27
novembre 1999, se trouvera à l’adresse suivante : http://web.archive.
org/web/19991127091909/http://heenanblaikie.com. Une recherche
dans la WBM produira une espèce de calendrier où seront indiquées
les versions antérieures disponibles89. Bien que les délais puissent
être écourtés ou allongés, cette indexation prend environ six mois, ce
qui se traduit par autant de « retard » dans la banque de données de
la WBM par rapport aux pages d’origine90.
Une fois versée dans l’Internet Archive, les pages possèdent une
existence qui leur est propre : recension statique, la copie archivée ne
subit pas les modifications qu’opère le propriétaire d’une page donnée
à celle-ci. C’est d’ailleurs là l’intérêt de l’Internet Archive – et dans
une moindre mesure celui de toute cache91 –, c’est que son contenu
n’est pas synchrone avec celui des pages dont elle l’a à l’origine tiré.
87.
88.
89.
90.
91.
ving Workshop (Bath, R.-U., 16 septembre 2004), en ligne : <ftp://88.159.80.109/
e-books/textmining/heritrix-1.14.4/docs/Mohr-et-al-2004.pdf> [site consulté le
31 octobre 2013].
Voir Alexa Internet, Our Technology, en ligne : <www.alexa.com/company/techno
logy> [site consulté le 31 octobre 2013].
Alexa Internet, Our Technology, en ligne : <www.alexa.com/company/technology>
[site consulté le 31 octobre 2013].
Versions qui pourront même être comparées entre elles grâces à l’outil DocuComp :
Internet Archive, « DocuComp » FAQs, en ligne : <http://archive.org/about/faqs.
php#DocuComp> [site consulté le 31 octobre 2013].
Internet Archive, FAQs, en ligne : <http://archive.org/about/faqs.php> [site consulté
le 31 octobre 2013].
La mémoire cache et le site archivé fonctionnent selon le même principe, c’est-àdire que l’un et l’autre emmagasinent sur leurs propres serveurs de l’information
compilée à partir des serveurs d’autrui. Toutefois, la cache est un outil temporaire,
visant essentiellement à alléger les recherches subséquentes (l’accessibilité des
duplicatas n’est qu’une conséquence de la méthode), alors que l’archive cherche à
constituer des collections de données, l’accès ultérieur à des versions antérieures
étant le prime objectif. Les pages d’une cache sont donc remplacées au fur et à
mesure que d’autres sont collectées, celles des archives, tout au contraire, s’em-
24
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.2.2.2 Caractère incomplet de l’archivage
Entendons-nous, l’Internet Archive est la plus vaste bibliothèque d’archives Internet disponible, et ce n’est pas peu dire :
aujourd’hui, la banque de données de la WBM contient près de deux
pétaoctets (1015) d’information, un volume qui s’accroît mensuellement d’environ vingt téraoctets (1012)92. Pourtant, on ne peut accéder à
toutes les pages Internet ayant existé via ses répertoires : elle est donc
incomplète (2.2.2.1). Par ailleurs, des pages peuvent être accessibles
mais ne pas refléter parfaitement les pages d’origine : le processus
d’archivage, en effet, connaît certaines limites techniques (2.2.2.2).
2.2.2.2.1 Pages non répertoriées ou rendues inaccessibles
L’inventaire disponible par la WBM connaît trois limites : la
non-exhaustivité d’Alexa, la migration des contenus et les méthodes
de protection.
La non-exhaustivité d’Alexa. L’Internet est vaste et si le
balayage est continu, il n’est pas parfaitement exhaustif. D’abord,
par contrainte technique, Alexa priorise les pages en fonction d’algorithmes de popularité : une page peu fréquentée sera répertoriée
moins souvent et une page « orpheline », c’est-à-dire qui n’est liée à
aucune autre page et à laquelle on ne peut accéder, donc, qu’en tapant
directement l’adresse complète, ne le sera pas du tout.
Par ailleurs, les pages ne sont pas archivées dès qu’elles sont
mises à jour sur le site d’origine, mais plutôt lorsqu’elles sont balayées
par le robot d’Alexa. Il est donc possible que plusieurs modifications
d’une page « d’origine » séparent deux archivages.
La migration des contenus. Autre limite, les changements
d’adresse purs et simples : d’une recherche rapide, le site des Cahiers
de propriété intellectuelle semble n’avoir été modifié qu’en 2013 : or,
il est en ligne depuis 2001 mais, autrefois hébergé au www.robic.ca/
pilent. Dans l’un et l’autre cas cependant, les données existent indépendamment
du serveur d’origine. Pour une comparaison du fonctionnement de Google Cache
et de l’Internet Archive, voir Bostjan BERCIC, « Protection of Personal Data and
Copyrighted Material on the Web: the Cases of Google and Internet Archive »,
(2005) 14:2 Information & Communications Technology Law 17, 20.
92. Internet Archive, FAQs, en ligne : <http://archive.org/about/faqs.php> [site consulté
le 31 octobre 2013]. Par comparaison, il y aurait environ 150 millions (108) d’items
à la Library of Congress ou à la British Library.
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
25
cpi, il l’est désormais plutôt au cpi.robic.ca. La WBM ne fait pas le
lien entre les deux sites. En entrant l’ancienne adresse toutefois, il
est possible d’accéder aux différentes versions antérieures.
Dans une veine analogue, lorsque la page archivée contient
une instruction de redirection, c’est vraisemblablement sur la page
actuelle que sera redirigé l’utilisateur. L’utilisateur de la WBM pourra
alors avoir l’impression que le site n’a pas changé. Cette difficulté se
contourne toutefois assez facilement grâce à la ligne du temps et au
calendrier qui proposent toutes les versions précédentes : il suffira
alors de sélectionner la version antérieure à la redirection automatique désirée93.
L’exclusion. Certains sites sont ensuite carrément exclus :
c’est le cas des pages protégées par mot de passe. On peut également
demander à l’Internet Archive de supprimer une page répertoriée94
(par exemple, pour empêcher une violation de droits d’auteur les
contenus archivés étant vraisemblablement protégés95, ou pour éviter de perpétuer la reproduction de propos diffamatoires ou portant
atteinte à la vie privée)96.
93. Internet Archive, « The page I want redirects now – how can I see the old
versions? », Frequently Asked Questions, en ligne : <http://faq.web.archive.org/
the-page-i-want-redirects-now-how-can-i-see-the-old-versions> [site consulté le
31 octobre 2013].
94. Voir Internet Archive, Internet Archive’s Terms of Use, Privacy Policy and Copyright
Policy (10 mars 2011), en ligne : <http://archive.org/about/terms.php> ; Removing
Documents from the WayBack Machine, en ligne : <http://archive.org/about/
exclude.php> [site consulté le 31 octobre 2013].
95. Voir Alyssa N. KNUTSON, « Proceed with Caution : How Digital Archives Have
Been Left In the Dark », (2009) 24 Berkeley Technology Law Journal 437 ; Kinari
PATEL, « “Authors v. Internet Archives” : The Copyright Infringement Battle Over
WEB Pages », (2007) 89 Journal of the Patent and Trademark Office Society 410 ;
Kelly JINES-STOREY, « Does Rocky and Bullwinkle Hold the Key to Unlocking
the Mystery of Fair Use in the Age of Internet Archiving? », (2007) 35 Capital
University Law Review 1021.
96. Pour une exhortation judiciaire en ce sens, voir Warman c. Kyburz, 2003 TCDP
18, par. 86 : « À défaut d’une autorisation en ce sens dans la Loi, le Tribunal ne
peut rendre une ordonnance contre un tiers. Cependant, nous encourageons les
propriétaires du site Web Archive.org à songer sérieusement à supprimer le
matériel offensant que renferme leur site. » La question du libelle « persistant »,
particulièrement dans les archives électroniques des journaux, semble avoir
beaucoup intéressé les tribunaux britanniques : Budu v. The British Broadcasting
Corporation, [2010] EWHC 616 (Q.B.), (23 mars 2010) ; Loutchansky v. Times
Newspapers Ltd., [2001] EWCA Civ 1805, (5 décembre 2001) ; Pro-Tec Covers
Ltd v. Specialised Covers Ltd., [2011] EWPCC 23, (18 octobre 2011). Pour le
Royaume-Uni, sur l’utilisation de la WBM en matière de noms de domaine, voir
Plumbly v. Beatthatquote.com Ltd., [2009] EWHC 321 (Q.B.) et pour l’évaluation
des dommages à la suite d’une violation de marque de commerce : National
Guild of Removers & Storers Ltd. v. Silveria (t/a C S Movers), [2010] EWPCC 15
(12 novembre 2010), par. 33-34.
26
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En outre, les gestionnaires de sites peuvent inclure des instructions antibalayage dans le codage de toutes ou certaines pages :
ce sont les scripts d’exclusion97. La présence de l’instruction « /robots.
txt » dans le codage d’une page Internet empêchera son indexation par
Alexa et ce, de manière rétroactive. Plus exactement, les pages déjà
archivées seront rendues indisponibles, c’est-à-dire que si l’instruction
est supprimée dans une version postérieure des pages, les versions
antérieures seront à nouveau accessibles. Celui qui cherche à accéder
à un site archivé comportant un script d’exclusion verra s’afficher
un message « robots.txt query exclusion error »98. Par contraste, les
demandes d’exclusion sont permanentes et donnent lieu au message
« blocked site error »99.
Le protocole d’exclusion est facultatif100 mais respecté par
Alexa (ainsi que par Google). Il peut y avoir des raisons légitimes de
vouloir exclure son site, stratégie commerciale, protection des données,
allègement de l’indexation ; à titre anecdotique, la page de CanLII
sur la Commission des oppositions des marques de commerce101 est
protégée par un tel codage102.
2.2.2.2.2 Pages incomplètes ou reconstituées
Il arrive également à l’occasion que des pages soient archivées
de manière incomplète : des images peuvent disparaître, des fonctionnalités cafouiller, des hyperliens se rompre. Cela est d’autant plus
fréquent lorsque le codage renvoie à des sources tierces. La présence
de cadres, de contenu actif, comme les animations flash ou la lecture en
transfert, ou d’éléments dynamiques, particulièrement le JavaScript,
ou simplement de ressources demandant la collaboration d’un autre
97.
98.
99.
100.
101.
102.
About /robots.txt, en ligne : <www.robotstxt.org/robotstxt.html> [site consulté
le 31 octobre 2013].
C’est le cas de certaines des versions antérieures du site Internet de la faculté
de droit de l’Université McGill <http://mcgill.ca/law>, par exemple, celle du
17 octobre 2002.
Internet Archive, FAQs, en ligne : <http://archive.org/about/faqs.php> [site
consulté le 31 octobre 2013].
Supra, note 97.
CanLII, Commission des oppositions des marques de commerce, en ligne : <www.
canlii.org/fr/ca/comc> où l’on peut lire « La description de ce résultat n’est pas
accessible à cause du fichier <robots.txt> de ce site » [site consulté le 31 octobre
2013].
Plutôt que l’habituel signalement des mots-clés, Google affiche pour cette page,
le message « La description de ce résultat n’est pas accessible à cause du fichier
robots.txt de ce site ».
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
27
serveur, causent également certaines difficultés de recomposition
des pages103.
Pour pallier ce problème, les différents médias d’une page
donnée sont, à l’occasion, archivés en différé : plutôt qu’un instantané,
certaines pages doivent donc être considérées comme un collage,
c’est-à-dire qu’un premier balayage aura colligé certains éléments
mais qu’il en faudra un deuxième pour qu’ils s’y trouvent tous. Évidemment, cela pose un problème quant à la date véritable de création
de la page archivée.
2.2.3 Les pages archivées
Il importe à présent de s’interroger sur le rapport entre la
page archivée et la page originale. Si le processus d’archivage était
instantané, il existerait un moment où la page originale et la page
archivée seraient identiques. À ce moment, la page archivée pourrait
être traitée comme une copie de la page originale. Selon la règle de la
meilleure preuve, la page originale devrait lui être préférée, à l’instar
du régime applicable aux photocopies de documents, par exemple.
L’intérêt de l’archive toutefois réside dans ce que la page archivée acquiert une existence distincte de la page originale – ou, plus
exactement, dans ce que la page originale puisse être modifiée par la
suite sans que cela n’affecte la page archivée. Dès lors, la page dont
a été tirée la page archivée n’étant plus accessible, la page archivée
se trouve à être « la meilleure preuve » disponible de la manière
dont elle se présentait alors. Reste bien sûr à savoir si elle présente
une version fidèle de l’original. De manière analogue, on pourrait
introduire en preuve la version imprimée d’un texte modifié par la
suite pour montrer comment il se présentait lorsqu’il n’existe plus
en version électronique que le texte modifié.
La page Internet archivée doit-elle être considérée comme un
original pour autant ? Vraisemblablement pas. L’original, c’est plutôt
la page Internet telle qu’elle figurait sur le site du requérant à une
date donnée. Nous estimons préférable de traiter la page archivée
comme une copie. C’est la conclusion à laquelle la juge TremblayLamer en est venue dans l’affaire ITV104. C’est également implicite
103.
104.
Internet Archive, FAQs, en ligne : <http://archive.org/about/faqs.php> [site
consulté le 31 octobre 2013] ; reconnu dans Reed Solutions Plc c. Reed Elsevier
Group Plc, 2011 COMC 263, par. 11.
ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2003 CF 1056 (conf. à d’autres motifs
dans WIC TV Amalco Inc. c. ITV Technologies Inc., 2005 CAF 96 ; désistement
de la demande d’autorisation de pourvoi no 30935 (19 août 2005)), par. 13.
28
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dans la justification que donne parfois la Commission des oppositions
à la légèreté du fardeau d’un opposant relativement à un motif de
non-conformité aux prescriptions de l’article 30 L.m.c. : si le document
produit par l’opposant à même la version WBM du site du requérant
n’en est pas une copie exacte, le requérant est normalement en
meilleure position pour produire une copie conforme. Si l’on suppose
qu’il existe un document avec lequel comparer la page archivée et
qui l’emporte en cas de divergence, c’est que cette dernière ne peut
constituer un original.
En outre, et en ce qui concerne le Québec particulièrement,
comme on l’a vu, la L.c.c.j.t.i. permet d’accorder la même valeur au
document technologique-copie qui assure les fonctions d’un original
ou présente un caractère unique, si son intégrité est par ailleurs
assurée (art. 12, al. 1 (1) et (2) L.c.c.j.t.i.)105. La question est dès lors
de peu d’importance.
2.3
Quelques propositions de droit
Récapitulons les principales difficultés d’ordre technique qui
peuvent surgir et voyons comment les tribunaux les ont traitées, le
cas échéant.
• Preuve négative : le balayage d’Alexa n’est pas exhaustif. On ne
peut donc pas inférer de l’absence d’une page dans l’Internet Archive qu’elle n’a jamais existé. Elle peut simplement n’avoir pas été
capturée. La WBM ne peut véritablement être utilisée que pour une
preuve « positive » de l’état d’une page106.
– La plus ancienne des pages répertoriées sur l’Internet Archive
peut n’être pas la première : dans une affaire devant l’OMPI,
la première page recensée comportait un commentaire marqué
comme ayant été publié « six months ago », ce qui suggérait
que la page existait depuis au moins six mois au moment de
sa capture107.
105.
106.
107.
Voir Vincent GAUTRAIS et Patrick GINGRAS, « La preuve des documents
technologiques », dans Congrès annuel du Barreau du Québec, (Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2012), p. 1, p. 14.
St. Joseph Media Inc. c. Starwood Hotels & Resorts Worldwide Inc., 2010 COMC
188, par. 21 à 25 ; ICI Canada Inc. c. IC Companys A/S, 2012 COMC 55.
Take-Two Interactive Software Inc. v. Chris Rivers, affaire no D2013-0014,
(17 mars 2013), <gtavbeta.org>, (Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
(UDRP)), p. 2.
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
29
– Par ailleurs, le caractère non exhaustif du balayage d’Alexa
n’a pas d’incidence sur la fiabilité des données qui sont effectivement répertoriées108.
• Délai dans l’archivage : non seulement l’archivage n’est-il pas instantané, mais sa date est celle du téléversement dans l’Internet
Archive et non celle de la publication de la page originale.
– Si un site est soumis à un balayage particulièrement fréquent,
il est possible que certaines captures se chevauchent.
– Le délai peut parfois être interprété en la faveur d’une des
parties, comme dans cette affaire où la Commission des brevets australienne a estimé que l’existence de la page quelque
neuf mois avant la date de première publication alléguée lui
permettait d’accepter, en prépondérance de preuve, que la page
existait bel et bien à la date de la demande109.
• Reconstitution des pages : ainsi qu’on l’a observé précédemment,
les pages peuvent avoir été reconstituées à l’aide de plusieurs balayages successifs : il est donc possible que la date de capture de
certains éléments ne corresponde pas à celle de l’ensemble de la
page, qui est celle qui s’affichera dans son chemin relatif.
– Cette difficulté est inhérente à la manière dont les pages sont
collectées : ce n’est pas qu’elles ne sont pas fiables, c’est que
ce qui est compilé, malgré la date qui y est indiquée, n’a pas
nécessairement été monté d’un seul coup. La restitution n’est
jamais « falsifiée », en ce sens qu’on n’y importe pas des éléments extérieurs, mais elle peut être un collage ou elle peut
être incomplète : ce n’est donc pas nécessairement une copie
parfaite.
• Fonctionnalités manquantes : la fiabilité sera souvent question de
contexte ou d’utilisation projetée. La question est celle de l’information que l’on cherche à impartir et de la possibilité pour le support
choisi de la rendre convenablement et intégralement.
– Par analogie, une décision canadienne permet de penser que
la version imprimée d’une page Internet satisfera vraisemblablement le tribunal si l’on cherche à établir l’agencement
d’éléments à un moment donné, mais qu’elle sera insuffisante
108.
109.
Voir en ce sens, Office européen des brevets, [2009] Journal officiel 32/456,
en ligne : <http://archive.epo.org/epo/pubs/oj009/08_09_09/08_4569.pdf> [site
consulté le 31 octobre 2013], p. 461 : « Ces archives sont certes incomplètes,
mais cela ne nuit aucunement à la fiabilité des données qu’elles contiennent ».
Sheng-Ping Fang, [2011] APO 102 (20 décembre 2011), par. 95.
30
Les Cahiers de propriété intellectuelle
si l’on veut établir les liens entre diverses pages puisqu’elle ne
les reproduit pas110.
– Les tribunaux ne sont pas toujours réceptifs aux inférences
technologiques et on sera bien avisé d’expliquer en détail
d’éventuelles hypothèses informatiques. Dans une affaire,
l’opposante prétendait que si les hyperliens n’étaient pas restitués sur la page archivée, c’est qu’en fait, les liens n’étaient
pas fonctionnels car le site était en construction à l’époque, et,
partant, que la marque n’était pas employée en relation avec
les services décrits dans la demande. La Commission a refusé
de faire sienne cette proposition en l’absence d’« élément de
preuve sur les fonctionnalités de sites Web archivés trouvés
au moyen de Wayback Machine »111.
• Authenticité directe : le nom de domaine de la page archivée pourrait ne pas correspondre avec le nom de domaine du propriétaire.
Preuve devra être faite que cette page émane bel et bien du propriétaire, par exemple, en expliquant qu’il y a redirection automatique112, faute de quoi la preuve sera rejetée113.
• Avertissements d’usage : l’Internet Archive indique que les archives
qu’elle constitue peuvent n’être pas parfaites ; le modèle de déclaration sous serment qu’elle offre pour documenter la méthodologie
de la WBM indique les principales limites de l’instrument114.
– Pour l’Office européen des brevets, il s’agit là de termes d’usage
auquel il ne faut pas accorder une importance démesurée115.
110.
111.
112.
113.
114.
115.
ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2003 CF 1056 (conf. à d’autres motifs
dans WIC TV Amalco Inc. c. ITV Technologies Inc., 2005 CAF 96 ; désistement
de la demande d’autorisation de pourvoi no 30935 (19 août 2005)), par. 13.
1772887 Ontario Limited c. Bell Canada, 2012 COMC 42, par. 16 ; contra Bisset
Automation Pty Ltd. v. Seagate Technology LLC, [2008] ATMO 70 (12 août 2008),
par. 19, décision australienne où l’on semble avoir tenu pour acquis que des
hyperliens fonctionnaient sur la page d’origine.
En cas de redirection automatique par exemple, voir : Motion Limited c. Brandlab
AG, 2011 COMC 91, par. 30.
Lofaro c. Esurance Inc., 2010 COMC 216, par. 59. Voir aussi Quiksilver International Pty Ltd. c. Equinox Entertainment Limited, 2010 COMC 59, par. 24 ;
Ansell c. Industria De Diseno Textil SA, 2013 COMC 171, par. 36 ; 2013 COMC
170, par. 27 ; 2013 COMC 169, par. 36.
Internet Archive, Standard Affidavit, online : <http://archive.org/legal/affidavit.
php> [site consulté le 31 octobre 2013].
Office européen des brevets, Communiqué de l’Office européen des brevets relatif
aux citations Internet, [2009] Journal officiel 32/456, en ligne : <http://archive.
epo.org/epo/pubs/oj009/08_09_09/08_4569.pdf> [site consulté le 31 octobre 2013],
p. 461 : « [C]es archives sont certes incomplètes, mais cela ne nuit aucunement
à la fiabilité des données qu’elles contiennent. Il est également à noter que les
avertissements juridiques relatifs à l’exactitude des informations fournies sont
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
31
• Scripts d’exclusion : l’ajout d’une instruction en cours de litige
constitue une forme de destruction de la preuve. Autrement, comme
on l’a indiqué, il peut y avoir des raisons légitimes expliquant la
présence de telles instructions : protection de certaines informations, allègement du codage, choix commercial116.
– La question des scripts d’exclusion ne s’est pas encore posée
devant la Commission des oppositions mais, comme on le
verra, certains tribunaux supranationaux peuvent en inférer
la mauvaise foi d’une partie.
– Rappelons que les scripts d’exclusion ne suppriment pas les
pages protégées : à cet égard, un tribunal américain a jugé que
l’on ne pouvait reprocher à une partie qui respecte normalement les scripts d’exclusion les manœuvres d’une autre pour
les contourner : en l’espèce, une partie avait réussi à accéder
à des pages protégées par un script d’exclusion en mitraillant
la WBM de requêtes d’accès, si la plupart avaient été refusées,
certains contenus avaient été affichés117. Rappelons aussi que
désormais au Canada, celui qui contourne à dessein des mesures techniques de protection, c’est-à-dire des technologies ou
dispositifs qui, dans le cadre normal de leur fonctionnement,
contrôlent l’accès à une œuvre (art. 41 L.d.a.), s’expose, en sus
de recours civils (par. 41.1(4) L.d.a.), à des sanctions criminelles (al. 41.1a), par. 42(3.1) L.d.a.).
116.
117.
d’usage fréquent et qu’ils ne sauraient être interprétés comme un signe négatif
de la fiabilité effective du site Internet ».
Sur l’indexation de sites Internet généralement, voir : Century 21 Canada
Limited Partnership c. Rogers Communications Inc., 2011 BCSC 1196.
Healthcare Advocates Inc. v. Harding, Earley, Follmer & Frailey, 497 F. Supp. 2d
627 (E.D. Pa.) (20 juillet 2007). Voir : Tom ZELLER Jr., « Keeper of Expired Web
Pages Is Sued Because Archive Was Used in Another Suit », The New York Times
(13 juillet 2005), p. C9 et Ralph C. LOSEY, « Should You Save and Search Internet
Cache? », dans e-Discovery – Current trends and Cases (Chicago, ABA, 2008),
195-200. En bref, dans cette saga judiciaire, Healthcare Advocate, poursuivi par
Health Advocate pour violation de droit d’auteur, mettait en place, quelques jours
après l’institution des procédures, un script d’exclusion sur son site Internet.
Malgré ce script, en inondant le site de l’Internet Archive de requêtes, les avocats de Health Advocate, le cabinet Harding Earley Follmer & Frailey, étaient
parvenus à obtenir certaines des pages, auxquelles ils n’auraient pas dû avoir
accès, vu la politique de l’Internet Archive de respecter les robots d’exclusion. La
preuve ainsi obtenue a contribué à la victoire de Health Advocates. Healthcare
Advocate s’est retourné contre l’Internet Archive et Harding Earley Follmer &
Frailey les accusant d’avoir sciemment contourné des restrictions à l’accès, se
rendant ainsi coupable d’une violation du Digital Millenium Copyright Act, Pub.
L. 105-304, 112 Stat. 2860 (1998). L’affaire a été réglée hors cour.
32
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• Cadres : c’est la date du cadre et non celle de ses éléments constitutifs qui est recensée par l’Internet Archive et il est possible que
ces dates ne correspondent pas118.
– En théorie, une même page qui serait accessible directement
ou à travers une page comportant des cadres pourrait donc
n’avoir pas la même date d’archivage puisque dans le second
cas, c’est la date de l’archivage du cadre que retiendra l’Internet Archive119.
• Objets extérieurs : qui comprend la façon dont le codage fonctionne
peut manipuler le contenu des archives. Une page peut, dans son
codage, renvoyer à un objet extérieur se trouvant sur le serveur du
propriétaire du site. Ce propriétaire peut modifier cet élément, et
par conséquent, ce qui s’affichera sur l’ordinateur de l’utilisateur,
sans pour autant modifier le codage, et donc, sans déclencher une
nouvelle indexation auprès d’Alexa et donc, une nouvelle page dans
l’Internet Archive.
– Une décision belge illustre ce cas de figure. Plutôt que de modifier le script html, le propriétaire de la page Internet mettait
à jour un fichier flash, sauvegardé sur son serveur, vers lequel
pointait le script html. La page affichée par la WBM pour
chacune des pages archivées était donc identique à la page
Internet courante, puisque le codage était demeuré identique,
donnant ainsi l’impression que la page Internet existait dans
cette forme à la date d’archivage120.
3.
DROIT COMPARÉ
Ces questions et d’autres se sont posées devant certains tribunaux étrangers, dont il convient à présent de recenser brièvement
quelques décisions. Ce sont des illustrations, bien sûr.
118.
119.
120.
Internet Archive, FAQs, en ligne : <www.archive.org/faq> [site consulté le
31 octobre 2013].
Raf F. CAERS et Jurgen M.H. DUYVER, « Don’t Get Framed by WayBack
Frames! », Managing IP (13 juillet 2011), 1, en ligne : <www.managingip.com/
Article/2864761/Dont-get-framed-by-Wayback-frames.html> [site consulté
le 1er août 2013] ; Deborah R. ELGROTH, « Best Evidence and the Wayback
Machine: Toward a Workable Authentication Standard for Archived Internet
Evidence », (2009) 78 Fordham Law Review 181, 202.
Yannick PHILIPPAERTS, « Manipulate Archived Internet Pages? Yes We
Can! », Managing IP (11 septembre 2011), 1, en ligne : <www.managingip.com/
Arti cle/2893466/Manipulate-archived-internet-pages-Yes-we-can.html> [site
consulté le 31 octobre 2013] , à propos de la décision Anvers (7e ch., comm.), BV
Senz Umbrellas c. L’Anverre, no A/07/08418 (6 juin 2008).
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
3.1
33
États-Unis : le problème de la connaissance
personnelle121
Aux États-Unis, c’est davantage la question de l’authenticité
que celle de la fiabilité qui a arrêté l’attention des tribunaux. En effet,
la question y a principalement été abordée par rapport à l’article
901a) des règles fédérales, portant que « [t]o satisfy the requirement
of authenticating or identifying an item of evidence, the proponent
must produce evidence sufficient to support a finding that the item is
what the proponent claims it is ». Sans cela, l’élément de preuve n’est
que du ouï-dire. La loi précise que cela peut se faire au moyen d’« [e]
vidence describing a process or system and showing that it produces
an accurate result » (art. 901(b)(9)).
Pour une première école, seul le témoignage de l’auteur de la
page Internet originale peut satisfaire au critère d’authenticité de
l’article 901. En effet, les pages générées par la WBM étant « only as
valid as the third-party donating the pages decides to make it »122 et
puisque ni l’Internet Archive ni Alexa ne garantissent l’exactitude de
l’archivage, seul l’auteur des pages originales peut attester de leur
fidélité à ses originaux. Le recours à la WBM n’est donc pas vérita121.
122.
Pour un aperçu général de la question, voir Nathan A. SCHACHTMAN, « The
WABAC on the Wayback Machine – Proving Up Internet History », (16 juin
2012) en ligne : <http ://schachtmanlaw.com/the-wabac-on-the-wayback-machineproving-up-internet-history> [site consulté le 31 octobre 2013] ; Stanley P. JASKIEWICZ, « Online Search and the Law », (mars 2012) en ligne : <www.lawsgr.
com/files/ALM_March_2012_I_Still_Havent_Found_28_11.PDF> [site consulté
le 1er août 2013] ; George S. BELLAS et Patrick ANDES, « Internet Evidence:
How to Authenticate Evidence from the Internet under the New Illinois Rules
of Evidence », (2011) 56:6 Trial Briefs 1, en ligne : <www.bellas-wachowski.com/
files/e-discovery_-_isba_article_-_authenticaing_internet_evidence_1-1-11.pdf>
[site consulté le 31 octobre 2013] ; Deborah R. ELGROTH, « Best Evidence and
the Wayback Machine: Toward a Workable Authentication Standard for Archived
Internet Evidence », (2009) 78 Fordham Law Review 181; INTA, « An Overview
of The Wayback Machine Memo », dans Report of the Discovery Practices and
Procedures Subcommittee of the Enforcement Committee par Brian O’BLENESS et al., (2 novembre 2009) en ligne : <www.inta.org/Advocacy/Documents/
INTAWay backMachine2009.pdf> [site consulté le 31 octobre2013] ; Gregory
P. JOSEPH, « Trial Evidence in the Federal Courts: Problems and Solutions
Sponsored with the Cooperation of the ABA Section of Litigation: Internet
and Email Evidence », (2008) American Law Institute 559, en ligne : <www.
josephnyc.com/articles/viewarticle.php?58> [site consulté le 31 octobre 2013] ;
Beryl A. HOWELL, « Proving Web History: How to Use the Internet Archive »,
[2006] Journal of Internet Law 3 ; David KESMODEL, « Lawyers’ Delight: Old
Web Material Doesn’t Disappear », (27 juillet 2005) Wall Street Journal, p. AI.
Novak v. Tucows Inc., No. 06-CV-1909, 2007 WL 922306, 2007 US Dist Lexis
21269, p. 5 (E.D.N.Y.) (26 mars 2007), conf. par No. 07-2211-CV, 2009 U.S. App.
LEXIS 9786, p. 6 (2d Cir.) (6 mai 2009) ; voir aussi : Chamilla LLC v. Pandora
Jewelery LLC, 85 USPQ 2d 1169 (SDNY) (27 septembre 2007), no 4, p. 14.
34
Les Cahiers de propriété intellectuelle
blement utile puisqu’il est nécessaire de faire appel au propriétaire
du site Internet d’origine.
Pour une seconde école123, la déclaration sous serment d’un
représentant du site de cyberarchivage ayant une connaissance
personnelle de la recherche effectuée – c’est-à-dire, portant qu’il a
vérifié que les pages archivées sont des copies conformes des pages
originales telles qu’elles existaient à la date mentionnée – peut suffire124, notamment parce qu’il est facile pour le défendeur, détenteur
des originaux, de prouver l’inexactitude, le cas échéant, des copies125.
L’Internet Archive propose de telles déclarations sous serment,
lesquelles comportent une explication de certaines des limites de
l’outil126.
Au Canada, la Commission des oppositions des marques de
commerce s’écarte de la page originale d’un degré encore : ce qu’elle
admet comme « fiables et nécessaires »127, c’est-à-dire comme établissant l’authenticité des pages archivées, ce sont les déclarations
contenues dans l’affidavit de celui qui conduit les recherches dans
l’Internet Archive, autrement dit, la déclaration d’un tiers128 au tiers123.
124.
125.
126.
127.
128.
Telewizja Polska USA, Inc. v. Echostar Satellite Corp., 2004 WL 2367740, 65
Fed. R. Evid. Serv. 673 (N.D. Ill.) (15 octobre 2004) ; St. Luke’s Cataract & Laser
Inst., P.A. v. Sanderson, No. 8:06-CV-223, 2006 U.S. Dist. LEXIS 28873, 2006 WL
1320242, par. 6, (M.D. Fla.) (12 mai 2006) ; Healthcare Advocates, Inc. v. Harding,
Earley, Follmer & Frailey, 497 F. Supp. 2d 627 (E.D. Pa.) (20 juillet 2007) ; SP
Technologies, LLC v. Garmin International Inc. et al., 2009 U.S. Dist. LEXIS
94953 (N.D. Ill.) (9 octobre 2009) ; Keystone Retaining Wall Sys. Inc. v. Basalite
Concrete Prods LLC, 2011 U.S. Dist. LEXIS 145545 (D. Minn.) (19 décembre
2011).
Telewizja Polska USA Inc. v. Echostar Satellite Corp., 2004 WL 2367740, 65
Fed. R. Evid. Serv. 673 (N.D. Ill.) (5 octobre 2004), par. 14 ; voir aussi St. Luke’s
Cataract & Laser Inst. P.A. v. Sanderson, No. 8:06-CV-223, 2006 U.S. Dist. LEXIS
28873, 2006 WL 1320242, par. 6 (M.D. Fla.) (12 mai 2006) où la Cour a déclaré
inadmissible l’affidavit produit aux fins d’un autre dossier. En tout état de cause
cette approche ne semble guère réaliste dans le cas de la WBM.
Telewizja Polska USA Inc. v. Echostar Satellite Corp., 2004 WL 2367740, 65 Fed.
R. Evid. Serv. 673 (N.D. Ill.) (15 octobre 2004), par. 14.
Internet Archive, Standard Affidavit, online : <http://archive.org/legal/affidavit.
php> [site consulté le 31 octobre 2013].
Candrug health solutions ltd. c. Thorkelson, 2007 CF 411, par. 19 et 21 ; Heather
Ruth McDowell c. 2103214 Ontario Inc., 2012 TMOB 227, par. 15 à 18.
En pratique, il s’agira souvent d’un employé du cabinet d’avocats représentant
la partie. Toutefois, on peut imaginer des situations plus litigieuses où il sera
judicieux de faire effectuer les recherches par une personne neutre. Voir CrossCanada Auto Body Supply (Windsor) Ltd. c. Hyundai Auto Canada, 2005 CF
1254, conf. par 2006 CAF 133 ; John MCKEOWN et Ruth CORBIN, « Wayback
to the Future of Online Evidence », (1er février 2013) en ligne : <www.gsnh.
com/2013/02/01/wayback-to-the-future-of-online-evidence> [site consulté le
31 octobre 2013]. Voir toutefois Ali Baba’s Middle Eastern Cuisine Ltd. c. Nilgun
Dardere, 2012 COMC 223.
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
35
archiveur. Sur la question du ouï-dire, effleurée plutôt qu’abordée129,
peut-on en conclure, si même il faut considérer les pages archivées
comme des déclarations130, que c’est l’intégrité de la reproduction, la
fiabilité du mécanisme d’archivage qui intéresse le tribunal, bien plus
que la connaissance de la personne qui a effectué les recherches ? Cela
pourrait expliquer cette affaire où la Commission a accepté une page
archivée, l’estimant suffisamment fiable aux fins de la preuve que l’on
tentait de faire, même s’il était possible que des liens dynamiques de
la page originale ne soient plus fonctionnels sur la page archivée, et
même si l’affiant ignorait ces limites131. Cela explique également que
l’on s’attarde peu aux deux exceptions classiques que l’on pourrait
être tenté d’invoquer pour contourner la prohibition sur le ouï-dire,
à savoir, dans la mesure où la page Internet d’origine émane de la
partie adverse, la déclaration de celle-ci contre son intérêt (al. 31.3b)
L.p.C.)132, ou le document constitué dans le cours des activités d’une
entreprise (al. 31.3c) L.p.C.) – encore que l’on puisse alors se demander
s’il faut considérer les activités de l’entreprise requérante ou celles
de l’Internet Archive133.
3.2
Australie : « inadmissible », « peu fiable » et pourtant
largement acceptée
Intéressant contraste en droit australien. D’une part, la Cour
d’appel fédérale s’est déjà prononcée assez nettement, encore qu’en
obiter et sans trop d’explication, à l’encontre de recherches entreprises
sur la WBM afin d’introduire en preuve des versions antérieures de
certaines pages Internet : au-delà même de la question de savoir si la
preuve proposée pouvait bénéficier de l’une des exceptions à la règle
de l’inadmissibilité du ouï-dire – écrits habituellement utilisés dans
le cours des affaires, document informatique –, « it is considered,
inadmissible – or, even if admissible – of little reliability »134.
Pourtant, non seulement les tribunaux spécialisés en propriété
intellectuelle acceptent-ils volontiers de tels documents – parfois
129.
130.
131.
132.
133.
134.
Voir toutefois Bereskin & Parr c. Mövenpick-Holding, 2008 CanLII 88341 (Comm.
opp.), p. 6 du texte intégral.
Supra, note 77.
Reed Solutions Plc c. Reed Elsevier Group Plc, 2011 COMC 263.
Voir aussi Jean-Claude ROYER (coll. Sophie LAVALLÉE), La preuve civile, 4e éd.,
(Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008), p. 595 et s., nos 741 et s.
Bereskin & Parr c. Mövenpick-Holding, 2008 CanLII 88341 (Comm. opp.), p. 6
du texte intégral.
E. & J. Gallo Winery v. Lion Nathan Australia Pty Limited, [2008] FCA 934
(20 juin 2008), par. 129.
36
Les Cahiers de propriété intellectuelle
après analyse135 mais souvent sans même se prononcer sur leur
validité136 –, mais il arrive à l’occasion aux commissaires d’effectuer
leurs propres recherches complémentaires137. En toute justice, sans
doute, comme au Canada, les documents ne sont-ils pas toujours
contestés, voire sont-ils admis par les parties, mais, même lorsque la
question est soulevée, le document finira généralement par être reçu
en preuve, les commissaires reconnaissant volontiers à la WBM un
caractère fiable, au moins prima facie :
The Internet Archive may not be entirely reliable in respect to
dates of availability or content on a particular date, but absent
any reason or evidence of error then the dates and content
on Wayback Machine should be accepted on the balance of
probabilities.138
Reste cette récente affaire où la Cour d’appel fédérale 139
confirme la détermination de fait du juge de première instance à
l’effet qu’en l’espèce « alleged third party Internet uses did not greatly
support the proposition that the words were being used as a trade
mark in their own right » : si la preuve avait pu être pertinente,
sans doute se serait-on penché plus avant sur l’admissibilité, un peu
escamotée en l’espèce.
3.3
France : du respect des formes
En ce qui concerne la France, on a souvent lu dans un arrêt
rendu en 2010 par la Cour d’appel de Paris140 l’irrecevabilité de principe des constats d’huissier expliquant des recherches conduites sur
l’Internet Archive. Il est vrai que cet arrêt, suivi deux ans après par
le Tribunal de grande instance de Paris141, n’accorde aucune valeur
probante à un tel constat et que la WBM y est décrite comme « un
135.
136.
137.
138.
139.
140.
141.
Voir, par exemple, CSL Limited v. Capital Securitisation (Holdings) Pty. Limited,
[2010] ATMO 42 (2 juin 2010).
Voir par exemple Action Tours Pty Limited v. Dreamscape Tours Pty Ltd., [2008]
ATMO 65 (28 juillet 2008) ; P & T Basile Imports Pty Ltd. v. Aceto Balsamico
del Duca di Adriano Grosoli S.R.L., [2011] ATMO 44 (30 mai 2011), par. 31.
General Electric v. Galvin Enginering Pty Ltd., [2013] ATMO 32 (17 mai 2013),
par. 39.
Sheng-Ping Fang, [2011] APO 102 (20 décembre 2011), par. 95 ; voir aussi :
DCK Australia Pty Ltd. v. Vincona Pty Ltd., [2008] ATMO 41 (29 mai 2008),
par. 8-9 ; Doteasy Technology Inc. v. Dot Easy Australia Pty. Ltd., [2011] ATMO
88 (6 septembre 2011), par. 6.
Fry Consulting Pty Ltd. v. Sports Warehouse Inc. (No 2), [2012] FCA 81.
Cour d’appel de Paris (5e pôle, 2e chambre), Saval, Établissements Laval c. Home
Shopping Service (HSS) (arrêt du 2 juillet 2010).
Tribunal de grande instance de Paris (3e chambre, 2e section), Legende llc c. MG
Demand Holding (jugement du 27 mai 2011).
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
37
service d’archivage exploité par un tiers à la procédure, qui est une
personne privée sans autorité légale, dont les conditions de fonctionnement sont ignorées […] [et dont l’]outil de recherches n’est pas
conçu pour une utilisation légale »142.
Toutefois, il apparaît d’une lecture attentive que c’est plutôt
qu’en l’espèce « l’absence de toute interférence dans le cheminement
donnant accès aux pages incriminées n’[était] […] pas garantie », la
cour reconnaissant par ailleurs qu’il « n’est pas contesté que les pages
en question n’ont pu faire l’objet de falsification postérieure »143. Il est
vrai qu’en vertu de la présomption de fiabilité de ces actes officiels que
sont les constats d’huissier, le respect des formes prescrites prend une
grande importance en France. À preuve, ce récent arrêt de la Cour
d’appel de Douai, où la fiabilité des services d’archives est qualifié
de « contestable »144.
Cependant, au moins deux jugements ont par le passé accordé
toute sa valeur probante à un constat portant sur les recherches
effectuées dans des archives Internet145, un autre par la suite146,
encore que sans grand commentaire, et une autre encore a affirmé
qu’un constat respectant les formes valait comme preuve des faits
constatés, témoignage ordinaire, en quelque sorte147.
Ce sont des illustrations. Certes, le droit de la preuve français
diffère du nôtre ; toutefois, les critères d’évaluation du tribunal font
largement écho à ceux que nous avons identifiés plus haut.
142.
143.
144.
145.
146.
147.
Supra, note 140.
Ibid.
Cour d’appel de Douai (1re chambre, 2e section), Société NextIdea SASU c. SAS
NextIdea une idée d’avance et al. (arrêt du 30 avril 2013), numéro Jurisdata
2013-0083180, p. 6.
Cour d’appel de Paris (8e chambre, 2e section), Louis Feraud International c.
Viewfinder (arrêt du 27 avril 2006), Dalloz 2006 no 32, 2240 ; Tribunal de grande
instance de Paris (3e chambre, 1re section), Frédéric M. c. Ziff David (jugement
du 4 mars 2003).
Cour d’appel de Paris (5e pôle, 10e chambre), Leguide.com c. Pewterpassion.com,
Saumon’s (arrêt du 28 septembre 2011).
Cour d’appel de Paris (5e pôle, 2e chambre), eBay c. Parfums Christian Dior, Kenzo
Parfums, Parfums Givenchy, Guerlain (arrêt du 3 septembre 2010) (inf. sur la
seule question de la compétence des tribunaux français sur le demandeur : Cour
de cassation (ch. comm.), eBay International c. LVMH (arrêt du 3 mai 2012) :
même si la compétence des agents de l’Agence de protection des programmes est
limitée quant aux constatations qu’ils peuvent faire en droit, « les constats qu’ils
peuvent faire au-delà de leur champ de compétence matérielle, n’en constituent
pas moins des éléments de preuve des faits constatés ».
38
3.4
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Instances supranationales : réceptivité et habitude
Net contraste avec les hésitations et fluctuations des instances
nationales, les autorités supranationales spécialisées en propriété
intellectuelle, elles, reconnaissent presque unanimement la valeur
probante des recherches effectuées avec la WBM.
3.4.1 Office européen des brevets
De jurisprudence assez constante, l’Office européen des brevets
admettait la validité des pages archivées, pourvu qu’elles soient
soutenues d’un affidavit de l’archiviste ou de l’administrateur du site
archivé148. Sa réceptivité à ce genre de preuve s’est accrue depuis, avec
l’adoption d’abord d’un communiqué149, puis d’une directive autorisant
l’examinateur à utiliser un service d’archivage Internet pour « essayer
d’obtenir des preuves supplémentaires pour établir ou confirmer [une]
date » en l’absence de preuve en ce sens par les parties150.
3.4.2 Centre d’arbitrage et de médiation de l’Office mondial
de la propriété intellectuelle
Non seulement l’OMPI reconnaît-il dans plusieurs décisions
la validité de principe de la WBM mais sa jurisprudence a développé
une présomption de mauvaise foi à l’encontre de celui dont les pages
contiennent des codes antibalayage151. Qui plus est, elle admet désor148.
149.
150.
151.
Konami Corp., affaire T 1134/06 (16 janvier 2007) (Chambre de recours de l’Office
européen des brevets) ; Baxter Aktiengesellschaft c. Merck Serono SA, affaire
T990/09 (3 juillet 2012) (Chambre de recours de l’Office européen des brevets).
Office européen des brevets, Communiqué de l’Office européen des brevets relatif
aux citations Internet [2009] Journal officiel 32/456, en ligne : <http://archive.
epo.org/epo/pubs/oj009/08_09_09/08_4569.pdf> [site consulté le 1er août 2013].
Article G-IV, 7.5.4 des Directives relatives à l’examen pratiqué à l’Office européen
des brevets (16 septembre 2013), en ligne : <www.epo.org/law-practice/legal-texts/
html/guidelines/f/index.htm> [site consulté le 31 octobre 2013].
The iFranchise Group v. Jay Bean/MDNH, Inc./Moniker Privacy Services, affaire
no D2007-1438 (18 décembre 2007) <ifranchise.com> (Centre d’arbitrage et de
médiation de l’OMPI (UDRP)) : « Increasingly, sophisticated respondents are
employing robots.txt to prevent access to the historical use of a domain name
involved in a UDRP proceeding. The employment of robots.txt is often employed
after a UDRP complaint has been filed. Robots.txt has been employed in the
present case, and when the Panel attempted to review the history of the use of
the domain name at issue, its access to the historical Web pages was blocked.
[para] It is the opinion of the Panel that absent convincing justification for the
employment of robots.txt in a given case, the use of the device may be considered
as an attempt by the domain name owner and operator to block access by the
panel to relevant evidence. In such a case, it is the Panel’s view that a panel is
entitled to assume that reasonable factual allegations that a complainant has
made as to the historical use of the Web site to which the domain name at issue
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
39
mais que la Commission administrative soit autorisée à procéder à des
recherches factuelles limitées dans l’Internet Archive si elle estime
que ces recherches lui sont nécessaires pour prendre une décision152.
Elle devra toutefois donner aux parties l’occasion de présenter leurs
observations sur les recherches, qu’elle entend utiliser lorsqu’elles
ne sont pas « obvious »153.
Au-delà des particularités de chaque dossier, on remarquera
le contraste entre la réceptivité des tribunaux nationaux de droit
commun et celles des instances spécialisées, certaines de ces dernières
allant jusqu’à se réclamer d’une espèce de connaissance d’office. Une
telle attitude est-elle envisageable au Canada ?
4.
VERS UNE CONNAISSANCE D’OFFICE ?
Les tribunaux doivent prendre connaissance d’office du droit
(art. 2807 C.c.Q.) mais également des faits notoires (art. 2808 C.c.Q.),
c’est-à-dire les faits généraux, de connaissance courante, dont la
152.
153.
resolves are true and that the use of robots.txt in the particular case may be
considered as an indicia of bad faith. » ; Descente Ltd. and Arena Distribution,
S.A. v. Portsnportals Enterprises Limited, affaire no D2008-1768 (22 janvier 2009)
<arena.com>, (Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI (UDRP)) ; Cleveland
Browns Football Company LLC v. Andrea Denise Dinoia, affaire no D2011-0421
(27 avril 2011) <browns.com> (Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
(UDRP)).
Karl’s Sales and Service Company LLC v. LaPorte Holdings Inc., affaire no D20040929 (28 janvier 2005) <karlsappliances.com>, (Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI (UDRP)) ; National Football League v. Thomas Trainer, affaire
no 2006-1440 (29 décembre 2006) <nflnetwork.com>, (Centre d’arbitrage et de
médiation de l’OMPI (UDRP)) ; La Francaise des Jeux v. Domain Drop S.A.,
affaire no D2007-1157 (18 octobre 2007) <coteetmatch.com>, (Centre d’arbitrage
et de médiation de l’OMPI (UDRP)) ; Descente Ltd. and Arena Distribution S.A.
v. Portsnportals Enterprises Limited, affaire no D2008-1768 (22 janvier 2009)
<arena.com>, (Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI (UDRP)) ; Cheung
Kong (Holdings) Limited and Chueng Kong Property Development Limited v.
Netego DotCom, affaire no D2009-0540 (29 juillet 2009) <
.com>, (Centre
d’arbitrage et de médiation de l’OMPI (UDRP)).
OMPI, WIPO Overview of WIPO Panel Views on Selected UDRP Questions, 2e éd.,
(Genève, OMPI, 2011), en ligne : <www.wipo.int/amc/en/domains/search/over
view2.0> [site consulté le 1er août 2013] : « This may include visiting the website
linked to the disputed domain name in order to obtain more information about
the respondent and the use of the domain name, consulting a repository such as
the Internet Archive (at www.archive.org) in order to obtain an indication of how
a domain name may have been used in the relevant past, reviewing dictionaries
or encyclopedias to determine any common meaning, or discretionary referencing
of trademark online databases. A panel may also rely on personal knowledge.
If a panel intends to rely on information from these or other sources outside
the pleadings, especially where such information is not regarded as obvious, it
will normally consider issuing a procedural order to the parties to give them an
opportunity to comment ».
40
Les Cahiers de propriété intellectuelle
notoriété rend l’existence raisonnablement incontestable ou dont
l’existence peut être démontrée immédiatement et exactement par
le recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude,
elle, est incontestable154. On pensera aux dictionnaires155, aux atlas,
aux encyclopédies, mais également désormais à certaines ressources
électroniques : qui glane une définition sur Wikipédia156 ou dans le
Grand dictionnaire terminologique de l’Office de la langue française157,
qui calcule une distance à l’aide de GoogleMaps158. La connaissance
d’office, qui s’impose au juge (art. 2806 C.c.Q.)159, n’est pas une dispense de preuve ou un « substitut à la preuve extérieure », c’est un
mode de preuve en soi, que l’on pourra rapprocher d’une présomption
légale (art. 2847 C.c.Q.)160. En effet, en toute logique, si un fait est
« raisonnablement incontestable », il est établi, autrement dit, ne
peut être réfuté. De cela il s’ensuit que le juge qui prend connaissance
d’office d’un fait n’a pas à le soumettre aux parties, qui n’ont pas la
possibilité d’un contre-interrogatoire ou même de commentaires161. Le
154.
155.
156.
157.
158.
159.
160.
161.
R. c. Williams, [1998] 1 R.C.S. 1128, p. 1156 ; voir aussi Gagné c. St-Regis Co.
Ltd., [1973] R.C.S. 814, p. 819 ; Baie-Comeau (Ville de) c. D’Astous, [1992] R.J.Q.
1483 (C.A.) ; voir généralement Danielle PINARD, « La notion traditionnelle de
connaissance d’office des faits en droit de la preuve », (1997) Revue juridique
Thémis 87 ; John SOPINKA, Sidney N. LEDERMAN et Alan W. BRYANT, The
Law of Evidence in Canada, 3e éd., par Alan W. BRYANT, Sidney N. LEDERMAN
et Michelle K. FUERST, (Toronto, LexisNexis, 2009), p. 1268 et s., nos 19.13 et s.
Dans le domaine des marques de commerce, voir, entre autres, The Coca-Cola Co.
of Canada Ltd. v. Pepsi-Cola Co. of Canada Ltd., (1940) 1 C.P.R. 293, (C.J.C.P),
par. 13 ; Aladdin Industries Inc. c. Canadian Thermos Products Ltd., [1969] 2
R.C.É. 80, par. 22 ; Envirodrive Inc. c. 836442 Alberta Ltd., 2005 ABQB 446 (B.R.
Alb.), par. 53 ; Yahoo! Inc. c. audible.ca inc., (2009) 76 C.P.R. (4th) 222 (Comm.
opp.), par. 15 ; Tradall SA c. Devil’s Martini Inc., 2011 COMC 65 ; Tradall SA
c. Devil’s Martini Inc., 2011 COMC 65, par. 29 ; Ogopogo Media Inc. c. BC Jobs
Online Inc., 2011 COMC 127, par. 15 ; Whole Foods Market IP, LP c. Salba Corp
NA, 2012 COMC 5, par. 14.
Voir par exemple, Anheuser-Busch c. Daum, 2010 COMC 163, par. 18 ou, de
manière plus étoffée, R. c. Cianfagna, 2007 CanLII 25904 (C. mun.), mais noter
que le raisonnement du juge fait l’objet d’assez lourdes critiques dans 2008
QCCS 1078, par. 5 et s. qui finit par infirmer la décision (perm. d’appel à la C.A.
rejetée : SOQUIJ AZ-50495292).
Voir par exemple, Brais c. Québec (Procureur général), 2013 QCCA 858, par. 10.
Voir R. c. Calvert, 2011 ONCA 379 ; contra Joliette (Ville de) c. X., 2010 QCCM
183, par. 83.
Monique DUPUIS et Pierre TESSIER, « La preuve à l’instruction », dans Preuve
et procédure, coll. de droit, (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012), p. 38.
Sur la question de la présomption absolue, voir : Léo DUCHARME, Précis de la
preuve, 5e éd., (Montréal, Wilson & Lafleur, 2005), nos 89-90 et John SOPINKA,
Sidney N. LEDERMAN et Alan W. BRYANT, The Law of Evidence in Canada,
3e éd., par Alan W. BRYANT, Sidney N. LEDERMAN et Michelle K. FUERST,
(Toronto, LexisNexis, 2009), nos 19.45 à 19.51, p. 1281 à 1283.
R. c. Find, 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863, par. 48 ; Baie-Comeau (Ville de) c.
D’Astous, [1992] R.J.Q. 1483 (C.A.) ; R. c. Balen, 2012 ONSC 2209, par. 62 ; Léo
DUCHARME, Précis de la preuve, 5e éd., (Montréal, Wilson & Lafleur, 2005),
Archives Internet : quelques problèmes de preuve
41
recours judiciaire à la WBM pourrait, peut-être, être justifié lorsque
l’examinateur a des fonctions d’enquêteur. Il saurait plus difficilement
l’être toutefois dans un système contradictoire où il revient aux parties
de faire leur preuve162. C’est donc avec prudence qu’il faut envisager
la connaissance d’office des pages elles-mêmes163.
À cet obstacle de principe s’ajoute une difficulté pratique : la
connaissance d’office ne peut par ailleurs « jamais porter sur les faits
précis générateurs de droit dans un litige donné »164. Or, nous voyons
mal ce qu’on pourrait tirer, dans le cadre d’une procédure d’opposition
ou de radiation, d’une page Internet archivée qui ne soit pas en lien
direct avec les allégations d’emploi. Voilà qui restreint substantiellement le recours à la WBM proprio motu par la Commission.
Une note toutefois. L’exigence de notoriété exclut, en principe,
la connaissance judiciaire des faits spécialisés : on vise des faits de
connaissance générale, courante, qui font partie du bagage ordinaire
d’un juge165. On permettra toutefois une connaissance d’office plus
pointue à certains tribunaux spécialisés, justement en raison de leur
spécialité166. Peut-être, avec le temps, se développera-t-il à la Commis-
162.
163.
164.
165.
166.
nos 89-90 ; Monique DUPUIS et Pierre TESSIER, « La preuve à l’instruction »,
dans Preuve et procédure, coll. de droit, (Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2012), p. 411.
Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 5e éd., (Montréal, Wilson & Lafleur, 2005),
no 76 ; Monique DUPUIS et Pierre TESSIER, « La preuve à l’instruction », dans
Preuve et procédure, coll. de droit, (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012),
p. 410.
Sur le caractère strict de la connaissance d’office et la prudence dont les tribunaux doivent faire preuve en la matière, voir : R. c. Find, 2001 CSC 32, [2001]
1 R.C.S. 863, par. 48 ; R. c. Malmo-Levine ; R. c. Caine, 2003 CSC 74, [2003] 3
R.C.S. 571, par. 28 ; R. c. Spence, 2005 CSC 71, [2005] 3 R.C.S. 458, par. 65.
Commonwealth Shipping Representative c. P. & O. Branch Service, [1923] A.C.
191 ; Petro-Canada c. Mabaie Construction inc., 2003 CanLII 6672 (C.A. Qué.),
par. 11 ; Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 5e éd., (Montréal, Wilson &
Lafleur, 2005), nos 81-82.
Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 5e éd., (Montréal, Wilson & Lafleur,
2005), nos 75 et s. ; Danielle PINARD, « Le domaine de la connaissance d’office
des faits », dans Actes de la XVIe Conférence des juristes de l’État, (Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2004), p. 351.
Canadian National Railways Company c. Bell Telephone Co. of Canada, [1939]
R.C.S. 308, p. 317 : « The board is not bound by the ordinary rules of evidence.
In deciding upon question of fact, it must inevitably draw upon its experience
in respect of the matters in the vast number of cases which come before it as
well as upon the experience of its technical advisers. » ; voir plus récemment
Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC
11, [2002] 1 R.C.S. 249, par. 44 et 49 et Luc COTE et Catherine DUBE-CAILLE,
« La connaissance d’office et la spécialisation de la Commission des lésions
professionnelles », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec,
Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail, (Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2013), p. 137.
42
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sion des oppositions une connaissance plus pointue de l’outil qu’est la
WBM, voire une pratique, qui lui permette de prendre connaissance
d’office de son fonctionnement par exemple. Pour l’instant toutefois,
la jurisprudence ne nous permet pas d’affirmer que cela fasse partie
de la connaissance générale de la Commission. Son existence, peutêtre167, ses rouages, non.
Tout cela posé, on peut supposer que la réceptivité de la Commission à l’égard de l’utilisation de la WBM tient bien davantage du
fait que, généralement, le requérant aura en sa possession les originaux des pages archivées et qu’il pourra, le cas échéant, repousser
facilement la présomption de fiabilité que la jurisprudence y attache.
Cette assurance toutefois ne vaut que pour les pages issues des sites
Internet dont les parties sont propriétaires. Elle n’a pas lieu d’être
lorsqu’il s’agit des pages du site d’un tiers puisqu’il n’est alors pas
plus facile pour l’opposant que pour le requérant d’en démontrer la
conformité aux originaux.
L’Internet Archive est un instrument dont on ne saurait négliger l’importance, ne serait-ce qu’au niveau de la collecte et la vérification des faits. On peut toutefois se surprendre de ce que les résultats
estampillés WBM soient presque systématiquement acceptés, sans
autre explication ni réserves. D’autres éléments de preuve issus
d’Internet ne connaissent généralement pas un sort aussi favorable,
l’encyclopédie collaborative Wikipédia pour ne donner qu’un exemple
évident168. Il nous semble que quelques explications ressortant de
la preuve ou une justification pointue des décideurs soutiendraient
d’autant plus une conclusion de la fiabilité. Commode, la WBM l’est
assurément, mais la facilité ne devrait pas obscurcir les exigences
du droit de la preuve.
167.
168.
Après tout, la Cour suprême elle-même l’a déjà utilisé dans sa liste des autorités. Voir : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Royal et Sun
Alliance du Canada, Sociétés d’assurances, 2008 CSC 66, [2008] 3 R.C.S. 453.
Voir par exemple, Araj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),
2005 CF 261 ou R. c. Cianfagna, 2008 QCCS 1078 (perm. d’appel à la C.A. rejetée :
SOQUIJ AZ-50495292 ; encore que la Commission des oppositions se montre,
encore ici, plus réceptive que d’autres tribunaux depuis Conseil canadien des
ingénieurs professionnels c. Alberta Institute of Power Engineers, 2008 CanLII
88223 (Comm. opp.), par. 12. Voir superficiellement Jean-François DE RICO,
Patrick GINGRAS et Nicolas VERMEYS, « La fiabilité de la preuve issue du
Web », (15 avril 2013) Conférence des juristes de l’État 2013, en ligne : <www.conferencedesjuristes.gouv.qc.ca%2Ftextes-de-conferences%2Fpdf%2F2013%2FLa_
fiabilitedelapreuve_issueduweb.pdf> [site consulté le 31 octobre 2013].
Vol. 26, nº 1
Les législations de lutte contre le
téléchargement illégal : entre riposte
graduée et filtrage de l’Internet
Victor Dzomo-Silinou*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
A.
Une mise en contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
B.
Une cartographie des mesures contre le téléchargement
illégal à travers le monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
1. FRANCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
1.1 La genèse du projet de loi HADOPI . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
1.2 Le projet de loi HADOPI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
1.2.1 HADOPI 1 et le Conseil constitutionnel . . . . . . . . . 64
1.2.2 HADOPI 2 et le Conseil constitutionnel . . . . . . . . . 65
1.3 La mission Création et Internet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
1.4 Avec Hadopi, quel avenir pour les industries culturelles
en France ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
1.5 HADOPI résoudra-t-elle la question du
téléchargement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
1.6 Développements récents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
© Victor Dzomo-Silinou, 2014.
* Juriste et politologue, conseiller aux politiques de culture et des communications
au ministère de la Culture et des Communications. L’auteur souhaite indiquer que
les opinions émises dans cet article sont personnelles.
43
44
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.7 Le rapport Lescure et ses suites. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
2. ROYAUME-UNI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
2.1 Le contexte du téléchargement illégal et du partage
des œuvres protégées au Royaume-Uni . . . . . . . . . . . . . . . 79
2.2 La situation de la gestion des contenus numériques
au Royaume-Uni . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
2.2.1 La riposte graduée abandonnée . . . . . . . . . . . . . . . . 81
2.2.2 Le Royaume-Uni numérique pour les prochaines
années . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
2.2.2.1 Le rôle de l’Agence des droits
numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
2.2.2.1.1 Informer, sensibiliser et éduquer
les consommateurs afin de
changer leur comportement . . . 85
2.2.2.1.2 Encourager l’innovation en
facilitant la création de nouveaux
moyens d’accéder aux contenus
protégés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
2.2.2.2 Composition et financement de l’Agence . . 86
2.2.2.3 La législation proposée . . . . . . . . . . . . . . . . 86
2.2.3 Où en sommes-nous ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
2.2.4 Développements récents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
3. BELGIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
3.1 Le contexte du téléchargement illégal et du partage
des œuvres protégées en Belgique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
3.2 Des initiatives belges pour lutter contre l’offre
et l’échange illicite sur Internet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
3.2.1 La voie juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
3.2.2 En matière pénale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
3.3 Où en sommes-nous ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
45
3.4 Développements récents : l’affaire Scarlet c. Sabam. . . . 106
3.4.1 L’avis de l’avocat général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
3.4.2 L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne :
interdiction de tout filtrage sur Internet pour
motif de protection des droits d’auteur . . . . . . . . . 108
3.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
4. LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE ALLEMANDE . . . . . . . . . . . 110
4.1 Quel cadre juridique pour le téléchargement
sur Internet en Allemagne ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
4.2 Des réponses judiciaires : une évolution en dents
de scie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
4.2.1 La voie pénale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
4.2.2 Du filtrage de la Toile pour cause de lutte contre
la pédopornographie au blocage des sites Internet
pour téléchargement de contenus protégés . . . . . . 114
4.3 La grogne des professionnels du livre : pas d’avenir
sans sécurité juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
4.4 Où en sommes-nous ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
4.5 Développements récents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
5. L’ESPAGNE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
5.1 Le contexte espagnol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
5.2 Les péripéties de la Loi Sinde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
5.3 La Commission de la propriété intellectuelle,
un dispositif législatif sanctionnant le piratage ? . . . . . . 126
5.4 La lutte contre le piratage en Espagne :
évolution récente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
6. L’AUSTRALIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
6.1 Les transmutations du système de filtrage de l’Internet
en Australie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
46
Les Cahiers de propriété intellectuelle
6.2 Quel rôle pour les FSI dans la lutte contre le piratage
sur Internet ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
6.3 Les accords contractuels au secours des initiatives
légales : le nouveau modèle australien . . . . . . . . . . . . . . 138
7. NOUVELLE ZÉLANDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
7.1 Le contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
7.2 Les hauts et les bas du système de riposte graduée
en Nouvelle-Zélande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
7.3 La nouvelle riposte graduée néo-zélandaise
et ses suites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
CONCLUSION GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
INTRODUCTION
Cet article1 vise à faire un inventaire des mesures proposées
par des gouvernements dans le monde pour lutter contre le piratage
numérique et physique et pour garantir au plan opérationnel le
respect des droits de propriété intellectuelle.
A.
Une mise en contexte
Le Soleil, dans son édition du 2 mars 2013, annonçait les couleurs du phénomène de téléchargement moderne au moyen des sites
de partage de fichiers en ligne, en titrant : « Les pirates plus avides
que jamais »2. En effet, Samuel Auger, qui décrypte le phénomène,
soutient que les pirates des années 2010 ont le vent en poupe, que la
toile mondiale regorge de fichiers illégaux en proportions démesurées
et accessibles en un seul clic et que le piratage a pris une ampleur
plus considérable. Il souligne qu’en 2009, les sites pirates généraient
200 millions de visites par mois, alors que trois ans plus tard, ils
attirent près d’un milliard de visiteurs tous les mois. Selon lui, avec
le déploiement massif des connexions à haut débit, le téléchargement
d’œuvres artistiques prend de l’importance. En effet, le nombre de
contenus piratés (films, jeux vidéo, logiciels, livres, etc.) se compte
aujourd’hui en milliers de téraoctets, ce qui est bien assez pour remplir des milliers de disques durs de grande capacité. Et le Web est
désormais rempli de trouvailles illégales du genre, remarque-t-il. Pour
illustrer l’ampleur du phénomène, il souligne qu’il n’est pas rare de
voir des coffrets et des collections dépassant les 100 gigaoctets, soit
deux fois la limite de téléchargement mensuel de bien des Québécois.
C’est ainsi, par exemple, que les utilisateurs les plus assidus de Torrent411 (une plateforme de téléchargement née au Québec) ont déjà
partagé chacun pour plus de 50 téraoctets de fichiers illégaux, soit
l’équivalent de 50 000 heures de vidéo en haute définition. Il déplore
le mutisme qui entoure l’exploitation de ces sites de partage en ligne :
1. Le premier volet de cette étude a été publié à (2012) 23:2 Cahiers de propriété
intellectuelle sous le titre, « Le phénomène du téléchargement illégal sur Internet
et la question de la rémunération de la création », p. 773-801.
2. Voir Samuel AUGER, « Les pirates plus avides que jamais », Le Soleil, 2 mars 2013,
p. 18.
47
48
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Les administrateurs sont anonymes. Idem pour tous les utilisateurs. Pis : nombre de ces plates-formes sont tout simplement
exclusives. Une invitation – parfois payante – d’un ami est
requise. Des clubs VIP où seuls les téléverseurs émérites sont
acceptés. En dépit de ce manque de transparence, la majorité
des sites invitent les visiteurs à verser des dons pour maintenir
les serveurs à flot. Aucune somme récoltée n’est remise aux
auteurs et artistes derrière les œuvres partagées.3
Il convient de noter que pour Samuel Auger, un site de torrents est, en soi, tout à fait légal. Selon lui, si le partage de fichiers
est permis par la loi, c’est bien plus le partage et la distribution de
contenus protégés par les droits d’auteur qui ne le sont pas. Or, les
sites de torrents sont saturés d’œuvres artistiques protégées par le
droit d’auteur4.
Dans un sens conforme, on observe que la dernière décennie a
vu se développer de nombreuses études sur les pratiques culturelles
des internautes et, notamment, sur la lutte contre les atteintes au
droit d’auteur sur Internet5. Dans les conclusions de ces études, une
constante demeure. Elles démontrent toutes l’essor du téléchargement
illégal6, notamment en matière de musique et de films, au travers de
dispositifs d’échanges de fichiers communément appelés Peer-to-Peer
(P2P)7 qui permettent à leurs utilisateurs de disposer facilement
d’une offre gratuite et abondante, laissant se développer un sentiment
d’impunité8.
3. Ibid.
4. AUGER, Légal ou pas ?, loc. cit., p. 20.
5. On peut citer, entre autres, l’excellent rapport de Sandrine Hallemans dont nous
nous inspirons dans cette étude : Étude relative à la lutte contre les atteintes au
droit d’auteur sur Internet, (Namur, Centre de recherche Information, Droit et
Société – CRIDS, 24 septembre 2012), p. 192, <http://economie.fgov.be/fr/binaries/
etude_lutte_contre_les_atteintes_au_droit_d_auteur_sur_internet_tcm326-226199.
pdf>.
6. Le téléchargement illégal, communément appelé « piratage » ou « contrefaçon »
(termes interchangeables), est le fait de reproduire par copie ou par imitation une
œuvre littéraire, artistique ou industrielle et ce, au préjudice de son créateur ou
de son inventeur. Voir Myriam QUÉMÉNER, « Lutter contre la contrefaçon en
ligne : éléments d’actualité », Village de la justice, 14 décembre 2009, <http://www.
village- justice.com/articles/Lutter-contre-contrefacon-ligne,7123.html>.
7. Samuel Auger explique que les sites de partage de fichiers modernes utilisent souvent le principe des torrents, qui scindent un fichier en des centaines de morceaux
sur autant d’ordinateurs-utilisateurs. Le site agit alors comme coordonnateur du
trafic et il facilite surtout la distribution, sans héberger le contenu. Voir Auger,
op. cit., p. 20.
8. Lire l’excellent essai de Denis OLIVENNES, La gratuité, c’est le vol : Quand le
piratage tue la culture, (Grasset, Paris, 2007), p. 132.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
49
Aussi a-t-on essayé de déterminer si ce phénomène est bénéfique pour la filière culturelle, permettant le développement de
nouveaux modèles d’affaires émergents de l’Internet, d’innovations
technologiques pour les producteurs d’œuvres protégées (musique,
cinéma, édition de livres)9, ainsi qu’en favorisant la découverte de
nouveaux artistes, de nouvelles œuvres ; ou bien si ce phénomène
conduit tout droit le secteur à sa ruine, chaque piratage étant constitutif d’une perte10.
Le développement croissant du piratage a notamment conduit
les pouvoirs publics et la communauté internationale à renforcer de
façon significative les mesures répressives, aussi bien sur le plan civil
que pénal. Et pour reprendre l’heureuse expression d’Emily Tonglet
sur l’origine de cette lutte contre le piratage11, ce phénomène révèle
une certaine incapacité des pouvoirs publics, tous États confondus,
à concilier la diffusion illimitée de la culture sur Internet avec la
protection effective des droits d’auteur.
Force est de constater que cette protection juridique des droits
de propriété intellectuelle revêt une signification particulière pour le
commerce international et qu’elle se situe aujourd’hui au cœur des
préoccupations des gouvernements nationaux et des organisations
internationales ou régionales.
En effet, la protection internationale des droits d’auteur a vu
le jour au milieu du 19e siècle avec la signature des premiers traités
bilatéraux et, par la suite, l’adoption de traités internationaux. Ces
textes couplés avec leurs déclinaisons juridiques nationales, offrent
dans une certaine mesure un cadre mondial homogène pour la protection de la propriété intellectuelle (la Convention de Berne – 1886 ;
la Convention universelle sur le droit d’auteur – 1952 ; la Convention
de Rome (Droits voisins) – 1961 ; l’Accord de l’OMC sur les aspects
des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
(ADPIC) – 1994 ; les Traités Internet de l’OMPI sur le droit d’auteur
et sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes – 1996).
9.
Lisa CAMERON et Coleman BAZELON, The Impact of Digitization on Business
Models in Copyright-Driven Industries: A Review of the Economic Issues (Cambridge, The Brattle Group, 26 février 2013), p. 52, <http://brattle.com/system/news/
pdfs/000/000/216/original/The_Impact_of_Digitization_on_Business_Models_in_
Copyright-Driven_Industries_Cameron_Bazelon_Feb_26_2013.pdf?1377791292>.
10. Voir Julien LAUSSON, « Les pirates sont aussi de bons clients de l’offre légale »,
Numerama, 16 octobre 2012, <http://www.numerama.com/magazine/24035-lespirates-sont-aussi-de-bons-clients-de-l-offre-legale.html>.
11. Emily TONGLET, La lutte européenne contre le piratage sur Internet : défi du
XXIème siècle (Nanterre La Défense, Université Paris Ouest, 19 avril 2012), <http://
m2bde.u-paris10.fr/node/2368>.
50
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Tous les traités bilatéraux ont inclus la propriété intellectuelle dans la
définition de l’investissement12 amenant les États, livrés à eux-mêmes,
à une concurrence économique, législative et fiscale, à prioriser la
protection de la propriété intellectuelle afin d’assurer un minimum
de garanties aux investisseurs locaux et étrangers13.
Cette tendance témoigne de l’enjeu économique majeur qu’a le
piratage pour de nombreux gouvernements dans le monde. L’adoption
de projets politiques qui visent à apporter des solutions juridiques aux
téléchargements illégaux d’œuvres et de contenus protégés par le droit
d’auteur démontre cela. Ces solutions se sont traduites de manière
vigoureuse et parfois drastique par l’adoption de mesures très souvent
législatives dont la finalité est la lutte contre le téléchargement illégal
ou, à tout le moins, le renforcement de la lutte contre le piratage et
la contrefaçon. L’effectivité de ces projets politiques conjugués à des
mesures législatives a été renforcée par la mise en place d’un arsenal
de mécanismes de protection et de sanctions propres à chacun des
pays. Cet arsenal se définit par des effets de riposte et de filtrage de
la connexion Internet pour prévenir l’échange d’œuvres protégées par
des droits d’auteur, sans l’autorisation préalable des titulaires desdits
droits ou de leurs ayants droit, d’une part, et sans les opportunités
de monétisation exploitées pour les compenser, d’autre part. Dans
la plupart des cas, ces mesures ont visé des catégories de personnes
distinctes, soit l’internaute, soit les intermédiaires de l’Internet (fournisseurs de services Internet, moteurs de recherche, etc.).
L’adoption de ces mesures volontaristes, tant dans leurs formes
(manque de transparence) que dans leurs méthodes (risques d’atteinte à certains droits et libertés fondamentaux), a suscité de vives
critiques, de réelles inquiétudes et de nombreuses controverses quant
à leur efficacité et leur caractère contraignant et répressif, dans les
milieux culturels, politiques et parmi les acteurs de la chaîne de valeur
numérique14. Les mesures législatives et réglementaires adoptées ont
également fait ressortir des préoccupations tenant à leur légitimité
du fait de la complexité de l’enjeu et de ses réelles répercussions politiques, économiques et sociales. De manière incidente, elles ont « fait
apparaître un nouveau clivage entre les entreprises d’informatique
12. Voir Bilateral investment treaty, dans Wikipedia, <http://en.wikipedia.org/wiki/
Bilateral_investment_treaty>.
