Le régiment de marche Corrèze-Limousin
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Le régiment de marche Corrèze-Limousin
Le régiment de marche Corrèze-Limousin Des résistants limousins dans la 1re armée française 1944-1945 Office national des anciens combattants et victimes de guerre Brochures réalisées par les services de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre des régions Auvergne et Limousin. Auv e rg ne • • • - Allie r Maurice Tinland, un résis tant m oulinois , 1999. Moulins à la Libé ration, 6 s eptem bre 1944, 2001. Inge S chum an, Je t’é cris de là-bas , lettres de déportés à leurs familles imaginées par les élèves du lycée Albert Londres de Cusset, 2005. Déportés e t fusillés du lycé e Banville , 2006. Hanni Planat, Pre nds garde au vent, 2010. Autour du 18 juin 1940, à Moulins -sur-Allie r… , 2010. Cantal Maurs , printem ps 1944…du pré aux cam ps , 2004. Drop z one « Chenie r » , 2004. De Claviè res au Mont Mouche t, « R andonné e du s ouvenir » , 2007. Ce m atin-là… .1939-1945 , dessins de Jessica Morel, élève de collège à Aurillac, 2007. Murat dans la tourm e nte , 1944-1945 . Puy-de -Dôme Itiné raire d’un républicain es pagnol : R aphaël Prado, de la R épublique es pagnole à la libé ration de la France en pas sant par Bir Hakeim e t El-Alam ein , 2004. Le cam p de Harkis de Bourg-Las tic, 24 juin 1962-25 se ptem bre 1962 , 2006. La Rés is tance dans le Puy-de -Dôm e , 2008. Lim o us in - Un archipe l coe rcitif en « Pe tite Russie » : le s d’inte rnem ent e t de travail e ncadré (1939-1945), 2011. Tulle , résis tante e t m artyre , Chem in de Mém oire , 2013. s tructures En couverture : En route pour le front, les maquisards de Haute-Vienne de la colonne Joly défilent dans les rues de Vichy le 25 septembre 1944 (© G. Favard). Ils passent ici devant l’Hôtel du Parc, où résidait il y a quelques semaines encore le chef de l’État français, le maréchal Pétain. En quatrième de couverture : Insigne de la 1 re armée française (© A. Valade). 1 Le ré g ime nt de marc he Co rrè ze -Limo us in De s ré s is tants limo us ins dans la 1 re armé e franç ais e 1944-1945 2 So mmaire I. À l’o rig ine du RMCL : le s maquis du Limous in A. Été 1944 : le Limousin se libère B. Les volontaires limousins en route pour le front II. L’armé e des o mbres au grand jour : la c réatio n du RMCL A. L’amalgame B. Montée en ligne et premiers combats III. Le RMCL à l’o ffens ive A. La prise de Belfort et l’entrée en Alsace B. Les combats de Bourbach-le-Bas et la dissolution du régiment IV. Les Limo us ins au s e in du 9e Zo uaves A. La réduction de la poche de Colmar et le passage du Rhin B. Les Français au cœur du Reich 3 Du Limous in à l’Autriche Quoi ? Les Français auss i ! Maréchal Wilhelm Keitel, le 8 mai 1945 à Berlin Ce 8 mai 1945, dans la capitale en ruines du III e Reich, le chef vaincu des forces armées allemandes ne put dissimuler sa surprise, teintée d’amertume. Il s’apprêtait alors à signer la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie. Aux côtés du maréchal soviétique Joukov, du maréchal britannique Tedder et du général américain Spaatz, la présence de Jean de Lattre de Tassigny, commandant en chef de la 1re armée française, irrita le Generalfeldmarschall Keitel1. À travers la personne du général de Lattre, c’était bien la France qui était assise, à cet instant historique, à la table des vainqueurs. Cette renaissance française ne stupéfia pas que les plénipotentiaires allemands, car cinq ans plus tôt, quand la Wehrmacht entrait dans Paris ville ouverte et défilait musique en tête, qui aurait pu songer à un tel dénouement ? En juin 1940, la France subit l’une des pires défaites de son histoire. La débâcle fut un choc inouï, en France comme à l’étranger, et elle n’avait rien d’un simple revers militaire comme le pays en avait déjà connu au cours de sa longue histoire. Pour beaucoup, plus que l’effondrement de l’État et de l’armée, mai-juin 1940 fut l’effondrement de la Nation, son existence même apparaissait menacée. Suivirent 1.6 million de prisonniers, un armistice draconien, un pays occupé, un gouvernement collaborateur, la Gestapo, la Milice…Et pourtant, cinq ans après la défaite, la France fait partie des grandes puissances victorieuses. 