La socio-esthétique, entre professionnalisme et humanisme

Transcription

La socio-esthétique, entre professionnalisme et humanisme
Pratique
témoignage
La socio-esthétique, entre
professionnalisme et humanisme
Fabienne Jolivel
Après avoir exercé durant plusieurs années comme esthéticienne en institut, puis
comme formatrice en école d’esthétique, Fabienne Jolivel, 44 ans, est devenue socioesthéticienne pour travailler différemment en procurant des soins esthétiques aux
personnes fragilisées par la maladie. Un métier source d’épanouissement et d’ouverture
avec un regard différent sur la vie. Témoignage.
© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS
Socio-aesthetic care blending professionalism and humanism. After working for several
years as an aesthetician in a beauty institute, then as a trainer in a beauty training
school, Fabienne Jolivel, 44 years old, became a socio-aesthetician to use her skills in a
different way, giving aesthetic treatments to people suffering from illness. Here she gives
a personal account of her work which offers job satisfaction and a different perspective
on life.
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Mots clés
•
•
•
•
Bien-être
Fin de vie
Socio-esthétique
Soin
Keywords
•
•
•
•
Care
End of life
Socio-aesthetics
Wellbeing
C
omme tous les lundis,
je me rends dans un
service du Centre hospitalier universitaire (CHU) de
Rennes (35) pour procurer des
soins esthétiques (soin du visage,
soin du corps, épilation) aux
personnes hospitalisées : je suis
socio-esthéticienne.
Esthéticienne durant plusieurs
années en institut, j’ai décidé
un jour de travailler l’esthétique
autrement. J’ai suivi une formation complémentaire à Tours (37)
au Cours d’esthétique à option
humanitaire et sociale (CODES)1
pour adapter mes compétences
au milieu hospitalier. J’ai également
suivi une formation à l’écoute.
S’adapter aux services
et aux patients
À mon arrivée, je consulte mon
cahier de rendez-vous : parfois
beaucoup de patients notés,
parfois peu, accompagnés de
quelques mots d’infirmières,
d’aides-soignants… L’échange
avec l’équipe soignante est primordial, même s’il est bref. Les
soignants connaissent le contexte
et m’orientent au mieux vers les
patients. Une journée toujours
unique s’organise au gré des
soins médicaux, des toilettes, du
ménage des chambres… Pas toujours facile de trouver sa place et
un moment disponible auprès du
patient. C’est à moi de m’adapter
afin que mes soins apportent une
prise en charge complémentaire
aux soins médicaux sans déranger
le fonctionnement du service.
Travailler en tandem
Av e c ma co l l è g u e Patr i c i a
Lavandier, nous sommes deux
socio-esthéticiennes à exercer au CHU de Rennes. Le soin
esthétique est quelquefois perçu
comme un cadeau offert par
l’équipe. Une infirmière m’ayant
demandé de passer voir un
patient avant ou après un soin
difficile trouvera une réelle différence dans l’attitude de celui-ci.
Laisser le patient
choisir son soin
Q u a n d n o u s e n t ro n s d a n s
une chambre, nous apposons
notre petite pancarte “Soins
© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS
http://dx.doi.org/10.1016/j.revinf.2013.06.007
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socio-esthétiques en cours…
Merci”. Derrière chaque porte
poussée, un patient unique avec
son histoire, sa maladie, son corps
en souffrance… Et à chaque fois,
une relation de confiance à créer.
À nous de trouver les mots justes
pour proposer (sans jamais imposer) de découvrir un soin esthétique : soin du visage, du corps,
épilation... Nous laissons toujours
le patient choisir son soin. Il est
étonné que de tels soins existent et
qu’il puisse choisir alors qu’il se sent
parfois dans un univers où tout lui
est imposé !
S’évader, se réconcilier
avec son corps
en souffrance
Ce métier c’est aussi, pour nous,
être confrontées à la mort prochaine d’un patient, s avoir
entendre ses angoisses ou le
réconforter. Avec la musique
et au rythme du toucher, les
patients font abstraction du
monde hospitalier le temps d’un
soin, à l’occasion d’un toucher
agréable sur un corps en souffrance. Cela permet à certains
La revue de l’infirmière ● Août-Septembre 2013 ● n° 193
Pratique
Note
Bien-être et écoute jusqu’au dernier jour
1
de se réconcilier avec ce corps
qui les fait souffrir et d’éprouver l’envie de s’en occuper à
nouveau. Pour d’autres, le soin
est l’occasion de confier leurs
angoisses, doutes et espérances :
« Ces soins sont des moments
magiques qui app or tent un
rayon de soleil à mon hospitalisation », nous a-t-on confié.