13. Voir Emmanuel GILLET, « Légiférer en matière de propriété intellectuelle :
un exercice impossible ? », Site d’information des noms de domaine, 30 août
2011, <http://web.archive.org/web/20130207230811/http://www.domainesinfo.fr/
chronique/367/emmanuel-gillet-legiferer-en-matiere-de-propriete-intellectuelleun-exercice-impossible.php>.
14. « Accords bilatéraux et diversité culturelle », (1er juin 2009) 4:5 Bulletin d’information 1.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
51
adaptées aux défis du monde numérique et les grandes industries
culturelles dont les profits et les activités sont fort affectés par la
mutation numérique »15.
Depuis la condamnation de Napster pour piratage en février
200116, plusieurs décisions judiciaires largement médiatisées ont été
rendues sur des cas de téléchargements illégaux de musique ou de
films sur Internet au moyen des réseaux P2P. Parmi celles-ci, on peut
mentionner les suivantes : Kazaa (2002)17 ; Audiogalaxy (2002)18 ;
Grokster et Morpheus (2003)19 ; Verizon (2003)20 ; eDonkey (2006)21 ;
Bearshare ; eMule ; Razorback ; The Pirate Bay (2009)22 ; LimeWire
(2010)23 ; les sagas judiciaires des affaires RIAA c. Jammie ThomasRasset24, RIAA c. Whitney Harper et RIAA c. Joel Tenenbaum25. Plus
15. « Accords commerciaux et diversité culturelle », (janvier 2013) 8 Chronique des
industries culturelles, Édition spéciale p. 19.
16. A&M Records Inc. v. Napster Inc., 239 F.3d 1004 (9e circuit, 2001) ; voir également
Raman Mittal, « P2P Networks: Online Piracy of Music, Films and Computer
Software », (2004) 9 Journal of Intellectual Property Rights 440-461, <http://
www.niscair.res.in/sciencecommunication/researchjournals/rejour/jipr/Fulltext
search/2004/September%202004/JIPR-vol%209-September%202004-pp%20440461.htm>.
17. Buma / Stemra v. Kazaa, Cour d’appel d’Amsterdam, 28 mars 2002 [En traduction
anglaise, <http://w2.eff.org/IP/P2P/BUMA_v_Kazaa/20020328_kazaa_appeal_
judgment.html>].
18. Owen GIBSON, « Audiogalaxy Settles Copyright Cases », The Guardian, 20 juin
2002 ; également « RIAA, NMPA Reach Settlement With Audiogalaxy.com », RIAA,
17 juin 2002, <http://web.archive.org/web/20060323021753/http://www.riaa.com/
news/newsletter/061702.asp>.
19. Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. v. Grokster/Sharman Network Ltd’s, 380 F. 3d
1154 (9e circuit, 2003), vacated and remanded 545 U.S. 913 (2005).
20. Recording Industry Ass’n of America v. Verizon Internet Servs. Inc., 351 F.3d 1229
(C.A. Distict de Columbia, 2003).
21. VINCENT, « eDonkey : Accord de 30 millions de $ et menaces », Clubic Pro, 13
septembre 2006, <http://www.clubic.com/actualite-38451-edonkey-accord-30menaces.html>.
22. L’affaire « The Pirate Bay », 29 avril 2009, <http://www.village-justice.com/articles/
affaire-Pirate,5414.html>.
23. « LimeWire Found Liable for Inducing Copyright Infringement », The Globe &
Mail, 12 mai 2010, <http://web.archive.org/web/20100722142842/http://www.the
globeandmail.com/news/technology/limewire-found-liable-for-inducing-copyrightinfringement/article1566967> ; VINCENT, « Musique et P2P : Lime Wire attaque
les majors », Clubic Pro, 17 mars 2006, <http://www.clubic.com/actualite-38888musique-p2p-lime-wire-attaque-majors.html> ; également « LimeWire obtient
une limitation des sommes à verser aux labels », Reuters France, 11 septembre
2011, <http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRLDE7292R520110311>.
24. Julien LAUSSON, « Jammie Thomas refuse le compromis à 25 000 dollars de la
RIAA », Numerama, 29 janvier 2010, <http://www.numerama.com/magazine/14954jammie-thomas-refuse-le-compromis-a-25-000-dollars-de-la-riaa.html>.
25. Guillaume CHAMPEAU, « 675 000 dollars d’amende pour 30 chansons piratées :
sanction confirmée », Numerama, 21 mai 2012, <http://www.numerama.com/
magazine/22667-675-000-dollars-d-amende-pour-30-chansons-piratees-sanction-
52
Les Cahiers de propriété intellectuelle
récemment, Gary Fung, le fondateur de IsoHunt, un site de liens
BitTorrent condamné aux États-Unis pour incitation au piratage26,
a officiellement fermé ses portes, contraint de régler 110 millions de
dollars de dommages et intérêts à la MPAA et contraint de s’engager
à ne plus porter atteinte au droit d’auteur (Motion Picture Association
of America) conformément aux termes d’un arrangement hors cour27.
Les leçons tirées de ces différentes décisions judiciaires sont
les suivantes : 1) le téléchargement des contenus protégés par le droit
d’auteur sur les réseaux P2P peut parfois bénéficier de l’exception
pour copie privée ; 2) c’est la mise à disposition de fichiers sur Internet
qui devrait être sanctionnée, plutôt que le téléchargement en luimême ; 3) une structure éditant un logiciel de P2P peut être reconnue comme étant responsable de la mise à disposition d’un moyen
permettant de contrevenir aux règles de la propriété intellectuelle.
Mais, tout compte fait, ces constatations ne remplacent toutefois pas
l’adoption et la mise en place de dispositions législatives.
B.
Une cartographie des mesures contre le
téléchargement illégal à travers le monde
La problématique légale de l’offre culturelle sur Internet
est centrée sur la question de l’accessibilité aux biens numérisés,
accessibilité rendue possible par des systèmes de partage de fichiers
entre particuliers au travers desquels s’effectuent les atteintes aux
droits d’auteur dans un marché dominé par la diversité des intérêts
économiques de leurs créateurs. Ce marché qui définit un nouvel
écosystème met aux prises, d’un côté, de puissants lobbies industriels
qui font pression sur des gouvernements pour qu’ils défendent au
mieux leurs intérêts dans ce marché et, de l’autre, des artistes qui
se mobilisent pour faire porter leurs revendications auprès desdits
gouvernements. Prises entre ces feux-croisés, des autorités publiques,
dans leur recherche d’un mécanisme de régulation pour établir un
équilibre entre ces intérêts multiples et divergents, ont tenté de
mettre en place des mesures pour lutter contre les atteintes aux
droits d’auteur sur Internet. Mais ces mesures se sont soldées, jusqu’à
confirmee.html> ; également « Myth and Facts: The Latest Update in Joel’s
Case », Joel fights back, 3 septembre 2012, <http://joelfightsback.com/#/2012/09/
myth-and-facts-the-latest-update-in-joels-case>.
26. Voir Julien LAUSSON, « IsoHunt doit supprimer tous les liens torrents illicites »,
Numerama, 31 mars 2010, <http://www.numerama.com/magazine/15400-isohuntdoit-supprimer-tous-les-liens-torrents-illicites.html>.
27. CBCNews, « IsoHunt Shut Down, Canadian Torrent Firm Fined $110M US »,
18 octobre 2013, <http://www.cbc.ca/news/technology/isohunt-shut-down-cana
dian-torrent-firm-fined-110m-us-1.2126064>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
53
présent, par la mise en place de mécanismes répressifs de sanctions
différents et controversés.
Ainsi, plusieurs pays ont tenté de mettre en œuvre une loi pour
lutter contre le téléchargement illégal. La panoplie des mesures de
lutte mises en place fournissent la base d’une typologie des dispositifs
législatifs sanctionnant les violations des droits d’auteurs sur Internet
allant de la riposte graduée au filtrage d’Internet. Sur la base des
informations colligées à plusieurs sources, plus d’une trentaine de
pays28 ayant essayé chacun de légiférer contre le téléchargement
illégal ont été recensés. Les mesures prises en la matière ont été
particulièrement florissantes durant les années 2009 à 2012, d’où
l’intérêt de faire une classification des mesures anti-piratage en
fonction de modalités opérationnelles qui, en l’espèce, sont la riposte
graduée et le filtrage29.
28. Cette liste comprend 30 pays : Suède ; États-Unis ; Royaume-Uni ; Taïwan ; Nouvelle-Zélande ; Irlande ; Japon ; Canada ; Norvège ; Corée du Sud ; France ; Italie ;
Allemagne ; Belgique ; Espagne ; Turquie ; Danemark ; Australie ; Pologne ; Suisse ;
Maroc ; République tchèque ; Chili ; Finlande ; Pays-Bas ; Brésil ; Argentine ; Les
Émirats arabes ; Indonésie ; Hongrie.
29. Tour d’horizon des évolutions récentes, France, DGTE-Publications des Services
économiques, (décembre 2009) 19 Revue Propriété intellectuelle et lutte anti-contrefaçon, Direction générale du Trésor, France, p. 10 ; Camille GÉVAUDAN, « Avant la
France, le Royaume-Uni essaie la riposte graduée », Écrans, 26 juillet 2008, <http://
www.ecrans.fr/Les-FAI-anglais-envoient-leurs,4721.html> ; Astrid GIRARDEAU,
« Les FAI danois refusent la riposte graduée », Écrans, 19 septembre 2008, <http://
www.ecrans.fr/Les-FAI-danois-refusent-la-riposte,5169.html> ; Astrid GIRARDEAU, « L’Allemagne rejette la riposte graduée », Écrans, 4 février 2009, <http://
www.ecrans.fr/L-Allemagne-rejette-la-riposte,6343.html> ; Astrid GIRARDEAU,
« La riposte graduée ne passe pas en Nouvelle-Zélande », Écrans, 23 février
2009, <http://www.ecrans.fr/La-riposte-graduee-ne-passe-pas-en,6286.html> ;
Astrid GIRARDEAU, « La riposte graduée ne passera pas la Manche », Écrans,
23 février 2009, <http://www.ecrans.fr/La-riposte-graduee-ne-passe-pas-en,6286.
html> ; Guillaume CHAMPEAU, « Riposte graduée : l’étrange tour du monde de
Christine Albanel », Numerama, 18 mars 2009, <http://www.numerama.com/
magazine/12353-riposte-graduee-l-etrange-tour-du-monde-de-christine-albanel.
html> ; Samuel LAURENT, « Piratage : à l’étranger, la riposte graduée est contestée », Le Figaro.fr, 1er avril 2009, <http://www.lefigaro.fr/medias/2009/03/31/0400220090331ARTFIG00410-piratage-a-l-etranger-la-riposte-graduee-est-contestee-.
php> ; Zineb DRYEF, « Hadopi : Tour du monde des mesures antipiratage », Rue
89, 5 mai 2009, <http://eco.rue89.com/2009/05/05/hadopi-tour-du-monde-desmesures-antipiratage> ; Marc REES, « Hadopi : La riposte graduée française,
une riposte isolée », PC INpact., 29 décembre 2009, <http://www.pcinpact.com/
news/54738-riposte-graduee-france-droit-compare.htm> ; Virginie MALBOS, « Le
filtrage d’Internet, une mesure contestée en Europe », Le figaro.fr, 21 juin 2011,
<http://www.lefigaro.fr/hightech/2011/06/21/01007-20110621ARTFIG00798-lefiltrage-d-internet-une-mesure-contestee-en-europe.php> ; Sophie Baconnet et
Antoine MAIRÉ, « Un tour de vis très Net (1) : la riposte graduée », Telerama.fr.,
1er mars 2010, <http://www.telerama.fr/techno/le-tour-de-vis-du-net-1-la-ripostegraduee,53110.php> ; Sophie BACONNET et Antoine MAIRÉ, « Un tour de vis très
Net (2) : le filtrage du Web », Tellerama.fr4, mars 2010, <http://www.telerama.fr/
54
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Parmi les pays qui ont envisagé la riposte graduée, il y a :
1) ceux qui ont effectivement dit oui à la riposte graduée et
l’ont appliquée (Irlande ; Italie ; Suède ; Corée du Sud ;
Taïwan ; France) ;
2) ceux qui ont dit oui, à certaines conditions, mais qui ont
fait machine arrière (Royaume-Uni ; Espagne ; Irlande ;
Nouvelle-Zélande ; États-Unis) ;
3) ceux qui ont dit non à la riposte graduée (Norvège ; Allemagne ; Danemark ; Australie ; Canada) ;
4) ceux qui l’envisagent, mais qui restent en suspens (Turquie ; Belgique) ;
5) ceux qui ne se prononcent pas pour le moment (Pologne ;
Suisse).
Quant aux pays tentés par les mesures de filtrage, il y a diverses situations :
1) là où le filtrage est obligatoire (Italie ; Corée du Sud ; Espagne ; Belgique ; France ; Australie) ;
2) là où le filtrage est volontaire (Canada ; République tchèque ; Chili ; Norvège ; Finlande ; Danemark) ;
3) là où le filtrage est prévu (Nouvelle-Zélande) ;
4) là où le filtrage est en attente (États-Unis ; Pays-Bas ; Allemagne) ;
5) les États qui y réfléchissent (Royaume-Uni) ;
6) les États qui en sont revenus (Allemagne ; Pays-Bas).
C’est à travers ces deux approches que se dessine la lutte contre
le téléchargement non autorisé d’œuvres protégées par la propriété
intellectuelle sur Internet et qui oppose, dans un rapport antagonique,
les disciples d’un Internet libre et du « tout gratuit »30 aux partisans
techno/un-tour-de-vis-tres-net-2-le-filtrage-du-web,53294.php> ; Forum d’Avignon,
DÉBAT 2011 – Propriété intellectuelle – La rispote graduée en GB, USA et Nouvelle
Zélande, 8 septembre 2011, <http://www.forum-avignon.org/fr/debat-2011-pro
priete-intellectuelle-la-rispote-graduee-en-grande-bretagne-aux-etats-unis-eten-nouve>.
30. Voir Boris MANENTI, « L’économie du libre sur Internet », Le Nouvel Observateur,
7 août 2009, <http://tempsreel.nouvelobs.com/vu-sur-le-web/20090721.OBS4974/leconomie-du-libre-sur-internet.html.> &xtcr=30 ; voir également Damien BANCAL, Téléchargement gratuit et légal de musique, c’est possible, 16 janvier 2011,
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
55
d’un Internet régulé que vient fleurir une littérature aux relents
épiques et belliqueux comme l’attestent ces titres :
• Le téléchargement illégal ne craint pas la loi31 ;
• Une loi contre la culture et contre Internet32 ;
• Les artistes contre la criminalisation des pirates33 ;
• Le fléau des législations anti-piratage34 ;
• Pas si simple de stopper les pirates35 ;
• Le piratage est un vol net et total36 ;
• Le piratage devenu un modèle d’affaires pour YouTube et les
studios de cinéma37 ;
• La lutte anti-piratage elle-même piratée entre avocats38 ;
31.
32.
33.
34.
35.
36.
37.
38.
<http://web.archive.org/web/20120522050052/http://www.zataz.com/news/20958/
borne--telechargement--musique--libre--gratuit--legal.html>.
Dominique RODENBACH, « Le téléchargement illégal ne craint pas la loi », Reflets,
12 décembre 2009, <http://reflets-mag.blogspot.com/2009/12/le-telechargementillegal-ne-craint-pas.html>.
André ROUILLÉ, « Culture et Internet : une loi contre la culture et contre Internet », 270 Paris Art, 19 mars 2009, <http://www.paris-art.com/art/a_editos/d_edito/
numPage/2/-Culture-et-Internet-une-loi-contre-la-culture-et-contre-internet-273.
html>.
Fabrice EPELBOIN, Positions de la Feature Artist Coalition : Les artistes anglais
contre la criminalisation des pirates, 23 mars 2009, <http://fr.readwriteweb.
com/2009/03/23/a-la-une/les-artistes-anglais-contre-la-criminalisation-des-pira
tes/>.
« Le co-créateur du Web s’inquiète du “fléau” des lois anti-piratage », Le Monde,
29 septembre 2010, <http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/09/29/
le-co-createur-du-web-s-inquiete-du-fleau-des-lois-anti-piratage_1417479_651865.
html> ; voir également Matt WARMAN, Internet disconnection “like being imprisoned”, says Sir Tim Berners-Lee, The Telegraph, September 28, 2010, <http://www.
telegraph.co.uk/technology/internet/8030467/Internet-disconnection-like-beingimprisoned-says-Sir-Tim-Berners-Lee.html>.
Voir Valérie LESAGE, Pas si simple de stopper les pirates de l’industrie du disque,
Le Soleil, 16 avril 2009.
Thom HOLWERDA, « Obama Administration: Piracy Is Theft », OS News, 31 août
2010, <http://www.osnews.com/story/23750/Obama_Administration_Piracy_Is_
Theft>.
Marie-Noëlle REYNTJENS, « Le piratage devenu un modèle d’affaires pour
YouTube et les studios de cinéma », Branchez-Vous, 3 septembre 2010, <http://
web.archive.org/web/20100906183017/http://benefice-net.branchez-vous.com/
actubn/2010/09/youtube-google-studio-cinema-revenu-publicite.html>.
Julien LAUSSON, « La lutte anti-piratage elle-même piratée entre avocats »,
Numerama, 1er octobre 2010, <http://www.numerama.com/magazine/16956-lalutte-anti-piratage-elle-meme-piratee-entre-avocats.html>.
56
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• La riposte graduée déjà has been39 ;
• Blocage de sites Internet : un arsenal juridique complexe40 ;
• Vers la fin du téléchargement illégal ?41 ;
• Quel futur pour la propriété intellectuelle sur Internet ?42 ;
• Légiférer en matière de propriété intellectuelle : un exercice
impossible ?43
À travers cette lutte qui amène à juste titre son lot d’interrogations inquiètes, de réflexions douloureuses, de discussions âpres,
d’affirmations passionnées de tous ceux qui s’y livrent, au plan individuel, corporatif ou institutionnel, nous avons oublié simplement, ou
n’avons pas suffisamment pris garde au fait que depuis longtemps
cette dispute risquait fort de ne recouvrir qu’un faux débat. Car, il
convient de le dire, c’est la question de la légitimité du droit d’auteur
et de son équilibre qui se soulève plus que jamais dans un environnement en demi-teinte où ce droit est soit appréhendé en terme de droit
d’accès aux œuvres régulé par des sociétés privées, autrement dit un
« droit de lire », soit compris comme un droit à la diffusion des œuvres,
c’est-à-dire un « droit de partager ». C’est finalement, il faut bien en
convenir, le problème du rapport au droit d’auteur et à la diffusion
des œuvres qui se pose dans ces termes, modelé dans un écosystème
que se partagent, d’un côté, les « natifs du numérique » (Digital Natives), qui perçoivent différemment l’accès aux œuvres disponibles sur
Internet et la manière dont elles doivent être diffusées et qui, pour
cela, utilisent quotidiennement YouTube, Deezer, Pandora, Spotify et
autres réseaux, et, de l’autre côté, les plus âgés des « Digital Natives »
39. Astrid GIRARDEAU, « La riposte graduée, déjà has-been ? », Écrans, 3 mars 2009,
<http://www.ecrans.fr/La-riposte-graduee-deja-has-been,6507.html>.
40. Nicolas RAULINE, « Blocage de sites Internet : un arsenal juridique complexe », Les
Échos, 28 juin 2011, <http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0201468746996blocage-de-sites-internet-un-arsenal-juridique-complexe-186571.php>.
41. Ludovic BERNARD, « Vers la fin du téléchargement illégal ? », Le Huffington Post,
5 février 2013, <http://www.huffingtonpost.fr/ludovic-bernard/telechargementmega_b_2615577.html>.
42. « Quel futur pour la propriété intellectuelle sur Internet ? 2 tables rondes organisées par l’Initiative for a Competitive Online Market Place – ICOMP », ITR
News, 31 août 2010, <http://www.itrnews.com/articles/108900/futur-proprieteintellectuelle-internet.html>.
43. Emmanuel GILLET, « Légiférer en matière de propriété intellectuelle : un
exercice impossible ? », DomainesInfo, 30 août 2011, <http://web.archive.org/
web/20130207230811/http://www.domainesinfo.fr/chronique/367/emmanuel-gilletlegiferer-en-matiere-de-propriete-intellectuelle-un-exercice-impossible.php>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
57
qui ont utilisé massivement les réseaux P2P pour reproduire, exploiter
et consommer les biens culturels dématérialisés44.
Ce sont ces phénomènes qui permettent d’alimenter l’analyse
des dispositifs juridiques déployés dans la lutte contre le téléchargement illégal et que le présent article tente de mettre en exergue. Pour
une compréhension totale de ces phénomènes, il serait intéressant de
mettre en lumière les expériences qui ont été conduites à ce titre dans
chaque pays précédemment identifié. Ceci suppose un large éventail
de cas qui ne sauraient être restitués dans le cadre d’un article de
revue. C’est pour ces considérations de volume que nous nous restreindrons donc afin de ne retenir finalement, et bien arbitrairement, les
expériences qui nous paraissent les plus significatives et qui reflètent
bien l’éventail des mesures législatives mises en œuvre pour juguler
le phénomène du téléchargement illégal des contenus protégés par
les droits de propriété intellectuelle sur Internet.
Pour ce faire, après analyse de tous les cas, nous avons retenu
dans une perspective monographique et non comparée les cas suivants : France, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique, Espagne, Australie et Nouvelle-Zélande. Le cheminement des réflexions juridiques
opérées dans ces pays a conduit à la mise en place de mesures
coercitives qui dessinent les contours de deux approches distinctes
fondées sur l’identification du problème soulevé par le téléchargement
non autorisé des contenus protégés sur Internet, l’une dans laquelle
seul l’internaute est visé et qui porte sur un dispositif de riposte
graduée et sur une politique éducative et, l’autre, qui vise plutôt à
sanctionner celui qui incite l’internaute à adopter un comportement
délictuel, tels les intermédiaires techniques de l’Internet. Les mesures
répressives implantées portent ici sur le blocage des sites Internet.
Dans la première approche, on peut distinguer les pays qui ont décidé
d’emprunter cette voie (France, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande) et
ceux qui sont en train de la prendre en considération en vue de l’intégrer éventuellement dans leur système juridique interne (Belgique,
Allemagne). Dans la deuxième approche, le mécanisme de blocage
de sites Internet est bien implanté en Espagne et dans une certaine
mesure en Australie, tandis qu’il est en projet aux États-Unis, en
Irlande, en Italie et en Norvège.
44. Voir HADOPI, Perceptions et pratiques de consommation des « Digital Natives » en
matière de biens culturels dématérialisés – Étude qualitative, janvier 2013, p. 103,
<http://www.hadopi.fr/sites/default/files/page/pdf/rapport-d-etude-digital-nativesjanvier-2013.pdf>.
58
1.
Les Cahiers de propriété intellectuelle
FRANCE
Dans sa version contemporaine, la filière culturelle en France
est fortement touchée par le développement du piratage. Il en va également ainsi pour d’autres secteurs, tels que les éditeurs de logiciels
ou de jeux vidéo, de même que les opérateurs Internet qui sont d’une
manière ou d’une autre victimes du piratage. Il est donc nécessaire
de trouver des solutions à ce phénomène qui est aujourd’hui imbriqué
tant dans la vie sociale que dans la vie économique.
À cet égard, il y a, d’un côté, ceux qui veulent, avec le ministère
de la Culture et de la Communication, surveiller étroitement le réseau
et punir les contrevenants en envisageant d’aller graduellement
jusqu’à la solution radicale de couper la connexion Internet. De l’autre
côté, il y a ceux qui considèrent que le téléchargement libre fait partie
de la culture qu’Internet a répandue avec la vitesse et la force d’une
évidence contre laquelle lutter serait inefficace, contre-productif et
à contre-courant de notre époque. Par conséquent, il est important
de réfléchir à de nouvelles solutions et, notamment, à de nouveaux
modèles économiques face à l’évolution inéluctable des usages et des
modes de distribution plutôt que de mettre en place des mesures dont
on sait déjà qu’elles seront peu efficaces45.
Manifestement, les positions ne se réduisent pas à ce strict
affrontement. On doit également tenir compte de ceux qui craignent
que ne soit escamoté le débat de fond (1) sur la possibilité, le périmètre et la forme d’un espace de partage et d’échange à inventer
pour la culture qui ne soit pas plus anachronique que le modèle du
« tout-profit » sur lequel est fondée la culture, et qui a été un moment
malmené par la crise internationale, où peu de personnes faisaient des
bénéfices tandis que dans l’économie numérique certains en faisaient
énormément ; (2) sur les risques qu’une surveillance tatillonne d’Internet, prévue par la loi, fait peser sur les libertés ; (3) sur les droits
d’auteur conçus à l’époque du papier, mais largement inadaptés à l’ère
des réseaux et des technologies numériques ; (4) sur l’économie et le
financement de la culture ; ou encore (5) sur la capacité des industries
culturelles à s’adapter aux enjeux d’aujourd’hui. Pour ces derniers,
se soulève évidemment la question de savoir si l’État est dans son
45. Voir Astrid GIRARDEAU, « Coupure de l’accès Internet : l’ACSEL demande au
Parlement, un moratoire sur riposte graduée », Écrans, 10 mars 2009, <http://
www.ecrans.fr/Coupure-de-l-acces-Internet-l,6597.html> ; lire également Anne
Confolant, « L’association de l’économie numérique souhaite ainsi réfléchir à un
mécanisme plus adapté et plus efficace pour lutter contre le piratage », IT espresso,
12 mars 2009, <http://www.itespresso.fr/riposte-graduee-lacsel-demande-unmoratoire-24580.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
59
rôle quand, sous prétexte de protéger la création et les artistes – pour
l’occasion « nécessairement petits » – il vole au secours des « majors »
de la musique en les aidant à colmater les brèches creusées par leur
sous-estimation des bouleversements technologiques des dernières
années. Pour eux aussi, la question est de savoir comment concilier
l’émergence d’une nouvelle économie de la culture qui profite vraiment
aux créateurs, tout en garantissant aux internautes la possibilité de
télécharger ou d’écouter librement de la musique sur Internet46.
Ces préoccupations, on le voit, étaient au centre des débats
en France lors du projet de loi « Création et Internet » qui prévoyait
l’instauration du principe de la riposte graduée. Il créait une autorité
administrative – la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et
la protection des droits sur Internet, dite HADOPI – qui, sur saisine
des créateurs dont les œuvres avaient été piratées, était habilitée à
suspendre l’accès Internet des individus identifiés par leur adresse IP.
Le projet de loi prévoyait que cette suspension n’intervenait qu’après
que le fournisseur de services Internet (FSI) ait adressé un courriel
d’avertissement, puis une lettre recommandée à son abonné.
Ce projet était instauré dans une optique préventive et pédagogique, l’ambition étant de faire réfléchir et d’amener l’internaute
à changer de comportement face au piratage. Il créait en outre une
solution alternative aux condamnations pénales inadaptées.
Ce texte, à la finalité louable, faisait cependant l’objet de vives
polémiques. Ses opposants jugeaient notamment la mesure de suspension de l’accès à Internet « disproportionnée » et ils ajoutaient qu’une
telle sanction, instaurée par une autorité administrative (HADOPI),
causait problème en matière de procès équitable. Ils arguaient que
ce texte était en contradiction avec de nombreux prescrits légaux :
• Il empêchait l’accès à Internet, un service pourtant universel
(Directive « service universel »)47, voire même une liberté
46. Voir Sénat français, Rapport d’information no 478 (2011-2012) fait au nom de la
commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur la conciliation
entre liberté de l’Internet et rémunération des créateurs, Marie-Christine BLANDIN, sénatrice, 20 mars 2012, p. 60, <http://www.senat.fr/rap/r11-478/r11-4781.
pdf>.
47. Directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002
concernant le Service universel et les Droits des utilisateurs au regard des réseaux
et services de communications électroniques (directive « service universel »),
<http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32002L0022:FR:
HTML>.
60
Les Cahiers de propriété intellectuelle
fondamentale (Parlement européen – résolution du 10 avril
2008)48.
• Il en venait à imposer in fine une nouvelle obligation générale
et active de surveillance du réseau aux FSI en violant leur
nécessaire neutralité (Directive commerce électronique)49.
Enfin, ces opposants critiquaient la philosophie même de ce
projet en ce qu’il s’en prenait non pas au pirate mais à l’abonné qui
n’aura pas su empêcher que l’adresse IP attachée à sa ligne figure
sur les réseaux P2P.
Ces critiques, bien qu’il convienne de les aborder prudemment
et avec une certaine relativité, permettent toutefois de comprendre
pourquoi le parcours législatif de ce projet de loi a été si houleux.
1.1
La genèse du projet de loi HADOPI
En 2003, la France s’est engagée dans un processus de révision
de son Code de la propriété intellectuelle. Cela en partie pour donner
suite à la directive européenne 2001/29/CE50 qui impose aux États
membres d’intégrer dans leur législation nationale des mesures
d’harmonisation relatives à certains aspects du droit d’auteur et des
droits voisins dans la société de l’information, des mesures techniques
de protection et d’information, ainsi que de répondre à des problématiques plus récentes, telles que celles ayant trait à la prévention
du téléchargement illicite ou la promotion de l’interopérabilité. Cette
directive transposait dans le droit communautaire les deux traités
Internet de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
48. Voir Guillaume CHAMPEAU, « L’Europe fait exploser la riposte graduée de
Denis Olivennes! », Numerama, 10 avril 2008, <http://www.numerama.com/
magazine/9264-l-europe-fait-exploser-la-riposte-graduee-de-denis-olivennes.
html>.
49. Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000
relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et
notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« Directive sur
le commerce électronique »), <http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.
do?uri=CELEX:32000L0031:Fr :HTML>.
50. Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur
l’Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la
société de l’information, <http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=
OJ:L:2001:167:0010:0019:FR:PDF> ; Voir également la Directive 2004/48/CE
du 29 avril 2004 relative au Respect des droits de propriété intellectuelle, <http://
eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:157:0045:0086:FR:
PDF>, transposée en droit français par la Loi no 2007-1544 du 29 octobre 2007
de lutte contre la contrefaçon, <http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cid
Texte=JORFTEXT000000279082>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
61
(OMPI)51 adoptés par l’Union européenne et que la France n’a ratifié
qu’un peu plus tard. Ces traités prévoient un certain nombre de
mesures pour encadrer le développement d’Internet et pour préserver
la diversité culturelle, l’avenir des créateurs et l’accès des consommateurs à la musique et au cinéma. La France a déjà été condamnée par
la Cour de justice européenne (décision du 2 avril 2005) à verser de
fortes amendes à cause de son retard à se conformer à cette directive.
Dans cette optique, la loi française relative au droit d’auteur et
aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI,
après de multiples reports, a été présentée au Conseil des ministres
le 12 novembre 2003.
Entre temps, dans le cadre des travaux du Comité de lutte
contre la piraterie sur Internet, une charte fut signée le 28 juillet
2004 après des négociations houleuses entre les ayants droit, les
FSI et les membres du gouvernement. L’accord repose sur « trois
volets indissociables et indispensables : la promotion de l’offre légale
[de musique en ligne, NDLR], la pédagogie et la répression »52. Sur
le premier point, les producteurs et les plateformes de distribution
en ligne se sont engagés à ouvrir leur catalogue en faisant passer
l’offre de musique en ligne de 300 000 à 600 000 titres d’ici à la fin de
l’année 2004, à l’instar de Apple qui, avec son iTunes Music Store, se
targuait de proposer un assortiment aussi important. Mais la réalité
de l’étendue de cette offre est quasi-unanimement contestée par les
acteurs du marché, et ce, d’autant plus que le ministre de la Culture
de l’époque (Renaud Donnedieu de Vabres) veut « faire d’Internet
le plus grand magasin de musique du monde ». Pour ce faire, des
négociations se sont ouvertes entre producteurs, FSI et plateformes
de téléchargement autour des efforts publicitaires, promotionnels et
tarifaires sur la musique en ligne. Sur le volet pédagogique et éducatif
des consommateurs, le ministre de la Culture promettait d’aller dans
les écoles pour évoquer les conséquences dramatiques du piratage de
musique en ligne. Mais c’est surtout des FSI que viendront les principales actions de sensibilisation. Ces derniers se sont alors engagés à
organiser une campagne de communication auprès de leurs abonnés,
à avertir leurs nouveaux clients « des dangers et de l’illégalité du
piratage » et à « ne plus initier de campagnes publicitaires vantant le
51. Organisation mondiale de la propriété intellectuelle-OMPI : Traité de l’OMPI sur
le droit d’auteur (TODA) ou WIPO Copyright Treaty (WCT) et Traité de l’OMPI
sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT) ou WIPO Performances and Phonograms Treaty (WPPT).
52. Voir Philippe CROUZILLACQ, « Accord signé contre le piratage et pour la musique
en ligne », 01Net, 28 juillet 2004, <http://www.01net.com/editorial/249235/accordsigne-contre-le-piratage-et-pour-la-musique-en-ligne>.
62
Les Cahiers de propriété intellectuelle
téléchargement illégal »53. Malgré tout, des actions pénales et ciblées
seront engagées et les pouvoirs publics entendaient « faire de la lutte
contre la piraterie sur Internet une priorité de l’action politique,
policière et judiciaire »54.
Au-delà de la charte précitée qui, selon les producteurs de
disques (SNEP, SCPP, SPPF-UPFI), créait les conditions d’une coopération durable entre les professionnels de la musique et les FSI,
quelques points d’achoppement subsistent, à commencer par la
question du filtrage des contenus et l’amélioration de l’interopérabilité
des systèmes de gestion des droits et des formats de compression
des fichiers. Mais, c’est sur les retombées de cette charte, qui vient
baliser le champ des débats sociaux sur le piratage, qu’après des mois
d’un débat parlementaire parfois épique, la loi DADVSI est adoptée
par l’Assemblée nationale et le Sénat le 30 juin 2006, avant d’être
examinée par le Conseil constitutionnel qui en a supprimé certaines
dispositions. Ainsi, le texte publié dans le Journal officiel le 3 août
2006, prévoit des amendes d’un montant de 300 000 euros, ainsi que
trois ans de prison pour toute personne éditant un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres
ou d’objets protégés, et des peines pouvant aller jusqu’à six mois de
prison et 30 000 euros d’amende pour toute personne diffusant ou
facilitant la diffusion d’un logiciel permettant de casser les mesures
techniques de protection (Digital Rights Management-DRM) qui, selon
ses défenseurs visent à empêcher les « copies pirates ». Le projet de
« licence globale », prévu en décembre 2005, n’avait pas été retenu
(mais il reste au programme de plusieurs partis d’opposition), et le
droit à la copie privée était limité par le dispositif des DRM. La loi
est officiellement applicable en France, mais certaines dispositions
devront être précisées par des décrets de mise en œuvre.
À cette loi, ont suivi sur le même sujet le Rapport Olivennes
et le projet de loi HADOPI. En effet, le 5 septembre 2007, la nouvelle
ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel,
succédant à Donnedieu de Vabres, confiait à Denis Olivennes, alors
président-directeur général de la FNAC, une mission destinée à
préparer un accord entre les professionnels de l’audiovisuel, de la
musique et du cinéma et les FSI. Cette mission s’est traduite par la
53. Ibid.
54. Voir Charte d’engagements pour le développement de l’offre légale de musique en
ligne, le respect de la propriété intellectuelle et la lutte contre la piraterie numérique,
28 juillet 2004, <http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/donnedieu/
charte280704.htm> ; voir également : « Ce que cache la Charte FAI/Majors »,
Numerama, 28 juillet 2004, <http://www.numerama.com/magazine/d/1/8057-ceque-cache-la-charte-faimajors.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
63
remise d’un rapport et par la signature des Accords de l’Élysée le 23
novembre 2007 par 47 entreprises et organisations représentatives de
la culture et de l’Internet55. Les conclusions de ce rapport stipulaient
clairement que :
Les ayants droit de l’audiovisuel, du cinéma et de la musique,
ainsi que les chaînes de télévision s’engagent [...] à s’organiser
pour utiliser les dispositifs légaux existants et à collaborer
de bonne foi avec les plates-formes d’hébergement et de partage des contenus pour évaluer, choisir et promouvoir des
technologies de marquage et de reconnaissance des contenus
(fingerprinting ou watermarking) communes aux professions
concernées, ainsi que pour mettre à disposition les sources
permettant l’établissement des catalogues d’empreintes de
référence aussi larges que possible.56
Ces accords traduisent pour la première fois un consensus
entre les créateurs, les industries culturelles et les FSI en vue de créer
un cadre juridique favorable au développement de l’offre légale d’œuvres sur les réseaux numériques. C’est pourquoi son premier volet vise
à « améliorer et diversifier l’offre légale » de films et de musique sur
Internet : d’abord, les professionnels du cinéma s’engagent à mettre
les films à la disposition des internautes plus rapidement dès la mise
en place du dispositif anti-piratage ; puis, dans un second temps, la
durée de l’ensemble des “fenêtres” de la chronologie des médias sera
revue pour se rapprocher des durées moyennes en Europe (environ
quatre mois dans le cas de la vidéo à la demande (VOD) ; ensuite,
les maisons de disque s’engagent à retirer les DRM « bloquant » des
productions musicales françaises57.
L’autre volet des Accords de l’Élysée concerne « la prévention et
la répression de la piraterie numérique ». Il nécessite alors l’adoption
d’une loi pour garantir l’équilibre des droits de chacun : le droit de
propriété et le droit moral des créateurs, d’une part, et la protection
de la vie privée, ainsi que la liberté de communication des internautes, d’autre part. C’est l’objet du projet de loi « Création et Internet
sur la protection des droits sur Internet » (Loi HADOPI), présenté le
18 juin 2008 au Conseil des ministres et voté en première lecture au
55. Le texte des « Accords de l’Élysée », <http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/
conferen/albanel/accordselysee.pdf>.
56. Rapport de Denis Olivennes sur le développement et la protection des œuvres culturelles sur les nouveaux réseaux, <http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/
conferen/albanel/rapportolivennes231107.pdf>.
57. Fiche explicative des Accords de l’Élysée, <http://www.culture.gouv.fr/culture/
actualites/dossiers/Internet-creation08/Accords_Fiche%20explicative.pdf>.
64
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Sénat le 30 octobre 2008. Le texte s’appuie en grande partie sur les
Accords de l’Élysée.
1.2
Le projet de loi HADOPI
1.2.1 HADOPI 1 et le Conseil constitutionnel
Le 12 mai 2009, l’Assemblée nationale adopte le projet de loi
« Création et Internet » (Loi HADOPI) que le Conseil constitutionnel
censure partiellement le 10 juin. C’est donc la partie validée de la Loi
HADOPI, surnommée HADOPI 1, que le gouvernement va publier le
12 juin 200958. Le texte porte notamment sur la création d’une nouvelle Haute autorité pour la diffusion des œuvres et sur la protection
des droits sur Internet (HADOPI), chargée de veiller à la prévention
et, éventuellement, à la sanction du piratage des œuvres. En outre,
il impose de nouvelles obligations aux FSI et il tend à améliorer la
procédure judiciaire pour violation des droits d’auteur. Plusieurs
dispositifs d’encouragement au développement de l’offre légale de
contenus culturels figurent dans le texte, telles que la mise à la disposition plus rapide des films en DVD et en VOD, la création d’un statut
innovant pour les éditeurs de services en ligne, ou encore l’application
d’un régime incitatif pour le droit d’auteur des journalistes.
La loi prévoyait que la HADOPI soit dotée d’un pouvoir d’avertissement des auteurs de téléchargements illégaux, ainsi que, à la
suite de ces avertissements, d’un pouvoir de sanction : couper l’accès à
Internet. Saisi de cette loi, le Conseil constitutionnel a alors jugé cette
dernière disposition inconstitutionnelle (Décision no 2009-580 DC du
12 juin 2009), estimant inapproprié qu’une autorité administrative
soit dotée de ce pouvoir. Selon le Conseil, la coupure d’abonnement à
Internet est considérée comme attentatoire au droit fondamental de
communication et, par le fait même, elle ne peut incomber qu’au juge.
Prenant acte de la décision du Conseil constitutionnel du 12
juin 2009, le gouvernement avait affirmé son intention de « présenter
un texte très court pour articuler la fonction pédagogique de l’HADOPI avec l’intervention du juge, pour donner à celui-ci les moyens
d’agir et pour donner aussi la possibilité de procédures accélérées ».
C’est le but poursuivi par le projet de loi relatif à la protection pénale
de la propriété littéraire et artistique sur Internet59.
58. Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la
création sur Internet (1), <http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=
JORFTEXT000020735432&dateTexte=&categorieLien=id>.
59. Projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur
Internet, <http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0332.asp>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
65
Ce nouveau projet de loi surnommé HADOPI 2, présenté le
24 juin 2009 au Conseil des ministres, « réaffirme la volonté du
Gouvernement de prévenir le pillage des œuvres sur Internet et
prévoit un dispositif judiciaire adapté pour sanctionner les auteurs
de téléchargements illicites ». Ce texte, consacré au volet répressif
de HADOPI 1, poursuit deux orientations principales. D’une part, il
soumet le jugement des délits de contrefaçon commis sur Internet à
des règles de procédure pénale particulières. D’autre part, il institue
deux peines complémentaires, délictuelle et contraventionnelle, de
suspension de l’accès à un service de communication au public en
ligne.
1.2.2 HADOPI 2 et le Conseil constitutionnel
C’est donc ce texte, constitué de cinq articles destinés à compléter HADOPI 1, que le Sénat a adopté le 8 juillet 2009 et que les
députés de l’Assemblée nationale ont voté le 22 septembre 2009,
après que la quasi-totalité des amendements déposés sur l’ensemble
du projet de loi au cours des dernières séances du mois de juillet ait
été rejetée.
Comme pour HADOPI 1, plus de 60 députés socialistes ont
saisi, le 28 septembre 2009, le Conseil constitutionnel à l’encontre
de la Loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et
artistique sur Internet dite Loi Hadopi 260. Dans la saisine, ces députés
estiment que HADOPI 2 « encourt les mêmes critiques » que HADOPI
1. Ils « estiment nécessaire que soit soulevée la question de la constitutionnalité de l’ensemble de la loi ». Selon la saisine, « cette intervention
judiciaire (par la procédure d’ordonnance pénale) ne constitue qu’un
habillage commode pour contourner la décision » du Conseil et elle
ne respecte pas les droits de la défense et la présomption d’innocence.
Le recours formé devant le Conseil portait sur les articles 1,
6, 7, 8 et 11. Le Conseil constitutionnel a examiné le recours et il a
rendu sa décision le 22 octobre 200961. Estimant que la Loi HADOPI
2 était conforme aux principes constitutionnels, le Conseil a rejeté
l’ensemble des griefs à l’exception de celui dirigé contre l’article 6. II
60. Le texte du recours du Parti socialiste contre la loi Hadopi 2, <http://www.lesechos.
fr/info/comm/300378614-le-texte-du-recours-du-parti-socialiste-contre-la-loihadopi-2.htm>.
61. Conseil constitutionnel, Décision no 2009-590 DC du 22 octobre 2009 – Loi
relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet,
<http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-deci
sions/2009/decisions-par-date/2009/2009-590-dc/decision-n-2009-590-dc-du-22octobre-2009.45986.html>.
66
Les Cahiers de propriété intellectuelle
concernait la disposition relative au prononcé de dommages et intérêts
civils par le juge de l’ordonnance pénale :
• Concernant l’article 1, portant sur la HADOPI et les pouvoirs
de ses membres et de ses agents, les requérants soutenaient
que les termes de l’article étaient obscurs et ambigus et ils
demandaient au Conseil de les interpréter. Le Conseil a écarté
ce grief « au regard des termes clairs de la loi, qu’il incombera
aux autorités judiciaires d’appliquer ».
• L’article 6 institue une procédure pénale spécifique applicable
aux délits de contrefaçon commis par Internet (jugement à
juge unique et procédure simplifiée de l’ordonnance pénale).
Le Conseil a confirmé que cette procédure était conforme à la
Constitution.
• L’article 7 instaure une peine complémentaire, délictuelle, de
suspension de l’accès à Internet. Pour les membres du Conseil,
« cette instauration ne méconnaît ni le principe de nécessité
des peines ni le principe d’égalité devant la loi. Elle n’est notamment pas caractérisée par une disproportion manifeste
entre l’infraction et la peine encourue. Son instauration relevait donc du pouvoir général d’appréciation du législateur ».
• L’article 8 instaure la même peine complémentaire de suspension de l’accès à Internet en matière contraventionnelle : « Il
reviendra au pouvoir réglementaire de définir les éléments
constitutifs de cette infraction ».
En revanche, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l’article 6.II de la loi permettant au juge de statuer par
ordonnance pénale sur la demande de dommages et intérêts.
Sur ce point, il a jugé que « rien ne s’opposait à cette orientation, mais qu’il incombait alors au législateur de fixer dans la loi les
règles applicables et non de les renvoyer au décret », conformément
à l’article 34 de la Constitution qui réserve à la loi le soin de fixer
les règles de procédure pénale. À cet égard, le Conseil estime que le
législateur a méconnu sa compétence, ne fixant pas lui-même les précisions nécessaires à l’application de la loi », ce qui justifie la censure
du deuxième alinéa de l’article 495-6-1 du Code de procédure pénale,
« pour incompétence négative ».
Aussitôt la décision rendue, le ministère de la Culture a
annoncé sa satisfaction en indiquant que la réforme permettra « de
mettre en œuvre une procédure pénale simple et rapide […]. Il en est
de même pour la création d’une peine complémentaire de suspension
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
67
de l’accès à Internet, tant en matière délictuelle (à l’égard des auteurs
de téléchargements illégaux) que contraventionnelle (à l’égard des
abonnés coupables de négligence caractérisée dans la surveillance de
leur accès à Internet) », a souligné le nouveau ministre de la Culture,
Frédéric Mitterrand, dans un communiqué62.
Le ministre a également assuré que la mise en place de la partie validée de la Loi Création et Internet – HADOPI 1, exclusivement
chargée du volet préventif de la lutte contre le piratage, et qui ambitionne d’adapter le droit d’auteur à l’ère numérique en détaillant les
étapes de sanctions graduées contre les « pirates » partis à l’abordage
de musique et d’images, devrait avoir lieu selon le calendrier prévu :
nomination des membres dans le courant du mois de novembre 2009
et envoi des premiers courriels d’avertissement aux abonnés dès le
début de l’année 2010. Enfin, le Parlement sera de nouveau saisi
de la question des conditions dans lesquelles le juge pourra statuer
par ordonnance pénale sur les demandes de dommages et intérêts
présentées par les victimes du piratage.
1.3
La mission Création et Internet
Estimant que, faute d’offres légales pertinentes, le piratage
serait seul en mesure de satisfaire le consommateur, le nouveau ministre de la Culture, après les remous de la Loi Création et Internet, s’est
attelé à son tour à l’avenir des contenus sur Internet. Cette fois-ci, pas
question de parler pédagogie ou répression à l’encontre des « pirates »
du Web. Mais il s’agissait de compléter le dispositif pédagogique et
les sanctions : « la lutte contre le piratage des œuvres organisée par
ces textes constitue une condition nécessaire, mais non suffisante,
pour faire d’Internet un vecteur privilégié de la diffusion de contenus
culturels », conclut le ministre qui, pour ce faire, a créé le 3 septembre
2009 le volet 3 d’HADOPI : la mission Création et Internet sur l’offre
légale de contenus culturels sur Internet et sur la rémunération des
créateurs et le financement des industries culturelles. À travers la
mission « Création et Internet », il vise à répondre à cette attente
quant à la diffusion de contenus culturels.
L’objectif de la mission Création et Internet était de permettre
aux consommateurs, aussi bien qu’aux acteurs de la création, de
tirer tous les bénéfices du nouveau cadre juridique, en favorisant le
62. Loi Hadopi : validation du Conseil constitutionnel, communiqué de presse,
ministère de la Culture et de la Communication, 22 octobre 2009, <http://www.
culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Loi-Hadopi-validation-du-Conseil-consti
tutionnel>.
68
Les Cahiers de propriété intellectuelle
développement d’offres légales plus attractives, plus riches et plus
diversifiées, tout en garantissant la rémunération des créateurs et
des investisseurs, ainsi que le partage équitable de la valeur créée
par la diffusion sur la Toile des œuvres culturelles de toutes natures63.
Cette mission, confiée à trois experts64 nommés par le ministre de la
Culture, se situait ainsi directement dans la lignée des Accords de
l’Élysée qui ont eux-mêmes donné lieu à la Loi Création et Internet
du 12 juin 2009 (Hadopi 1) et à la Loi sur la protection pénale de la
propriété littéraire et artistique sur Internet (Hadopi 2).
La mission Création et Internet se positionnait donc comme
étant le parfait complément, visant à « mettre en place des mesures
d’accompagnement pour faire comprendre que l’objectif du gouvernement est à la fois de servir les internautes, de protéger les droits
d’auteur et d’apporter une régulation dans un marché actuellement
totalement anarchique ». La mission avait jusqu’au 15 novembre 2009
pour indiquer comment enrichir les contenus et faciliter la circulation
des œuvres, tout en garantissant la rémunération des créateurs.
Bien sûr, sur le premier aspect de la mission, beaucoup a déjà
été fait depuis le milieu des années 2000 : la grande partie des catalogues musicaux est disponible sur la Toile ; les verrous numériques
empêchant la copie des titres achetés légalement ont sauté ; les offres
se sont multipliées, que ce soit au moyen d’un paiement à l’acte, des
formules d’abonnement ou la gratuité financée par la publicité. Autant
de formules qui n’ont pas permis à l’offre de musique en ligne de
décoller65. Mais, c’est surtout sur le volet de la rémunération que les
conclusions de la mission étaient les plus attendues afin de trouver
des revenus destinés à compenser la chute des ventes de disques, dans
l’attente de trouver un vrai modèle économique sur la Toile.
1.4
Avec Hadopi, quel avenir pour les industries
culturelles en France ?
Les rebondissements de l’examen du projet de loi « Création
et Internet » ont été nombreux : rejet du texte par l’Assemblée natio63. Mission Création et Internet : Dossier de presse, <http://www.culturecommu
nication.gouv.fr/content/download/4059/32256/version/5/file/DP_Mission_Crea
tion_et_internet.pdf>.
64. Il s’agit de Patrick Zelnik, président de Naïve (le label qui produit, entre autres,
les disques de Carla Bruni-Sarkozy), de Jacques Toubon, ancien ministre de la
Culture et un des prédécesseurs (1993-1995) de Frédéric Mitterrand, et Guillaume
Cerutti, président de Sotheby’s France.
65. « Frédéric Mitterrand lance une mission sur les contenus sur Internet », Les
Échos, no 20502 du 4 septembre 2009, p. 21.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
69
nale, polémique avec le Parlement européen, censure partielle du
texte par le Conseil constitutionnel. Au cœur de la polémique figure
la « riposte graduée », c’est-à-dire la mise en place d’une échelle de
mesures mêlant prévention et sanctions visant les pirates P2P au
nom de la protection du droit d’auteur. Ce concept avait déjà donné
lieu à de houleux débats parlementaires lors de l’examen du projet de
loi DADVSI. Visiblement, la riposte graduée résiste dans le temps :
filtrage Internet, coupure d’accès Internet pour les internautes les
plus obtus, création d’une Haute autorité pour la diffusion des œuvres
et la protection des droits sur Internet – HADOPI66.
C’est là un échantillon des pistes qui ont été explorées par
le gouvernement français avec plus ou moins de succès. Le débat a
été passionné, une vraie bataille politique qui a épuisé une ministre
de la Culture. En plus des pressions parlementaires, les réseaux de
lobbying se sont activés : ayants droit, groupes industriels impliqués
dans les divertissements numériques, associations de défense des
consommateurs, internautes et même le président de la République,
qui voulait aller « jusqu’au bout » de ce texte67.
Aujourd’hui, on peut dresser le bilan suivant : le Conseil constitutionnel a validé la quasi-totalité du texte. Les lois HADOPI ont
enfin été promulguées. Le gouvernement a finalement obtenu ce qu’il
voulait : une loi réprimant le partage d’œuvres sur Internet ! Mais la
bataille sur le plan législatif n’est pas le cœur du sujet. Certes, une
loi existe. Encore faut-il que ses dispositions permettent d’atteindre
les objectifs auxquels la loi était censée répondre. En l’occurrence, les
lois HADOPI permettent-elles d’éradiquer – ou tout du moins, d’endiguer – les échanges d’œuvres sans autorisation sur Internet ? Les
industries culturelles (disque et cinéma) gagneront-elles un centime
de plus avec l’application de ces lois ? L’opinion est-elle convaincue
de la nécessité des mesures instaurées par la loi ?
Pour y répondre, à l’instar de Marc-André Allard68, on peut
hasarder un constat pour tenter de rendre compte de la richesse des
enseignements.
66. Voir « Hadopi : avis de tempête sur la loi anti-piratage », IT Expresso, 26 février
2012, <http://www.itespresso.fr/hadopi-avis-de-tempete-sur-la-loi-anti-piratage25190.html>.
67. Voir « Qui a gagné la bataille Hadopi ? », La Quadrature du Net, 24 octobre 2009,
<http://www.laquadrature.net/fr/qui-a-gagne-la-bataille-hadopi>.
68. Marc-André ALLARD, « Les pratiques culturelles des Français à l’heure d’HADOPI », Délits d’opinion, 2 novembre 2009, <http://www.delitsdopinion.com
/2experts/les-pratiques-culturelles-des-francais-a-l%E2%80%99heure-d%E2%
80%99hadopi-1890>.
70
1.5
Les Cahiers de propriété intellectuelle
HADOPI résoudra-t-elle la question du
téléchargement ?
Rien n’est moins sûr. Le fait semble d’ailleurs désormais admis
chez la plupart des acteurs du secteur et même chez les promoteurs
de la loi, que HADOPI semble être une « défaite juridique » sur la
riposte graduée. Lourde, complexe dans sa mise en œuvre et déjà en
grande partie dépassée techniquement, HADOPI ressort au mieux du
domaine du symbolique69. Le ministre de la Culture n’a d’ailleurs de
cesse de parler d’un texte « nécessaire mais pas suffisant » et d’aborder
la question de l’après, c’est-à-dire des nouveaux moyens de financer
la musique sur Internet70.
La Quadrature du Net avait déjà souligné les nombreuses raisons de l’inefficacité technique chronique des lois HADOPI (faiblesse
technique de la preuve électronique révélée par la collecte des adresses IP des pirates ; illusion de la sécurisation de l’accès ; existence
de nombreux moyens d’échapper au dispositif)71, alors que diverses
sociétés de perception de droit (SACEM, SACD) et organismes de
défense professionnelle avaient constaté que la détection automatique
d’échanges d’œuvres sans autorisation sur Internet que la loi HADOPI
leur avait confiée était d’ores et déjà jugée obsolète, les moyens d’y
échapper étant de notoriété publique.
Mais, c’est surtout l’amputation du principe même de la réponse
imaginée par la loi, qui condamne HADOPI à demeurer inopérante72.
En effet, les échanges d’œuvres sans autorisation sur Internet sont
69. Voir Samuel LAURENT, « Après Hadopi, quel avenir pour l’industrie musicale ? »,
Le Figaro, 22 septembre 2009, <http://www.lefigaro.fr/web/2009/09/22/0102220090922ARTFIG00545-apres-hadopi-quel-avenir-pour-l-industrie-musicale-.
php>.
70. Voir Paule GONZALÈS, « Frédéric Mitterrand anticipe l’après-Hadopi », Le
Figaro, 3 septembre 2009, <http://www.lefigaro.fr/medias/2009/09/04/0400220090904ARTFIG00015-frederic-mitterrand-anticipe-l-apres-hadopi-.php>.
71. Voir à ce sujet « HADOPI, « Riposte graduée » : Une réponse inefficace, inapplicable et dangereuse à un faux problème », La Quadrature du Net, 9 février 2009,
p. 9 et s., <http://www.laquadrature.net/files/LaQuadratureduNet-Riposte-Gra
duee_reponse-inefficace-inapplicable-dangereuse-a-un-faux-probleme.pdf> ; voir
également UFC-QUE CHOISIR, La loi Création et Internet : une mauvaise solution
à un faux problème, 30 septembre 2010, <http://www.quechoisir.org/document/
loi-creation-et-internet.pdf>.
72. Marc LEPLONGEON, « Téléchargement illégal : à quoi sert (vraiment) la
Hadopi ? », Le Point.fr, 5 septembre 2012, <http://www.lepoint.fr/high-tech-internet/
tele chargement-illegal-a-quoi-sert-vraiment-la-hadopi-05-09-2012-1502876_47.
php> ; lire également Raphaël Gibour : « Comment les jeunes essaient de
contourner Hadopi », Le Figaro, 5 septembre 2012, <http://www.lefigaro.fr/
actualite-france/2012/09/05/01016-20120905ARTFIG00465-comment-les-jeunesessaient-de-contourner-hadopi.php>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
71
une pratique de masse. Manifestement, le front uni – composé de
députés de tous les partis politiques confondus, de sénateurs, de créateurs, de producteurs, d’acteurs, d’utilisateurs et de leurs associations
respectives, tous opposés à HADOPI et partisans d’une autre solution
plus consensuelle que la base répressive sur laquelle elle repose – estimait que les conditions techniques du partage sont inscrites dans les
fonctionnalités élémentaires des appareils et des réseaux numériques.
Le téléchargement, le partage et l’échange sont indissociables de l’Internet et des pratiques culturelles qui se développent dans son sillage.
Ce sont ces possibilités-là, historiquement inouïes, et culturellement
prometteuses, que la Loi Création et Internet devrait promouvoir.
Mais, elle veut plutôt les soumettre aux pesanteurs du statu quo. Selon
ces opposants, dans la situation présente où tout va encore beaucoup
changer avec la généralisation prochaine de l’Internet mobile, il est
grave et inefficace de vouloir freiner la dynamique constitutive d’une
époque. Au lieu de s’évertuer à interdire, à condamner, à réprimer,
à bloquer, il serait préférable d’inventer les solutions qui permettraient à chacune des parties en présence de trouver sa juste place
dans la situation nouvelle. L’acharnement contre le téléchargement
est d’autant plus dérisoire que les évolutions techniques l’ont déjà
dépassé, contourné et relégué au rang de transition entre les vieux
CD, l’actuel streaming et d’autres procédés encore, pour accéder sur
le réseau à la musique comme aux films73.
À l’évidence, pour contrer cette pratique de masse, la loi
HADOPI proposait une réponse reposant sur des sanctions massives : la fameuse « riposte graduée ». Le stade ultime de cette riposte
consistant en la suspension de la connexion Internet des internautes
présumés coupables. Mais il n’a pas échappé au Conseil constitutionnel que ce qui était vu comme obstacles à l’application de sanctions
massives ne constituait ni plus ni moins que le respect de droits et
libertés fondamentaux : séparation des pouvoirs, droit à un procès
équitable, droits de la défense, respect du contradictoire, présomption
d’innocence et nécessaire arbitrage entre droit d’auteur et liberté
d’expression et de communication. Ainsi, sa décision du 10 juin 2009
a porté un coup fatal à l’efficacité de la riposte graduée : les sanctions
devant être prononcées par un juge, il n’est plus question qu’elles
soient massives.
HADOPI 2 tente bien de limiter ces contraintes en réduisant
l’intervention du juge à sa portion congrue : recours aux ordonnances
73. Voir Guillaume CHAMPEAU, « Hadopi : une victoire législative pour Sarkozy,
une défaite pour la riposte graduée », Numerama, 27 octobre 2009, <http://www.
numerama.com/magazine/14368-hadopi-une-victoire-legislative-pour-sarkozyune-defaite-pour-la-riposte-graduee.html>.
72
Les Cahiers de propriété intellectuelle
pénales et au juge unique, peine complémentaire de suspension de
l’accès Internet et contravention pour « négligence caractérisée ».
Mais ces artifices de procédure peuvent, devant l’absence de preuve
des constats établis par la HADOPI, être récusés par le juge et, en
dernier lieu, contestés par le prévenu qui peut demander à bénéficier
d’un procès en bonne et due forme. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de rappeler tout au long de sa décision ce
rôle central du juge. À ce titre, le juge doit décider « au cas par cas »
de la suffisance ou non des éléments de preuves ; refuser le prononcé
d’ordonnances pénales en cas d’incertitude ; prendre en compte toutes les circonstances empêchant éventuellement qu’une peine soit
applicable ; décider d’appliquer ou non une peine complémentaire ;
contrôler – pour ce qui est des juges du Conseil d’État qui auront à
contrôler la légalité des décrets d’application – les éléments pouvant
constituer une « négligence caractérisée ». De plus, HADOPI 2 ellemême souligne le pouvoir d’appréciation du juge dans le prononcé de
la peine de suspension de l’accès Internet.
Ainsi, devant autant d’obstacles à franchir, l’application de
sanctions massives devient illusoire et tout espoir d’efficacité de la
riposte graduée s’en trouve neutralisé. À titre de preuve, si l’on en
juge le bilan du 5 septembre 2012 de la HADOPI, soit deux ans après
sa mise en place (le 1er octobre 2010)74 : elle évoque trois millions
d’adresses IP identifiées, l’envoi d’1,15 million de courriels (soit 4,7 %
des abonnés à Internet) en guise de « recommandations » (premier
avertissement) et de 100 000 lettres en recommandé (deuxième avertissement). La phase trois, qui prévoit une éventuelle transmission
du dossier au Parquet, est alors enclenchée : 340 dossiers de « cas
multi-récidivistes » en cours d’examen et 14 transmis au Parquet ;
aucune décision de justice. Un budget de 12 millions d’euros pour la
HADOPI en 2013 et 60 agents.
74. Benjamin FERRAN, « Le bilan contrasté de l’action de l’Hadopi », Le Figaro, 27 mars
2012, <http://www.lefigaro.fr/hightech/2012/03/27/01007-20120327ARTFIG00670le-bilan-contrastee-de-l-action-de-l-hadopi.php> ; voir également Christophe
AUFFRAY, « Bilan chiffré de la Hadopi : plus d’un million d’emails d’avertissement
envoyés », 3 juillet 2012, <http://www.zdnet.fr/actualites/bilan-chiffre-de-la-hadopiplus-d-un-million-d-emails-d-avertissement-envoyes-39773730.htm>. Voir aussi
Marc Rees, « Avant Lescure, Hadopi dresse son bilan de deux ans de réponse
graduée », PC INpact, 30 août 2012, <http://www.pcinpact.com/news/73452-avantlescure-hadopi-dresse-son-bilan-deux-ans-reponse-graduee.htm> ; La Hadopi au
secours de la Hadopi, 4 septembre 2012, <http://www.pcinpact.com/news/73538-lahadopi-au-secours-hadopi.htm> ; Jamal HENNI, « L’Hadopi a transmis 14 dossiers
à la justice », BFM Business, 5 septembre 2012, <http://www.bfmtv.com/economie/
lhadopi-a-transmis-14-dossiers-a-justice-331846.html> ; Pourquoi la Hadopi n’a
transmis que 14 dossiers à la justice, 6 septembre 2012, <http://www.francetvinfo.
fr/pourquoi-la-hadopi-n-a-transmis-que-14-dossiers-a-la-justice_137243.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
73
De plus, en septembre 2012, la HADOPI a poursuivi en justice
et elle a obtenu sa première amende contre un internaute pour avoir
téléchargé deux chansons. Une amende symbolique de 150 euros avec
sursis, soit moitié moins que l’amende réclamée par le Parquet et dix
fois moindre que l’amende maximale encourue. C’est probablement
le premier internaute français à comparaître devant un tribunal
pour infraction à la loi HADOPI. En effet, le tribunal reproche au
titulaire de la ligne ADSL de s’être abstenu de prendre des mesures
pour « sécuriser sa ligne Internet » et son ordinateur, peu importe
qu’il n’ait pas été l’auteur de l’infraction ni même le bénéficiaire75.
1.6
Développements récents
Face aux critiques du nouveau gouvernement socialiste issu
des élections du 6 mai 2012, l’autorité de lutte contre le piratage sur
Internet a tiré un bilan globalement positif de son action76, notamment
en ce qui concerne sa fonction pédagogique. Aussi déclare-t-elle qu’entre le premier et le deuxième rappel à l’ordre, « 95 % des personnes
averties ne font plus l’objet d’un constat de téléchargement illicite »77.
De même, sa présidente affirme que « La réponse graduée à un impact
significatif et, parallèlement, l’offre légale se développe »78. Elle estime
75. Voir Pascal LAINÉ, « Belfortain poursuivi pour téléchargement illégal :
150 € d’amende », Le pays.fr, 13 septembre 2012, <http://www.lepays.fr/faitsdivers/2012/09/13/belfort-un-quadragenaire-poursuivi-pourtelechargement-ille
gal-hadopi-mp3-lepuix> ; « Hadopi : une condamnation tellement exemplaire »,
ITR News, 16 septembre 2012, <http://www.itrnews.com/articles/135309/hadopicondamnation-tellement-xemplaire.html>. Pour un point de vue contrasté,
lire Julien LAUSSON, « Sécuriser son réseau WiFi n’est pas obligatoire selon la
justice américaine », Numerama, 13 septembre 2012, <http://www.numerama.com/
magazine/23714-securiser-son-reseau-wifi-n-est-pas-obligatoire-selon-la-justiceamericaine.html>.
76. HADOPI, Point Presse : Deux ans de réponse graduée en chiffres, 10 septembre
2012, p. 11, <http://www.hadopi.fr/sites/default/files/page/pdf/Point_presse.pdf> ;
lire également Alain BEUVE-MÉRY, « La Hadopi s’attribue une baisse du
téléchargement illégal », Le Monde, 27 mars 2012, <http://www.lemonde.fr/tech
nologies/article/2012/03/27/la-hadopi-s-attribue-une-baisse-du-telechargementillegal_1676189_651865.html>.
77. Marc LEPLONGEON, « Téléchargement illégal : à quoi sert (vraiment) la
Hadopi ? », Le Point.fr, 5 septembre 2012, <http://www.lepoint.fr/high-tech-internet/
telechargement-illegal-a-quoi-sert-vraiment-la-hadopi-05-09-2012-1502876_47.
php>. Voir aussi Xavier Berne, « Hadopi : Pour Lescure, le mécanisme répressif est
« incontournable », PC INpact, 3 août 2012, <http://www.pcinpact.com/news/72894hadopi-pour-lescure-mecanisme-repressif-est-incontournable.htm> et la tribune
de Joëlle FARCHY et de Cécile MÉADEL, « Se débarrasser de la Hadopi serait
inutile. Les problèmes n’en seraient pas résolus », Le Monde, 24 juillet 2012, p. 16,
<http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/24/se-debarrasser-de-la-hadopiserait-inutile_1737658_3232.html>.
78. Marie-Françoise MARAIS, « Hadopi : Oui, la réponse graduée a un impact ! »,
Le figaro.fr, 27 mars 2012, <http://www.lefigaro.fr/medias/2012/03/27/20004-
74
Les Cahiers de propriété intellectuelle
plutôt que l’HADOPI est mal comprise par les internautes79. Par
ailleurs, Le Conseil d’État a rejeté le 19 octobre 2011 (Req. no 33915480,
no 33972981 et no 34240582) trois recours introduits respectivement par
Apple, iTunes et French Data Network contre les décrets d’application
des deux lois HADOPI. Il conforte la compétence et les pouvoirs de
cette autorité de protection du droit d’auteur et des droits voisins
sur les œuvres musicales, en estimant que « l’équilibre trouvé entre
les droits des créateurs et ceux des internautes est conforme aux
standards internationaux de protection des libertés fondamentales ».
Cependant, un sondage réalisé en fin octobre 2010 sur les
opinions des Français et des internautes à l’égard de la nouvelle
initiative gouvernementale contre le téléchargement illégal, à savoir
la Loi Création et Internet, la HADOPI, semblait confirmer que les
effets réels de cette loi étaient très limités dans la mesure où elle ne
dissuadait pas les Français de télécharger. L’étude indiquait que 47 %
des Français et 54 % des internautes jugeaient la loi HADOPI inutile ;
seuls 13 % des Français avaient modifié leurs habitudes de téléchargement. Parmi ces 13 %, seuls 4 % affirmaient avoir complètement
arrêté de télécharger illégalement, les 9 % restant étant simplement
devenus plus vigilants afin de ne pas être repérés83.
L’arrivée au pouvoir du gouvernement socialiste a, dans un
premier temps, quelque peu sonné le glas de la loi HADOPI. On
se souvient des âpres discussions parlementaires autour de la loi
79.
80.
81.
82.
83.
20120327ARTFIG00534-hadopi-oui-la-reponse-graduee-a-un-impact.php> ; lire
également Jamal HENNI, « L’Hadopi a transmis 14 dossiers à la justice », BFM
Business, 05 septembre 2012, <http://www.bfmtv.com/economie/lhadopi-a-trans
mis-14-dossiers-a-justice-331846.html>.
« L’Hadopi est mal comprise par les internautes », Le Figaro.fr, 10 juillet 2012,
<http://www.lefigaro.fr/hightech/2012/07/10/01007-20120710ARTFIG00280-lahadopi-est-mal-comprise-par-les-internautes.php>.
CE, 19 octobre 2011, Société Apple inc c. Société iTtunes sarl, no 339154, <http://
www.conseil-etat.fr/fr/selection-de-decisions-du-conseil-d-etat/ce-19-octobre-2011soci.html>.
CE, 19 octobre 2011, French Data Network, no 339279, <http://www.conseil-etat.
fr/fr/selection-de-decisions-du-conseil-d-etat/ce-19-octobre-2011-french-datanetwork-n-kq6.html>.
CE, 19 octobre 2011, French Data Network, no 342405, <http://www.conseil-etat.
fr/fr/selection-de-decisions-du-conseil-d-etat/ce-19-octobre-2011-french-datanetwork-n.html>.
Enquête LH2 réalisée en partenariat avec ZDNet.fr : Les opinions des Français
et des internautes vis-à-vis de la loi Création et Internet, 5 novembre 2010,
p. 10, <http://www.lh2.fr/_upload/ressources/sondages/consommation/lh2zdnet
francaisinternautesloicreationinternet051110.pdf> ; lire également Christophe
AUFFRAY, « Hadopi : les internautes informés n’ont pas peur du gendarme »,
9 juillet 2012, <http://www.zdnet.fr/actualites/hadopi-les-internautes-informesn-ont-pas-peur-du-gendarme-39773956.htm>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
75
DADVSI et de la Loi Création et Internet où le groupe socialiste s’était
plutôt illustré sur le sujet jusqu’à faire voter, très provisoirement, un
amendement créant la licence globale.
Déjà fin 2011, le député socialiste Patrick Bloche avait déclaré :
« si nous en sommes aujourd’hui à évoquer la création d’un centre
national de la musique, c’est simplement que le dispositif répressif
dit « HADOPI » a totalement échoué dans ses objectifs. Il y a deux
ans, on nous avait vendu HADOPI comme étant la solution miracle
qui allait tout résoudre en modifiant les usages de nos concitoyens
dans leur accès aux contenus culturels à l’ère numérique ». Selon
Bloche, « parce que la HADOPI n’a pas produit les effets escomptés,
nous voilà en train de débattre de la création d’un Centre national
de la musique ! C’est aborder sous une forme institutionnelle – ce qui
est regrettable – une vraie question, et la seule qui vaille : comment
financer la création, rémunérer le droit d’auteur et les droits voisins,
à l’ère numérique ? »84.
Mais le Premier ministre a très vite confirmé au Parlement
qu’une loi serait bien votée, conformément aux engagements présidentiels et qu’une mission avait été lancée le 18 juillet 2012, soit la
mission de concertation sur les contenus numériques et la politique
culturelle à l’ère du numérique, appelée également « l’Acte II de
l’exception culturelle »85. La mission avait pour objectif de dresser un
panorama et de mener une réflexion approfondie sur les enjeux des
industries culturelles à l’ère du numérique, ce qui passe notamment
par l’adaptation des outils classiques de politique culturelle aux
nouvelles réalités.
La lettre de mission précise que ce chantier « mêlera l’ensemble des acteurs sous l’œil attentif de l’État qui validera ou non
les propositions, dans l’idéal sous six-huit mois », qu’il « débouchera
sur un nouveau cadre juridique au cours du semestre 2013 » et sans
doute un vote au Parlement avant 2014. Cette mission a été confiée
à Pierre Lescure, directeur du théâtre Marigny et ancien dirigeant
de Canal+. De fait, la mission Lescure dépasse largement le cadre de
la simple HADOPI ; elle englobe bien le problème du droit d’auteur,
84. Cité par Marc REES, « Aurélie Filippetti enterre le Centre National de la Musique, jugé inutile », PC INpact, 10 septembre 2012, <http://www.pcinpact.com/
news/73695-aurelie-filippetti-enterre-centre-national-musique-juge-inutile.htm>.
85. Ministère de la Culture et de la Communication, L’acte II de l’exception culturelle,
19 juillet 2012, <http://www.culturecommunication.gouv.fr/Actualites/A-la-une/Lacte-II-de-l-exception-culturelle> ; voir également le communiqué du Conseil
des ministres du 18 juillet 2012, <http://www.gouvernement.fr/gouvernement/
le-lancement-de-la-concertation-sur-l-acte-ii-de-l-exception-culturelle>.
76
Les Cahiers de propriété intellectuelle
la problématique du développement de l’offre légale, les questions
du financement de la création et le respect de l’exception culturelle.
Pour la nouvelle ministre socialiste de la Culture, Aurélie
Filippetti, « Il s’agit de tirer un véritable bilan de l’évolution des
pratiques en matière d’utilisation des contenus culturels numériques, et de dégager une prospective sur les besoins légaux pour
qu’Internet devienne l’une des plus grandes sources de financement
de la culture ». L’ensemble des acteurs de la filière seront consultés,
incluant les associations de consommateurs, avec pour objectif ambitieux de « faire émerger de nouvelles ressources, de nouveaux modes
de financement de la création et d’y associer ceux qui tirent profit
du développement de la circulation des œuvres dans les réseaux »,
et de préciser : « Dans un contexte budgétaire serré, il faut avoir un
souci d’efficacité, de réconciliation entre les artistes et les publics, et
trouver des solutions qui soient réelles et qui permettent vraiment
de financer la création et non plus se payer de mots »86.