1 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , Paris, Perrin, 2007, pp. 7-17 et 789-790. 4 L’homme du 18 juin est assurément l’un des grands artisans de ce renouveau. En exhortant immédiatement les Français à résister et en fédérant cette résistance, le général de Gaulle permit à la France de retrouver son rang, son indépendance et sa souveraineté. De Koufra à Berchtesgaden, en passant par Bir Hakeim, Paris et Strasbourg, les Français libres ne cessèrent jamais de « triompher du désespoir et lutter pour la patrie »2. Ralliée en 1942, l’armée d’Afrique contribua aussi largement à la victoire et au redressement national. Soldats originaires de métropole, évadés de France, tirailleurs d’Afrique noire et d’Afrique du nord, Français d’Algérie et goumiers marocains chassèrent l’Axe de Tunisie et se couvrirent de gloire en Italie. Puis ils débarquèrent en Provence pour libérer une grande partie de la France avant de se lancer à la conquête du Reich. Enfin, cette renaissance doit énormément à « l’armée des ombres », celle des maquis, des réseaux et des mouvements, celle qui n’a cessé d’œuvrer pour la Libération malgré la torture, les exécutions et les camps de concentration. L’histoire du régiment de marche Corrèze-Limousin (RMCL) est l’histoire de quelques centaines de jeunes gens originaires du centre de la France, qui prirent part eux aussi, parmi des millions d’autres soldats alliés, à la victoire finale sur l’Allemagne nazie. Le RMCL n’a vécu que trois mois, d’octobre 1944 à janvier 1945. Son histoire mérite pourtant d’être racontée. Elle nous éclaire d’abord sur l’action de la Résistance dans le Limousin, terre de maquis dangereuse pour l’occupant qui tenta, en vain, de briser cette résistance par d’effroyables représailles. Sans attendre les Alliés débarqués en Normandie et en Provence, les maquisards limousins libérèrent eux-mêmes leur région. 2 Général de Gaulle, discours du 15 mai 1945 devant l’Assemblée consultative provisoire. 5 Mais certains ne s’arrêtèrent pas là. Alors que les villes et les villages de France fêtaient leur délivrance, des milliers de volontaires quittèrent le Limousin, l’Auvergne, le Sud-Ouest ou encore les massifs alpins pour rejoindre la 1re armée française et continuer la lutte. Car l’Allemagne n’était pas encore vaincue, la France n’était d’ailleurs pas encore vide de troupes allemandes, et Berlin demeurait à des centaines de kilomètres des armées alliées. Bien d’autres batailles suivirent le débarquement de Normandie, celui de Provence et la libération de Paris. Incorporés dans la 1re armée française au sein du RMCL puis du 9e régiment de zouaves, les volontaires limousins participèrent à ces dernières campagnes. Enrichie par les témoignages de certains d’entre eux, cette publication propose de raconter l’histoire de ces jeunes résistants originaires de SainteFéréole, de Brive, de Saint-Yrieix-la-Perche et d’ailleurs. Elle rappelle leurs luttes, et retrace le chemin qui les a conduits des maquis du cœur de la France aux champs de bataille de Franche-Comté, d’Alsace, d’Allemagne et enfin d’Autriche. 