Retour vers le futur d`une banque publique Il était une

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Retour vers le futur d`une banque publique Il était une
Retour vers le futur d’une banque publique
Il était une fois une banque qui investissait dans le secteur public pour le compte du secteur
public. Depuis sa création en 1860 sous l’égide de Walthère Frère-Orban, ancien premier
ministre, le Crédit Communal bénéficie d’une situation de quasi-monopole dans les activités
d’octroi de crédits aux communes. Dans le contexte d’un marché bancaire national
relativement cloisonné qui s’autofinance par une épargne nationale abondante, l’activité est
lucrative. Non seulement le Crédit Communal ne rencontre pas de véritable concurrence
mais il n’a en outre aucun mal à trouver les capitaux nécessaires au financement des
communes. La banque peut également pratiquer des taux bas et réaliser une marge plus
réduite que les autres banques puisque les volumes de crédit qu’elle octroie sont beaucoup
plus importants.
Cette position de force s’explique par la structure même de la banque. Les pouvoirs publics
sont à la fois les actionnaires dominants et les plus gros clients de la banque. Dans un tel
cas de figure, les pouvoirs publics ne jouent pas le rôle classique d’un actionnaire qui doit
contrôler le plus objectivement possible la véritable rentabilité des crédits que la banque
leur octroie. En réalité, les pouvoirs publics sont, en tant que clients, des demandeurs
chroniques de liquidités : leur objectif premier est d’obtenir des capitaux à bon compte.
Dans un tel cas de figure, la banque ne peut pas jouer sur le taux d’intérêt comme le ferait
une banque indépendante, sans actionnariat public. La marge à réaliser étant plus réduite,
la banque doit avant tout maximiser les volumes de prêts octroyés. A priori, tout le monde y
trouve son compte. Les collectivités locales obtiennent des liquidités abondantes et bon
marché sans devoir trop se serrer la ceinture ; la banque préserve sa position dominante
en faisant du chiffre.
La banque va financer le développement international de ses activités à partir d’un ‘trésor
de guerre’ pour lequel elle n’aura paradoxalement jamais dû faire la guerre. Le Crédit
Communal unira son destin au Crédit Local de France en 1996 dans un contexte où les
marchés bancaires s’internationalisent. Le Crédit Communal continuera à collecter les
dépôts ; le Crédit Local les investira en France. L’objectif est de favoriser l’expansion
internationale des activités de financement des collectivités locales. Pour celles-ci, la
nouvelle banque Dexia jouera le rôle de pourvoyeur privilégié de capitaux. Sur le marché
français du financement des collectivités locales, elle capte 40% des 150 milliards d’euros
d’encours.
Quand il y a abondance de liquidités dans le marché, cela fonctionne très bien. La banque
utilise ses dépôts et emprunte facilement des capitaux à court-terme pour les prêter à (très)
long-terme à des taux plus élevés. Certes, la marge est sans doute plus réduite que celle
de la concurrence mais les affaires sont bonnes tant que les volumes sont élevés.
En 1997, soit un an après sa création, Dexia prend pied en Italie via la banque Crediop,
également spécialisée dans le financement des collectivités locales. En 2000, Dexia
acquiert la ‘Financial Security Assurance’ (FSA) aux États-Unis, l'un des leaders dans le
domaine des garanties de crédit offertes aux municipalités américaines. Dexia devient ainsi
le leader mondial sur le marché des services financiers offerts au secteur public. En réalité,
la FSA suit également une politique agressive de garantie sur des produits titrisés dont la
valeur dépend de créances hypothécaires (y compris des subprimes). Cela marquera le
début de la crise que traversera Dexia.
La descente aux enfers de Dexia s’explique par sa forte exposition au ‘risque extrême’ qui
survient lors de la réalisation d’événements rares, dont les conséquences sont ravageuses.
Comme d’autres banques, Dexia aura sous-estimé le risque lié à l’occurrence de deux
événements de ce type : la crise des subprimes et la crise de l’endettement des pouvoirs
publics.
Les banques en général, et Dexia en particulier, seront particulièrement affectées par leur
exposition aux produits titrisés émis par deux entreprises sponsorisées par le
gouvernement américain : Freddie Mac et Fannie Mae. Juste avant la crise, ces deux
agences fédérales avaient racheté environ deux tiers des prêts hypothécaires à haut risque
octroyés sur le marché immobilier américain. Comme beaucoup d’autres banques, Dexia
ne résiste pas non plus au surplus de rendement que Freddie Mac et Fannie Mae offrent
par rapport au rendement des obligations émises par l’Etat américain, tout en jouissant de
sa garantie implicite.
La crise des subprimes va également raréfier l’offre de liquidités, notamment sur le marché
interbancaire, dont la banque Dexia est fortement dépendante. En 2007, environ 50% de
son bilan est financé par des emprunts dont la maturité est inférieure à 1 an. Dans
l’incapacité de trouver des liquidités suffisantes à court-terme, la banque devra faire appel à
l’Etat en 2008.