Dans le cadre de cette mission, Pierre Lescure devra donc faire
des propositions87 permettant de :
• favoriser le développement de l’offre légale des œuvres et des
pratiques culturelles numériques et assurer l’accès à tous à
celles-ci ;
• soutenir la création et la diversité et valoriser leurs retombées
économiques ;
• lutter contre la contrefaçon commerciale.
Un site Internet88 rend compte des travaux de la mission ; il
comprend les comptes rendus des auditions et des retranscriptions
audio et des vidéos. De même, un blogue interactif89, accessible à tous,
permet de recueillir les commentaires, avis et suggestions relatifs à
tous les thèmes qui ont été abordés. Cette mission a dressé son premier rapport d’étape90 le 6 décembre 2012, et elle a présenté le 13 mai
2013 son très attendu rapport sur « L’acte II de l’exception culturelle ».
86. Jean PELLETIER, « Hadopi, la mission Lescure et le gouvernement », Agora Vox,
4 septembre 2012, <http://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/hadopi-lamission-lescure-et-le-122103>.
87. Lettre de mission de Pierre Lescure, <http://www.culture-acte2.fr/wp-content/
uploads/2012/10/lettre-de-mission-Pierre-Lescure.pdf>.
88. <http://www.culture-acte2.fr>.
89. <http://culture-acte2-participer.fr/?utm_source=actualite-collectivites-territo
riales&utm_medium=article&utm_campaign=crosslink-externe>.
90. Bilan d’étape – Mission culture-acte 2, jeudi 6 décembre 2012, <http://www.dgmic.
culture.gouv.fr/IMG/pdf/DP_bilan_etape_culture_acte_2.pdf>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
1.7
77
Le rapport Lescure et ses suites
Le rapport Lescure91 propose des pistes d’évolution des outils
de politique culturelle ayant pour objectif de mieux garantir la
rémunération des créateurs au titre de l’exploitation numérique de
leurs œuvres et d’assurer un partage de la valeur équilibré entre
les différents acteurs. À ce titre, il formule 80 propositions visant à
adapter la réglementation des industries culturelles au numérique.
Le rapport s’articule autour de trois grandes idées.
Tout d’abord, il assume que les possibilités offertes par les
technologies numériques doivent être utilisées pour promouvoir
l’accès des publics aux œuvres, en termes quantitatifs et qualitatifs.
Pour ce faire, il faudrait dynamiser l’offre culturelle en améliorant
la disponibilité numérique des œuvres, favoriser le développement
d’un tissu de services culturels numériques innovants et porteurs
de diversité culturelle et proposer au public une offre abordable,
ergonomique et respectueuse de leurs droits.
Ensuite, le rapport souligne que l’exploitation numérique
des œuvres culturelles doit permettre une juste rémunération des
créateurs et un niveau adéquat de financement de la création. À cet
égard, il convient de garantir la rémunération des créateurs en ce
qui concerne l’exploitation numérique de leurs œuvres, renforcer la
contribution des acteurs numériques au financement de la création
et soutenir les nouvelles formes créatives et les nouveaux modes de
financement.
Enfin, le rapport soutient que les droits de propriété intellectuelle doivent être adaptés dans leurs règles et dans leur mise en
œuvre aux enjeux du numérique. Ainsi, il conviendrait de réorienter la
lutte contre le piratage des contenus protégés sur Internet en direction
de la contrefaçon lucrative et alléger le dispositif de réponse graduée,
adapter les droits de propriété intellectuelle aux usages numériques
et faciliter l’accès aux métadonnées.
Il convient de relever que la mission Lescure recommande de
maintenir un dispositif de « réponse graduée allégée », débarrassée
de son volet pénal et de son volet « le plus répressif ». En clair, il n’y
aurait plus de coupure d’accès à Internet. Il y aurait seulement des
sanctions administratives (avertissements et amendes). C’est dire
qu’au lieu de s’exposer à une coupure de leur connexion à Internet au
91. Pierre LESCURE, Mission « Acte II de l’exception culturelle » : Contribution aux
politiques culturelles à l’ère numérique, tome 1, mai 2013, p. 486, <http://www.
humanite.fr/sites/default/files/pdf/2013/141115067-rapport-lescure-498.pdf>.
78
Les Cahiers de propriété intellectuelle
bout de trois avertissements, ce qui avait été critiqué par des associations de défense des libertés sur Internet, les pirates risqueront une
amende qui passerait de 1 500 euros à 60 euros, ce qui correspond à
un an d’abonnement au service de streaming musical Deezer, suggère
Pierre Lescure qui estime que les vertus de la réponse graduée reposent dans sa logique pédagogique et dans la crainte qu’elle inspire :
« Après un rappel au règlement, et un premier courriel, près de 90 %
des internautes ont arrêté tout téléchargement illégal », souligne-t-il92.
En amont, la lutte contre les sites de téléchargement illicites serait
aussi accrue par une sensibilisation des hébergeurs et des platesformes publicitaires. Les auteurs du rapport proposent l’adoption d’un
code de bonne conduite qui concernerait les hébergeurs, les FSI, les
principaux moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les opérateurs
de carte bancaire et monnaie électronique et les publicitaires qui ne
pourraient plus promouvoir les sites qui pratiquent la contrefaçon
commerciale.
En définitive, afin de préparer la concertation à laquelle invite
ce rapport, la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie
Filippetti, a créé le 18 septembre dernier une mission93 qui élaborera,
pour la musique en ligne (streaming, interactif ou non, et téléchargement), un diagnostic objectif des positions en présence, des usages
et des pratiques contractuelles.
2.
ROYAUME-UNI
Au diapason de la plupart des gouvernements européens,
le Royaume-Uni après avoir privilégié dans un premier temps le
blocage des sites Internet permettant l’accès à des contenus non
autorisés, tente d’instaurer une législation contre le téléchargement
non autorisé des œuvres protégées par la propriété intellectuelle.
Annoncée en 2009, la Digital Economy Act94, qui veut réguler les
médias numériques, met en place un mécanisme à l’anglaise de
92. Alain BEUVE-MÉRY et Clarisse FABRE, « Rapport Lescure : taxer les smartphones pour sauver l’exception culturelle française », Le Monde, 13 mai 2013,
<http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/05/13/rapport-lescure-taxer-lessmartphones-pour-sauver-l-exception-culturelle-francaise_3176247_3234.html>.
93. Voir le communiqué de presse du 18 septembre 2013 : « Aurélie Filippetti,
ministre de la Culture et de la Communication, confie une mission à Christian
Phéline, suite à la remise du rapport Acte II de l’exception culturelle à l’ère
du numérique », <http://www.culturecommunication.gouv.fr/Espace-Presse/
Communiques-de-presse/Aurelie-Filippetti-ministre-de-la-Culture-et-de-la-Com
munication-confie-une-mission-a-Christian-Pheline-suite-a-la-remise-du-rapportActe-II-de-l-exception-culturelle-a-l-ere-du-numerique>.
94. Digital Economy Act 2010 (c. 24), 18 avril 2010, disponible à <http://www.legisla
tion.gov.uk/ukpga/2010/24/contents>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
79
riposte graduée intégral. De nombreuses mesures techniques sont
envisagées en cas de violation des droits d’auteur, dont la possibilité
pour les ayants droit, sous le contrôle du régulateur des télécommunications – l’OFCOM – d’obliger les FSI à restreindre ou à couper
l’accès à l’Internet des internautes se livrant à des échanges en
ligne non autorisés d’œuvres protégées, et ce, malgré la réception
d’une lettre d’avertissement. Tout comme en France, cette initiative
a suscité une pléthore de critiques, la principale étant la persistance
de nombreuses zones d’ombres. Mais, il convient de relever que la
législation anglaise contenait déjà un corpus juridique assez étoffé
en matière de lutte contre la contrefaçon95. Cependant, même si des
moyens légaux existent déjà, le problème n’est pas résolu pour autant
à cause de la difficulté pratique de mettre en œuvre ces dispositions
ainsi qu’au niveau des preuves à rapporter ou des coûts consécutifs
à chaque action96.
2.1
Le contexte du téléchargement illégal et du partage
des œuvres protégées au Royaume-Uni
Selon une étude de la British Phonographic Industry (BPI),
une association interprofessionnelle chargée de défendre les intérêts
de l’industrie du disque britannique, plus de sept millions de Britanniques téléchargent illégalement des contenus protégés, et plus
d’un jeune sur deux considère que le téléchargement et le partage
des œuvres protégées sur Internet n’est pas aussi grave que le vol à
l’étalage. La BPI estime que ces infractions représentent environ 230
millions d’euros de pertes à l’industrie du disque pour l’année 200997.
L’approche éducative préconisée par le Royaume-Uni dans la
lutte contre le piratage informatique, bien que nécessaire au vu de
ces statistiques, n’aurait rencontré qu’un succès mitigé : après six
mois, British Telecom, qui aurait envoyé chaque semaine environ
95. Voir Copyright, Designs and Patents Act 1988 (c. 48), chapitres II et VI, disponible
à <http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1988/48/contents>.
96. Véronique DELFORGE, « La « Réponse Graduée » en Europe et à l’étranger :
comment venir à bout de la contrefaçon en ligne », dans Le téléchargement d’œuvres sur Internet. Perspectives en droits belge, français, européen et international
(Bruxelles, Larcier, 2012), cité par Sandrine HALLEMANS, Étude relative à la
lutte contre les atteintes au droit d’auteur sur Internet, op. cit., p. 23.
97. Austin MODINE, « Music Industry Cooks UK Government’s Piracy Stats », The
Register, 4 septembre 2009, <http://www.theregister.co.uk/2009/09/04/sabip_
7m_stat_sponsored_by_bpi/> ; également, Sophie BOUDET-DALBIN, La distribution des films par Internet : enjeux socioculturels, économiques et géopolitiques, thèse de doctorat, Université Panthéon-Assas, 12 décembre 2011, p. 149,
<https://docassas.u-paris2.fr/nuxeo/site/esupversions/bd574a95-1a99-456c-a1d820aa8f7c0d6c>.
80
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1 000 lettres à ses abonnés, constaterait un taux de récidive bien
supérieur à 20 %.
C’est donc sur les conclusions de cette recherche privée, commandée par une organisation favorable à une politique plus répressive
envers les internautes accusés de télécharger illégalement du contenu
protégé, que le Royaume-Uni souhaitait mettre en place une riposte
graduée à la française, ce qui a suscité une vive polémique de la part
de divers artistes et de nombreux internautes britanniques opposés
à la mise en place d’une quelconque riposte graduée98.
Au même moment, à l’autre bout du spectre, des études réaffirmaient de manière constante que les internautes téléchargeurs
achetaient aussi légalement de la musique. Il en est ainsi de celle réalisée par Interpret99, une société spécialisée dans l’étude de marchés
très précis (divertissement, média et technologie), publiée en juillet
2009. Le sondage effectué par Interpret, contrairement aux sondages
habituels, portait sur plus de 64 millions de personnes sondées au
Royaume-Uni parmi lesquelles 24 millions (36 %) admettaient avoir
récupéré des fichiers musicaux au cours des trois derniers mois ; une
personne sur trois serait donc « pirate ». Ceci démontre que les téléchargeurs sont prêts à acheter en ligne. En effet, 9 % des internautes
qui s’adonnent au piratage ont également acheté un album complet
au cours de la même période, tandis que 16 % ont acheté des titres
individuels, alors que 20 %, soit un pirate sur cinq, achetait également
de la musique vendue sur des plates-formes légales, comme l’iTunes
Store.
Également, en novembre 2009, un autre sondage mené par
Ipsos Mori interrogeait un millier de citoyens britanniques âgés de
16 à 50 ans et disposant d’un accès à Internet100. Les résultats de
l’étude sont très clairs : les internautes qui téléchargent illégalement
de la musique, autrement dit les pirates, sont également ceux-là
même qui dépensent le plus d’argent pour la musique vendue dans le
98.
99.
100.
Au lieu de provenir d’une recherche menée par des universitaires, les chiffres
avancés sont tirés d’une étude privée, dont la méthodologie est douteuse, réalisée
par une filiale de Forrester Research (Jupiter Research) et commandée par le
Strategic Advisory Board for Intellectual Property Policy pour le compte de la
British Phonographic Industry (BPI) : voir Austin Modine, « Music Industry
Cooks UK Government’s Piracy Stats : “7 million” Brit pirates? Who says? »,
The Register, 4 septembre 2009, <http://www.theregister.co.uk/2009/09/04/
sabip_7m_stat_sponsored_by_bpi>.
Voir le portail d’Interpret, <http://interpretllc.com/index.php>.
Rachel SHIELDS, Illegal Downloaders “Spend the Most on Music”, Says Poll:
Crackdown on Music Piracy Could Further Harm Ailing Industry, 1er novembre
2009, <http://www.independent.co.uk/news/uk/crime/illegal-downloaders-spendthe-most-on-music-says-poll-1812776.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
81
commerce, que ce soit en boutique ou sur les plates-formes légales de
téléchargement. Ainsi, l’étude révèle qu’un pirate dépense en moyenne
environ 85 euros (77 livres sterling) contre environ 49 euros (44 livres
sterling) pour un internaute lambda, soit une différence de 36 euros
(33 livres sterling). L’étude a également indiqué qu’une personne
sur dix récupère régulièrement de la musique sur les réseaux Peerto-Peer (P2P) ou par n’importe quelle autre méthode. Bien plus, ils
utilisent ces technologies comme un mécanisme de découverte. Et si
les pirates s’avéraient finalement être paradoxalement les principaux
consommateurs de musique ?
Ainsi, à l’heure où plusieurs pays cherchent une réponse
répressive à la question du téléchargement sur Internet, des observateurs s’accordent pour dire que ces chiffres devraient faire réfléchir
davantage la RIAA, la BPI et l’IFPI et les amener à reconsidérer la
façon dont ils traitent le problème du « piratage ». Après plus de dix
ans de combat dans le vent, peut-être serait-il temps de changer de
fusil d’épaule et d’envisager une autre approche, disent-ils. Et si ce
n’est pas l’industrie culturelle qui fait cet effort, peut-être est-ce alors
aux pouvoirs publics de prendre en compte cette tendance irréversible.
C’est dans ce contexte sans doute que, pour faire face à la
crise, le Royaume-Uni, à l’instar des gouvernements des principaux
pays européens, réfléchit actuellement aux mesures à prendre pour
combattre efficacement le partage illégal de fichiers sur Internet. Pour
ce faire, il a initié une approche différente de celle française.
2.2
La situation de la gestion des contenus numériques
au Royaume-Uni
Si l’approche britannique était au départ très différente de
l’approche française, il semble bien que par la suite elle s’en soit
beaucoup rapprochée.
2.2.1 La riposte graduée abandonnée
Après avoir commencé par suivre l’exemple français en adoptant la riposte graduée en juin 2008, le Parlement britannique est
revenu sur sa décision.
En effet, avant la France, le Royaume-Uni avait d’abord essayé
la riposte graduée101. Les six plus gros fournisseurs britanniques d’ac101.
Camille GÉVAUDAN, « Avant la France, le Royaume-Uni essaie la riposte graduée », Écrans, 26 juillet 2008, <http://www.ecrans.fr/Les-FAI-anglais-envoientleurs,4721.html>.
82
Les Cahiers de propriété intellectuelle
cès à l’Internet (FSI), à savoir British Telecom, Virgin, Orange, Tiscali,
BSkyB et Carphone Warehouse (représentant 90 % des connexions
nationales), avaient accepté en juillet 2008 de tester le système de
riposte graduée sous la pression du gouvernement102, qui les avait
menacés en avril de la même année de les y forcer par la loi s’ils ne
l’adoptaient pas d’eux-mêmes avant le printemps 2009, et aussi sous
la pression des lobbies musicaux et cinématographiques, qui leur
prêtent une responsabilité dans le développement du téléchargement
illégal par leurs offres haut débit103.
Manifestement, les FSI et les « majors » n’étaient pas vraiment
d’accord sur la façon de traiter les millions d’internautes britanniques
utilisateurs de logiciels P2P, responsables, selon ces derniers, de leur
faire perdre de l’argent. Si les maisons de disque voulaient une riposte
graduée pure et dure, les FSI a contrario pensaient qu’une mise en
avant d’offres légales et qu’une plus grande sensibilisation auprès du
grand public devaient résoudre ce problème épineux. British Telecom,
le principal FSI, a d’ailleurs déclaré qu’il espérait réellement qu’il
soit possible de trouver une solution à l’amiable, sans aller jusqu’à
l’adoption d’une nouvelle loi.
À l’évidence, les principaux FSI du Royaume-Uni ont donc
reconnu qu’ils avaient un rôle à jouer dans le contrôle des partages
illégaux sur leurs réseaux. C’est pourquoi, ils ont signé en juillet 2008
un accord (Memorandum of Understanding)104 avec l’industrie de la
musique en vertu duquel ils s’engagent à collaborer à la lutte contre le
piratage. Cet accord prévoyait que les FSI étaient responsables d’envoyer des avis de conformité aux internautes qui accomplissaient des
actes illicites au regard de contenus protégés par la propriété intellectuelle. Sous cet aspect, la solution britannique présente certaines
similitudes avec le projet français « Création et Internet » ou encore
avec les décisions de 2008 de tribunaux belges. La tendance visait
manifestement à responsabiliser progressivement les FAI quant aux
contenus qui circulent sur leurs réseaux. Le Memorandum évoquait
d’ailleurs le devoir des maisons de disques de proposer des alternatives attirantes : « Les ayants droit doivent considérer sérieusement
un accès plus flexible des consommateurs aux contenus ». À cet égard,
102.
103.
104.
BERR – Consultation document on legislative options to address illicit P2P
file-sharing, <http://www.berr.gov.uk/consultations/page47141.html>.
Bulletin des nouvelles de Music Tank, organisme lié à l’Université de Westminster, The Filesharing Conundrum: Seconds Out, Round Two..., août 2008, <http://
www.musictank.co.uk/newsletters/august>.
Department for Business, Enterprise and Regulatory Reform: Consultation
document on legislative options to address illicit P2P file-sharing, juillet 2008,
p. 66, <http://www.berr.gov.uk/files/file47139.pdf>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
83
le Mémorandum semblait soulever la question d’une solution mixte
favorisant à la fois, d’une part, le développement de réseaux numériques commerciaux privés et, d’autre part, un Internet collaboratif
permettant aux consommateurs d’effectuer certains échanges.
Le ministre britannique de la Culture, Andy Burnham105, a
toutefois fait marche arrière et il a exclu la mise en place d’un système
« three strikes and you’re out » (« trois avertissements et on coupe »)
devant les nombreuses contestations qui ont entouré cette proposition.
Allant dans le même sens, le ministre britannique chargé de
la propriété intellectuelle, David Lammy, a également déclaré que
le gouvernement avait définitivement écarté la voie législative pour
forcer les FSI à couper la connexion de leurs abonnés soupçonnés de
téléchargement illégal106. Dans une entrevue au Times107, il a expliqué
qu’il lui semblait disproportionné de sanctionner ainsi les internautes.
La raison de ce recul serait tout simplement juridique. D’après David
Lammy, une déconnexion forcée impliquait des questions juridiques
extrêmement complexes. Indiquant qu’un système alternatif était
en cours d’élaboration et qu’il serait présenté à l’automne 2009, il a
notamment souligné que le Royaume-Uni avait d’ores et déjà pris des
mesures pour lutter contre le piratage informatique.
Il faisait ainsi référence à l’accord (Memorandum) signé entre
les principaux FSI britanniques et l’industrie de la musique. Dans
le cadre de l’application de cet accord, les FSI avaient commencé à
envoyer des lettres à leurs abonnés suspectés de téléchargement ou
de partage illégal (à un rythme de 1 000 courriers par semaine). Les
FSI ne surveillent pas eux-mêmes les réseaux, mais ils s’appuient
sur les constats d’infraction faits par les ayants droit afin d’établir
la liste des destinataires ; ceux-ci relèvent leurs adresses IP et les
transmettent aux FSI qui, à leur tour, établissent le lien entre les
adresses IP transmises et les abonnés auxquels elles correspondent et
ils expédient alors des lettres à leurs abonnés au nom de la BPI (Bri105.
106.
107.
« The Government will not hesitate to introduce legislation if internet companies
do not crack down on illegal music downloading », de mettre en garde le secrétaire à la Culture, The Telegraph, 17 juin 2008, <http://www.telegraph.co.uk/
news/newstopics/politics/labour/2146317/Andy-Burnham-Internet-companiesmust-crack-down-on-piracy.html>.
« The UK’s Intellectual Property minister David Lammy has said the government
will not force internet service providers to pursue file sharers », BBC News,
janvier 2009, <http://news.bbc.co.uk/2/hi/technology/7854494.stm>.
Patrick FOSTER, « Music Pirates Will Not Be Disconnected From the Internet », The Times, 26 janvier 2009, <http://entertainment.timesonline.co.uk/tol/
arts_and_entertainment/music/article5586761.ece>.
84
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tish Phonographic Industry). Les courriers ainsi expédiés ont avant
tout pour objectif « d’éduquer » leurs destinataires ; ils comportaient
un rappel de la législation sur les droits d’auteur et de l’existence
d’offres de téléchargement légal. Rappelons que le Memorandum
évoquait d’ailleurs le devoir des maisons de disques de proposer des
alternatives attirantes : « Les ayants droit doivent considérer sérieusement un accès plus flexible des consommateurs aux contenus ». Les
courriers contiennent également des informations sur l’importance
pour l’internaute de sécuriser sa connexion à l’Internet, notamment
pour les connexions sans fil, sur des liens vers des offres légales ou
encore sur des informations concernant les risques engendrés par le
téléchargement illégal (spyware, virus). Ils permettent aussi de prévenir les abonnés suspectés de télécharger illégalement des œuvres
protégées qu’ils pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires
lancées en cas de récidive.
À cette phase de test, prévue pour trois mois, devrait succéder
une étape de sanctions techniques pour les abonnés récalcitrants.
Les options envisagées comprenaient un filtrage des réseaux afin
d’empêcher l’usage des techniques de P2P et des restrictions de bande
passante pour les plus gros téléchargeurs, mais aucune coupure de
service.
2.2.2 Le Royaume-Uni numérique pour les prochaines
années
Le gouvernement britannique ne souhaite donc pas légiférer
sur une sanction massive et il préfère faciliter en pratique le travail
des ayants droit en proposant d’obliger les FSI à mettre à leur disposition les détails personnels des récidivistes. Mais le gouvernement veut
aller plus loin. Ainsi, le ministre britannique des Communications,
Lord Carter, évoquait dans son rapport préliminaire « Digital Britain »
rendu public le 29 janvier 2009, la possibilité de créer une agence des
droits numériques (Digital Rights Agency) qui jouerait le rôle d’arbitre
entre les internautes, les ayants droit et les FSI. Un second rapport,
intitulé « Copyright in a digital world: What role for a Digital Rights
Agency », publié le 13 mars 2009 par le Department for Innovation,
Universities and Skills (DIUS), le Department for Business, Enterprise
and Regulatory Reform (BERR) et le Department for Culture, Media
and Sport (DCMS), précisait l’idée formulée par Lord Carter tout en
la développant. Le Rapport « Digital Britain », rendu public en juin
2009 sous sa forme définitive, trace les grandes lignes du RoyaumeUni numérique pour les prochaines années.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
85
2.2.2.1 Le rôle de l’Agence des droits numériques
Le rôle de l’Agence des droits numériques est (1) d’informer, de
sensibiliser et d’éduquer et (2) d’encourager l’innovation en facilitant
la création de nouveaux moyens d’accéder aux contenus protégés :
2.2.2.1.1 Informer, sensibiliser et éduquer les consommateurs
afin de changer leur comportement
Le gouvernement britannique est convaincu que l’information
et l’éducation de ses citoyens est la première action à entreprendre
pour mener un combat efficace contre le téléchargement illégal. Par
conséquent, l’Agence regroupant les différents acteurs de l’industrie
créative pourrait leur permettre d’unifier et de coordonner leurs
campagnes de sensibilisation et, donc, leur permettre de livrer un
message plus fort aux citoyens britanniques, au lieu de campagnes
sporadiques de sensibilisation par les différents acteurs chacun de
leur côté, comme on l’a fait pour la campagne « You Make the Movies »
de l’industrie du cinéma108.
2.2.2.1.2 Encourager l’innovation en facilitant la création de
nouveaux moyens d’accéder aux contenus protégés
• Étant donné que la complexité actuelle dans la négociation des
droits est une entrave indéniable à la création d’offres légales,
l’Agence constituerait un espace neutre de négociation permettant aux détenteurs de droits et aux personnes souhaitant les
acquérir pour les exploiter légalement de se rencontrer.
• L’Agence fournirait une aide aux entreprises souhaitant monter des offres légales et innovantes dans le domaine.
• Elle pourrait « labelliser » les offres légales afin de les distinguer clairement des offres illégales. Ce label permettrait
notamment de protéger les citoyens britanniques contre les
méfaits du téléchargement illégal, parfois synonyme de virus
ou de spyware.
• Les membres de l’Agence, FSI et ayants droit, devront se
conformer à un code de bonnes pratiques qui établira quand et
comment déclencher les actions prises contre les internautes.
L’Agence ne disposant d’aucun pouvoir de régulation, le code
108.
Portail de la campagne de l’industrie du cinéma britannique, <http://www.
youmakethemovies.co.uk>.
86
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de bonnes pratiques devra être approuvé par l’OFCOM (the
Office of Communications) avant d’entrer en vigueur.
• Un internaute suspecté d’utiliser les réseaux de téléchargement illégal pourrait ne pas être responsable pour de nombreuses raisons dont l’usurpation d’adresse IP (IP spoofing) et
l’utilisation de la connexion à l’Internet par un autre individu
(piratage d’une connexion sans fil). L’Agence jouerait le rôle
d’intermédiaire des internautes souhaitant contester une
lettre d’avertissement ou une mesure de limitation technique
de sa ligne.
2.2.2.2 Composition et financement de l’Agence
Sans obligation d’adhésion, l’Agence se composerait d’acteurs
de l’industrie créative et des FSI souhaitant en faire partie.
Son financement serait assuré par les différents acteurs de l’industrie créative et les coûts dépendraient des missions qui lui seraient
confiées. Elle pourrait être composée d’une dizaine de membres et
chargée d’établir un code de bonnes pratiques pour ses membres,
approuvé par l’OFCOM (l’Autorité britannique de régulation des
télécoms, une sorte de CRTC canadien), en plus de faire respecter ce
code. Elle jouerait également un rôle de facilitateur dans la négociation des droits d’auteur.
2.2.2.3 La législation proposée
La future législation imposerait de nouvelles obligations aux
FSI : Une obligation « d’avertissement » : les internautes téléchargeant illégalement des contenus protégés continueraient d’être
avertis par courrier comme c’est le cas aujourd’hui. Les ayants droit
continueraient également de collecter des adresses IP sur les réseaux
de téléchargement illégal qu’ils transmettraient ensuite aux FSI qui
se chargeraient de contacter les abonnés auxquels ces adresses IP
correspondent pour les avertir du délit duquel ils sont suspectés. Cette
première mesure devant permettre de lutter efficacement contre les
utilisateurs occasionnels des réseaux de téléchargement illégal est
manifestement contredite dans les faits, car les premiers résultats
constatés lors de sondages donnent un taux de récidive supérieur à
20 %. Par ailleurs, les courriers envoyés contiendraient toujours les
mêmes informations : conseils pour sécuriser sa connexion Internet ;
informations sur les offres légales et liens pour y accéder ; renseignements sur les droits d’auteur et leur importance pour l’industrie
créative.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
87
Le cas des récidivistes : les FSI devront conserver les données
relatives aux avertissements expédiés à leurs abonnés afin de pouvoir
déterminer à tout moment quels sont les internautes multirécidivistes. En pratique, les FSI alerteraient les détenteurs de droits
lorsque ceux-ci leur feraient parvenir une demande d’avertissement
concernant un cas important de multi-récidive. Les détenteurs de
droits pourraient alors faire une demande auprès d’un tribunal afin
d’obtenir du FSI les informations personnelles de l’abonné pour engager une procédure judiciaire. Quant aux mesures à prendre contre
les récidivistes avant de les poursuivre devant les tribunaux, deux
scénarios sont envisageables : en cas de consensus avec l’industrie,
la législation pourrait énumérer un ensemble de mesures possibles
(blocage de protocoles, limitation de la bande passante), mais laisser
l’Agence des droits numériques, sous réserve de validation de l’OFCOM, décider du moment et de la façon touchant l’application de ces
mesures. Ce scénario plus souple permettrait à l’industrie de s’adapter
plus rapidement aux changements de comportement des pirates et
aux évolutions technologiques. En cas de résistance de l’industrie, la
législation spécifiera clairement les actions à entreprendre, ainsi que
les modalités de mises en place de ces actions.
2.2.3 Où en sommes-nous ?
Le seul moyen dont disposent aujourd’hui les détenteurs de
droits pour tracer l’activité illégale des internautes sur les réseaux
P2P est de relever les adresses IP des machines connectées aux
réseaux de partage illégaux et de les transmettre aux FSI. Cette opération de supervision des réseaux de partage et de collecte d’adresses
IP est généralement déléguée à des entreprises privées qui mettent
en place des solutions automatisées pour collecter les adresses
IP. Ces sociétés ne mettent cependant pas systématiquement en
œuvre les moyens les plus appropriés pour établir la culpabilité des
internautes auxquels correspondent les adresses IP relevées. C’est
pourquoi le Rapport Digital Britain a été largement critiqué par les
principaux intéressés dont les acteurs de l’industrie créative, plus
particulièrement les acteurs de l’industrie du disque. Ces derniers se
demandaient comment les lettres seules parviendraient à atteindre
l’objectif que s’était fixé le gouvernement de réduire de manière significative le téléchargement illégal, alors que des études démontraient
que les personnes téléchargeant illégalement ne changeraient leur
attitude que si elles savaient que les lettres envoyées n’étaient que la
première étape de la procédure et que d’autres actions seraient prises
par les FSI. Selon eux, seules des mesures proportionnées prises par
les FSI seraient plus efficaces). Les critiques ont aussi émané des
88
Les Cahiers de propriété intellectuelle
FSI et des associations de protection des droits des consommateurs,
ceux-ci s’inquiétant du fait que les sanctions prévues à l’encontre des
internautes ne visaient qu’à les criminaliser inutilement.
On sait également que les actions entreprises par les détenteurs de droits n’ont jamais abouti à une baisse du téléchargement
illégal, mais qu’elles ont favorisé l’apparition de nouvelles méthodes
de piratage : nouveaux réseaux, nouveaux protocoles, etc. Quelles que
soient les méthodes de détection utilisées par les sociétés aujourd’hui,
il existe d’ores et déjà des moyens de les contourner avec plus ou moins
d’efficacité, d’autant plus que les réseaux P2P « anonymes » semblent
être la solution privilégiée par les pirates soucieux de continuer de
télécharger illégalement sans être inquiétés.
Les récentes évolutions législatives sont saluées par les ayants
droit et les industries culturelles, mais condamnées par les milieux
culturels et le web britannique. Le Premier ministre Gordon Brown
s’appuyait résolument sur le Rapport Digital Britain pour fixer le
cap du développement numérique en Grande-Bretagne en 2012,
mais avec l’ampleur du phénomène des téléchargements illégaux sur
Internet, le gouvernement a donné une nouvelle orientation au Digital
Britain qui, manifestement, forcerait les FSI à prendre des mesures
draconiennes contre les abonnés les plus actifs sur les réseaux P2P,
tout en recommandant à nouveau le principe de la suspension de
l’accès Internet et en proposant de partager les coûts de la traque des
pirates entre les ayants droit et les FSI. Si, à l’origine, le régulateur
des communications du Royaume-Uni, l’OFCOM, avait jusqu’à 2012
pour examiner si des mesures techniques étaient nécessaires pour
attraper les pirates, il semblerait que les autorités aient jugé ce délai
beaucoup trop long. Selon les estimations, environ sept millions
d’internautes au Royaume-Uni se livreraient au piratage des œuvres
protégées sur Internet.
C’est dans ce contexte que le secrétaire d’État au Commerce
et à l’Innovation, Lord Mandelson, a déposé le 29 octobre 2009 un
amendement qui, selon lui, devrait permettre au Royaume-Uni de
restreindre l’accès à l’Internet des personnes qui persisteraient à
télécharger ou à partager illégalement des fichiers, et ce, de manière
à assurer l’essor des industries britanniques de la création culturelle.
Ce projet de loi destiné à lutter contre les téléchargements
illicites prévoit, dans les situations les plus extrêmes, de supprimer
temporairement l’accès à l’Internet aux utilisateurs, de bloquer les
sites de téléchargement et de réduire la vitesse des bandes passantes. Ces mesures devaient être introduites dans le projet de loi
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
89
sur l’économie numérique (Digital Economy Bill) que le ministre a
déposé le 20 novembre 2009 à la Chambre des Lords. Ce projet de loi
autoriserait le Secrétariat d’État à effectuer n’importe quelle modification aux droits de propriété intellectuelle (droits d’auteur, marques,
brevets, etc.) par la simple voie réglementaire, sans le contrôle du
Parlement. Il pourrait notamment créer de nouvelles peines, telles
des peines d’emprisonnement en cas de partage de fichiers, ou mettre
en place la riposte graduée sans débat. De même, il pourrait concéder des prérogatives d’investigation aux ayants droit qui auraient,
par exemple, la possibilité d’exiger des FSI, des bibliothèques, des
entreprises ou des écoles, qu’ils livrent les informations personnelles
sur les utilisateurs de leur accès Internet, ou qu’ils bloquent l’accès
à certains sites ou protocoles. Ces pouvoirs pourraient être étendus,
voire transformés en « devoirs », à l’égard de tout intermédiaire qui
faciliterait, volontairement ou non, des infractions au droit d’auteur.
Cette loi devait entrer en vigueur en avril 2010 en instaurant
une phase transitoire d’un an pendant laquelle les FSI et l’OFCOM
devront traquer le téléchargement illégal et envoyer des avertissements aux contrevenants. Si, au terme de cette année, la fraude n’a
pas diminué d’au moins 70 %, des mesures de riposte graduée seront
alors mises en place. La coupure de la connexion Internet sera, comme
en France, l’ultime mesure de rétorsion.
C’est dire que le débat sur les moyens de lutter contre le
partage illégal de fichiers fait rage depuis 2007 au Royaume-Uni, les
ayants droit exigeant l’intervention des FSI. Mais ceux-ci, à travers
leur association ISPA (Internet Service Providers’ Association) ont
exprimé leur déception par la proposition de forcer les FSI de suspendre les lignes des utilisateurs. Les principaux FSI, à savoir BT et
Carphone Warehouse, refusent d’endosser ce rôle de policier du Web
ou de faire respecter l’ordre public. Leur rôle ne devrait se limiter,
selon eux, qu’à des considérations techniques, à moins d’une décision
judiciaire.
Du côté de la British Phonographic Industry (BPI), chargée de
défendre les intérêts de l’industrie britannique du disque, l’évolution
du Digital Britain a été accueillie avec un certain enthousiasme. « Le
piratage numérique est un problème sérieux et une vraie menace
pour les industries créatives britanniques a déclaré la BPI dans un
communiqué : La solution au problème du piratage doit être effective,
proportionnée et dissuasive »109.
109.
Traduction proposé par Julien LAUSSON, « Un amendement propose de couper
la connexion aux pirates britanniques les plus actifs », Numerama, 25 août
90
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Les citoyens britanniques ont notamment été invités à se prononcer sur ce projet grâce à une consultation publique réalisée entre
juin et septembre 2009110. Mais, déjà une pétition contre le projet de
loi était déposée sur le site officiel du Premier ministre111 réclamant
« l’abandon » du projet visant à interdire l’accès à Internet à tous ceux
qui partageraient illégalement des fichiers sur des logiciels P2P. Ce à
quoi l’Exécutif anglais a répondu : « Nous ne résilierons pas les comptes des contrevenants, après avoir pris soin de vanter les avantages
des nouvelles technologies dans un préambule. Nous avons ajouté
la suspension [de connexion] à la liste des mesures techniques qui
pourraient être envisagées si les notifications et l’action en justice ne
se révélaient pas aussi efficaces que souhaité dans la lutte contre le
partage illégal de fichiers »112, poursuit le bureau du Premier ministre
Gordon Brown. On fait ainsi passer la pilule de la possible suspension de connexion à grands coups de conditionnels. Suspension qui
vient d’ailleurs remplacer la plus explicite déconnexion, terminologie
désormais introuvable dans les communiqués officiels. À ce titre, une
commission parlementaire, le Joint Committee on Human Rights
(JCHR), a d’ailleurs demandé, au début du mois de février 2010, dans
un rapport plus de détails sur la durée de la suspension temporaire
envisagée en dernier recours, ainsi que sur les preuves sur lesquelles
s’appuieront les mesures restrictives.
Par ailleurs, un nouveau sondage réalisé en 2010 par l’organisation à but non lucratif Open Rights Group, montre que près de 70 %
de la population britannique est farouchement opposée au principe
de la déconnexion et qu’elle rejette la riposte graduée113.
D’après ce sondage114, les Britanniques réclament l’implication
de l’appareil judiciaire et ils défendent l’idée qu’une personne accusée
110.
111.
112.
113.
114.
2009, <http://www.numerama.com/magazine/13743-un-amendement-proposede-couper-la-connexion-aux-pirates-britanniques-les-plus-actifs.html>.
Department for Business, Innovation & Skills, Government statement on the
proposed p2p file-sharing legislation, <http://www.berr.gov.uk/files/file52658.
pdf>.
Site officiel du Bureau du Premier ministre : Petition the Prime Minister to
abolish the proposed law that will see alleged illegal filesharers disconnected from
their broadband connections, without a fair trial, <http://petitions.number10.
gov.uk/dontdisconnectus>.
Traduction proposée par Andréa FRADIN, « Riposte graduée : le gouvernement
britannique sort les pincettes », Écrans, 24 février 2010, <http://www.ecrans.fr/
Riposte-graduee-le-gouvernement,9269.html>.
OPEN RIGHTS GROUP, Disconnection: 70 % say no. Ask your MP (Membre du
Parlement) to support us, <http://www.openrightsgroup.org/assets/files/pdfs/
p2p-briefing-print.pdf>.
OPEN RIGHTS GROUP, Consultation on legislation to address illicit peer-to-peer
(P2P) file-sharing, <http://www.openrightsgroup.org/ourwork/reports/consul
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
91
d’enfreindre le droit d’auteur ne devrait pas voir ses droits réduits.
En ce qui concerne la mesure en elle-même, près de sept personnes
sur dix s’opposent à un système de sanctions qui mettrait en touche
l’appareil judiciaire et le droit à avoir un procès équitable. De l’autre
côté, 16 % des répondants soutiennent le principe de la suspension
de la ligne d’un abonné si plusieurs accusations ont été colligées par
le FSI. Une petite minorité radicale des répondants (7 %) ont révélé
qu’ils pencheraient plutôt vers un mouvement politique qui irait
justement dans le sens de la riposte graduée.
2.2.4 Développements récents
Comme on le constate, après avoir privilégié dans un premier
temps le blocage des sites Internet qui permettent de télécharger
illégalement des contenus protégés sur les réseaux P2P, les autorités
britanniques se sont orientées vers un système de réponse graduée
intégral115. À cet égard, le gouvernement britannique avait d’ailleurs
confirmé, au cours de l’été 2011, son intention de mettre en œuvre le
dispositif exposé dans la Loi sur l’économie numérique (UK Digital
Economy Act 2010) à compter de 2013 ; le Royaume-Uni envisageait
l’envoi d’un courriel à titre de première étape. Cette décision reprend
les dix recommandations du professeur Hargreaves énoncées dans
son rapport sur la propriété intellectuelle116.
En décembre 2012, John Vince Cable, Secrétaire d’État aux
Affaires, à l’Innovation et au Savoir-faire du gouvernement de David
Cameron, a proposé à son tour une série de mesures pour renforcer
la propriété intellectuelle. Il a également évoqué la mise en œuvre de
vastes campagnes d’information à destination des jeunes, plus enclins
à s’approprier illégalement des contenus protégés. Ces propositions
devraient entrer en vigueur au cours de l’année 2013117.
115.
116.
117.
tation-on-p2p-file-sharing> ; également Consultation on Legislative Options to
Address Illicit PeertoPeer (p2p) Filesharing – Response of the Open Rights Group,
<http://www.openrightsgroup.org/uploads/081030_berr_p2p.pdf>.
Barry SOOKMAN, Graduated Response Mapped out in UK Digital Economy Bill,
22 novembre 2009, <http://www.barrysookman.com/2009/11/22/graduated-res
ponse-mapped-out-in-uk-digital-economy-bill>.
Ian HARGREAVES, Digital Opportunity: A Review of Intellectual Property and
Growth, 20 mai 2011, p. 130, <http://www.ipo.gov.uk/ipreview-finalreport.pdf>.
Voir également Barry SOOKMAN, UK Moving Ahead With Graduated Response
After Hargreaves Review of IP, 10 août 2011, <http://www.barrysookman.
com/2011/08/10/uk-moving-ahead-with-graduated-response-after-hargreavesreview-of-ip>.
Modernising Copyright: A Modern, Robust and Flexible Framework – Government
Response to Consultation on Copyright Exceptions and Clarifying Copyright Law,
décembre 2012, <http://www.ipo.gov.uk/response-2011-copyright-final.pdf>.
92
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Sur le plan judiciaire, les deux plus grands FSI du RoyaumeUni (British Telecom et Talk Talk) ont demandé en novembre 2010 à
la Haute Cour de justice de réexaminer le Digital Economy Act 2010
pour en vérifier la légalité118. Après avoir perdu en première instance,
les FSI ont été déboutés en appel le 6 mars 2012, la cour ayant validé
le système du mécanisme de la riposte graduée instauré par la Digital Economy Act 2010 en l’estimant proportionné. Manifestement,
les FSI britanniques pourront désormais, à la demande des ayants
droit, envoyer des lettres d’avertissements à leurs clients soupçonnés
d’avoir téléchargé illégalement des contenus protégés. Toutefois, les
opérateurs disposent encore d’une carte dans leurs mains puisqu’ils
peuvent encore saisir la Cour suprême britannique en vue de faire
entendre leurs arguments119.
Par ailleurs, la Haute Cour de justice a rendu, le 30 avril 2012,
une injonction à l’encontre des cinq principaux FSI britanniques
(British Sky Broadcasting Limited, Everything Everywhere Limited,
TalkTalk Telecommunications Group PLC, Telefonica UK Limited
(O2) et Virgin Media Limited) afin qu’ils empêchent les internautes
d’accéder à la plate-forme de téléchargement The Pirate Bay qui
intègre des moteurs de recherche120.
Cette injonction s’appuyait sur le fondement de l’article 97A
de la Copyright, Designs and Patents Act qui prévoit que la Haute
cour « aura le pouvoir d’ordonner une injonction à l’encontre d’un
FSI, lorsque ce FSI a une réelle connaissance du fait qu’une autre
personne utilise ses services pour enfreindre des droits d’auteur ».
Cette action judiciaire s’inscrit dans le cadre de la lutte contre le
téléchargement non autorisé des contenus protégés par l’implication
des prestataires Internet, intermédiaires entre les internautes et les
sites de téléchargement illégaux.
Il faut également noter que, conformément à l’article 124L
de la Digital Economy Act 2010, des sanctions peuvent être prises à
118.
119.
120.
Julien LAUSSON, « La loi HADOPI britannique réexaminée par la Haute Cour »,
Numerama, 12 novembre 2010, <http://www.numerama.com/magazine/17311la-loi-HADOPI-britannique-reexaminee-par-lahaute-cour.html>.
Olivier ROBILLART, « La Justice britannique s’apprête à autoriser la riposte
graduée », Clubic Pro, <http://pro.clubic.com/legislation-loi-internet/telechargement-illegal/actualite-480272-justice-britannique-apprete-autoriser-ripostegraduee.html>.
Anne-Katel MARTINEAU, « Lutte contre le piratage des œuvres musicales au
Royaume-Uni : l’interdiction d’accéder à “The Pirate Bay” », Avocats.fr, 23 mai
2012, <http://avocats.fr/space/anne-katel.martineau/content/lutte-contre-lepiratage-des-oeuvres-musicales-au-royaume-uni---l-interdiction-d-acceder-a-the-pirate-bay-_341F34A1-4201-4BD7-9D62-9DCAFECEDCEB>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
93
l’encontre des FSI s’ils ne respectent pas leurs obligations d’imposer
des mesures techniques aux abonnés, ou à l’encontre des fournisseurs
et des ayants droit s’ils ne collaborent pas avec l’OFCOM.
3.
BELGIQUE
3.1
Le contexte du téléchargement illégal et du partage
des œuvres protégées en Belgique
La question du téléchargement est devenue un véritable phénomène de société en Belgique. Comme partout ailleurs, l’internaute
télécharge tout et partout sur son ordinateur, son baladeur numérique, son téléphone mobile. Les derniers films sortis au cinéma (ou
bien souvent de plus en plus, encore diffusés en salle), les derniers
albums musicaux, les livres récents ; tout est rendu de plus en plus
rapidement disponible sur la toile.
Les secteurs du livre, de la musique, du film ou du jeu vidéo ont
rapidement pris la mesure de la révolution que leur impose Internet.
Si le téléchargement est en soi un outil de développement culturel, le
téléchargement illégal, lui, est une véritable menace pour la création
culturelle. Ainsi, on assiste actuellement à un gigantesque vol généralisé et organisé. La pratique du téléchargement à travers des offres
illégales de contenu est à ce point confortablement installée que les
internautes n’ont même pas l’impression de porter atteinte aux droits
d’auteur. Le téléchargement illégal s’effectue beaucoup aujourd’hui
sur des réseaux P2P et le comportement du consommateur est guidé
par l’argument que la gratuité de la culture répondrait à une demande
sociale. Ainsi, l’achat d’un CD ou d’un DVD paraît complètement
absurde quand l’Internet vous propose le même contenu sans aucun
frais. La menace est non seulement culturelle, mais aussi économique.
Une étude a récemment démontré l’importance économique
des droits d’auteur et des droits voisins en Belgique. Il s’agit de
secteurs d’activités sur lesquels le droit d’auteur et les droits voisins
ont une importance capitale. Celle-ci a révélé que ce secteur emploie
en 2008 92 286 (ETP) auprès de 9 138 employeurs, ce qui représente
respectivement 3,25 % des travailleurs et 4,07 % des employeurs à
l’échelle nationale. Cela équivaut à 2,9 % du PIB. Près de 100 000
personnes vivent donc du droit d’auteur à travers la création, l’édition, la production et la distribution de films, de livres, de journaux,
d’œuvres musicales, de programmes télévisés et vidéos. Le secteur
a également investi plus de 1,2 milliard d’euros, ce qui équivaut à
2,9 % de l’ensemble des investissements en Belgique. La contribution
économique de ce secteur est donc jugée très importante.
94
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Selon un rapport récent de la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), 95 % du marché de la musique numérique est illégal121. Une étude de marché belge démontre également
que la Belgique et les artistes belges souffrent des téléchargements
illégaux : les résultats permettent de constater que pour un album
téléchargé légalement, cinq sont téléchargés illégalement. La même
constatation vaut également pour des films, des livres, des albums
de bande dessinée et des magazines.
L’industrie de la musique, par exemple, traverse une crise
économique sans commune mesure en Belgique depuis près de dix
ans : le chiffre d’affaires des ventes de musique a en effet baissé de
près de 40 %. Au cours de la période 2000-2008, une baisse de 46 %
a été enregistrée uniquement pour le marché physique des albums
et des singles (passant de 175 millions d’euros en 2000 à 94,5 millions d’euros en 2008), et ce, malgré l’extension de l’offre par les
DVD musicaux (dont la vente a également diminué de plus de 60 %
depuis 2004). Cette baisse des chiffres de vente des supports audio
CD et DVD a quelque peu été atténuée, bien qu’insuffisamment, par
la vente de musique par voie électronique (à des prix plus bas, mais
aussi à des marges inférieures), dont le chiffre d’affaires est passé
de trois millions d’euros en 2005 à 11 millions d’euros en 2008. Quoi
qu’il en soit, si on ajoute au « marché physique » le chiffre d’affaires
du marché numérique, l’industrie du disque subit une perte de 39 %
(de 175 millions d’euros en 2000 à 106 millions d’euros en 2008).
Les raisons de cette forte diminution peuvent être résumées
comme suit :
• une combinaison de la convergence du format mp3 numérique,
le développement du matériel informatique (bon marché) pour
le grand public avec une capacité de stockage qui augmente
sans cesse et la venue de l’Internet à large bande ont permis
l’apparition de systèmes ayant pour but l’échange gratuit et
illégal de fichiers de musique (P2P) ;
• le piratage professionnel ou amateur à échelle commerciale
de CD et de DVD ;
• des marges de plus en plus réduites sur les CD et les DVD
dont le prix de vente en magasin est grugé par le taux de TVA
à 21 %, la nécessité de dépenses en marketing toujours plus
élevées en raison d’une concurrence accrue dans ou avec l’in121.
IFPI, Digital Music Report 2009: New Business Models for a Changing Environment, janvier 2009, <http://www.ifpi.org/content/library/DMR2009-real.pdf>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
95
dustrie des loisirs et de la communication (DVD, jeux, logiciels,
téléphonie mobile, etc.) et le partage des revenus de la vente
avec les sociétés de médias, de distribution et de télécommunications dans le cadre du développement de nouveaux modèles
d’exploitation.
Cette baisse des ventes a eu un effet direct et immédiat sur
les revenus des artistes et des auteurs, étant donné qu’une partie
de ces revenus provient de la vente de supports (redevances sur la
reproduction mécanique). Les revenus des auteurs de musique ont
ainsi baissé de 40 % depuis 2002, passant de 21,8 millions d’euros à
13,2 millions d’euros122. C’est dire que l’offre non autorisée de contenus
culturels sur Internet et le téléchargement qui en est fait n’ont pas
que des répercussions sur l’économie de la création au sens strict, à
savoir au niveau des auteurs, des artistes, des éditeurs ou d’autres
producteurs. En effet, lorsque la société belge SONICA, propriétaire
de 61 magasins qui vendent des CD, DVD et jeux vidéo a fait faillite
récemment, elle a entraîné dans son sillage une perte d’emploi pour
plus de 400 personnes en Belgique.
Une étude relative au comportement de téléchargement, réalisée en automne 2009 par Karel De Grote Hogeschool (Anvers) auprès
de plus de 1 100 étudiants dans différentes universités et hautes
écoles belges, fait ressortir les constats suivants :
• chaque étudiant télécharge annuellement 1 332 chansons, 108
films et 11 jeux vidéo sur l’Internet ;
• un sur dix répondants ne sait pas s’il télécharge de la musique
(11 %), des films (10 %) ou des jeux (11 %) d’une source légale
ou illégale ;
• seulement 25 % des répondants téléchargent de la musique
d’une source légale, 11 % pour les films et 27 % pour les jeux
vidéo ;
• seulement un sur trois répondants est prêt à payer pour télécharger de la musique, des films, des séries TV et des jeux
vidéo ;
• 50 % des répondants arrêteraient de télécharger illégalement
s’il y avait un risque réel d’amendes et 35 % le feraient si le
téléchargement illégal était contrôlé.
122.
Chiffres tirés du Rapport annuel 2008 – Société Belge des auteurs, compositeurs et éditeurs (SABAM), <http://www.sabam.be/website/data/Rapports_
annuels/2008_FR.pdf>.
96
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Pour le gouvernement belge, ces chiffres démontrent qu’il est
aujourd’hui vital pour le secteur d’adapter la législation au développement du monde numérique, car les conséquences culturelles et
économiques sont telles qu’on ne peut rester inactif face à ce qu’il
qualifie de véritable « hémorragie » des œuvres sur Internet. Il faudrait donc trouver un équilibre entre le développement de la création
culturelle et le respect des libertés individuelles.
3.2
Des initiatives belges pour lutter contre l’offre
et l’échange illicite sur Internet
En Belgique, bien que les autorités étatiques ne se soient pas
encore positionnées sur la lutte contre le piratage en ligne, attendant
une décision ferme des instances européennes, elles ont toutefois déjà
mené des initiatives juridiques, politiques et commerciales.
3.2.1 La voie juridique
Si, dans l’état actuel des choses, il n’existe pas de législation
spécifique organisant la lutte contre les téléchargements illégaux, ce
statut quo n’a cependant pas empêché un juge d’ordonner à un FSI
qu’il bloque les sites de téléchargement illégaux, ni la mise en place,
dans la pratique, de mécanismes visant à endiguer le piratage en
ligne. Certains textes portent cependant sur cette problématique, à
savoir : la Loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits
voisins, qui punit le délit de contrefaçon et les personnes qui contournent les mesures techniques de protection des droits ; la Directive
2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 dite
Directive sur le commerce électronique, qui édicte des limitations de
responsabilités des FSI ; la Loi du 11 mars 2003 sur certains aspects
juridiques des services de la société de l’information, qui transpose
la directive européenne relative au commerce électronique et qui
impose au FSI, lorsqu’il a une connaissance effective d’une activité
d’hébergement ou d’une information de téléchargement illicite, de la
communiquer au Procureur du Roi ; la Loi du 9 mai 2007 relative aux
aspects civils de la protection des droits de la propriété intellectuelle
et la Loi du 10 mai 2007 relative aux aspects de droit judiciaire de la
protection des droits de propriété intellectuelle123.
Par ailleurs, des directives européennes ont été transposées
en droit belge. D’une part, la Directive 2004/48/CE du Parlement
européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits
123.
Voir Chambre des Représentants de Belgique, DOC 51 2943/001 et DOC 51
2944/001, <http://www.lachambre.be/doc/flwb/pdf/51/2944/51k2944001.pdf>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
97
de propriété intellectuelle, qui est une transposition en droit européen
de l’accord ADPIC (Accord sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce) de l’OMC et qui a pour objet
de donner des armes juridiques efficaces aux titulaires de droits de
propriété intellectuelle pour mieux lutter contre les atteintes à leurs
droits. D’autre part, la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 relative
à l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits
voisins dans la société de l’information (la DADVSI française), qui vise
à encadrer tant la diffusion de l’infinité d’œuvres qui circulent en permanence sur Internet et les réseaux mobiles de troisième génération
que leur protection au titre du droit d’auteur ou des droits voisins
(artistes, producteurs, organismes de radiodiffusion), et permettre
à tous d’écouter la radio sur Internet, de regarder la télévision, de
visionner des films, de s’échanger des fichiers musicaux, d’accéder à
des archives de journaux en ligne, etc. En adoptant la Loi du 22 mai
2005 sur le droit d’auteur124, la Belgique a transposé ces directives
en droit national. Les dispositions de cette loi permettent aux détenteurs de droits de s’adresser aux juridictions civiles afin d’obtenir la
cessation d’une atteinte à leurs droits. Ils peuvent en outre obtenir
une injonction de cessation à l’encontre des intermédiaires dont les
services sont utilisés par un tiers en atteinte à un droit d’auteur.
Certes, des actions peuvent être menées contre les téléchargements illégaux, notamment en invoquant les dispositions de cette loi,
parfois même en réclamant en justice une obligation de filtrage par
les FSI. Comme il s’agit toujours de dispositions diverses contenues
dans des lois qui ne poursuivent pas un objectif spécifique de lutte
contre le piratage électronique, les interventions sont difficiles à
mener, les recours sont rares et ils se perdent dans les méandres des
diverses législations.
3.2.2 En matière pénale
Malgré cet arsenal de dispositions légales, il n’en demeure pas
moins que la pratique du P2P n’est pas en tant que telle réglementée
en droit belge. Cependant, l’absence de réglementation spécifique ne
signifie pas que l’opération d’échange de fichiers contenant des copies
d’œuvres protégées puisse se faire en Belgique sans risque de poursuites tant civiles que pénales. L’arsenal législatif belge dispose pourtant
d’éléments qui qualifient le téléchargement illégal de contrefaçon :
l’internaute qui diffuse des œuvres protégées s’acquitte rarement des
droits de communication publique et de reproduction. Dès lors que
l’origine du document téléchargé n’est pas licite, le téléchargement
124.
Cette loi est publiée au Moniteur du 27 mai 2005, p. 24997.
98
Les Cahiers de propriété intellectuelle
est considéré comme illégal. Cependant, même si elles existent, les
sanctions sont rarement appliquées. En plus des actions sur plaintes
des « majors », le Parquet détient d’office un pouvoir d’action, mais ce
genre de procédure exceptionnelle, qui n’est pas utilisée couramment,
vise surtout les gros consommateurs qui font commerce des œuvres
piratées.
Dans ce contexte, la Loi du 15 mai 2007 relative à la répression
de la contrefaçon et de la piraterie des droits de propriété intellectuelle125 prévoit l’attribution de pouvoirs de recherche et de constatation des infractions à des agents fédéraux belges des Finances et
de l’Économie. Malgré ces nouveaux pouvoirs, ces agents n’auraient
encore reçu aucune plainte dans la mesure où la Belgian Anti-piracy
Federation, dont l’objectif consiste à défendre les intérêts de l’industrie
de la musique, du film et du jeu vidéo dans la lutte en Belgique contre
les copies illégales et la piraterie en ligne, a toujours saisi jusqu’à
présent les services de la police des atteintes aux droits de propriété
intellectuelle de ses membres en matière de téléchargement illégal
sur Internet.
Parallèlement, la concertation entre le département fédéral de
l’Économie et le Federal Computer Crime Unit de la police judiciaire
fédérale a permis la création d’un point de contact en ligne eCops
qui permet à tous les utilisateurs de l’Internet de signaler des délits
commis sur ou au moyen de l’Internet126.
Les lois du 15 mai et du 22 mai 2007 ont jusqu’à présent permis
aux tribunaux belges de sanctionner deux catégories de participants
(activement ou passivement) à un système d’échange P2P : les intermédiaires de l’Internet, en l’espèce les FSI, et les internautes utilisant des logiciels P2P. Une troisième catégorie a aussi fait l’objet de
poursuites, mais hors-Belgique. Il s’agit des éditeurs de logiciels P2P.
Concernant la première catégorie, à savoir les intermédiaires
de l’Internet, il semble en effet que les juridictions belges soient les
premières à avoir appliqué la Directive 2001/29 sur l’harmonisation
de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la
société d’information à l’encontre d’un FSI, en l’espèce dans le cadre
d’une action en cessation introduite par la Société belge des auteurs,
compositeurs et éditeurs (SABAM) contre Tiscali (rachetée plus tard
par la S.A. Scarlet) ; et cela, avant même que cette Directive soit introduite en droit belge. Le Tribunal a constaté l’existence d’atteintes au
125.
126.
Voir Chambre des Représentants de Belgique, DOC 51 2852/001, <http://www.
lachambre.be/doc/flwb/pdf/51/2852/51k2852001.pdf>.
Portail de eCops, <https://www.ecops.be/webforms/Default.aspx?Lang=FR>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
99
droit d’auteur dans des œuvres musicales du répertoire de la SABAM,
en particulier des droits de reproduction et de communication au
public, du fait de l’échange non autorisé de fichiers électroniques
musicaux illicites réalisé grâce à des logiciels P2P. Cependant, le
tribunal n’a pas statué, attendant les conclusions d’experts quant
à la possibilité pour Tiscali de filtrer les échanges non autorisés de
fichiers sur son réseau.
Quant à la deuxième catégorie, à savoir les internautes qui
utilisent les logiciels P2P afin de partager ou de télécharger des copies
d’œuvres protégées, l’échange d’un fichier par l’intermédiaire d’un
logiciel P2P se réalise au moyen de deux opérations distinctes : la mise
à disposition par un premier internaute, avec son logiciel P2P, d’un
fichier présent sur son disque dur de manière à le rendre accessible
aux autres utilisateurs du logiciel et d’assurer son transfert vers un
autre ordinateur, puis, le téléchargement par un deuxième internaute
du fichier partagé, c’est-à-dire son transfert et sa reproduction sur le
disque dur de son ordinateur.
La première opération peut être analysée, au regard de la
Loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins,
comme un acte de communication au public soumis à l’autorisation
de l’auteur. Mais une disposition de cette loi prévoit cependant que,
lorsqu’une œuvre a été licitement publiée, l’auteur ne peut interdire
la communication gratuite et privée effectuée dans le cercle de la
famille. Cette question n’a pas été définitivement tranchée par les
tribunaux en raison de l’interprétation de la notion de « cercle de
famille », entendue autrement comme comprenant l’ensemble de la
communauté des internautes participant à un système d’échange P2P.
La deuxième opération, c’est-à-dire le téléchargement d’une
œuvre protégée, peut être qualifiée, au regard de la loi, d’un acte
de reproduction soumis à l’autorisation de l’auteur. À nouveau, il
apparaît difficile d’invoquer ici l’exception pour copie privée, prévue
dans la loi, au regard de l’interprétation stricte à donner à la notion
de « cercle de famille ».
Des internautes ont toutefois été condamnés par des tribunaux
belges pour contrefaçon en qualifiant les deux opérations susmentionnées d’actes de représentation consistant dans la communication de
l’œuvre au public des internautes par télédiffusion et de reproduction,
chaque fichier d’une œuvre numérisée étant copié pour être stocké sur
le disque dur de l’internaute qui le réceptionne. Les internautes ont
en outre été contraints de payer des indemnités à titre de dommagesintérêts aux parties civiles, en l’espèce l’IFPI et la SABAM.
100
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Il s’agit de l’épineuse affaire opposant un ayant droit, la
SABAM, à un FSI, Scarlet, pour laquelle le tribunal de première
instance de Bruxelles avait estimé que le FSI n’avait finalement
pas à payer les 750 000 euros d’astreintes dans l’attente du filtrage
de ses abonnés. En l’espèce, en application des dispositions de la loi
belge sur le droit d’auteur, la SABAM a obtenu, le 29 juin 2007, un
jugement ordonnant à la S.A. Scarlet, de « faire cesser les atteintes
au droit d’auteur et ce, en rendant impossible toute forme, au moyen
d’un logiciel P2P, d’envoi ou de réception par ses clients de fichiers
électroniques reprenant une œuvre musicale du répertoire de la
SABAM »127. Il s’agit d’une décision inédite puisque prônant une
solution de filtrage face à ce phénomène de téléchargement illégal. La
décision laissait à Scarlet le soin de choisir le filtrage le plus adapté
pour atteindre cet objectif, mais sous astreinte de 2 500 € par jour
de retard. Scarlet avait toutefois expliqué aux magistrats être dans
l’impossibilité de mettre en place un tel filtrage « efficace ». Mais la
partie adverse prenait appui sur les conclusions d’un expert selon
lesquelles ces technologies de filtrage auraient déjà été testées chez
des FSI asiatiques et américains. Scarlet estimait en effet que, par
la mise en place d’un filtrage systématique des contenus de son offre
d’accès à l’Internet, le juge violait l’interdiction d’imposer une obligation générale de surveillance des réseaux en vertu de la directive
européenne sur le commerce électronique.
Sur ce point, en effet, la Directive 2000/31/CE du Parlement
européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects
juridiques des services de la société de l’information et notamment
commerce électronique, dans le marché intérieur (appelée « Directive
sur le commerce électronique ») et sa loi de transposition en droit
belge du 11 mars 2003 ont instauré un système de non-responsabilité limitée ou conditionnelle en consacrant un régime d’exonération
de responsabilité des intermédiaires de l’Internet. En vertu de ce
système, les prestataires intermédiaires ne sont pas responsables
en principe des contenus qui transitent sur leurs serveurs, sauf si
certaines conditions énumérées dans la loi viennent à être remplies.
Il s’ensuit que les intermédiaires de l’Internet ne se voient imposer
aucune obligation active de contrôle ou de surveillance des contenus
transitant sur leurs serveurs. Seules peuvent leur être imposées
des obligations temporaires de surveillance de leurs réseaux, et ce,
dans des cas spécifiques. Par ailleurs, il est toujours permis d’agir en
cessation à l’encontre d’un prestataire intermédiaire.
127.
Voir jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles, SABAM c. SCARLET, 29 juin 2007, <http://www.foruminternet.org/telechargement/documents/
tpi-bru20070629.pdf>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
101
Dans la décision portée en appel, la cour constatait que le juge
de première instance avait bien la possibilité de rendre « une injonction de cessation à l’encontre des intermédiaires dont les services sont
utilisés par un tiers pour porter atteinte aux droits d’auteur ou à un
droit voisin ». Plus précisément, il pouvait exiger à peu près tout de
n’importe qui, y compris le filtrage, indique le droit belge. Mais, le
problème ici est que le droit belge n’est pas autonome et il s’inscrit
dans le droit européen. En l’occurrence, « le droit communautaire
exige des États membres que, lors de la transposition des directives,
ils veillent à se fonder sur l’interprétation de celles-ci qui permettent
d’assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux
protégés par l’ordre juridique communautaire. Ensuite, lors de la mise
en œuvre des mesures de transposition desdites directives, il incombe
aux autorités et aux juridictions des États membres non seulement
d’interpréter leur droit national d’une manière conforme à ces mêmes
directives, mais également de ne pas se fonder sur une interprétation
de celles-ci qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux
ou avec les autres principes généraux du droit communautaire, tel
que le principe de proportionnalité »128.
En clair, avant de rendre sa décision, la justice belge pose une
question préjudicielle à la Cour européenne de justice, pour savoir
si, à son échelle, ces mesures étaient compatibles avec le droit européen qui a une force juridique supérieure à celle du droit interne : le
droit européen autorise-t-il 1) à identifier les fichiers échangés sur
les réseaux et 2) à bloquer ces transferts lorsqu’ils sont illicites ?
Dans l’affirmative, doit-il y avoir proportionnalité entre la mesure
demandée et son efficacité pratique ?
La réponse à cette question préjudicielle129 pourrait avoir un
impact considérable sur l’ensemble des législations qui ont souhaité
expérimenter le filtrage des contenus sur l’Internet.
128.
129.
Affaire C-275/06 : Productores de Música de España (Promusicae) c. Telefónica
de España SAU (demande de décision préjudicielle, introduite par le Juzgado
de lo Mercantil no 5 de Madrid), 29 janvier 2008, <http://eur-lex.europa.eu/
LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62006CJ0275:FR:HTML>.
La question préjudicielle est une procédure spéciale qui intervient dans des
procès nationaux. À cette occasion, une juridiction nationale a la possibilité de
questionner la Cour de Justice de l’Union européenne pour connaître sa position
sur une problématique déterminée. Le tribunal national n’est pas lié par la
réponse, mais celle-ci sera à coup sûr celle rendue par la Cour européenne si la
procédure remonte finalement jusqu’à elle.
102
3.3
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Où en sommes-nous ?
En plus de la voie juridique, les acteurs du secteur ont souhaité
coopérer pour résorber l’offre illégale sur l’Internet. Ainsi, déjà en
1999, un protocole de coopération a été signé entre l’association belge
des fournisseurs d’accès Internet (ISPA) et les ministres de la Justice
et des Télécoms. Cet accord prévoit entre autres des mécanismes de
relais d’informations entre les deux instances et des mesures plus
concrètes liées au blocage d’accès des contenus illicites sous l’égide
de l’autorité judiciaire. Plus récemment, en 2005, l’ISPA et les représentants de l’industrie musicale (IFPI) ont conclu un accord visant
à lutter contre la distribution illicite de musique en ligne au moyen
des nouveaux groupes de discussion. Selon cet accord, l’IFPI peut
solliciter de l’ISPA qu’elle bloque l’accès des groupes de discussion qui
génèrent une quantité substantielle de contenus musicaux illicites
ou de liens vers de tels contenus. Cette tendance se généralise en
outre hors-Belgique, notamment en Grande Bretagne ou encore en
France, avec les accords récents conclus entre la société Daily Motion
et les sociétés de gestion des droits d’auteur, accords grâce auxquels
ces sociétés pourront percevoir des droits pour les œuvres de leurs
membres exploitées sur ce site de partage de vidéos.
Par ailleurs, la lutte contre la contrefaçon est abordée dans le
plan d’action 2008-2009 pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale
présenté le 2 juillet 2008 par le secrétaire d’État pour la Coordination
de la lutte contre la fraude qui milite pour une collaboration des services douaniers et les autres administrations fiscales avec des services
dont la Federal Computer Crime Unit (FCCU) de la police fédérale
et la cellule Veille Internet du ministère fédéral de l’Économie à cet
effet130. À cet égard, la FCCU reçoit une quinzaine de plaintes par an
et elle intervient directement chez les particuliers. Cette procédure
particulièrement intrusive aboutit à des amendes allant de 500 à
500 000 euros d’amendes et à des peines d’emprisonnement. Malgré
cette menace susceptible d’effrayer les internautes fraudeurs, les
avertissements de ce genre sont rarement pris en considération par les
utilisateurs qui savent que la justice ne dispose pas d’outils suffisants.
C’est pourquoi la Belgique veut aller plus loin en présentant
un dispositif complet, spécifique et adapté pour lutter contre le téléchargement illégal.
130.
Secrétariat d’État à la Coordination de la lutte contre la fraude – Collège pour
la lutte contre la fraude fiscale et sociale : plan d’action 2008 – 2009, présenté le
2 juillet 2008, <http://www.socialsecurity.fgov.be/docs/fr/news/actieplan_fraude
bestrijding_2008_2009_fr.pdf>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
103
C’est ainsi que le 7 février 2013, le sénateur et ministre d’État
belge chargé des affaires économiques, monsieur Philippe Monfils,
a déposé au Parlement fédéral une Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet en Belgique, fortement
inspirée de la riposte graduée française, et il souhaite qu’un débat
ait également lieu en Belgique sur ce sujet. Ce projet de loi, qui est
soumis au débat parlementaire fédéral belge, propose un système qui
prévoit une réponse graduée face aux téléchargements illégaux par
des titulaires d’un accès à un service de communication au public en
ligne131. Ainsi, le mécanisme originel de la riposte graduée, unique en
Belgique, comporte une première phase administrative, une seconde
phase juridictionnelle et une riposte graduée qui passe d’abord par
une amende, laquelle est ensuite couplée à une suspension progressive
de l’accès à l’Internet.
Quatre étapes sont alors successivement mises en œuvre132 :
1. Un avertissement est envoyé à l’internaute qui téléchargerait du contenu illégal par un courriel de mise en garde l’incitant à se diriger vers un site de téléchargement légal. Le
contenu des œuvres concernées par cette infraction n’est
pas divulgué. Comme avec l’HADOPI en France, le suspect
doit demander à ce qu’on lui précise le nom du contenu
piraté.
2. En cas de récidive dans les six mois, une amende dont le
montant est déterminé par l’administration est imposée
avec, en contrepartie, le renoncement à des poursuites
pénales.
3. En cas de nouvelle récidive, le dossier est envoyé au Parquet qui pourra ordonner, au choix, le classement sans suite,
une transaction financière, la convocation du fautif avec
médiation, la saisie du tribunal. Dans ce dernier cas, le
juge pourra condamner le récidiviste à une amende et ordonner la limitation du débit de l’abonnement à l’Internet
concerné. Cette limitation laisse intactes toutes les autres
utilisations de l’Internet, mais rend cependant tout téléchargement extrêmement difficile de manière telle que le
titulaire fautif sera découragé de recourir à cette technique.
131.
132.
Voir Lettre ouverte au Sénateur Philippe Monfils, 7 février 2010, et réponse du
Sénateur Monfils, 8 février 2010, <http://desguin.net/spip/spip.php?breve82>.
Texte de la proposition de loi soumise au Parlement fédéral belge, <http://
desguin.net/spip/spip.php?article188> (texte commenté) et <http://www.lesoir.
be/mediastore/_2010/janvier/du_21_a_la_fin/telechargement.pdf>.
104
Les Cahiers de propriété intellectuelle
4. En cas de troisième récidive, l’amende est doublée et l’accès
à l’Internet peut être complètement suspendu (contrairement à la loi française)133.
Toutes les étapes peuvent faire l’objet d’un appel auprès du
ministre compétent pour la première amende, sauf le premier avertissement.
Le régime belge ferait toutefois preuve de beaucoup plus de
souplesse que celui en France. En effet, pour mettre en action les différentes étapes de sanction le texte ne crée pas d’autorité administrative
(genre HADOPI) pour gérer les avertissements, mais il donne pouvoir
à des agents commissionnés par le ministre chargé de l’Économie de
constater les infractions et de demander aux FSI les coordonnées
des abonnés suspects. Ce système est notamment utilisé pour lutter
contre la piraterie et la contrefaçon (Loi du 15 mai 2007 relative à
la contrefaçon et à la piraterie des droits de propriété intellectuelle).
Les agents ministériels seront dotés de pouvoirs d’investigation. Ils pourront décider d’amendes administratives dont le paiement
éteint l’action publique. Ce sont eux qui transmettront, le cas échéant,
les dossiers au Procureur du Roi si le titulaire commet une troisième
infraction dans un délai de deux ans après la sanction encourue lors
de la deuxième infraction. La proposition prévoit, à l’instar de la loi
du 15 mai 2007 précitée, des agents qui recherchent et qui constatent
des infractions et des agents qui décident de la sanction. Cependant,
pour être applicable, la proposition de loi requerra le recrutement
d’agents spécialement formés à la lutte contre les téléchargements
illégaux. Mais ce n’est pas le législateur qui fixera les moyens pris par
le pouvoir exécutif en vue de l’application de la loi. Un arrêté royal
organisera la structure d’un service éventuel et il en fixera le cadre.
Par ailleurs, un ayant droit pourrait porter plainte contre le
responsable de téléchargements illégaux. Le Procureur du Roi pourrait, dans le cadre de ses pouvoirs, prendre contact avec le Ministère
compétent pour savoir si l’internaute fait déjà l’objet de mesures
dans le cadre de la riposte graduée et décider soit du non-lieu, compte
tenu de la procédure engagée par les agents commissionnés, soit de
poursuivre quand même au pénal.
133.