Nous essayons de les accompagner là où ils ont envie d’aller,
en créant une ambiance facilitant l’apaisement. Nous nous
efforçons de créer un moment
privilégié et personnalisé, loin
de l’agitation du service. « Je
me suis vidé la tête, j’ai soufflé »,
entendons-nous fréquemment.
Transmettre et adapter
nos pratiques
Le soin fini, nous prenons le temps
d’écouter le patient sur son ressenti.
C’est toujours un moment très
enrichissant, émouvant aussi : une
leçon de vie unique. En quittant un
patient, nous notons notre passage
dans le dossier de soins et allons à la
rencontre des soignants pour faire
des transmissions. C’est aussi une
façon de créer un sas de décompression avant de repartir vers un autre
patient en mettant à distance ce
que nous venons de vivre.
esthétique des mains.
Hésitant, il a accepté pour
« passer le temps ». Puis, au
cours de la conversation, il m’a
fait part de son inconfort dû à
une peau très sèche au niveau
des pieds et m’a confié qu’il
essaierait bien le soin visage.
Au fil des semaines, soit il
choisissait un soin lors duquel
nous bavardions de choses et
d’autres, soit, n’ayant pas
suffisamment de temps à lui
accorder, je passais juste lui
www.socio-esthetique.fr
dire bonjour : c’était, m’a-t-il
confié, « son rendez-vous
plaisir du mardi ». Sachant
qu’il allait mourir, cet homme
m’a demandé de lui faire un
soin jusqu’au dernier jour ; ce
que j’ai fait avec plaisir,
sachant combien il appréciait
« notre moment ». C’est
valorisant de savoir que je lui
ai procuré ce bien-être et
cette écoute jusqu’à la fin de
sa vie.
Après deux ans d’activité, nous
adaptons toujours notre pratique
professionnelle, nous nous remettons en question pour une prise
en charge encore plus personnalisée face aux attentes des patients
et de l’équipe soignante.
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Le goût des autres
et de l’humain
Ce qui me surprend dans ce
métier, c’est le besoin d’écoute :
un regard, un merci, un sourire,
une main serrée très fort, des
larmes parfois ou quelques friandises partagées avant de sortir de
la chambre ; c’est pour ça que j’ai
choisi d’exercer le métier de socioesthéticienne en milieu hospitalier. J’aime l’humain et tout ce que
je peux apprendre de la vie à travers les patients et les soignants.
Mes journées ne se ressemblent
jamais. Elles sont ponctuées
de rencontres humaines riches
d’émotions (joie, peine, appréhension, admiration, compassion,
regret…), mais aussi de frustrations (manque de temps).
Reconnaître
l’efficacité des soins
de bien-être à l’hôpital
Après deux années d’activités,
plus de 3 600 soins esthétiques
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© CHU de Rennes
Certaines histoires nous
marquent plus
particulièrement. Souvent je
pense à ce patient, d’une
petite soixantaine d'années,
présent dans le service de
médecine interne tous les
mardis et souvent le vendredi.
La première fois que je suis
arrivée dans ce service, une
aide-soignante m’a
accompagnée dans sa
chambre. Je me suis présentée
et lui ai proposé un massage
« Le temps d’un soin,
j’ai quitté mon statut de
patient », confient certains
malades à Fabienne Jolivel,
socio-esthéticienne.
ont été prodigués à quelque 2 500
patients, dont 20 % d’hommes au
sein d’une bonne dizaine de services du CHU. Il aura fallu un peu
de temps pour que notre travail soit
reconnu, que les soignants réalisent
l’efficacité des soins de bien-être
dans un service hospitalier et qu’ils
les intègrent dans le parcours de
soins du patient. Les socio-esthéticiennes que nous sommes aimeraient que ces soins se développent
dans les hôpitaux. C’est une façon
d’accompagner le patient dans son
parcours de soins et de participer à
l’amélioration de sa qualité de vie.
•
Remerciements
Merci à ma collègue Patricia
Lavandier, socio-esthéticienne,
ainsi qu’à Carole Berthois,
cadre supérieur de santé du
pôle médecine et soins de
support du CHU de Rennes.
Déclaration d’intérêts L'auteur déclare ne pas avoir
de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
L'auteur Fabienne Jolivel,
socio-esthéticienne, pôle
médecine et soins de support,
CHU de Rennes, 2, rue Henri
le Guilloux ,35000 Rennes,
France
fabienne.socioestheticienne@
orange.fr