6 I. À l’o rig ine du RMCL : le s maquis du Limo us in A. Été 1944 : le Limo us in s e libè re Montez de la m ine, Des cendez des collines , Cam arades . S ortez de la paille Les fusils , la m itraille, Les grenades . Le Chant des partis ans musique d’Anna Marly (1941), paroles de Joseph Kessel et Maurice Druon (1943). « Petite Russie », tel fut le surnom donné au Limousin par les troupes allemandes dès la fin 1943. À l’image des groupes de partisans soviétiques harcelant les arrières de la Wehrmacht sur le front de l’Est, les résistants de la région R5 ont multiplié les coups de main, les embuscades, et constitué d’importants maquis3. À la veille du débarquement de Normandie, la Résistance limousine est prête à lancer ses forces pour la libération de la France. 3 La région de résistance R5 correspond à la région administrative de Limoges mise en place par le gouvernement de Vichy en 1941, découpage repris par la Résistance. Elle comprend les départements de la Haute-Vienne, de la Corrèze, de la Creuse, de la Dordogne, de l’Indre et les parties non occupées avant 1942 des départements du Cher, de la Vienne, de la Charente, de l’Indre-et-Loire et du Loir-et-Cher. Pascal Plas (dir.), Genès e et développem ent de la Rés istance en R5 (1940-1943), actes des colloques de Brive-la-Gaillarde (1998) et de Soudaine-Lavinadière (2001), éditions Les Monédières (Treignac) et Centre d’études Edmond-Michelet (Brive), 2003, pp. 25 et 48. 7 Née dès 1940 d’initiatives dispersées, la Résistance s’est progressivement étoffée, structurée et, non sans mal, unifiée sous l’autorité du général de Gaulle. Les premières actions individuelles ont laissé place aux réseaux et mouvements couvrant une large partie du territoire. Malgré la répression impitoyable des forces d’occupation et de Vichy, les rangs de la Résistance n’ont cessé de croître au fil des années. L’entrée en guerre de l’Union soviétique a permis au Parti communiste d’entrer tout entier dans la Résistance. Les revers allemands en Afrique et en URSS ont mis fin au mythe de l’invincibilité de la Wehrmacht. L’invasion de la Zone sud en novembre 1942, et surtout l’instauration du Service du Travail Obligatoire (STO) en février 1943, ont plongé dans la clandestinité de nombreux Français. Une partie de ces réfractaires ont alors rejoint les maquis. L’unification de la Résistance française fut un processus laborieux, et qui n’a d’ailleurs pas toujours abouti. Grâce à la persévérance de Jean Moulin, les trois principaux mouvements de la Zone sud acceptèrent de se rapprocher. Franc-Tire ur de Jean-Pierre Lévy, Libé ration-S ud d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie, et le mouvement le plus important et structuré, Com bat d’Henri Frenay, décident à l’automne 1942 d’amalgamer leurs formations paramilitaires au sein de l’Armée secrète (AS), avant d’opérer leur fusion politique en janvier 1943, donnant ainsi naissance aux Mouvements Unis de Résistance (MUR)4. Un même processus d’unification est mené en Zone nord. Le 27 mai 1943 se tient la première réunion du Conseil national de la Résistance, organe central pour l’ensemble du territoire métropolitain rassemblant les mouvements, partis politiques et syndicats résistants. 4 Jean-Luc Leleu, Françoise Passera, Jean Quellien, Michel Daeffler, La France pendant la S econde Guerre m ondiale, Atlas his torique , Paris, Fayard-Ministère de la Défense, 2010, p. 166. 8 Le 1er février 1944, l’unification militaire fait un pas considérable avec la création des Forces françaises de l’Intérieur (FFI), qui regroupent les trois principales forces militaires de la Résistance intérieure : l’AS, les FrancsTireurs et Partisans (FTP), branche armée du Front national créé par le Parti communiste, et l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA) dont les membres sont issus de l’ancienne Armée d’armistice. Pendant que les troupes anglo-américaines se massent en Grande-Bretagne dans l’attente du Jour J, la Résistance se prépare à lancer l’insurrection générale. Pour faciliter