Voir Guillaume CHAMPEAU, « Hadopi belge : le débit bridé ou l’internet
coupé par un juge », Numerama, 2 février 2010, <http://www.numerama.com/
magazine/14993-hadopi-belge-le-debit-bride-ou-l-internet-coupe-par-un-juge.
html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
105
Dans le même ordre d’idées, les intérêts civils des ayants droit
sont indépendants de cette proposition de loi. Ainsi, un ayant droit
peut parfaitement citer un titulaire au civil en demandant des dommages et intérêts pour téléchargement illégal lui causant préjudice,
même si le train des sanctions prévues par la présente proposition de
loi n’est pas engagé. S’il y a recours au tribunal lors de la troisième
infraction, il est probable qu’il y aura, le cas échéant, constitution de
partie civile.
Enfin, la proposition de loi prévoit la création d’un conseil
consultatif composé de toutes les parties intéressées. Il assure le suivi
de l’application de la loi, donne un avis préalable à toute réglementation et formule des propositions d’évaluation du système.
Cette proposition d’une réponse graduée à la belge a été abandonnée en 2010 à la suite du départ à la retraite politique du sénateur
Monfils qui l’avait portée. Mais une contre-réponse graduée a été
organisée par le sénateur Miller qui a déposé une proposition de loi
visant à mieux protéger la création culturelle sur l’Internet134. Le
système proposé s’articule pour l’essentiel autour de cinq piliers :
1. renforcer la lutte contre les sites pirates en imposant des
mesures supplémentaires pour endiguer leur augmentation constante ;
2. fournir de l’information sur l’utilisation des offres en ligne
licites et à les encourager afin de modifier le comportement
des internautes ;
3. mettre en place un système d’opérateurs de bases de données permettant de mettre les créations à la disposition du
public ;
4. permettre aux FSI de réfléchir aux conditions et aux limites du partage de contenus créatifs protégés par le droit
d’auteur ; et
5. le plus important de tous, mettre en œuvre une politique de
sanction en quatre étapes applicable aux internautes qui
ne respectent pas les conditions et les limites imposées au
partage de contenus créatifs protégés ou qui les téléchargent de manière illicite (articles 14 à 24).
134.
Proposition de loi favorisant la protection de la création culturelle sur Internet,
Doc. Parl., Sénat, 2010-2011, no 5-741/1, <http://merlin.obs.coe.int/iris/2011/5/
article7.fr.html>.
106
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En clair, cette dernière proposition instaurait un mécanisme
de réponse graduée en quatre étapes : l’envoi d’un avertissement
à l’abonné par l’intermédiaire du FSI ; l’envoi d’une lettre recommandée reprenant les mentions de la première lettre et proposant à
l’abonné le paiement d’une amende, si l’abonné commet une nouvelle
infraction dans les six mois ; la transmission du dossier au Parquet
si l’internaute récidive.
Le juge pouvait alors décider de condamner l’internaute à une
amende et à une limitation de l’accès au service de communication
au public en ligne. À la suite de l’audition des parties intéressées au
Sénat le 11 mai 2011 et, notamment des ayants droit, le sénateur
Miller a déposé un amendement visant à retirer de sa proposition
ce volet de la « réponse graduée » par la suppression des articles 14
à 24. La « HADOPI belge » s’est ainsi trouvée amputée de sa partie
répressive135. Elle a donc été enterrée, mais pas le filtrage qui, lui,
demeure. En effet, les parlementaires belges ont accepté de renoncer
à tout projet de riposte graduée en Belgique, mais ils n’ont pas fait
l’impasse sur un accord de filtrage ou de bridage négocié entre les
ayants droit et les FSI136.
3.4
Développements récents : l’affaire Scarlet c. Sabam
3.4.1 L’avis de l’avocat général
Le 14 avril 2011, l’avocat général de la Cour de justice de
l’Union européenne a rendu ses conclusions dans l’affaire SABAM/
Scarlet, qui posait la question de la légalité et des modalités du filtrage au regard du droit européen. Cette problématique implique la
question de la protection des droits d’auteur, d’une part, et celle des
données personnelles, d’autre part137.
Les conclusions de l’avocat général concernaient le litige opposant Scarlet, une FSI belge, et la SABAM, société belge des auteurs,
compositeurs et éditeurs. La SABAM envisageait l’application d’une
arme issue du droit de la propriété intellectuelle belge selon laquelle
« le président du tribunal de première instance et le président du
135.
136.
137.
NURPA Bruxelles, La HADOPI belge amputée de sa partie répressive, 12 mai
2011, <http://nurpa.be/actualites/2011/05/HADOPI-belge-amputee-partierepressive.html>.
Guillaume CHAMPEAU, « La Hadopi belge est enterrée, mais pas le filtrage »,
Numerama, 12 mai 2011, <http://www.numerama.com/magazine/18776-lahadopi-belge-est-enterree-mais-pas-le-filtrage.html>.
Marc REES, « Filtrage et blocage généralisés déclarés illicites par l’avocat de la
CJUE », PC INpact, 14 avril 2011, <http://www.pcinpact.com/actu/news/63088scarlet-sabam-filtrage-blocage-cjue.htm>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
107
tribunal de commerce [ ] constatent l’existence et ordonnent la cessation de toute atteinte au droit d’auteur ou à un droit voisin »138.
Pour la SABAM, le juge pouvant ordonner tout et n’importe quoi
pour stopper les échanges illicites, il doit pouvoir exiger le filtrage et
le blocage de la part des FSI. Par conséquent, la SABAM réclamait
un filtrage systématique, universel, permanent et perpétuel, dont la
mise en place n’est assorti d’aucune garantie spécifique, en ce qui
concerne notamment la protection des données personnelles et la
confidentialité des communications, et contre lequel les internautes
n’ont aucun moyen de contester le bien-fondé.
L’avocat général devait donc statuer sur les questions suivantes
qui lui étaient posées : Quelle est la nature et les caractéristiques de
la mesure à adopter (filtrage, blocage) ? Quelles sont les dispositions
de la Convention européenne des droits de l’homme qui sont mises
en cause ? Le cas échéant, comment marier le filtrage avec les droits
fondamentaux ? Finalement, est-ce que le seul droit belge est prêt à
valider ces mesures de blocage ?
Selon les conclusions de l’avocat général, le droit européen
s’oppose bien à l’adoption par une juridiction nationale d’une mesure
ordonnant à un FSI de mettre en place, à l’égard de toute sa clientèle,
in abstracto et à titre préventif, à ses frais exclusifs et sans limitation
dans le temps, un système de filtrage de toutes les communications
électroniques, tant entrantes que sortantes, transitant par ses services, notamment par l’emploi de logiciels P2P, en vue d’identifier
sur son réseau la circulation de fichiers électroniques contenant une
œuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle sur laquelle le
demandeur prétend détenir des droits et, ensuite, de bloquer le transfert de ceux-ci, soit au niveau de la requête, soit à l’occasion de l’envoi.
Saluant cet avis qui a une portée européenne, la députée
européenne Françoise Castex a déclaré139 :
Cette décision fait largement écho au débat français relatif à
l’instauration du filtrage. Ici ce sont les mesures de filtrage
dans leur ensemble qui sont mises en cause en ce qu’elles
restreignent les libertés des utilisateurs. C’est l’atteinte à la
protection juridictionnelle efficace des utilisateurs concernés
138.
139.
Marc REES, « L’affaire SABAM/Scarlet, trouble-fête du filtrage version Hadopi »,
PC INpact, 14 avril 2011, <http://www.pcinpact.com/news/63091-scarlet-sabamcjue-filtrage-hadopi.htm>.
Olivier CHICHEPORTICHE, « Pour l’Europe, le filtrage imposé aux FAI est
contraire aux droits fondamentaux », ZDNet France, 14 avril 2011, <http://www.
zdnet.fr/actualites/pour-l-europe-le-filtrage-impose-aux-fai-est-contraire-auxdroits-fondamentaux-39759976.htm>.
108
Les Cahiers de propriété intellectuelle
qui est mise en défaut. Les mesures de filtrage ne doivent pas
prendre les citoyens au dépourvu. Ceux-ci doivent pouvoir
faire valoir leurs droits fondamentaux en ayant notamment la
possibilité de contester les mesures mises en place !
Faisant suite à cet avis, les juges de la Cour de justice de l’Union
européenne ont confirmé les conclusions de l’avocat général dans un
arrêt rendu le 24 novembre 2011140.
3.4.2 L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne :
interdiction de tout filtrage sur Internet pour motif
de protection des droits d’auteur
Dans son arrêt141, la Cour rappelle, tout d’abord, que les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent demander qu’une
ordonnance soit rendue à l’encontre des intermédiaires, tels que les
FSI, dont les services sont utilisés par des tiers pour porter atteinte
à leurs droits. En effet, les modalités des injonctions relèvent du droit
national. Toutefois, ces règles nationales doivent respecter les limitations découlant du droit de l’Union européenne dont, notamment,
l’interdiction prévue par la Directive sur le commerce électronique142
selon laquelle les autorités nationales ne doivent pas adopter des
mesures qui obligeraient un fournisseur d’accès à Internet à procéder
à une surveillance générale des informations qu’il transmet sur son
réseau.
À cet égard, la Cour constate que l’injonction en question
obligerait Scarlet à procéder à une surveillance active de
l’ensemble des données de tous ses clients afin de prévenir
toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle. Il s’ensuit
que l’injonction imposerait une surveillance générale qui est
incompatible avec la directive sur le commerce électronique.
140.
141.
142.
Guillaume CHAMPEAU, « Affaire SABAM : Grande victoire contre le filtrage
généralisé en Europe ! », Numerama, 24 novembre 2011, <http://www.numerama.
com/magazine/20696-affaire-sabam-grande-victoire-contre-le-filtrage-genera
lise-en-europe.html>.
Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 24 novembre 2011, Scarlet Extended
SA contre Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs SCRL (SABAM).
Demande de décision préjudicielle : Cour d’appel de Bruxelles – Belgique, <http://
curia.europa.eu/juris/liste.jsf?language=fr&num=c-70/10>.
Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000
relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information,
et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (JO L 178,
p. 1).
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
109
De plus, une telle injonction ne respecterait pas les droits
fondamentaux applicables.143
Certes, la protection du droit de propriété intellectuelle est
consacrée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cela étant, il ne ressort nullement de la Charte, ni de la
jurisprudence de la Cour, qu’un tel droit serait intangible et que
sa protection devrait donc être assurée de manière absolue. Or, en
l’occurrence, l’injonction de mettre en place un système de filtrage
implique de surveiller, dans l’intérêt des titulaires de droits d’auteur,
l’intégralité des communications électroniques réalisées sur le réseau
du FSI concerné, cette surveillance étant en outre illimitée dans le
temps. Ainsi, une telle injonction entraînerait une atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise de Scarlet, puisqu’elle l’obligerait à mettre
en place un système informatique complexe, coûteux et permanent
à ses seuls frais.
De plus, les effets de l’injonction ne se limiteraient pas à
Scarlet, le système de filtrage étant également susceptible de porter
atteinte aux droits fondamentaux des clients de Scarlet, à savoir à
leur droit à la protection des données à caractère personnel, ainsi
qu’à leur liberté de recevoir ou de communiquer des informations,
ces droits étant protégés par la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne. Il est manifeste que, d’une part, cette injonction
impliquerait une analyse systématique de tous les contenus, de même
que la collecte et l’identification des adresses IP des utilisateurs qui
sont à l’origine de l’envoi des contenus illicites sur le réseau, ces
adresses étant des données protégées à caractère personnel, et que,
d’autre part, l’injonction risquerait de porter atteinte à la liberté d’information, puisque ce système risquerait de ne pas faire de distinction
suffisante entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que
son déploiement pourrait avoir pour effet d’entraîner le blocage de
communications à contenu licite.
Par conséquent, la Cour de Justice de l’Union européenne
constate qu’en adoptant l’injonction obligeant Scarlet à mettre en
œuvre un tel système de filtrage, le juge national ne respecterait ni
l’exigence d’assurer un juste équilibre entre le droit de propriété intellectuelle, la liberté d’entreprise, le droit à la protection des données
à caractère personnel et la liberté de recevoir ou de communiquer
des informations144.
143.
144.
Cour de justice de l’Union européenne, Communiqué de presse 128-11 (24 novembre 2011), <http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2011-11/
cp110126fr.pdf>.
Guillaume CHAMPEAU, « Affaire SABAM : Grande victoire contre le filtrage
généralisé en Europe! », Numerama, 24 novembre 2011, <http://www.numerama.
110
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Dès lors, la Cour répond que le droit de l’Union s’oppose à
une injonction ordonnant à un FSI de mettre en place un système
de filtrage de toutes les communications électroniques transitant
par ses services, lequel s’applique indistinctement à l’égard de toute
sa clientèle, à titre préventif, à ses frais exclusifs et sans limitation
dans le temps145.
3.5
Conclusion
On constate que, tout comme la France ou le Royaume-Uni,
la Belgique n’est pas restée à l’abri des débats passionnés sur la
riposte graduée, en attendant que l’Union européenne se prononce.
Cependant, il existe une réelle volonté politique de coordination
entre les services compétents, au niveau fédéral, visant à endiguer le
piratage en ligne. Face à ce phénomène complexe de téléchargement
non autorisé de contenus protégés sur l’Internet appelé à évoluer
impunément si rien n’est entrepris, il reste urgent de trouver une
solution commune, équilibrée, durable et efficace permettant en outre
la promotion d’offres légales attrayantes. Pour ce faire, une telle
solution s’avère pour la Belgique être du ressort des instances européennes dont elle attend une réaction rapide qui pourrait, à terme,
supplanter toutes les initiatives nationales ponctuelles inconciliables
avec un instrument tel que l’Internet.
4.
LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE ALLEMANDE
4.1
Quel cadre juridique pour le téléchargement
sur Internet en Allemagne ?
Le droit de la propriété intellectuelle allemand est défini en
grande partie dans la Loi sur le droit d’auteur et les droits voisins
et la Loi sur la gestion des droits d’auteur et des droits voisins du
9 septembre 1965, actualisées en 1998146. Ce cadre juridique protège
au même titre le droit d’auteur et les données personnelles. Il n’y a
donc pas de démarche législative de type HADOPI, comme en France.
145.
146.
com/magazine/20696-affaire-sabam-grande-victoire-contre-le-filtrage-genera
lise-en-europe.html>.
Communiqué de presse no 126/11 de la CJUE : Arrêt dans l’affaire C-70/10
Scarlet Extended SA c. Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs SCRL
(SABAM), Luxembourg, 24 novembre 2011, <http://science21.blogs.courrierinter
national.com/archive/2011/11/26/justice-europeenne-internet-et-droit-d-auteur-i.
html>.
Urheberrechtsgesetz vom 9. September 1965, <http://archiv.jura.uni-saarland.
de/BIJUS/urheberrecht/>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
111
Cependant, l’enregistrement et la communication de données
personnelles se heurtent au cadre législatif définissant le secret des
télécommunications, ainsi qu’au « droit fondamental des technologies
de l’information », qui garantit la confidentialité et l’intégrité des systèmes informatiques. Ainsi, la législation sur les télécommunications
fixe une liste limitative de cas où les données personnelles peuvent
être communiquées, mais les atteintes aux droits de propriété intellectuelle n’en font pas partie. Les fournisseurs de services Internet
(FSI) s’abritent, quant à eux, derrière la directive e-commerce qui
leur interdit de surveiller leurs clients, pour refuser de communiquer ces données. Ce faisant, les ayants droit ont pour seul recours
de porter plainte devant les tribunaux civils en cas de violation du
droit d’auteur. Pour identifier le contrevenant, et non pas seulement
l’abonné qui se cache derrière une adresse IP, il faut entreprendre une
procédure pénale. L’encombrement du système judiciaire souligne la
nécessité de trouver une solution alternative.
À cette fin, une seconde réforme du droit d’auteur est intervenue
en Allemagne, réforme qui vient transposer la directive européenne
de 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et
des droits voisins dans la société de l’information. Cette loi, adoptée
en avril 2006, et effective depuis janvier 2007, autorise la copie privée
d’œuvres protégées par les droits d’auteurs disponibles sur l’Internet,
à l’exception des téléchargements ouvertement illicites, et elle punit
sévèrement les internautes pris en flagrant délit de téléchargement
illégal. Selon cette loi, le téléchargement et la mise à disposition des
fichiers protégés par le droit d’auteur sur les réseaux P2P constituent
un délit ; les internautes en infraction risqueront jusqu’à trois ans de
prison s’il n’y a pas d’utilisation commerciale de ces fichiers et jusqu’à
cinq ans s’ils en font commerce.
Les associations de consommateurs se sont levées contre le
texte et, plus précisément, contre la disposition pénale adoptée par
le gouvernement sous la pression de l’industrie culturelle. Celle-ci, en
l’occurrence la Fédération internationale de l’industrie phonographique allemande (IFPI en anglais), rappelle qu’en Allemagne les ventes
de CD auraient chuté de plus de 30 % en cinq ans, mauvais résultat
dont elle rend le téléchargement illégal responsable. Ce seraient ainsi
quelque 400 millions de fichiers protégés qui auraient été téléchargés
illégalement en 2005 sur les réseaux P2P, dont 20 millions de films.
L’IFPI conclut que le piratage est ainsi devenu une pratique très
répandue en Allemagne147. Une pratique que le gouvernement veut
147.
Voir les déclarations de Michael Haentjes, porte-parole de l’IFPI à, <http://www.
ifpi.org/site-content/press/20060523.html>.
112
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tenter de freiner le plus possible en se dotant notamment de cette
nouvelle loi pénalisant lourdement toute personne prise en flagrant
délit de téléchargement illégal.
Même si le gouvernement allemand a mis en place une législation réprimant le téléchargement illégal, il s’est toutefois refusé
à adopter un système de riposte graduée à l’encontre des activités
illégales de téléchargement sur l’Internet. La position du gouvernement allemand sur ce sujet a été portée par la ministre fédérale
de la Justice, Brigitte Zypries, qui s’est d’ailleurs exprimée de façon
significative sur l’opposition ferme de l’Allemagne quant à l’instauration d’une riposte graduée à la française : « Je ne pense pas que (la
Riposte graduée) soit un schéma applicable à l’Allemagne ou même
à l’Europe. Empêcher quelqu’un d’accéder à l’Internet me semble
être une sanction complètement déraisonnable », a-t-elle déclaré148.
Dès l’automne 2008, elle avait émis de sérieux doutes sur le
modèle français, ce dernier constituant, selon elle, une infraction
aux dispositions locales de protection des données et au secret des
télécommunications. À la suite d’entretiens confidentiels à Berlin, le
27 janvier 2009, avec les représentants des plus gros FSI, le syndicat
fédéral de l’industrie musicale, et l’association eco149, qui représente
un certain nombre d’acteurs de l’Internet, toutes ces parties sont
tombées d’accord sur le fait que la mise en place d’un système qui
prévoit l’envoi d’avertissements, puis la coupure de l’accès à l’Internet
en cas de récidive, n’est pas d’actualité.
C’est ainsi que le 3 mars 2009 la ministre rejetait le principe
de la riposte graduée en expliquant : « Je pense que le blocage de
l’accès à l’Internet est une sanction tout à fait inacceptable. Elle serait,
constitutionnellement et politiquement, très difficile à faire accepter »,
tandis que, de son côté, le syndicat fédéral de l’industrie musicale
déplorait qu’« il n’y ait qu’en Allemagne que cette question n’avance
pas », alors que « de plus en plus de pays de l’UE et du monde entier
voient dans l’envoi d’avertissements en liaison avec des sanctions un
moyen efficace d’endiguer le piratage sur l’Internet »150.
Lors des négociations d’octobre 2009 pour former un gouvernement de coalition qui a reconduit au pouvoir l’ancien gouvernement
148.
149.
150.
Exklusiv : Bundesjustizministerin Zypries zu Olivenne und Internetsperrungen,
Johnny Haeusler, 2 février 2009, <http://www.spreeblick.com/2009/02/02/exklu
siv-bundesjustizministerin-zypries-zu-olivenne-und-internetsperrungen/>.
Voir le portail de l’association à <http://www.eco.de/>.
Astrid GIRARDEAU, « L’Allemagne rejette la riposte graduée », Écrans, 4 février
2009, <http://www.ecrans.fr/L-Allemagne-rejette-la-riposte,6343.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
113
(CDU (conservateurs) et FDP (libéraux), la coalition a rejeté en bloc
l’idée d’appliquer le modèle français de la riposte graduée et elle a
indiqué qu’aucune proposition ne sera déposée dans ce sens au cours
des quatre prochaines années. La coalition préfère intervenir sur les
relations entre les titulaires des droits d’auteur et les FSI, estimant
qu’il existe des moyens plus efficaces pour lutter contre la violation
du droit d’auteur sur Internet »151.
4.2
Des réponses judiciaires : une évolution en dents
de scie
La polémique sur les droits d’auteur fait rage en Allemagne
depuis que le gouvernement a adopté cette seconde réforme du droit
d’auteur qui, manifestement, privilégie la voie pénale pour punir
lourdement les internautes pirates. Mais cette procédure pénale
semble n’être qu’un mécanisme qui évolue en dents de scie.
4.2.1 La voie pénale
Depuis 2004, plusieurs milliers d’actions en justice ont été
intentées en Allemagne à cause de mises à disposition illégales d’œuvres sur des plateformes de téléchargement (P2P). Elles ont débouché
sur plusieurs centaines de règlements amiables et le versement
d’amendes allant de 1 000 à 15 000 euros. La plus médiatisée de ces
affaires est celle dans laquelle, après deux ans de procès, le site allemand de sauvegarde et de partage de fichiers en ligne, RapidShare.
com, hébergé en Suisse, s’est vu condamner par la justice allemande
(le tribunal régional de Hambourg) pour avoir partagé illégalement
5 000 fichiers musicaux protégés par le droit d’auteur gérés par
la GEMA, la société bavaroise de gestion des droits des auteurs,
compositeurs et éditeurs de musique. L’entreprise RapidShare a été
contrainte par la justice allemande à retirer sans délai de ses serveurs
les 5 000 fichiers musicaux, de même qu’elle a été enjointe de filtrer
obligatoirement ses contenus152.
De plus, bien que ni la GEMA, ni la justice allemande, ni
RapidShare ne sachent comment détecter les contenus illicites parmi
151.
152.
Stefan KREMPL, « Schwarz-Gelb gegen Internetsperren bei Urheberrechtsverletzungen », Heise Online, 19 octobre 2009, <http://www.heise.de/newsticker/
meldung/Schwarz-Gelb-gegen-Internetsperren-bei-Urheberrechtsverletzun
gen-832715.html>.
Voir Bettina MÜLLER, GEMA schafft den Durchbruch im Kampf gegen die
Online-Piraterie : Urteil gegen RapidShare AG (Wert von 24 Mio. Euro), Munich,
23 juin 2009, <http://www.gema.de/en/press/press-releases/press-release/?tx_
ttnews[tt_news]=841&tx_ttnews[backPid]=76&cHash=b3aebfbde0>.
114
Les Cahiers de propriété intellectuelle
les nombreuses archives chiffrées et protégées par un mot de passe
mises en ligne chaque jour, RapidShare doit désormais s’assurer que
les contenus illégaux présents sur son site soient rapidement bannis
et prendre soin de vérifier qu’ils ne soient pas partagés une nouvelle
fois par ses quatre millions de visiteurs mensuels.
Même si la justice allemande n’a pas condamné RapidShare
à une quelconque amende, elle a estimé que les 5 000 morceaux de
musique partagés illégalement sur sa plateforme représentaient un
préjudice de l’ordre de 24 millions d’euros pour les 60 000 ayants droit
représentés par la GEMA.
RapidShare se dit impuissante à tout filtrer et à garantir
l’absence de fichiers illégaux sur ses serveurs153, et elle pourrait donc
faire appel de cette décision en faisant valoir son statut d’hébergeur,
qui le décharge de toute responsabilité quant aux fichiers qu’elle met
à la disposition des internautes. Mais, comme l’explique son directeur,
RapidShare souhaite davantage la mise en place d’un compromis
entre ce type de sites et les ayants droit, compromis qui permettrait
d’offrir aux internautes des offres de musique au meilleur prix « pour
créer une nouvelle source de revenus pour les acteurs du marché de
la musique sur l’Internet »154.
4.2.2 Du filtrage de la Toile pour cause de lutte contre
la pédopornographie au blocage des sites Internet
pour téléchargement de contenus protégés
Alors que le filtrage de la Toile est annoncé en France avec la
future législation sur la programmation pour la performance de la
sécurité intérieure155 (Loppsi), le filtrage semble faire polémique en
Allemagne qui, après le Danemark, la Finlande, la Grande-Bretagne,
ou encore Monaco156, vient s’ajouter à la liste des pays qui, en Europe,
cherchent à censurer l’accès à certains sites Internet sous prétexte
153.
154.
155.
156.
Voir Le Journal du Net, 25 juin 2009, « La justice allemande épingle l’hébergeur Rapidshare », <http://www.journaldunet.com/ebusiness/breve/internatio
nal/40238/la-justice-allemande-epingle-l-hebergeur-rapidshare.shtml>.
Lire Anne CONFOLANT, « Piratage : RapidShare condamné à filtrer ses contenus », ITespresso.fr, 25 juin 2009, <http://www.itespresso.fr/piratage-rapidsharecondamne-a-filtrer-ses-contenus-30186.html>.
Voir dossier dans Numerama, <http://loppsi.numerama.com>.
Selon le site Numérama du 10 juin 2009, la Principauté de Monaco a demandé
aux FSI de bloquer l’accès aux sites Internet dont la liste est fournie par l’Internet Watch Foundation, une fondation britannique de protection de l’enfance
sur Internet, <http://www.numerama.com/magazine/13105-La-principaute-deMonaco-bloque-l-acces-a-des-sites-internet.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
115
de lutter contre la pédopornographie. La ministre des Affaires familiales allemande, Ursula von der Leyen, a défendu le 18 juin 2013
au Bundestag un projet de loi qui prévoit faire obligation aux FSI de
bloquer sans contrôle d’un juge, l’accès à des sites dont la liste sera
établie par l’Office fédéral allemand de la police criminelle (le BKA).
Cinq opérateurs représentant les trois quarts du marché allemand
des télécoms avaient accepté en avril 2013 le principe de la loi157,
depuis très contestée par les internautes allemands158. Malgré la très
forte opposition manifestée par ces derniers159, le projet de loi a été
finalement adopté par 389 voix contre 128.
La vive opposition des internautes contre cette loi s’explique
par le fait qu’ils sont nombreux à suspecter que le filtrage ne concerne
dans un premier temps que la pédophilie afin de s’assurer du soutien
populaire des familles, mais qu’ensuite, la liste des sites bloqués
sera étendue en modifiant la loi, lorsque le principe du blocage sera
introduit. À cet égard, des responsables politiques allemands ont déjà
évoqué la possibilité de bloquer des sites de jeux d’argent en ligne,
des sites de propagande islamistes, des sites de jeux vidéo violents
ou des sites de piratage. Par ailleurs, s’il n’y a pas de publication de
la liste des sites filtrés, les dérives sont inévitables. Elles ont déjà été
constatées en Australie, qui connaît le même type de blocage, ou en
Finlande160. D’autres opposants estiment que le blocage des sites par
DNS (système de noms de domaine) est tout simplement inefficace,
puisqu’il suffit aux pédophiles de changer de serveur DNS en adoptant
un serveur hébergé à l’étranger.
157.
158.
159.
160.
Voir Guillaume CHAMPEAU, « Filtrage : accord des FAI en Allemagne »,
Numerama, 27 avril 2009, <http://www.numerama.com/magazine/12760-Fil
trage-accord-des-FAI-en-Allemagne-Rapidshare-bientot-bloque.html>.
Voir Markus BECKEDAH, « The Dawning of Internet Censorship in Germany »,
16 juin 2009, <http://www.netzpolitik.org/2009/the-dawning-of-internet-cen
sorship-in-germany>.
Le site du Bundestag, qui permet aux citoyens allemands d’ouvrir des pétitions,
a été submergé par plus de 130 000 signatures collectées contre le projet de loi
depuis le 22 avril, dont 50 000 les trois premiers jours. Plus de 500 personnes se
sont également rendues à la conférence de presse donnée par le gouvernement
pour manifester leur mécontentement devant les médias : voir Deutscher BUNDESTAG, Petition: Internet – Keine Indizierung und Sperrung von Internetseiten,
22 avril 2009, <http://web.archive.org/web/20131023050217/https://epetitionen.
bundestag.de/index.php?action=petition;sa=details;petition=3860>.
Voir Guillaume CHAMPEAU, « Filtrage : la blacklist australienne ne contiendrait
pas que des sites pédophiles », Numerama, 20 mars 2009, <http://www.nume
rama.com/magazine/12378-Filtrage-la-blacklist-australienne-ne-contiendraitpas-que-des-sites-pedophiles.html>.
116
4.3
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La grogne des professionnels du livre : pas d’avenir
sans sécurité juridique
Les professionnels du livre en Allemagne ont lancé l’Appel
de Heidelberg lors de leur assemblée générale à Berlin, le 21 juin
2009, visant la défense de la propriété intellectuelle et l’octroi d’une
protection des ouvrages face à l’arrivée du numérique. De plus, les
éditeurs, les librairies et les libraires intermédiaires ont manifesté
une fois de plus leurs inquiétudes vis-à-vis du règlement Google
Books, demandant que l’on se montre particulièrement vigilant sur
ces questions et prenant à partie le gouvernement sur ces problématiques. Lors du Salon du livre de Leipzig à la mi-mars 2009, le
directeur du syndicat des éditeurs, Alexander Skipis, aurait décrit le
système de P2P comme un crime organisé, et en aurait appelé pour
que les FSI soient impliqués dans cette lutte contre le piratage. Selon
les professionnels allemands du livre, il ne saurait exister d’avenir
pour le numérique sans une sécurité juridique construite autour du
respect de la propriété intellectuelle. Le gouvernement fédéral est dès
lors invité à prendre part à la défense de la production de l’édition
nationale, alors que les éditeurs sont confrontés à une dramatique
dégradation de conditions de la création et la diffusion de livres de
qualité. Une résolution votée durant l’assemblée de Berlin atteste
de la volonté de ces professionnels de voir se développer un système
juridique solide pour assurer la pérennité des droits de propriété
intellectuelle sur l’Internet161.
En définitive, au regard du chemin pris par l’Allemagne, avec
en point d’orgue le filtrage de l’Internet à la façon de Loppsi reposant
sur le prétexte de la lutte contre la pédopornographie, le constat est
que les pouvoirs publics allemands ne semblent guère pressés d’aller
au-delà de la simple prospective en matière de répression du téléchargement illégal sur l’Internet, même si la Fédération allemande
de l’industrie musicale (BVMI – Bundesverband Musikindustrie)
affiche un enthousiasme certain pour l’instauration d’une HADOPI,
version allemande162.
4.4
Où en sommes-nous ?
Alors que les différentes industries cinématographiques et
musicales attendaient encore de connaître le positionnement de
161.
162.
Voir « Resolution der Hauptversammlung: “Keine Zukunft ohne Rechtssicherheit” », Boersenblatt, 19 juin 2009, <http://www.boersenblatt.net/326041/>.
Voir Julien LAUSSON, « L’industrie du disque allemande veut sa loi Hadopi »,
Numerama, 25 septembre 2009, <http://www.numerama.com/magazine/14082l-industrie-du-disque-allemande-veut-sa-loi-hadopi.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
117
l’Allemagne sur le piratage, la coalition gouvernementale issue des
élections fédérales du 27 septembre 2009 s’était prononcée contre
la déconnexion des internautes. Si celle-ci considère que l’Internet
ne doit pas être une zone de « non-droit », elle estime toutefois que
la protection de la propriété intellectuelle ne doit pas empiéter sur
les droits fondamentaux des citoyens allemands. Cependant, ne pas
criminaliser le téléchargement illégal ne signifie pas pour autant
que le gouvernement ait signé un chèque en blanc pour le piratage
en Allemagne163.
À cet égard, la ministre fédérale de la Justice, Brigitte Zypries,
avait donné un sérieux coup de frein à l’arrivée de la riposte graduée
en Allemagne, douchant ainsi les prétentions de la filière culturelle
d’outre-Rhin. Pour la ministre, le modèle français de riposte graduée instauré par l’Hadopi n’est un modèle ni pour l’Allemagne,
ni pour toute l’Europe. Un tel mécanisme ne serait pas conforme à
la législation allemande, car il porterait atteinte à l’article 5 de la
Constitution allemande, article qui garantit la liberté d’information
et de communication, ainsi que la liberté d’expression. De plus, selon
la ministre de la Justice, la sanction du blocage de l’accès à l’Internet
serait constitutionnellement et politiquement très contestable164.
De même, lors des discussions secrètes liées au traité commercial anti-contrefaçon (ACTA – Anti-Counterfeiting Trade Agreement)
sur l’application des droits de propriété intellectuelle dans la sphère
numérique et des libertés sur l’Internet, où chaque pays y va d’une
approche sensiblement différente des autres sur la question des droits
d’auteur, la France y exporte son concept de riposte graduée, tandis
que l’Allemagne refuse une telle législation. En effet, le gouvernement
fédéral allemand considère que l’ACTA ne devrait pas affecter la législation communautaire actuelle de l’Union européenne, notamment
les éléments de la directive européenne 2000/31/CE sur le commerce
électronique. En outre, il rejette l’idée du blocage de l’Internet dans
des cas relevant de l’infraction au droit d’auteur, cela étant considéré
comme une approche erronée de la lutte contre le piratage165.
163.
164.
165.
Voir Marc REES, « Le gouvernement de coalition allemand rejette la riposte graduée », PC INpact, 20 octobre 2009, <http://www.pcinpact.com/actu/news/53692amendement-138-riposte-graduee-allemagne.htm>.
Marc REES, « Le gouvernement de coalition allemand rejette la riposte graduée »,
PC INpact, 20 octobre 2009, <http://www.pcinpact.com/news/53692-amende
ment-138-riposte-graduee-allemagne.htm>.
European Digital Rights: Response of the Federal Government to the Parliamentary Question on the current state of the negotiations on the International
Anti-Piracy Agreement (« Anti-Counterfeiting Trade Agreement » – ACTA),
traduction non officielle, Référence 17/63, <http://www.edri.org/files/german_par
liament_acta_translation.pdf>.
118
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cette position a été effectivement défendue par le gouvernement allemand durant les négociations de l’ACTA, portant ainsi
un dur coup à l’une des dispositions majeures du traité, à savoir le
déploiement de la riposte graduée en vue de punir les internautes
suspectés d’enfreindre le droit d’auteur166.
Par ailleurs, les ministères allemands de l’Économie, de la
Culture et de la Justice ont opté pour des rencontres régulières entre
experts représentant les FSI et les ayants droit. C’est ainsi que des
groupes de travail thématiques ont été formés le 27 octobre 2009 dans
le but de proposer des solutions sur le développement de l’offre légale
de contenus et la réduction des téléchargements illégaux, solutions
qui ont été présentées à l’occasion du CeBIT167 tenu à Hanovre du
2 au 6 mars 2010.
Il ressort de la série de rencontres organisées depuis que le
gouvernement allemand prévoit l’élaboration rapide d’une troisième
loi sur la réglementation du droit d’auteur dans la société de l’information. Dans sa démarche, il privilégie nettement les possibilités
d’autorégulation associant les ayants droit et les FSI, mais en excluant
tout projet législatif de blocage de l’Internet en cas de violation du
droit d’auteur.
4.5
Développements récents
Jusque-là hostile à la réponse graduée, l’Allemagne semblait
rejeter la mise en œuvre d’un mécanisme de filtrage à la française.
Or, en mai 2011, lors de la tenue d’une réunion du Parti démocratechrétien allemand (CDU), Bernd Neumann, ministre d’État auprès
166.
167.
L’ACTA vise à établir des standards internationaux pour renforcer la propriété
intellectuelle et pour lutter contre la contrefaçon. Promu par les États-Unis, il
milite pour étendre à l’échelle planétaire le DMCA américain (Digital Millenium
Copyright Act), le mécanisme de la riposte graduée, ainsi que le principe du
Notice & Take Down (avis et retrait). Le projet en cours appelle à l’adoption
de dispositifs de « riposte graduée » et de filtrage de contenus en tentant
d’imposer la responsabilité civile et pénale des intermédiaires techniques, tels
que les FSI. De plus, le texte pourrait radicalement mettre en cause l’exercice
de l’interopérabilité, qui est essentiel à la fois aux droits des consommateurs
et à la compétitivité. Voir le dossier de La Quadrature du net de mars 2010,
<http://web.archive.org/web/20130503182729/http://donjipez.posterous.com/
la-quadrature-du-net-bilan-mars-2010-acta-et>.
Le CeBIT (acronyme allemand de Centrum für Büroautomation, Informationstechnologie und Telekommunikation (en français, Salon des technologies de
l’information et de la communication) est le plus grand salon des technologies de
l’information au monde. Il se tient depuis 1986 au Parc d’exposition de Hanovre,
en Allemagne. Voir le portail du Salon : CeBIT Global Conferences, 2 au 6 mars
2010, Hanovre, Allemagne, <http://www.cebit.de/cgc_e>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
119
du Chancelier fédéral allemand et Commissaire du gouvernement
fédéral à la Culture et aux Médias, annonçait une réforme des lois
relatives aux droits d’auteur par laquelle les autorités allemandes
envisageaient de se doter d’un mécanisme de réponse graduée proche
de la Hadopi française168. Le ministre déclarait qu’il était nécessaire
pour les FSI de « prendre leurs responsabilités ». Par la même
occasion, il annonçait qu’il rejetait la proposition de licence globale,
système qu’il juge inapplicable et anticonstitutionnel169.
En plus de cette volonté de l’Allemagne de se lancer dans le
système de la réponse graduée, la Cour fédérale allemande (Bundesgerichtshof) a décidé en 2012 que les FSI devaient fournir les noms
et adresses des internautes qui partageaient illégalement des fichiers
protégés par le droit d’auteur, et ce, à la demande des ayants droit,
même si ces échanges étaient réalisés hors du champ commercial170.
En septembre 2012, le Conseil des ministres fédéral allemand
a adopté un projet de loi, révisé plusieurs fois par le ministère de la
Justice. Cette loi portant sur le droit de la protection des services
(Leistungsschutzrecht) vise les moteurs de recherche et les prestataires
de services commerciaux qui proposent des contenus sur l’Internet à la
manière d’un moteur de recherche, à savoir les agrégateurs qui regroupent des liens et des articles d’actualité sur un sujet donné. Désormais,
ces fournisseurs de services devront demander aux maisons d’édition
l’autorisation d’utiliser les contenus publiés sur leur site et devront
également leur verser des droits d’exploitation171.
5.
L’ESPAGNE
5.1
Le contexte espagnol
Considérée jusque-là comme le sanctuaire du partage non
autorisé d’œuvres protégées, l’Espagne était devenue une figure
emblématique de l’impunité de l’internaute qui télécharge des fichiers
168.
169.
170.
171.
Wolfgang SPAHR, German Culture Minister Announces Copyright Reform,
27 mai 2011, <http://www.billboard.biz/bbbiz/industry/publishing/german-culture-ministerannounces-copyright-1005206402.story>.
« L’Allemagne envisage un système de riposte graduée », Le Monde, 30 mai
2011, <http://web.archive.org/web/20110819215453/http://www.lemonde.fr/
technologies/article/2011/05/30/telechargement-l-allemagne-envisage-un-sys
teme-de-riposte-graduee_1529266_651865.html>.
Iona SILVERMAN, « More on File Sharing – German ISPs Must Disclose File
Sharer Details », The 1709 Blog Squad, 16 août 2012, <http://the1709blog.
blogspot.com/2012/08/more-on-file-sharing-german-isps-must.html>.
« Droit d’auteur en Allemagne », La Fonderie, 8 septembre 2012, <http://www.
lafonderie-idf.fr/droit-dauteur-en-allemagne-6110.html>.
120
Les Cahiers de propriété intellectuelle
cinématographiques et musicaux sur des sites P2P. En cela, l’application de la Circulaire 1/2006 relative aux délits contre les droits de
propriété intellectuelle, adoptée à la suite de la réforme du Code pénal
de 2003, ne pénalisait pas l’internaute qui téléchargeait illégalement
des fichiers, bien qu’elle qualifiait de délit les atteintes aux droits
de propriété intellectuelle, dans la mesure où la circulaire disposait
que « l’échange de fichiers protégés par le droit d’auteur est licite si
celui-ci n’est pas à but lucratif »172.
Dans une décision de novembre 2006, le juge Paz Aldecoa de la
Cour pénale de Santander estimait que télécharger et partager de la
musique sur l’Internet n’était pas illicite tant que cela était réalisé à
des fins personnelles et donc sans but lucratif173. Le téléchargement
est depuis considéré en Espagne comme un droit à la copie privée
(article 31 de la législation relative à la propriété intellectuelle). En
échange, les Espagnols payent une redevance sur un ensemble de
supports (CD, DVD, téléphones portables, etc.).
S’appuyant sur cette jurisprudence, un juge a rejeté, dans une
décision du tribunal correctionnel de Pampelune rendue en mai 2009,
une plainte déposée contre un individu qui avait téléchargé et mis à
disposition sur l’Internet 3 322 films protégés par le droit d’auteur.
Le juge a reconnu que l’internaute a bien téléchargé les fichiers sans
le consentement des détenteurs des droits d’auteur entre 2003 et 2004.
Mais il estimait qu’il n’était pas coupable de contrefaçon à partir
du moment où il l’avait fait pour un usage privé ou le partager avec
d’autres utilisateurs de l’Internet, le requérant n’ayant pas réussi à
fournir de preuves démontrant que l’accusé avait tiré un quelconque
avantage économique de cette pratique174.
Toujours d’après la justice espagnole, les sites proposant des
liens Torrent (eDonkey, BitTorrent, etc.) sont légaux et les fournisseurs
d’accès à l’Internet ne sont pas obligés de fournir aux ayants droit
des informations sur leurs clients présumés coupables de contrefaçon.
Bien plus, une décision de la Cour provinciale de Madrid, jugée favorable aux échanges P2P, statuait qu’ « offrir des liens eDonkey vers des
fichiers protégés par le droit d’auteur n’était pas illégal ». Les juges
172.
173.
174.
Voir Marc REES, « Hadopi : la riposte graduée française, une riposte isolée »,
PC INpact, 29 décembre 2009, <http://www.pcinpact.com/news/54738-ripostegraduee-france-droit-compare.htm>.
SMARAN, « Spanish judge: Non-commercial filesharing is legal », TorrentFreak,
3 novembre 2006, <http://torrentfreak.com/spanish-judge-non-commercial-filesharing-is-legal>.
EFE, « Absuelto de un delito de propiedad intelectual porque “no hubo ánimo de
lucro” », 20 Minutos, 29 mars 2009, <http://www.20minutos.es/noticia/471316/0/
delito/propiedad/intelectual>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
121
concluaient que le simple fait de placer, à la manière d’un moteur, des
liens (eD2k links) ne pouvait être considéré comme une violation du
droit d’auteur, car il n’y a pas de communication et d’hébergement de
l’œuvre « linkée »175. Selon les juges, tant qu’aucun but commercial
ne peut être prouvé, les opérateurs de sites de liens vers des fichiers
protégés restent dans la plus totale légalité et les réseaux P2P sont
autorisés. De plus, les publicités sur un site Internet ne sont pas non
plus constitutives de preuve d’un but commercial puisqu’elles servent
à payer les frais de serveur, de référencement et d’autres coûts qu’engendre un site Internet176. Ceci a fait dire que l’Espagne bénéficiait,
en Europe, de la loi et des juges les plus libéraux en ce qui concerne
le téléchargement d’œuvres protégées par la propriété intellectuelle,
puisque ceux-ci s’étaient fait remarquer pour leur bienveillance visà-vis des échanges non commerciaux sur l’Internet177.
Cette situation devait cependant changer rapidement lorsque,
le 30 avril 2009, un rapport du Département du Commerce des ÉtatsUnis (Office of the United States Trade Representative –USTR) accusait l’Espagne de ne prendre aucune mesure significative pour freiner
le téléchargement illégal de fichiers178. De fait, l’Espagne, considérée
comme le paradis de la piraterie sur l’Internet179 et étiquetée comme
une menace majeure pour l’industrie américaine du divertissement,
demeurera pour une deuxième année consécutive sur la Watch List
175.
176.
177.
178.
179.
Marc REES, « Les sites de liens P2P sont légaux, affirme la justice espagnole »,
PC INpact, 22 septembre 2008, <http://www.pcinpact.com/news/46144-share
mula-P2P-liens-edonkey-justice.htm>.
La jurisprudence espagnole est bien établie avec l’affaire CVCDGO, dans Almeida
Abogados Asociados, Caso CVCDGO, página de enlaces: la Audiencia Provincial
de Madrid confirma el auto de archivo, 3 juin 2010, <http://www.bufetalmeida.
com/602/caso-cvcdgo-pagina-de-enlaces-la-audiencia-provincial-de-madrid-con
firma-el-auto-de-archivo.html>. Voir également Boris MANENTI, « Espagne. Le
téléchargement illégal désormais légalisé ? », Le Nouvel Observateur, 18 juillet
2011, <http://hightech.nouvelobs.com/actualites/depeche/20110718.OBS7244/
espagne-le-telechargement-illegal-desormais-legalise.html>. Voir aussi Sites
« pirates » reconnus légaux en Espagne, 18 juillet 2011, disponible à <http://
www.generation-nt.com/p2p-telechargement-direct-lien-legal-espace-indiceweb-espagne-actualite-1232081.html>, Olivier ROBILLART, « Téléchargement :
l’Espagne refuse de collecter les adresses IP », Clubic Pro, 3 novembre 2011,
<http://pro.clubic.com/legislation-loi-internet/telechargement-illegal/actualite456230-espagne-refuse-systeme-similaire-hadopi.html>.
Xavier BERNE, « Premières plaintes après la mise en place de la loi anti-piratage
espagnole », PC INpact, 4 avril 2012, <http://www.pcinpact.com/news/70008sinde-hadopi-telechargement-commission-espagne.htm>.
Office of the United States Trade Representative, 2009 Special 301 Report,
<http://www.ustr.gov/about-us/press-office/reports-and-publications/2009/2009special-301-report>.
Daniel VERDÚ, « EE UU señala de nuevo a España como paraíso de la “piratería” », El Pais, 15 février 2011, <http://www.elpais.com/articulo/cultura/EE/UU/
senala/nuevo/Espana/paraiso/pirateria/elpepucul/20110215elpepucul_9/Tes>.
122
Les Cahiers de propriété intellectuelle
301 (liste de surveillance prioritaire regroupant les États qui ne respectent pas les normes internationales de la propriété intellectuelle180
et qui sont notamment sous la menace de sanctions commerciales de
la part des États-Unis181. Ce rapport182 recommandait en effet aux
autorités espagnoles d’interdire les programmes d’échange de fichiers
P2P, foulant ainsi du pied la Circulaire 1/2006, en ce sens que ce texte
conférait une certaine légitimité à l’échange de fichiers, alors que la
justice espagnole ne prenait aucune action contre les sites Internet
pirates qui agissaient impunément en Espagne.
Pourtant, cette circulaire, adoptée par le ministère de la Justice, obligeait le Ministère public (procureur de l’État) à engager
automatiquement une procédure contre toute atteinte aux droits de
propriété intellectuelle. Or, le Ministère public ne poursuivait ni les
responsables des sites Internet de téléchargement illégal de fichiers
cinématographiques et musicaux, ni l’internaute fautif, lesquels restaient impunis. Le gouvernement espagnol a toutefois ouvert la chasse
au téléchargement illégal sur les réseaux P2P en lançant, en novembre 2008, une campagne contre la pratique du téléchargement non
autorisé d’œuvres protégées sur l’Internet : Si eres legal, eres legal183.
Cette campagne a provoqué un tollé au point que l’Association des
utilisateurs de l’Internet a déposé une plainte contre le gouvernement
en demandant au ministre de la Culture d’arrêter cette manipulation
de l’opinion publique pour le bénéfice d’intérêts privés184.
180.
181.
182.
183.
184.
Voir la « Liste 2010 de pays sous surveillance à cause du piratage » du Congressional International Anti-Piracy Caucus, un groupe bipartisan de parlementaires
américains réunis contre le piratage international, <http://schiff.house.gov/
antipiracycaucus/news.html> ; voir également Adam SHIFF, International AntiPiracy Caucus Unveils “2012 International Piracy Watch List”, 20 septembre
2012, <http://schiff.house.gov/press-releases/international-antipiracy-caucusunveils-2012-international-piracy-watch-list/>.
D’ailleurs, en 2011, la RIAA (Recording Industry Association of America), en
collaboration avec l’IIPA (International Intellectual Property Alliance), a présenté sa « liste d’alerte piraterie » à USTR dans laquelle le Canada et l’Espagne
y sont répertoriés comme les paradis des pirates et ils nécessitent une attention
urgente de la part du gouvernement américain. Voir ERNESTO, « RIAA Labels
Spain and Canada As Piracy Havens », TorrentFreak, 17 février 2011, <http://
torrentfreak.com/riaa-labels-spain-and-canada-as-piracy-havens-110217/>.
SPAIN, 2009 Special 301 Report On Copyright Protection And Enforcement,
<http://www.iipa.com/rbc/2009/2009SPEC301SPAIN.pdf>.
Si eres legal eres legal, disponible à, <http://www.youtube.com/watch?v=gQs
rbuWvO8Q>.
Belga, Une loi anti-téléchargement provoque un tollé en Espagne, RTBF, 3 décembre 2009, <http://web.archive.org/web/20091207010529/http://www.rtbf.be/info/
economie/espagne-une-loi-anti-telechargement-provoque-un-tolle-166539>. Voir
également Astrid Girardeau, « Espagne : Viva peer-to-peer! », Écrans, 3 juin
2009, <http://www.ecrans.fr/Espagne-Viva-peer-to-peer,6036.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
123
Même si le gouvernement espagnol a, en octobre 2009, créé
une commission interministérielle de lutte contre la piraterie sur
l’Internet185, qui a présenté ses conclusions et qui a proposé des actions
dans ce domaine à la Présidence du gouvernement avant la fin de cette
année, il semble bien que la voie répressive contre le consommateur
n’était pas envisagée jusque-là, et ce malgré les revendications des
industries culturelles qui souhaitaient que le principe de riposte graduée contre ces délits soit adopté à l’instar de certains pays voisins,
comme la France qui avait déjà adopté un bloc normatif spécial en
cette matière. Les axes de réflexion suivis par cette commission, qui
reflétaient bien la position du gouvernement sur ce sujet, étaient,
d’une part, le renforcement du dispositif législatif et, d’autre part, la
sensibilisation et l’éducation du consommateur.
Si la légalisation du partage en P2P est intervenue en Espagne
après la victoire législative du socialiste José Luis Rodríguez Zapatero
en 2004 et sa réélection en 2008, il faudra cependant attendre mars
2011, comme le souligne Emily Tonglet, pour constater les prémices
d’un dispositif législatif sanctionnant le piratage dans la péninsule
ibérique, lequel a été sarcastiquement baptisé « Loi Sinde » par les
médias espagnols, en hommage à la ministre de la Culture de l’époque,
peu appréciée par l’opinion publique, soit Angeles Gónzalez-Sinde186.
5.2
Les péripéties de la Loi Sinde
La Loi Sinde187 règle en Espagne la question du téléchargement
illégal en ligne. Elle prévoit la possibilité pour les ayants droit, à travers une procédure accélérée, de faire bloquer les sites qui proposent
du contenu non autorisé violant les droits d’auteur.
L’adoption de cette loi n’a pas été de tout repos, comme le souligne Sandrine Hallemans188. Elle a connu plusieurs péripéties à la
suite de nombreuses modifications et à une vive opposition émanant
de différents milieux.
185.
186.
187.
188.
Voir Propriété intellectuelle et lutte anti-contrefaçon : Tour d’horizon des évolutions récentes, op. cit., p. 2.
Emily TONGLET, La lutte européenne contre le piratage sur Internet, op. cit.
Ley 2/2011 de Economia Sostenible, 4 mars 2011, Boletìn Oficial del Estado,
no 55, 5 mars 2011, p. 25033 et s., <http://www.boe.es/boe/dias/2011/03/05/pdfs/
BOE-A-2011-4117.pdf>.
Sandrine HALLEMANS, Étude relative à la lutte contre les atteintes au droit
d’auteur sur Internet, Rapport final, op. cit., p. 34.
124
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Déjà, en 2008, un câble diplomatique révélé par WikiLeaks189
soulignait que l’ambassadeur américain à Madrid avait averti le chef
du gouvernement espagnol que son pays risquait fort de se retrouver
sur la Priority Watch List 301 et qu’il risquait par conséquent de subir
de très sérieuses sanctions commerciales de la part des États-Unis
pour avoir refusé de mettre en application une législation antipiratage s’il ne s’engageait pas sur trois points précis d’ici octobre
2008, à savoir (1) rappeler que le piratage sur l’Internet est illégal,
(2) modifier la Circulaire de 2006, que beaucoup voyaient comme un
texte rendant légal le partage de fichiers en P2P, et (3) annoncer que
le gouvernement espagnol allait adopter des mesures basées sur le
modèle français ou britannique afin de faire baisser la courbe des
téléchargements illégaux en Espagne d’ici l’été 2009.
Les pressions américaines n’étaient pas nouvelles. D’autres
câbles diplomatiques américains révélés en 2010 par WikiLeaks190
soulignent les pressions américaines pour forcer la main au gouvernement espagnol afin d’obtenir une loi anti-piratage. En effet,
d’après une étude Nielsen, 45 % des internautes espagnols pirataient
régulièrement des œuvres assujetties au droit d’auteur au moyen des
réseaux P2P, contre 23 % dans les cinq principaux pays européens.
Les « majors » américaines de la culture et du divertissement voyaient
dans l’Espagne le mauvais élève de l’Union européenne contre lequel
le réseau diplomatique américain se devait d’intervenir pour préserver les intérêts économiques de ses industries.
Le projet de Loi Sinde a été dévoilé par le gouvernement de José
Luis Zapatero le 27 novembre 2009, mais les pressions américaines
n’ont pas cessé pour autant191. D’autres câbles diplomatiques192 ont
démontré que le gouvernement Zapatero a demandé l’aide des ÉtatsUnis pour persuader l’opposition d’adopter cette loi.
Finalement, le gouvernement espagnol adoptait, en janvier
2010, de nouvelles dispositions relatives au respect des droits d’auteur
189.
190.
191.
192.
AGUIRRE, Cable sobre las presiones para que España combata la piratería, El Pais, 3 décembre 2010, <http://elpais.com/elpais/2010/12/03/actuali
dad/1291367862_850215.html>.
Joseba ELOLA, EE UU ejecutó un plan para conseguir una ley antidescargas, El Pais, 3 décembre 2010, <http://elpais.com/elpais/2010/12/03/actuali
dad/1291367868_850215.html>.
Antonio FRAGUAS, « US slammed Zapatero for not passing « Sinde » anti-piracy
law », El Pais, <http://elpais.com/elpais/2012/01/04/inenglish/1325658050_850210.
html>.
Alan D. SOLOMONT, « Cable sobre la reunión de González-Sinde y el embajador
de EE UU », El Pais, 20 décembre 2010, <http://elpais.com/elpais/2010/12/20/
actualidad/1292836640_850215.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
125
sur l’Internet soumises par le tout nouveau ministre de la Culture, le
conservateur José Ignacio Wert. Ces mesures sont enchâssées dans
une loi plus générale : la Ley de economia sostenible, dite Ley Sinde,
qui introduit dans sa 43e disposition finale un mécanisme de sanctions
qui prévoit la création d’un organisme de régulation indépendant
comparable à la HADOPI française. Comme en France, les pouvoirs
confiés à cette autorité publique indépendante dans le cadre de la
procédure répressive, dont la faculté de juger (celle-ci n’appartenant
qu’à un juge dans un État de droit), ont suscité une recrudescence
de la mobilisation civile. Le projet de loi a été âprement combattu
par des utilisateurs de l’Internet qui dénonçaient une atteinte à leur
liberté. Le collectif Anonymous a réagi en bloquant les sites de grands
partis politiques et les internautes ont poursuivi leur mobilisation
en dehors de la toile, à travers des manifestations pour exiger non
seulement « le retrait de la loi mais aussi une refonte du modèle de
la propriété intellectuelle », qu’ils considéraient obsolète. Même les
associations de consommateurs se sont érigées contre le projet de loi
qui, selon elles, visait à établir une justice « à deux vitesses : une pour
les multinationales et une autre pour le reste »193.
Le projet de loi fut rejeté le 21 décembre 2010 par les députés
après une journée marathon de débats sous haute tension au Congrès
espagnol qui estimait que la possibilité « de fermer des sites Internet
sans avoir l’aval d’une autorité judiciaire […] ouvre la porte au nonrespect de droits fondamentaux comme la liberté d’expression de la
part du pouvoir politique »194. Cependant, après de légers amendements portant notamment sur la 43e disposition finale, dont l’obligation de passer devant un juge lors de l’exécution de la procédure de
blocage, une nouvelle version négociée de la Loi Sinde fut approuvée
par le Sénat et le Congrès espagnol le 15 février 2011. Malgré la
polémique autour de l’adoption des mécanismes de sanctions et les
protestations de la société civile, la Loi Sinde a été finalement adoptée
le 30 décembre 2011 par le nouveau gouvernement espagnol.
193.
194.
Voir Elodie CUZIN, « L’Hadopi espagnol déclenche la colère des « pirates » du
Far West 2.0 », 29 janvier 2011, <http://www.lesinrocks.com/medias/numeriquearticle/t/58490/date/2011-01-29/article/lhadopi-espagnol-declenche-la-colere-despirates-du-far-west-20/>. Voir également François MUSSEAU, « Anonymous à
l’attaque de l’Hadopi espagnole », Écrans, vendredi 3 février 2012, <http://www.
ecrans.fr/Les-Anonymous-a-l-attaque-de-l,13996.html>.
« Le Congrès espagnol rejette une loi antipiratage », Le Monde, 22 décembre
2010, <http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/12/22/le-congres-espa
gnol-rejette-une-loi-anti-piratage_1456583_651865.html>.
126
5.3
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La Commission de la propriété intellectuelle,
un dispositif législatif sanctionnant le piratage ?
Le décret royal qui promulguait la Ley de economia sostenible
(« Loi Sinde ») instituait également une Commission de la propriété
intellectuelle (Comisión de Propiedad Intelectual)195. Contrairement
au Royaume-Uni qui s’était inspiré du dispositif répressif français, la
HADOPI, pour proposer sur son territoire un dispositif sanctionnant
le téléchargement non autorisé sur l’Internet (le Digital Economy Act),
les autorités espagnoles ont opté pour une approche distincte en s’attaquant directement à la source du problème. Plutôt que de poursuivre
les internautes, le mandat confié à la Commission visait directement
les intermédiaires techniques de l’Internet, à savoir les fournisseurs
de services Internet, les différents éditeurs, agrégateurs et hébergeurs
de contenus, ainsi que les plateformes. Selon les autorités espagnoles, cette catégorie d’acteurs de l’Internet était soupçonnée d’être
finalement la première à favoriser la violation des règles relatives à
la propriété intellectuelle sur leurs réseaux en offrant gratuitement
et sans aucune autorisation l’accès à des œuvres protégées. Le but
était donc de sanctionner celui qui incitait l’internaute à adopter un
comportement délictuel et qui, plus est, s’enrichissait considérablement grâce au procédé qu’il mettait en place196.
Comme la HADOPI française, la Commission espagnole est une
autorité administrative collégiale relevant du ministère de l’Éducation, de la Culture et du Sport. Elle est structurée selon deux sections,
l’une exerçant des fonctions de médiation et d’arbitrage, l’autre étant
chargée de la sauvegarde des droits de propriété intellectuelle. La
première section joue un rôle préventif, tandis que la seconde a un
rôle plus répressif.
Dans l’exercice de ses fonctions de médiation, la Commission
a compétence pour connaître toutes matières directement liées à la
gestion collective des droits de propriété intellectuelle, tandis que ses
fonctions d’arbitrage s’étendent à la résolution des conflits entre les
différentes sociétés de gestion, entre les ayants droit et les sociétés
de gestion, ainsi qu’entre eux et les organismes de radiodiffusion.
195.
196.
Article 158, no 1, del Texto Refundido de la Ley de Propiedad Intelectual: Se crea
en el Ministerio de Cultura, la Comisión de Propiedad Intelectual, como órgano
colegiado de ámbito nacional, para el ejercicio las funciones de mediación y
arbitraje y de salvaguarda de los derechos de propiedad intelectual que le atribuye
la presente Ley.
Emily TONGLET, La lutte européenne contre le piratage sur Internet, op. cit.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
127
Le rôle répressif de la Commission touche la sauvegarde
des droits de propriété intellectuelle contre leur violation par les
responsables de services dans la société de l’information. Ainsi, la
Commission, saisie par les ayants droit en cas de partage non autorisé
d’œuvres sur l’Internet, sera mandatée pour introduire des plaintes
auprès d’un juge compétent désigné à cet effet. De même, les ayants
droit pourront saisir la Commission afin de faire bloquer ou fermer
rapidement l’accès aux sites Internet depuis lesquels des contenus
protégés par les droits d’auteur sont susceptibles d’être téléchargés.
Dans ce cas, la Commission signifie à l’administrateur du site une
injonction à l’effet de retirer, dans les 48 heures, le contenu contrevenant aux droits d’auteur. Le retrait volontaire de ce contenu met fin à
la procédure engagée. Le juge n’interviendra qu’en cas d’inaction ou
de refus d’obtempérer de l’administrateur du site. Le juge disposera
de quatre jours pour convoquer et pour entendre les arguments de
toutes les parties avant de rendre son jugement relatif à la question
de savoir si le site devrait être fermé ou pas. Les règles de la défense
seront respectées dans la mesure où le contrevenant présumé aura
la possibilité de contester la décision.
Il convient toutefois de noter que ces dispositions sont sans
préjudice des actions civiles, pénales et administratives appropriées
qui pourront être engagées contre le contrevenant présumé. Il s’agit
là de la procédure d’avis et de retrait (Notice and Takedown) dont la
durée ne dépasserait pas dix jours en moyenne.
Même si la loi ne crée aucune obligation générale de surveillance des réseaux, elle accorde cependant à la Commission le
pouvoir d’ordonner à un prestataire de services de divulguer les
coordonnées d’un contrevenant ou d’ordonner la fin du service. Cette
ordonnance délivrée sans préjudice d’autres recours civils, pénaux ou
administratifs, dont pourraient se prévaloir les titulaires de droits,
ne pourra, elle aussi, prendre effet qu’après validation par un juge.
Même s’il poursuit des finalités similaires, à savoir la sanction
de droits d’auteur sur l’Internet, le dispositif répressif espagnol se
distingue à plusieurs égards du système de réponse graduée français
de la HADOPI ou du système anglais dans une certaine mesure. Les
dispositions de la loi française ou anglaise visent spécifiquement
l’utilisateur final, alors que la Loi Sinde porte sur un mécanisme
permettant de trouver et d’arrêter les prestataires de services qui
facilitent directement ou indirectement les violations des droits
d’auteur, avec possibilité de blocage ou de fermeture du site Internet
hébergé sur le territoire espagnol. Contrairement à la procédure mise
128
Les Cahiers de propriété intellectuelle
en œuvre dans la législation française pour s’attaquer aux pirates,
celle de la Loi Sinde est extrêmement plus brève et moins coûteuse.
5.4
La lutte contre le piratage en Espagne :
évolution récente
La Loi Sinde a finalement été adoptée le 30 décembre 2011 et
le décret d’application relatif au fonctionnement de la Commission a
été promulgué le 1er mars 2012. Bien qu’il soit un peu tôt pour évaluer
si l’action de la Commission et ses répercussions sur le phénomène de
téléchargement non autorisé des contenus protégés ont conduit à une
baisse ou non de la piraterie sur le territoire espagnol, on rapporte
toutefois qu’après un mois de fonctionnement, la Commission aurait
reçu 213 plaintes et 79 demandes de blocage de sites197. Comme on
le sait, la Commission devra toutefois, dans chaque cas, engager une
procédure de médiation ou de conciliation avec le responsable du site
incriminé avant d’être amenée, le cas échéant, à référer ledit cas à
un juge qui, à son tour, statuera sur le retrait des contenus protégés,
le blocage ou la fermeture du site.
Aussitôt la loi en vigueur, le gouvernement espagnol a déposé,
le 27 mars 2013, un projet de loi modifiant la Loi Sinde, ainsi que les
règles en vigueur en matière de droit de la propriété intellectuelle.
Ce nouveau texte198, baptisé Projet de loi Lassalle (qui tire son nom
de Jose-Maria Lassalle, secrétaire d’État à la Culture) et présenté
par le ministre de la Culture, José Ignacio, a pour objet de combler
plusieurs brèches dans la législation actuelle, notamment au regard
des intermédiaires techniques, à savoir : le régime de la copie privée,
le contrôle des sociétés de gestion, de la collecte et de la répartition
des redevances et le droit pénal de la propriété intellectuelle.
Au regard de la copie privée, l’Espagne veut limiter ce concept
et exclure les copies professionnelles ou plutôt les achats effectués par
ceux qui ne sont pas des utilisateurs privés. Le projet de loi consacre
par ailleurs le prélèvement de la copie privée sur le budget de l’État
et il prévoit que le financement de cette compensation repose sur
197.
198.
« Casi 80 solicitudes telemáticas de cierre de sitios el primer mes de la Ley
Sinde », El-Mundo, 1er avril 2012, <http://www.elmundo.es/elmundo/2012/04/01/
navegante/1333276914.html>.
Anteproyecto de Ley De Modificación del Texto Refundido ee la Ley de Propiedad
Intelectual, Aprobado por Real Decreto Legislativo 1/1996, de 12 de Abril, y de
la Ley 1/2000, de 7 de Enero, de Enjuiciamiento Civil, disponible à <http://www.
mecd.gob.es/servicios-al-ciudadano-mecd/dms/mecd/servicios-al-ciudadanomecd/participacion-publica/propiedad-intelectual/propiedad-intelectual-ante
proyecto-ley.pdf>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
129
le plein respect du principe de juste équilibre entre son montant et
l’existence d’un préjudice. De plus, le texte législatif redéfinit le champ
de la copie privée en précisant que sera considérée comme licite la
copie réalisée à partir d’un original ou d’un flux de télévision. Toutes
les autres reproductions seront illicites et donc hors du périmètre
d’indemnisation. Cette mesure ne satisfait pas pleinement les ayants
droit qui estiment que cette restriction du champ d’application de la
copie privée va aller à l’encontre des citoyens et qu’elle profitera aux
multinationales du secteur des technologies199.
Quant au deuxième objectif, la future législation veut renforcer
l’efficacité des entités en charge de la gestion des droits et elle contient
à cet égard de nouvelles règles de performance, de transparence et
de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits.
Dans le passé, plusieurs cadres de la Sociedad general de gautores y
editores (SGAE) avaient été soupçonnés de détournement de fonds200.
Ce dispositif édicte ainsi, à l’encontre de responsables de tels méfaits,
une gamme de sanctions pénales.
Le troisième objectif du projet de loi porte sur le droit pénal.
À ce titre, le texte prévoit plusieurs procédures permettant d’exiger
la collaboration des intermédiaires, notamment des secteurs de
la publicité et des paiements électroniques, afin de bloquer ou de
suspendre les flux vers les contenus illicites. Selon Marc Rees, ce
mouvement rappelle un peu celui remis à jour en France par la Loi
HADOPI à la suite des pressions des ayants droit, tout en suivant
le principe de subsidiarité que l’on retrouve, notamment, en France
dans la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN)201.
En pratique, une première phase n’excédant pas 48 heures visera
l’incitation au retrait volontaire ou à l’échange d’information avec
le responsable des contenus illicites ou l’éditeur du site. À défaut de
résultats concluants, les intermédiaires de courtage et de publicité
seront invités à apporter leur concours pour suspendre le service
délinquant. En dernier recours, le fournisseur d’accès aura l’obligation
de procéder à un blocage d’accès à l’Internet. Si le site est offert avec
199.
200.
201.
« Las entidades de gestión critican la intención del Gobierno de ilegalizar
“prácticamente” todas las copias privadas », Diario Siglo XXI, 22 mars 2013,
<http://www.diariosigloxxi.com/texto-ep/mostrar/20130322161051/las-entidadesde-gestion-critican-la-intencion-del-gobierno-de-ilegalizar-practicamente-todaslas-copias-privadas>.
Amélie HEIDINGER, « SGAE – Scandale au Palacio de Longoria », lepetitjournal.
com, 12 juillet 2011, <http://www.lepetitjournal.com/madrid/societe/82158-sgae-scandale-au-palacio-de-longoria>.
Voir Legifrance, Loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, <http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORF
TEXT000000801164&dateTexte=&categorieLien=id>.
130
Les Cahiers de propriété intellectuelle
un nom de domaine.ES, l’autorité d’enregistrement pourra être amenée à bloquer ce nom pour une durée de six mois. En cas de défaillance
répétée dans le retrait, l’éditeur du site pourra être sanctionné d’une
amende administrative de 30 000 à 300 000 euros selon la gravité des
faits. Le texte législatif préconise enfin des mesures pour accélérer
l’identification des responsables202.
Malgré ce projet de loi, les autorités espagnoles veulent aller
plus loin en affichant désormais leur volonté de punir davantage
les responsables de sites profitant du piratage pour engranger,
directement ou indirectement, des profits. C’est ainsi que, dans un
communiqué diffusé le 20 septembre 2013 à la suite d’une réunion
du Conseil des ministres, l’Exécutif espagnol a élaboré son projet de
modification du Code pénal203. Un volet qui porte sur la protection des
droits de propriété intellectuelle est tout particulièrement consacré
au partage de fichiers sur Internet par le truchement duquel l’Espagne souhaite s’attaquer davantage à « l’exploitation économique, la
reproduction, le plagiat, la distribution et la communication au public
d’œuvre sans l’autorisation de leurs ayants droit, avec l’intention de
faire directement ou indirectement un profit (grâce à la publicité
par exemple), ou bien de faciliter l’accès à des œuvres protégées sur
Internet »204. Le gouvernement espagnol insiste notamment sur le
fait que les simples utilisateurs seront épargnés par l’évolution à
venir, de même que les logiciels de P2P ou les moteurs de recherche
considérés comme neutres. En revanche, il est souligné que « les sites
fournissant une liste de liens à partir desquels il est possible d’accéder
illégalement à des œuvres protégées par le droit d’auteur » seront tout
particulièrement ciblés, dont précisément les annuaires de liens de
téléchargement direct.
Le durcissement annoncé en Espagne consiste en une extension
des peines maximales encourues par les responsables de ces sites à
visée commerciale. Le communiqué indique en effet que les sanctions
minimales actuellement en vigueur seront maintenues, mais que
202.
203.
204.
Marc REES, « Copie privée, contrefaçon et intermédiaires, le grand ménage
espagnol », PC INpact, 25 mars 2013, <http://www.pcinpact.com/news/78508copie-privee-contrefacon-et-intermediaires-grand-menage-espagno.htm>.
Noticias del Ministerio: El Gobierno aprueba una reforma del Código Penal
que facilita la persecución de los corruptos, 20 septembre 2013, <http://www.
mjusticia.gob.es/cs/Satellite/es/1215197775106/Medios/1288784411175/Detalle.
html>. Voir également le texte intégral disponible à <http://static.pcinpact.com/
medias/130920_proyecto_de_ley_de_reforma_del_codigo_penal.pdf>.
Traduction proposée par Xavier BERNE, « Piratage : bientôt des peines maximales de six ans de prison en Espagne », PC INpact, 23 septembre 2013, <http://
www.pcinpact.com/news/82504-piratage-bientot-peines-maximales-six-ans-pri
son-en-espagne.htm>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
131
« les comportements les plus graves pourront être punis jusqu’à six
ans de prison ».
Ces projets de loi du gouvernement espagnol, comme le projet
de loi du 27 mars 2013 et celui annoncé dans le communiqué du 20
septembre 2013, doivent nécessairement passer devant le Parlement
et ne devraient pas entrer en vigueur avant le printemps 2014, selon
le quotidien El País205.
6.
L’AUSTRALIE
6.1
Les transmutations du système de filtrage de
l’Internet en Australie
En 2009, la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI) avait réussi à faire pression sur les opérateurs irlandais
pour bloquer le site suédois de liens BitTorrent The Pirate Bay, contre
lequel elle était en procès. D’ailleurs, tout le lobby de l’édition musicale menaçait les fournisseurs de services Internet (FSI) de porter
plainte contre ces opérateurs pour complicité s’ils ne filtraient pas
l’accès à The Pirate Bay. Mais la menace avait du mal à passer en
Norvège au point que le ministre de l’Éducation et de la Recherche,
Bàrd Vegar Solhjell, était intervenu pour prendre la défense du P2P et
qu’il proposait l’instauration d’une licence globale pour compenser la
légalisation des échanges de fichiers entre individus, un coup de pouce
pour conforter les FSI qui s’opposaient au filtrage206. Il convient de
noter que, du point de vue du ministre norvégien, la question n’était
pas de légaliser ou non le P2P, mais plutôt de chercher comment
financer les téléchargements sur l’Internet.
Telenor, le principal opérateur norvégien des télécommunications, avait rapidement saisi cette perche pour envoyer une fin de
non-recevoir aux menaces conjointes de l’IFPI norvégienne et de deux
associations d’éditeurs et de producteurs de cinéma finlandais, qui
s’étaient joints à la demande de blocage de The Pirate Bay, estimant
qu’il n’y avait aucune base légale pour qu’un FSI agisse dans l’intérêt
des titulaires de droits de propriété intellectuelle numériques en vue
de bloquer des sites particuliers. Le directeur de Telenor, Ragnar
205.
206.
Daniel VERDÚ, « Los juristas, escépticos ante las penas de cárcel para la pirate
ría », El País, 23 septembre 2013, <http://cultura.elpais.com/cultura/2013/09/19/
actualidad/1379619363_158979.html>.
Guillaume CHAMPEAU, « La Norvège prête à proposer la licence globale pour
légaliser le P2P », Numerama, 23 février 2009, <http://www.numerama.com/
magazine/12108-la-norvege-prete-a-proposer-la-licence-globale-pour-legaliserle-p2p.html>.
132
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Kàrus, soutenait d’ailleurs que le problème était non celui des FSI,
mais bien celui des ayants droit eux-mêmes qui devaient développer
des modèles économiques viables. Il estimait que demander à un FSI
de contrôler et de déterminer ce que les internautes pouvaient ou non
télécharger était tout aussi mauvais que de demander à un bureau
de poste d’ouvrir et de lire chaque lettre et de décider ce qui devrait
être livré ou non207.
