Guardi et Byron, De Staël et James

Transcription

Guardi et Byron, De Staël et James
Secondaire
Paysage : Documents
Un tableau - Un texte
Francesco Guardi
> Le Pont du Rialto à Venise
Huile sur toile, après 1760, 62 x 93 cm
Toulouse, Musée des Augustins
Photo : © Daniel Martin
Lord Byron et Venise
Je me tenais à Venise sur le Pont des Soupirs,
un palais d’un côté, une prison de l’autre.
Je voyais hors des flots ses édifices surgir,
comme au coup de baguette d’un enchanteur :
mille années étendent leurs ailes obscures
autour de moi, et une gloire mourante sourit
sur les époques lointaines où mainte terre sujette
se tournait vers les palais de marbre du Lion ailé,
alors que Venise siégeait en majesté, sur le trône de ses cent îles !
Lord BYRON, Pèlerinage du chevalier Harold
Chant IV – Traduction Roger Martin
© Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (2002).
Secondaire
Aubier-Montaigne – 1949
Mme de Staël et Venise
L’aspect de Venise est plus étonnant qu’agréable ; on croit d’abord voir une ville submergée ; et
la réflexion est nécessaire pour admirer le génie des mortels qui on conquis cette demeure sur
les eaux. Naples est bâtie en amphithéâtre au bord de la mer ; mais Venise étant sur un terrain
tout à fait plat, les clochers ressemblent aux mâts d’un vaisseau qui resterait immobile au milieu
des ondes. Un sentiment de tristesse s’empare de l’imagination en entrant dans Venise. On
prend congé de la végétation : on ne voit pas même une mouche en ce séjour ; tous les
animaux en sont bannis ; et l’homme seul est là pour lutter contre la mer.
Le silence est profond dans cette ville dont les rues sont des canaux, et le bruit des rames est
l’unique interruption à ce silence ; ce n’est pas la campagne, puisqu’on n’y voit pas un arbre ; ce
n’est pas la ville, puisqu’on n’y entend pas le moindre mouvement ; ce n’est pas même un
vaisseau, puisqu’on n’avance pas ; c’est une demeure dont l’orage fait une prison ; car il y a
des moments où l’on ne peut sortir ni de la ville ni de chez soi. On trouve des hommes du
peuple à Venise qui n’ont jamais été d’un quartier à l’autre, qui n’ont pas vu la place Saint-Marc,
et pour qui la vue d’un cheval ou d’un arbre serait une véritable merveille. Ces gondoles noires
qui glissent sur les canaux ressemblent à des cercueils ou à des berceaux, à la dernière et à la
première demeure de l’homme. Le soir on ne voit passer que le reflet des lanternes qui
éclairent les gondoles, car, de nuit, leur couleur noire empêche de les distinguer. On dirait que
ce sont des ombres qui glissent sur l’eau, guidées par une petite étoile. Dans ce séjour tout est
mystère, le gouvernement, les coutumes et l’amour.
Mme de STAËL, Corinne ou l’Italie – ch. VII
Henry James et Venise
Nous traversâmes de nouveau la lagune dans les clartés du couchant : c’était un silence doré
qui nous laissait entendre le clapotis lointain du sillage des autres gondoles, une clarté
vermeille si parfaite que son scintillement rose sur les marbres semblait aussi lumineux et pur
que l’éclat vivant du sang sur le front d’un enfant endormi. Aucune Venise n’est comparable à la
Venise de cette heure magique. Pour ce bref délai, sa gloire ancienne revient ; le ciel se voûte
au-dessus d’elle comme un grand baldaquin impérial semé des mystères de sa lumière. Elle a
tout l’aspect d’une splendeur sans tache. Aucune autre cité ne capture la pourpre évanescente
du jour dans un effet si magnifique.
Henry James, Italian’s Hours – 1909
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© Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (2002).