le débarquement des Alliés en France, différents plans d’action ont été mis au point : collecte de renseignements sur les mouvements de l’ennemi, sabotage des voies ferrées, coupure des lignes PTT et des lignes électriques à haute tension, destruction de ponts, actions de guérilla contre les garnisons et les convois, mobilisation des grands maquis… Dans le Limousin, sous l’autorité du chef régional FFI Maurice Rousselier (R ivie r), les opérations militaires prennent immédiatement de l’ampleur5. Dès le 6 juin 1944, les plans de sabotage sont exécutés à 100 % en Corrèze, en Creuse et en Haute-Vienne. Toutes les communications ferroviaires sont interrompues. Les maquisards harcèlent les troupes allemandes dans toute la région. Le 7 juin, Guéret est libérée après six heures de combat mais les Allemands contre-attaquent et reprennent la ville le 9. On se bat à Ussel. À Tulle, les FTP encerclent la garnison dès le 5 juin et passent à l’attaque le 7. La ville est entièrement sécurisée le 8. Mais dans la nuit, le détachement de reconnaissance de la 2e Panzerdivision SS Das R eich entre dans la ville et s’en rend maître. Les SS pendent 99 habitants et en déportent 149 autres à 5 Henri Noguères et Marcel Degliame-Fouché, His toire de la Résistance en France, tom e 5 (juin 1944-m ai 1945), Paris, Robert Laffont, 1981, pp. 118-135. 9 Dachau (101 n’en revinrent pas). Chargée d’écraser les « bandes » (la Résistance) sur son chemin avant de rejoindre le front normand, la tristement célèbre Das Re ich s’acharne le 10 juin sur le village d’Oradour-sur-Glane en Haute-Vienne : 642 hommes, femmes et enfants sont fusillés ou brûlés vifs. Accrochée par les embuscades des maquisards, la division allemande se rendit coupable de bien d’autres crimes contre les blessés, les prisonniers et la population civile. 10 La sauvagerie des SS n’entame pas la détermination des FFI, bien au contraire. Mais s’ils ne manquent pas de courage, les résistants se trouvent en revanche dans un état de dénouement matériel parfois total, face à des troupes allemandes toujours très bien équipées. Les armes sont rares, l’armement lourd quasi inexistant, les équipements vétustes. L’opération Cadillac du 14 juillet 1944 tenta d’y remédier. Sur ordre de l’état-major des FFI de Londres et avec l’accord des Alliés, une spectaculaire opération de parachutage d’armes fut organisée, le jour de la fête nationale, afin de ravitailler les régions du Vercors, du Cantal, de la Saône-et-Loire, de la Corrèze, du Lot et de la Haute-Vienne6. En Corrèze, 689 containers furent parachutés au Puy Quinsac, 419 à Moustoulat. Les armes furent ensuite réparties entre les différents maquis. Désormais ravitaillés, les FTP de Georges Guingouin, le « préfet du maquis », affrontent les forces allemandes des groupes Ottenbacher et Jesser et la Milice française dans la région du Mont Gargan (17-23 juillet). À partir du mois d’août 1944, la situation des troupes allemandes en Limousin devient intenable. Malgré leur équipement supérieur et leurs expéditions punitives, elles ne contrôlent plus la situation7. Paralysés par les sabotages et la rupture des communications, sans cesse harcelés, les Allemands se retranchent dans les villes d’où ils ne sortent quasiment plus. Les positions allemandes sont d’ailleurs critiques dans tout le pays. Si le débarquement de Normandie a accouché d’une longue et éprouvante bataille, le front est enfin percé à la fin du mois de juillet. Une brèche est ouverte dans le bas Cotentin dans laquelle Patton lance ses chars. Les armées alliées déferlent dans le goulot d’Avranches vers la Bretagne et vers l’est. Alors que les Allemands 6 Bruno Kartheuser, Les pendais ons de Tulle, crim e s ans châtim ent, édition Krautgarten orte, 2008, p. 63. 7 Ibidem , p. 139. 