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Création d’un fonds pour réaliser la neutralité dans la
dégradation des terres
Réhabiliter des terres au profit de nouveaux territoires
financiers ?
Document de discussion, suite à diverses entrevues et discussions le 23 juillet à Paris, lors de la COP12 à Ankara et le 27
novembre à Paris, Benoit Ivars, Adeline Derkimba, Patrice Burger
I.
Contexte
Lutter contre la dégradation des terres est désormais reconnu comme un impératif pour faire
face aux différentes formes de réduction du capital naturel dont la fertilité et la productivité
des sols. Le phénomène de dégradation des terres conduit par ailleurs à un épuisement
progressif des fonctions et des services rendus par les écosystèmes, lesquels affectent
directement la sécurité alimentaire et le développement dans le cadre de la lutte contre le
changement climatique. En effet la dégradation des terres participe à l’émission des gaz à
effet de serre, alors qu’une autre forme de gestion permettrait au contraire de séquestrer du
carbone en excédent. Afin de répondre à ces enjeux, la Convention des Nations Unies sur la
Lutte contre la Désertification (CNULD) a mis en avant, en amont de la conférence de
Rio+201, un objectif ou cible chiffré(e) permettant d’atteindre un taux net nul en matière de
dégradation des terres (ZNLD) qui serait atteint(e) (a) en gérant les terres de manière plus
durable, ce qui réduirait le taux de dégradation ; et (b) en augmentant le taux de
réhabilitation des terres dégradées de façon à ce que les tendances convergent pour
atteindre un taux net nul de dégradation des terres.
Le concept est en partie repris dans les objectifs de développement durable (ODD), avec
l’objectif 15 et sa cible 15.32 qui visent à un monde neutre en termes de dégradation des
terres (Land Degradation Neutral World). Par ailleurs le concept de Land Degradation
Neutrality (LDN)3 a été adopté comme objectif et une définition a été validée lors de la 12ème
conférence des Parties de la Convention Désertification4 (CNULD) à Ankara en octobre
2015. Cette dernière décision offre un cadre opérationnel afin d’atteindre la neutralité au
niveau global. L’objectif à long terme est d’obtenir de la part des pays parties de la CNULD
des engagements volontaires en matière de LDN. En parallèle, la CNULD a entrepris, dès
2014 et par le biais du Mécanisme Mondial, un projet de création de fonds d’investissement
dédié ou fonds LDN (Land Degradation Neutrality Fund). Ce fonds a été officiellement
annoncé lors de la vingt-et-unième Conférence des parties de l’UNFCCC à Paris (COP21)
dans le cadre d’un protocole d’entente signé entre le Mécanisme Mondial, organe de la
CNULD, et Mirova5, une société de gestion dédiée à l’investissement responsable.
1
https://rio20.un.org/sites/rio20.un.org/files/a-conf.216-l-1_french.pdf.pdf article 205 à 209
http://www.undp.org/content/undp/fr/home/mdgoverview/post-2015-development-agenda.html
3
concernant l'évolution des différents concepts, voir Derkimba A. et Cornet A., 2015, Vers la réalisation de la
neutralité en matière de dégradation des terres, note CARI - CSFD/IRD,
http://gtdesertification.org/IMG/pdf/Article_LDN_Fr.pdf
4
http://www.unccd.int/en/about-the-convention/officialdocuments/Pages/SymbolDetail.aspx?k=ICCD/COP(12)/20&ctx=COP(12)
5
https://www.natixis.com/natixis/upload/docs/application/pdf/201512/151202_ldn_fund_mirova_unccd_fr.pdf
2
II.
La mise en place d’un fonds pour la neutralité en matière de
dégradation des terres
La création d’un fonds spécifique LDN se base sur un constat de faiblesse des
investissements dans le domaine des terres et pose le postulat d’une possible mobilisation
du secteur privé pour y faire face (CNULD, 2015). La société Mirova a remporté l’appel
d’offres lancé par le Mécanisme Mondial visant à identifier un gestionnaire pour le fonds.
