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TribalPeople E+F_TribalPeople 18/08/11 23:50 Page 118 PERSONNALITE René et Odette DELENNE par Constantine Petridis FIG. 1 : René et Odette Delenne le jour de leur mariage, Bruxelles, le 2 décembre 1958. Photographe inconnu FIG. 2 : Figure masculine, Beembe, R. Congo. Bois, métal, coquillage H. : 47,5 cm Achetée à Merton Simpson, New York, 1966. The Cleveland Museum of Art, collection René et Odette Delenne, fonds Leonard C. Hanna Jr., inv. 2010.428 Toutes les photographies d’objets ont été réalisées par Gary Kirchenbauer, avec l’aimable autorisation du Cleveland Museum of Art, Cleveland, Ohio. 118 En juin dernier, le Cleveland Museum of Art a annoncé l’acquisition d’une sélection de sculptures du Congo de la collection de René et Odette Delenne de Bruxelles. Comprenant trente-cinq œuvres issues de différentes régions et cultures, cet ensemble – acquis par le biais d’un accord de donation / achat – accroît de manière substantielle les fonds d’art africain du musée. La collection Delenne élève la qualité générale de la collection d’Afrique centrale d’un échelon et la place sans aucun doute sur un pied d’égalité avec les meilleures collections muséales de ce type en Amérique du Nord. René et Odette Delenne acquirent leur première œuvre d’art africain en 1958 – une petite figure teke chez Henri Kamer à Paris – après avoir visité et grandement apprécié le pavillon du Congo à la l’Exposition universelle de Bruxelles de 1958. Ils se marièrent le 2 décembre de la même année, et entreprirent dès lors une sorte de voyage d’exploration qui allait les conduire à se familiariser avec les populations et les objets d’art du monde entier. Le fait que René soit près de vingt-cinq ans plus âgé qu’Odette n’avait aucune importance à leurs yeux sauf peut-être pour Odette, aujourd’hui octogénaire, qui m’a toujours dit que c’était son mari qui l’avait introduite aux soi-disant « arts primitifs » d’Afrique et d’Océanie. Je n’ai jamais eu la chance de rencontrer René personnellement – il est décédé en 1998 – mais de mes conver- TribalPeople E+F_TribalPeople 18/08/11 23:52 Page 119 sations avec Odette, j’ai pu me faire l’idée d’un homme ayant eu une vie riche et une véritable passion pour les arts. René était lui-même artiste, illustrateur, graphiste ayant été engagé par la très prestigieuse maison d’édition belge Weissenbruch – fondée en 1795, imprimerie officielle du roi jusqu’à sa fermeture en 2009 – bien avant qu’Odette ne rentre dans sa vie. Son goût artistique était éclectique dans le meilleur sens du terme. Membre de la Chambre belge des experts en œuvres d’art, il conseilla également son employeur, Louis de Weissenbruch, dans ses acquisitions personnelles. René était particulièrement versé sur la porcelaine de Delft, et il publia même un livre sur le sujet, Dictionnaire des marques de l’ancienne faïence de Delft (Richard-Masse, Paris, 1947). En 1962, Odette ouvrit une galerie d’art, qu’elle appela Galerie Antilope, sur la rue du Pépin à Bruxelles. Spécialisée en art africain et océanien et présentant occasionnellement des expositions d’artistes belges contemporains, elle ferma ses portes en 1972. Il semble qu’Odette n’ait pas gardé de très bons souvenirs de son expérience de marchand, même si c’est pendant cette décennie que l’activité de collectionneur privé des Delenne atteignit son apogée et qu’ils acquirent leurs plus importants trésors. Plus récemment, Odette est retournée à l’une de ses anciennes passions, la littérature de fiction, et elle a écrit quelques nouvelles ainsi qu’un roman, mais qui n’ont pas encore été publiés. FIG. 3 : René et Odette Delenne sur l’île d’Hawaï, 1967/69. Photographe inconnu FIG. 4 : Porteuse de coupe, Luba, R.D. Congo. Bois, perles de verre, fibres, laiton H. : 47,5 cm. Ex. coll. Gaston Heenen, Bruxelles, avant 1937 puis Rik Elias, Wieze, Belgium, jusqu’en 1968. The Cleveland Museum of Art, collection René et Odette Delenne, fonds Leonard C. Hanna Jr., inv. 2010.453. 119 TribalPeople E+F_TribalPeople 18/08/11 23:55 Page 120 PERSONNALITE FIG. 5 : Couple de statues, Ngbandi, R.D. Congo. Bois, perles de verre, coquillage, métal H. : 45 et 41 cm Acheté à Jef et René Vanderstraete (père et fils), Lasne, Belgique, 1959. The Cleveland Museum of Art, collection René et Odette Delenne, fonds Leonard C. Hanna Jr., inv. 2010.459.1–2. 