11 lâchent prise en Normandie, les troupes américaines et l’Armée B française du général de Lattre de Tassigny débarquent en Provence le 15 août. Contrairement à la Normandie, les Allemands ne peuvent faire front et se retirent, parfois dans la précipitation (sauf à Marseille et Toulon). Une fois le littoral libéré, les Alliés entament la remontée de la vallée du Rhône. Menacées d’encerclement, les troupes allemandes du Sud-Ouest et du Massif central reçoivent l’ordre de repli général le 17 août. Elles retraitent en contournant le Massif central par l’ouest ou par la vallée du Rhône pour se regrouper dans la région de Dijon. Dans le Limousin, les résistants assiègent les principales villes. Les garnisons allemandes qui y sont cantonnées sont piégées et livrées à elles-mêmes. À Brive, des pourparlers sont engagés entre les chefs de la Résistance et le colonel allemand Böhmer qui commande la place8. L’acte de capitulation est signé le 15 août : 493 Allemands dont 17 officiers sont faits prisonniers. La négociation est également privilégiée pour obtenir la reddition de la garnison de Tulle. Les Allemands se rendent le 16 août (601 prisonniers dont 23 officiers). En revanche, il faut plusieurs heures de combat pour forcer la garnison d’Ussel à capituler dans la nuit du 16 au 17 août 9. Chargée depuis juin 1944 d’anéantir les maquis d’Auvergne et du Limousin, la brigade allemande du général Jesser se dirige vers la Corrèze à partir du 16 août. Elle a pour missions de libérer les garnisons encerclées et de reconquérir les villes perdues. Le 17 août, la colonne allemande entre dans Ussel, mais les FFI ont évacué la ville avant l’arrivée des Allemands. Le 8 Archives départementales de la Corrèze (ci-après AD 19), 60 J (fonds Gao) : rapport du lieutenant-colonel de Metz sur les capitulations de Brive et de Tulle, en date du 30 avril 1951. 9 Bruno Kartheuser, Les pendais ons de Tulle, crim e s ans châtim ent, op. cit., pp. 169172. 12 lendemain, elle atteint Égletons et libère la garnison assiégée et attaquée depuis le 14 août. Ignorant la reddition des troupes de Tulle, une partie de la brigade Jesser se remet en route. La colonne atteint la préfecture de Corrèze le 19 août mais découvre une ville déserte. Les FFI se sont retirés et se préparent à couper la retraite de la brigade, qui se replie quelques heures après son arrivée. Sans cesse harcelée depuis le début de sa mission, la colonne Jesser quitte définitivement le Limousin pour Clermont-Ferrand. Le 20 août, les Allemands évacuent Égletons. En Haute-Vienne, Limoges est encerclée par les FFI de Guingouin depuis le 12 août10. Le 16 août, les miliciens fuient la ville. Une grève générale est déclenchée le 19 et, après négociations, les Allemands se rendent le 21. Après la libération de Guéret le 25 août, le Limousin est entièrement libéré. Mais la France ne l’est pas encore complètement. C’est pourquoi une partie des FFI du Limousin, après avoir délivré eux-mêmes leur région, décident de la quitter pour participer à la libération de tout le territoire national. 10 Henri Noguères et Marcel Degliame-Fouché, His toire de la R és is tance en France, tom e 5 (juin 1944-m ai 1945), op. cit., pp. 578-581. 13 Té m o ig nag e s André e Wurtz a 19 ans en 1940. Originaire de Meurthe-et-Moselle, elle quitte la Lorraine avec ses parents au moment de l’invasion allemande pour se fixer à Brive-la-Gaillarde en 1941. Recrutée par le capitaine Guedin, l’un des chefs de l’AS en Corrèze, elle prend une part active dans la Résistance à partir de janvier 1943 : surveillance des déplacements des troupes et de la police allemandes, mise en place de filières pour les réfractaires au STO, liaison radio avec Londres, transport de fonds, etc. En 1941, le bureau du trés orie r du 22 e régim ent de tirailleurs algé