Mirova s’est engagée, en partenariat avec la CNULD, sur un objectif de structuration du
fonds au cours de l’année 2016 avec un lancement effectif anticipé pour décembre 2016
(CNULD and Mirova, 2015). Ce travail de structuration consisterait en une identification des
projets financièrement viables, à la définition des critères d’éligibilité pour l’accès aux
financements, ainsi que des conditions à appliquer pour mesurer les impacts
environnementaux, économiques et sociaux des projets financés par le fonds.
Le fonds avait initialement pour seul objectif la restauration de terres dégradées, mais il
semble désormais acquis que les perspectives aient été étendues à l’ensemble de la
séquence « éviter, réduire, restaurer ». Economiquement, le fonds repose toutefois sur
l’hypothèse selon laquelle la gestion durable des terres, une fois celles-ci en bon état de
fonctionnement, permettrait de tirer un revenu suffisant afin de rembourser les
investissements réalisés. Le projet de fonds devrait prendre la forme d’un partenariat publicprivé, débouchant sur une plateforme de financement disposant de plusieurs fenêtres
d’investissements et s’adressant à des investisseurs divers (institutionnels et privés,
banques de développement, etc.).
Le modèle économique repose sur une collecte de fonds via l’émission d’obligations
« vertes » ou green bonds avec une structure financière fondée à 50% sur la dette, c’est-àdire par endettement bancaire ou financier (marché obligataire ou investisseurs), et à 50%
en fonds propres (mise à disposition de capital sans aucune obligation de remboursement).
Le financement par la dette présente, pour les investisseurs, moins de risques que l’apport
en capital propre dans la mesure où les dettes ne couvrent pas le risque de l’emprunteur et
sont assujetties au remboursement. Ces deux leviers de financement s’adressent en cela à
des investisseurs ayant des objectifs différents et qui seraient globalement divisés en trois
catégories du plus faible au plus fort taux de retour sur investissement et de garantie.
Du point de vue de l’activité, le fonds devrait être structuré et divisé en trois ou quatre
fenêtres d’investissement, présentant des ratios risque/rendement spécifiques, de façon à
répondre aux différentes cibles de rendement désirées par les différents investisseurs
(CNULD, 2015). Il est indiqué par les promoteurs du fonds que le rendement serait le taux
minimum interbancaire plus 1 ou 2% de taux d’intérêt soit un rendement de l’ordre de 3 ou
4%. Les différentes fenêtres de l’instrument constituent un second niveau d’hybridité.
L’objectif est en effet de constituer un portfolio d’actifs qui puisse répondre aux besoins de
trois ou quatre types d’investisseurs différents et assurer la complémentarité des
investissements du fonds. Il serait introduit un principe de péréquation entre les différentes
fenêtres afin de permettre une solidarité d’affectation entre des projets de restauration
présentant des retours sur investissements élevés et des activités moins rentables (e.g.
entre aires géographiques). Cet élément sert de justification au recours à ce type
d’instrument global.
2
Qu’est-ce qu’une obligation « verte » ?
A titre d’exemple, les obligations vertes constituent, sur le modèle des obligations financières
traditionnelles, des titres de créance émis par des acteurs institutionnels comme la Banque Mondiale
ou la Banque Asiatique de développement afin de financer des projets contribuant à la transition
énergétique (CDC Climat, 2012). De façon similaire à une obligation classique, l’émetteur lève des
fonds auprès d’investisseurs, qu’il devra rembourser à une échéance fixée à l’avance. Les montants
collectés sur le marché obligataire permettent de financer des projets de développement des énergies
renouvelables ou améliorant l’efficacité énergétique. C’est la destination des investissements qui
marque la différence entre les obligations dites « vertes » et l’émission de titres traditionnels. L’attrait
récent suscité par ces nouveaux segments d’investissement auprès des acteurs du secteur privé
témoigne d’une volonté de réallouer une part des financements vers des investissements socialement
responsables (ISR). Selon l’initiative pour les obligations climatiques (CBI, 2015) ces obligations
devaient représenter 40 milliards de dollars d’émissions d’ici la fin de l’année 2014 et 100 milliards
pour l’année 2015 ce qui reste néanmoins faible au regard du marché global des obligations (i.e.