Pourtant, ce n’est pas cette approche qu’avait adoptée l’Australie dans sa croisade contre le téléchargement non autorisé des
contenus protégés sur l’Internet. L’Australie avait plutôt choisi la voie
du filtrage, un filtre obligatoire qui dépassait de loin les blocages déjà
à l’œuvre dans d’autres pays comme, par exemple, la Loi HADOPI
contre le piratage en France qui avait ouvert la voie à une évaluation
du filtrage et la Loi Loppsi (Loi d’orientation et de programmation
pour la performance de la sécurité intérieure) du 14 mars 2011 qui a
comme objectif de lutter contre la criminalité générale, la délinquance
routière, la cyber-pédopornographie et aussi les sites illégaux de jeux
en ligne et qui autorisait déjà le filtrage, mais après décision de justice.
Des systèmes comparables étaient d’ailleurs mis en œuvre dans des
pays comme l’Allemagne, l’Angleterre, le Canada ou l’Italie.
La logique australienne était différente. Sans se désintéresser
de la protection de la propriété intellectuelle, la coalition gouvernementale alors en place recherchait davantage des mécanismes
d’autorégulation des FSI en appliquant à l’Internet les mêmes règles
de censure qu’à la télévision ou au cinéma. Depuis 2007, l’organisation
anti-piratage de l’industrie du disque australienne, la Music Rights
Australia, plus connue sous le sigle MIPI (Music Industry Piracy
Investigations), faisait pression sur le gouvernement australien pour
adopter à ce sujet des mesures de filtrage de l’Internet. D’ailleurs, sa
directrice, Herald Sabiene, déclarait clairement que « parce que le
partage de fichiers par P2P implique que les fichiers musicaux soient
sur les ordinateurs des particuliers, il y a peu de choses que le MIPI
puisse faire pour supprimer ces fichiers ou pour empêcher qu’ils soient
partagés. C’est pourquoi, nous avons proposé aux fournisseurs d’accès
à l’Internet un système de bon sens de messages d’avertissement qui,
s’ils restent lettre morte, pourraient en définitive provoquer la suspension ou la résiliation du compte de l’utilisateur »208. Le directeur de
207.
208.
MUSIC INFORMATION CENTRE NORWAY, Major Norwegian ISP rejects Pirate
Bay Ban, 5 mars 2009, <http://mic.no/mic.nsf/doc/art2009030509361797610437>.
Heath GILMORE et Kerrie ARMSTRONG, « War on Music Piracy », The
Sydney Morning Herald, 17 février 2008, <http://www.smh.com.au/articles/
2008/02/16/1202760662778.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
133
la National Internet Industry Association, Peter Corones, avait alors
vivement protesté en déclarant que les FSI n’étaient pas la police
du droit d’auteur, mais qu’ils étaient seulement de simples conduits.
Face à cette situation, et avant d’aller plus loin dans leur projet
d’instauration du filtrage de l’Internet, les autorités australiennes
ont commencé dès 2009 à mener une série de tests209, à partir d’une
liste confidentielle de 1 370 sites Internet, en ciblant non seulement
la pédopornographie, mais également l’incitation au terrorisme,
l’apologie des drogues, la violence excessive. Cette liste, établie et
gardé secrète par la Australian Communications and Media Authority,
était utilisée pour poursuivre les sites Internet qui pointaient vers les
contenus censurés et qui étaient susceptibles d’amendes s’élevant à un
montant de 11 000 $ australiens par jour d’infraction pour ceux qui
ne retireraient pas les liens après notification. Des fuites de Wikileaks
avaient révélé que seuls 674 des 1 370 de la liste présentaient bien
un caractère pédopornographique210.
En guise de protestation, des internautes inquiets des dommages collatéraux que ces mesures pouvaient occasionner, comme le
ralentissement du débit de l’Internet ou le blocage de sites inoffensifs,
avaient alors organisé un blackout du Web australien. Une opération
Tempête de seins, consistant à attaquer des sites gouvernementaux,
avait même été organisée par le collectif Anonymous211.
L’opposition au projet de filtrage de l’Internet en Australie était
montée d’un cran lorsque les géants américains de l’Internet, Google
et Yahoo, étaient intervenus pour critiquer ouvertement ce projet, la
présidente de Google Australie, Lucinda Barlow, déclarant que « certaines limites, comme celles concernant la pornographie enfantine,
vont de soi. Aucun Australien ne veut que cela soit accessible, et nous
sommes d’accord. Mais le niveau de filtrage va bien au-delà et pose des
questions sur les restrictions imposées dans l’accès à l’information »212.
209.
210.
211.
212.
Australian Government, Department of Communications, <http://www.commu
nications.gov.au/>.
Voir ENIGMAX, « Torrent Sites End Up on Aussie Blacklist », TorrentFreak,
19 mars 2009, <http://torrentfreak.com/torrent-sites-end-up-on-aussie-black
list-090319>.
David KRAVETS, « Anonymous Unfurls “Operation Titstorm” », Wired, 2 octobre
2010, <http://www.wired.com/threatlevel/2010/02/anonymous-unfurls-operationtitstorm>.
Benjamin FERRAN, « Le filtrage de l’Internet en Australie suscite l’inquiétude », Le Figaro, 30 mars 2010, <http://www.lefigaro.fr/web/2010/03/
30/01022-20100330ARTFIG00682-le-filtrage-de-l-internet-en-australie-suscitel-inquietude-.php>.
134
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En appui à ce mouvement de contestation concernant le système de blocage des sites, le gouvernement américain avait lui aussi
manifesté ses inquiétudes aux autorités australiennes par la voix
de son porte-parole, Michael Tran, qui affirmait ce qui suit : « Nous
restons mobilisés pour une libre circulation de l’information que nous
considérons comme vitale pour la prospérité économique et essentielle
pour l’ouverture des sociétés »213.
Même l’organisation humanitaire, Reporters sans frontières,
avait adressé au Premier ministre australien, Kevin Rudd une lettre ouverte au sujet de la censure de l’Internet214 et elle avait placé
l’Australie « sous surveillance dans sa liste des pays ennemis de
l’Internet »215.
Face à une telle levée de boucliers, le projet de filtrage que le
gouvernement australien comptait présenter au cours de l’année 2010
a été abandonné. Le ministre des Communications et de l’Économie
numérique, Stephen Conroy, est même intervenu publiquement pour
assurer que le blocage des réseaux P2P n’avait jamais fait partie de
ses plans.
Même la justice australienne avait résisté à la pression du
filtrage en n’obligeant aucun FSI à bloquer l’accès aux réseaux P2P de
téléchargement, considérant que ceux-ci n’étaient pas responsables216.
Plus précisément, un jugement rendu par la Cour fédérale217,
en février 2010, est venu en quelque sorte sonner le glas du projet
australien de filtrage de l’Internet. En effet, les plus grands studios
d’Hollywood, dont Warner Bros, Disney, Paramount, Columbia ou
encore Twentieth Century Fox, avaient poursuivi en justice iiNet, le
troisième FSI le plus important en Australie, pour qu’il bloque l’utilisation de BitTorrent sur son réseau, ou qu’il accepte de suspendre
213.
214.
215.
216.
217.
Ryshia BANS, « US Government Is Concerned about Australia’s Internet Filter
Plan », International Business Times, 31 mars 2010, <http://au.ibtimes.com/
articles/20100330/us-government-is-concerned-about-australiainternet-filterplan.htm>.
Jean-François JULLIARD, « Lettre ouverte au Premier ministre australien
au sujet de la censure d’Internet », Reporters sans frontières, 18 décembre
2009, <http://fr.rsf.org/australie-lettre-ouverte-au-premier-ministre-18-12-2009,
35378>.
« La liste des ennemis d’Internet s’allonge », Le Figaro, 11 mars 2010, <http://
www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/03/11/97001-20100311FILWWW00777-la-listedes-ennemis-d-internet-s-allonge.php>.
Michael GEIST, Australian Judge Explains Why Three Strikes Isn’t Reasonable,
3 février 2010, <http://www.michaelgeist.ca/content/view/4760/125/>.
Roadshow Films Pty Ltd v. iiNet Limited (No. 3), [2010] FCA 24 (Federal Court
of Australia, 4 février 2010).
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
135
l’accès à l’Internet des abonnés suspectés de téléchargement illégal,
dont l’adresse IP lui serait communiquée par les ayants droit. La
justice australienne a refusé de condamner iiNet et elle a débouté
les studios hollywoodiens qui espéraient ainsi créer un précédent
judiciaire favorable à une riposte graduée ou à un filtrage du Web
comme celui qui avait condamné l’éditeur du logiciel P2P Kazaa218.
Dans ce jugement très attendu, la Cour fédérale de l’Australie
a reconnu l’existence d’un piratage massif sur le réseau de iiNet, mais
elle a refusé de rendre le FSI responsable. Les requérants alléguaient
que, malgré les relevés d’adresses IP « pirates » transmis à iiNet,
celui-ci avait toujours refusé de suspendre l’accès à l’Internet des
abonnés concernés, ce qui était pour eux une preuve de complicité.
Ils souhaitaient en quelque sorte que iiNet collabore à une riposte
graduée sans l’intermédiaire de la justice, sur simple dénonciation.
Pour contrer tout argument sur l’atteinte à la liberté de communication induite par la suspension, ils rappelaient que le FSI coupait
l’accès en cas d’impayé.
En réponse, le juge Dennis Cowdroy a estimé que, contrairement à ce que prétendaient les studios américains, iiNet n’avait pas
autorisé le partage illicite de fichiers sur BitTorrent par l’absence
de mesures préventives, car quel que soit leur qualité les relevés
d’adresses IP transmis par l’industrie cinématographique ne sont
pas suffisants pour déterminer de façon certaine qu’il y a bien eu
atteinte aux droits d’auteur de la part de l’abonné. Expliquant pourquoi la riposte graduée n’était pas un mécanisme raisonnable de lutte
contre le piratage, le juge a souligné qu’il ne serait pas raisonnable
de couper l’accès à l’Internet à cause de violations de droits d’auteur.
« Évidemment, la suspension des comptes de l’abonné constituerait
une étape qui empêcherait la personne ou les personnes de violer
des droits d’auteur, au moins avec ce FSI, mais il empêcherait aussi
cette personne ou ces personnes d’utiliser l’Internet pour toutes les
autres utilisations non contrefaisantes »219, rappelle le juge, dans
l’affaire Kazaa, l’éditeur n’a été contraint de fermer son réseau P2P
que parce qu’il avait été démontré lors du procès que le piratage était
l’utilisation prédominante faite de Kazaa. Lorsque le FSI reçoit des
plaintes pour piratage, rien ne lui permet de dire que son client utilise l’Internet essentiellement pour pirater. C’est aussi un peu l’idée
qu’avait retenue le Conseil constitutionnel français en statuant sur
218.
219.
« Kazaa de retour dans les tribunaux australiens », Numerama, 20 février
2006, <http://www.numerama.com/magazine/2531-kazaa-de-retour-dans-lestribunaux-australiens.html>.
Michael GEIST, Australian Judge Explains Why Three Strikes Isn’t Reasonable,
3 février 2010, <http://www.michaelgeist.ca/content/view/4760/125/>.
136
Les Cahiers de propriété intellectuelle
la Loi HADOPI lorsqu’il prévenait que la suspension de l’accès ne
pourrait être prononcée par un juge que si elle constitue une mesure
« strictement nécessaire » et « proportionnée ». Ce qui ne serait probablement pas le cas pour quelques films ou albums téléchargés220.
Enfin, en 2011, le gouvernement australien a décidé de suspendre, au moins temporairement, son programme de filtrage de
l’Internet par souci d’économie tout d’abord, car la suspension de cette
mesure coûteuse lui permettrait de récupérer 9,6 millions de dollars
et de les réaffecter à d’autres projets221. De plus, cette mesure était
très contestée et son efficacité n’était pas tout à fait évidente. Une
étude d’impact222 sur le filtrage des contenus pédopornographiques
concluait que le filtrage est au mieux inefficace, au pire extrêmement
coûteux pour une efficacité de toute façon douteuse. De plus, le coût
du filtrage pourrait monter jusqu’à 140 millions d’euros pour une
technique très invasive d’inspection profonde des paquets (DPI), qui
consistait à examiner chacune des communications des internautes
afin de vérifier la licéité du contenu. Donc, un problème éthique
extrêmement important pour une solution de toute façon inefficace
dans les cas de chiffrage des communications.
6.2
Quel rôle pour les FSI dans la lutte contre le piratage
sur Internet ?
La responsabilité du FSI est devenue une priorité pour de
nombreux pays qui se soucient davantage d’offrir de meilleurs mécanismes en matière de protection des contenus en ligne. À ce titre,
ils s’efforcent de rechercher un équilibre entre les droits d’auteur
et l’intérêt général en prenant la mesure du vaste mouvement au
travers duquel s’opèrent à la fois la fluidité et la facilité de diffusion
220.
221.
222.
Guillaume CHAMPEAU, « Hollywood échoue à imposer une riposte graduée
contre BitTorrent en Australie », Numerama, 5 février 2010, <http://www.
numerama.com/magazine/15022-hollywood-echoue-a-imposer-une-ripostegraduee-contre-bittorrent-en-australie.html>.
Fran FOO, « Budget 2011: The Gillard Government Will Scrap Its Voluntary
Internet Filtering Grants Program to Save $9.6 Million Over Three Years, The
Australian », National Affairs, 10 mai 2011, <http://www.theaustralian.com.au/
national-affairs/budgets/budget-2011-labor-ends-voluntary-net-filtering-scheme/
story-fn8gf1nz-1226053563031>.
L’étude réalisée par la Fédération française des télécommunications, chargée
de défendre les intérêts des FSI et des opérateurs mobiles, a été commandée
par le gouvernement français qui souhaitait mettre en place le filtrage des
contenus avec le projet de loi Loppsi : voir Guillaume CHAMPEAU, « Filtrage
de la pédophilie : jusqu’à 140 millions d’euros pour rien », Numerama, 2 octobre
2009, <http://www.numerama.com/magazine/14130-filtrage-de-la-pedophiliejusqu-a-140-millions-d-euros-pour-rien.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
137
de l’information conjuguée à la faculté limitée des titulaires de droits
de contrôler l’utilisation, ou même la réutilisation de leurs œuvres.
À cet égard, plusieurs schémas conceptuels ont été imaginés pour
essayer de circonscrire ce phénomène au cœur duquel se trouvent
placés les FSI.
Un premier modèle, celui de la responsabilité conditionnelle,
semble traduire dans les faits la procédure dite d’avis et retrait (Notice
and Takedown) par laquelle les FSI jouissent d’une limitation de leur
responsabilité à la condition d’agir promptement pour retirer les
informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible, dès le moment
où les ayants droit leur rapportent un cas de violation des droits
d’auteur sur leurs réseaux.
Le modèle de la responsabilité directe est, quant à lui, considéré
comme une reconnaissance manifeste du pouvoir des tribunaux de
prononcer une ordonnance à l’encontre d’un prestataire afin de prévenir une activité illégale en ligne. Le Royaume-Uni223 et le Japon224
ont expérimenté ce modèle.
Un troisième modèle, celui de la responsabilité secondaire,
est reconnu par la plupart des pays membres du Commonwealth. Il
met en œuvre la notion de responsabilité indirecte dans les cas de
partage de fichiers P2P. La législation nationale ne retient à ce sujet
que la responsabilité d’une personne pour négligence commise par
une autre à laquelle la première a confié ou a délégué l’exécution de
certaines tâches en son nom. C’est ainsi, par exemple, qu’en Australie,
la législation sur le droit d’auteur reconnaît un délit d’autorisation
consistant en une forme de responsabilité indirecte des FSI. En l’espèce225, les tribunaux statuent sur la culpabilité en cas de violation
des droits d’auteur d’un prestataire après avoir examiné un faisceau
de preuves concluantes et en se penchant sur les questions suivantes :
Le fournisseur d’accès était-il en mesure de prévenir la violation ?
Quelle est la nature de la relation entre le FSI et le contrevenant ? Le
FSI a-t-il adopté des mesures raisonnables pour prévenir l’infraction ?
223.
224.
225.
Voir Twentieth Century Fox Film and Others v. British Telecommunications PLC,
[2010] EWHC 608 (Ch., 29 mars 2010).
Yuji YAMAGUCHI, « Developments of Court Decisions and Recent Topics
Relating to the Provider Liability Limitation Act – JASRAC c. MMO Japan »
(Tokyo District Court, 29 janvier 2003), (2011) 12 YUASA & HARA Business
Law News, p. 2, <http://www.yuasa-hara.co.jp/english/news/pdf/BL/BL012.pdf>.
Voir University of New South Wales v. Moorhouse, [1975] HCA 26 (High Ct.
Australia, 1er août 1975).
138
6.3
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Les accords contractuels au secours des initiatives
légales : le nouveau modèle australien
En pratique, la mise en œuvre de ces différents modèles dans la
lutte contre le piratage des contenus protégés sur l’Internet a entraîné
des disparités dans les mécanismes de protection des contenus en
ligne, mécanismes qui se sont révélés incertains au plan juridique.
Pour remédier efficacement et rapidement aux difficultés soulevées
et pour parvenir à un juste équilibre entre l’intérêt général et celui
des auteurs, certains pays ont, en cette matière, fait intervenir des
initiatives privées émanant des acteurs eux-mêmes, en dehors du
cadre juridique. Ils ont ainsi balisé le terrain en permettant d’établir
une collaboration à la fois large et efficace entre les diverses parties
prenantes dans le cadre d’accords négociés qui ont même permis à
l’industrie du disque et aux FSI de réduire leur manque à gagner lié
à l’essor du numérique226.
C’est cette approche contractuelle pratique qui a été adoptée
en Australie. En novembre 2011, les cinq plus importants FSI ont
présenté au gouvernement une proposition détaillée pour faire face
à la question du partage de fichiers illégaux227. L’accord prévoit l’implantation du système de l’envoi de lettres d’avertissement, mais,
contrairement au régime de la réponse graduée, il ne comprend pas
la sanction de la coupure de l’accès à l’Internet. Pour cela, les ayants
droit devront recourir au système judiciaire en vue de faire punir les
contrevenants récidivistes.
Selon Sandrine Hallemans228, cette proposition d’accord définit
le cadre d’un régime de notification qui a pour objet d’éduquer les
abonnés à l’Internet lorsque leurs connexions sont « suspectées » de
se livrer à un téléchargement non autorisé de contenus protégés par
la propriété intellectuelle. La responsabilité de la surveillance des
réseaux de partage de fichiers reposerait sur les ayants droit, qui ne
pourraient utiliser que des systèmes de détection testés et approuvés.
Les avis de détection devront être envoyés aux fournisseurs d’accès à
l’Internet dans les 14 jours suivant l’enregistrement d’une infraction
et ces fournisseurs auront, à leur tour, 14 jours pour faire correspondre l’adresse IP fournie avec le compte d’un abonné et expédier à ce
226.
227.
228.
ERNST & YOUNG, La propriété intellectuelle à l’ère du numérique, op. cit., p. 13.
COMMUNICATIONS ALLIANCE LTD, Australian Internet Service Provider
Proposal: “A Scheme to Address Online Copyright Infringement”, 25 novembre
2011, <http://www.commsalliance.com.au/__data/assets/pdf_file/0019/32293/
Copyright-Indus try-Scheme-Proposal-Final.pdf>.
Voir Étude relative à la lutte contre les atteintes au droit d’auteur sur Internet,
op. cit., p. 49.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
139
dernier un avis d’infraction. Les abonnés qui reçoivent un premier
avertissement de téléchargement illicite de fichiers devraient recevoir
un avis (Education Notice) leur signifiant qu’une infraction a eu lieu
à même leur compte, mais sans mentionner le contenu du document
qui a été partagé. L’avis devrait également inclure une information
sur la manière d’obtenir du contenu légalement. Après avoir reçu un
avis, s’ensuivrait alors une période de 12 mois, période durant laquelle
l’abonné recevra, s’il est pris de nouveau à défaut, un avis de violation de droits d’auteur (Copyright Infringement Notice), ce dernier
avis détaillant cette fois-ci le contenu partagé en cause. Lorsqu’un
abonné a reçu un avertissement, puis trois avis de violation, son
FSI leur enverrait un nouvel avis (Discovery Notice) dans lequel est
expressément inscrit que le titulaire du compte a été insensible aux
avis précédents, que les titulaires de droit ont été informés de ce fait
et que d’autres mesures pourraient suivre.
C’est à ce stade que les ayants droit auraient à décider s’ils souhaitent obtenir une ordonnance du tribunal pour obtenir l’identité du
titulaire du compte afin de le poursuivre en vertu des lois existantes.
À chaque étape, de l’Education Notice au Discovery Notice, l’abonné a
la possibilité de faire appel. Les FSI proposent ce mécanisme à l’essai
pour 18 mois et à l’issue de cette période d’essai, une évaluation
indépendante sera effectuée en vue de déterminer si des changements
devraient être apportés à ce système.
Il convient toutefois de mentionner que les ayants droit ne
sont pas partie à l’accord, mais la déclaration du « Communication
Alliance » souligne que le mécanisme mis en place est le résultat de
discussions qui se sont tenues en 2011 entre les FSI, le gouvernement
australien et les ayants droit. Contrairement au régime en place en
Nouvelle-Zélande, ce n’est pas un mécanisme de réponse graduée
intégral qui a été proposé par les FSI pour traiter des cas des contrevenants récidivistes. C’est dire qu’il n’y aura pas de suspension ou
de coupure de l’accès à l’Internet des abonnés. C’est davantage un
régime d’avertissement qui sera implanté et dont l’accent sera mis
sur l’éducation des consommateurs.
C’est certainement la voie que suivra le gouvernement australien, étant donné que, le 20 avril 2012, la Haute Cour australienne
confirmait le jugement de la Cour fédérale rendu en 2010 dans l’affaire
iiNet à l’effet que le FSI impliqué n’était pas tenu responsable des
infractions aux droits d’auteur commises par ses abonnés sur son
réseau.
140
Les Cahiers de propriété intellectuelle
7.
NOUVELLE ZÉLANDE
7.1
Le contexte
Après la France, le Royaume-Uni ou la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande a également été l’un des pays pionniers à introduire
le mécanisme de la riposte graduée dans sa législation interne. La
Nouvelle-Zélande recherchait ainsi le moyen d’adapter sa législation
aux univers numériques afin de lutter efficacement contre les téléchargements non autorisés des contenus protégés par la propriété
intellectuelle sur les réseaux P2P.
La législation sur le droit d’auteur de 1994229 a été modifiée par
une loi controversée, la Section 92A of the Copyright Amendment Act,
qui a été votée en 2008 en vue de forcer les FSI à adopter une politique
de suspension d’accès à l’Internet contre des abonnés qui se livreraient
au téléchargement non autorisé de contenus protégés230. Cette loi
stipule que les FSI devront adopter et mettre en œuvre de manière
raisonnable une politique sur la résiliation, dans des circonstances
appropriées, du contrat de service d’un contrevenant multirécidiviste231. Ainsi, de simples indices ou des allégations pourront suffire
pour justifier la coupure d’accès, sans preuve ni intervention d’un juge.
Programmée pour être applicable dès la fin de février 2009,
une véritable fronde des internautes néo-zélandais soutenus par
les FSI s’était rapidement organisée pour contrer ce projet de loi
avec, notamment, une pétition de 18 000 signataires232 lancée le 18
décembre 2008 et un blackout du Web organisé le 28 février 2009233.
Les critiques234 contre le projet de loi étaient également supportées par l’Internet New Zealand Inc. (InternetNZ), membre de l’ISOC
229.
230.
231.
232.
233.
234.
New Zealand Legislation, Copyright Act 1994, Public Act 1994 No. 143, <http://
www.legislation.govt.nz/act/public/1994/0143/latest/DLM345634.html>.
« Campaign to Stop File-Sharers Being “Guilty Upon Accusation” », TorrentFreak,
5 janvier 2009, <http://torrentfreak.com/campaign-to-stop-file-sharers-beingguilty-upon-accusation-090105/>.
Voir TCF – NEW ZEALAND TELECOMMUNICATIONS FORUM, ICT Industry Moves To Address Copyright Confusion: A joint statement from the TCF,
InternetNZ, ISPANZ, TUANZ, New Zealand Computer Society & Women in
Technology, on section 92A of the recently passed Copyright (New Technologies)
Amendment Act, 19 septembre 2008, <http://www.tcf.org.nz/news/0107852335f5-41c4-b8bc-7ed0b4d07848.html>.
What is Copyright?, <http://creativefreedom.org.nz/copyright/>.
THE CREATIVE FREEDOM FOUNDATION, This Website Is Blacked Out,
<http://www.cre8d-design.com/wp-content/uploads/2009/02/blackout-day7.png>.
« Govt Rejects Calls to Alter Internet Law », Stuff, 31 janvier 2009, <http://www.
stuff.co.nz/national/811696>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
141
(Internet Society), dont le président, Keith Davidson, farouchement
opposé au projet de loi, constatait que les FSI devraient désormais
jouer le rôle de juge, de jury et de bourreau. Le porte-parole de TelstraClear, Mathew Bollan, renchérissait en déclarant que les FSI ne
voulaient pas violer la loi, mais qu’ils ne voulaient non plus marteler
leurs clients. L’interlocuteur de Google estimait de sa part que la
suspension de l’abonnement à l’Internet dans le cadre de la riposte
graduée constituait une sanction disproportionnée et que les droits
de la défense n’étaient pas assurés. En effet, il jugeait que le projet de
loi « met en danger les droits fondamentaux et les droits procéduraux
des utilisateurs, en menaçant de suspendre l’accès à Internet des
utilisateurs en se basant sur de simples allégations et en renversant
la charge de la preuve sur l’utilisateur qui doit démontrer qu’il n’y a
pas eu de délit »235.
Il convient de faire remarquer que, dans son application, la
Section 92A de la loi comportait des différences significatives avec la
Riposte graduée française. En effet, tenus de mettre en place la riposte
graduée à la fin de février 2009, les FSI néo-zélandais avaient posé des
conditions extrêmement strictes à sa mise en œuvre en publiant dès
le 4 février 2009 un code de bonne conduite (Internet Service Provider
Copyright Code of Practice)236, code qui devait encadrer l’application
de la riposte graduée. Tout d’abord, l’internaute qui aurait été repéré
comme contrefacteur aurait bénéficié de la présomption d’innocence
jusqu’à ce que le FSI ait fourni des preuves acceptables de sa culpabilité. De plus, contrairement à la loi HADOPI, la Nouvelle-Zélande
voulait confier la responsabilité de la « Section 92A » à un organisme
judiciaire qui aurait eu à lui seul la responsabilité de prononcer la
sanction lorsque le FSI aurait fourni des preuves suffisantes.
7.2
Les hauts et les bas du système de riposte graduée
en Nouvelle-Zélande
Face à ces critiques, le gouvernement néo-zélandais, qui a
d’abord refusé de reporter l’application du texte controversé, a ensuite
capitulé en déposant un nouveau projet qui stipule qu’en cas d’infrac-
235.
236.
Guillaume CHAMPEAU, « Google s’oppose à la riposte graduée », Numerama,
17 mars 2009, <http://www.numerama.com/magazine/12343-google-s-oppose-ala-riposte-graduee.html>.
TCF – NEW ZEALAND TELECOMMUNICATIONS FORUM, Internet Service Provider Copyright Code of Practice, Draft, 4 February 2009, For Public
Consultation, p. 29, <http://www.tcf.org.nz/library/2e53bf81-d6c4-4735-9ed0740e8b2c6af3.cmr>.
142
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tions répétées, l’internaute risquerait jusqu’à six mois de suspension,
mais pourrait faire appel de la décision237.
Le 23 février 2009, au lieu d’attendre l’échéance du 28 février,
le premier ministre néo-zélandais, John Key, a annoncé la suspension
de l’entrée en vigueur de la Section 92A du projet de loi jusqu’au 27
mars si aucun accord entre les différentes parties concernées n’était
trouvé238. Soulagé par ce report, tout comme les autres organisations
qui s’étaient dressés contre le projet de loi, Keith Davidson a aussitôt
déclaré que « les néo-zélandais peuvent pousser un soupir de soulagement, leur accès à Internet n’est plus menacé par des allégations
non prouvées d’infraction au droit d’auteur. La Section 92A doit être
abrogée. Couper un accès à l’Internet a toujours été une réponse disproportionnée à une atteinte au copyright et forcer les FSI et d’autres
organisations à être les juges et les exécutants du copyright n’a jamais
été une situation acceptable. Mais ce report est un bon début ».
Le ministre du Commerce, Simon Power, a justifié ce report
par le fait que le cabinet a considéré que l’entrée en vigueur de la
Section 92A dans sa conception actuelle ne serait pas approprié au
regard du niveau d’incertitude gravitant autour de son fonctionnement. La Section 92A n’est cependant pas complètement abolie
puisque le gouvernement prévoit des amendements élaborés sur la
base d’accords entre ayants droit et FSI afin d’améliorer le texte et le
rendre opérationnel. C’est ce qu’affirmait également le ministre des
Communications et des Technologies de l’information, Steven Joyce,
en cherchant à rassurer les parties prenantes : « nous allons garder
un œil sur la manière dont la nouvelle loi fonctionne dans la pratique.
Nous sommes prêts à envisager des modifications supplémentaires
si cela s’avère nécessaire ».
Contre toute attente, le gouvernement néo-zélandais, sans
attendre l’échéance du 27 mars 2009, a pris tout le monde de court
en décidant le 23 mars qu’il ne mettra pas en œuvre sa riposte
graduée, ou pas sous une forme identique au système français239. Il
237.
238.
239.
« New Zealand Readies New Three-Strikes Legislation », Music:Ally, 17 décembre
2009, <http://musically.com/2009/12/17/new-zealand-readies-new-three-strikeslegislation/> (sur abonnement).
Juha SAARINEN, « John Key Delays Copyright Law: The Government May
Suspend S92a If No Agreement Is Reached », Computer World, 22 février
2009, <http://www.computerworld.co.nz/article/492772/john_key_delays_copy
right_law>.
Guillaume CHAMPEAU, « La Nouvelle Zélande abandonne la riposte graduée à la française », Numerama, 23 mars 2009, <http://www.numerama.com/
magazine/12394-la-nouvelle-zelande-abandonne-la-riposte-graduee-a-la-fran
caise.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
143
n’est toutefois pas question officiellement d’abandonner totalement
la riposte graduée, puisque le gouvernement dit avoir finalement
entendu les arguments des opposants et souhaite remettre à plat
le texte législatif pour mieux respecter les droits de la défense et
la présomption d’innocence. Le premier ministre, satisfait de cette
décision en a profité pour dénoncer un certain lobbying exercé par
les industries culturelles :
Nous sommes reconnaissants au Gouvernement de s’être abstenu de permettre qu’Internet soit compromis sur la base des
intérêts commerciaux étroits des industries du divertissement,
qui tentent de sauver des modèles économiques chancelants.
Ces industries devraient se concentrer sur l’éducation de leurs
clients, pas sur les menaces actuellement constituées.240
Après l’échec de l’adoption de la riposte graduée au premier
trimestre 2009, le gouvernement néo-zélandais et les représentants
des ayants droit ne désarment pas de trouver une solution pour lutter
contre le téléchargement illégal. Ainsi, une nouvelle Section 92A a
donc été mise en chantier. Une commission spéciale composée de
juristes spécialisés en propriété intellectuelle et en droit de l’Internet
a participé à l’élaboration de cette nouvelle riposte graduée. La principale avancée de ce nouveau document concerne les FSI qui n’auront
pas à jouer le rôle de police du droit d’auteur pour l’industrie culturelle. Néanmoins, la riposte graduée est toujours d’actualité, malgré
les craintes qu’elle suscite, en particulier sur le volet des sanctions.
En juillet 2009, le gouvernement néo-zélandais a donc présenté
une version remaniée de la riposte graduée, sans pour autant gommer
les risques qu’un tel processus pourrait engendrer241.
7.3
La nouvelle riposte graduée néo-zélandaise
et ses suites
Le 16 décembre 2009, un texte intitulé Illegal peer to peer file
sharing242, publié par le ministère du Commerce, propose de nouvelles
mesures portant sur la poursuite des infractions répétées au droit
240.
241.
242.
Observatoire de la contrefaçon numérique, Coupure de la connexion à Internet :
le consensus est ailleurs, 31 mars 2009, <http://www.contrefaconnumerique.
fr/2009/03/31/le-faux-consensus-de-la-%C2%AB-riposte-graduee-%C2%BB>.
ENIGMAX, « Modified 3 Strikes Back on Agenda For New Zealand Pirates »,
TorrentFreak, 14 juillet 2009, <http://torrentfreak.com/modified-3-strikes-backon-agenda-for-new-zealand-pirates-090714>.
Office of The Minister of Commerce, Illegal Peer-To-Peer File Sharing, p. 32,
<http://www.med.govt.nz/upload/71039/S92A-Cabinet-Paper.PDF>.
144
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’auteur en ligne. La suspension de l’accès à l’Internet des utilisateurs récidivistes est présentée comme une solution appropriée pour
combattre la piraterie en ligne.
Le document préparé par le ministère du Commerce de la Nouvelle-Zélande contient des recommandations en vue de modifier la loi
de 1994 avec pour objectif de trouver des moyens de lutter contre les
atteintes au droit d’auteur commises sur les plateformes d’échanges
de fichiers P2P. Trois mesures phares sont proposées : 1) les titulaires de droits seront habilités à envoyer des avertissements aux
utilisateurs de fichiers P2P illégaux par l’intermédiaire des FSI. Le
premier avertissement aurait une vocation pédagogique ; le deuxième
serait un message enjoignant à l’abonné de mettre un terme à ses
agissements ; enfin, un troisième avertissement informerait l’abonné
que trois atteintes ou plus ont été commises par lui ; 2) si le titulaire
de l’abonnement récidive, et à la condition que trois atteintes aient
été commises dans un délai de neuf mois, l’ayant droit pourra porter
plainte devant le Tribunal du droit d’auteur ; 3) les peines existantes
sanctionnant les atteintes répétées au droit d’auteur sur les plateformes d’échanges en P2P seront renforcées afin d’y inclure la suspension
de l’accès à l’Internet pour une durée maximale de six mois.
Le ministre du Commerce, qui envisageait d’introduire un
projet de loi devant le Parlement avant la fin du mois de février
2010, l’a effectivement fait le 23 février 2010. Le projet de loi intitulé
Copyright Infringing File Sharing Amendment Bill243, qui complète
la loi de 1994 et qui vise à sanctionner le téléchargement illégal, est
basé sur un mécanisme de «riposte graduée» en trois étapes afin de
combattre les échanges de fichiers P2P illégaux, mécanisme semblable à celui mis en place en France par la Loi HADOPI. Il autorise
notamment les ayants droit à transmettre aux FSI des preuves de
violation de droits d’auteur. Les FSI devront alors transmettre un
avertissement au possesseur de la ligne. Après trois avertissements,
les ayants droit pourront saisir un tribunal du droit d’auteur, qui
pourra ordonner le paiement de dommages et intérêts allant jusqu’à
15 000 dollars australiens.
Le projet de loi a été adopté en avril 2011 après quelques
propositions d’amendements en commission parlementaire et il est
entré en vigueur le 1er septembre 2011.
243.
Copyright (Infringing File Sharing) Amendment Bill, As reported from the Commerce Committee, <http://www.legislation.govt.nz/bill/government/2010/0119/
latest/DLM2764312.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
145
En pratique, comme le souligne Sandrine Hallemans244, le
nouvel article 122B du Copyright Act de 1994 résume les nouvelles
dispositions de la loi créant un régime spécial permettant aux ayants
droit de prendre des mesures exécutoires à l’encontre des personnes
qui violent le droit d’auteur par le partage de fichiers. Les ayants
droit, après avoir repéré des téléchargements non autorisés en ligne,
enjoignent aux FSI d’envoyer des avis d’infraction gradués aux contrevenants présumés : tout d’abord, un avis de détection, ensuite un avis
de mise en garde et, enfin, un avis d’exécution. Une fois ce dernier
avis transmis au contrevenant, qui a donc ignoré les avertissements
expédiés à ce jour, l’ayant droit peut prendre des mesures exécutoires
à son encontre et tenter d’obtenir une ordonnance du tribunal pour
le paiement d’une amende, ainsi qu’une injonction de suspension du
compte Internet du contrevenant pour une durée maximale de six
mois.
Il convient de faire remarquer que la Nouvelle-Zélande a opté
pour une solution proche de celle retenue en France dans la Loi
HADOPI, en faisant porter la responsabilité du téléchargement illégal
sur le propriétaire de la ligne, et non sur le « téléchargeur » lui-même.
L’un des aspects les plus controversés pour ceux qui s’opposent à cette
loi est qu’elle inverse le fardeau de la preuve, ouvrant ainsi la voie à
de nombreuses procédures abusives. Comme le souligne Rick Shera245,
« 30 % des plaintes pour violation de droit d’auteur n’aboutissent pas
parce que les plaignants ne peuvent pas prouver qu’ils détiennent les
droits. Mais les ayants droit n’auront plus besoin de prouver qu’ils
sont bien les propriétaires des droits », à moins que l’internaute ne
conteste la plainte.
Alors qu’en France les internautes sont sanctionnés par une
amende, ce sont des dommages et intérêts qui seront accordés aux
ayants droit par les tribunaux néo-zélandais, ce qui pourrait les
inciter à lancer un très grand nombre de procédures, dont certaines
sans fondement, jugent les opposants à la loi246. Pour tenter de limiter
ce problème, le législateur néo-zélandais a prévu que les plaignants
244.
245.
246.
Sandrine HALLEMANS, Étude relative à la lutte contre les atteintes au droit
d’auteur sur Internet, op. cit., p. 29 ; voir également « Three Strikes File Sharing
Bill Passed in New Zealand: NZFACT Backs Change Which Comes Into Effect
on 1 September », Computerworld, 15 avril 2011, <http://www.computerworld.
com.au/article/383413/three_strikes_file_sharing_bill_passed_new_zealand>.
« Net Piracy: Prove Innocence or Face Fine », The New Zealand Herald,
15 avril 2011, <http://www.nzherald.co.nz/entertainment/news/article.cfm?c_
id=1501119&objectid=10719372>.
« La Nouvelle-Zélande vote une loi proche de l’Hadopi », Le Monde, 15 avril 2011,
<http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/04/15/la-nouvelle-zelandevote-une-loi-proche-de-l-hadopi_1508007_651865.html>.
146
Les Cahiers de propriété intellectuelle
doivent s’acquitter de frais de dossiers pour pouvoir déposer leurs
plaintes. Le montant de ces frais n’a pas encore été fixé.
Les nouveaux développements découlant de l’implantation et
de la mise en service du système néo-zélandais de réponse graduée
indiquent que les premières lettres d’avertissement aux internautes
ayant procédé à un partage illégal de fichiers protégés par le droit
d’auteur ont été envoyées et que la Recording Industry Association
of New Zealand (RIANZ), représentant l’industrie musicale néozélandaise, aurait déjà déposé 42 avis d’infraction qui seront transmis
aux FSI des contrevenants présumés247. Les dernières statistiques
publiées en juillet 2012 par la New Zealand’s Federation Against
Copyright Theft (FACT) montrent qu’il y aurait eu une baisse de 50 %
du nombre de films téléchargés illégalement, tandis que le partage
des fichiers non autorisés sur les réseaux P2P aurait chuté de 18 %.
Toutefois, comme souligne la FACT, le nombre d’internautes utilisant
les réseaux P2P illégaux pour télécharger des contenus protégés est
encore de 41 % comparativement à la moyenne mondiale qui se situe
autour de 28 %248.
La Nouvelle-Zélande est à l’heure actuelle le dernier pays
à avoir instauré dans son droit interne un mécanisme de réponse
graduée.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal ontelles réussi à endiguer le phénomène de piratage sur Internet ou, à
tout le moins, induire une baisse de la piraterie sur Internet ?
La reproduction et la distribution illégales des œuvres protégées ne sont pas un problème nouveau. Le phénomène a cependant
pris une ampleur particulièrement importante ces dernières années à
cause, notamment, de la démocratisation de l’Internet et de l’augmentation exponentielle des débits. C’est un fait. Cependant, l’inventaire
des mesures proposées par divers gouvernements à travers le monde
fournit une réponse tout à fait contrastée pour la simple raison que
les résultats de l’implantation de ces mesures restent incertains du
247.
248.
Voir « New Zealand Three Strikes Gets Underway: Strike One Has Begun in
New Zealand’s Efforts To Crack Down on Internet Piracy », CMU, 1er novembre
2011, <http://www.thecmuwebsite.com/article/new-zealand-three-strikes-getsunderway/>.
Voir Iona SILVERMAN, « New Zealand Three-Strike Law Results in 50 %
Decrease in Infringement », The 1709 Blog, 23 juillet 2012, <http://the1709blog.
blogspot.be/2012/07/new-zealand-three-strike-law-results-in.html>.
Les législations de lutte contre le téléchargement illégal
147
fait des déficiences constatées dans les systèmes juridiques internes
étudiés.
L’étude des réflexions juridiques menées dans le cadre de cette
analyse révèle des approches distinctes sur l’identification du problème soulevé par le phénomène de téléchargement non autorisé des
contenus protégés sur Internet. Si elles reposent toutes sur l’élaboration et l’implantation d’un système répressif sanctionnant le piratage,
ces systèmes, qui poursuivent les mêmes objectifs, visent cependant
des cibles distinctes, ce qui peut fonder, en pratique, l’esquisse de deux
modèles de lutte contre la piraterie promouvant des mécanismes de
sanctions dont l’un vise uniquement l’internaute (riposte graduée),
et dont l’autre s’attaque directement aux intermédiaires techniques,
convaincu que c’est eux la source du problème (filtrage ou bridage
de l’Internet). Si l’un ou l’autre modèle ne produit pas les résultats
escomptés, il pourrait s’avérer toutefois nécessaire de réfléchir à
la complémentarité des deux mécanismes de sanction, si l’on veut
aboutir à l’implantation d’un système répressif des plus efficaces.
Mais au-delà de ces dispositifs juridiques que balisent les nombreuses législations nationales étudiées, les réponses judiciaires à la
lutte contre le téléchargement non autorisé des œuvres sur Internet
s’avèrent toujours rapidement inadaptées à l’évolution des techniques,
parce que le coût des poursuites et les difficultés d’exécution des
jugements en cas d’infraction commise dans un pays donné par un
contrevenant résidant dans un autre pays restent encore des sujets
de préoccupation ; parce que les procédures judiciaires sont souvent
lentes et coûteuses pour les titulaires de droits, et les poursuites sont
relativement inappropriées ou surdimensionnées pour les ayants droit
comme pour les utilisateurs finaux. Ceci pose notamment la question
de la finalité et plus souvent de l’efficacité du cadre juridique et du dispositif judiciaire mis en place pour remédier à la violation des droits
de propriété intellectuelle sur Internet et lutter contre le piratage. Il
en résulte dès lors le constat qu’il ne suffit pas seulement d’adopter
des lois sur la propriété intellectuelle, mais qu’il importe davantage
de les faire appliquer de manière appropriée et de les accompagner
par un ensemble de mesures promouvant également les offres légales
en ligne et leur monétisation.
Cette étude montre qu’un consensus entre les ayants droit,
les consommateurs et les FSI semble impossible à trouver tant les
intérêts de chacun sont éloignés et divergents à bien des égards. Par
exemple, si les maisons de disque veulent une riposte graduée pure
et dure, les FSI, en revanche, pensent qu’une mise en avant des offres
légales et une plus grande sensibilisation auprès du grand public
148
Les Cahiers de propriété intellectuelle
devraient résoudre ce problème épineux. L’un des principaux défis
dans la lutte contre le téléchargement illégal demeure donc la mise
en place d’offres légales, attractives et accessibles pour remplacer
progressivement les offres illégales. Les pays à l’étude offrent un
espace propice à ce type d’initiatives comme en témoignent plusieurs
entreprises innovantes nées sur leur territoire.
Quelle que soit la direction que prendra tout autre gouvernement dans le monde, des voix se feront toujours entendre : un texte
jugé trop répressif (coupure de la connexion à Internet, procédures
judiciaires, filtrage) provoquerait la colère de certains consommateurs, mais des mesures trop laxistes mettraient aussi en péril
l’industrie créative toute entière. Cette industrie est et reste vitale
dans l’économie des pays. Ce qui pose donc la question de la qualité
des services offerts aux consommateurs et qui les éloigneraient sans
doute des offres illégales sur Internet, et permettraient aussi un
meilleur financement de la culture. Nous aborderons cet aspect dans
une prochaine livraison.
Vol. 26, nº 1
Entre le droit d’auteur et le droit
de marques : les réserves de droits
au Mexique
Ana Nomen Corominas*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
1. CARACTÉRISTIQUES D’UNE FIGURE JURIDIQUE
UNIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
1.1 Notion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
1.2 Éléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
1.2.1 Typologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
1.2.2 Droit exclusif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
1.2.3 Génération du droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
1.2.4 Durée de protection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
1.3 Procédure administrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
2. RÉFLEXIONS CRITIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
2.1 Les réserves, un concept hybride entre le droit de
marques et le droit d’auteur ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
2.2 Une réglementation qui ne rend pas justice à une figure
juridique unique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
© Ana Nomen Corominas, 2014.
* Avocate chez Gonzalez Calvillo (Mexico).
149
INTRODUCTION
La Loi fédérale du droit d’auteur du Mexique (LFDA) régit dans
ses articles 173 à 191 un système qui protège les publications périodiques, les diffusions périodiques, les personnages de caractérisation
humaine, les personnages de fiction ou symboliques, les personnes
ou groupes artistiques ainsi que les promotions publicitaires. La
réserve de droits à l’usage exclusif est une figure unique dans le droit
comparé, dont les détenteurs de droits de propriété intellectuelle
étrangers doivent avoir connaissance si leur intention est d’entrer
dans l’attirant marché mexicain.
Cet article examinera dans une première partie les caractéristiques des réserves de droits, pour en faire une analyse critique dans
une deuxième partie.
1.
CARACTÉRISTIQUES D’UNE FIGURE
JURIDIQUE UNIQUE
1.1
Notion
La réserve de droits à l’usage exclusif est définie comme
la faculté d’utiliser et exploiter exclusivement les titres, noms,
dénominations, caractéristiques physiques et psychologiques
distinctives, ou les caractéristiques d’opération originales
appliquées, en accord avec leur nature, à un des genres qui suivent : I Publications périodiques […] II Diffusions périodiques
[…] III Personnages humains de caractérisation, ou fictifs ou
symboliques […] IV Personnages ou groupes consacrés à des
activités artistiques […] Promotions publicitaires
Introduite dans la Loi de Droit d’Auteur de 1948, la réserve
est une figure unique dans le droit comparé qui fait l’objet d’une
considérable controverse dans la doctrine juridique mexicaine. Nous
analyserons les particularités et les différents types de réserves de
droits ci-dessous, mais comme introduction il suffit de signaler que les
réserves se trouvent dans la LFDA dans un chapitre à part concernant
les droits d’auteur et les droits connexes, inexplicablement situé dans
151
152
Les Cahiers de propriété intellectuelle
le titre voué au registre de droits. Selon l’auteur Schmidt, spécialiste
reconnu en la matière, les réserves ont comme propos de « protéger
certains éléments adjacents à l’œuvre, mais qui ne représentent pas
l’œuvre en soi »1. Il s’agit donc d’un système de protection sui generis
de certains éléments ayant une valeur commerciale évidente que le
législateur a considéré dignes de sauvegarder.
1.2
Éléments
Schmidt considère que
[l]’existence de la réserve de droits, comme institution autonome et particulière du droit de la propriété intellectuelle se
justifie car elle remplit un espace qu’aucune autre figure de la
propriété intellectuelle n’a pu couvrir complètement.2
Analysons donc les éléments qui conforment cette figure singulière.
1.2.1 Typologie
Tel qu’indiqué, les réserves protègent les « titres, noms, dénominations, caractéristiques physiques et psychologiques distinctives,
ou caractéristiques d’opération originales » appliqués aux genres qui
suivent :
a) Publications périodiques : il s’agit de publications (titres de
presse) qui sont éditées en différentes parties successives,
ayant un contenu varié et l’objectif de continuer à être publiées indéfiniment (on peut penser aux journaux Reforma,
NY Times ou Le Monde, par exemple).
b) Diffusions périodiques : diffusions émises en parties successives, avec un contenu varié et susceptibles d’être transmises (comme par exemple des émissions de radio ou de
télévision, y compris séries télévisées ou journaux télévisés). Dans ce cas et dans celui des publications, la protection que confère la réserve concerne leur titre ou nom,
c’est-à-dire l’élément qui agit comme moyen pour les iden1. Luis C. SCHMIDT, « Las Reservas de Derechos al Uso Exclusivo Dentro Del Sistema
Mexicano de la Propiedad Intelectual. El Foro », Órgano de la Barra Mexicana,
Colegio de Abogados, A.C. 13è Époque, (2013) 16:1 Décimatercera Época, 4e article ;
disponible en ligne à <http://www.olivares.com.mx/En/Knowledge/Articles/Copy
rightArticles/LasReservasdeDerechosalusoexclusivodentrodelsistemamexivano
delaPropiedadIntelectual>.
2. Ibid.
Entre le droit d’auteur et le droit de marques
153
tifier ou, comme le mentionne Schmidt, « le premier point
de contact entre l’auteur et le public »3. Il faut remarquer
que l’article 14 de la LFDA exclut de la protection du droit
d’auteur les titres d’œuvres (contrairement à la version
précédente de la loi, qui les admettait), et pourtant, il est
inévitable de se demander le pourquoi de cette distinction
ou exception.
c) Personnages humains de caractérisation, ou fictifs ou symboliques (dorénavant dénommés « personnages ») : dans ce
cas, la loi protège les caractéristiques physiques et psychologiques qui distinguent les personnages, qu’il s’agisse de
personnages représentés par des êtres humains (on peut
penser au révérend mexicain Cantinflas, ou bien à des personnages de télévision plus récents comme Sheldon Cooper,
Barney Stinson ou Rachel, Ross, Joey, Phoebe, Monica et
Chandler), ou bien des personnages fictifs ou symboliques
(comme, par exemple, les classiques Mickey Mouse ou
Batman, ou le phénomène récent Christian Grey). Dans le
cas où le personnage inclurait la reproduction du visage,
l’expression corporelle ou les traits d’une personne réelle
qui pourrait être reconnue, l’autorisation au préalable de
cette personne sera nécessaire.
d) Personnages ou groupes consacrés à des activités artistiques : dans ce cas, la protection concerne le nom de ces
personnages ou groupes artistiques ; il possède effectivement des similarités avec les titres de publications et diffusions périodiques (ainsi, on pourrait concevoir une réserve
de droits pour les chanteuses Linda Lemay ou Cœur de
Pirate – nom artistique de Béatrice Martin –, ou bien pour
l’acteur Ryan Gosling).
e) Promotions publicitaires : la loi indique qu’il s’agit de promotions qui prévoient un mécanisme innovant et non protégé qui cherche à promouvoir et à offrir un bien ou service,
avec l’incitation additionnelle d’offrir au public en général
la possibilité d’obtenir un autre bien ou service, dans des
conditions plus favorables que celles dans lesquelles ils se
trouvent dans le commerce. Le texte légal exclut les annonces commerciales.
3. Ibid.
154
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.2.2 Droit exclusif
La nature du droit conféré par la réserve est celle d’un droit
patrimonial, exclusif, qui permet à son propriétaire d’utiliser et
d’exploiter le droit directement ou à travers un tiers autorisé. Ainsi
donc, ce droit peut être transmis ou cédé sous licence ou par toute
autre forme de transmission admise par la loi, et la LFDA ne prévoit
aucune limitation pour sa transmission, contrairement en ce qui a
trait aux œuvres.
1.2.3 Génération du droit
Toute personne ayant un intérêt juridique pour une réserve
pourra soumettre une demande de registre devant l’Institut National du Droit d’Auteur (INDA), et le certificat d’enregistrement sera
constitutif des droits conférés par la réserve. Par conséquent, bien
que la réserve fasse partie de la LFDA, elle se différencie des droits
d’auteur, entre autres, dans la forme dans laquelle le droit prend
sa source puisque le droit naît d’un registre et non pas du fait de la
création de la part d’un auteur. Le formalisme lié à cette protection
s’étend tenu compte du fait que l’article 179 de la LFDA exige que
les titres, noms, dénominations ou caractéristiques soient utilisés tel
qu’ils ont été enregistrés, et que toute variation devra faire l’objet
d’une nouvelle réserve.
1.2.4 Durée de protection
Pour les publications et les diffusions périodiques, la durée de
protection est d’un an à compter de la date d’expédition du registre
de réserve, tandis que pour le reste (personnages, personnages et
groupes artistiques et promotions publicitaires), la durée est de cinq
ans. Les registres pourront être renouvelés pour des périodes équivalentes, à l’exception des promotions publicitaires, qui entreront dans
le domaine public une fois écoulés les cinq ans.
1.3
Procédure administrative
La procédure pour obtenir, maintenir et défendre les réserves
de droits est régie par le Règlement de la LFDA, et toutes les démarches devront être réalisées à l’INDA, sis dans la ville de Mexico.
Afin d’enregistrer une réserve de droits, le Règlement établit
d’abord que la personne intéressée pourra demander un avis préalable pour établir s’il serait convenable, le cas échéant, d’engager une
procédure. Cet avis a un caractère purement informatif et ne donne
Entre le droit d’auteur et le droit de marques
155
aucun droit de préférence ni ne crée aucune obligation à l’INDA. Il
faut signaler que l’INDA, contrairement à l’IMPI (Institut Mexicain
de la Propriété Industrielle, considérablement mieux doté de financement), ne dispose pas de base de données en ligne et, par conséquent,
la nécessité d’obtenir un avis préalable est compréhensible.
Le Règlement indique que la date de dépôt de la demande de
registre déterminera l’ordre de priorité, mais garde le silence concernant la procédure utilisée pour obtenir l’enregistrement de la réserve.
Tel que précédemment mentionné, les réserves (excepté le
cas des promotions publicitaires) pourront être prorogées, la seule
condition étant de prouver l’utilisation de la réserve telle qu’elle fut
enregistrée. De même, le Règlement établit les motifs d’annulation,
de révocation ou de déchéance d’une réserve.
Quant aux infractions à l’égard des réserves, la LFDA prévoit
comme infraction en matière de commerce4 l’utilisation, la reproduction ou l’exploitation d’une réserve protégée sans l’autorisation du
propriétaire, ainsi que l’utilisation ou l’exploitation d’un nom, titre,
dénomination, caractéristiques physiques ou psychologiques, ou
caractéristiques d’opération qui induisent le public en erreur ou créent
de la confusion avec une réserve de droits protégée. Ces infractions,
selon leur gravité, pourront être pénalisées par une amende d’un
montant de 5 000 à 40 000 jours au salaire minimum ainsi qu’une
amende additionnelle pouvant aller jusqu’à un montant équivalant
à 500 jours au salaire minimum par jour si l’infraction persiste et,
dans le cas où le contrefacteur serait un éditeur, un organisme de
radiodiffusion ou n’importe quelle autre personne physique ou morale
qui exploiterait l’œuvre à échelle commerciale, l’amende pourrait être
augmentée jusqu’à 50 %.
2.
RÉFLEXIONS CRITIQUES
2.1
Les réserves, un concept hybride entre le droit de
marques et le droit d’auteur ?
Une analyse exhaustive de la LFDA et de son Règlement
permettent d’apprécier que « [l]a réserve de droits est plus proche du
droit d’auteur dans sa réglementation, mais si on observe les éléments
4. La LFDA distingue entre les infractions en matière de droits d’auteur, investiguées
et sanctionnées par l’INDA, et les infractions en matière de commerce, qui sont
compétence de l’IMPI.
156
Les Cahiers de propriété intellectuelle
qui la conforment, elle est plus liée au droit de marques »5. En effet,
la proximité entre les réserves et les droits d’auteur vient de ce que
les deux protègent des manifestations culturelles ou artistiques, mais
la réalité est que le législateur a fait recours majoritairement à des
principes juridiques propres au droit de marques qui ne s’assortissent
pas bien à la nature des réserves ni aux principes de la LFDA. Ainsi,
pensons aux références que les articles consacrés aux réserves de la
LFDA et son Règlement font aux concepts de confusion du public,
similarité, notoriété ou généricité (spécialement dans l’article qui
définit ce qui ne peut pas faire l’objet d’une réserve de droits), sans
qu’il soit possible pour autant d’appliquer subsidiairement la Loi de
Propriété Industrielle (LPI), ce qui rendrait l’application des réserves
beaucoup plus facile.
Cette dichotomie s’explique au fond par le fait que les réserves,
bien qu’il s’agisse d’une solution créative au manque de protection
de certaines manifestations culturelles et artistiques, n’ont pas à la
base des principes solides ni une définition claire du bien juridique
à protéger. Il n’y a aucun doute que, de manière générale, les droits
d’auteur protègent principalement les intérêts de l’auteur et pourtant
sont basés sur le principe d’originalité, tandis que le droit de marques
sauvegarde les consommateurs et la compétence dans le marché, et
c’est dans cette finalité que le principe directeur est celui de la distinctivité. Pourtant, les réserves n’ont à leur base aucun principe propre
qui permette de clarifier leur propos final et guider leur analyse.
De plus, la majorité des genres qui font l’objet de réserves
peuvent être aussi protégés en vertu du droit de marques : on pense
concrètement aux titres des publications et diffusions et aux noms
de personnes ou groupes artistiques, ou même au nom de personnages. À ce sujet, une part de la doctrine considère que les réserves et
les marques constituent une double protection pour un même objet
juridique. Nous sommes d’accord avec les auteurs Solorio et Schmidt,
dans le sens où la protection que les réserves offrent en fait est
compatible et s’accumule avec les marques, puisqu’il s’agit de « deux
figures qui protègent différents aspects liés à un objet matériel, dans
lequel plusieurs formes de propriété intellectuelle s’extériorisent »6.
Ainsi donc, les réserves et les marques peuvent coexister en offrant
une protection cumulative, mais il est vrai que la possibilité de ces
deux formes de protection peut entraîner un coût excessif, tant pour
le public que pour l’Administration.
5. Óscar Javier SOLORIO PÉREZ, Derecho de la propiedad intelectual, 1ère éd.,
coll. Textos Jurídicos Universitarios (Mexico, Oxford University Press, 2011), p. 211.
6. Ibid., p. 218.
Entre le droit d’auteur et le droit de marques
157
Plus grave encore, la déficiente réglementation des réserves et
de leur compatibilité avec les marques, qu’on analysera ci-dessous,
peut provoquer des situations de conflit entre ces deux formes de
protection. En effet, même si l’article 90 de la LPI établit la primauté
des réserves sur les marques7, dans la réalité l’IMPI ne vérifie pas
si la personne qui soumet une demande de marque est propriétaire
de la réserve correspondante, ce qui peut provoquer des situations
non souhaitées.
En définitive, même si les réserves sont traitées comme une
figure différenciée parmi les droits de propriété intellectuelle, la
réalité est que leur dépendance aux principes et concepts du droit
d’auteur et du droit de marques a pour conséquence qu’elles ne
constituent pas une figure solide et entièrement autonome.
2.2
Une réglementation qui ne rend pas justice à
une figure juridique unique
Rappelons que la LFDA et son Règlement présentent d’importantes lacunes et incohérences en ce qui concerne la réglementation
des réserves de droits. D’une part, d’un point de vue conceptuel, on
remarque facilement qu’un grand nombre d’éléments essentiels à la
configuration du droit de réserve ne sont pas définis dans le texte
légal. Un des exemples les plus probants est le fait que la loi n’établit
pas quelles personnes auraient un intérêt légitime sur une réserve ;
dans la pratique, les avocats et l’autorité font appel au principe de
création et essaient de déterminer qui serait l’auteur de l’objet de
réserve, mais ceci est évidemment une interprétation de la loi sans
rigueur juridique et erronée8. Un autre exemple est le manque de
7. « On ne pourra pas enregistrer comme marque : […] XIII Les titres d’œuvres
intellectuelles ou artistiques, ainsi que les titres de publications et diffusions
périodiques, les personnages fictifs ou symboliques, les personnages humains de
caractérisation, les noms artistiques et les dénominations de groupes artistiques ;
sauf si le propriétaire du droit qui correspond l’autorise expressément ».
8. Ce manque de définition peut provoquer dans la vie réelle des situations complexes
et peu souhaitables. Pendant plus d’une dizaine d’années, Roberto Gómez Bolaño
(scénariste, acteur, réalisateur et humoriste) et María Antonieta de las Nieves
(actrice) se sont confrontés à cause de l’archi-connu personnage La Chilindrina,
que Gómez Bolaño avait créé et de las Nieves avait incarné pendant les années 70
à 90. Quand María Antonieta de las Nieves a voulu jouer le rôle de La Chilindrina
pour son compte, Gómez Bolaño a fait valoir la réserve de droits qu’il détenait sur
le personnage. Mais quand il n’a pas renouvelé la réserve et que l’actrice a obtenu
l’enregistrement de la réserve sur le personnage de La Chilindrina à son nom, un
litige s’en est suivi auprès de l’INDA. Récemment, le Tribunal Administratif a conclu
que la décision administrative de l’INDA d’attribuer la réserve à de las Nieves était
correcte. On ne peut s’empêcher de penser qu’une réglementation rigoureuse des
réserves aurait certainement pu éviter cette situation.
158
Les Cahiers de propriété intellectuelle
définition des termes « utilisation ou exploitation d’une réserve », ou
bien le fait que la loi ne clarifie pas quand l’« expectative » du droit
naît ou bien si elle le prescrit. En outre, dans les cas où la loi ne garde
pas silence sur les éléments des réserves, elle utilise des concepts
propres d’autres droits de propriété intellectuelle, démontrant ainsi
une technique juridique pauvre et maladroite de la part du législateur.
Un cas extrême qui illustre le manque de rigueur conceptuelle
du législateur est celui des promotions publicitaires. En effet, il s’agit
d’un genre de réserve qui ne garde aucune similarité avec les autres,
et dont la définition est tellement vague que, dans la réalité, il n’est
pratiquement pas utilisé.
D’autre part, et d’une perspective formelle, il faut souligner que
la LFDA et son Règlement présentent aussi de sérieuses lacunes en
ce qui concerne la procédure administrative pour obtenir, maintenir
et défendre une réserve de droits. C’est ainsi que l’INDA développe
des normes internes ad hoc afin de résoudre les problèmes qui surgissent en rapport avec l’interprétation et l’application de la loi. À
ce sujet, l’auteur Schmidt est d’avis que « à cause de ses pratiques,
l’autorité viole constamment des garanties constitutionnelles en dépit
des déposants »9.
CONCLUSION
La réglementation actuelle des réserves de droits crée donc une
situation d’insécurité juridique qui provoque incertitude et injustice,
laissant comme seule option aux citoyens et professionnels du droit le
recours à la logique juridique (ou plutôt la logique des fonctionnaires
de l’INDA) pour essayer de prévoir le résultat de leurs démarches.
Une figure juridique singulière, la réserve de droits conçue par
la loi mexicaine, présente à l’heure actuelle des vides et incohérences
graves. Conceptuellement, elle ne présente pas une base solide ni des
principes propres, ce qui donne comme résultat une figure incomprise
et, sous certains aspects, incompréhensible. Comme le signale Solorio,
« Je partage l’opinion selon laquelle les réserves de droits constituent
une grave inconsistance de notre législation de propriété intellectuelle »10. D’une perspective pratique, sa réglementation déficiente
provoque une grave insécurité juridique.
Malgré tout, il est important de reconnaître que la réserve
de droits est une figure intéressante, qui présente un vrai potentiel
9. Voir note 1.
10. Voir note 5, p. 219.
Entre le droit d’auteur et le droit de marques
159
comme moyen pour sauvegarder des manifestations culturelles et
artistiques qui, autrement, trouveraient difficilement une protection.
Ceci est spécialement le cas des réserves de droits pour les personnages, une création artistique à laquelle la majorité de législations
n’ont pas donné de solution juridique et qui de cette façon peuvent
être exploitées avec une couverture légale satisfaisante. Ainsi, les
réserves de droits répondent sans doute à la « tendance à avoir recours
à la protection sui generis des nouvelles manifestations de la capacité
créative que l’homme a générées »11, même si ceci suppose de sacrifier
la pureté des principes fondateurs de la propriété intellectuelle. Il ne
manque plus qu’un effort du législateur pour les perfectionner et faire
justice à cette figure sui generis.
11. Voir note 1.
Vol. 26, nº 1
Du témoin à l’écrit ;
du papier à l’électronique :
la notion de faux en toile de fond
François Senécal*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
1. L’AFFIRMATION DE L’ÉCRIT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
1.1 Développement d’un rapport de confiance
envers l’écrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
1.1.1 Répression du faux en écriture . . . . . . . . . . . . . . . 164
1.1.2 Développement d’une expertise documentaire . . . 167
1.2 Nécessité de l’écrit. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
1.2.1 Délaissement progressif de l’oralité. . . . . . . . . . . . 171
1.2.2 Renversement de la hiérarchie des moyens
de preuve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
2. L’INTÉGRATION DE L’ÉCRIT ÉLECTRONIQUE . . . . . . . . 174
2.1 La fragmentation de l’original . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
2.1.1 L’exemple de la micrographie. . . . . . . . . . . . . . . . . 176
© François Senécal, 2014.
* Avocat au sein de l’équipe Gestion de l’information et administration de la preuve
électronique chez KPMG srl/SENCRL. Ce texte reprend certains développements
de son mémoire de maîtrise, L’écrit électronique, publié aux Éditions Yvon Blais
en 2012. L’auteur désire remercier Mmes Vanessa Girard et Adriane Porcin pour
leurs commentaires et corrections. Toute lacune du texte lui demeure néanmoins
attribuable.
161
162
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.1.2 La documentation du cycle de vie des documents
électroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
2.2 Les règles de preuve et de procédure et la gestion
juridique du risque de faux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
« Si les matières dont parle cette Ordonnance, étoient aussi
fréquentes que celles de l’Ordonnance de 1667, qui a aussi paru
dans les commencements difficile à exécuter, on la comprendroit
plus facilement, & on la trouveroit plus claire ; c’est le sort de
toutes les Loix nouvelles, qui ne sont sainement entendues que
par une pratique fréquente »1.
INTRODUCTION2
Deux moments charnières marquent l’histoire de la preuve par
écrit. Le premier est le renversement de la hiérarchie des moyens de
preuve et la prééminence de la preuve écrite sur le témoignage. Le
second est la reconnaissance de l’écrit électronique et de son équivalence avec l’écrit sur support papier.
La première partie de ce texte opère un retour en arrière de
quelques siècles, à l’époque où l’écrit sur support papier en était à
ses balbutiements. En effet, si l’écrit et la foi que nous lui portons
nous sont naturels, il n’en a pas toujours été ainsi. Le recours à une
perspective historique nous montre que les conditions de l’affirmation de l’écrit ne sont pas étrangères à nos préoccupations actuelles
découlant de l’intégration dans notre droit de l’écrit électronique. À
la crainte du faux d’alors se substitue aujourd’hui une incertitude
quant à la façon de démontrer qu’un document électronique n’est pas
un faux – qu’il est intègre – ou encore dans la façon de contester un
document qui nous paraît douteux.
Si le jeu de mots nous est permis, penser en fonction du faux
n’est pas, en soi, original. Néanmoins, l’exercice aide à souligner les
objectifs des règles de preuve et de les considérer dans une optique
de gestion du risque de faux – la finalité du procès étant, après tout,
d’établir la vérité et de la qualifier en droit.
1. François SERPILLON, Code du faux, ou commentaire sur l’ordonnance du mois de
juillet 1737 (Lyon, Gabriel Regnault, 1774), p. xiv, en ligne : <http://books.google.
com/books?id=vbYWAAAAQAAJ> (accédé le 31 octobre 2013).
2. Article préparé pour une conférence donnée pour les 30 ans du Centre de recherche
informatique et droit (CRID) à Namur en 2010.
163
164
1.
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’AFFIRMATION DE L’ÉCRIT
Au sortir du Moyen Âge, un ensemble de circonstances sociales, juridiques, technologiques et même politiques a coïncidé et fait
en sorte que l’écrit soit considéré comme le moyen de répondre aux
besoins particuliers de la société. Il fallait cependant, pour cela, créer
un rapport de confiance envers ce nouveau mode de communication.
Les nouvelles connaissances sur l’écrit, visant à déceler ses faux et
compliquer la tâche du faussaire, de même que la sévère répression
de ses agissements, ont contribué à cette confiance. L’affirmation de
l’écrit s’est finalement traduite, au plan probatoire, par le renversement de l’adage « témoins passent lettres » : désormais, l’écrit prime
et devient le moyen de preuve privilégié. Il suivait en cela les besoins
d’une société de plus en plus complexe qui avait atteint à certains
égards les limites de l’oralité.
1.1
Développement d’un rapport de confiance
envers l’écrit
Au sein d’une population généralement analphabète, il ne va
pas de soi que les mots d’un parchemin émanent du Roi et représentent sa volonté. Il convient ainsi d’établir en quoi et comment l’écrit
est devenu une alternative crédible à l’oral. La répression du faux en
écriture, perçu comme un parasite dans un système commençant à
utiliser l’écrit, permet de diminuer sa nuisance et le doute qu’il crée
envers les documents écrits. Le développement de méthodes permettant de déceler le faux et une meilleure compréhension des techniques
documentaires contribueront aussi à cette confiance.
1.1.1 Répression du faux en écriture
L’écriture se définit généralement comme la fixation d’un
message sur un support par un système de traces. Elle permet de
figer la communication et d’ainsi la libérer d’une portée spatiale et
temporelle limitée généralement associée à l’oralité3. Les documents
ainsi produits sont donc davantage pérennes et peuvent voyager sur
une grande distance sans distorsion du message. Il devient alors possible d’étendre une zone d’influence, de pouvoir. En outre, l’utilisation
grandissante de l’écrit s’accompagne et répond à la réalité juridique
d’une société de plus en plus complexe. Qu’il s’agisse d’écritures
publiques ou privées, l’écrit participe d’une lente construction que
menace le faux.
3. Montesquieu affirmait d’ailleurs que « [l]es écrits contiennent quelque chose de
plus permanent que les paroles » : De l’esprit des lois, XII, 13 (1748).
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
165
L’organisation d’un pouvoir centralisé sur un territoire plus
ou moins grand suppose le recours à des voies de communication
efficaces et l’écriture se révèle un outil très puissant à cet égard. Un
souverain peut ainsi avoir une présence « virtuelle » par le truchement d’un document octroyant des pouvoirs à un représentant. Au
plan de l’administration des collectivités, l’écrit joue aussi un rôle
fondamental. Michel Serres affirme d’ailleurs que « [l]’organisation
des villes devient possible grâce à l’écriture d’un droit écrit stable
(code d’Hammurabi) et mène à l’invention de l’Etat »4. Bref, que « notre
civilisation est la fille directe de l’écriture »5.
Il n’est donc pas surprenant de voir dans le faux une menace
à l’État. Au XIVe siècle, l’État français se construit et se centralise
autour du pouvoir royal, reposant pour ce faire sur une utilisation
toujours croissante de l’écrit6. La contrefaçon du sceau ou d’autres
documents royaux était alors considérée un crime de lèse-majesté7.
De façon générale, le faux était un crime sévèrement puni. Bien que
la majorité des peines n’atteignent pas une telle ampleur, les faussaires – surtout ceux qui touchaient aux pouvoirs du roi – risquaient des
peines infâmantes, voire la pendaison. L’exposition du faussaire (sceau
d’infamie, couronne de fausses lettres) servait à la fois à « renforcer
4. Michel SERRES, « Les nouvelles technologies : révolution culturelle et cognitive »,
Conférence à l’INRIA, Lille, 11 décembre 2007, p. 2, en ligne : <https://interstices.
info/jcms/c_33030/les-nouvelles-technologies-revolution-culturelle-et-cognitive>
(accédé le 31 octobre 2013).
5. Ibid. Pierre Lévy expose ainsi cette relation entre le pouvoir et l’écriture : « Redoublant l’inscription urbaine, l’écriture pérennise sur le granit des sanctuaires ou le
marbre des stèles les paroles des prêtres et des rois, leurs lois, les récits de leurs
hauts faits, les exploits de leurs dieux. La pierre parle toujours, inaltérable, répétant
inlassablement la loi ou le récit, reprenant textuellement les paroles inscrites, comme
si le roi ou le prêtre était là en personne et à jamais.
Au moyen de l’écriture, le pouvoir étatique commande aux signes comme aux
hommes, en les fixant dans une fonction, en les assignant à un territoire, en les
ordonnant sur une surface unifiée. Par les annales, les archives administratives,
les lois, les règlements et les comptes, l’État tente à tout prix de geler, programmer,
endiguer ou engranger son avenir et son passé. […] L’écriture sert à la gestion des
grands domaines agricoles et à l’organisation de la corvée et des impôts. » ; Pierre
LÉVY, Les technologies de l’intelligence – L’avenir de la pensée à l’ère informatique
(Paris, La Découverte, 1990), p. 99-100 (en italique dans le texte).
6. Kouky FIANU, « Le faussaire exposé : L’État et l’écrit dans la France du XIVe siècle »,
dans Claude GAUVARD et Robert JACOB (dir.), Les rites de la justice : gestes et
rituels judiciaires au Moyen Âge (Paris, Léopard d’or, 2000), p. 125, à la p. 125.
7. Kouky FIANU, « Détecter et prouver la fausseté au Parlement de Paris à la fin du
Moyen Âge », dans Kouky FIANU et DeLloyd J. GUTH, Écrit et pouvoir dans les
chancelleries médiévales : Espace français, espace anglais, Acte du colloque international de Montréal (7-9 septembre 1995) (Fédération Internationale des Instituts
d’études médiévales, Louvain-La-Neuve, 1997), p. 293, à la p. 294.
166
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’autorité royale aux yeux de tous »8 et à dissuader la population de
falsifier des documents.
