« Ingénieur après un BTS, c`est possib

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« Ingénieur après un BTS, c`est possib
REGARD D’ACTEURs
« Ingénieur après un BTS,
Interview de Christine Quiot et Françoise Rouhet [1] par Stéphane GASTON
Largement méconnue, y compris des enseignants en STS, directement
concernés, c’est pourtant la prépa qui ouvre le plus de classes en France
actuellement – six en deux ans. Deux enseignantes nous font partager leur
attachement à cette autre voie d’excellence qu’est la prépa ATS (Adaptation
Technicien Supérieur).
Stéphane Gaston : Qu’est-ce
que la prépa ATS, et comment
y êtes-vous arrivées ?
Françoise Rouhet : C’est une classe
préparatoire aux grandes écoles (CPGE)
qui ne dure qu’un an et permet avec un
BTS ou un DUT d’intégrer une école
d’ingénieurs. Cette intégration peut se
faire sur un concours spécifique ATS
[voir « Le concours ATS 2010 en chiffres » en encadré], ou par voie d’accès
BTS-DUT ou encore sur dossier.
Personnellement, après une agrégation de physique appliquée, j’ai enseigné
en STS électronique, puis un poste s’est
libéré au lycée Jacquard, et l’occasion
s’est présentée à moi d’enseigner en
prépa ATS, à titre expérimental, dès
sa création en 1987.
Le concours ATS 2010 en chiffres
● 616 candidats en 2010 issus des 24 classes
préparatoires ATS. 303 possédaient un bac
STI, 270 un bac S, 18 un bac STL et 25 un
autre bac.
● 35 écoles (ou filières) regroupées au sein
du concours ATS pour proposer 287 places
et intégrer 192 candidats.
● 44 % de boursiers parmi les candidats.
● 185 € le coût d’inscription moyen, 98 €
pour un boursier.
Source : service concours de l’ENSEA, Rapport
de jury, concours ATS, session 2010
www.concours-ensea.org/concours/
ats/annales/2010/RapportJury.pdf
[1] Professeurs agrégés, respectivement de
mathématiques et de physique appliquée,
au lycée des métiers Jacquard de Paris
(75019).
[2] il existe 4 niveaux en mathématiques pour
les BTS, appelés groupements : A, B, C et D,
A étant le plus élevé.
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mots-clés lycée
technologique,
postbac
Christine Quiot : Pour ma part,
venant d’un milieu ouvrier, j’ai passé
le concours IPES afin de percevoir
un salaire pendant mes études, ce
qui m’engageait à enseigner dix ans
(moins le temps des études) dans un
établissement public. Après diverses
expériences, sur proposition d’un inspecteur, j’ai remplacé un collègue en
cours d’année en prépa ATS.
S. G. : Combien avez-vous
d’étudiants ? Quelle est leur
formation ?
C. Q. : Depuis quelques années, nous
avons environ 40 étudiants inscrits,
40 % détenant un DUT et 60 % un BTS.
Il faut signaler une grande disparité
entre les étudiants issus par exemple
de BTS MAI de groupement B[2] et ceux
issus de DUT de mesures physiques.
Une structure d’aide :
Passeport Avenir
L’association Passeport Avenir a été créée
en 2005 par SFR, et depuis de nombreuses
sociétés de télécoms y ont adhéré. Son
but est de faciliter l’accès au monde
professionnel des jeunes titulaire de BTS
issus de milieux modestes, en leur offrant un
accompagnement aux différents moments
clés de leur vie d’étudiants. Pour les classes
prépa, il s’agit d’une découverte du monde
de l’entreprise et d’une préparation à l’entrée
en école d’ingénieurs sous la forme d’un
tutorat assuré par des tuteurs volontaires,
cadres des entreprises partenaires. Cet
accompagnement individuel peut se
compléter de cours d’anglais par téléphone
ou d’aides matérielles et financières, et se
poursuit au cours des études en école
d’ingénieurs.
www.passeport-avenir.com
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Elle s’explique par le niveau en mathématiques. On constate, globalement,
un niveau en maths plus élevé pour
les électriciens. Les mathématiques
sont importantes puisqu’elles sont à
la fois une discipline et un outil pour
d’autres disciplines.
F. R. : La difficulté réside donc dans la
grande hétérogénéité de la classe. En
revanche, la réussite est principalement
liée à la motivation et à la personnalité de l’étudiant. Par exemple, une
jeune fille avec un BTS d’arts appliqués que nous avions acceptée malgré
son faible niveau en mathématiques a
fini major de sa promotion, à force de
travail. Cependant, on ne peut parfois
rien faire face à des situations personnelles trop difficiles.
S. G. : Quelle est votre stratégie
pédagogique ?
F. R. : Je sais que chaque année un
grand nombre d’étudiants n’ont jamais
fait de chimie, de mécanique ou de
thermodynamique. Quel que soit le
domaine abordé, je dois repartir à
zéro. Je redéfinis tout, mais je dois
malgré tout aller vite.