0,04% des émissions pour l’année 2014).
Il n’existe pas aujourd’hui de référentiel précis ou des critères qui puissent permettre de délimiter les
contours de l’ISR : c’est-à-dire de caractériser si les obligations sont réellement vertes. Il reste en
effet des risques forts quant au caractère vertueux des projets financés par l’émission de ces
obligations, lesquels peuvent aboutir à des formes de greenwashing ou de compensation écologique.
Les définitions de l’ISR varient selon les pays et les acteurs qui s’y réfèrent (Déjean, 2012). Ce
concept s’attache en premier lieu à promouvoir la responsabilité des acteurs privés, considérant que
toute activité économique a des répercussions dont l’investisseur garde une part de responsabilité
qu’il lui faut assumer. Les ISR s’orientent davantage aujourd’hui vers le secteur énergétique et moins
vers le domaine écologique, de la biodiversité ou des ressources naturelles (Novethic, 2013). À ce
titre, le fonds global dédié à atteindre la neutralité dans la dégradation des terres, actuellement en
gestation, constitue une initiative pionnière.
Selon le Mécanisme Mondial, les besoins de financement du fonds sont estimés à 15
milliards d’euros au rythme moyen de deux milliards d’euros par an pendant 7 ans. Cette
cible repose sur un objectif de réhabilitation de 12 millions d’hectares de terres fondée sur
une hypothèse de coût de restauration de l’ordre de 200USD/ha (CNULD, 2015).
Les investisseurs sont censés mettre des fonds à disposition, sans affectation, lesquels
seraient ensuite alloués par le gestionnaire du fonds en fonction des décisions
d’investissement dudit gestionnaire et des projets présentés. La mise à disposition de fonds
devrait être permanente et non amortissable, selon le principe des crédits renouvelables ou
crédit revolving, c’est-à-dire qu’une fois les investissements remboursés (au terme de la
période de 7 ans et non périodiquement comme dans le cadre d’un titre classique), les
montants pourront être réinvestis sur d’autres projets (à condition que le bailleur autorise
cette reconduction/permanence). Il est espéré qu’à échéance, les crédits carbone pourrait
permettre de prendre un certain relais dans le financement du fonds. Plusieurs
établissements financiers ont accepté de participer à la structuration du fonds, notamment la
Banque Européenne d’Investissement et l’Agence Multilatérale de garantie des
investissements (MIGA). La Caisse des Dépôts et le WWF se sont aussi engagés à soutenir
le projet (CNULD and Mirova, 2015).
Identification et sélection des projets : la phase d’identification des projets de restauration
devrait débuter au cours de l’année 2016. Le fonds ne prévoit pas d’acquisition de terres,
mais fonctionnerait sur le mode des concessions avec des droits d’exploitation négociés
entre les propriétaires et des opérateurs privés (GTD, 2015). Au terme des contrats, les
terres seraient restituées à leurs propriétaires et devront présenter des qualités
agronomiques et écologiques adéquates à une gestion durable. Selon les promoteurs du
fonds, celui-ci n’est censé investir que sur les terres où les droits fonciers sont clairement
établis. Ce mode d’investissement ne présenterait pas de risques d’accaparement, toujours
selon ses promoteurs, dans la mesure où il engage la responsabilité et l’image de ces
3
investisseurs spécifiques. Les investissements devraient en outre suivre les Lignes
Directrices Volontaires du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) et de la FAO
concernant la gestion durable des terres. L’augmentation de la productivité serait la première
source de revenus et la rentabilité des projets à 7 ans (voire à dix ans pour certains
investissements) serait un critère de poids dans la sélection des projets.
Opération : les entrepreneurs privés auraient un rôle privilégié à jouer en tant qu’opérateurs
de restauration ou en aval afin de valoriser les productions commercialisables (GTD, 2015).