La falsification menaçait l’État en devenir, mais plus encore,
allait à l’encontre du développement de la société dans son ensemble :
la dénonciation du faussaire correspondait aux exigences d’une
population qui, même si elle restait majoritairement illettrée,
avait de plus en plus recours à l’écrit. L’État chargé de veiller
à la chose publique et au bien commun ne pouvait ignorer les
perturbations qu’engendrait le faussaire.9
Bien tôt, il est apparu que le faux constituait non seulement
une menace envers l’État, mais aussi envers la sécurité des relations
juridiques entre particuliers et le commerce en général :
Initialement, le crime de fabrication d’un document contrefait
(forgery) n’était qu’une facette du délit de trahison. Il ne visait
donc que les documents de nature publique à caractère officiel.
Il n’était donc aucunement question de l’intention de causer
un préjudice à autrui. Au 18e siècle, on a voulu sanctionner le
préjudice causé à l’aide d’un document contrefait de nature
privée.10
Alors que des relations juridiques sécuritaires nécessitent
de pouvoir raisonnablement se fier aux documents présentés dans
le cours de relations contractuelles, la criminalisation du faux en
écritures privées vient répondre au risque que pose le faussaire.
Cette répression visait à protéger des intérêts qui, comme l’État, se
développaient en recourant toujours plus à l’écrit. La répression du
faux privé ne procède donc pas des mêmes fondements que pour le
faux en écritures publiques.
Parce que le faux venait miner la confiance naissante envers
les documents écrits, les institutions dont la crédibilité en dépendait
8.
9.
FIANU, précité, note 6, p. 138.
Ibid., p. 143-144. Georges Tessier dira que « [des] sources d’informations, il en est
une dont l’abondance et la qualité attirent immédiatement les regards, ce sont
tous les écrits où s’expriment les rapports juridiques de l’homme vivant en société,
où se manifestent chez un souverain le besoin et le souci de notifier ses décisions
et d’en assurer l’exécution, de ménager la preuve de ses droits politiques ou
domaniaux, de définir sa situation à l’égard des États voisins, chez un particulier
le légitime désir de donner aux relations d’affaires qu’il noue avec ses semblables
le maximum de sécurité et d’efficacité. » ; Georges TESSIER, La diplomatique,
3e éd. (Paris, PUF, 1966), p. 9.
10. Jean-Claude HÉBERT, « L’intention requise en matière d’emploi d’un document
contrefait », (1988) 48:1 Revue du Barreau 107, 109 et 110 (références omises).
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
167
y voyaient une menace directe. Comment, en effet, donner foi à un
document – et à ceux qui s’en prévalent – lorsque l’authenticité de
celui-ci est douteuse ou incertaine ? La répression de cette forme
de parasitisme était donc devenue nécessaire et elle répondait à un
besoin de sécurité de la part des principaux utilisateurs de documents
écrits. La répression du faux augmente le coût pour les faussaires,
diminuant l’opportunité pour eux d’y recourir et limitant d’autant
l’incidence du problème. Par conséquent, elle participe une confiance
grandissante envers l’écrit.
1.1.2 Développement d’une expertise documentaire
En amont comme en aval, le développement d’expertises relatives à l’écrit contribue aussi à cette confiance. Dans un premier cas,
la diplomatique et l’expertise en écriture agissent au niveau de la
détection du faux. Dans un second, des améliorations dans la gestion
documentaire touchent à sa prévention. L’organisation de ces champs
de connaissances et la mise en application de celles-ci amoindrissent
la marge de manœuvre du faussaire.
Certains jalons méritent mention. Ainsi, en 1570, Charles IX
institue la Corporation des maîtres-écrivains11. Celle-ci avait pour
objectif de contrer les faussaires en développant l’expertise dans
le domaine de la vérification d’écritures12. Cent ans plus tard, en
1681, le moine bénédictin Jean Mabillon publie le premier traité de
diplomatique13. Enfin, en 1774, alors que l’encadrement juridique du
faux avait fait l’objet d’ordonnances royales plus précises, François
Serpillon publie le Code du faux14, ouvrage détaillant notamment
comment s’opère la contestation des écrits et la procédure d’expertise.
La diplomatique est une discipline étudiant l’authenticité des
écrits, généralement anciens. Elle tire son origine du constat selon
11. Ferdinand BUISSON (dir.), Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction
primaire, 2e éd. (Paris, Hachette, 1911), vo « Maîtres écrivains », en ligne : <http://
www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.
php?id=3106> (accédé le 31 octobre 2013).
12. Voir aussi, sur la « Communauté de Maîtres, Experts & Jurés Écrivains », Le
Grand Vocabulaire François, t. 8 (Paris, C. Panckoucke Libraire, 1769), p. 570-571,
vo « Écrivain », en ligne : <http://books.google.com/books?id=B3QGAAAAQAAJ>
(accédé le 31 octobre 2013).
13. L’ouvrage De re diplomatica « instaurait une méthode d’enquête sur les pièces
d’archives, décrivait les caractères des actes présumés sincères à travers les
siècles du Moyen Âge, fondait une méthode d’investigation et d’analyse et posait
des règles de critique pour le discernement des actes faux » ; TESSIER, précité,
note 9, p. 11.
14. Précité, note 1.
168
Les Cahiers de propriété intellectuelle
lequel de très nombreux documents tirés des chartriers et des chancelleries sont, en fait, des faux15. Si l’étude de ces documents est d’intérêt
pour l’histoire, la diplomatique relevait à l’époque de préoccupations
pratiques et juridiques cruciales. Elle fonde son analyse sur la forme
des documents. Plus précisément, elle considère que
l’efficacité juridique ne peut être conférée à l’écrit que s’il se
présente sous un certain aspect, variable avec le temps et avec
l’objet. Cet aspect, cette structure, c’est ce que les diplomatistes
appellent la forme, entendant par là non seulement les contours
extérieurs, les dispositions matérielles, l’apparence sensible,
mais aussi l’ordonnance interne du discours, l’ensemble des
caractères externes et internes d’un acte quelconque.16
Ainsi, un document présentant des caractéristiques s’écartant
des pratiques rédactionnelles du lieu et de l’époque entraînera nécessairement une suspicion à son égard. Une distinction est faite entre
les caractères « externes » et « internes » des documents :
Nous entendons par caractères intrinsèques […] ceux qui
sont inhérents à chaque acte, qui en sont inséparables, qui s’y
retrouvent toujours, sous quelque forme qu’il se reproduise,
et qui par conséquent ne sont pas moins propres aux copies
qu’aux originaux. Au contraire les caractères extrinsèques
sont tellement attachés à ces derniers qu’ils ne passent jamais
aux copies. Si quelques-uns d’entr’eux semblent s’y montrer,
c’est toujours d’une façon imparfaite et qui le met beaucoup
au-dessous des originaux.17
Les caractères internes regroupent la langue et les règles de
rédaction des actes. Dans le premier cas, il s’agit de considérations
d’ordre philologique. La langue ne cessant d’évoluer et comportant
à l’occasion d’importantes disparités régionales, certains indices
peuvent en être tirés quant à la véracité de l’acte. Dans le second
cas, il s’agit d’étudier le texte de l’acte et le protocole qui l’encadre18.
Les caractères externes sont ceux qui s’imposent à première
vue. Principalement, il s’agira du sceau, des signatures et de l’écriture
elle-même. Ainsi, le sceau devra être approprié à l’acte sur lequel il est
15. TESSIER, précité, note 9, p. 9-11.
16. Ibid., p. 13.
17. René PROSPER TASSIN et Charles François TOUSTAIN, Nouveau traité de diplomatique, t. 1 (Paris, Guillaume Desprez éditeur et Pierre-Guillaume Cavelier libraire,
1750), p. 442, en ligne : <http://books.google.com/books?id=b2zPAAAAMAAJ>
(accédé le 31 octobre 2013), cité dans TESSIER, précité, note 9, p. 30-31.
18. Voir généralement TESSIER, précité, note 9, p. 30 à 52.
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
169
apposé et émaner d’une autorité reconnue19 – l’authenticité d’un acte
étant fonction de la reconnaissance de l’autorité de laquelle il prétend
émaner20. Une signature pourra certes faire l’objet d’une comparaison
si elle est déniée, mais un acte pourra aussi être contesté s’il n’a pas
été signé par les bonnes personnes ou dans les formes prescrites21.
Enfin, les caractères relatifs à l’écriture sont les indices laissés par les
grattages, ratures et ajouts de texte, par les encres ou l’utilisation d’un
support qui n’est pas approprié à l’acte, mais aussi par la calligraphie
utilisée22. Ces traits relevant de la matérialité de l’acte bien plus que
de son intellectualité, il n’est guère étonnant que les spécialistes en
écritures préfèrent travailler sur les documents originaux23.
Ces « caractères externes » font par exemple aujourd’hui l’objet
de prescriptions précises concernant la rédaction des actes notariés
et relèvent de la même logique d’organisation matérielle des documents. Ainsi, la Loi sur le notariat24 québécoise prévoit notamment
l’absence de tout blanc ou intervalle « qui ne soit marqué d’un trait »25,
l’absence de surcharge, interligne, mot ajouté, renvoi ou sous-renvoi
(ces derniers devant être faits en marge ou à la fin de l’acte, comptés
et paraphés) et les ratures doivent être faites « de manière à ce que
les mots, les lettres et les chiffres raturés puissent être comptés »26.
Par ces règles, l’altération de l’acte après sa confection est rendue plus
difficile et sa mise en évidence rend immédiatement douteuse une
altération subreptice ne respectant pas les formes requises.
Outre l’encadrement du document comme tel, la loi dispose
aussi de la numérotation des minutes – elles doivent être numérotées
consécutivement à partir de un27. Il ne s’agit pas ici de caractéristiques
propres à un document mais bien de gestion documentaire. Cet aspect
de la « sécurité documentaire » fait aussi l’objet de développements
au Moyen Âge. En effet, « [l]’une des principales causes, maintes fois
soulignée par les historiens, de la prolifération d’actes douteux est
le manque d’organisation des chancelleries »28. Ainsi, la copie d’actes
19. FIANU, précité, note 7, p. 300. Dans le contexte des signatures électroniques, voir
François SENÉCAL, « Chronique – La signature électronique en trois propositions », (2012) 2 Technologies de l’information En bref, 2, p. 6.
20. TESSIER, précité, note 9, p. 37.
21. FIANU, précité, note 7, p. 302-303.
22. Ibid., p. 303-305.
23. Voir par exemple Alain BUQUET, L’expertise des écritures et des documents
contestés (Paris, CNRS, 2001).
24. L.R.Q., c. N-3.
25. Ibid., art. 45.
26. Ibid., art. 48-49.
27. L’article 37 de la Loi sur le notariat encadre strictement toute erreur dans la
numérotation des minutes, afin que celle-ci ne comporte aucune faille.
28. FIANU, précité, note 7, p. 296.
170
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dans des registres – et l’organisation de ceux-ci afin de retrouver les
actes originaux, permet la comparaison (dite « collation ») de deux
actes et de détecter les altérations :
[L]a constitution d’archives aux fins de vérifications et de
contrôle est une entreprise tardive, mise en place au XIVe
siècle. Quant aux recueils de lettres qui définissent les normes
de rédaction de la chancellerie, ils ne firent leur apparition
que dans la seconde moitié du XIVe siècle. Aussi, en l’absence
de textes codifiant les pratiques notariales, seule l’expérience
guidait la main des clercs de chancellerie, entraînant des
usages multiples, une situation dont le faussaire tirait profit.29
Les registres les mieux tenus pouvaient aussi comprendre
une description matérielle des documents, qui pouvait, par exemple,
contenir « deux peaulx de parchemin, signé et subscript par cinq
tabellions publiques »30. Il s’agit d’informations sur les documents,
propres à les décrire et les identifier – ce sont, à n’en point douter,
des métadonnées.
L’écrit permet de fonder sa conduite présente et future sur
une base stable. Il permet un retour dans le passé, au moment de la
conclusion d’une entente, afin d’établir des prétentions advenant un
litige. Cette projection dans le temps, reposant sur l’écrit, y trouve
aussi sa faiblesse. L’incident que constitue le faux mine la confiance
nécessaire à cette projection. Ainsi, qu’il s’agisse de la confection d’un
faux document ou de l’altération d’un document préexistant, la prévention, la capacité à le détecter et la répression du faux participent
directement d’une confiance grandissante à l’égard de ce médium.
Puisque le vrai et le faux sont condamnés à coexister, il s’agit, en
quelque sorte, d’éléments de gestion du risque de faux. En diminuant
l’incidence des faux, la capacité à se fier à ce qui est présenté comme
vrai – composante de la sécurité juridique, grandit.
1.2
Nécessité de l’écrit
Face à un médium de mieux en mieux maîtrisé devenu vecteur de changement, l’oralité s’est fait surclasser à plusieurs égards.
Notamment, l’écrit était mieux adapté à – et permettait – des relations juridiques plus évoluées. Cette reconnaissance d’une meilleure
adéquation de l’écrit aux exigences juridiques et sociales aboutit
29. Ibid., p. 294 (référence omise).
30. Ibid., p. 297.
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
171
finalement au renversement de la hiérarchie des moyens de preuve :
l’adage « témoins passent lettres » s’inversait.
1.2.1 Délaissement progressif de l’oralité
Outre les remarques faites à l’encontre de la fiabilité du témoignage comme moyen de preuve31, le délaissement de l’oralité est
principalement dû à un cadre social qui, se développant de concert
avec les nouvelles opportunités que lui offrait l’écrit, a inévitablement
vu ses exigences mieux rencontrées par les caractéristiques de l’écrit.
Ainsi, le témoignage ne saurait rendre compte adéquatement
de la complexité toujours grandissante des actes juridiques :
Par nature, le témoignage est une preuve très incertaine.
Cette incertitude est particulièrement grave lorsqu’il s’agit de
constater une obligation juridique complexe : dans le souvenir
des témoins, les détails se perdent et se déforment. Au-delà
d’une certaine valeur, les relations juridiques sont généralement compliquées. De plus, il est rare que la preuve d’un acte
juridique doive être rapportée aussitôt après sa conclusion :
un délai plus ou moins long séparerait donc, la plupart du
temps, les constatations faites par le témoin du moment où
il ferait sa déposition, ce qui amenuiserait encore le crédit de
son témoignage.32
À l’opposé, l’écrit propose trois avantages33. D’abord, il s’agit
d’un mode de communication plus efficace dans le cadre de relations
juridiques : les écrits sont des « documents dont les auteurs ont pu
faire l’expression fidèle et nuancée de leur volonté, qui sont susceptibles de relecture posée et réfléchie »34. Ensuite, ces documents sont
établis antérieurement à l’acte juridique (d’où l’expression « preuve
préconstituée »), c’est-à-dire « à une époque où [en principe] aucune
des parties n’a intérêt à forcer ou à déformer la preuve en vue de
31. Rabelais ne parlait-il d’ailleurs pas du « métier de témoignerie » et de son école,
tenue par Ouy-Dire ? François RABELAIS, Pantagruel, Livre V, chapitre XXX
(1562).
32. Gilles GOUBEAUX et Philippe BIHR, Répertoire de droit civil Dalloz, no 1184, vo
« Preuve », cité dans Dominique MOUGENOT, Droit des obligations – La preuve,
3e éd. (Bruxelles, Larcier, 2002), p. 275.
33. MOUGENOT, précité, note 32, p. 108.
34. Ibid. À cet effet, il est avancé que « [w]riting establishes in the text a “line” of continuity outside the mind », permettant au lecteur de se concentrer sur le contenu
de la communication : Walter J. ONG, Orality and Literacy: The Technologizing of
the World (Londres, Methuen, 1982), p. 33-34, cité dans Chad M. OLDFATHER,
« Writing, Cognition, and the Nature of the Judicial Function », (2008) 96 The
Georgetown Law Journal 1283, 1304.
172
Les Cahiers de propriété intellectuelle
s’assurer le bénéfice d’un litige qui n’est pas encore né »35. Enfin,
« la valeur probatoire de l’écrit ne diminue pas avec le temps »36 ; on
reconnaît alors « l’utilité de preuves qui échappent [aux] chances de
corruption, d’erreur ou de mortalité, qui rendent si dangereux l’emploi
de la preuve testimoniale »37.
Dès lors, l’écrit pouvait prétendre à une supériorité sur l’oralité.
Mieux adapté à une société de plus en plus complexe et organisée, dont
les opérations juridiques sont plus longues dans le temps, affranchi de
la faillibilité de la mémoire humaine, il a pu acquérir la confiance de
ceux qui devaient l’utiliser en les rassurant sur ses qualités. En plus
du climat de confiance qui s’était développé envers celui-ci, le médium
écrit démontrait une meilleure adaptation à la société de l’époque et à
ses besoins. En conséquence, s’est produit un délaissement progressif
de l’oralité et du témoignage en faveur de l’écriture.
1.2.2 Renversement de la hiérarchie des moyens de preuve
L’abandon de l’oralité se concrétise dans le changement opéré
par l’Ordonnance de Moulins38, en 1566. Les actes juridiques les
plus importants (au-delà de 100 livres) devront être prouvés par
écrit. Cette mesure cristallise la position de l’écrit comme médium
dominant.
Il faut toutefois tempérer l’importance pratique du changement
opéré par l’Ordonnance de Moulins. D’une part, le montant « était
considérable et laissait d’assez nombreuses contestations dans le
régime de liberté des preuves »39 ; mais d’autre part – et surtout, l’écrit
utilisé devait être notarié. L’écrit est donc produit en la présence du
témoin instrumentaire qu’est le notaire. L’acte est, de plus, reçu avec
certaines formalités matérielles qui rendent plus aisée la confirmation
35. Pol GLINEUR, Droit et éthique de l’informatique (Bruxelles, E. Story-Scientia,
1991), no 239, p. 147.
36. MOUGENOT, précité, note 32, p. 108 (italiques originales omises).
37. Édouard BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en
droit criminel, 2e éd. (Paris, Auguste Durand, 1852), p. 393. Nous ne saurions dire
avec certitude dans quel sens nous devons entendre le mot « corruption », mais
cela semble concerner tant la dégradation naturelle de la qualité de la mémoire
que l’altération « active » ou de mauvaise foi de celle-ci.
38. Ordonnance sur la réforme de la justice (dite « Ordonnance de Moulins »), 1566,
art. 54, dans François-André ISAMBERT, François DECRUSY et Alphonse Honoré
TAILLANDIER, Recueil général des anciennes lois françaises, t. 14, (Paris, BelinLeprieur, 1829), p. 189, en ligne : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k517005>
(accédé le 31 octobre 2013 ; nos italiques).
39. MOUGENOT, précité, note 32, p. 112.
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
173
de son authenticité, ou, selon, la détection du faux. On semble donc
apprivoiser l’écrit.
Si les actes non authentiques étaient encore suspects à l’époque
de l’Ordonnance de Moulins, c’est que, comme nous l’avons vu, le
médium écrit n’inspirait encore qu’une confiance modérée, bien que
croissante40. Il faudra attendre l’Ordonnance de Saint-Germain-enLaye de 1667 pour libéraliser un peu la preuve devant être écrite.
Dorénavant, les contrats visés devront être « passés […] par-devant
notaires, ou sous signature privée »41. Cette dernière alternative
n’existait pas dans l’Ordonnance de Moulins. On peut y voir la marque
d’une confiance toujours grandissante en faveur de l’écrit.
Dans son rapport au faux, la préférence de l’écrit par rapport
au témoignage pourrait s’expliquer ainsi :
[i]n requiring a contract to be evidenced in writing, [the Statute
of Frauds] removes the possibility of a court being persuaded on
the basis of perjured oral evidence that a contract was entered
into when in fact there was no contract. A party is arguably less
likely to attempt forgery than to attempt perjury, and forged
evidence is more readily attacked.42
Requérir le formalisme écrit, c’est souligner la faiblesse de
l’oralité à certains égards, notamment quant à la distinction du vrai
et du faux. C’est aussi convenir, comme mentionné à l’article 53 de
l’Ordonnance de Moulins, que la preuve testimoniale entraîne une
« multiplication de faits […], sujets à preuve de témoins, et reproche
d’iceux, [et] dont adviennent plusieurs inconvéniens et involutions
de procès ». Procéduralement, l’écrit venait d’établir sa supériorité.
40. Dominique Mougenot note que c’est « au XVIe siècle, à un moment où l’écriture est
suffisamment généralisée, que l’on abandonne l’ancienne règle « témoins passent
lettres » pour adopter le système contraire. Les historiens du droit font observer
qu’à une époque où peu de gens étaient capable de signer, il était aisé de falsifier
un écrit de telle manière que les actes non authentiques étaient aussi suspects
que les témoignages. On peut comprendre l’ancienne opinion selon laquelle le
témoignage des vivants était plus digne de foi que le témoignage mort de l’écrit. » :
MOUGENOT, précité, note 32, p. 107.
41. Ordonnance civile touchant la réformation de la justice (dite « Ordonnance de
Saint-Germain-en-Laye »), 1667, Titre XX « Des faits qui gisent en preuve vocale
ou littérale », art. 2, dans ISAMBERT, DECRUSY et TAILLANDIER, Recueil
général des anciennes lois françaises, t. 18 (Paris, Belin-Leprieur, 1829), p. 137, en
ligne : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k51704j> (accédé le 31 octobre 2013 ;
nos italiques).
42. Máire NÍ SHÚILLEABHÁIN, « Formalities of Contracting: a Costbenefit Analysis
of Requirements that Contracts Be Evidenced in Writing », (2005) 27 Dublin
University Law Journal 113, 115 (référence omise).
174
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La confiance en l’écrit, inspirée par la répression du faux et le
développement de connaissances expertes, mais aussi parce qu’il était
plus à même de répondre aux besoins d’une société en pleine évolution,
justifie et participe de l’affirmation de l’écrit dans la hiérarchisation
des moyens de preuve en droit civil. Parce que – une fois la technique
maîtrisée – l’écrit permettait un meilleur rapport à la vérité (dans
le temps, mais aussi dans l’expression de l’intention des parties), il
était normal que soit consacrée sa supériorité dans la hiérarchie des
moyens de preuve. Cette situation prévaut encore aujourd’hui.
2.
L’INTÉGRATION DE L’ÉCRIT ÉLECTRONIQUE
Il convient maintenant d’étudier les changements que l’écrit
électronique a apportés tant dans la façon de concevoir la preuve
documentaire que dans l’application des dispositions législatives
qui y sont relatives43. Dans le premier cas, les qualités, les fonctions
de l’original, auparavant réunies dans un même document, se fractionneront ; dans le second, c’est dans les dispositions du droit de la
preuve et dans la procédure que se mettent en place les éléments de
la gestion du risque de faux.
2.1
La fragmentation de l’original
Face à la réalité de documents originaux sur support électronique et à la nécessité de leur donner une existence juridique, « une
acception nouvelle de l’originalité »44 doit être établie45. André Prüm
pose que, classiquement, l’original d’un acte est celui conservé sur
son support initial, alors que la copie est le résultat d’un transfert46.
Ainsi, à partir de la « vision classique » d’une définition encrée dans
la matérialité du papier, un changement de conception est venu redéfinir l’original selon la finalité réelle que l’on lui prête : « l’assurance
que le contenu de l’acte signé n’a subi aucune altération depuis son
origine »47. Il devient donc évident que l’original n’est pas requis pour
43. Voir, de façon générale, Vincent GAUTRAIS et Patrick GINGRAS, La preuve des
documents technologiques, Congrès du Barreau, 2012, en ligne : <http://www.caij.
qc.ca/doctrine/congres_du_barreau/2012/17075/index.html> (accédé le 31 octobre
2013).
44. André PRÜM, « L’acte sous seing privé électronique : Réflexions sur une démarche
de reconnaissance », dans Mélanges Michel Cabrillac (Paris, Litec, 1999), p. 255,
à la p. 266.
45. Pour une étude approfondie de la notion d’original électronique, voir Gilles DE
SAINT-EXUPÉRY, Le document technologique original dans le droit de la preuve
au Québec, mémoire de maîtrise, Montréal, Faculté des études supérieures, Université de Montréal, 2012.
46. Précité, note 44, p. 266.
47. Ibid.
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
175
le support originel, mais bien parce que celui-ci constitue la passerelle
privilégiée48 vers la conclusion juridique que le contenu du document
n’a pas été altéré. Partant, la non-altération peut être établie par
d’autres moyens que la conservation et la présentation du support
originel d’un acte. L’intégrité fera l’objet d’une preuve distincte et ne
sera plus présumée de la présentation du document sur son support
d’origine. Cette fonction d’intégrité, devenue intrinsèque à l’écrit
papier, s’en dissocie avec le passage à l’électronique :
Le constat de la disparition ou de l’éclatement des diverses
fonctions probatoires réunies dans l’original conduit à s’interroger d’abord sur l’existence de substituts techniques. […] [I]l n’y
a pas d’obstacle majeur […] à imaginer des parades techniques
à chacune des infirmités du document électronique.49
Ainsi, l’écrit papier se caractérise par une unité de lieu et de
temps et sa conservation est statique. Le document, en lui-même,
contient tous les indices relatifs à son intégrité – d’où l’obligation de
produire l’original au tribunal. Parce qu’il porte en lui ses « caractères externes », l’original est le meilleur moyen de détection du faux :
une atteinte à l’intellectualité implique nécessairement une atteinte
à la matérialité du document. C’est ainsi l’original qui constitue la
« meilleure preuve ». Cette règle de preuve, voulant que « [l]’acte
juridique constaté dans un écrit ou le contenu d’un écrit [soit] prouvé
par la production de l’original ou d’une copie qui légalement en tient
lieu »50 signifie, en fait, que
les parties ont le choix des preuves qu’elles doivent produire,
mais elles ne peuvent jamais substituer une preuve d’un
genre inférieur ou une preuve dérivée, à la preuve originaire
et directe qui leur est accessible.51
À l’opposé, le document électronique est par nature fragmenté
et fait appel à une suite d’opérations pour devenir lisible à un humain.
Sa conservation est dynamique (pensons à l’obsolescence des logiciels
et du matériel informatique) et une « chaîne de titres » supplée à
48. « Privilégiée » et non pas « unique », car la copie peut sous certaines conditions
faire foi au même titre qu’un document original.
49. Philippe GAUDRAT, « Droit de la preuve et nouvelles technologies de l’information
(rapport-cadre) », dans Françoise GALLOUÉDEC-GENUYS (dir.), Une société
sans papier ? Nouvelles technologies de l’information et droit de la preuve (Paris,
La Documentation française, 1990), p. 169, aux p. 174-175.
50. Code civil du Québec, art. 2860.
51. Pierre-Basile MIGNAULT, Le Droit civil canadien, t. 6 (Montréal, Théorêt, 1902),
p. 10. Il reconnaît toutefois l’existence d’une controverse doctrinale sur ce point
(p. 7).
176
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’original pour revenir au moment de la formation de l’acte. Avec
l’électronique, les indices de l’authenticité deviennent externes au
document lui-même : l’original n’est qu’un moyen.
Cette nouvelle conception de l’originalité est cependant le fruit
d’une progression. En effet, de nouvelles techniques documentaires –
telle la micrographie – avaient souligné les limites du papier et ainsi
pavé la voie à l’écrit électronique.
2.1.1 L’exemple de la micrographie
La micrographie est un exemple où un décalage entre le droit
et les pratiques documentaires a dû être comblé par un régime d’exception. Bien que traditionnellement l’écrit se prouve par son original,
un régime spécifique à la preuve par reproduction micrographique
a été établi. Ainsi, les organismes générant de grandes quantités de
documents (banques, compagnies d’assurance, villes, etc.) pourront
économiser sur la conservation. Ces documents microfilmés perdent
leur caractère original, mais n’en perdent pas pour autant leur valeur
probatoire. La difficulté provenait de l’exigence de produire l’original,
qui empêchait jusqu’alors la conservation sur microfiches.
Au Québec, la Loi sur la preuve photographique de documents52,
en vigueur jusqu’à son remplacement par des dispositions équivalentes53 dans le Code civil, posait que l’« épreuve […] tirée d’une pellicule
photographique d’un document […] fait preuve, pour toutes fins, de la
teneur de ce document, au même titre que son original »54. L’original
devait être reproduit fidèlement et détruit (autrement il ne serait
pas possible de présenter un document dérivé, en vertu de la règle
de la meilleure preuve) en présence de deux témoins pour chaque
opération. La fidélité de la reproduction se prouvait au moyen de la
documentation du processus :
3. Les personnes qui ont assisté à une opération de reproduction ou de destruction de document visée par l’article 2 doivent,
immédiatement après, en attester l’accomplissement au moyen
d’une déclaration faite sous serment en duplicata, signée de
leur main, mentionnant l’autorisation reçue de l’institution
52. Loi sur la preuve photographique de documents, L.R.Q., c. P-22 (abrogée le 1er janvier 1994 ; ci-après « LPPD »).
53. Il s’agit des articles 2840 à 2842 C.c.Q., qui figuraient à la section VII « De la
reproduction de certains documents » avant d’être eux-mêmes remplacés lors de
l’entrée en vigueur de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de
l’information, L.R.Q., c. C-1.1 (ci-après « LCCJTI »).
54. LPPD, précité, note 52, art. 2 (nos italiques).
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
177
intéressée et, dans le cas d’une reproduction de document,
certifiant la fidélité de cette reproduction.55 […]
Signe d’une plus grande confiance, d’une meilleure maîtrise des
techniques documentaires et d’une utilisation toujours grandissante
de celles-ci, les dispositions du Code civil qui ont remplacé la LPPD
ont apporté plusieurs assouplissements au régime de la reproduction de certains documents. Ainsi, notons l’ouverture du régime aux
personnes morales de droit privé56, la suppression du délai de cinq
ans pour la destruction du document original, le fait que désormais
une seule personne – qui peut ne pas être employée – ait à signer la
déclaration sous serment et enfin que cette déclaration n’ait plus à
être conservée en deux exemplaires par deux personnes différentes57.
Les dispositions du Code civil marquaient aussi une évolution
en ce qu’elles ouvraient la voie à d’autres techniques de reproduction
de documents. L’article 2841 C.c.Q., avant sa modification par la Loi
concernant le cadre juridique des technologies de l’information58, parle
ainsi de « reproduction » sans préciser le moyen technique utilisé. Il
pose plutôt des critères :
[p]our que la reproduction fasse preuve de la teneur du document, au même titre que l’original, elle doit reproduire fidèlement l’original, constituer une image indélébile de celui-ci et
permettre de déterminer le lieu et la date de la reproduction.
[…]
55. Ibid., art. 3 (nos italiques).
56. Le régime de la micrographie était déjà devenu relativement généralisé. À l’origine,
la loi n’était applicable qu’à la Banque du Canada et aux autres banques à charte
fédérale (Loi concernant la preuve de certains documents de banque, 12 Georges
VI, c. 44, entrée en vigueur le 22 mars 1948). Cette loi a été remplacée par la Loi
concernant la preuve photographique de certains documents, 5-6 Elizabeth II,
c. 67, entrée en vigueur le 21 février 1957. L’article 6 de cette loi permettait déjà
au Gouvernement de rendre cette loi applicable « à toute association, société ou
corporation, publique ou privée ». Ainsi, de 1957 au 31 décembre 1993, pas moins
de 95 décrets ont été pris en ce sens, étendant l’utilisation de la preuve photographique de documents à de nombreuses villes, grandes entreprises et autres
organismes dont des syndicats et des universités. Décret d’application de la Loi sur
la preuve photographique de documents, R.R.Q., 1981, c. P-22, r. 1. ; Décret 1049-9
concernant le remplacement de certains décrets pris en application de la Loi sur
la preuve photographique, (1993) 125 G.O. II, 5747 ; Tableau des modifications et
Index sommaire – Du 31 décembre 1981 au 1er septembre 2007 (Québec, Éditeur
officiel du Québec, 2007), p. 386.
57. Commentaires du Ministre, vo « Art. 2840 », « Art. 2841 » et « Art. 2842 », jusqu’en
2001, soit avant le remplacement de ces dispositions par la LCCJTI.
58. Précité, note 53.
178
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le défaut de rencontrer ces exigences entraîne le rejet des pièces de la preuve. Ainsi, dans la décision Banque Nationale du Canada
c. Simard, des documents microfilmés ont été déclarés irrecevables
car ils « ne port[aient] aucune mention de la nature du document et
des lieux et date de leur reproduction et ce tel que prescrit à l’article
2842 »59. Outre le défaut de documentation, les reproductions étaient
de mauvaise qualité et illisibles.
La comparaison de l’article 2841 C.c.Q. pré-LCCJTI avec la
LPPD permet une observation intéressante. Le Code civil ne prescrit
pas de moyen technique pour la reproduction du document mais pose
la condition d’indélébilité, alors que la LPPD limitait les moyens
techniques mais ne pose pas la condition d’indélébilité. Nous sommes
d’avis que s’il en est ainsi à la LPPD, c’est que la qualité d’indélébilité
était, selon le législateur, implicite, inhérente aux pellicules photographiques de la LPPD. Dans le C.c.Q., le critère de validité de la
reproduction se trouve détaché de la technique utilisée et substitué
à celle-ci dans le texte de la loi. En conséquence, le critère peut être
rencontré par d’autres méthodes (au choix), mais en contrepartie,
l’atteinte du critère doit être démontrée, notamment par la documentation de la technique et de la procédure de reproduction.
Outre la possibilité d’un changement de support sans perte de
force probante, l’exemple de la micrographie illustre que l’original
est fragmenté : il est reconstitué, devant le tribunal, par la preuve
de son contenu (l’épreuve) et par la preuve de la fidélité de l’épreuve
à l’original (la déclaration)60. La conservation de l’intégrité ne sera
plus prouvée par un document original inaltéré depuis le moment de
sa confection, mais bien par une copie issue d’un procédé à même de
garantir l’intégrité de la reproduction et par une attestation documentant la reproduction et à l’effet que celle-ci est, dans les faits, fidèle
à l’original. Ce constat est d’importance : l’unité de lieu et de temps
de l’écrit original sur papier est brisée. Les éléments de l’original
dont l’étude permettait de conclure (ou non) à l’authenticité de la
pièce sont remplacés par un faisceau d’indices techniques, qualitatifs
et juridiques qui devront être à même de convaincre le juge que la
falsification est moins probable que l’inverse.
59. J.E. 96-1172 (C. du Qué.). À l’opposé, voir Banque Royale du Canada c. Minicozzi,
2013 QCCQ 6566, par. 21.
60. Par exemple, l’article 4, al. 1 LPPD se lit : « La preuve d’un document photographié
et détruit conformément à la présente loi se fait au moyen de la déclaration visée
à l’article 3 et d’une épreuve tirée de la pellicule contenant la reproduction fidèle
du document photographié ».
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
179
2.1.2 La documentation du cycle de vie des documents
électroniques
Les notions d’intégrité et de cycle de vie de l’information sont
intimement liées dans la LCCJTI. D’une part, l’intégrité est édictée
comme le critère d’équivalence fonctionnelle que doit rencontrer un
document électronique pour avoir la même « valeur juridique »61 qu’un
écrit sur support papier. D’autre part, exiger l’intégrité implique,
comme nous l’avons vu précédemment, de pouvoir s’assurer que l’information originelle n’a pas été altérée depuis sa création. La notion
de cycle de vie, issue des sciences de l’information et de la gestion
documentaire62, établit le cadre dans lequel interagissent temps et
intégrité.
La LCCJTI identifie quatre événements du cycle de vie d’un
document, à savoir le transfert, la conservation, la consultation et
la transmission. Plus particulièrement, la conservation d’un écrit
de façon à garantir son intégrité permet d’appréhender l’écrit de
la création de l’enregistrement informatique jusqu’à sa destruction
suite à l’expiration de son délai de conservation. Dès lors, la fonction
intrinsèque d’intégrité de l’écrit électronique est assurée pendant
tout son cycle de vie63, y compris lors de la survenance des différents
événements de celui-ci, par exemple le transfert64.
La conservation doit garantir, d’une part, la restitution lisible et
intelligible du document65 et, d’autre part, son accessibilité pour une
consultation ultérieure. Afin d’assurer l’accessibilité et la pérennité
d’un document, sa conservation peut impliquer certaines opérations,
dont des migrations du document ou des systèmes l’hébergeant. Elle
devient donc dynamique et beaucoup plus complexe : il faut être en
61. L’article 5, al. 2 LCCJTI pose que « [l]e document dont l’intégrité est assurée a
la même valeur juridique, qu’il soit sur support papier ou sur un autre support,
dans la mesure où, s’il s’agit d’un document technologique, il respecte par ailleurs
les mêmes règles de droit ».
62. Stéphane CAÏDI, « La preuve et la conservation de l’écrit dans la société de l’information », (2004) 9:1 Lex Electronica, 74 et s., en ligne : <http://www.lex-electronica.
org/fr/resumes_complets/113.html> (accédé le 31 octobre 2013).
63. Eric A. CAPRIOLI, « Traçabilité et droit de la preuve électronique », (mai
2001) 93 Droit & Patrimoine 68, 2, en ligne : <http://www.caprioli-avocats.com/
publications/50-securite-de-linformation/76-trcabilite-droit-preuve-electronique>
(accédé le 31 octobre 2013). Voir aussi Philippe PEDROT (dir.), Traçabilité et
responsabilité (Paris, Economica, 2003).
64. Voir Pierre TRUDEL, Introduction à la Loi concernant le cadre juridique des
technologies de l’information, (Cowansville, Édition Yvon Blais, 2012), p. 69 et s.
65. Voir FORUM DES DROITS SUR L’INTERNET, Recommandation – Conservation
électronique des documents, décembre 2005, en ligne : <http://www.foruminternet.
org/telechargement/documents/reco-archivage-20051201.pdf> (accédé le 31 octobre
2013).
180
Les Cahiers de propriété intellectuelle
mesure de suivre le document « à la trace »66. La restitution de la trace
probante met donc en relation deux qualités qui étaient auparavant
réunies dans le cadre d’un document papier : l’intégrité et la pérennité.
Dans sa recommandation sur la conservation électronique
des documents de 2005, le Forum des droits sur l’Internet définit
l’intégrité comme la résultante de trois conditions cumulatives : « la
lisibilité du document, la stabilité du contenu informationnel [et] la
traçabilité des opérations sur le document »67.
La lisibilité d’un document se définit par la capacité à avoir
accès à toutes les informations qu’il contient au moment de sa restitution68. Pour maintenir la lisibilité du document, celui-ci doit
lui-même être documenté quant à la façon de lire et d’interpréter
les données qui le composent. Ces informations sont des métadonnées69. Elles permettent de « redonner un sens à ce que l’on est censé
pérenniser »70. Ces métadonnées sont de divers ordres et permettent
par exemple de déterminer la structure de la base de données dans
laquelle les données sont conservées, afin de pouvoir reconstituer leur
sens – et le document. Ces métadonnées sont dites « descriptives » ou
« de contenu ». Les métadonnées peuvent aussi être « contextuelles »
(origine et historique des versions du document), « de gestion » (date
de création, date du versement à la base de données, responsables)
ou « techniques ». Dans ce dernier cas, les informations permettent
d’identifier le formatage des données afin de pouvoir reprogrammer
l’interpréteur, et en ce sens servent directement à la pérennisation71
66.
67.
68.
69.
CAPRIOLI, précité, note 63, p. 8.
FORUM DES DROITS SUR L’INTERNET, précité, note 65, p. 20.
Ibid.
Le Grand dictionnaire terminologique définit une métadonnée comme une
« [d] onnée qui renseigne sur la nature de certaines autres données et qui permet
ainsi leur utilisation pertinente. » Il note de plus que « Dans la perspective des
entrepôts de données, les métadonnées sont un élément primordial et sont destinées à diverses catégories d’utilisateurs. Elles permettent notamment de connaître
l’origine et la nature des données stockées dans l’entrepôt, de comprendre comment
elles sont structurées, de savoir comment y avoir accès et comment les interpréter,
de connaître les différents modèles de données en présence et les règles de gestion
de ces données. » ; OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE, Grand
Dictionnaire Terminologique, en ligne : <http://www.granddictionnaire.com>, vo
« Métadonnée ».
70. Françoise BANAT-BERGER et Anne CANTEAUT, « Intégrité, signature et
processus d’archivage », dans Stéphanie LACOUR (dir.), La Sécurité aujourd’hui
dans la société de l’information, Actes des séminaires de recherche du programme
Asphales ACI Sécurité informatique 2004-2007 (Paris, L’Harmattan, 2007), p. 213,
à la p. 222.
71. Ibid., p. 222 et 223, pour tout ce paragraphe.
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
181
afin d’éviter que l’information numérique ne devienne en état de
simple « potentialité »72.
La stabilité du contenu informationnel est la garantie que les
informations portées par le document restent les mêmes. « Le contenu
informationnel s’entend de l’ensemble des informations, quelle que
soit leur nature ou leur origine, issues du document et, le cas échéant,
de sa mise en forme »73.
Enfin, « [l]a traçabilité désigne la faculté de présenter et de
vérifier l’ensemble des traitements, opérés sur le document lors du
processus de conservation »74. Les informations de traçabilité doivent
permettre la tenue d’un audit du système afin d’en évaluer la sécurité. Elles comprennent les modalités de la convention de services
d’archivage, les responsables et responsabilités, la documentation
relative aux migrations (« tests, résultats des tests, quel opérateur
s’en est occupé, réversibilité des migrations, conservation ou non des
documents et données dans le format originel… »)75. Ces exigences
de natures organisationnelle, fonctionnelle, juridique et technique,
permettent de conserver la valeur probante des données76. Elles sont,
en fait, les indices permettant de démontrer le maintien de l’intégrité
des documents.
La traçabilité est donc très près de la notion de cycle de vie de
l’information : l’écrit est une « trace probante ». Le droit de la preuve
exige qu’il soit possible d’établir à qui un acte juridique est imputable
et que cet acte soit « l’exacte restitution du contenu de l’acte à la date
à laquelle il a été passé »77. Ainsi,
[l]es conditions d’une traçabilité probatoire résident […] dans
la garantie de l’intégrité de l’écrit de son établissement à sa
72. Marie DEMOULIN et Didier GOBERT, « L’archivage dans le commerce électronique : Comment raviver la mémoire ? », dans Marie DEMOULIN, Didier GOBERT
et Étienne MONTERO, Commerce électronique : de la théorie à la pratique, Cahiers
du CRID no 23 (Bruxelles, Bruylant, 2003), p. 101, aux p. 104 et 105.
73. FORUM DES DROITS SUR L’INTERNET, précité, note 65, p. 20.
74. Ibid.
75. BANAT-BERGER et CANTEAUT, précité, note 70, p. 226 et 227.
76. Ibid., p. 227. Elles ont fait l’objet en France d’une étude conjointe dirigée par la
Direction centrale de la sécurité des systèmes d’information (DCSSI) : DIRECTION CENTRALE DE LA SÉCURITÉ DES SYSTÈMES D’INFORMATION,
ARCHIVES DE FRANCE et DIRECTION GÉNÉRALE DE LA MODERNISATION DE L’ÉTAT, Archivage électronique sécurisé – Outils méthodologiques pour
la sécurité des systèmes d’information, 2006, en ligne : <http://www.ssi.gouv.fr/fr/
bonnes-pratiques/outils-methodologiques/archivage-electronique-securise.html>
(accédé le 31 octobre 2013), cité dans BANAT-BERGER et CANTEAUT, précité,
note 70, p. 227.
77. CAPRIOLI, précité, note 63, p. 2.
182
Les Cahiers de propriété intellectuelle
restitution. Sous cet angle, la traçabilité doit permettre l’identification des personnes dont l’acte émane, quand et à quel
contenu les parties ont consenti.78
L’intégrité se conçoit donc dans un rapport au temps. Un retour
sur la notion d’original le démontre clairement. Ce qui change est
qu’« [a]vec le support papier, la notion de trace intègre était caractérisée par « l’original » »79. Ce qui caractérise l’original est avant tout le
caractère intact de l’information qu’il contient, depuis sa confection :
il est contemporain de l’acte juridique qu’il porte et est à ce titre le
témoin privilégié du maintien de l’intégrité du document.
Or les technologies de l’information ne peuvent rendre compte
à l’exact de cette notion. Le rapport au temps de l’intégrité est plus
saillant du fait des défis et des implications de la conservation des
documents électroniques. Contrairement au document papier, qui
porte sur lui la preuve de son intégrité, celle du document électronique
sera assurée par des éléments de preuve qui lui sont externes. La
conservation de l’écrit doit donc, en plus de maintenir la lisibilité et
assurer la stabilité de son contenu, démontrer, par la traçabilité des
opérations sur le document, qu’aucun événement n’a pu altérer le
contenu du document. Ces informations constituent, pour reprendre
le mot d’Arnaud Raynouard, « la preuve de la preuve »80.
La micrographie a amorcé la fragmentation de l’original. En
répondant à des considérations d’ordre pratique – notamment l’encombrement dû aux originaux sur papier, le droit a créé un régime
particulier pour la preuve d’un document suite à la destruction
volontaire de l’original. L’original se voit reconstitué par différentes
informations : la micrographie elle-même et des attestations relatives au déroulement de la reproduction. La reconnaissance de l’écrit
électronique suit cette même voie, libéralisant même encore plus les
méthodes en les soumettant à la rencontre d’un critère : l’intégrité.
L’original y est reconstitué avec des informations relatives à sa conservation, depuis sa confection. Il s’agit de la traçabilité, par laquelle
est documenté le cycle de vie du document : ces informations doivent
permettre d’établir le maintien de son intégrité. Elles sont, de même,
78. Ibid.
79. Ibid., p. 5.
80. Arnaud RAYNOUARD, « Le droit de l’écrit électronique », (2 avril 2001) 65
Les Petites Affiches 15. Vincent Gautrais parlera du « phénomène de « double
preuve » » ; Vincent GAUTRAIS, Preuve technologique, (Montréal, Lexis Nexis)
partie 2, chapitre 1, section 3-1 : « Avènement de la notion de documentation »
2013.
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
183
là vers où doit se porter l’analyse cherchant à détecter le faux : le
contrôle du faux se déplace à l’extérieur du document.
2.2
Les règles de preuve et de procédure et la gestion
juridique du risque de faux
L’économie générale de cet ensemble de règles doit tendre vers
un équilibre où la mise en preuve d’un document est facilitée, sans
pour autant entraver la tenue d’un débat quant à son authenticité
lorsqu’il s’avère nécessaire. Ainsi, diverses règles de preuve établiront
la force probante de la preuve par écrit – par exemple l’effet d’une
signature opposée à celui dont on prétend qu’elle émane, ou créeront
des présomptions d’intégrité, alors que des règles de procédure canaliseront les contestations portant sur des éléments de preuve.
L’intégration de l’écrit électronique en droit québécois est le
résultat d’une approche particulière. La LCCJTI ne redéfinit pas
directement l’écrit – comme le fait par exemple le législateur français.
Elle crée plutôt le « document technologique », un intermédiaire qui
[recevra] la qualification correspondant au moyen de preuve
dont il accomplit la fonction et auquel il est alors assimilé. On
pourra dire du document technologique qu’il est un support
« caméléon ». Il prend la couleur et la forme du moyen de preuve
auquel il ressemble.81
Ainsi, le nouvel article 2837 C.c.Q., modifié par cette loi, pose
que l’écrit peut être un document technologique. Le premier alinéa
établit l’indifférence du support : l’écrit n’est plus lié de façon indissociable au papier. Le second alinéa opère un renvoi à la LCCJTI :
les écrits dont le support fait appel aux technologies de l’information
sont qualifiés de documents technologiques et les conditions de leur
admissibilité en preuve se trouvent dans cette loi :
2837. L’écrit est un moyen de preuve quel que soit le support
du document, à moins que la loi n’exige l’emploi d’un support
ou d’une technologie spécifique.
Lorsque le support de l’écrit fait appel aux technologies de
l’information, l’écrit est qualifié de document technologique au
81. Claude FABIEN, « La preuve par document technologique », (2004) 38 Revue
Juridique Thémis 533, 551. Un document technologique peut en effet être un écrit
(2837 C.c.Q.), un élément matériel (2855 C.c.Q.), voire un témoignage extrajudiciaire (2869 à 2874 C.c.Q.)
184
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies
de l’information.
L’exigence de l’intégrité pour que le document technologique
fasse preuve à titre d’écrit se trouve à l’article suivant et vise les actes
authentiques, semi-authentiques et sous seing privé. Les « autres
écrits » ne sont pas mentionnés – c’est-à-dire les écrits non signés –
mais sont soumis à la même exigence, par le truchement d’une autre
disposition de la LCCJTI82.
Du fait du procédé d’assimilation, il s’ensuit en principe une
unicité de régime pour l’écrit, qu’il soit sur support papier ou électronique. Cependant, la fragmentation de la notion d’écrit électronique
complexifie aussi sa mise en preuve. Afin d’atteindre des objectifs
similaires entre les environnements papier et électronique, des règles
différentes, adaptées à leurs particularités, peuvent être nécessaires.
C’est ainsi que pour établir un régime probatoire pour l’écrit
électronique qui soit fonctionnellement équivalent à celui de l’écrit
papier, le législateur a créé, à l’article 2840 C.c.Q., une présomption
d’intégrité et établit la façon de la contester :
2840. Il n’y a pas lieu de prouver que le support du document
ou que les procédés, systèmes ou technologies utilisés pour
communiquer au moyen d’un document permettent d’assurer
son intégrité, à moins que celui qui conteste l’admissibilité du
document n’établisse, par prépondérance de preuve, qu’il y a
eu atteinte à l’intégrité du document.
Cet article, dont la rédaction est plutôt malaisée, voire « maladroite »83, cause des difficultés d’interprétation tant pour la doctrine
que la jurisprudence. Il semble cependant se dégager l’opinion selon
laquelle la présomption ne vise que le support du document (et ne
dispense donc pas de la preuve de l’intégrité du contenu)84 et, a fortiori,
qu’il ne s’agit pas d’une présomption d’authenticité. Bref, la présomption de l’article 2840 C.c.Q. ne se rattache qu’à la seconde condition
82. LCCJTI, précité, note 53, art. 5, al. 2.
83. FABIEN, précité, note 81, p. 575.
84. Voir notamment Vincent GAUTRAIS, « Les contrats électroniques au regard de la
Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information », dans Vincent
GAUTRAIS (dir.), Droit du commerce électronique (Montréal, Thémis, 2002), p. 5,
à la p. 23 et Jean-Pierre ROYER, La preuve civile, 4e éd., par Jean-Pierre ROYER
et Sophie LAVALLÉE (Cowansville, Édition Yvon Blais, 2008), no 407, p. 281.
Voir également GAUTRAIS, précité, note 80, partie 2, chapitre 2, section 1-3 :
« Présomption et intégrité ».
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
185
de l’article 2839 C.c.Q., selon lequel l’intégrité d’un document est
tributaire de deux conditions : i) l’information n’est pas altérée et ii)
le support de celle-ci est à même de lui garantir stabilité et pérennité. La présomption ne dispense pas de prouver que le contenu
informationnel n’a pas fait l’objet d’altération. Cette distinction est
facilement omise85.
Par l’effet de cette présomption, le traitement du document
électronique devient donc le même que celui d’un document sur
support papier. Il n’y a effectivement pas lieu, pour celui qui entend
mettre en preuve un écrit sur support papier, de prouver que le papier
est à même de conférer la stabilité et la pérennité voulues (pour
reprendre les mots de l’article 2839 C.c.Q.) ou que le support d’un
contrat sur papier n’a pas fait l’objet d’altération. Cette présomption
d’intégrité du « support papier » est un sous-entendu fondamental de
nos lois, mais il est nécessaire de garder à l’esprit que cette confiance
dans le papier s’est construite.
Selon le premier alinéa de l’article 2828 C.c.Q., « [c]elui qui
invoque un acte sous seing privé doit en faire la preuve ». L’article
dispose toutefois que « l’acte opposé à celui qui paraît l’avoir signé
ou à ses héritiers est tenu pour reconnu s’il n’est pas contesté de la
manière prévue au Code de procédure civile ». Il est ici fait référence
à l’article 89 du Code de procédure civile86 :
89. Doivent être expressément alléguées et appuyées d’un
affidavit :
1o la contestation de la signature ou d’une partie importante
d’un écrit sous seing privé, ou celle de l’accomplissement des
formalités requises pour la validité d’un écrit ;
[…]
A défaut de cet affidavit, les écrits sont tenus pour reconnus
ou les formalités pour accomplies, selon le cas.87
85. Voir Stefanovic c. ING Assurances inc., 2007 QCCQ 10363 (CanLII), par. 66, où
il a ainsi été décidé d’une objection à la preuve : « Il n’y a pas eu de preuve d’une
atteinte à l’intégrité du document. Par conséquent, ING n’a pas à démontrer que
le support du document ou que les procédés utilisés pour communiquer au moyen
d’un document permettent d’assurer son intégrité, le tout conformément [à l’article
2840 C.c.Q.] ».
86. L.R.Q., c. C-25 (ci-après « C.p.c. »).
87. Le cas des écrits qui ne sont pas sous seing privé figure au paragraphe 4 de l’article 89 : « 4o la contestation d’un document technologique fondée sur une atteinte
186
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Léo Ducharme a commenté de nombreuses décisions relatives
à l’article 89 C.p.c.88 et affirme que « [d]énier une partie importante
d’un écrit, c’est plaider l’altération de cet écrit en niant le fait que
telle ou telle énonciation y apparaissait lors de sa signature, c’est en
d’autres termes plaider que l’écrit, dans une partie importante, est
un faux »89. Il ne s’agit pas d’un plaidoyer contre ou outre l’écrit – ce
qui se rapporterait à son intellectualité – mais bien d’une dénégation
de l’écrit dans sa matérialité, dans sa confection90. Par exemple, dans
la décision Gaudet c. Grimard, un défendeur soutient qu’un écrit mis
en preuve avait été « altéré en raturant le mot « par » précédant sa
signature et en coupant le bas du document de façon à supprimer le
nom de l’entreprise inscrit en dessous », supprimant par là-même
sa qualité de mandataire pour la signature de l’acte91. Le débat sur
l’intégrité du support n’aura été ouvert que dans le cadre d’une
contestation de l’intégrité du contenu.
L’article a donc pour effet de formaliser les plaidoyers d’altération ou de dénégation d’un écrit ou d’une partie de celui-ci – bref, il
encadre les plaidoyers de faux. Une contestation en vertu de l’article
89 C.p.c. a pour effet que l’écrit ainsi contesté devra voir son intégrité prouvée par la partie qui l’invoque92. L’exigence d’un affidavit
(déclaration sous serment) permet d’ouvrir le débat sur l’intégrité
ou la fausseté de la pièce. Ainsi alertée, la partie voulant mettre en
preuve l’écrit connaîtra la nature de la contestation et sera en mesure
d’y répondre, notamment en interrogeant le déclarant.
Les éléments contenus dans l’affidavit doivent être de nature à
démontrer prima facie qu’il y a eu altération du document depuis sa
88.
89.
90.
91.
92.
à son intégrité. Dans ce cas, l’affidavit doit énoncer de façon précise les faits et
les motifs qui rendent probable l’atteinte à l’intégrité du document ». L’absence
d’un affidavit a entraîné la reconnaissance de courriels qu’une partie entendait
contester dans la cause Vandal c. Salvas, 2005 CanLII 40771 (C. Qué.).
Voir Léo DUCHARME, « Portée et sanction de l’article 208 de l’ancien Code de
procédure civile », (1971) 31:3 Revue du Barreau 337 ; Léo DUCHARME, « Dénégation d’une partie importante d’un écrit », (1973) 33:2 Revue du Barreau 162 ; Léo
DUCHARME, « Du régime de preuve applicable au cas d’altération d’un écrit »,
(1975) 35:3 Revue du Barreau 375.
DUCHARME, « Dénégation d’une partie importante d’un écrit », précité, note 88,
p. 162.
DUCHARME, « Portée et sanction de l’article 208 de l’ancien Code de procédure
civile », précité, note 88, p. 337.
Gaudet c. Grimard, [1967] B.R. 182 (C.A. Qué.), citée dans DUCHARME, « Du
régime de preuve applicable au cas d’altération d’un écrit », précité, note 88, p. 377
et 378.
Léo DUCHARME, L’administration de la preuve, 3e éd. (Montréal, Wilson &
Lafleur, 2001), p. 122 et s.
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
187
confection93 (voire que le document est forgé de toutes pièces). L’analyse du document – de ses caractéristiques externes – fournira ces
informations. Or comme nous l’avons vu le document électronique est
un document fragmenté. Les indices qui permettraient à une partie
de s’opposer à un écrit électronique doivent ainsi lui être accessibles,
bien qu’ils soient généralement externes au document. D’où l’importance pour quiconque – potentiellement, tout justiciable – d’être en
mesure de fournir de telles informations. Dans la décision Sécurité des
Deux-Rives ltée c. Groupe Meridian construction restauration inc.94,
où l’on tentait de mettre en preuve un courriel imprimé, l’absence
d’éléments tendant à démontrer son authenticité a été fatale à son
admission en preuve.
L’absence de ces informations devrait être fatale à la mise en
preuve d’un document. Dans la décision Lefebvre Frères ltée c. Giraldeau95, les données d’un agenda électronique datant de 1995 étaient
demeurées inaccessibles jusqu’à l’audience, malgré le recours à des
techniciens. Le défendeur avait alors « eu l’idée de procéder d’une
nouvelle façon afin de pouvoir en retirer des informations ». Une
preuve dont il n’est pas fait mention au jugement permet au juge
de conclure « que les copies de relevés d’agendas électroniques […]
sont complètes et reflètent fidèlement le contenu desdits agendas
sur support électronique. Leur transfert sur papier reflète de façon
adéquate les informations qui y ont été insérées. » Le manque de
détail sur la preuve technique ayant permis de retrouver ces infor93. Dans le cas d’une dénégation de signature, « [l]a règle est donc qu’un écrit privé
signé par une personne lui est opposable, sauf si celle-ci désavoue expressément
sa signature au moyen d’allégations accompagnées d’un serment. La preuve à
l’appui de la négation de signature doit être sérieuse, cohérente et vraisemblable.
Il ne suffit pas pour une personne de tout simplement nier que ce soit sa signature
sur l’écrit ; il lui faut dire pourquoi ». Voir Toronto Dominion Bank c. Kahn, [1997]
R.R.A. 50 (C.A. Qué.).
Dans un dossier où était contesté un document électronique (une page Web), la
Cour de cassation française décidait que puisque « rien ne permettait de mettre en
cause l’authenticité et l’origine du texte diffamatoire qui lui était soumis, la cour
d’appel n’était pas tenue de recourir à la procédure de vérification d’écriture » :
Cass. 1ère civ., 27 juin 2006, comm. Éric A. CAPRIOLI, « Vérification d’écriture en
matière d’écrit électronique », 2006-10 Communication Commerce électronique 51.
94. 2013 QCCQ 1301 (C. du Qué.), par. 67. Cette décision souligne les difficultés
d’interprétation de l’article 89(4) C.p.c. et discute également de ses conditions
d’application. Il est décidé que l’article ne trouvait pas application puisque la pièce
n’avait été communiquée que quelques jours avant l’audience, et que la partie
adverse « ne pouvait pas, dans un affidavit, énoncer de façon précise les faits et les
motifs qui rendent probable l’atteinte à l’intégrité du support puisque le document
qu’on lui proposait ne contenait aucun détail (métadonnées) » (par. 66). Voir à ce
sujet GAUTRAIS, précité, note 80, partie 2, chapitre 1, section 3-1 : « Avènement
de la notion de documentation ».
95. 2009 QCCS 404 (C. sup. Qué.).
188
Les Cahiers de propriété intellectuelle
mations affaiblit la décision, en ce sens que l’on omet de mentionner
un élément important du raisonnement. Une preuve de traçabilité
portant minimalement sur le procédé de récupération des données
aurait permis de se prononcer sur l’intégrité des informations mises
en preuve.
Le droit de la preuve et l’encadrement procédural de l’écrit
électronique et de sa contestation illustrent les difficultés soulevées
par son intégration comme moyen de preuve. La période d’incertitude
qui accompagne généralement un phénomène nouveau se traduit dans
la doctrine, la jurisprudence et peut-être même dans la loi. S’il y a
en principe unicité de régime pour l’écrit sur support papier et l’écrit
électronique, la pratique de l’un et de l’autre diffère grandement. La
notion de traçabilité en est une bonne illustration.
La dématérialisation documentaire va à l’encontre de la logique
pluriséculaire qui sous-tend les dispositions en cause. La micrographie
s’est toutefois avérée un intéressant précurseur des changements
apportés par l’électronique : un document original pouvait désormais
se fractionner et se recomposer sans que ne soit affectée sa force
probante. Or la micrographie était à l’origine une technique bien
maîtrisée et le matériel nécessaire à sa mise en œuvre la limitait de
facto à un nombre relativement limité d’organisations disposant de
suffisamment de ressources. Au contraire, les techniques de l’électronique sont récentes, évoluent sans cesse et sont largement utilisées
par la population, mais rarement avec le souci de se ménager une
preuve…
CONCLUSION
C’est afin de se maintenir en adéquation avec les pratiques
sociales, documentaires et juridiques que l’écrit en est venu à remplacer le témoignage comme moyen de preuve dominant. Pareil
changement de paradigme n’aurait pu être justifié sans de solides
assises. À l’ère de la documentation électronique, le raisonnement
demeure le même : les dispositions relatives à la preuve par document
électronique reflètent-elles le niveau de confiance que l’on place en ce
type de document ? Plus fondamentalement, cette confiance est-elle
éclairée et justifiée ?
Il convient de savoir où placer nos doutes. Les réflexes relatifs
au faux ne sont pas encore exactement au point : « l’adolescence de
l’usage du médium ne nous permet pas une totale prise de conscience
Du témoin à l’écrit ; du papier à l’électronique
189
sur ses carences en terme d’identité ou d’intégrité »96. Quelle différence
y a-t-il, en effet, entre les chancelleries désorganisées de l’époque et
certaines pratiques documentaires d’aujourd’hui, comme par exemple
l’utilisation planétaire de protocoles de courriels non sécurisés ?
De multiples considérations sociales, juridiques et techniques,
exacerbées par la complexité et la nouveauté de l’électronique, rendent
difficile la tâche du législateur : faciliter la preuve des documents
électroniques tout en évitant que le faux ne se pare des atours du vrai.
Au vu de la place centrale de l’écrit dans notre système de preuve, on
ne s’étonnera guère de la vivacité des débats. Et, jamais bien loin de
ceux-ci, s’agite imperceptiblement le spectre du faux.
96. Vincent GAUTRAIS, « Faux sms ? », février 2008, en ligne : <http://www.gautrais.
com/Faux-sms> (accédé le 31 octobre 2013).
Vol. 26, nº 1
L’OMPI : transposition en droit
canadien des traités Internet de 1996
Frédérick-Alexandre Yao*
RÉSUMÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
1. PRÉSENTATION GLOBALE DE L’OMPI . . . . . . . . . . . . . . . 196
2. TRANSPOSITION EN DROIT CANADIEN DES
PRINCIPAUX CONCEPTS DES TRAITÉS INTERNET
DE L’OMPI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
2.1 Des organes internes de gestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
2.1.1 De l’Office de la propriété intellectuelle
du Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
2.1.2 Des sociétés de gestion collective . . . . . . . . . . . . . . 200
2.2 De la réforme de la Loi sur le droit d’auteur . . . . . . . . . . 201
2.2.1 De l’historique législatif de la réforme de la
Loi sur le droit d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
© Frédérick-Alexandre Yao, 2014.
* Étudiant en 3e année au baccalauréat en droit à la Faculté de droit de l’Université
Laval. Lauréat du Prix 2013 des Cahiers de propriété intellectuelle. La première
version de ce texte a été réalisée lors de la session d’hiver 2013 dans le cadre du
cours DRT-2302 Droit d’auteur donné au baccalauréat en droit à la Faculté de droit
de l’Université Laval par le professeur Georges Azzaria.
L’auteur désire remercier le professeur Georges Azzaria pour ses commentaires
à la suite de sa correction du manuscrit original et pour ses encouragements à la
publication, les membres du jury du Prix des Cahiers de propriété intellectuelle
qui par leurs commentaires ont grandement aidé à approfondir certains aspects
de l’article, ainsi que Émilie Gauvin pour sa patience et son appui.
191
192
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.2.2 Des principaux concepts des Traités de 1996
de l’OMPI transposés en droit canadien . . . . . . . . 204
2.2.3 Des principales exceptions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
2.2.4 Des principales critiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
RÉSUMÉ
L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI)
administre plusieurs traités, dont le Traité de l’OMPI sur le droit
d’auteur (TODA) et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et
les exécutions et les phonogrammes (TOIEP). Ces traités ont pour
but de faire passer la protection de la propriété intellectuelle à l’ère
numérique. Ce texte porte sur la transposition en droit canadien
des principaux concepts codifiés par ces traités. L’analyse de cette
transposition se fait par l’examen des organes internes de gestion
(Office de la propriété intellectuelle du Canada et sociétés de gestion
collective) et par celui de la réforme de la Loi sur le droit d’auteur,
examens précédés d’une présentation globale de l’OMPI.
INTRODUCTION
La protection de la propriété intellectuelle n’est pas aussi
ancienne que celle de la propriété des biens physiques. En effet, si
dès l’Antiquité le concept de propriété est reconnu et accepté sous une
certaine forme1, l’artiste n’est pas un créateur et son œuvre n’est pas
une création : la chose qui est relatée ou exprimée par les mots est
une vérité préexistante à cette expression et le poète n’est que l’instrument de cette vérité2. Il n’y a pas d’auteur réel. Cette conception
traversera les siècles3. Ce n’est qu’en 1474 qu’apparaît la première
forme de protection juridique d’une œuvre, au sens moderne du
1. Mireille BUYDENS, Propriété intellectuelle – Évolution historique et philosophique,
1ère éd., (Bruxelles, Bruylant-Larcier, 2012) (ci-après BUYDENS), p. 37 ; Sylvio
NORMAND, Introduction au droit des biens, 1ère éd. (Montréal, Wilson & Lafleur,
2000), p. 77.
2. BUYDENS, précité, note 1, p. 21.
3. Ibid., p. 88 et s. Néanmoins, il y aura, dès la Grèce antique, un début de reconnaissance du droit de l’auteur, non pas en sa qualité de créateur, mais plutôt en celle
d’instrument « unique », et il sera rémunéré (André COMPAGNON, « Qu’est-ce
qu’un auteur », Chapitre 4. Généalogie de l’autorité ; <www.fabula.org/compagnon/
auteur4.php> cité par BUYDENS précité, note 1, p. 33 ; BUYDENS précité, note 1,
p. 32 et 33). Cette unicité du créateur-instrument sera aussi reconnue sous Cicéron
à l’époque romaine (BUYDENS, précité, note 1, p. 46 et 47). Martial ira plus loin
dans son Épigramme en comparant le copieur à un plagiarus, c’est-à-dire à un
voleur d’enfant : l’auteur est père de son œuvre pour Martial (Épigramme, I, LII,
rapporté par BUYDENS, précité, note 1, p. 47).
193
194
Les Cahiers de propriété intellectuelle
terme, à savoir le privilège vénitien instauré par la Parte Veneziana4.
Il s’agit d’un monopole accordé à un inventeur par le souverain afin
d’inciter des créateurs à servir la collectivité par des inventions
utiles5. L’apparition des premiers privilèges en Italie repose sur une
combinaison de la transformation de la pensée philosophique6, de la
diffusion, de l’impression des œuvres et de l’émergence d’un public
bourgeois capable de lire7. « [M]oyen souple et efficace permettant au
Roi de récompenser, favoriser ou sanctionner »8, ce système servait
surtout à permettre un contrôle régalien sur l’édition et à assurer une
certaine censure9. Les privilèges seront incorporés près d’un siècle
plus tard ailleurs en Europe, notamment en Angleterre10. Dans ce
royaume, l’accent est davantage mis sur l’effort de l’inventeur que sur
l’utilité de l’invention pour la société11. Critiqués parce qu’ils entravent
le libre-échange, les privilèges seront à l’origine du célèbre Statute of
Anne, statut qui édicte que le monopole doit être limité dans le temps
et qui reconnaît (implicitement) que l’auteur est le premier titulaire
de droits sur son œuvre12. Cette législation fut contestée par les
détenteurs de monopoles et, en raison de l’influence grandissante de
la philosophie lockéenne, l’apport de l’auteur et les droits que celui-ci
a sur son œuvre finiront par être au centre des débats13. Depuis la
Révolution française, plusieurs traités internationaux ont consacré
un droit de propriété sur l’œuvre à son auteur. Ces traités accordent
de plus en plus de protection à cette « titularité » puisque le droit d’un
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
BUYDENS, précité, note 1, p. 220.
Ibid., p. 220 et 221. Dans les faits, les privilèges littéraires sont majoritairement
accordés à des éditeurs plutôt qu’aux auteurs eux-mêmes (BUYDENS, précité,
note 1, p. 224 et 227 ; Normand TAMARO, Le Droit d’auteur – Fondements et
principes (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1994), p. 15 et 16).
Soit la révolution nominaliste – le particulier devient le centre du monde ; la légitimation du travail manuel ; l’évolution des théories de la propriété (BUYDENS,
précité, note 1, p. 217 et 218).
BUYDENS, précité, note 1, p. 216-218.
Ibid., p. 123.
Ibid., p. 253 ; TAMARO, précité, note 5, p. 14 et 15.
Le premier privilège accordé en Angleterre le fut en 1565 sous Élizabeth I au
profit de Jacob Ancontius. Le système de privilèges sera aussi implanté en France
et aux Pays-Bas, à la même époque, souvent à la demande d’immigrants italiens,
importateurs de nouvelles technologies et non inventeurs de celles-ci (BUYDENS,
précité, note 1, p. 228 et 243).
BUYDENS, précité, note 1, p. 228.
An Act for the Encouragement of Learning, by Vesting the Copies of Printed Books
in the Authors or Purchasers of such Copies, During the Times therein Mentioned,
1710, 8 Anne, c. 19 ; BUYDENS, précité, note 1, p. 230. Il y a reconnaissance de la
titularité première de l’auteur dans cette législation puisque, après l’expiration
du privilège accordé à quiconque pour l’édition d’un ouvrage, ce droit d’édition
revient à l’auteur (BUYDENS, précité, note 1, p. 263).
BUYDENS, précité, note 1, p. 264.
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
195
auteur sur son œuvre est « [l]a plus sacrée, la plus légitime, la plus
inattaquable, et […] la plus personnelle de toutes les propriétés »14.
Aujourd’hui, à l’ère numérique, la protection effective de la
« titularité » est de plus en plus difficile. En effet, la diffusion de
l’information et des œuvres ne peut plus être contrôlée comme elle
l’était à l’époque des privilèges : la diffusion de masse de notre siècle
n’a rien à voir avec la diffusion de masse du XVIe siècle. Des milliards
de données sont diffusées d’un ordinateur à un autre à chaque heure.
Ces données peuvent être numérisées sous la forme d’un livre, d’une
peinture ou d’une photographie. De nouvelles méthodes de protection
et de nouvelles catégories d’œuvres protégeables, notamment, doivent
donc être créées. Afin que les droits d’auteur soient réellement protégés, la protection doit être la plus uniforme et mondiale possible : elle
ne doit pas être laissée aux aléas des décisions politiques locales15.
Depuis 1967, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a comme mandat de veiller, dans la mesure de ses
pouvoirs, à ce que la protection garantie aux œuvres soit la même
partout sur le globe. En effet, cette institution administre 25 traités
relatifs à la propriété intellectuelle. L’OMPI est composée de différents
organes. Il y a premièrement l’Assemblée générale qui regroupe les
États parties à la Convention de l’OMPI qui sont aussi membres de
l’Union de Paris ou de l’Union de Berne16. En tant qu’organe cœur de
l’Organisation, l’Assemblée générale possède de très larges pouvoirs
de gestion et d’administration et elle s’acquitte de la quasi-totalité des
tâches17. Deuxièmement, il existe la Conférence18, soit une assemblée
14. Rapport de M. LE CHAPELIER, Réimpression de l’ancien Moniteur, seule histoire
authentique et inaltérée de la Révolution française depuis la réunion des Étatsgénéraux jusqu’au Consulat (mai 1789-novembre 1799), t. VII (Paris, Henri Plon,
1860), p. 117, PDF <http://ia600404.us.archive.org/17/items/rimpressiondel07
pariuoft/rimpressiondel07pariuoft.pdf> (consulté le 10 octobre 2013).
15. Stelios CASTANOS et Dusan SIDJANSKI, Droit d’auteur ou copyright – Les rapports entre les différents systèmes en vigueur (Lausanne, Librairie de l’Université,
1954), p. 5.
16. Convention instituant l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle,
Stockholm, 14 juillet 1967 (ci-après Convention de Stockholm), al. 6(1)a).
17. Ibid., par. 6(2).
18. Il est à noter que cet organe est en voie d’être dissous. En date du 15 janvier 2013,
15 États ont déposé leur notification d’acceptation aux Modifications à apporter
aux Traités administrés par l’OMPI adoptés par les Assemblées des États membres
de l’OMPI le 1er octobre 2003. Lorsque 135 notifications auront été reçues, la
Conférence sera officiellement dissoute et ses membres intégrés à l’Assemblée
générale, indépendamment du fait qu’ils soient parties aux Unions. De plus, les
pouvoirs de la Conférence seront transmis à l’Assemblée générale. Voir O.M.P.I.,
Actualité concernant la réforme statutaire, 42e série de réunions de l’Assemblée des
États membres de l’OMPI, Genève, 25 septembre – 3 octobre 2006, en ligne : <http://
196
Les Cahiers de propriété intellectuelle
consultative composée d’États membres de l’Organisation et d’États
non membres faisant des recommandations sur les politiques à
adopter par l’Assemblée générale19. Troisièmement, le Comité de
coordination assure la coordination entre l’Organisation mondiale
de la propriété intellectuelle et les différentes unions relatives à la
propriété intellectuelle afin que la protection offerte aux titulaires
de droits soit la plus uniforme possible20. Quatrièmement, l’organe
final de l’OMPI est le Bureau international. Il tient lieu de secrétariat et il est dirigé par un directeur général et des vice-directeurs
généraux. Le Bureau a pour objectif de concevoir de nouveaux projets
de programme et d’exécuter les projets en cours afin de développer
la coopération internationale entre les États membres21. Plus haut
fonctionnaire de l’OMPI, le directeur général est nommé pour au
moins six ans22.
Tel qu’évoqué précédemment, l’OMPI, par ces différents organes, administre plus de 25 traités relatifs à la propriété intellectuelle.