rie ns de Toul es t venu à Brive , e t m on pè re a é té incorporé dans le 41 e ré gim ent d’infante rie qui é tait le ré gim ent de l’arm is tice 11. Nous avons re joint m on pè re au m ois d’avril 1941. J’é tudiais alors le s ecré tariat e t la com ptabilité à l’école Pigie r. Grâce à l’inte ndant Cham parnaud, m on pè re m ’a fait rentre r au bureau du tré sorie r du 41 e . J’ai donc fait la connaiss ance des dive rs officie rs dont le s capitaines Vaujour e t Guedin de la 8 e com pagnie . Lors que le s Allem ands furent sur le point d’envahir la Zone dite « libre », ce s officie rs se s ont dem andés ce qu’ils allaie nt faire des arm es de la case rne 12. Devant le bâtim ent de l’horloge à la cas e rne , nous nous s om m es re trouvés ave c Vaujour, Gue din, Marchal, m on pè re e t m oi : « Il faudrait quand même sortir ces 11 Témoignage de Mme Andrée Wurtz enregistré le 7 mars 2012 à Malemort-surCorrèze (19). 12 Suite au débarquement allié en Afrique du Nord (8 novembre 1942), les troupes allemandes et italiennes envahissent la Zone sud le 11 novembre 1942. 14 armes ! ». Le capitaine Gue din a dit à m on pè re : « Vous le pouvez vous, car vous habitez en dehors de la ville ». […] On nous a em m e né le s arm es à la m ais on, nous les avons cachée s dans les s ous -s ols du garage e t dans le jardin. Marius Guedin (Georges ) (Coll. Centre d’études et musée Edmond-Michelet, ville de Brive). Les capitaines Guedin e t Vaujour organis aient les prem ie rs m aquis . […] J’ai dit au capitaine Guedin : « Ne m’abandonnez pas, je veux servir moi aussi ! ». Il m ’a répondu : « Nous ne pouvons pas vous prendre avec nous, car vous êtes une femme et il n’y a pas de femme dans l’armée. Mais je vais vous envoyer voir Edmond Michelet pour qu’il vous prenne avec lui, car il a un réseau de résistance civile ». Je suis donc allée voir Edm ond Michele t. Il m ’a pos é énorm ém e nt de ques tions : qui j’é tais , d’où je venais , qu’es tce que je faisais e t qu’e s t-ce que je voulais faire …Je lui ai répondu 15 que je voulais se rvir m on pays , ê tre com m e m on pè re qui é tait m ilitaire de carriè re . Michele t m ’a alors re nvoyé e à Gue din e t lui a dem andé de m e prendre dans son rés eau car, lui a-t-il dit, « elle pourra rendre beaucoup de services ». C’e s t ainsi que je suis re ntrée dans la Ré sis tance e t dans l’Arm é e s ecrè te . Le capitaine m ’a d’abord dem andé de surve ille r le s m ouvem ents de troupe s allem ande s , puis de m ’occupe r des ré fractaire s , car il y avait beaucoup de pe rsonnes qui ne voulaie nt pas alle r au S e rvice du Travail Obligatoire . Le capitaine m ’a alors dem andé d’alle r dans un pe tit bois e t d’attendre ces ré fractaires , puis de les dirige r ve rs quelqu’un d’autre qui les em m è ne rait au m aquis . Il fallait faire é videm m ent très attention. Je n’é tais pas trè s sûre , je me dem andais s i le s pe rsonne s voulaie nt vraim e nt échappe r au S TO… Enfin cela n’a pas é té trop difficile quand m êm e , d’autant que j’ai é té aidée par M. Langlès e t M. Lacom be qui transportaient jus tem ent le s ré fractaire s . On m e dem andait é galem ent de signale r ce que fais aie nt les Allem ands à Brive . J’é tais au 41e m ais en 1942, quand les Allem ands sont venus , je n’ai pas pu re s te r. L’intendant Cham parnaud m ’a placé e au bureau de la pom m e de te rre dirigé par M. Labrous se . J’é tais inscrite à ce bure au e n tant que s ecré taire , m ais j’é tais bie n plus souvent de hors qu’au bure au bien s ûr. J’écoutais beaucoup les conve rs ations pour récolte r des re ns eignem e nts . À côté de chez m oi, Monsieur e t Madame Mathou, qui é taie nt com m unis tes , loge aie nt un m ilicien dans l’appartem ent du haut. Ce m ilicie n nous surve illait avec ses jum elle s de s on balcon, pour voir ce que nous faisions . 