Y compris en garantissant un marché et un prix aux productions réalisées. Il est indiqué par
les promoteurs du fonds que les organisations de la société civile pourraient aussi se
regrouper en consortium/agrétateurs6 afin de contractualiser avec différents acteurs de la
gestion des terres, notamment des petits agriculteurs répartis sur de petites surfaces. Il
s’agira d’identifier les agrégateurs pertinents afin de faire les liens entre les différentes
parties prenantes de la chaine de valeur dans des contextes socioécologiques variés. Le
fonds ne prévoit pas de ciblage géographique spécifique. Les opérateurs auront 7 ou 10 ans
pour réussir à augmenter les revenus.
Gouvernance du fonds : Mirova sera à priori en charge de la gestion du fonds . Mais la
gouvernance globale serait voulue comme « hybride » au sens où elle réunirait – sous une
forme qui n’est pas encore précisée - en plus des Nations Unies via la CNULD, des acteurs
de la société civile, des organisations non gouvernementales, mais aussi des entreprises,
mais ceci avec des prérogatives différenciées.
Par exemple, les organisations de la société civile (OSC) auraient un rôle consultatif dans le
schéma de gouvernance du fonds, au travers notamment de leur représentation au sein d’un
comité éthique. Ce qui pose néanmoins la question de leur poids dans la prise de décision.
Cela signifierait-il qu’elles seraient cantonnées à un rôle considéré comme suffisant de
garde-fous et de dénonciateur public (dans les marges donc) ? De quelle façon les OSCs
pourront concrètement exercer un droit de regard sur le choix des projets, leur mise en
œuvre et leur évaluation ? Selon les promoteurs du fonds et bien que les informations à ce
sujet soient quelquefois contradictoires, une forme de contrôle serait exercé par la CNULD
et par les bailleurs institutionnels ou les agences de développement et offrirait des garanties
face au risque de dérive. Le choix de n’accorder le pouvoir décisionnaire qu’au gestionnaire
de fonds semble davantage représenter une volonté des investisseurs à garder la main sur
les décisions d’investissement. Quels pourront être les garanties permettant de s’assurer de
la transparence de ces décisions et des critères qui les motiveraient ? Et dans un contexte
forcément difficile pour trouver les projets, comment prévenir ou gérer les risques de
dérives notamment de choix qui risquent de tordre ou de donner lieu à des interprétation des
critères initialement posés sur le papier ? Et ceci sous la pression de bailleurs en attente
d’investissements ?
Mirova : un acteur du secteur de l’investissement socialement responsable
« La finance responsable n’est pas qu’éthique, c’est d’abord de la finance » Philippe Zaouati,
Directeur Général, Mirova (Mediatico, 2015)
Filiale de Natixis Asset Management (Groupe Natixis), Mirova est une société dédiée à
l’investissement responsable. Elle a été créée dans le but de proposer des produits et services
financiers intégrant les enjeux du développement durable. Le portefeuille d’activités de Mirova
recouvre les domaines de la gestion des ressources naturelles, de la santé, du développement, de la
lutte contre les changements climatiques et des énergies renouvelables. Pionnier sur le marché des
obligations vertes, Mirova a lancé en avril 2015, la SICAV Mirova Green Bond Global, l’un des
premiers fonds au monde à destination des green bonds (Natixis, 2015). D’une façon générale, la
6
Entretien avec Pascal Canfin du 27/11/2015
4
société s’engage, au travers de son département recherche, à élaborer des solutions financières
innovantes et motrices de transition sociale, écologique et solidaire. Elle est en ce sens
particulièrement active dans la production d’études sur les enjeux de développement durable et de
finance responsable (Mirova, 2013a)
Mirova est une société gestionnaire de fonds d’investissement socialement responsable (ISR)
adoptant l’approche ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) de type best in universe
(Mirova, 2013b). Cette approche consiste à privilégier les émetteurs ayant les meilleures pratiques en
termes de critères extrafinanciers indépendamment de leur secteur d’activité. Elle est aujourd’hui
classée au second rang des gérants européens en fonds ouverts ISR et en fonds d’investissement
social et solidaire. Sa position contraste avec la situation actuelle de l’ISR et de l’ESG en France où le
mode de gestion le plus répandu consiste à favoriser les émetteurs au sein d’un secteur d’activité
(approche best in class) (Novethic, 2015). L’évaluation des entreprises selon les critères ESG est
réalisée par des agences de notation extrafinancières. Ces évaluations peuvent être déclaratives (sur
la base des informations publiques disponibles et des informations recueillies par entretien, format
d’audit) ou répondre à des demandes des entreprises (plutôt sous un format de conseil). Vigeo,
Ethifinance et Innovest constituent les principaux acteurs du secteur de la notion extrafinancière en
France (Novethic, 2014). S’il est clair que l’ESG et l’ISR de façon générale participent à promouvoir
l’intégration de critères environnementaux et sociaux dans le processus de la prise de décision
économique, des doutes existent. Le choix des critères employés et leur pondération restent
arbitraires. Les modes d’évaluation restent peu transparents (Voisin and Lucas-Leclain, 2008). Le
fonds dédié à la réalisation du LDN serait, au même titre que les fonds actuellement distribués par
Mirova, une nouvelle option d’investissement socialement responsable.