Deux des plus éminents sont le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur
(TODA) et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et les exécutions
et les phonogrammes (TOIEP), aussi appelés « les Traités Internet
de l’OMPI ». Ils ont été adoptés en 1996 par l’OMPI à Genève23. Ces
traités revêtent une importance considérable puisqu’ils ont vu le jour
afin d’assurer une protection aux œuvres et aux auteurs à l’époque
de l’Internet. Preuve de leur importance, le législateur canadien a
modifié la Loi sur le droit d’auteur afin d’assurer la transposition en
droit canadien des principaux concepts des Traités Internet de 1996 de
l’OMPI. Avant d’aborder comment cette transposition a été effectuée,
il importe de faire une présentation globale de l’OMPI.
1.
PRÉSENTATION GLOBALE DE L’OMPI
La genèse de l’OMPI remonte au XIXe siècle. En effet, le refus
d’inventeurs de participer aux expositions universelles dans les
années 1870, par crainte de voir leurs idées plagiées à travers le
19.
20.
21.
22.
23.
www.wipo.int/edocs/mdocs/govbody/fr/a_42/a_42_4.pdf> (consulté le 2 septembre
2013).
Convention de Stockholm, al. 7(1)a) et par. 7(2).
Ibid., al. 8(3)i).
Ibid., par. 9(1), 9(2) et 9(5).
Ibid., par. 9(3) et 9(4)a).
Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, Genève, 20 décembre 1996 (ci-après TODA) ;
Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, Genève,
20 décembre 1996, (ci-après TOIEP).
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
197
monde, amena les États à constater la pertinence de l’instauration
d’une organisation mondiale de gestion de la propriété intellectuelle24.
En 1878, la Commission Internationale Permanente, instituée
par le Congrès de la propriété intellectuelle, élabore la « Convention
pour la protection de la propriété industrielle » mieux connue sous
le nom d’« Union de Paris »25. Cette Union entre en vigueur en 1884
et elle vise à protéger les inventions industrielles par l’entremise de
titres de propriété26. Brevets d’invention, dessins industriels, marques
et modèles sont alors créés27. Deux ans après l’entrée en vigueur de
cette Union, pour protéger plus spécifiquement les droits d’auteur,
est instaurée l’« Union pour la protection des œuvres littéraires et
artistiques » aussi appelée l’« Union de Berne »28. La protection offerte
par cette seconde union vise notamment les romans, les pièces de
théâtre, l’opéra et les peintures29. Ces Unions sont générales et leurs
membres négocient entre eux des ententes autonomes et connexes
portant sur certains domaines précis de la propriété industrielle et du
droit d’auteur. Par exemple, l’Arrangement de Madrid30 est signé en
1891 et il vise à faciliter l’enregistrement international d’une marque
de commerce et à permettre sa protection à l’intérieur de chacun des
pays parties au traité.
24. Joseph EKEDI-SAMNIK, L’organisation mondiale de la propriété intellectuelle
(OMPI) (Bruxelles, Emile Bruylant, 1975), p. 30 et 32. Le droit à ce que les œuvres
des artistes soient protégées, indépendamment du pays d’origine de ces derniers,
soit, en d’autres termes, la volonté d’unifier et d’harmoniser le droit relatif à la
propriété intellectuelle, a été adopté sans débat par la Commission Internationale
Permanente (CONGRÈS INTERNATIONAL DE LA PROPRIÉTÉ ARTISTIQUE,
Congrès international de la propriété artistique. Tenu à Paris, pendant l’Exposition
universelle en 1878. Compte-rendu analytique des séances. Résolutions votées par
le Congrès, Paris, E. Gauche, 1878, « Séance de congrès du samedi 21 septembre
1878, à 2 heures », questions II no 1 et no 2, question III no 1 et no 2, p. 40 et 42),
en ligne : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56529046/> (consulté le 10 octobre
2013).
25. Convention de Paris pour la protection de la propriété intellectuelle, Paris, 20 mars
1883, art. 1 ; EKEDI-SAMNIK, précité, note 24, p. 31.
26. Jean-François CARON, « Droit d’auteur : l’interminable enfer », (2008) 132 Lettres
québécoises : La revue de l’actualité littéraire 13, en ligne : <http://www.erudit.
org/culture/lq1076302/lq1201292/37052ac.pdf> (consulté le 2 septembre 2013) ;
Serge LAPOINTE, « L’histoire des brevets », (2000) 12:3 Cahiers de propriété
intellectuelle 633, 650.
27. Ibid. ; EKEDI-SAMNIK, précité, note 24, p. 35.
28. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, Berne,
9 septembre 1886 (ci-après Convention de Berne), art. 1 ; EKEDI-SAMNIK, précité,
note 24, p. 47 et 48.
29. Convention de Berne, art. 2.
30. Arrangement de Madrid concernant la répression des indications de provenance
fausses ou fallacieuses sur les produits, Madrid, 14 avril 1891.
198
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La supervision des Unions de Paris et de Berne est confiée
à la Conférence suisse, conférence contrôlée par le gouvernement
helvétique, et un Bureau international spécial est mis sur pied afin
d’organiser et d’exécuter les tâches administratives31. Le 1er janvier 1893, la Conférence suisse, ainsi que le Bureau international,
fusionnent et deviennent les « Bureaux internationaux réunis pour
la protection intellectuelle » (BIRPI)32.
La Conférence des Droits intellectuels, tenue en Suède en
juillet 1967, marque la naissance véritable de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle par la signature de la Convention
de Stockholm33. Successeur des BIRPI, l’OMPI est une organisation
mieux structurée et, surtout, pourvue d’organes permanents et
indépendants34. Elle a pour objectif la promotion de la protection
de la propriété intellectuelle à travers le monde par le biais de la
collaboration entre les États membres et entre les différentes organisations internationales35. Les Unions de Paris et de Berne ne sont
toutefois pas devenues lettres mortes avec la création de l’OMPI. En
effet, le but recherché par la création de cette organisation est plutôt
la modernisation et l’amélioration de l’efficience de l’administration
de ces Unions et de leurs ententes connexes, tout en garantissant
leur autonomie36. L’OMPI entre en fonction en avril 1970, mais elle
ne devient une institution de l’ONU qu’en 197437.
En résumé, l’OMPI est la modernisation et la transformation
en institution internationale des différents appendices de l’Union de
Paris et de l’Union de Berne.
Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, un modernisme
de la gestion du droit d’auteur est apparu nécessaire. En effet, des
31. EKEDI-SAMNIK, précité, note 24, p. 36 ; « Symposium on World Intellectual
Property Organization », 1968 A.B.A. Section of Patent Trademark & Copyright
Law Proceedings 112 (ci-après Symposium), 113 ; WIPO, Intellectual Property
Handbook Policy, Law and Use, 2e éd., Genève, WIPO, 2008, p. 4, par. 1.7 et 1.8.
32. Jean-Pierre MAURY, « Le système onusien », (2004) 109 Pouvoirs 27, 34.
33. Henri DESBOIS, « La conférence de Stockholm relative aux droits intellectuels »,
(1967) 13 Annuaire français de droit international 7, 8.
34. Ibid., 7-8 ; EKEDI-SAMNIK, précité, note 24, p. 53, 61 et 70 ; Symposium, 116117 ; WIPO, Introduction to Intellectual Property – Theory and Practice, London,
Kluwer Law International, 1997, p. 27, par. 3.3 ; Shu ZHANG, De l’OMPI au
GATT : la protection internationale des droits de la propriété intellectuelle (Paris,
Litec, 1994), p. 55 et 56.
35. Convention de Stockholm, s.-al. 3i) ; S. ZHANG, précité, note 34, p. 63.
36. Convention de Stockholm, s.-al. 3ii) ; DESBOIS, précité, notes 33, p. 37 ; EKEDISAMNIK, précité, note 24, p. 69 et 178 ; Symposium, 116.
37. MAURY, précité, note 32, p. 37.
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
199
difficultés de gestion et de mise en œuvre ont été rencontrées, notamment en raison du nombre important de traités auxquels les États
étaient parties et de « l’absence d’organes adéquats au sein desquels
les États membres pouvaient discuter de la politique, exprimer leurs
désirs et leurs besoins dans le domaine de la propriété intellectuelle
et organiser les moyens par lesquels ces désirs et besoins pourraient
être satisfaits »38. L’OMPI a donc été créée pour permettre aux États
d’élaborer des normes relatives à la propriété intellectuelle d’application universelle.
2.
TRANSPOSITION EN DROIT CANADIEN
DES PRINCIPAUX CONCEPTS DES TRAITÉS
INTERNET DE L’OMPI
2.1
Des organes internes de gestion
Pour assurer la mise en œuvre en droit national des différents
traités de l’OMPI, dont ceux de 1996, et ainsi protéger efficacement
la propriété intellectuelle et le droit d’auteur, les États membres de
l’OMPI ont mis sur pied des organes internes de gestion.
2.1.1 De l’Office de la propriété intellectuelle du Canada
Premièrement, la création d’organismes faisant partie intégrale
de l’appareil gouvernemental semble être la forme de gestion de la
propriété intellectuelle préconisée par l’OMPI39. Ces organismes sont
des bureaux ou des offices dirigés par un commissaire, un directeur
général ou un registraire40. Au Canada, le ministère de l’Industrie
a compétence en matière de droit d’auteur41 et il est responsable du
Bureau du droit d’auteur, par le truchement des articles 46 et 47 de
la Loi sur le droit d’auteur42 et des articles 3 et 4 de la Loi sur les
brevets43. Il existe aussi au pays le Bureau des brevets et le Bureau
des marques de commerce qui sont également sous la responsabilité
du ministère de l’Industrie44. Afin de faciliter la gérance des différents
bureaux relatifs à la propriété intellectuelle, le ministère a créé
38.
39.
40.
41.
42.
43.
44.
EKEDI-SAMNIK, précité, note 24, p. 53.
WIPO, précité, note 34, p. 491, par. 29.1 et 29.2 ; ZHANG, précité, note 34, p. 67.
WIPO, précité, note 34, p. 492, par. 29.1 et p. 493, par. 29.12.
Loi sur le ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1, par. 2 (2) et al. 4 (1)h).
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (ci-après LDA).
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4.
Ibid., art. 3 et 4 ; Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 62 ;
Loi sur le ministère de l’Industrie, al. 4(1)h).
200
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’Office de la propriété intellectuelle du Canada45. Cet Office chapeaute
les différents bureaux, ce qui, selon l’OMPI, permet une gestion
efficiente de la propriété intellectuelle46. L’Office est un organisme
de service spécial et le Conseil du Trésor rémunère son personnel47.
Cette dépendance financière n’a pas d’impact sur l’efficacité et le rôle
que joue l’Office puisque, ce qui importe réellement, c’est qu’il soit
judiciairement autonome48.
L’OMPI souhaite que chacun des États membres soit doté
d’organismes homologues « in order to make procedures relating to
the grant of industrial property rights more efficient and economical »
et ainsi unifier les différents régimes de protection49. Ce souhait
était celui du Canada, avant même la signature des traités de 1996,
puisque l’un des objectifs principaux de l’ALÉNA, signé en 1994, est
d’« [offrir] […] une protection efficace et suffisante des droits de propriété intellectuelle »50. Selon l’OMPI, dans la protection offerte par
les traités qu’elle administre, un but financier et un but moral sont
recherchés par les auteurs. En effet, le titulaire d’un droit d’auteur,
d’un brevet ou d’un autre droit connexe est stimulé parce qu’il gagne
de l’argent et aussi parce qu’il a la reconnaissance, maintenant et a
posteriori « that something unusual, something springing from the
creator’s intellect, has been achieved »51.
2.1.2 Des sociétés de gestion collective
Deuxièmement, pour l’OMPI, l’auteur doit jouer un rôle proactif
dans la mise en œuvre des protections qui lui sont offertes par les
traités qu’elle administre. En effet, déjà à la veille de la signature
des traités de 1996, l’Organisation mettait l’accent sur les bienfaits
45. OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA, Vision, missions
et valeurs, en ligne : <http://www.opic.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.
nsf/fra/h_wr00025.html> (consulté le 2 septembre 2013).
46. WIPO, précité, note 34, p. 491, par. 29.2.
47. SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA, Liste des organismes
du gouvernement du Canada inscrits dans l’annexe de la Loi sur la gestion des
finances publiques, en ligne : <http://www.tbs-sct.gc.ca/gov-gouv/tools-outils/orgfra.asp> (consulté le 16 octobre 2013).
48. WIPO, précité, note 34, p. 491, par. 29.1 et 29.4, p. 492, par. 29.5 et 29.6.
49. Ibid., p. 505, par. 1.
50. Accord de libre-échange nord-américain, Can./Mex./É-U., [1994] R.T.Can.
no 2, art. 1701(1), en ligne : <https://www.nafta-sec-alena.org/Default.aspx?
tabid=141&language=fr-CA> (consulté le 2 septembre 2013) ; WIPO, précité, note
34, p. 510, par. 29.90 ; Blayne HAGGART, « North American Digital Copyright,
Regional Governance, and the Potential for Variation », dans Michael GEIST (dir.),
From « radical extremism » to « balanced copyright » – Canadian Copyright and
the Digital Agenda (Toronto, Irwin Law, 2010), p. 45, à la p. 45.
51. WIPO, précité, note 34, p. 515, par. 29.116.
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
201
des sociétés de gestion collective : l’auteur ne peut lui-même contrôler
l’usage qui est fait de son œuvre tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des
frontières de son État, d’où l’importance de l’association d’auteurs52.
La société de gestion a donc pour but d’autoriser l’utilisation des
œuvres de ses membres, de vérifier l’utilisation qui en est faite, de
préparer des contrats types entre auteurs et utilisateurs, de donner
des avis et des conseils légaux à ses membres, d’aider au développement culturel du pays, de percevoir les redevances et de distribuer
les sommes aux titulaires du droit d’auteur, après avoir déduit de
ces sommes les frais d’administration, sans avoir toutefois la possibilité de faire de profit53. La SOCAN, Access Copyright et COPIBEC,
notamment, font partie des organisations d’auteurs œuvrant au pays.
En somme, la « gestion-sanction » des traités par l’OMPI au
Canada est assurée par l’Office de la propriété intellectuelle et la
« gestion-administration » de ces traités est assurée par les sociétés
de gestion collective.
2.2
De la réforme de la Loi sur le droit d’auteur
Le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et le Traité de l’OMPI
sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes ont été
adoptés en 1996 par l’OMPI à Genève et signés en 1997 par le
Canada et ils sont entrés en vigueur en 200254. L’objectif du TODA
est de développer et d’assurer une protection adéquate aux auteurs
d’œuvres littéraires et artistiques, de programmes d’ordinateurs,
d’œuvres musicales, d’œuvres audiovisuelles, d’œuvres d’art et de
photographies à l’ère numérique55. L’objectif du TOIEP est plutôt
d’assurer une protection adéquate aux producteurs et aux interprètes
52. Ibid., p. 518, par. 30.8.
53. Ibid., p. 518, par. 30.7 et p. 519, par. 30.12.
54. OMPI, Traités et parties contractantes – Parties contractantes – Traité sur les
interprétations et exécutions et les phonogrammes, en ligne : <http://www.wipo.
int/treaties/fr/ShowResults.jsp?treaty_id=20> (consulté le 2 septembre 2013) ;
OMPI, Traités et parties contractantes – Parties contractantes – Traité de l’OMPI
sur le droit d’auteur, en ligne : <http://www.wipo.int/treaties/fr/ShowResults.
jsp?lang=fr&treaty_id=16> (consulté le 2 septembre 2013) ; L’article 20 TODA
et l’article 29 TOEIP prévoient que ces traités entreront en vigueur trois mois
après que 30 instruments de ratification aient été déposés auprès du directeur
général de l’OMPI. Le TODA et le TOEIP sont respectivement entrés en vigueur
les 6 mars et 20 mai 2002 (Bureau international de l’OMPI).
55. TODA, préambule ; Dara LITHWICK et Maxime-Olivier THIBODEAU, Résumé
législatif – Projet de loi C-11 : Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, Bibliothèque du Parlement, Division des affaires juridiques et législatives. Service
d’information et de recherche parlementaire, éd. révisée, (ci-après Résumé), p. 5,
en ligne : <http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/LegislativeSummaries/41/1/c11-f.
pdf> (consulté le 10 octobre 2013).
202
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de ces mêmes œuvres, soit la protection des droits connexes56. L’un
des aspects les plus importants de ces traités est la « reconnaissance
du droit des auteurs, des interprètes et des producteurs de phonogrammes d’autoriser la transmission en ligne de leurs œuvres, de
leurs prestations fixées et de leurs phonogrammes, selon le cas »57.
En effet, l’autorisation de l’auteur, de l’interprète et du producteur
est requise pour transmettre l’œuvre ou la prestation fixée pour que
le public ait accès à cette œuvre ou prestation à un moment et un
endroit qu’il a lui-même choisi58. Le TODA prévoit un droit général
de communication au public et un droit de mise à la disposition du
public tandis que le TOIEP prévoit, quant à lui, uniquement un
droit de mise à la disposition du public59. Les auteurs, interprètes et
producteurs jouissent également d’un droit de première distribution
ou droit exclusif de distribution60.
2.2.1 De l’historique législatif de la réforme de la Loi sur
le droit d’auteur
Le Canada a signé le TODA et le TOEIP, mais il n’a pas ratifié
ces traités61. Néanmoins, il a modifié la Loi sur le droit d’auteur (LDA)
de façon à permettre l’application de ces traités en droit canadien,
et ce, dès 199762. Effectivement, dans les mois qui ont suivi la signature des traités, le législateur a inséré l’article 92 qui prévoit qu’un
examen de cette loi soit fait par différents comités, tous les cinq ans,
56. TOIEP, préambule ; Résumé, p. 5.
57. BUREAU INTERNATIONAL DE L’OMPI, La protection internationale du droit
d’auteur et des droits connexes, no 75, p. 20, en ligne : <http://www.youscribe.com/
catalogue/tous/art-musique-et-cinema/autres/la-protection-internationale-dudroit-d-39-auteur-et-des-droits-417603> (consulté le 2 septembre 2013).
58. Résumé, p. 6.
59. TODA art. 8 ; TOIEP art. 10 ; Résumé, p. 6.
60. TODA art. 6(1) ; TOIEP, art. 18 et 19 ; Résumé, p. 6.
61. La signature est l’engagement de « poursuivre la procédure interne jusqu’à la
ratification et de s’abstenir d’actes qui priveraient le traité de son objet et de son
but » tandis que « [l]a ratification est l’acte juridique par lequel un État donne
son consentement définitif à une convention qu’il a négociée et signée » (JeanMaurice ARBOUR et Geneviève PARENT, Droit international public, 5e éd.,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 100 et 101) ; OMPI, Traités et parties
contractantes – Parties contractantes – Traité sur les interprétations et exécutions
et les phonogrammes, en ligne : <http://www.wipo.int/treaties/fr/ShowResults.
jsp?treaty_id=20> (consulté le 2 septembre 2013) ; OMPI, Traités et parties
contractantes – Parties contractantes – Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, en
ligne : <http://www.wipo.int/treaties/fr/ShowResults.jsp?lang=fr&treaty_id=16>
(consultée le 29 juin 2013).
62. Résumé, p. 5 ; Sara BANNERMAN, « Copyright: Characteristics of Canadian
Reform », dans Michael GEIST (dir.), From « radical extremism » to « balanced
copyright », Canadian Copyright and the Digital Agenda (Toronto, Irwin Law,
2010), p. 17, aux p. 26 et 27.
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
203
afin de voir quelles modifications seraient nécessaires pour assurer la
transposition en droit canadien des Traités de 1996. En 2002, Industrie Canada et Patrimoine canadien ont publié un rapport commun
dans lequel 40 enjeux susceptibles de mesures législatives à court,
moyen et long terme sont évoqués63. Deux ans plus tard, le rapport
d’une étude sur la réforme du droit d’auteur a été présenté au Comité
permanent du patrimoine canadien par les mêmes deux ministères et
il propose six solutions à court terme, dont la ratification des Traités
Internet de l’OMPI64.
Au printemps de la même année, le Comité a publié cinq
recommandations :
1) la ratification immédiate des traités de l’OMPI ;
2) la modification de la LDA pour que les photographes aient
les mêmes droits d’auteur que les autres créateurs ;
3) la modification de la LDA en vue de l’attribution de licences
étendues d’utilisation du matériel accessible sur Internet à
des fins éducatives ;
4) l’instauration d’un régime de délivrance de licences collectives aux établissements d’enseignement (afin de rendre
plus efficacement accessibles des œuvres protégées) ; et
5) l’instauration de mesures pour encourager l’attribution de
licences autorisant la livraison électronique de documents
protégés par le droit d’auteur65.
Ces recommandations ont donné naissance à quatre projets de
loi. Le projet de loi C-60 a avorté en raison des élections fédérales de
2006. Le projet de loi C-61 est également mort au feuilleton à cause
des élections de 2008, cette fois-ci. Il est à noter que ce projet de loi
a été fortement critiqué parce qu’il semblait avoir été trop influencé
par les lobbys de l’industrie américaine qui voulaient voir adoptée une
63. INDUSTRIE CANADA, Stimuler la culture et l’innovation : Rapport sur les dispositions et l’application de la Loi sur le droit d’auteur (Loi sur le droit d’auteur –
Rapport sur l’article 92), octobre 2002, cité dans Résumé, p. 8.
64. MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN ET MINISTRE DE L’INDUSTRIE,
Rapport d’étape sur la réforme du droit d’auteur, 24 mars 2004, cité dans Résumé,
p. 8.
65. CHAMBRE DES COMMUNES, COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE
CANADIEN, Rapport intérimaire sur la réforme du droit d’auteur, mai 2004, cité
dans Résumé, p. 7 et 8.
204
Les Cahiers de propriété intellectuelle
copie du Digital Millenium Copyright Act66. Le projet de loi C-32 est
également mort au feuilleton en raison des élections de 201067. Seul le
projet de loi C-11 a franchi l’entièreté du processus législatif et a été
adopté. Il a été sanctionné en juin 2012 et il est devenu la Loi sur la
modernisation du droit d’auteur68. Si des modifications substantielles
existent entre les projets de loi C-60, C-61 et C-32, C-11 reprend la
quasi-totalité des dispositions de C-32.
2.2.2 Des principaux concepts des Traités de 1996 de l’OMPI
transposés en droit canadien
Tout d’abord, le nouveau paragraphe 2.4(1.1) LDA, qui a été
instauré par l’article 3 de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur,
précise que la « communication au public par télécommunication »
d’une « œuvre ou un autre objet du droit d’auteur » comprend le fait
de le mettre à disposition du public par télécommunication, à l’endroit
et au moment choisi par ledit public69. Cette mesure n’est autre que
la transposition des articles 8 TODA et 10 TOEIP en droit canadien.
Ensuite, l’article 10 LDA est abrogé par l’article 6 de C-11. En
effet, le législateur a décidé que la protection offerte aux auteurs soit
la même, indépendamment du support artistique qu’ils choisissent. La
protection garantie à l’auteur photographe est dorénavant la même
que celle garantie aux autres auteurs : la durée de la vie de cet auteur
plus 50 ans70. L’abrogation de cet article est la réponse à l’article 9
TODA qui rend lui-même caduque l’exception de l’article 7.4) de la
Convention de Berne qui prévoyait que la durée du droit d’auteur
du photographe était laissée à la discrétion des États membres avec
seule condition qu’elle soit supérieure à 25 ans71.
Également, la réforme de la LDA par la Loi sur la modernisation du droit d’auteur reconnaît des droits d’auteurs aux prestations,
66.
67.
68.
69.
70.
Résumé, p. 9 ; S. BANNERMAN, précité, note 62, p. 26 et 34.
Résumé, p. 10.
Loi sur la modernisation du droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42.
Résumé, p. 11.
LDA art. 6 ; Résumé, p. 11. Il est à noter que l’ancien paragraphe 10(2) de la LDA
édictait que l’auteur de la photographie était le propriétaire de l’appareil utilisé.
Par l’abolition de cet article, le législateur accorde donc la qualité d’auteur au
preneur de la photographie et non plus au payeur par le truchement de l’article 2
(« œuvre artistique ») et du paragraphe 13(1) LDA.
71. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (Acte
de Paris du 24 juillet 1971 modifié le 28 septembre 1979), Paris, 24 juillet 1971,
art. 7.4.
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
205
aux enregistrements sonores et aux signaux de communications. En
effet, les articles 9 à 11 de cette loi prévoient :
[…] par adjonction aux articles 15 et 18 LDA, un nouveau
droit exclusif pour les artistes-interprètes et les producteurs
d’enregistrements sonores : celui de mettre les enregistrements
sonores à la disposition du public par la voie d’Internet et de
les vendre ou d’en transférer la propriété sous forme d’enregistrement physique pour la première fois. Le droit de mettre à
la disposition du public est prévu dans les deux traités Internet
de l’OMPI signés en 1996, le TODA et le TOEIP, que le Canada
a l’intention de mettre en œuvre en mettant à jour la LDA. Le
droit de mettre à la disposition du public est un droit exclusif
des titulaires de droits, qui peuvent autoriser ou interdire la
diffusion de leurs œuvres et autres produits protégés sur des
réseaux interactifs comme Internet (par l’intermédiaire d’iTunes, par exemple).72 [Les italiques sont nôtres ; citations omises]
De plus, les modifications législatives étendent les droits
moraux aux prestations73. Effectivement, les modifications apportées
aux articles 17.1 et 17.2 LDA par l’article 10 de C-11 permettent à
l’artiste interprète de jouir des droits moraux sur sa prestation pour
la même durée que le droit d’auteur relatif à sa prestation. Les droits
moraux sont le droit à l’intégrité de l’œuvre et le droit d’être associé
à une œuvre par son nom ou son pseudonyme ou de demeurer anonyme74. Les articles 19 et 20 de la Loi sur la modernisation du droit
d’auteur garantissent ces droits en créant les articles 28.1 et 28.2
de la Loi sur le droit d’auteur75. Il s’agit d’une transposition en droit
canadien de l’article 5 TOEIP76.
Les articles 15 et 16 de la Loi sur la modernisation du droit
d‘auteur portent sur l’élargissement, à certains interprètes et producteurs étrangers, de la protection en matière de prestation et d’enregistrement sonore par la modification des articles 20 et 22 LDA. La
rémunération qui est garantie par le législateur vise les interprètes
et les producteurs citoyens de pays parties à la Convention de Rome77
72.
73.
74.
75.
76.
77.
Résumé, p. 12.
Ibid.
Ibid.
Ibid., p. 13.
Ibid., p. 12.
Convention internationale pour la protection des artistes interprètes ou exécutants,
des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, Rome, le
26 octobre 1961.
206
Les Cahiers de propriété intellectuelle
offrant une protection pour de tels actes78. Cette protection, énoncée
au TOEIP79, est offerte pour que ces titulaires soient dûment protégés
en fonction d’un droit qui soit le plus uniforme possible et qu’en un
sens il ne s’arrête pas à la nationalité desdits titulaires80.
L’article 23 LDA se trouve également modifié par C-11. En effet,
la durée du droit accordé à l’interprète est fixée à 50 ans à partir de
la prestation. Cependant, si l’enregistrement sonore de la prestation
est publié après la prestation, la prestation se trouve protégée pour
les 50 années suivant la date de publication ou jusqu’à 99 ans après
la date de la prestation. L’échéance la plus rapprochée l’emporte.
Également, la protection de l’enregistrement est d’une durée de 50 ans
à compter de la première fixation sonore ou de 50 ans à compter de
la publication, si l’enregistrement est publié. Le diffuseur voit aussi
son droit protégé durant les 50 années postérieures à la première
diffusion du signal81. Cette modification législative vise à conformer
le droit canadien aux paragraphes 17(1) et 17(2) TOEIP.
2.2.3 Des principales exceptions
D’abord, les Traités Internet de l’OMPI, reprenant la Convention de Berne, édictent que leur mise en œuvre en droit national ne
peut prévoir d’exceptions qu’à trois conditions : i) l’exception doit être
un cas spécial ; ii) l’exception ne peut porter atteinte à l’exploitation
de l’œuvre ; et iii) l’exception ne peut causer un préjudice injustifié
aux intérêts légitimes du titulaire du droit82. La Loi sur la modernisation du droit d’auteur, à ses articles 21 à 41, prévoit la création de
plusieurs nouvelles exceptions. Nous ne rapporterons que quelquesunes de ces nouvelles exceptions et nous tenterons de déterminer si
elles rencontrent les conditions de conformité aux Traités Internet.
L’article 21 de C-11 élargit la portée des exceptions relatives à
l’utilisation équitable pour y inclure de nouveaux objets, soit l’éducation, la parodie et la satire83. La satire et la parodie étaient, avant la
78. LDA, par. 20(2).
79. TOEIP, par. 3(1) ; Résumé, p. 12.
80. John A. ARMSTRONG, « Trends in Global Science and Technology and What They
Mean for Intellectual Property Systems », dans Mitchel B. WALLERSTEIN et al.
(dir.), Global Dimension of Intellectual Property Rights in Science and Technology,
Office of International Affairs, National Research Council (Washington D.C.,
National Academy Press, 1993), p. 192, aux p. 192 et 193.
81. Loi sur la modernisation du droit d’auteur, art. 17 ; Résumé, p. 13.
82. Convention de Berne, art. 9 ; TODA, art. 10 ; TOEIP, art. 16 ; Résumé, p. 6.
83. Loi sur la modernisation du droit d’auteur, art. 21 ; LDA, art. 29 ; Résumé, p. 14.
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
207
réforme, des exceptions à la LDA reconnues par la jurisprudence84. Le
terme « éducation » n’est pas clairement défini. Le législateur semble
toutefois vouloir limiter au cadre académique ce terme et l’éducation
de la population de manière générale ne serait pas visée par cette
exception85. L’article 22 ajoute quatre dispositions à la LDA, soit les
articles 29.21, 29.22, 29.23 et 29.24. L’article 29.21 LDA énonce une
exception visant le contenu commercial généré par l’utilisateur mis
à la disposition du public et qui est utilisé pour créer une nouvelle
œuvre, et ce, si la source est citée, si l’œuvre utilisée respecte le droit
d’auteur et qu’il n’y a pas d’impact négatif important sur l’exploitation de l’original de l’œuvre. L’article 29.22 LDA dispose qu’il n’y ait
pas de contravention à la loi lorsqu’une œuvre est reproduite à des
fins privées si la source originale est légitimement obtenue. L’article
suivant édicte une exception pour le droit d’écoute différée. Lorsque
le signal de communication est reçu licitement, un individu peut
fixer une œuvre, un enregistrement sonore ou un spectacle radiodiffusé pour sa consommation privée ultérieure, s’il ne fait qu’un seul
enregistrement et qu’il ne le communique pas à d’autres. Cependant,
cette exception n’est pas applicable lorsque l’œuvre est protégée par
des mesures techniques de protection. L’article 29.24 LDA prévoit
une exception pour les copies de sauvegarde86.
Les articles 23 à 27 de la Loi sur la modernisation du droit
d’auteur créent des exceptions pour les établissements d’enseignement. Notamment, l’article 27 ajoute à la LDA l’article 30.01 qui
élargit la définition qui doit être donnée au terme « leçon ». Il s’agit
« de tout ou partie d’une leçon, d’un examen ou d’un contrôle dans
le cadre desquels un établissement d’enseignement ou une personne
agissant sous l’autorité de celui-ci accomplit à l’égard d’une œuvre
ou de tout autre objet du droit d’auteur un acte qui, n’eussent été les
exceptions et restrictions prévues par la présente loi, aurait constitué
une violation du droit d’auteur ». Les articles 28 à 30 de la Loi sur la
modernisation du droit d’auteur portent sur les exceptions applicables
aux bibliothèques et aux musées. En effet, elles concernent la reproduction permanente d’œuvres sur un autre support, généralement
numérique, d’une œuvre si le support originel est désuet ou n’existe
plus, si l’œuvre doit être restaurée ou si elle risque de se détériorer
avec le temps, notamment87. Il est à noter que les documents très
anciens ne sont pas visés par cette exception puisque ces documents
84.
85.
86.
87.
Productions Avanti Ciné Vidéo inc. c. Favreau, 1999 CanLII 13258 (C.A. Qué.).
Résumé, p. 14.
Résumé, p. 12.
Loi sur la modernisation du droit d’auteur, art. 30.1 ; Résumé, p. 14.
208
Les Cahiers de propriété intellectuelle
font partie du domaine public et qu’ils ne sont pas protégés par le
droit d’auteur88.
Par ces articles, le législateur augmente le nombre potentiel
de contraventions à la LDA qui pourraient tomber sous l’égide d’une
exception. À notre sens, le législateur canadien souhaite codifier
l’interprétation qui a été donnée de l’« utilisation équitable » par la
Cour suprême du Canada (CSC) dans l’affaire CCH Canadienne ltée
c. Barreau du Haut-Canada89. Dans cette cause, l’utilisation équitable
n’a pas été interprétée comme étant une exception au droit d’auteur,
mais plutôt comme un droit des utilisateurs90. Conséquemment, il
importe de donner à l’expression « utilisation équitable » une interprétation libérale, au dire de la Cour. La CSC a établi six critères pour
déterminer si l’utilisation faite d’une œuvre est équitable. Il s’agit :
1) du but de l’utilisation ;
2) de la nature de l’utilisation ;
3) de l’ampleur de l’utilisation ;
4) des solutions de rechange à l’utilisation ;
5) de la nature de l’œuvre ; et
6) de l’effet de l’utilisation sur l’œuvre.91
Ces critères sont plus nombreux que ceux énumérés par l’OMPI
et la force de chacun dépend des circonstances entourant le cas
présenté92. Conséquemment, il est possible qu’une violation du droit
d’auteur qui ne serait pas permise selon les trois critères du TODA
ou du TOEIP le soit par ceux plus volatiles de la LDA.
D’après nous, l’élargissement aux notions d’enseignement,
de satire et de parodie de l’utilisation équitable est contraire aux
Traités Internet de l’OMPI en raison de l’interprétation libérale qui
en est faite93.
88.
89.
90.
91.
92.
93.
LDA, art. 6, a contrario.
CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339.
Ibid., par. 48.
Ibid., par. 53 ; Résumé, p. 4.
CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, précité, note 89, par. 60.
Meera NAIR, « Fair Dealing at a Crossroad », dans Michael GEIST (dir.), précité,
note 62, p. 90, à la p. 106.
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
209
Après la recension de la transposition des Traités de 1996
dans le corpus législatif de plusieurs nations, nous nous permettons
d’avancer que quasiment aucune de ces nations n’a réussi à se
conformer au test des trois étapes de l’OMPI94. Certes, certains pays
ont explicitement subordonné les exceptions qu’ils permettent à ce
test. Toutefois, cette subordination peut sembler superflue puisque
les exceptions ne passent pas la première étape du test, leur nombre
étant trop important. En effet, il faut, selon les dispositions des
Traités, restreindre les exceptions à certains cas spéciaux95. À notre
sens, il ne faut pas lire les articles 10 TODA et 16 TOEIP comme si
l’exception était intrinsèquement un cas spécial. En d’autres termes,
ce n’est pas parce qu’un État édicte une exception et qu’il autorise
par le fait même une violation que l’exception devient un cas spécial.
94. Reto HILTY et Sylvie NÉRISSON, « Overview », dans Reto HILTY et Sylvie
NÉRISSON (ed.), Balancing Copyright A Survey of National Approaches, Série
MPI Studies on Intellectual Property and Competition Law, vol. 18, (Berlin, Springer, 2012) (ci-après Balancing), p. 1, à la p. 24. Des 41 nations dont la législation
en matière de droit d’auteur a été recensée dans cet ouvrage, 12 nations ont inséré
ce test à leur corpus législatif en tant que principe d’interprétation générale.
Certaines de ces 12 nations n’ont pas implanté, explicitement ou implicitement,
la première étape et elles n’ont explicitement implanté que les deux dernières
étapes du test (Chine, Règlement du 2 août 2002 portant application de la Loi
sur le droit d’auteur (promulguée par le décret no 359 du Conseil d’État de la
République populaire de Chine, art. 21 ; Croatie, Loi sur le droit d’auteur et les
droits connexes et lois sur les amendements de la Loi sur le droit d’auteur et les
droits connexes (JO no 167/2003, no 79/2007 et no 80/2011), art. 80 ; Espagne, Texte
refondu de la Loi de la propriété intellectuelle régularisant, clarifiant et harmonisant les dispositions légales sur le sujet (approuvé par le décret royal no 1/1996 du
12 avril 1996 et modifié par le décret royal no 20/2011, du 30 décembre de 2011)
(ci-après Esp.), art. 40 bis ; France, Code de la propriété intellectuelle (modifié
en dernier lieu par le décret no 2012-634 du 3 mai 2012), art. L. 122-5 9o par. 4 ;
Hongrie, Loi LXXVI de 1999 sur le droit d’auteur (Texte refondu du 1er janvier
2012), art. 33, par. 2 ; Lituanie, Loi sur le droit d’auteur et des droits connexes no
VIII-1185 du 18 mai 1999 (telle que modifiée le 19 janvier 2010 – par la Loi no
XI-656) (ci-après Lit.), art. 58 ; Macao, Loi no 5/2012 du 10 avril 2012 portant
modification du régime du droit d’auteur et des droits connexes, art. 62 ; Pologne,
Loi no 83 du 4 février 1994 sur le droit d’auteur et les droits voisins (modifiée en
dernier lieu le 21 octobre 2010), art. 35 ; Portugal, Code du droit d’auteur et droits
connexes (modifié en dernier lieu par la loi no 16/2008 du 1er avril 2008) (ci-après
Port.), art. 75. par. 4, et 81b). Seules la Russie (Code civil, art. 1229, item 5, par.
1 et 2) et la Grèce (Loi no 2121/1993 sur le droit d’auteur, les droits voisins et des
aspects culturels (ci-après Grèce), art. 28C) ont implanté la première étape du test.
Il est à noter que le législateur slovène a édicté que les « [l]imitations on copyright
are permissible in cases mentioned in this Section » (Loi sur le droit d’auteur
du 30 mars 1995 telle qu’amendée au 15 décembre 2006 (ci-après Slov.), art. 46),
ce qui nous semble être un libellé permettant un équilibre intéressant entre la
restriction explicite des exceptions à des cas spéciaux (Russie, Grèce) et l’omission
de cette restriction (neuf autres États). Un libellé de ce type est d’ailleurs ce que
nous proposons comme solution au législateur canadien : voir infra, p. 211.
95. TODA, art. 10 et TOEIP, art. 16.
210
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Il faut plutôt lire ces articles comme restreignant l’exception, et non
la violation, à un cas spécial.
L’expression « certains cas spéciaux » est employée à l’article
13 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce (ADPIC)96 et cet article, tout comme les articles
10 TODA et 16 TOEIP, est basé sur l’article 9(2) de la Convention de
Berne – et il est donc assujetti au test des trois étapes. L’expression
« certains cas spéciaux » a été définie dans le Rapport du Groupe
spécial « États-Unis – Article 110(5) de la Loi sur le droit d’auteur »97
de l’Organisation mondiale du commerce. Ce Groupe spécial a interprété les termes « certains » comme procurant une certitude légale98
et « spéciaux » comme obligeant les exceptions à être limitées tant
quantitativement que qualificativement99. En ce sens, ce qui importe
pour déterminer si l’exception répond au premier critère du test, c’est
que l’exception soit clairement définie et « narrow in its scope and
reach »100. Les circonstances dans lesquelles l’exception peut être
invoquée (limite qualificative) et le nombre potentiel de bénéficiaires
(limite quantitative) sont donc tenues en compte dans la détermination de la conformité de l’exception à la première étape du test101.
À la lumière de ces interprétations, il semble que l’emploi de
l’expression « utilisation équitable » par un législateur national pour
autoriser une exception, même si cette expression est balisée par
des critères objectifs et des buts précis, ne permet pas de passer la
première étape du « triple test ». À la question est-ce que « [l’équité]
constitue en soi un élément d’appréciation suffisamment bien défini
qui a un champ d’application et une portée suffisamment étroits pour
convenir à la première condition du [premier] critère »102, l’OMPI
répond effectivement non103. En effet, il est difficile d’anticiper quels
96.
97.
98.
99.
100.
101.
102.
103.
Accord du Cycle d’Uruguay : ADPIC Aspects des droits de propriété intellectuelle
qui touchent au commerce, Marrakech, Maroc, 15 avril 1994.
WT/DS160/R, 15 juin 2000.
Ibid., par. 6.108.
Ibid., par. 6.109.
Ibid., par. 6.112.
Martin SENFTLEBEN, « Towards a Horizontal Standard for Limiting Intellectual Property Rights? WTO Panel Reports Shed Light on the Three-Step Test
in Copyright Law and Related Tests in Patent and Trademark Law », (2006)
37:4 International Review of Intellectual Property and Competition Law 407,
415 et 416.
Sam RICKETSON, Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes –
Étude de l’OMPI sur les limitations et les exceptions au droit d’auteur et aux
droits connexes dans l’environnement numérique, 9e session, Genève, 23-27 juin
2003, p. 76, en ligne : <http://www.wipo.int/edocs/mdocs/copyright/fr/sccr_9/
sccr_9_7.pdf> (consulté le 2 septembre 2013).
Ibid., p. 77.
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
211
seront les buts, autres que ceux énumérés, en vertu desquels une
violation résulterait en une utilisation équitable104 :
À cet égard, on pourrait soutenir que la raison d’être de la
première condition du triple critère est précisément d’éviter cette
indétermination afin que l’on sache clairement à l’avance quel
but poursuit une exception donnée. On peut également sur ce
point remonter dans l’histoire de l’alinéa 2) de l’article 9 de la
Convention de Berne : en adoptant l’expression « certains cas
spéciaux » la Conférence de Stockholm cherchait à couvrir les
exceptions faites au droit de reproduction dans les législations
nationales tout en veillant à ce que les buts poursuivis soient
clairement indiqués.105 [Les italiques sont nôtres.]
Selon nous, deux solutions sont envisageables pour que le
Canada se conforme à ses obligations internationales. La première
est de faire pression pour qu’une révision des Traités Internet ait lieu
afin de donner plus de souplesse quant aux exceptions possibles106.
Le Comité du développement de la propriété intellectuelle de l’OMPI
est un forum où le Canada pourrait faire entendre sa voix. En effet,
ce comité est notamment chargé de faire, sur une base annuelle, des
recommandations relatives à la révision des exceptions permises par
les différents traités administrés par l’Organisation à l’Assemblée
générale de l’OMPI. Tous les États membres y siègent107. La délégation
canadienne pourrait y militer en faveur de l’idée, déjà avancée par certains auteurs, d’insérer des exceptions obligatoires et des exceptions
optionnelles et d’indiquer que seules les exceptions optionnelles soient
soumises au test des trois étapes108. Ainsi, le Canada, sans changer
sa législation interne, respecterait ses obligations internationales.
La seconde solution est de modifier la LDA pour que l’article 29 se
lise d’une manière semblable à celle-ci : « Ne constituent pas une
104.
105.
106.
107.
108.
Ibid.
Ibid.
La révision des exceptions possibles fait partie des recommandations faites par
le Comité provisoire sur les propositions relatives à un Plan d’action de l’OMPI
pour le développement, recommandations adoptées par l’OMPI en 2007 (recommandation 22 du Groupe B, en ligne : <http://www.wipo.int/ip-development/fr/
agenda/recommendations.html> (consulté le 2 septembre 2013). Ce comité a été
remplacé par le Comité du développement et de la propriété intellectuelle.
OMPI, Comité du développement et de la propriété intellectuelle, en ligne, <http://
www.wipo.int/ip-development/fr/agenda/cdip/> (consulté le 15 septembre 2013).
Bernt HUGENHOLTZ et Ruth L. OKEDIJI, « Conceiving an International
Instrument on Limitations and Exceptions to Copyright » (Amsterdam, Institute
for Information Law, University of Amsterdam, 2008), p. 26, en ligne : <http://
www.ivir.nl/publicaties/hugenholtz/finalreport2008.pdf> (consulté le 2 septembre
2013).
212
Les Cahiers de propriété intellectuelle
violation du droit d’auteur les cas spéciaux suivants : » et qu’ensuite
soient énumérées, de manière exhaustive, les situations où l’utilisation
sans autorisation ne constituent pas une violation du droit d’auteur.
Puisque ni le TODA ni le TOEIP ne définissent l’expression
« cas spéciaux », nous croyons que le législateur canadien pourrait la
définir comme il le souhaite, les Traités Internet créant des cadres
généraux, des superstructures législatives, à l’intérieur desquels les
législateurs nationaux agiraient avec une certaine liberté109. Cependant, il importe de définir ces cas de manière exhaustive, sinon les
articles 10 TODA et 16 TOEIP ne seront pas véritablement transposés
en droit canadien, étant donné le spectre d’exceptions potentielles
trop important.
2.2.4 Des principales critiques
La Loi sur la modernisation du droit d’auteur a été fortement critiquée en raison de la reconnaissance juridique des mesures
techniques de protection (MTP) prévues par son article 47. L’article
41 LDA définit ces mesures comme étant « a) toute technologie ou
tout dispositif ou composant qui contrôle efficacement l’accès à une
œuvre ; b) toute technologie ou dispositif ou composant qui restreint
efficacement l’exercice par autrui des droits exclusifs d’un titulaire
de droit (voir les articles 3, 15 et 18 LDA) ou du droit à la rémunération (art. 19 proposé), autrement dit toute technologie qui contrôle
la reproduction d’une œuvre »110 [nos italiques]. L’article 41.1 LDA
interdit de contourner la première catégorie de MTP, et ce, même si
l’œuvre est licitement acquise, et il interdit la commercialisation de
moyens de contournement111.
Le but de ces mesures est la mise en œuvre du TODA et du
TOEIP112. En effet, l’article 11 TODA prévoit :
109.
110.
111.
112.
Jane C. GINSBURG, « International Copyright: From a Bundle of National
Copyright Laws to a Supranational Code », (2000) 47 Journal of the Copyright
Society of the U.S.A. 265, 287.
Résumé, p. 20.
Résumé, p. 20 et 21.
OMPI, « The WIPO Copyright Treaty (WCT) and the WIPO Performances and
Phonograms Treaty (WPPT) », Document WIPO/CR/RIO/01/2, contenant un
rapport préparé par le Bureau International de l’OMPI et présenté au National
Seminar on the WIPO Internet Treaties in the Digital Environment (Rio de
Janeiro, September 17 to 19, 2001) organisé par l’OMPI en coopération avec le
ministère de la Culture du Brésil, p. 7, par. 31 et cité par Mihály FICSOR dans
« Legends and Reality About the 1996 WIPO Treaties in the Light of Certain
Comments on Bill C-32 », 16 juin 2010, p. 2.
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
213
[l]es Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre
la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont
mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de
leurs droits en vertu du présent traité ou de la Convention
de Berne et qui restreignent l’accomplissement, à l’égard de
leurs œuvres, d’actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs
concernés ou permis par la loi.
L’article 18 TOEIP reprend l’essence de cette disposition.
Néanmoins, certains arguent que les MTP risquent d’empêcher
l’innovation et la recherche si les « follow-on creators, and future
innovators can effectively be prevented from exercising their rights
[…] through the application of a digital lock »113. Pour ceux-ci, la formulation du projet de loi C-60 était plus adéquate et plus conforme à
l’esprit des Traités Internet que celle de la Loi sur la modernisation
du droit d’auteur puisqu’elle interdisait le contournement uniquement dans le but de violer le droit d’auteur114. On doit effectivement
craindre que l’interdiction de contournement assujettisse les droits
des usagers, indépendamment du fait qu’ils soient chercheurs ou
simples particuliers, à la volonté des titulaires de droits et qu’elle crée
ainsi une « permissions-based culture »115. Il doit y avoir un équilibre
entre innovation et protection – une « liberté d’imitation »116 – et cet
équilibre peut être atteint par l’utilisation équitable. Bien qu’il n’y ait
pas d’interdiction générale au contournement des mesures anti-copie
(catégorie b)), il est peu probable que les tribunaux feront primer le
113.
114.
115.
116.
Graham REYNOLDS, « How Balanced is Bill C-32? », The Mark, 9 juin 2010.
Michael GEIST, « Fixing Bill C-32: Proposed Amendments to the Digital Lock
Provisions », 15 juin 2010, cité dans Résumé, p. 28.
Gregory R. HAGEN, « Technical Neutrality in Canadian Copyright Law », dans
Michael GEIST (dir.) The Copyright Pentalogy – How the Supreme Court of
Canada Shook the Foundations of Canadian Copyright Law (Ottawa, Presses
de l’Université d’Ottawa, 2013), p. 307, à la p. 313. Voir aussi David VAVER,
Intellectual Property Law. Copyright. Patent. Trademark, 2e éd., coll. Essentials
of Canadian Law (Toronto, Irwin Law, 2011), p. 229-231, relativement au fait
que les exceptions prévues par le projet de loi C-32, devenu C-11, et la Loi sur la
modernisation du droit d’auteur sans modification majeure, ne sont applicables
que lorsque les MTP ne sont pas contournées.
Ansgar OHLY, « Free Acccess, Including Freedom to Imitate, as a Legal Principle – a Forgotten Concept? », dans Annette KUR et Vytautas MIZARAS (dir.),
The Structure of Intellectual Property Law – Can One Size Fit All ? (Cheltenham,
Edward Elgar, 2011), p. 97, à la p. 102 ; Kenneth CREWS, « Harmonization
and the Goals of Copyright: Property Rights or Cultural Progress? », (1998)
6 Indiana Journal of Global Legal Studies 117, 133, dans Alexandra GEORGE
(dir.), Globalization and Intellectual Property, série The International Library
of Essays on Globalization and Law (Burlington, VT, Ashgate Publishing, 2006),
p. 313, à la p. 329.
214
Les Cahiers de propriété intellectuelle
droit à une utilisation équitable sur l’interdiction de contourner les
MTP.
Il est important de rappeler que la réécriture de la Loi sur
le droit d’auteur a été réalisée par Industrie Canada et Patrimoine
canadien. Ces deux ministères ont des mandats parfois en opposition
directe : le premier défend les intérêts des compagnies, tandis que le
second défend ceux des artistes. Lors de la réforme de la Loi sur le
droit d’auteur, il ne put y avoir de consensus quant à l’orientation à
donner à la nouvelle loi et ce fut au bureau du premier ministre de
trancher117. Celui-ci décida que la vision de Patrimoine canadien était
celle qui convenait118. Le Premier ministre subissait sans doute les
pressions des lobbys canadiens exercées par l’entremise du ministère
du Patrimoine et, de surcroît, cette vision était au diapason avec
celle des États-Unis sur la question du droit d’auteur, ce qui, au dire
de Michèle Austin – chef de cabinet du ministre de l’Industrie de
l’époque –, était ce qui importait au gouvernement canadien119. De
plus, bien que le projet de loi C-61 n’est pas le copier-coller du DMCA
américain, le projet C-11 demeure, quant à lui, fortement influencé
par l’esprit de cette législation américaine. Conséquemment, il est
intéressant de regarder comment les tribunaux américains ont
concilié « interdiction de contournement » et « utilisation équitable ».
Selon une jurisprudence américaine non unanime, il semble
que le DMCA exclut la possibilité d’invoquer l’utilisation équitable
lorsqu’il y a contournement d’une MTP. Dans Storage technology corporation v. Custom hardware engineering & consulting Inc.120 la Cour
d’appel fédérale américaine a statué qu’il devait y avoir « a connection
between the circumvention and a right protected » et que, si cette
connexion n’était pas prouvée, la défense d’utilisation équitable était
recevable121. Cette position réaffirme celle prise dans The Chamberlain Group Inc. v. Skylink Technologies Inc.122, affaire où la même cour
117.
118.
119.
120.
121.
122.
HAGGART, précité, note 50, p. 60.
Selon cette vision, la Loi sur le droit d’auteur doit protéger le droit du titulaire
et non codifier de manière générale l’exception d’utilisation équitable (ACCESS
COPYRIGHT et al., Why Canada Should Not Adopt Fair Use: A joint Submission
to the Copyright Consultation, en ligne : <http://www.ic.gc.ca/eic/site/008.nsf/
eng/02524.html> (consulté le 2 octobre 2013).
Michèle AUSTIN, ancienne chef de cabinet du ministre de l’Industrie Maxime
Bernier, dans une entrevue réalisée par Blayne Haggart le 30 avril 2008 à
Ottawa, dans Blayne HAGGART, North American Digital Copyright, Regional
Governance and the Potential for Variation, thèse de doctorat, Ottawa, Faculté
des études supérieures et de la recherche, Université Carleton, note de bas de
page 211. Voir aussi HAGGART, précité, note 50, p. 61.
421 F.3d 1307, (Fed. Cir. 2005).
Ibid., par. 38.
381 F.3d 1178 (Fed. Cir. 2004).
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
215
avait précédemment déclaré que l’article 1201 DMCA « prohibits only
forms of access that bear a reasonable relationship to the protections
that the Copyright Act otherwise affords copyright owners », puisque
cet article ne confère pas un nouveau droit aux titulaires de droits
d’auteur123. Toutefois, dans Universal City Studios Inc. v. Corley124,
la Cour d’appel du 2e circuit interprète la division 1201a)(3)(A) et
l’alinéa 1201c) du DMCA comme interdisant la défense d’utilisation
équitable125. Cette décision, plus ancienne que les précédentes, reflète
toutefois l’état du droit puisque la Cour d’appel du 9e circuit, dans
l’affaire MDY Industries LLC v. Blizzard Entertainment Inc. and
Vivendi Games Inc.126, a réitéré en 2010 qu’il n’était pas nécessaire
de prouver que le contournement d’une MTP bafoue le droit d’un
titulaire puisque l’alinéa 1201a) DMCA confère un droit nouveau à
ce titulaire127. Dans MDY, la Cour refuse explicitement d’appliquer
la décision dans Chamberlain128.
123.
124.
125.
126.
127.
128.
Ibid., p. 40 et 41. Il est à noter que la Cour d’appel du 5e circuit, dans son
opinion originale dans MGE UPS Systems Inc. v. GE Consumer and Indus.
Inc., 612 F.3d 760 (5th Cir. 2010), fait référence à l’arrêt Chamberlain en ces
termes : « The DMCA prohibits only forms of access that would violate or impinge
on the protections that the Copyright Act otherwise affords copyright owners.
See Chamberlain Group Inc. v. Skylink Techs. Inc., 381 F.3d 1178, 1202 (Fed.
Cir. 2004). The Federal Circuit, in analyzing the DMCA’s anti-circumvention
provision, concluded that it “convey[s] no additional property rights in and of
themselves; [it] simply provide[s] property owners with new ways to secure their
property”. Ibid., p. 1193-1194 : Indeed, “virtually every clause of § 1201 that
mentions “access” links “access” to “protection”. Ibid., p. 1197 : Without showing
a link between “access” and “protection” of the copyrighted work, the DMCA’s
anti-circumvention provision does not apply. The owner’s technological measure
must protect the copyrighted material against an infringement of a right that
the Copyright Act protects, not from mere use or viewing ». Ibid., p. 1204. » (p. 6).
[En italiques dans l’original]. La Cour fait donc siens les enseignements de la
Cour d’appel fédérale. Toutefois, dans son opinion révisée, 622 F.3d 361 (5th Cir.
2010), la Cour ne fait pas mention de l’affaire Chamberlain puisqu’elle juge,
après révision, qu’il n’y a pas eu contournement (p. 6). Cette « omission » a été
perçue par d’autres juridictions comme étant la volonté de la Cour d’appel du
5e circuit « [of avoiding] the issue », de ne pas avoir à se prononcer sur le combat
opposant « interdiction de contournement » et « utilisation équitable » (MDY
Industries, LLC v. Blizzard Entertainment Inc., 629 F.3d 928, (9th Cir. 2010),
note de bas de page 11).
273 F. 3d 429 (2d Cir. 2001).
Ibid., p. 444.
629 F.3d 928, (9th Cir. 2010).
Ibid., p. 950.
« Were we to follow Chamberlain in imposing an infringement nexus requirement, we would have to disregard the plain language of the statute. Moreover,
there is significant textual evidence showing Congress’s intent to create a
new anticircumvention right in § 1201(a) distinct from infringement. As set
forth supra, this evidence includes: (1) Congress’s choice to link only § 1201(b)
(1) explicitly to infringement; (2) Congress’s provision in § 1201(a)(3)(A) that
descrambling and decrypting devices can lead to § 1201(a) liability, even though
descrambling and decrypting devices may only enable non-in-fringing access to
216
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Il est à noter que le DMCA édicte, à son sous-alinéa 1201c)
(1), que les mesures visant à interdire le contournement des MTP
n’affectent pas les « rights, remedies, limitations, or defenses to
copyright infringement, including fair use ». Malgré la clarté de cet
article, une partie de la jurisprudence donne tout de même préséance
aux interdictions de contournement, tel qu’évoqué précédemment.
Comme le législateur canadien a sciemment écarté le libellé du
paragraphe 34.02(1) du projet de loi C-60 lorsqu’est venu le temps
de rédiger le C-11 et qu’il a donc refusé de permettre le contournement lorsqu’aucun droit n’est violé, nous pouvons présager que les
tribunaux canadiens interpréteront les nouvelles dispositions de la
LDA de la même manière que la Cour d’appel du 2e circuit américain
a interprété l’alinéa 1201c) du DMCA dans l’affaire Universal et que
la Cour d’appel du 9e circuit a interprété l’alinéa 1201a) du DMCA
dans MDY.
Mihály Ficsor, ancien directeur-général adjoint de l’OMPI, est
contre les propositions des auteurs critiques précédemment cités. En
effet, selon lui, pour qu’elles soient efficaces et conformes à l’esprit
des Traités Internet, les MTP doivent restreindre l’accomplissement
d’actes sans qu’il soit nécessaire « to prove that the prohibited acts
of circumvention constitute, or specifically further, infringements »129.
Par voie de conséquence, les actes préparatoires à « l’infraction »
doivent être interdits d’après Ficsor.
Nous croyons que c’est la vision qu’avait en tête le législateur
canadien lorsqu’il a modifié la LDA. En effet, afin de plaire politiquement selon certains auteurs, le Canada a tenté de se conformer à ses
obligations internationales au détriment de son passé juridique vieux
de deux siècles130. Si d’une main il élargit le champ d’application de
la notion d’« utilisation équitable » par ce qui nous semble être une
codification de l’affaire CCH, il le restreint encore plus de l’autre main
par l’inutilité de cette application lorsqu’il est question des MTP. Des
lobbys canadiens ont soutenu que l’utilisation équitable, de la façon
dont elle est reconnue par la jurisprudence canadienne, mettrait le
« Canada in a precarious position with respect to international rules
129.
130.
a copyrighted work; and (3) Congress’s creation of a mechanism in § 1201(a)(l)
(B)-(D) to exempt certain non-infringing behavior from § 1201(a)(1) liability, a
mechanism that would be unnecessary if an infringement nexus requirement
existed ».
Mihály FICSOR, « Legends and Reality About the 1996 WIPO Treaties in the
Light of Certain Comments on Bill C-32 », 16 juin 2010, p. 16.
Déjà, en 1802, le droit anglais reconnaissait la notion d’« utilisation équitable »,
dans l’affaire Cary v. Kearsley (1802), 170 E.R. 678 (K.B.).
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
217
concerning exceptions »131, parce que les articles 10 TODA et 16 TOEIP
prévoient un test en trois, et non pas en six étapes. Le gouvernement
canadien a tenu compte de ces appréhensions lors de la rédaction du
projet de loi C-11 et il est probable, dans l’état actuel du droit, que
les MTP priment sur l’utilisation équitable132.
Afin d’éviter cela, il serait souhaitable que le législateur canadien modifie la LDA de manière à ce que le libellé du paragraphe
41(1) soit le même que celui du paragraphe 34.02(1) du projet C-60133.
En effet, la LDA comme elle est présentement rédigée semble mettre
l’accent, possiblement à tort, sur la protection des MTP, et non sur la
protection de l’œuvre134. Avec égards, cette rédaction de la LDA nous
semble, pour cette raison, contraire à l’obligation internationale qu’a
le Canada en tant que signataire des Traités Internet, et ce, bien que
la rédaction résulte de la volonté du Canada de se conformer à ces
traités. Le fait que l’article 11 TODA édicte que les MTP doivent être
« mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de leurs
droits en vertu du présent traité ou de la Convention de Berne » [nos
italiques] et doivent restreindre « l’accomplissement, à l’égard de leurs
œuvres, d’actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs concernés
ou permis par la loi » milite effectivement en faveur de l’idée que les
MTP « must restrict acts that are protected by copyright law in order
to qualify for legal protection pursuant to article 11 of the WCT »135 [en
131.
132.
133.
134.
135.
Myra TAWFIK, « History in the Balance: Copyright and Access to Knowledge »,
citant ACCESS COPYRIGHT et al., Why Canada Should Not Adopt Fair Use: A
joint Submission to the Copyright Consultation, en ligne : <http://www.ic.gc.ca/
eic/site/008.nsf/eng/02524.html> (consulté le 2 septembre 2013), dans Michael
GEIST (dir.), From « radical extremism » to « balanced copyright », Canadian
Copyright and the Digital Agenda (Toronto, Irwin Law, 2010), p. 103.
Carys CRAIG, « Locking Out Lawful Users: Fair Dealing and Anti-Circumvention
in Bill C-32 », dans Michael GEIST (dir.), précité, note 62, p. 175, à la p. 193. La
crainte que la protection des MTP créent, de manière générale, un déséquilibre
entre la « maîtrise de l’auteur sur son œuvre » et l’accès à l’information par
les utilisateurs est également partagée en Europe (Tonssira Myriam SANOU
« L’agenda de l’OMPI pour le développement : vers une réforme de la propriété
intellectuelle ? », (2009) 23:2 Revue internationale de droit économique 175, 202).
CRAIG, précité, note 132, p. 196.
Michael GEIST, « The Case for Flexibility in Implementing the WIPO Internet
Treaties: An Examination of the Anti-Circumvention Requirements », dans
Michael GEIST (dir.), précité, note 62, p. 204, à la p. 209. Cet accent nous semble
se rapprocher du raisonnement mis de l’avant par les cours d’appel américaines
des 2e et 9e circuits, soit la création de nouveaux droits, ce qui pourrait faire
primer l’interdiction de contournement sur l’exception de l’utilisation équitable.
Ian R. KERR, Alana MARUSHAT et Christian S. TACIT, « Technological Protection Measures: Tilting at Copyright’s Windmills », (2002-2003) 34 Ottawa Law
Review 7, 34-35, en ligne : <http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_
id=793504> (consulté le 2 septembre 2013), cité par GEIST, précité, note 132,
p. 211. Voir aussi Séverine DUSOLLIER, « Scoping Study on Copyright and
218
Les Cahiers de propriété intellectuelle
italiques dans le passage rapporté]. De plus, lors des débats entourant
la rédaction de cet article du traité, plusieurs pays, dont le Canada136,
ont souhaité que l’expression « une protection juridique appropriée
et des sanctions juridiques efficaces » soit celle retenue puisqu’une
telle rédaction ne rend pas nécessaire l’interdiction, la distribution
ou la fabrication de moyens de contournement et qu’elle n’oblige pas
l’interdiction de contournement des deux types de MTP137.
Plusieurs États ont préféré transposer dans leur droit national
les obligations des Traités Internet en prévoyant explicitement que les
interdictions de contournement ne primaient pas sur les exceptions
prévues par leur loi138. En Europe, l’interdiction de contournement
des MTP découle principalement de la codification dans le droit
national de la Directive 2001/29/CE139 du Parlement européen ;
cette directive est l’acceptation par l’Union Européenne des Traités
136.
137.
138.
139.
Related Rights and The Public Domain », 30 avril 2010, en ligne : <http://www.
wipo.int/edocs/mdocs/mdocs/en/cdip_4/cdip_4_3_rev_study_inf_1.pdf> (consulté
le 2 septembre 2013), et Jane C. GINSBURG, « Legal Protection of Technological
Measures Protecting Works of Authorship: International Obligations and US
Experience », (2005) 29 Columbia Journal of Law & Arts 13, 19, cité par GEIST,
précité, note 134, p. 239 et 240.
OMPI, Diplomatic Conference on Certain Copyright and Neighboring Rights
Questions: Summary Minutes, Main Committee I, (Genève, 2 au 20 décembre
1996), WIPO doc. CRNR/DC/102, par. 523, en ligne, <www.wipo.int/edocs/mdocs/
diplconf/en/crnr_dc/crnr_dc_102.pdf> (consulté le 2 septembre 2013), cité par
GEIST, précité, note 134, p. 219.
GEIST, précité, note 134, p. 221. L’article 18 TOEIP reprend, mutatis mutandis,
ces obligations. Lors des audiences à la Chambre des représentants portant sur
l’écriture du DMCA, des représentants du gouvernement américain ont reconnu
que le libellé des articles interdisant le contournement allait au-delà de ce qui
était demandé par l’OMPI (U.S., WIPO Copyright Treaties Implementation Act
and Online Copyright Liability Limitation Act: Hearing on H.R. 2281 and H.R.
2280 Before the Subcommittee on Courts and Intellectual Property Committee
on the Judiciary U.S. House of Representatives, 105th Cong., 16 septembre 1997,
p. 62).
Allemagne, Loi sur le droit d’auteur et les droits voisins (modifiée le 17 décembre
2008) (ci-après All.), art. 95b ; Lit., art. 75 ; Slov., par. 166c(3) ; Pays-Bays, Loi
du 18 mars 1993 contenant des dispositions relatives à la protection des artistes
interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes
de radiodiffusion, et portant modification de la loi de 1912 sur le droit d’auteur
(Loi sur les droits voisins) (ci-après P.-B.), par. 29a(4).
Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001
sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins
dans la société de l’information de l’Union Européenne, Journal officiel des
Communautés européennes (ci-après « Directive ») ; Belgique – Balancing, p. 146 ;
Chypre – Balancing, p. 366 ; Allemagne – Balancing, p. 448 ; Lituanie – Balancing,
p. 638 ; Pays-Bas – Balancing, p. 707 ; Portugal – Balancing, p. 743 ; Danemark –
Balancing, p. 863 ; Suède – Balancing, p. 863 ; Norvège – Balancing, p. 863 ;
Slovénie – Balancing, p. 879 ; Espagne – Balancing, p. 960 ; Suisse – Balancing,
p. 1003.
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
219
Internet de l’OMPI140. Dans la plupart des pays membres de l’Union,
le contournement aux fins de l’administration de la justice et de la
sécurité du public141, de réponse à un handicap142, de la disponibilité
d’une œuvre à des fins éducatives, scientifiques ou muséales143, de la
copie pour usage privé144, de la reproduction éphémère d’une organisation de diffusion145, de la parodie146, de l’utilisation lors d’examens147
et de la communication au public d’enregistrements sonores148 est
permis. Toutefois, l’utilisateur ne peut contourner de plein droit la
mesure technique de protection : il doit en demander l’autorisation
au titulaire149. Le titulaire des droits a l’obligation de transmettre
cette information lorsque le requérant répond bel et bien aux critères
d’une des exceptions150. En cas de refus, l’utilisateur peut intenter un
recours de droit commun ou s’adresser à un organisme indépendant
qui régit l’accès aux œuvres protégées par des MTP et qui a parfois
un pouvoir de contrainte151.
Ces codifications législatives européennes sont en totalité
antérieures à la rédaction du projet de loi C-11. Il y a fort à parier que
le législateur canadien a pu examiner le libellé de ces codifications.
Conséquemment, il est possible d’avancer qu’en autorisant le contournement uniquement pour permettre des enquêtes, l’interopérabilité
140.
141.
142.
143.
144.
145.
146.
147.
148.
149.
150.
151.
Directive, 15e considérant.
All., art. 45 ; Lit., art. 27 ; P.-B. art. 22 ; Norvège, Loi sur le droit d’auteur (Loi no 2
du 12 mai 1961 relative aux œuvres littéraires, scientifiques et artistiques, modifiée en dernier lieu par la Loi no 103 du 19 juin 2009) (ci-après Norv.), art. 26-28 ;
Danemark, Loi codifiée sur le droit d’auteur (ci-après Dane.), art. 26-28 ; Suède,
Loi no 1960:729 sur le droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques
(ci-après Suède), art. 26 et 26a) ; Slov., par. 166c)(3) et (4) et art. 56.
All., art. 45a ; Lit., par. 58(1)6) ; P.-B., s.-al. 15(i) ; Norv., art. 17 ; Dane., art. 17 ;
Suède, art. 17 ; Slov., par. 166c(3)1) et 47a.
All., art. 52a ; Lit., par. 22(1)1) et 22(1)2) ; P.-B., art. 16 et 16n et par. 29a(4) ; Norv,
art. 16 et 21 ; Dane., art. 16, 18, 21 et 23 ; Suède, art. 16 ; Slov., par. 166c(3)2) et
art. 49.
Lit., art. 20(1) ; P.-B., art. 16b et 16c ; Slov., art. 166c(3) et 50 ; All., art. 53.
All., art. 55 ; Lit., par. 29(1)2) ; Norv., art. 31 ; Dane., art. 31 ; Suède, 26e ; Slov.,
par. 166c(3)5) et 77(2).
Lit., art. 25.
Norv., art. 13a.
Dane., art. 68.
All., art. 95 et Balancing, p. 449. La législation de certains pays ne requiert
pas une demande préalable d’autorisation au contournement, dont la Lituanie
(par. 22(1) et 23(1)).
All. art. 95b ; Grèce, art. 66A, par. 5 ; Lit., par. 75(1) ; P.-B., par. 29a(4) ; Serbie –
Balancing, p. 818 ; Danemark, Suède et Norvège – Balancing, p. 863 ; Slov. p. 878 ;
Esp., 161(2) ; Suisse – Ordonnance du 26 avril 1993 sur le droit d’auteur et les
droits voisins (Ordonnance sur le droit d’auteur, ODAu) art. 16g.
Lit., par. 75(4) ; Port., art., 21(4) ; Serbie – Balancing, p. 818 ; Danemark, Suède
et Norvège – Balancing, p. 863 ; Slov. – Balancing, p. 878 ; Esp., par. 161(2) ;
Suisse – Loi fédérale du 9 octobre 1992 sur le droit d’auteur et les droits voisins
(état le 1er janvier 2011) (ci-après Suisse), art. 39b, par. 1b.
220
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’ordinateurs, le chiffrement, la détection et la destruction de collecte
d’informations personnelles, la vérification de la sécurité, la « palliation » d’un handicap, l’enregistrement éphémère pour radiodiffusion
et l’accès à un service de télécommunication avec un appareil radio152,
le législateur canadien souhaitait empêcher le contournement visant
à rendre disponible une œuvre à des fins éducatives, scientifiques
ou muséales et celui visant la copie pour usage privé. Bien qu’on
ne puisse inférer une intention du silence continu du législateur,
la jurisprudence canadienne reconnaît qu’un silence faisant suite à
une modification législative récente puisse témoigner de l’intention
du législateur153.
Pourtant, le contournement pour ces fins a été accepté par les
pays membres de l’UE et il a été perçu comme étant un compromis
assurant un équilibre entre les titulaires des droits d’auteur et les
utilisateurs154. Il faut aussi rappeler que les articles 10 et 11 TODA et
16 et 18 TOEIP, bien que complémentaires et devant être lus comme
un tout, car faisant partie des mêmes traités, n’ont pas à s’appliquer aux mêmes cas. En ce sens, réduire le champ d’application de
l’interdiction de contournement (interdiction prévue aux articles 11
TODA et 18 TOEIP) en autorisant le contournement lorsqu’il n’y a
pas violation du droit d’auteur, comme c’est le cas en Europe, n’aurait
pas pour effet de contrevenir aux articles 10 TODA ou 16 TOEIP. Ces
articles régissent effectivement les exceptions à la protection du droit
d’auteur et il n’y aurait pas contravention à ces articles puisqu’un
contournement dans une telle situation ne constituerait pas une
atteinte au droit d’auteur.
Il est à noter que certains pays n’ont pas interdit le contournement des MTP car ils n’ont pas ratifié ou signé les Traités Internet155.
D’autres pays, n’étant parties ni au TODA ni au TOEIP, ont interdit
le contournement des MTP afin de démontrer leur volonté d’adhérer
à ces traités156. Donc, l’interdiction de contournement fait, selon nous,
152.
153.
154.
155.
156.
Respectivement LDA, par. 41.11(1)-(3) ; 41.12(1)-(7) ; 41.13(1)-(3) ; 41.14(1) et
(2) ; 41.15(1)-(4) ; 41.16(1) et (2) ; 41.17 et 41.18(1)-(3).
Société Télé-Mobile c. Ontario, [2008] 1 R.C.S. 305, par. 42.
À titre d’exemple, la Serbie (Loi sur le droit d’auteur et les droits voisins (2011)
par. 208a(1)), l’Espagne (Esp., par. 161(2)) et la Suisse (Suisse, par. 39a(4)) ont
édicté que l’ensemble des exceptions prévues par la loi, dont celle de l’« utilisation
gratuite », notion assimilable à celle de l’« utilisation équitable » en droit canadien, permettait le contournement des MTP. Voir M. GEIST, précité, note 134,
p. 232.
Notamment, Israël (Balancing, p. 535) et Ouganda (Balancing, p. 1056).
Égypte – aucune exception permise (Balancing p. 379) ; Brésil – aucune exception permise (art. 107 de la Loi no 9610 du 19 février 1998 sur le droit d’auteur
et les droits voisins ; Balancing, p. 206 ; Inde – aucune violation lorsqu’aucune
intention de violer le droit d’auteur (Copyright Act (1957) (Act No. 14 of 1957)
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
221
partie intégrante des Traités de 1996 de l’OMPI. Toutefois, la manière
selon laquelle le législateur canadien a codifié cette interdiction nous
semble trop stricte.
En résumé, les modifications apportées à la Loi sur le droit
d’auteur depuis 1997 visent à permettre la mise en œuvre en droit
canadien des Traités Internet de l’OMPI. De ces modifications, les plus
notables sont l’unification de la durée de la protection accordée à une
œuvre, indépendamment du fait qu’elle soit photographique, picturale,
littéraire ou autre, et la reconnaissance de droits moraux et de mise
à disposition aux interprètes et aux producteurs d’enregistrements
sonores. Ces modifications ajoutent également des exceptions, dont
l’utilisation équitable à des fins d’éducation, de parodie ou de satire.