16 Le com m andant Habe rt (alias Germain) de l’AS de pique m ’avait dem andé d’e n faire un pe u plus , c’es t-à-dire d’ins talle r un pos te radio chez nous , dans la cham bre de m on frè re qui é tait au collège à Treignac. Il y a ins tallé ce pos te e t l’é quipe radio, il y avait un Anglais . Nous écoutions la radio pour inte rcepte r leurs m e ss age s e t pour s ignale r les parachutages . Mais une voiture allem ande pas sait cons tam m ent devant la m ais on pour écoute r si un pos te ém e ttait. Le capitaine Jack a fait dé place r la s ection de radio, m ais ils se s ont fait prendre s ur la route de Tulle . […] Mon pè re a é té arrê té un soir alors que nous reve nions du ciném a, m es pare nts , m on frè re e t m oi. Nous nous som m es fait arrê te r par des Allem ands qui nous pre naient pour des juifs . Mon pè re a é té conduit à Cabanis ave c m on frè re , c’e s t là qu’il a trouvé Pie rre Chaum eil. Ma foi, m oi, je continuais toujours chez M. Labrouss e . […] Le com m andant Habe rt m ’a dem andé de m ’occupe r des trans fe rts de fonds . J’allais chez lui che rche r l’argent qui prove nait de la Banque de France , pour le donne r au capitaine Guedin e t aux m aquis . Un jour, e n revenant de Brive , j’avais ficelé le paque t d’arge nt ave c de s vieux journaux s ur m a bicycle tte . Devant l’octroi, une carriole s ’es t arrê té e brusquem e nt de vant m oi. Je n’ai pas fait atte ntion, je suis rentré e de dans , e t le s ac e s t tom bé par te rre . Au m êm e m om ent, alors que j’é tais de vant la bouche rie Laval e n face de l’octroi, un Allem and s ort de l’octroi, vie nt ve rs m oi e t com m ence à m e parle r. À l’époque , je com pre nais bien l’allem and (je l’avais appris au collè ge ) m ais je n’ai rien dit, j’ai fait sem blant de ne rien com prendre . Il m ’a dem andé ce qu’il y avait dans le paque t, je lui ai 17 e xpliqué qu’il n’y avait que de s vieux journaux pour allum e r le feu. J’avais peur qu’il le pre nne , le déchire e t tom be sur les bille ts . Mais il l’a re ficelé e t rem is s ur le vélo. Il voulait m e suivre e t m ’aide r à porte r le paque t. Je ne savais pas où m e m e ttre ! Je lui dis ais : « Non, non, ça va, je vais remonter ». Il l’a ficelé tant bie n que m al s ur m on porte -bagage e t je n’ai pas dem andé m on re s te , je suis partie … J’ai eu la plus grande frayeur de m a vie ! Le paque t es t bien arrivé m ais je ne sais pas où il es t allé aprè s . Le colonel Guedin a appris que quelqu’un m ’avait dé noncé e , car il y avait de s pe rsonnes de la Ré sis tance à la Kom m andantur ins tallé e dans l’hôtel Te rm inus . Effectivem e nt, les Allem ands sont venus . Ils ont obligé notre voisin, M. Charage at, à les conduire jusqu’à chez nous . Ils ont fait sortir m am an, m a grand-m è re e t m oi nous n’é tions que toutes les trois - ave c les baïonne tte s dans le dos . Ils voulaient nous faire avoue r que nous avions de s arm e s . Ils ont com m encé par fouille r le garage jusque s ous le s cage s à lapin. Heure usem e nt, R oche de l’Arm é e secrè te é tait ve nu la veille che rche r le s arm es pour le m aquis . Mais il y en avait e ncore dans le jardin ! Les Allem ands n’ont rie n trouvé , ils n’é taient pas contents , croyez -m oi ! Parce qu’ils ne trouvaient rien, ils disaient qu’il y avait quelque chose , ils e n é taient sûrs . Mais ils ont bie n é té obligés de reconnaitre qu’il n’y avait rien, puis qu’ils n’ont rien trouvé …Le colonel Guedin m e fit re joindre le m aquis à Mascheix. J’ai é té placé e dans l’antenne m é dicale du docteur Blavoux. 