III.
Un mode de financement qui pose question
Considérant la chronologie du processus de création du fonds, il apparaît que sa mise en
œuvre risque d’avancer plus rapidement que la stabilisation du cadre conceptuel du LDN. En
effet la définition du LDN vient simplement d’être adoptée par les parties de CNULD lors de
la COP12 à Ankara (voir fig. 1). Les mesures de la dégradation/restauration dans le temps
demeurent aujourd’hui des questions scientifiques non résolues et reconnues comme
complexes à mettre en œuvre. Il n’existe pas en effet de méthode internationalement
reconnue et les données quantitatives existantes ne sont pas complètement fiables. La
sélection des pratiques de gestion adaptées à chaque situation et au contexte
socioécologique (contextualisation) constitue un autre niveau de difficulté (Derkimba and
Cornet, 2014). Le Comité Scientifique et Technique (CST) et le Science Policy Interface
(SPI), organes subsidiaires de la CNULD sont chargés, en ce sens, de continuer à travailler
sur ces questions afin de préparer une mise en œuvre du LDN qui soit cohérente.
Figure 1 - L'initiative de neutralité en matière de dégradation des terres et le projet d'un fonds dédié: chronologies
Octobre 2014
(Forum Mondial
de
l’Investissement
)
Document de
réflexion présenté
par le Mécanisme
Mondial pour la
Septembre
2012
(Rio+20)
Septembre
2013 (COP11
UNCCD)
Engagement des
pays à pour un
monde neutre en
matière de
Proposition de
définition de la
neutralité en
matière de
dégradation des
terres (LDN) par le
groupe de travail
intergouvernemen
tal (IWG)
Juin-Août
2015
(Mécanisme
Mondial)
Juin-Septembre
2015 (Mécanisme
Mondial)
Identification
Appel d’offres d’investisseurs clés et
mise en place d’un
pour la
comité de cosélection du
gestionnaire du promoteurs du fonds
fonds
Janvier 2015
Lancement des projets
pilote LDN dans quinze
pays sur financement
de la Corée du Sud
Octobre 2015
(COP12 UNCCD)
Juin-Septembre
2015
Présentation officielle du (Mécanisme
projet de création du
Mondial)
fonds LDN et validation
du mandat du
Mécanisme Mondial
pour aider à la mise en
place du fonds
NovembreDécembre 2015
(COP21, UNFCCC)
Lancement officiel du
fonds LDN et
signature d’un
Identification
protocole
d’entente
d’investisseurs clés et
entre
Mirova et le
mise en place d’un
Mécanisme Mondial
comité de copromoteurs du fonds
Décembre
2016
Mise en œuvre du
fonds LDN
Septembre 2015
(UN)
Octobre 2015
(COP12 UNCCD)
2017 (COP13
UNCCD)
Adoption des Objectifs
de Développement
Durable (ODD) portant
mention de l’objectif de
LDN (15.3)
Adoption de la
définition du concept
de Land Degradation
Neutrality par les
pays parties
Engagement des
pays parties pour
des contributions
volontaires
nationales
5
Envisager la neutralité selon quelle logique ?