Cette politique d’emprunt à court-terme et de prêt à long-terme est accentuée par la
réglementation prudentielle. Forte de sa position de leader dans l’octroi de crédits aux
pouvoir publics, la banque Dexia renforce ses prêts aux gouvernements européens en
gonflant son portefeuille d’emprunts obligataires et en augmentant son exposition aux pays
européens de la périphérie, comme l’Irlande, la Grèce ou l’Italie, qui offrent une rentabilité
plus élevée que l’Allemagne ou la France. Les accords de Bâle encouragent
l’investissement dans les obligations gouvernementales et assimilées. Les exigences
additionnelles en réserves de cash sont nulles pour des titres de la dette publique à longterme dont le rating est au moins ‘AA-‘. Freddie Mac et Fannie Mae affichaient un rating
‘AAA’ peu de temps avant leur sauvetage par le gouvernement américain. C’était
également le cas de l’Irlande en 2010. L’Italie n’a perdu son ‘AA’ chez Moody’s que tout
récemment alors que l’Espagne l’a toujours. Pour un rating entre A+ et A-, la pondération
n’est que de 20%, ce qui était encore le cas pour la Grèce au début de l’année 2009.
En investissant substantiellement dans les titres émis par les gouvernements, la banque
parvient à minimiser ses réserves en fonds propres et à maximiser sa rentabilité en
investissant les liquidités ainsi ‘épargnées’. Elle peut également mettre en garantie ces
titres contre l’octroi de prêts à court-terme via les opérations de rachat (ou ‘repo
agreements’). L’emprunt de liquidités à (très) court-terme en est facilité. Entre 2008 et
2011, le duo Dehaene-Mariani dégonfle le bilan de la banque en vendant environ 140
milliards de dollars d’actifs à risque financés à court-terme. La dépendance de la banque
envers les emprunts de court-terme est substantiellement réduite : ces emprunts
représentent 19% du bilan en 2011 contre 50% en 2008. Ce processus de ‘deleveraging’
n’est malheureusement pas suffisant face à l’accélération de la crise de l’endettement en
Europe qui affecte désormais l’Italie. La taille de son portefeuille d’investissement en
obligations gouvernementales et assimilées reste substantielle : plus de 100 milliards sur
un bilan de plus ou moins 500 milliards. Une part d’environ 15% est investie en obligations
gouvernementales italiennes, grecques, et portugaises que les contraintes réglementaires
rendent très attractives. Dexia passe haut la main les tests de résistance pour lesquels les
risques de crédit et de liquidité ont été sous-estimés. En réalité, face à un portefeuille de
titres obligataires dont la valeur chute, la banque n’a plus suffisamment de titres à mettre
en garantie pour renouveler les emprunts à court-terme nécessaires à son financement.
Le portefeuille de Dexia contient également environ 25 milliards de crédits structurés. Dexia
utilise ces crédits pour rester compétitive sur le marché des prêts aux collectivités. En
raison d’une part de marché déjà très élevée, Dexia ne peut plus jouer sur les volumes
autant que par le passé. Dans un tel environnement, Dexia doit augmenter sa marge
réalisée, tout en continuant à offrir des taux bas. Les crédits structurés sont une solution.
Attirées par le faible niveau des taux d’intérêt que ces prêts offrent, des centaines de
collectivités locales françaises y souscriront. Même si la banque n’a pas nécessairement
abusé de ses clients, le montage financier que ces produits requièrent et leur plus grande
opacité permettent souvent aux intermédiaires financiers de réaliser une plus grande marge
que sur des prêts classiques. Ces crédits structurés de long terme sont néanmoins
illiquides et ne peuvent pas être revendus facilement dans les conditions de marché
actuelles, d’autant plus que certaines collectivités locales font face à de graves difficultés
financières.
On connaît la suite de l’histoire. La recapitalisation de Dexia en 2008 aura coûté environ
deux milliards à l’Etat fédéral belge et aux régions ainsi qu’un milliard à Arcofin, Ethias et
au Holding communal. Ce dernier empruntera 500 millions pour boucler l’opération. Avec
14,1 % du capital de Dexia, le Holding communal y concentrait 82% de son portefeuille de
participation ! Une des premières leçons que l’on donne aux étudiants à l’université est de
minimiser son risque spécifique en diversifiant son portefeuille. La filiale belge du groupe
Dexia, dont l’actionnariat prééminent provenait déjà du secteur public, est aujourd’hui
nationalisée. Un sentiment de déjà-vu. Un retour à la case départ, en quelque sorte. Ne
laissons pas l’histoire se répéter.
Mikael PETITJEAN
Professeur de Finance, Louvain School of Management, UCL Mons