C. Q. : Nous insistons beaucoup sur
le A d’ATS, sur l’adaptation. Avoir le
BTS c’est une chose, mais les étudiants
postuleront à des postes d’ingénieurs,
ils doivent par conséquent pouvoir
s’adapter à leur environnement de
travail, à différentes façons de raisonner. Pour ma part, je commence
toujours par l’histoire des mathématiques, un voyage dans le temps et
les cultures.
Tout notre enseignement est tourné
vers la réflexion, le raisonnement, comment analyser un problème, faire une
synthèse. Nous leur demandons tout le
temps « Pourquoi faites-vous cela ? »
durant les premières semaines de
colles. Au bout de quelques semaines,
ce n’est plus nécessaire. Les colles leur
apprennent à construire des phrases,
un raisonnement, une explication.
c’est possible ! »
les répétitions. Sans doute arrêter les
petits boulots, qui sont assez incompatibles avec les nuits de sommeil et
le travail personnel. La nouveauté,
pour beaucoup, c’est qu’il faut travailler tous les soirs. Ils se découvrent
durant cette année, ils ne pensaient
pas qu’ils avaient une telle capacité
de travail. Et ils découvrent aussi le
plaisir de travailler.
Cette année d’ATS les oblige à aller
au bout d’eux-mêmes. Les premières
semaines sont décisives, ceux qui sont
venus sans but précis décrochent très
vite, compte tenu du rythme de travail exigé.
■ Christine Quiot et Françoise Rouhet
Et nous sommes surtout une équipe
très soudée, nous avons la même
conception de l’enseignement. Seulement six professeurs interviennent
sur cette classe. Nous communiquons
beaucoup, d’un cours à l’autre nous
signalons rapidement une absence,
un comportement. Nous intervenons chacune de 10 à 14 heures par
semaine avec eux – ce qui est considérable, mais nous aimons nos étudiants. Nous sommes exigeantes, mais
bienveillantes.
S. G. : Comment entretenez-vous
la motivation des étudiants ?
F. R. : On s’appuie sur les résultats
des anciens. En permanence sont affichés au mur les résultats des 4 ou 5
dernières promotions, à savoir, pour
chaque candidat : son bac, son diplôme
à bac + 2, l’école qu’il a intégrée, son
métier et enfin son salaire. Le salaire
est un élément très motivant. La carte
de France des écoles qu’ils peuvent
intégrer est également affichée. À la
Toussaint, on leur distribue un polycopié d’une douzaine de pages sur
toutes les écoles qui acceptent des
ATS quel que soit le mode de recrutement. Ils peuvent alors se renseigner
et choisir celles qui les intéressent.
Cela leur fixe un objectif.
Une réunion a lieu en décembre avec
des anciens, de l’année précédente
ou de promotions plus ­lointaines ; ils
peuvent donc discuter avec quelqu’un
qui a intégré une des écoles de leur
choix, qui va leur donner des astuces,
des conseils. En janvier, à la fin du
1er semestre, lorsque tombe le premier
classement, nous leur demandons
d’être plus réalistes et d’affiner leur
choix d’écoles au regard de leur
niveau.
On essaie aussi de créer un esprit de
classe. Compte tenu de leurs origines
différentes, il est bon qu’ils puissent se
soutenir et s’aider les uns les autres
en fonction de leurs points forts. En
formant les groupes d’étudiants qui
prépareront ensemble les colles, on
favorise la mixité culturelle : un électricien, un mécanicien et un d’une
autre origine. On leur explique aussi
que même le dernier (de ceux qui
ont travaillé jusqu’à la fin) peut intégrer une école. Il suffit de consulter
­l’affichage des résultats.
S. G. : Quelles concessions
les étudiants doivent-ils faire ?
C. Q. : Mettre entre parenthèses leurs
loisirs pendant un an : pour les sportifs, arrêter la compétition à haut
niveau, pour les musiciens diminuer
S. G. : Que voudriez-vous dire
aux professeurs de STS qui vous
liront ?
F. R. : Devenir ingénieur après un
BTS, c’est possible ! Nous sommes
étonnées par la méconnaissance de
cette classe par certains de nos collègues de BTS. Beaucoup ne savent
même pas qu’elle existe.
C. Q. : Nous pensons que beaucoup
de professeurs de BTS s’autocensurent et s’imaginent que leurs élèves
n’ont pas le niveau. Mais cette prépa
est adaptée à ce public spécifique. Il
faut un petit niveau en mathématiques, ne pas être complètement bloqué
par l’abstraction, et, avant tout, être
sérieux et motivé. Mais les étudiants
sont très lucides quant à leur situation et leurs capacités. n
En ligne
Le site du lycée Jacquard :
www.lycee-jacquard.org
Le site des anciens de prépa ATS du lycée Jacquard :
http://anciens.ats.jacquard.free.fr
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