La séquence complète du LDN, qu'il faut comprendre par « Eviter la dégradation – Réduire
la dégradation– Restaurer les terres dégradées », vise, en première instance, à tenter
d’éviter les impacts des activités humaines et du climat qui entrainent une dégradation de la
qualité environnementale. Le bénéfice escompté pour le climat est la réduction des
émissions de gaz à effet de serre et la séquestration d’une partie du carbone de
l’atmosphère. Le bénéfice escompté pour les écosystèmes et l’agriculture, est le maintien
voire l’amélioration de leur résilience ainsi qu’une amélioration de la fourniture des services
écosystémiques et de la production agricole. L’ensemble devant avoir un impact positif sur le
développement. Initialement ce potentiel équilibré n’était pas recouvert dans le projet de
fonds LDN, celui-ci étant exclusivement dédié à la restauration des terres, soit un seul des
deux termes de l’équation. Toutefois les promoteurs semblent maintenant convaincus de la
nécessité d’allier, dans un effort commun, préservation et restauration de terres. Si le fonds
LDN ne tenait compte que de la restauration, il ne permettrait pas d’adresser la totalité du
problème de dégradation des terres.
Prendre en compte la lutte contre la pauvreté : la condition sine qua non
Que doit-on alors penser du fonds en termes d’objectif de neutralité dans la lutte contre la
dégradation des terres, tel que formulé dans l’ODD 15 et sa cible 15.3 ? Il est attesté que la
lutte contre la dégradation des terres ne peut être déliée du combat contre la pauvreté, et
c’est d’ailleurs le cœur du mandat de la CNULD (Holtz, 2003). Les investissements ne
désirant être orientés que vers des zones où les droits de propriété ont été clarifiés, les
promoteurs excluent par ce choix une large partie des territoires où l’incidence de la
dégradation et de l’insécurité alimentaire sont les plus fortes ; le fonds apparait alors en
décalage avec l’objectif de lutte contre la pauvreté. Et par conséquent avec le mandat de la
CNULD. Selon la Coalition Mondiale des Terres (ILC, 2015), seuls 16% des droits
revendiqués sur les terres sont reconnus à travers le monde. L’objectif mis en avant par la
CNULD et les promoteurs du fonds de réhabiliter 12 milliards d’hectares de terres dégradées
pose question, étant donné que dans ces 16% de terres éligibles, toutes ne sont pas
dégradées ou disposées à accueillir des projets de restauration. Dès lors, quelle sera
vraiment la géographie des projets soutenus par ce fonds ? Où sont situées ces terres
pouvant répondre à ces critères ? Quelle serait la place accordée à l’objectif de lutte contre
la pauvreté dans ces espaces qui paraissent déjà bien restreints et limités ? Le risque que
fait porter ce type de fonds est d’exclure des populations figurant parmi les plus
nécessiteuses.
Le LDN doit agir à l'échelle des territoires ruraux et bénéficier aux paysanneries
Pour des raisons de comptabilisation, il y a une probabilité que le fonds LDN tende vers une
volonté de mettre en œuvre la neutralité de façon globale, c’est-à-dire indépendamment des
territoires, projet par projet. Or, les terres, pour être gérées de façon durable, se doivent
d’être pensées à l’échelle des territoires. Elles doivent garantir, à l’échelle de la parcelle, une
production durable, qualitative et régulière, un revenu suffisant pour l’exploitation et des
débouchés économiques au niveau des territoires. Le projet de classement et de distribution
des activités dans des portefeuilles « rendements » laisse apparaitre de sérieux doutes
quant à la possibilité de créer, au travers du fonds, la continuité nécessaire entre ces
échelles d’action. La lutte contre la dégradation des terres devrait être articulée autour de la
promotion de solutions permettant une mise en relation, notamment des pratiques inspirées
de l’agroécologie. La démarche agroécologique a prouvé là où elle était pratiquée, qu’elle
est en mesure, en même temps que de maintenir et de restaurer le patrimoine nourricier, de
garantir un revenu raisonnable aux populations. En réalité le fonds devrait avant tout
bénéficier à ces agricultrices et agriculteurs, qui souhaitant vivre décemment de leur travail,
qui assure quotidiennement l’entretien de terres avec lesquelles ils co-évoluent : réussir ici
6
serait un vrai succès. L’agroécologie est de ces solutions qui sont à la hauteur du potentiel
du LDN, tant sur le plan de la sécurité alimentaire que de la lutte contre les changements
climatiques (CARI, 2015). Cependant les promoteurs du fonds restent à ce stade pour le
moins discrets quant à la destination des investissements, sur les modes de restauration et
les systèmes de production agricoles préconisés, et sur le type de gestion durable à
promouvoir une fois ces terres restaurées. Quelles seront les options de gestion durable
retenues ? Que deviennent les ayants droits et usagers des terres pendant et après les
opérations de restauration ? Quel sera leur rôle pendant le temps de la contractualisation ?