120 TribalPeople E+F_TribalPeople 18/08/11 23:55 Page 121 Delenne FIG. 6 : Sceptre, probablement Yombe, R.D. Congo. Ivoire. H. : 27,8 cm Acheté à René De Wolf, Bruxelles, 1972 The Cleveland Museum of Art, collection René et Odette Delenne, fonds Leonard C. Hanna Jr., inv. 2010.447. FIG. 7 : Masque-heaume, Suku, R.D. Congo. Bois, roseau, métal H. : 51 cm Acheté à Marcel Dumoulin, Bruxelles, 1965/68. The Cleveland Museum of Art, collection René et Odette Delenne, fonds Leonard C. Hanna Jr., inv. 2010.450. 121 TribalPeople E+F_TribalPeople 18/08/11 23:56 Page 122 PERSONNALITE Si la collection Delenne est demeurée jusqu’à maintenant un secret bien gardé dans le monde des amateurs d’art extra-européen, c’est en partie dû au fait qu’ils cessèrent de collectionner au début des années 1980, et au cours des vingt années qui suivirent, ils ne prêtèrent que rarement des œuvres pour des expositions temporaires. Néanmoins, plusieurs des pièces acquises par le Cleveland Museum of Art, dont certaines sont illustrées ici, devraient sembler familières à certains lecteurs, car elles furent présentées lors de deux expositions de référence et publiées dans les catalogues qui les accompagnèrent. La première est Kunst aus SchwarzAfrika, qu’Elsy Leuzinger organisa au Kunsthaus de Zurich en 1970, et qui fut présentée ensuite à Essen en Allemagne et La Haye aux Pays-Bas. L’autre est l’exposition Utotombo, qu’un quatuor de conservateurs belges présenta au palais des Beaux-Arts (aujourd’hui BOZAR) à Bruxelles en 1988. Bien que le couple ait prêté un masque pour l’exposition Face of The Spirits, dont j’ai eu l’honneur d’être le co-commissaire avec Frank Herreman en 1993, je ne développai un rapport plus personnel avec Odette Delenne qu’à partir de 2001, quand je la contactai pour lui emprunter sa porteuse de coupe luba pour mon exposition sur Frans M. Olbrechts au musée d’Ethnographie d’Anvers. Outre ces quelques exemples, la plupart des œuvres récemment acquises par le Cleveland Museum of Art n’ont jamais été publiées ou exposées. La collection Delenne comprend bien d’autres pièces que celles qui ont fait l’objet d’un accord avec le musée de Cleveland, et notamment des œuvres importantes d’Afrique de l’Ouest et du Pacifique. Mais l’ensemble des pièces du Congo représente sans doute le cœur de la collection. La forte présence d’œuvres provenant de l’ancienne colonie belge ne devrait pas, bien sûr, être une surprise. Elles furent acquises par les Delenne entre 1958 (la figure teke) et 1972. Cependant, parmi les points d’orgue évidents de la collection Delenne, se trouvent les quatre figures en bois de grande taille qui faisaient autrefois partie de l’ensemble du palais de Batufam dans le Grassland camerounais, photographiées in situ pour la première fois par un missionnaire français, le père Frank Christol en 1925 (et reproduites 122 FIG. 8 : Crucifix, Kongo, R.D. Congo. Bois, alliage cuivreux, métal H. : 47,5 cm Ex. coll. Charlet Ralet, Bruxelles, avant 1945 puis Jef et René Vanderstraete (père et fils), Lasne, Belgique, jusqu’en 1963. The Cleveland Museum of Art, collection René et Odette Delenne, fonds Leonard C. Hanna Jr., inv. 2010.444. FIG. 9 (PAGE SUIVANTE) : Figure masculine, Songye, R.D. Congo. Bois, peau, tissu, perles de verre, fibres, laiton, cuivre, fer, dents, corne H. : 64 cm Achetée à la Galerie Moderne (maison de ventes), Bruxelles, 1965. The Cleveland Museum of Art, collection René et Odette Delenne, fonds Leonard C. Hanna Jr., inv. 2010.451 avec d’autres pièces dans le troisième volume du Dictionary of Art de Jane Turner, Macmillan, Londres, 1996, p. 146). La collection Delenne comprend également quelques gemmes d’art océanien, telle cette figure de proue des îles Salomon, qui fut acquise par le navigateur français Jules Dumont d’Urville sur l’île Choiseul avant 1840 (illustrée par Anthony Meyer dans son ouvrage Oceanic Art, Könemann, Cologne, 1995, fig. 446). Les Delenne étaient d’inlassables voyageurs, et outre leurs traditionnelles vacances qu’ils passaient dans le sud de la France, et qui leur permettaient parfois de découvrir quelques trésors d’art africain chez l’un ou l’autre antiquaire, ils parcoururent également l’Afrique, l’Asie et le Pacifique. En 1967 et 1969, ils accomplirent