Cet accroissement important du nombre d’exceptions existantes
risque d’aller à l’encontre des Traités Internet de 1996. De plus, ce
« renouveau » législatif canadien du droit d’auteur a été critiqué,
notamment en raison du régime des mesures techniques de protections qu’il implante. Dans sa forme actuelle, la LDA pourrait donc ne
pas répondre aux obligations internationales du Canada.
CONCLUSION
Pour conclure, la protection offerte au droit d’auteur au Canada
est notamment garantie par la transposition en droit canadien des
principaux concepts et articles du Traité de l’OMPI sur le droit
d’auteur et du Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes. L’Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle est l’institutionnalisation de l’Union de Paris et de la
Convention de Berne notamment et elle a pour objectif l’uniformisation du droit d’auteur sur l’ensemble de la planète. Le Canada,
membre de cette organisation, contribue à l’atteinte de cet objectif
de différentes manières. Premièrement, il a mis sur pied un bureau
national de gestion et d’administration : l’Office de la propriété
intellectuelle. Deuxièmement, il favorise l’institution de sociétés et
d’organisations d’auteurs. Troisièmement, il a modifié sa législation
de façon à intégrer les principaux concepts tirés des Traités Internet
de l’OMPI afin de faire passer le droit d’auteur canadien à l’ère
numérique. Quatrièmement, bien que par cette modification le législateur ait théoriquement augmenté le nombre d’exceptions, il en a
cependant restreint en pratique le nombre par les mesures techniques
par. 65A(1) ; Balancing p. 520 ; Nouvelle-Zélande – aucune violation lorsque
le contournement ne viole pas le droit d’auteur (Copyright (New Technologies)
Amendment Act 2008 (N.Z.) 2008/27 par. 226D(1). Voir aussi GEIST, précité,
note 134, p. 235.
222
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de protection. Cette volonté du législateur canadien de se conformer
à tout prix aux traités de l’OMPI a été vivement dénoncée. En effet,
les opposants157 à cette décision politique soutiennent que la manière
dont le Canada a transposé en droit interne ses obligations internationales aurait été choisie parce qu’elle était celle qui répondait aux
intérêts de puissants lobbys internes et étrangers. De surcroît, cette
transposition ne semble pas avoir permis au Canada de se conformer
à ces dites obligations.
Certes, une codification est toujours la transposition en droit
d’une idéologie et d’intérêts politiques. Toutefois, dans le cas de la
modification de la Loi sur le droit d’auteur, cette orientation politique,
faisant suite à des pressions internes, risque de protéger des intérêts
étrangers au détriment d’intérêts canadiens. En effet, aujourd’hui la
« titularité » du droit d’auteur n’est plus nécessairement synonyme
de qualité d’auteur réel. Les entreprises étrangères de différentes
industries semblent détenir une part non négligeable des droits
d’auteur au pays158. Par voie de conséquence, le contournement d’une
MTP dans le but d’utiliser équitablement une œuvre sans autorisation
risque davantage d’être une atteinte au droit économique du titulaire
qu’une atteinte au droit moral de l’auteur réel. La protection offerte
par la LDA se veut davantage une protection offerte au titulaire
qu’une protection offerte à l’auteur159.
157.
158.
159.
Voir notamment les notes 132 à 137, supra.
Selon l’Office de la propriété intellectuelle, pour l’année 2011, 8 212 demandes
d’enregistrement de droit d’auteur ont été faites et, de ce nombre, environ 87 %
ont été effectuées par des résidents canadiens. Toutefois, d’après la liste des dix
demandeurs ayant effectué le plus de demandes au cours des années 2009-2011,
plusieurs sont des filiales de compagnies étrangères ou ils sont indirectement
contrôlés par celles-ci. Par exemple, pour l’année 2011, on indique que les
demandes reçues et acceptées en provenance du Royaume-Uni sont au nombre
de 33 alors que Pearson Education Canada, division de Pearson PLC qui est
éditeur londonien, est le principal demandeur-titulaire avec 170 demandes
acceptées. Cela pousse à relativiser ces statistiques qui indiquent, à première
vue, que la majorité des titulaires de droits d’auteur au Canada sont canadiens
(OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA, Rapport
annuel 2011-2012, Droit d’auteur, tableaux 17 et 18, en ligne : <http://www.opic.
ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/wr03600.html#droitauteur>
(consulté le 16 octobre 2013) ; OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
DU CANADA, Rapport annuel 2010-2011, Droit d’auteur, tableaux 17 et 18,
en ligne : <http://www.opic.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/
wr03467.html> (consulté le 16 octobre 2013) ; OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE DU CANADA, Rapport annuel 2009-2010, Droit d’auteur,
tableaux 17 et 18, en ligne : <http://www.opic.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-inter
netopic.nsf/fra/wr02974.html> (consulté le 16 octobre 2013).
« Thus, the rhetoric of individual rights is mobilised on behalf of corporate
entities, who receive protections legitimated not on the basis of their own
(commercial) character, but derived from a narrative of individual human
L’OMPI : transposition en droit canadien des traités Internet
223
Les tribunaux canadiens auront très prochainement l’occasion
de se pencher sur la question de l’interdiction du contournement des
MTP. Il est peu probable qu’ils fassent primer l’utilisation équitable
sur les MTP car ils ne réécrivent pas la loi, mais l’interprètent. Avec
sa modification de la LDA, le législateur semble vouloir conférer à
l’« entreprise-titulaire perpétuelle » un quasi-monopole des droits sur
l’œuvre d’un « auteur mortel ». D’un point de vue historique, cette
approche est très paradoxale. En effet, si jusqu’au XVe siècle le droit
ne protégeait pas les œuvres parce qu’il considérait qu’elles n’avaient
pas d’auteur réel, aujourd’hui il les protège, mais au détriment de
cet auteur réel. Selon nous, l’actuel gouvernement fédéral canadien
paraît avoir oublié que ce n’est pas le droit du titulaire, mais le droit
de l’auteur réel sur son œuvre, qui est « [l]a plus sacrée, la plus
légitime, la plus inattaquable, et […] la plus personnelle de toutes
les propriétés »160.
160.
endeavour » (Christopher MAY, Digital Rights Management – The Problem of
Expanding Ownership Rights (Oxford, Chandos Publishing, 2007), p. 41.
Rapport de M. le Chapelier, précité, note 14.
Capsule
L’hébergeur doit-il se faire juge ?
Vers une obligation de l’hébergeur
d’apprécier le caractère diffamatoire
ou non d’un contenu notifié comme
illicite au sens de la LCEN
Aurélie Brégou*
La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dite LCEN, prévoit une responsabilité allégée des hébergeurs
s’agissant des contenus illicites qu’ils hébergent.
L’article 6-I-2 prévoit en effet que
Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à
titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services
de communication au public en ligne, le stockage de signaux,
d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature
fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas
voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou
des informations stockées à la demande d’un destinataire de
ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance
de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant
apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu
cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces
données ou en rendre l’accès impossible.
L’article 6-1-3 prévoit quant à lui que
Les personnes visées au 2 [hébergeurs] ne peuvent voir leur
responsabilité pénale engagée à raison des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles
© Aurélie Brégou, 2014.
* Avocate au barreau de Paris, du cabinet DEPREZ GUIGNOT & ASSOCIÉS.
225
226
Les Cahiers de propriété intellectuelle
n’avaient pas effectivement connaissance de l’activité ou de
l’information illicites ou si, dès le moment où elles en ont
eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces
informations ou en rendre l’accès impossible.
Autrement dit, à partir du moment où un contenu présentant
un caractère illicite est porté à la connaissance d’un hébergeur,
celui-ci doit agir promptement pour retirer ce contenu ou en rendre
l’accès impossible ; à défaut sa responsabilité civile ou pénale serait
susceptible d’être engagée.
Le 10 juin 2004, le Conseil constitutionnel a émis une réserve
d’interprétation à l’issue de son contrôle de constitutionnalité de la
LCEN pour éviter que toute notification envoyée à un hébergeur
puisse immédiatement engager sa responsabilité, jugeant que « ces
dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité
d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme
illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel
caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge »1.
Toute la difficulté pour l’hébergeur est donc de déterminer, à
l’aune de la notification qui lui est faite, si le contenu dont le retrait
est demandé présente un caractère « manifestement » illicite.
Cette difficulté est de taille lorsque les propos hébergés sont
dénoncés comme étant diffamatoires. Le délit de diffamation se définit
comme l’allégation ou l’imputation d’un fait précis qui porte atteinte
à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale.
Toutefois, l’auteur d’une diffamation dispose de deux moyens de
défense : soit il rapporte la preuve de la vérité des faits, qui est une
excuse absolutoire de la diffamation, soit il rapporte la preuve de sa
bonne foi, qui est un fait justificatif de la diffamation.
Dès lors, comment demander à un hébergeur recevant une
notification de contenu diffamatoire de se prononcer sur le caractère
« manifestement illicite » de ce contenu, sans qu’il n’y ait eu préalablement un débat de fond devant une juridiction ?
Dans une décision rendue le 20 octobre 20102, le juge des
référés du Tribunal de grande Instance de Paris avait fait une stricte
application de la notion du caractère « manifestement illicite » que doit
revêtir un contenu diffamatoire notifié par un tiers à un fournisseur
d’hébergement aux fins d’en obtenir le retrait.
1. Décision no 2004-496 DC du 10 juin 2004 ; les italiques sont de l’auteure.
2. TGI Paris, réf., 20 octobre 2010, Alexandre B. c. JFG Networks.
L’hébergeur doit-il se faire juge ?
227
Une personne avait assigné en référé la société JFG
NETWORKS, fournisseur d’hébergement d’un blogue sur lequel
étaient publiés des articles diffamatoires à son encontre, afin d’en
obtenir la suppression, outre une provision en réparation du préjudice
subi.
Le juge des référés a estimé que les propos qualifiés de diffamatoires par le demandeur ne revêtaient pas un caractère manifestement illicite au sens de la réserve d’interprétation du Conseil
constitutionnel, en raison même de la qualification de diffamation et
du régime juridique applicable à cette dernière :
Le caractère diffamatoire d’un propos n’est pas toujours de
nature à convaincre de son caractère illicite – et moins encore
manifestement illicite –, ce dernier pouvant être exclusif de
toute faute lorsqu’il est prouvé ou se trouve justifié par la
bonne foi.
Cette interprétation restrictive du « caractère manifestement illicite » afférente au contenu notifié aux fournisseurs d’hébergement en matière de propos diffamatoires a également été retenue
dans une décision rendue par le juge des référés du Tribunal de grande
instance de Paris le 4 avril 20133.
Les sociétés H&M, après avoir constaté la mise en ligne sur
différents sites internet de vidéos, images et photographies qu’elles
considéraient comme portant gravement atteinte à leurs droits en ce
qu’elles les associaient à des images de sang, aux termes « Haine et
mort, Harcèlement et mort, valeur de la vie d’une femme et combien
de vies pour un vêtement ? » ont sollicité le retrait de ces contenus,
auprès des hébergeurs de ces sites, notamment les sociétés Google
et YouTube. Ces dernières n’ayant pas déféré à cette demande, les
sociétés H&M les ont assignées en référé, sur le fondement de l’article
809 du Code de procédure civile, pour obtenir le retrait des contenus
litigieux ainsi que leur condamnation au paiement d’une provision.
Le juge des référés rappelle que « la présente instance, à ce
stade du référé, n’a pas pour objet de dire si des atteintes ont été commises, tâche éventuelle du juge du fond, mais seulement d’apprécier
leur vraisemblance » et précise également que les sociétés défenderesses n’ont que le statut d’hébergeur et qu’il convient dans ce cas de
« déterminer si elles hébergent des contenus manifestement illicites ».
Il considère que cela suppose
3. TGI Paris, réf., 4 avril 2013, H&M c. Google.
228
Les Cahiers de propriété intellectuelle
une analyse des circonstances ayant présidé à leur diffusion,
laquelle échappe par principe à celui qui n’est qu’un intermédiaire technique. Cela a pour conséquence que cet intermédiaire
ne peut, par le seul fait de cette diffusion ou du maintien en
ligne, être considéré comme ayant eu un comportement fautif
étant précisé en outre que la diffamation, à la supposer constituée, n’égale pas forcément trouble manifestement illicite.
Le juge estime donc que
le caractère éventuellement diffamatoire des contenus litigieux
ne peut être discuté au stade du référé, en l’absence de leur
auteur qui seul serait à même de donner toutes explications
et d’apporter le cas échéant toutes preuves utiles.
Il juge en conséquence que les sociétés défenderesses n’ont
commis aucune faute en ne déférant pas à la demande de retrait et
déboute les sociétés H&M de leur demande de provision.
C’est une solution différente qui a été retenue le même jour par
la Cour d’appel de Paris4, qui s’est livrée à une analyse des contenus
prétendument diffamatoires, pour en conclure qu’ils n’étaient pas
« manifestement illicites » comme relevant de la « libre critique », de
sorte que la responsabilité de l’hébergeur ne pouvait être engagée.
Une personne qui considérait qu’un article publié sur le site
selenie.fr comportait des allégations portant atteinte à son honneur
et à son image avait notifié aux différents hébergeurs concernés le
contenu en question, en vue d’en obtenir le retrait. La société JFG
NETWORKS n’ayant pas obtempéré et la prescription de la loi du
29 juillet 1881 étant acquise, cette personne a saisi le juge des référés
afin qu’il ordonne à JFG NETWORKS de retirer l’article litigieux.
La Cour d’appel confirme la décision des premiers juges selon
laquelle le contenu n’était pas manifestement illicite, au motif que
l’article demeure dans le champ de la liberté de critique et d’expression, sans dégénérer en abus. Même si elle rappelle que seuls certains
contenus expressément visés par la loi en matière de pédopornographie, d’apologie des crimes contre l’humanité et d’incitation à la
haine raciale doivent être supprimés par l’hébergeur, sans attendre
une décision de justice, cela signifie a contrario que si ces propos
n’avaient pas relevé de la liberté de critique, ils auraient pu être
considérés comme manifestement illicites et engager la responsabilité
de l’hébergeur pour ne pas les avoir retirés promptement.
4. C.A. Paris, 4 avril 2013, Rose B. c. JFG Networks.
L’hébergeur doit-il se faire juge ?
229
Cette décision revient à exiger de l’hébergeur qu’il se livre à
une analyse du caractère manifestement illicite ou non des propos
diffamatoires qui lui sont notifiés, alors que la diffamation est typiquement un domaine où il est très difficile d’établir l’illicéité en dehors
d’une procédure contradictoire. En cette matière, seule une décision
de justice peut venir établir avec certitude l’illicéité des contenus, et
en l’absence d’une telle décision, l’hébergeur ne devrait pouvoir être
tenu pour responsable des contenus qu’il héberge.
Cherchant sans doute à parer à cette critique, le Tribunal
correctionnel de Brest, dans une décision rendue le 13 juin 20135,
a jugé « que la disposition légale susvisée [art. 6-I-1 et 6-I-2], telle
qu’interprétée par le conseil constitutionnel, n’exige […] pas que le
contenu soit certainement illicite mais seulement qu’il le soit manifestement ; » et que les propos publiés sur un blogue qui comportent
l’imputation de faits dont la vérité est très improbable en raison de
leur nature même, de leur caractère outrancier et du contexte dans
lequel ils sont émis sont manifestement illicites.
En l’espèce, une femme se plaignait d’être l’objet sur un blogue
d’allégations portant atteinte à sa réputation et d’expressions injurieuses. Elle avait mis en demeure la société OVERBLOG, hébergeur
dudit blogue, de procéder au retrait de ces propos, ce à quoi il n’avait
pas été déféré. Devant le Tribunal, le représentant de la société
OBERBLOG avait reconnu avoir été informé de ce contenu et avoir
décidé de ne pas retirer les propos litigieux, considérant qu’il ne lui
appartenait pas de se prononcer sur le caractère illicite des contenus
publiés.
Le Tribunal relève que cette position de principe est contraire à
l’article 6.1 §2 et §3 de la loi du 21 juin 2004 qui impose à l’hébergeur
de retirer les informations manifestement illicites dont il a connaissance sans attendre une éventuelle décision judiciaire.
Il relève que les termes et expressions « guenon », « malade
bouffie de haines », « immonde » constituent de toute évidence des
expressions outrageantes et des termes de mépris constitutifs d’injures et présentent donc un caractère manifestement illicite.
Il ajoute que la plaignante est accusée sur le blogue d’être
à la tête d’une bande de « criminels », de manipuler des « malades
mentaux » pour commettre ses crimes, de former des complots,
d’ « éradiquer », de vouloir prostituer des femmes ou les faire « violer
par des porcs », etc. et considère que « le cumul et la nature objective5. TGI Brest, chambre correctionnelle, 13 juin 2013, Josette B. c. Catherine L.
230
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ment délirante de ces accusations, dont il est évident qu’elles portent
atteinte à l’honneur et à la considération de la personne qu’elles
visent, suffisent amplement à considérer qu’elles sont dénuées de
tout fondement et, dès lors, manifestement illicites ».
Le Tribunal estime en conséquence que la responsabilité pénale
de la société OVERBLOG en sa qualité d’hébergeur du blogue en
cause, qui n’a pas retiré les contenus litigieux malgré la connaissance
qu’elle en avait, est donc engagée. Cette dernière est donc déclarée
coupable des faits de complicité de diffamation et de complicité
d’injures.
Ce jugement qui a été frappé d’appel est tout autant critiquable selon nous : même si l’article 6 de la LCEN, tel qu’interprété par le
Conseil constitutionnel, n’exige pas que le contenu soit certainement
illicite mais seulement qu’il le soit manifestement, ainsi que l’avait
relevé le juge des référés parisien dans son ordonnance du 20 octobre
2010, le caractère diffamatoire d’un propos n’est pas toujours de
nature à convaincre de son caractère illicite, et encore moins de son
caractère « manifestement illicite », ce propos pouvant être exclusif
de toute faute s’il est prouvé ou se trouve justifié par la bonne foi.
Ces récentes décisions qui font peser sur les hébergeurs une
obligation d’apprécier le caractère diffamatoire ou non d’un contenu
qui leur est notifié comme étant illicite risque de les conduire, par
peur d’engager leur responsabilité, à censurer d’emblée, sans débat
préalable au fond, des propos qui pourraient se justifier du principe
à valeur constitutionnelle de la liberté d’expression.
L’enjeu est de taille. Il concerne la liberté d’expression en ligne.
Nous pensons qu’en la matière les abus dénoncés de la liberté d’expression devraient faire l’objet d’une injonction judiciaire de retrait
préalable, pour que l’hébergeur puisse en être déclaré responsable
s’il ne procédait pas au retrait.
Capsule
Commentaire d’arrêt :
SOCAN c. BELL
Félix R. Larose*
Avec la collaboration de Mistrale Goudreau**
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233
1. LES FAITS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233
2. LES POINTS DE DROIT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
2.1 L’utilisation à des fins de « recherche » . . . . . . . . . . . . . . 235
2.2 Le caractère équitable (les critères de l’arrêt CCH) . . . . 236
3. COMMENTAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
3.1 L’intérêt public . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
4. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
© Félix R. Larose et Mistrale Goudreau, 2014.
* Étudiant en droit (LL.L) Université d’Ottawa. Remerciements à Me Pierre FournierSimard, Guillaume Laganière, Jean-François Landry et Geneviève Boisvert.
** Professeure titulaire, Section de droit civil, Université d’Ottawa.
231
INTRODUCTION
Le 12 juillet 2012, la Cour suprême du Canada (ci-après « la
Cour ») a rendu en une seule journée cinq jugements en matière de
propriété intellectuelle. Cette série, connue sous le nom de la « Copyright Pentalogy »1, établit avec force la position des tribunaux sur une
multitude de questions. Dans le cadre de ce commentaire d’arrêt, nous
avons choisi de nous concentrer sur l’une de ces décisions, soit l’affaire
Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique
(SOCAN) c. Bell Canada2 portant sur la question de l’exception de
l’utilisation équitable aux fins de recherche3. La Cour complète dans
ce jugement unanime un virage amorcé dans les affaires Théberge
c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc.4 et CCH Canadienne ltée c.
Barreau du Haut-Canada5, visant à rétablir le fragile équilibre entre
l’intérêt du public à avoir accès aux œuvres et celui des auteurs et
détenteurs de droits d’auteur à protéger leurs droits exclusifs.
Dans ce jugement rédigé par la juge Abella, la Cour s’accorde
sur une conception souple et libérale de l’exception de l’utilisation
équitable. Le spectre d’une interprétation restrictive existe cependant toujours, tel que le démontre la dissidence du Juge Rothstein
s’exprimant au nom de trois de ses confrères dans l’arrêt Alberta
(Éducation)6, une autre affaire de la « Copyright Pentalogy ». Nous
résumerons tout d’abord les faits en l’espèce, avant de passer aux
points de droit et au commentaire, pour ensuite conclure.
1.
LES FAITS
La SOCAN est un organisme qui représente les compositeurs,
les auteurs et les éditeurs de musique au Canada. Elle s’occupe de la
gestion de leurs droits de communication et d’exécution. Devant le
1. Michael GEIST, The Copyright Pentology (Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa,
2013).
2. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada,
[2012] 2 R.C.S. 326 [SOCAN].
3. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), c. C-42, art. 29. [Loi sur le droit d’auteur].
4. Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336 [Théberge].
5. CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339 [CCH].
6. Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright),
[2012] 2 R.C.S. 345, par. 39 et s.
233
234
Les Cahiers de propriété intellectuelle
phénomène grandissant de la commercialisation en ligne de pièces
musicales par des entreprises comme Apple et Bell – Bell est d’ailleurs
l’intimée dans cette affaire – SOCAN ainsi que deux autres sociétés
de gestion de droits d’auteur (les demanderesses) désiraient obtenir des redevances pour l’utilisation par ces entreprises de courts
extraits d’une durée de 30 à 90 secondes des œuvres musicales que
les consommateurs peuvent consulter gratuitement pour les guider
avant l’achat. La Commission du droit d’auteur (la Commission)
a statué qu’une utilisation de la sorte était équitable à des fins de
recherche et d’étude privée, tel que le permet l’article 29 de la Loi
sur le droit d’auteur7 (la Loi). La Cour d’appel fédérale a confirmé8 la
décision de la Commission.
2.
LES POINTS DE DROIT
La question centrale de cet arrêt consiste à déterminer si
l’écoute gratuite d’extraits de pièces musicales avant achat sur
des sites de téléchargement payants comme iTunes constitue une
violation du droit d’auteur qui vaudrait à la demanderesse, société
de gestion collective, le droit à des redevances. Pour échapper à cette
obligation, l’intimé invoque l’exception d’utilisation équitable telle
que prévue à l’article 29 de la Loi.
Dans une décision unanime, la juge Abella fera une analyse
du terme « recherche » utilisé à l’article 29 de la Loi. Elle y précisera
que l’on doit adopter une interprétation large de cette expression,
plutôt que d’enfermer l’exception dans un compartiment trop strictement défini. De plus, la Cour prendra en compte le point de vue
de l’utilisateur lorsqu’il s’agira d’apprécier les critères de l’exception
d’utilisation équitable tels qu’établis dans l’arrêt CCH9. En définitive,
les neuf juges du plus haut tribunal du pays rejetteront le pourvoi et
accepteront l’exception de l’utilisation équitable aux fins de recherche,
ce qui permettra au public de profiter des extraits gratuits de pièces
musicales sans avoir à payer de redevances de droits d’auteur.
Dans ce commentaire, nous suivrons la structure du jugement
en décortiquant les éléments de l’article 29 de la Loi, à savoir si l’utilisation a pour but la « recherche » et déterminer si l’utilisation est
« équitable », selon les six critères établis dans l’arrêt CCH.
7. Loi sur le droit d’auteur, supra, note 3, art. 29.
8. Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada c. Bell Canada, 2010
CAF 123.
9. CCH, supra, note 4, par. 48.
Commentaire d’arrêt : SOCAN c. BELL
2.1
235
L’utilisation à des fins de « recherche »
La question se pose : jusqu’où doit-on étendre la protection
de l’exception de l’utilisation équitable ? Les termes « recherche » et
« étude privée » utilisés à l’article 29 de la Loi ont ouvert la porte à
un flou interprétatif.
Le mot « recherche » a fait l’objet d’une consigne assez claire de
la Cour dans l’affaire CCH : « Il faut interpréter le mot « recherche »
largement afin que les droits des utilisateurs ne soient pas indûment
restreints »10. Inévitablement, la question suivante devrait apparaître
sur les lèvres de tous les juristes : qu’est-ce qui est trop large ? Pour
la demanderesse, la Commission du droit d’auteur et la Cour d’appel
fédérale ont erré en droit lorsqu’elles ont accepté dans la notion de
recherche une activité qui ne mène pas à la nouvelle création ou à
la transformation d’une œuvre11, mais qui n’est qu’une démarche
exploratoire en vue d’un achat. La Cour se prononce en défaveur d’une
telle interprétation et rappelle à cet effet les enseignements de l’arrêt
Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain inc., selon lesquels la
Loi a non seulement pour but de préserver la créativité succédanée
aux œuvres mais aussi leur diffusion12.
Comme le mentionne la juge Abella dans l’affaire SOCAN, la
recherche connaît une variété d’autres fins n’ayant aucun lien avec la
créativité. Elle peut être « fragmentaire, informelle, exploratoire ou
confirmative. Elle peut même être entreprise pour aucun autre motif
que l’intérêt personnel »13. Là résident toute la difficulté et le danger
d’appliquer une interprétation stricte à un terme comme « recherche »
qui ne sera finalement que la première étape du processus de qualification à l’exception d’utilisation équitable. Comme c’est le cas pour
plusieurs tests juridiques, il semble normal que la porte d’entrée de
l’analyse soit la plus facile à franchir.
Enfin, les demanderesses tentent de faire valoir que le point
de vue à adopter dans l’analyse du critère de la « recherche » devrait
être celui du fournisseur de service en ligne. La juge Abella relève
toutefois une contradiction flagrante dans l’argumentaire14. En effet,
comme nous l’avons mentionné, la SOCAN avance que la définition
du terme « recherche » est indissociable du concept de création en ce
sens qu’elle doit mener à quelque chose de nouveau. Il est absurde
10. Ibid., par. 51.
11. Voir à ce sujet la décision américaine Campbell c. Acuff-Rose Music Inc., (1994)
510 U.S. 569, par. 579.
12. Théberge, supra, note 4, par. 30.
13. SOCAN, supra, note 2, par. 22.
14. SOCAN, supra, note 2, par. 28.
236
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de soutenir du même souffle que ce critère de la recherche doive être
apprécié du point de vue du fournisseur de service. Le fournisseur
de service ne crée pas de nouvelles œuvres et ne pourrait jamais
satisfaire à cette condition. C’est logiquement incorrect. Il est établi,
depuis l’arrêt CCH, que l’exception d’utilisation équitable vise à
protéger l’utilisateur, même si la copie qui lui est destinée a été faite
par un tiers. À notre avis, le seul fait que l’article 29 de la Loi soit une
exception à un régime de protection du droit d’auteur devrait suffire
à convaincre du point de vue à adopter dans ce type de situation, soit
celui de sa contrepartie, l’utilisateur.
2.2
Le caractère équitable (les critères de l’arrêt CCH)
Le deuxième volet de l’analyse de la Cour vise à déterminer si
l’utilisation est véritablement équitable. Pour ce faire, la Cour doit
évaluer la situation en fonction des six critères formulés dans l’arrêt
CCH, soit : 1) le but de l’utilisation ; 2) la nature de l’utilisation ;
3) l’ampleur de l’utilisation ; 4) l’existence de solutions de rechange
à l’utilisation ; 5) la nature de l’œuvre ; et 6) l’effet de l’utilisation
sur l’œuvre.
1- Le but de l’utilisation. L’objectif doit servir l’une des fins énumérées aux articles 29, 29.1 et 29.2 de la Loi, soit la recherche,
l’étude privée, la critique, le compte rendu, la communication de
nouvelles ou, depuis 2013, l’éducation, la parodie ou la satire.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, la Cour indique
dans l’affaire SOCAN que le but de l’utilisation doit s’apprécier
du point de vue du consommateur et non de celui du fournisseur
de service en ligne comme le prétendent les demanderesses15.
Comme l’écoute préalable vise clairement à offrir un avant-goût
au consommateur qui lui permettra de parcourir l’offre en vue
de prendre une décision éclairée dans son acte d’achat, la Cour
conclut qu’il s’agit d’une utilisation pour fins de recherche.
2- La nature de l’utilisation. Il s’agit de déterminer la manière dont
l’œuvre a été utilisée. On tiendra compte, notamment, du nombre
de copies et de l’étendue de sa diffusion16. En l’espèce, la copie
n’est pas permanente et ne constitue qu’un court extrait de la
pièce musicale à consulter individuellement et ponctuellement.
3- L’ampleur quantitative de l’utilisation. Dans l’affaire CCH, la
Cour indique qu’une œuvre peut être copiée entièrement sans
que cela ait nécessairement comme effet de rendre l’utilisation
15. SOCAN, supra, note 2, par. 34.
16. CCH, supra, note 5, par. 55.
Commentaire d’arrêt : SOCAN c. BELL
237
inéquitable17. Dans l’affaire SOCAN, la Cour précise que l’« ampleur » réfère à la durée de l’extrait par rapport à l’œuvre entière
et non au nombre de consultations individuelles de l’extrait tel
que le soutiennent les demanderesses18. S’attacher à une analyse
en fonction de l’ampleur de l’utilisation globale risquerait de
mener à une condamnation récurrente des œuvres numériques
si faciles à consulter. Cette interprétation entraînerait un déséquilibre entre les œuvres numériques et les œuvres physiques, ce
qui contrevient au principe de la neutralité technologique19 selon
lequel l’Internet ne serait qu’un média comme un autre dans la
transmission des œuvres. Ainsi, la Cour conclut que d’accepter
les prétentions de la SOCAN reviendrait à admettre que le public
n’aurait pas le même accès aux œuvres numériques, consultées
beaucoup plus facilement que les œuvres physiques.
4- Solution de rechange. Il convient de se demander si l’objectif visé
aurait pu être atteint sans avoir recours à l’utilisation de l’œuvre
protégée20. En l’espèce, les demanderesses avancent l’idée que
dans la consultation préalable, le public ne devrait pas avoir
accès au son de l’extrait et devrait s’en remettre simplement à
l’image de la pochette, à une description écrite de l’œuvre ainsi
qu’aux commentaires des utilisateurs et à la publicité en général.
Cette avenue est écartée par la Cour, qui considère qu’aucune
de ces propositions n’équivaut à l’expérience par l’écoute du
morceau. Le but est de permettre à l’usager de faire un choix
éclairé. Les demanderesses avancent aussi l’argument que le
consommateur pourrait, après l’achat, procéder à un échange si
les chansons ne lui plaisent pas. Cette solution est jugée beaucoup trop incommode et compliquée.
5- La nature de l’œuvre. La nature confidentielle d’une œuvre
pourra faire conclure que son utilisation est inéquitable, alors
que l’usage d’une œuvre déjà publiée sur le marché sera moins
susceptible d’être ainsi jugée. Ce critère n’est toutefois pas des
plus déterminants21. Pour la SOCAN, les œuvres peuvent facilement être diffusées sans nécessairement avoir recours à l’écoute
préalable. La Cour répondra à cet argument dans le dernier point
d’analyse, l’effet de l’utilisation sur l’œuvre.
17.
18.
19.
20.
21.
Ibid., par. 56.
SOCAN, supra, note 2, par. 39.
Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363, par. 49.
CCH, supra, note 5, par. 57.
Ibid., par. 58.
238
Les Cahiers de propriété intellectuelle
6- Effet de l’utilisation sur l’œuvre. Il importe de tenir compte de
l’effet qu’aura l’utilisation sur l’œuvre, et plus particulièrement
sur la place qu’elle occupera sur le marché22. Comme l’indique la
Cour, l’effet de l’utilisation de courts extraits préalables à l’achat
est plutôt bénéfique à la diffusion et à la vente des pièces musicales. Comme pour les échantillons offerts au public, les extraits
donnent une idée du produit et incitent à l’achat, menant ainsi
à une rémunération plus grande de l’auteur ou du titulaire du
droit.
À la lumière de ces six critères, la Cour a confirmé le jugement
de la Commission.
3.
COMMENTAIRES
3.1
L’intérêt public
À notre avis, en restreignant l’exception pour utilisation équitable à des fins de recherche, on aurait grandement limité l’accès du
public, l’empêchant de participer à ce cycle continu de la « connaissance » et, ce faisant, on aurait manifestement agi contre son intérêt.
L’exception doit recevoir une interprétation large pour permettre
cette saine diffusion qui libère les œuvres du contrôle omnipotent de
leurs auteurs. Comme le mentionnent les auteurs Daniel J. Gervais
et Elizabeth F. Judge23 :
This approach of giving « research » a broad interpretation is
fully consonant with the interpretation […] according to which
fair dealing has a special status among copyright exceptions
[…] research, even when conducted by commercial entities or
for-profit, still qualifies as research for purposes of fair dealing.
La professeure Myra Tawfik abonde dans le même sens en
affirmant que « Sans un garde-fou approprié, la liberté d’expression,
la dissémination de l’information et l’avancement de la connaissance par l’éducation et la recherche pourraient être compromis »24.
[TRADUCTION]
L’arrêt SOCAN représente un bel exemple du type de revendications auxquelles ont mené des années d’application d’un régime
22. Ibid., par. 59.
23. Daniel GERVAIS et Elizabeth JUDGE, Intellectual Property: The Law in Canada,
2e éd. (Toronto, Carswell, 2011), p. 219.
24. Myra TAWFIK, « International Copyright Law: w[h]ither User Rights? », dans
Michael GEIST dir., In the Public Interest: The Future of Canadian Copyright
Law (Toronto, Irvin Law, 2005), p. 66, à la p. 72.
Commentaire d’arrêt : SOCAN c. BELL
239
dit naturaliste25 du droit d’auteur par les tribunaux canadiens. Selon
cette école, l’auteur possède un droit inaliénable dans la propriété
de son œuvre et ce, peu importe la balance des intérêts collectifs. Le
naturalisme est aussi étroitement associé à la protection des droits
fondamentaux, inhérents à la condition humaine. En 1985, le souscomité pour la révision du droit d’auteur l’exprimait très bien en ces
termes : « [o]wnership is ownership is ownership. The copyright owner
owns the intellectual works in the same sense as the landowner owns
land »26.
Cette vision du droit d’auteur comme un droit de propriété
paraît tout de même un peu sommaire. D’abord, il n’est pas évident
que les justifications pour la reconnaissance du droit de propriété sur
les biens tangibles s’appliquent aux biens incorporels comme la propriété intellectuelle27, ni que les règles de ce droit y soient adaptées28.
25. Carys J. CRAIG, « Locke, Labour and Limiting the Author’s Right: A Warning
Against a Lockean Approach to Copyright Law », (2002) 28 Queen’s Law Journal
1 [Craig].
26. Sub-Committee on the Revision of Copyright, A Charter of Rights for Creators
(Ottawa, Standing Committee on Communications and Culture, 1985), p. 9.
27. Voir William FISHER, « Theories of Intellectual Property », dans Stephen R.
MUNZER dir, New Essays in the Legal and Political Theory of Property (New York,
Cambridge University Press, 2001), p. 169. Voir aussi Seana SHIFFRIN, « Lockean
Theories of Intellectual Property », dans Stephen R. MUNZER dir, New Essays in
the Political Theory of Property (New York, Cambridge University Press, 2001),
p. 138 ; Contra Robert P. MERGES, Justifying Intellectual Property (Cambridge,
Harvard University Press, 2011), p. 5-6 ; Justin HUGHES, « The Philosophy of
Intellectual Property », (1988) 77 Georgetown Law Journal 287, 365.
28. Ainsi, dès 1948, l’économiste Friedrich von Hayek émettait des doutes :
« Where the law of property is concerned, it is not difficult to see that the simple
rules which are adequate to ordinary mobile “things” or “chattel” are not suitable
for indefinite extension. We need only turn to the problems which arise in connection with land, particularly with regard to urban land in modern large towns, in
order to realize that a conception of property which is based on the assumption
that the use of a particular item of property affects only the interests of its owner
breaks down. There can be no doubt that a good many, at least, of the problems
with which the modern town planner is concerned are genuine problems with
which governments or local authorities are bound to concern themselves. Unless
we can provide some guidance in fields like this about what are legitimate or
necessary government activities and what are its limits, we must not complain
if our views are not taken seriously when we oppose other kinds of less justified
“planning.”
The problem of the prevention of monopoly and the preservation of competition is
raised much more acutely in certain other fields to which the concept of property
has been extended only in recent times. I am thinking here of the extension of
the concept of property to such rights and privileges as patents for inventions,
copyright, trade-marks, and the like. It seems to me beyond doubt that in these
fields a slavish application of the concept of property as it has been developed
for material things has done a great deal to foster the growth of monopoly and
that here drastic reforms may be required if competition is to be made to work.
In the field of industrial patents in particular we shall have seriously to examine
240
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Même en acceptant la prémisse que la propriété intellectuelle
relève du régime de protection de la propriété, il faut souligner que
dans bien des systèmes juridiques, le droit de propriété n’est pas
absolu. Le Code civil du Québec le précise bien à l’article 947, en
indiquant que « la propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer
librement et complètement d’un bien, sous réserve des limites et des
conditions d’exercice fixées par la loi » [les italiques sont nôtres.]
En matière de droit d’auteur, une des limites clairement reconnues concerne la libre circulation des idées, car l’idée ne peut faire
l’objet d’un droit d’auteur29. On pourrait donc faire un parallèle entre
cette limite et celle imposée aux propriétaires riverains. Rappelons
l’article 981 C.c.Q. concernant la propriété immobilière, qui prescrit
qu’un propriétaire peut :
[…] pour ses besoins, se servir des eaux d’un lac, ou de tout
autre cours d’eau qui borde ou traverse son fonds. À la sortie
du fonds, il doit rendre ces eaux à leur cours ordinaire, sans
modification importante de la qualité et de la quantité de l’eau.
Il ne peut, par son usage, empêcher l’exercice des mêmes droits
par les autres personnes qui utilisent ces eaux. [Les italiques
sont nôtres.]
La propriété terrienne n’est donc pas, tout comme la propriété
intellectuelle, un droit hégémonique. Cette analogie nous amène à
penser que les droits du propriétaire du fonds, tout comme ceux du
propriétaire des droits sur l’œuvre, ne doivent pas être exercés de
manière à nuire aux droits des autres de jouir de la même qualité de
la matière première qui poursuit simplement son chemin. En d’autres
termes, on ne peut freiner la circulation des idées, des connaissances
et museler la culture. Comme le soutient Wendy Gordon : « [O]nce
a creator exposes her intellectual property to the public, and that
product influences the stream of culture and events, excluding the
public from access to it can harm »30. […] En d’autres mots, « [t]he
creator’s contribution adds so significantly to what was there that it is
whether the award of a monopoly privilege is really the most appropriate and
effective form of reward for the kind of risk-bearing which investment in scientific
research involves ». Friedrich von HAYEK, From Individualism and Economic
Order, (Chicago, The University of Chicago Press, 1948), p. 113-114.
29. Cuisenaire c. South West Import Limited, [1969] R.C.S. 208 ; Théberge, supra,
note 3 ; CCH, supra, note 4.
30. Wendy GORDON, « A Property Right in Self-Expression: Equality and Individualism in the Natural Law of Intellectual Property », (1993) 102 Yale Law Journal
1533, 1567.
Commentaire d’arrêt : SOCAN c. BELL
241
wrong to permit the creator to pull back what he or she contributed,
to remove it from circulation »31.
Des arrêts comme Bishop c. Stevens32 appuient la théorie
naturaliste en indiquant que l’objectif de la Loi est avant tout de
protéger l’auteur. Cette tendance est aujourd’hui contredite, autant
par la Cour33, qui insiste sur l’importance de la diffusion des œuvres et
de l’équilibre devant sous-tendre le régime de droit d’auteur, que par
la doctrine34, ou le législateur lui-même qui, en multipliant les réformes35, ouvre toujours la porte plus grande à de nouvelles exceptions.
La vision naturaliste lockéenne36 selon laquelle les auteurs ont
naturellement un droit absolu sur leurs créations et un contrôle total
sur l’utilisation de leurs œuvres ne trouve, à notre avis, de sens que si
elle est comprise en fonction de l’intérêt qu’ont les utilisateurs à avoir
accès à ces mêmes œuvres. Au contraire des biens de consommation
ordinaires, la propriété intellectuelle doit parfois être transcendée
par l’imposante responsabilité culturelle, ce dénominateur commun
qu’André Malraux décrit comme la « réponse à l’homme quand il se
demande ce qu’il fait sur terre »37.
De plus, considérer le droit d’auteur comme un droit « naturel »
ou lui conférer le statut de droit « fondamental » sans aucune limite
entraînerait une contradiction en droit canadien. Si l’on considérait
le droit d’auteur comme un droit fondamental, il serait logique d’envisager son ajout à la liste des droits fondamentaux de la Charte
canadienne des droits et libertés38 (la Charte), qui a précisément
comme mission de veiller à la protection de cette catégorie de droits.
Pourtant, la Charte elle-même nous enseigne que ces droits ne sont
pas absolus, qu’il est permis d’y déroger dans « […] des limites qui
soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans
le cadre d’une société libre et démocratique »39.
31. C’est ainsi que Robert P. Merges résume la pensée de Wendy Gordon : supra,
note 27, p. 53.
32. Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, par. 478-479.
33. SOCAN, supra, note 1, par. 22.
34. Abraham DRASSINOWER, « Taking User Rights Seriously », dans Michael GEIST
dir, In the Public Interest: The Future of Canadian Copyright Law (Toronto, Irvin
Law, 2005), p. 462, aux p. 477-478.
35. PL C-11, Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, 1e sess, 41e lég, 2012.
36. CRAIG, supra, note 25, p. 8.
37. André MALRAUX, La politique, la culture : discours, articles, entretiens (1925-1975)
(Paris, Gallimard, 1996), p. 323.
38. Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11.
39. Ibid., art 1.
242
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Même si ces droits fondamentaux doivent, selon les enseignements de la Cour suprême et de la doctrine, recevoir une interprétation large et libérale, on trouve des cas notoires où la Cour est
venue limiter la protection des droits fondamentaux au profit de
l’intérêt public. Il suffit de penser aux cas où les mesures contre la
pornographie juvénile40, la propagande haineuse41 ou l’encadrement
de la publicité télévisée destinée aux jeunes enfants42 ont été jugées
des limites raisonnables à la liberté d’expression. La Cour suprême
a même reconnu que le gouvernement disposait « d’une certaine
latitude » pour formuler les objectifs urgents et réels qui justifient la
suppression du droit fondamental43 et qu’il n’était tenu de prouver par
une preuve scientifique que sa mesure législative a un lien rationnel
avec son objectif44. Il est donc intéressant de noter que le combat
mené par les tenants d’une conception naturaliste du droit d’auteur
les mènerait, in fine, au résultat qu’ils redoutent.
Il est normal que les auteurs veuillent récolter le fruit de
leur labeur. Dans la même logique que l’entente à laquelle prend
part le breveté, l’auteur détient des droits exclusifs sur l’œuvre pour
une période de 50 ans après sa mort avant qu’elle ne tombe dans le
domaine public45. Ces 50 années représentent un obstacle de taille
dans une société où la diffusion de l’information est désormais une
question de physique quantique, se déplaçant toujours plus rapidement, toujours plus facilement, reliant les pôles les plus éloignés dans
une toile de réseaux et d’hyperliens. Devant cette multiplication et
cette démocratisation des canaux de diffusion, il sera de plus en plus
difficile de garder le contrôle sur une œuvre. Nous sommes peut-être
rendus à l’aube d’une ère nouvelle de « dépropriation »46. La Cour avait
donc le choix dans l’affaire SOCAN de serrer une vis d’Archimède et
de renouer avec une tradition naturaliste dépassée, ou bien d’assouplir
les règles et de se donner la marge dont elle aura besoin pour faire face
aux changements que seuls les utilisateurs seront maîtres d’initier.
La Cour a choisi le courant utilitariste.
Nous croyons qu’il était nécessaire de trouver le moyen d’ouvrir,
par une interprétation large et libérale, l’application des exceptions
comme celle de l’usage équitable aux fins de recherche, afin de ne pas
40.
41.
42.
43.
44.
R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45.
R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S 697.
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927.
Ibid., p. 990.
SHARPE, supra, note 40, par. 85 (une appréhension raisonnée d’un préjudice
suffit) ; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S 452, p. 504.
45. Loi sur le droit d’auteur, supra, note 3, art. 6.
46. Voir Marcus BOON, In Praise of Copying (Cambridge, Harvard University Press,
2010).
Commentaire d’arrêt : SOCAN c. BELL
243
basculer dans un clivage irréconciliable entre la Loi et la pratique.
En ce sens, l’adoption du « point de vue du consommateur »47 par la
Cour dans son analyse de l’utilisation de l’œuvre replace les variables là où elles devraient être dans l’équation du droit d’auteur. Les
entreprises tenteront, en parallèle, de mener leurs affaires dans les
sillons de la création et de la diffusion. Bien que ce commerce représente une importance certaine, l’équilibre doit être maintenu entre
les parties prenantes pour un développement durable, autant social
qu’économique de la Loi.
4.
CONCLUSION
En conclusion, dans ses motifs, la Cour adopte une définition
large et libérale de l’exception d’utilisation équitable pour fin de
recherche complétant ainsi un virage amorcé des années plus tôt
vers une conception utilitariste du régime de droit d’auteur. Cet arrêt
vient appuyer sur l’importance de rétablir le fragile équilibre entre
l’auteur et l’utilisateur, ainsi que sur le devoir de diffusion protégé
par la Loi. Il s’inscrit en continuité avec la direction de la Cour, du
législateur et de plusieurs auteurs. Ce faisant, la Cour reconnaît le
rôle grandissant qu’occupe l’utilisateur dans l’économie informationnelle contemporaine. Reste à savoir si les lobbys des industries
de l’édition, du film et de la musique sauront adopter des modèles
d’affaires qui s’harmoniseront avec ce nouvel équilibre entre le créateur et son public.
47. SOCAN, supra, note 2, par. 36.
Compte rendu
Codification of European
Copyright Law*
Mistrale Goudreau**
Codification européenne du droit d’auteur, uniformatisation ou
harmonisation à l’échelle du continent européen, l’idée a ses détracteurs. Quels seraient les avantages d’une telle approche et surtout
quels écueils faut-il affronter pour la mettre en place ? Alors que le
Traité de Lisbonne, en vigueur le 1er décembre 2009, a refaçonné l’armature institutionnelle de l’Union européenne et a donné une assise
expresse à la compétence des autorités européennes en matière de
droit d’auteur, le temps de la réflexion était certes venu. La Faculté
de droit de l’Université de Chypre en fit le thème d’une conférence
internationale qui eut lieu en avril 2011. Le présent ouvrage nous
livre les réflexions des auteurs éminents qui y participèrent.
L’ouvrage comporte quatre parties. La première porte sur les
méthodes d’harmonisation du droit d’auteur. Les parties subséquentes
font état des acquis et des failles de cette harmonisation et, dans la
dernière partie, les auteurs nous présentent leurs perspectives et
réflexions sur l’avenir de la codification européenne du droit d’auteur.
D’abord, il faut examiner avec soin les assises légales du droit
européen du droit d’auteur. Le professeur Theodore Georgopoulos1
nous présente le panorama de ces bases : le texte débute par un
examen des premiers textes, comme l’article 95 du Traité instituant
la Communauté européenne et l’article 36 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et un résumé de l’interprétation de
© Mistrale Goudreau, 2014.
* Tatiana-Eleni Synodinou, éd., Codification of European Copyright Law – Challenges
and Perspectives (Alphen aan den Rijn, Kluwer Law International, 2012), p. 408,
ISBN-10 : 9041141456.
** Professeure titulaire, Section de droit civil, Université d’Ottawa.
1. Dans le chapitre intitulé « The Legal Foundations of European Copyright Law ».
245
246
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ces textes par la Cour de justice de l’Union européenne. Il explique
comment ainsi a été reconnu aux autorités européennes un pouvoir
implicite d’intervenir en matière de droit d’auteur. Cette compétence,
qui finit par toucher presque tous les domaines de l’activité humaine,
demeurait tout de même liée à l’impact du droit d’auteur sur le marché
commun. Le Traité de Lisbonne a changé la donne en reconnaissant
expressément la compétence du Parlement européen et du Conseil
pour assurer une protection uniforme de la propriété intellectuelle.
Cela augure l’abandon des règles sur l’impact transnational des
droits de propriété intellectuelle ou des mécanismes de contrôle
décentralisés. Mais cette compétence n’est pas sans limite : les
questions linguistiques et culturelles, les revendications au titre des
droits fondamentaux sont autant de considérations qui demandent
un examen particulier, et qui traceront peut-être les frontières de la
compétence des autorités européennes.
Comment exercer cette compétence ? Dans le deuxième chapitre, le professeur Frank Gotzen2 s’intéresse aux stratégies du
législateur européen dans le domaine de l’harmonisation du droit
d’auteur. D’abord envisagé comme une question de politique nationale, le droit d’auteur a vite été perçu comme un rouage nécessaire
à l’établissement d’un marché commun et maintenant cadre bien
avec la mission plus large d’intégration de l’Union européenne. Les
tactiques d’harmonisation sont multiples : recours à des règlements,
à des directives, mais aussi à des formes de droit mou « soft-law »,
comme les recommandations. Par ailleurs, le temps est peut-être
venu d’adopter une approche plus globale. Le professeur Gotzen
envisage de multiples possibilités : créer un titre européen unitaire
de droit d’auteur, adopter un règlement européen se substituant
aux lois nationales ou mettre en place un code de droit d’auteur qui
se concentrerait sur les éléments centraux du droit d’auteur ou ne
comporterait pas de valeur contraignante quant aux sections traitant
de questions plus sensibles.
On peut être tenté de croire que ces questions plus sensibles,
où la résistance à l’uniformisation est plus forte, relèvent des traditions juridiques, des évolutions différentes du droit d’auteur dans ces
régimes. C’est le propos du troisième chapitre, dans lequel Dr Philippe
Jougleux3 aborde la question de la pluralité des systèmes juridiques
en droit d’auteur et se demande si cette pluralité est un obstacle
à la codification. L’auteur note, avec beaucoup de justesse, que la
2. Dans le chapitre intitulé « The European Legislator’s Strategy in the Field of
Copyright Harmonization ».
3. Dans le chapitre intitulé « The Plurality of Legal Systems in Copyright law:
An Obstacle to a European Codification? ».
Codification of European Copyright Law
247
codification n’est pas un phénomène réservé au droit continental, et
que les divergences entre droit civil et Common Law sont souvent
exagérées. On peut certainement déceler un rapprochement entre les
systèmes. Toutefois, pour discuter d’un droit commun de propriété
intellectuelle à l’échelle européenne, il faut écarter ou abandonner
certains principes, comme celui de la territorialité des droits, et cerner
le contenu approprié de la codification, quitte à adopter un processus
de codification par étapes.
Dans l’examen du développement d’un droit européen du droit
d’auteur, le rôle joué par le pouvoir judiciaire ne doit pas être négligé.
Le chapitre suivant, rédigé par la professeure Dionysia Kallinikou4,
s’intéresse aux politiques et pratiques de la Cour de Justice de l’Union
européenne en matière de propriété intellectuelle. Les instances
de l’Union européenne ont mis de l’avant l’importance d’un niveau
élevé de protection de la propriété intellectuelle, afin de promouvoir
la créativité dans l’intérêt des auteurs et autres titulaires de droit,
des consommateurs et du public en général. Cet objectif de haute
protection s’est reflété dans la jurisprudence de la Cour de justice
européenne. Mais il est aussi nécessaire de trouver un juste équilibre
entre la propriété intellectuelle et le respect des droits fondamentaux
et des intérêts des utilisateurs. Plusieurs décisions montrent bien que
la Cour partage ce souci de parvenir à un équilibre judicieux des droits
et intérêts de parties en cause. Le juge joue donc un rôle essentiel de
pondération, en application du principe de proportionnalité, principe
clé du droit communautaire.
La seconde partie est consacrée à l’étude des résultats atteints
dans le processus d’harmonisation, les acquis communautaires, dont
l’identification constitue le premier échelon d’un projet plus ambitieux
comme la codification. Or, tous les aspects du droit d’auteur n’en sont
pas au même stade.
Dans le cinquième chapitre, qui amorce cette seconde partie,
la professeure Tatiana-Eleni Synodinou5 explore le concept d’œuvre
originale, en faisant un rappel des thèses subjective (basée sur la
conception continentale du « droit d’auteur ») et objective (tirée de la
conception britannique) de l’originalité et en analysant la décision
Infopaq de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que certains
arrêts subséquents. Mais d’autres questions doivent être examinées :
la dichotomie idée/expression, la liste exhaustive ou non des catégo4. Dans le chapitre intitulé « CJEU Policy and Practice in the Field of European
Copyright Law ».
5. Dans le chapitre intitulé « The Foundations of the Concept of Work in European
Copyright Law ».
248
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ries d’œuvres protégées et le critère de fixation sont autant de zones
d’ombre qui pourront faire évoluer le concept d’œuvre. Des divergences
nationales sont à prévoir mais il faut constater qu’un processus de
création d’un concept commun d’œuvre est maintenant engagé.
Au chapitre sixième, Dre Agnès Lucas Schloetter6 aborde le
thème des droits économiques, le noyau de la protection légale des
auteurs. Les droits sont multiples, au nombre de huit, et les principaux, soit les droits de reproduction, distribution et communication
au public, suscitent bien des interrogations. Certaines questions sont
parfois bien techniques, comme celle de la reproduction temporaire,
qui traduit une vision terriblement technologique du droit d’auteur.
Les directives européennes ont certes laissé des marges de manœuvre
aux États membres, mais l’harmonisation semble complète pour plusieurs droits. Certains par contre, comme le droit de représentation
directe ou le droit d’adaptation, échappent encore étrangement au
processus d’uniformisation.
Le chapitre 7, écrit par le professeur Christophe Geiger et
Mme Franciska Schönherr7, traite des acquis européens en matière de
limitations ou exceptions au droit d’auteur. Le législateur européen a
porté peu d’attention à ces limitations, pourtant un élément essentiel
de l’équilibre des intérêts entre les créateurs et le public, et a opté,
notamment dans la Directive sur l’harmonisation de certains aspects
du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information,
pour des listes d’exceptions non obligatoires, laissant une marge de
manœuvre appréciable aux États membres. Aussi on constate une
grande diversité de mise en œuvre de la directive dans les législations nationales et bien des commentateurs se désolent de l’absence
d’un cadre cohérent des exceptions au droit d’auteur. Néanmoins
la directive a eu pour effet d’inciter plusieurs États à introduire de
nouvelles exceptions dans leurs législations ou à revoir leurs régimes
légaux de limitations. De son côté, la Cour de Justice ne s’est pas
prononcée en faveur d’un rééquilibrage des droits des titulaires et
des utilisateurs. Au contraire, elle semble avoir d’abord accepté le
principe de la primauté des droits exclusifs, réservant aux exceptions
la portée étroite qui découle de l’interprétation restrictive, ce que
certains ont considéré une attitude antidémocratique. Mais une autre
interprétation peut être avancée, qui pourrait s’appliquer tant aux
exceptions prévues dans la directive qu’au test en trois étapes, inscrit
à l’article 9(2) de la Convention de Berne, ou l’article 13 de l’Accord
6. Dans le chapitre intitulé « The Acquis Communautaire in the Area of Copyright
and Related Rights: Economic Rights ».
7. Dans le chapitre intitulé « Defining the Scope of Protection of Copyright in the EU:
the Need to Reconsider the Acquis Regarding Limitations and Exceptions ».
Codification of European Copyright Law
249
sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce (ADPIC), ou l’article 10 du Traité de l’OMPI sur le droit
d’auteur. Ainsi un groupe d’universitaires a élaboré une Déclaration
en vue d’une interprétation du « Test des trois étapes » respectant
les équilibres du droit d’auteur, qui propose une application souple
des exceptions, sans établissement d’ordre de priorité, qui tiendrait
compte des intérêts de tierces parties, et suivrait une interprétation
en fonction des circonstances et des buts et objectifs de chaque
exception. C’est par le biais de l’interprétation par les tribunaux, qui
utiliseront les principes généraux du droit de l’Union européenne et
les droits fondamentaux que l’harmonisation pourrait se réaliser. De
plus, une reformulation des exceptions dans les législations nationales
et une modification des ententes contractuelles pourrait à moyen
terme résoudre les problèmes immédiats. À long terme, concluent
les auteurs, il faudrait envisager une approche plus globale, comme
l’adoption d’un code du droit d’auteur qui allie flexibilité et cohérence.
Le chapitre 8, sous la plume du professeur Heiki Pisuke8, est
consacré à la durée des droits d’auteur et droits voisins. Après un
rappel du contexte historique, cette section fait état de la controverse qui a entouré la proposition d’étendre la durée de protection
à 95 ans, de la diversité d’opinions à ce sujet, et de la forte réaction
de la communauté universitaire. Durée perpétuelle, ou durée zéro,
ou durée optimale qui dans une perspective économique stimulera
la création, que prôner ? Ou bien devrait-on, comme le prétendent
certains, revenir aux sources et choisir le 14 ans de protection adopté
dans le Copyright Act de 1709, première loi sur le droit d’auteur ?
Chose certaine, la solution devrait être de choisir la durée la plus
équitable pour l’ensemble des parties prenantes, durée qui ne devrait
pas discréditer le régime de droit d’auteur aux yeux du public et des
consommateurs de biens culturels.
Enfin, une harmonisation des régimes de protection restera
lettre morte si les titulaires ne sont pas pourvus des moyens de faire
respecter leurs droits. Le chapitre 9, sous la plume de la professeure
Pilar Cámara Águila9, aborde la question des moyens de protéger la
propriété intellectuelle, notamment le droit d’obtenir de l’information
sur l’identité d’un contrefacteur, qui doit être interprété de manière à
ne pas porter atteinte au droit à la vie privée. Il faut donc prendre en
considération le rôle des intermédiaires et ainsi déterminer le type de
mesures qui peuvent être prises contre eux. Et quelle est la portée de
ce droit à l’information ; existe-t-il dans le cadre de procédures anté8. Dans le chapitre intitulé « Duration of Copyright and Related Rights ».
9. Dans le chapitre intitulé « Enforcement of IPRs ».
250
Les Cahiers de propriété intellectuelle
rieures à l’action en justice, vise-t-il uniquement l’entreprise œuvrant
à l’échelle commerciale, ou concerne-t-il également l’utilisateur final
de bonne foi ? Le chapitre étudie aussi les sanctions économiques,
comme la condamnation à des dommages-intérêts ou la remise des
profits, tant dans la perspective d’une méthode compensatoire, que
dans celle d’une mesure visant à dissuader de potentiels contrefacteurs.
La troisième partie du livre se concentre sur les secteurs où le
processus d’harmonisation ne s’est pas enclenché. Dans le chapitre 10,
le professeur Antoon Quaedvlieg10 étudie les questions de la titularité,
questions que le législateur européen a intentionnellement peu harmonisées. Qui est l’« auteur » d’une œuvre ? Qui devrait être titulaire
des droits économiques ou moraux, dans une œuvre commandée, ou
exécutée dans un contrat d’emploi, ou issue d’un effort collectif ? Le
texte passe en revue les dispositions particulières applicables aux
logiciels, aux bases de données et aux œuvres cinématographiques.
Il met judicieusement en opposition la théorie de la « protection du
créateur » et la logique mercantile qui vise à sauvegarder les intérêts
des entrepreneurs et à stimuler la création de l’information. Constatant la grande confusion qui existe présentement dans ce domaine,
l’auteur suggère quelques avenues pour une intervention future des
autorités européennes.
Dans le chapitre 11 consacré aux droits moraux, Dr Ioannis
Kikkis11, soutient la thèse du caractère inévitable de leur harmonisation et met en lumière les défis qui se dresseront nécessairement
sur ce chemin de l’harmonisation : quelle est la nature de ces droits ?
Quelle durée doit-on leur reconnaître ? Peut-on y renoncer ? C’est la
reconnaissance des droits moraux qui assure la légitimité du droit
d’auteur et il faut, comme l’explique l’auteur, veiller à leur sauvegarde,
particulièrement dans le contexte de l’environnement numérique
actuel, fertile en situations où l’on pourrait abuser des œuvres des
créateurs.
Dre Silke von Lewinski12, au chapitre 12, traite des contrats
de droits d’auteur et passe en revue les diverses règles de droit
européen qui, soit mettent un frein au transfert des droits dans le
but de protéger les intérêts financiers des auteurs, soit créent des
présomptions de transfert de droits en faveur des entrepreneurs.
D’autres règles restreignent la liberté contractuelle pour préserver
10. Dans le chapitre intitulé « Authorship and Ownership: Authors, Entrepreneurs
and Rights ».
11. Dans le chapitre intitulé « Moral Rights ».
12. Dans le chapitre intitulé « Copyright Contracts ».
Codification of European Copyright Law
251
les droits des usagers. Les dispositions règlent des cas particuliers et
on ne peut pas vraiment discerner de logique ou tendance générale.
Mais une plus grande harmonisation n’est peut-être pas souhaitable
en cette matière, si l’on veut respecter les traditions juridiques des
États membres et agir dans les limites de la compétence des autorités
européennes.
Le chapitre 13, rédigé par le professeur Jacques de Werra13,
appuie la thèse contraire en s’intéressant cette fois à la réglementation
des transactions de droit d’auteur dans la perspective du problème
des coûts transactionnels et étudie diverses options : établissement
de licences globales, éclaircissement de certaines règles, notamment
du principe d’épuisement des droits dans le contexte des licences,
meilleur encadrement du contrat de licence, plus grande ouverture
aux modes alternatifs de règlement des conflits. Voilà, selon le professeur de Werra, autant de questions qui militent en faveur d’un
encadrement cohérent des transactions de droit d’auteur.
Les deux chapitres suivants illustrent combien les problématiques du droit d’auteur sont reliées à la technologie. Le professeur
Ioannis Iglezakis14 présente dans le chapitre 14 les diverses stratégies européennes pour lutter contre le piratage en ligne. Décrivant
les poursuites intentées contre les internautes qui s’échangent des
fichiers entre pairs, l’auteur aborde la question du droit à la vie
privée des internautes, dont les fournisseurs de service Internet
livrent l’identité ou qui installent des systèmes de filtrage. L’auteur
passe en revue les diverses décisions rendues par la Cour de justice
européenne à ce sujet, notamment celles qui opinent que les États
membres n’ont pas l’obligation de forcer les fournisseurs de services
Internet à révéler l’identité de leurs souscripteurs, mais n’en sont pas
non plus empêchés, ou celles qui proscrivent l’emploi systématique
de filtres ou de systèmes de surveillance des internautes. L’auteur
présente aussi le régime de réponse graduée instauré en France par
les lois HADOPI et prêche en faveur de mesures plus agressives contre
le piratage en ligne, estimant utopiques les propositions de régimes
de licences globales avec compensation.
Au chapitre 15, la professeure Carine Bernault15 se concentre
sur l’objectif d’interopérabilité adopté par les autorités européennes
et décrit les quelques mesures prises pour s’assurer que l’exercice du
13. Dans le chapitre intitulé « An Essential Brick in the Building of European Copyright: Regulation of Copyright Transactions ».
14. Dans le chapitre intitulé « The Legal Struggle in the EU against Online Piracy ».
15. Dans le chapitre intitulé « Interoperability and European Copyright Law Codification ».
252
Les Cahiers de propriété intellectuelle
droit d’auteur ne nuise pas à cet objectif. Pour traiter du sujet, l’auteur
identifie les questions clés : d’abord, le droit d’auteur est-il réellement
concerné ? Est-ce plutôt une question de droit de la concurrence ? Les
questions de droit concurrentiel ont-elles une place dans un code de
droit d’auteur ? Et si oui, ne faudrait-il pas aussi inclure dans ce code
d’autres secteurs qui interagissent avec le droit d’auteur ?
Comme nous l’avons écrit précédemment, dans la dernière
partie, les auteurs nous présentent leurs perspectives et réflexions
sur la codification européenne du droit d’auteur. D’abord, le professeur
Paul C. Torremans16 nous livre une étude comparative fort détaillée
du « fair use » américain et britannique. Liste exhaustive d’exceptions
précises ou concept ouvert d’usage équitable, ni l’une ni l’autre de
ces options n’est un remède miracle. Mais l’introduction du concept
américain cadre mal avec la vision européenne et britannique du
droit d’auteur ; une redéfinition des exceptions d’utilisation équitable
reflétant les valeurs européennes, comme proposée par certains, serait
plus judicieuse.
Le 17e chapitre, sous la plume du professeur P. Bernt Hugenholtz , est consacré au projet du Groupe Wittem sur le Code européen
du droit d’auteur. Le projet a été amorcé en 2002 par un groupe
d’universitaires européens préoccupés par l’avenir du droit d’auteur
en Europe. Leur objectif était de formuler les principes juridiques de
base de manière à promouvoir la transparence et la cohérence en droit
d’auteur européen. Le professeur Hugenholtz nous livre l’essentiel
du projet. Le code concilie tant la vision du droit civil que celle de la
Common Law, tient compte des normes substantielles des conventions
internationales et prend en considération les acquis communautaires,
bien qu’il en déroge à l’occasion. Chaque chapitre du code (les œuvres,
l’auteur et le titulaire, les droits moraux, les droits économiques, les
limites) est présenté, et le professeur Hugenholtz nous explique les
raisons de certaines omissions, comme celle concernant le droit de
suite ou les mesures de protection technique, puisque ces aspects ne
relèvent pas de l’essence du droit d’auteur. Les motifs ayant présidé
à l’adoption des principes sont expliqués, notamment au chapitre des
exceptions qui sont présentées sous une forme logique et cohérente. Le
code, s’il n’a pas été conçu comme une loi modèle, peut certainement
servir à cette fin.
17
16. Dans le chapitre intitulé « The Perspective of the Introduction of a European Fair
Use Clause ».
17. Dans le chapitre intitulé « The Wittem Group’s European Copyright Code ».
Codification of European Copyright Law
253
Au 18e chapitre, le professeur Reto Hilty18 explique qu’une
codification unitaire du droit d’auteur européen est non seulement
possible ou souhaitable, mais en fait nécessaire. La forte concurrence
des autres zones économiques, américaine ou chinoise, les problèmes
causés par la dissémination des œuvres par Internet, le mélange
hétérogène des systèmes de gestion collective, sont autant de raisons
pour soutenir cette option de législation européenne. La mise en place
du système pourrait comprendre quatre niveaux d’intervention, sous
la forme de a) un Règlement directement applicable, b) des législations
nationales sujettes à harmonisation sur certains points, c) une codification qui demeurerait une simple recommandation, et d) des lois sur
le droit d’auteur sous la responsabilité des États membres. Les aspects
qui sont au cœur du droit d’auteur devraient relever du Règlement
alors que d’autres questions, comme les contrats ou les activités des
sociétés de gestions, pourraient faire l’objet d’une compétence mixte.
Enfin, le professeur André Lucas19 dresse le tableau des arguments pour ou contre la codification : le code ne serait pas nécessaire
pour réaliser le marché commun, serait impossible vu les différences nationales et risquerait de niveler vers le bas la protection des
auteurs. Et pourtant, les particularités nationales continuent de créer
des distorsions sur le marché, les différences nationales sont certes
des obstacles mais non des raisons d’abandonner le projet et il faut
continuer à lutter contre les approches nationales trop prudentes.
Mais quels principes faut-il intégrer dans cette codification ? Le
professeur Lucas revient sur le sujet du projet Wittem et nous livre
quelques observations critiques. Par exemple, concernant les règles
d’attribution du statut d’auteur, il s’interroge sur le bien-fondé de
l’exclusion des personnes morales. Le sort réservé aux employés
auteurs lui semble également problématique. Le professeur Lucas
questionne aussi le traitement réservé au droit moral. Il n’y a pas
lieu d’adopter une règle d’extinction du droit de divulgation à la mort
de l’auteur, ou la possibilité d’une renonciation anticipée au droit à
l’intégrité de l’œuvre. La prise en compte de l’intérêt du public dans
la dynamique de l’exercice du droit moral est aussi peu judicieuse.
Enfin, faut-il une liste ouverte ou limitative des droits économiques ou
des limitations ? Certains choix opérés dans le Code Wittem ne sont
pas en harmonie avec les philosophies continentales et pourraient
laisser trop de latitude aux tribunaux. Or l’arbitrage politique devrait
relever des législateurs élus et non des magistrats.
18. Dans le chapitre intitulé « Reflections on a European Copyright Codification ».
19. Dans le chapitre intitulé « European Copyright Codification ».
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Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ce bref survol des contributions de chacun nous permet de
voir la richesse de l’analyse du projet de codification contenue dans
l’ouvrage. Sur le plan documentaire, le livre est indéniablement
un outil précieux : il dresse un portrait instantané de la protection
européenne du droit d’auteur, et constitue une mine inestimable d’information pour tous ceux qui veulent se renseigner sur la question.
On y reconnaît toute la force d’analyse et de synthèse de la doctrine.
Mais en fait, l’ouvrage dépasse largement la question de la
codification des règles de droit en la matière. C’est tout le régime
de protection du droit d’auteur qui est cité à procès. Les créations
sont-elles le produit d’un investissement financier ou le reflet d’une
personnalité, celle du créateur ? Le droit d’auteur sert-il simplement
à stimuler la création de l’information et la croissance économique ?
Les règles de droit, qui oscillent entre la logique mercantile et l’idéal
humaniste, montrent bien les hésitations, tant des autorités européennes que des différents législateurs nationaux. Et le débat n’est pas
uniquement européen. Le livre offre en fait au lecteur une multitude
de pistes de réflexion qui vont bien au-delà d’une éventuelle codification européenne. J’en évoquerai quelques-unes à titre illustratif.
Quelle est la relation entre le droit d’auteur et la culture ?
Peut-on bâtir un régime centralisé ou au contraire, le droit d’auteur
est-il appelé à se façonner au contact des particularités culturelles
nationales ? Par exemple, le « fair use » est-il intrinsèquement américain ou est-ce une exception exportable dans d’autres législations ?
Alors que de plus en plus de conventions internationales encadrent
la protection des droits d’auteur, leur dimension culturelle régionale
pose problème.
Et sur le plan culturel, quelle place occupe le droit d’auteur ?
Est-il un droit de la personne, ou un droit fondamental, ou une
sous-catégorie du droit de propriété, lui-même protégé comme droit
fondamental à l’article 17 de La Charte des Droits fondamentaux de
l’Union européenne ? S’il s’agit d’un droit fondamental, on s’attendrait
à un traitement uniforme dans tous les pays européens et pourtant
l’ouvrage montre bien des variations importantes dans plusieurs
secteurs, notamment au niveau de la titularité. Pourrait-il s’agir d’un
de ces droits, inscrits dans une charte des droits, mais qui reflète
en fait un compromis politique20 ? D’autre part, est-ce que sa recon20. Comme le sont au Canada les droits linguistiques : voir notamment à ce sujet
la décision de la Cour suprême du Canada dans Procureur général du Québec
c. Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66. Cela ne
signifie pas qu’il faut les interpréter différemment des autres droits fondamentaux. Comme l’écrivait le juge Lebel, « […] même s’ils expriment un compromis
Codification of European Copyright Law
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naissance comme droit fondamental favorisera son harmonisation ?
Celle-ci tombe-t-elle sous la compétence des tribunaux, qui sont par
nécessité les garants des droits de la personne, qu’il faut mettre à
l’abri de la tyrannie des majorités démocratiques, ou faut-il voir le
droit d’auteur comme un sujet d’ordre socioéconomique, relevant de
l’arbitrage des parlements ?
Et même une reconnaissance au titre de droit fondamental ne
garantit pas une protection absolue. Les limitations ou les exceptions
sont de mise, pour les droits de la personne comme pour les autres
droits. Et comme toutes les exceptions, elles doivent recevoir l’interprétation que demande leur but dans le contexte. Il faut abandonner
l’automatisme de l’interprétation restrictive des exceptions21, car il n’y
a « pas de lien nécessaire entre le caractère exceptionnel d’un texte
et son interprétation stricte ou restrictive »22. Même l’exception peut
appeler à l’occasion l’application a pari23. Il faut donc dessiner les
exceptions de manière à répondre aux besoins légitimes du public,
et aussi laisser aux tribunaux le soin d’adapter les dispositions aux
nouvelles réalités, constamment redéfinies par les développements
technologiques. Mais, comme le démontrent magistralement les
contributeurs de ce livre, la tâche du législateur et des magistrats
n’est ni simple, ni facile. Le défi majeur est de trouver ce juste équilibre entre les intérêts divergents des auteurs et du public. Ce livre,
qui nous décrit le projet de codification du droit d’auteur européen,
jette judicieusement les bases d’une réflexion solide sur la question.
politique, les droits linguistiques garantis doivent recevoir une interprétation
large, libérale et compatible avec l’objet identifié, tout comme les autres droits
constitutionnalisés par la Charte [notes omises] ». Nguyen c. Québec (Éducation,
Loisir et Sport), [2009] 3 R.C.S. 208, par. 26.
21. Jean Carbonnier (note sous Besançon, 19 avril 1951, D.1951.705) s’étonnait de
l’entêtement des juristes à cet égard : « Quand voudra-t-on bien reconnaître que,
ce que l’on nomme des exceptions, dans les sciences juridiques, ce sont des règles
de droit comme les autres, qui ont vocation à régir des séries déterminées de cas
et qui doivent, dans ces séries, être appliquées pleinement, en conformité de leur
but ? ».
22. Alain-François BISSON, « L’interprétation adéquate des lois », dans E. CAPARROS
et al., Mélanges Louis-Philippe Pigeon (Montréal, Wilson & Lafleur, 1989), p. 87,
à la p. 98.
23. Charles BROCHER, Études sur les principes généraux de l’interprétation des
lois (Paris, Thorin, 1870), p. 177 : « Il ne résulte pas de ce que les dispositions
exceptionnelles ne sont pas, en général, susceptibles d’être invoquées par analogie, qu’elles doivent toujours être prises dans leur sens le plus restreint, et ne
jamais être invoquées en dehors des termes qu’elles renferment. Si l’on trouve
manifestement quelque part dans la loi l’intention du législateur de soumettre
un cas à une disposition dans laquelle il ne se trouve pas compris, cette extension
doit avoir lieu, bien qu’il s’agisse d’une disposition exceptionnelle ».