Comment s’assurer qu’elles participent effectivement à ces projets et qu’elles en tirent in fine
un revenu juste et digne sans devenir de simples employés occasionnels ? Et comment
s’assurer que les terres restaurées leur reviennent en fin de compte ?
Le LDN, une question qui s’adresse avant tout aux Etats
Se pose enfin la question du rôle des États et de l’articulation du LDN avec les politiques
nationales en matière de lutte contre la dégradation des terres (Derkimba and Van Boxtel,
2015). Ce point n’est pas clairement évoqué par les promoteurs du fonds et il semblerait que
cette harmonisation devrait s'opérer en aval, c’est-à-dire qu’il reviendrait aux États d’en
prendre la charge. Quels seraient alors les relations entre les activités du fonds et les
engagements volontaires nationaux en matière de LDN dans le cadre ou non de la CNULD ?
Quels seront les procédures et les instruments qui permettraient une harmonisation, si celleci devait avoir lieu ? Autant de questions restées sans réponse à l'heure actuelle...
IV.
Conclusion
Vu les éléments disponibles, le fonds LDN est à la fois une initiative louable qui veut
répondre à un vrai problème de manque d’investissement, mais qui semble avoir besoin de
ciblage et de réflexion sur la pertinence de son échelle autant que de sa mise en œuvre. La
structure en charge de la construction du fonds (Mirova) et l’UNCCD se disent par ailleurs
tout à fait ouverts et intéressés au dialogue avec toutes les parties prenantes. De facto, il ne
s’agit pas d’une petite affaire de transformer les terres en actifs financiers, valorisés à
hauteur des rendements qu’elles pourront supporter sur des périodes de temps prescrites.
Un risque évident est que ces productions et rendements seront orientés vers des
spéculations à forte valeur ajoutée dont rien ne dit qu’elles seront à même d’être poursuivies
en fin de contrat de restauration. Par ailleurs le modèle économique qui repose sur des
bases de calculs de coûts de restauration annoncées comme basses et la nécessité
d’obtenir des productions à forts rendements à l’échéance de 7 ou 10 ans, fait porter un
sérieux risque sur les trajectoires de devenir de ces terres et sols. S’agit-il de désencastrer
ces terres de territoires où elles prennent sens ? S’agit-il de produire de nouvelles valeurs,
au profit non pas des populations locales qui en dépendent, mais de nouveaux territoires
financiers en quête de verdure ? Le risque avec un fonds qui transigerait avec l’ambition
globale inscrite dans le concept de LDN est de capter les investissements : ceux des
activités et des projets plus ambitieux en matière la lutte contre la dégradation des terres,
des projets qui inscrivent la neutralité dans une logique territoriale de sécurité alimentaire et
de développement. Si le fonds dédié à la mise en œuvre du LDN ne répond pas à ces
questionnements, il risque de ne répondre que très partiellement à ses intentions initiales de
lutte contre la dégradation des terres.
Références
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7
agroécologique. Document de position.
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CR entretiens avec M. Barbut du 23 juillet et avec P. Canfin du 27 novembre
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