même deux « tours du monde », dont Odette se rappelle parfaitement. Alors que la plupart de leurs œuvres océaniennes furent rapportées du Pacifique, lors d’un voyage ou par le biais d’un intermédiaire, comme Mark Lissauer, la plupart de leurs acquisitions africaines et toutes leurs pièces congolaises furent obtenues auprès d’autres collectionneurs, de marchands, et parfois dans des ventes publiques, généralement en Belgique mais aussi occasionnellement en France. Dans les années 1960, Jan Dierickx et Marcel Dumoulin, tous deux marchands à Bruxelles, ont, semble-t-il, été les sources principales des Delenne pour les pièces du Congo. Cependant, certaines de leurs possessions de plus grande valeur furent achetées ou échangées auprès de leurs homologues collectionneurs de l’époque, Jean Willy Mestach et Jef Vanderstraete ainsi que son fils René. Ce dernier posséda pendant quelque temps le couple ngbandi illustré ici. Avant qu’une partie de la collection Delenne ne soit absorbée par le Cleveland Museum of Art, elle était l’une des plus anciennes collections privées de sculptures du Congo de Belgique. Comprenant un nombre plutôt restreint de pièces, et ne présentant que peu d’objets de grande taille, elle est remarquable par son homogénéité et sa qualité constante. Comme toute autre grande collection, elle reflète la personnalité et la vision des individus qui l’ont construite et choyée pendant de nom- TribalPeople E+F_TribalPeople 18/08/11 23:56 Page 123 breuses années, avec patience et passion. Bien que l’on ne puisse en définir l’essence simplement, ce que j’admire dans les œuvres qui la composent est le fait qu’elles laissent transparaître un peu de la relation qu’entretenaient avec elles leurs propriétaires et utilisateurs originels. Les patines brillantes, les surfaces émoussées et ravinées, les angles arrondis tout comme les accoutrements faits de plumes, de perles, de coquillages, de métal, de fibres et d’éléments animaliers qui ont été conservés, même de façon fragmentaire, confirment que ces objets ont été utilisés de façon répétée et intensive sur une période de temps relativement longue et suggèrent qu’ils ont joué un rôle à part entière dans la vie de ceux qui les ont aimés et manipulés. J’ai peu à peu compris, en écoutant Odette me faire part de ses impressions sur les œuvres de sa collection, qu’elle et son mari s’intéressaient réellement aux messages et aux significations qui reposent sous la surface de l’objet et derrière son apparence. J’ai été frappé par la sensibilité d’Odette pour la créativité de l’esprit humain qui est à l’origine des pièces que nous apprécions aujourd’hui pour leur propre mérite artistique et leur puissance esthétique. C’est grâce à ses connaissances, mais également à ses voyages et rencontres qu’elle est tombée en admiration devant la philosophie et la sagesse qui émanent de ces œuvres d’art, qu’elle et son mari ont acquises et aimées afin de les partager avec d’autres. Le souhait d’Odette de trouver un musée désireux d’offrir un nouveau foyer à sa collection du Congo découle de l’envie de préserver l’intégrité de ce qu’elle considère comme le cœur de sa collection d’art africain. L’accord qui a été conclu avec Cleveland comprend également le fait que la plupart de la collection Delenne sera toujours accessible au plus grand nombre de visiteurs. A cet égard, il est important de garder à l’esprit que l’impact du musée s’étend bien au-delà de ses frontières physiques. Son site Internet et son programme d’éducation à distance très plébiscité permettent d’atteindre un public bien plus large. Le choix d’Odette de transférer sa collection à un musée encyclopédique d’art américain comme l’est Cleveland, plutôt que de lui faire intégrer un musée d’ethnographie européen, a été guidé par sa conviction en l’égalité de l’art africain par rapport à toute autre forme d’art. La collection Delenne de sculptures du Congo fera ses débuts américains officiels au Cleveland Museum of Art lors de la prochaine exposition temporaire qui ouvrira au printemps 2013. Sous le titre Fragments of The Invisible, l’exposition et le catalogue qui l’accompagnera exploreront en détail la formation de la collection Delenne dans le contexte plus général de l’histoire des collections et des expositions d’art africain en Belgique. 123