18 Albe rt Umins ki, 20 ans en 1940, est originaire de Sainte-Féréole (19). Engagé dans l’aviation en 1939, il se trouve sur la base 106 à Mérignac au moment de l’armistice. Son père, Louis Uminski, est chargé d’organiser la Résistance sur le canton de Donzenac (19) ; il confie à Albert le secteur de Sainte-Féréole. Albert Uminski participe à la formation des premiers maquis corréziens aux côtés de Marius Guedin. J’ai é té dém obilisé en août 194013. Nous avions e nte ndu Pé tain alors que nous n’é tions pas encore dém obilis és . Il avait prononcé s on dis cours « … je fais don de ma personne à la France… » 14. Tous ceux qui s ’é taie nt engagés é taie nt furieux. C’é tait inacce ptable : « Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? » Alors il a fallu faire com pre ndre aux gens ce que voulaie nt faire les Allem ands . Nous avons eu de la chance à S ainte -Fé ré ole car tous les habitants du village de Couture s en Mos elle , qui avaient re fusé de s e plie r au joug allem and, avaient dû quitte r le urs m aisons , les Allem ands le s ayant m is dehors . Ils sont partis ave c une som me d’arge nt lim itée e t une valis e jusqu’e n Corrèz e où ils s ont arrivés à S ainte -Fé réole . Le s Allem ands le ur avaient tout pris , m êm e leurs fe rm es , tout. Ils se s ont donc re trouvés une centaine à S ainte Fé réole , avec leur m aire , il y avait tout leur village . S ainte -Fé réole n’é tait pas encore occupé e , les habitants dis aie nt alors : « Cela va bien se régler, ne vous inquiétez pas ». Mais le s Lorrains 13 Témoignage de M. Albert Uminski enregistré le 6 mars 2012 à Sainte-Féréole (19). Message radiodiffusé du 17 juin 1940 par lequel le maréchal Pétain, président du Conseil, ordonne de cesser le combat. 14 19 e ss ayaient de leur faire com prendre : « Non, vous ne connaissez pas les Boches, vous ne savez pas ce dont ils sont capables ». Gontran Roye r, che f de la ré gion R5, m ’avait dem andé d’organise r ce tte partie -là. Mon pè re é tait re spons able de l’AS pour le canton de Donze nac, e t m oi, j’é tais chargé des légaux. Les lé gaux é taient les gens de la com m une qui voulaie nt faire de la R ésis tance e t qui nous ont re joints après le débarquem e nt de Norm andie . Nous faisions ce que nous pouvions pour faire com pre ndre aux gens que Pé tain é tait un dictateur, e t puis plein d’autres chose s . […] Pé tain fais ait diffus e r de s photographies de son portrait com m e il y e n a dans le s m airies aujourd’hui du pré sident de la République . À S ainte -Fé réole , les je une s avaie nt é té dé signé s pour ve ndre ces portraits de Pé tain au profit du S ecours national. Un jour, j’arrive au s tade , il y avait deux fille s qui vendaient s on portrait. Elles m ’en te ndent un. Alors j’attrape toute s le s piles de photographies e t je les déchire ! Il faut dire que S ainte -Fé ré ole é tait une com m une un peu particuliè re . Au conse il m unicipal, il y avait le sé nateur François Labrouss e , l’un des 80 parlem e ntaire s qui avaient voté contre les pleins pouvoirs à Pé tain15. La m unicipalité a alors é té im m édiatem ent diss oute par Vichy. Le nouve au m aire dé signé , le colonel Cham bon, a m is e n place un cons eil m unicipal très collaborateur. À partir de ce m om ent, tout ce que nous faisions de 15 Loi du 10 juillet 1940 : votée par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale à Vichy, cette loi donne les pouvoirs constituants au gouvernement du maréchal Pétain à l’effet de promulguer une nouvelle constitution. Le vote fut acquis à une écrasante majorité : 569 élus votèrent pour, 80 contre (20 abstentions et 176 absents). 20 m al (selon eux) contre Pé tain é tait dénoncé . Ce fut m on cas , j’ai é té dé noncé à la pré fecture , qui à s on tour en a inform é la s ous pré fecture . Un jour, je vois arrive r un m ons ieur appelé Rom e qui é tait un ins pecte ur des R enseignem ents géné raux à la s ous pré fecture de Brive . Il m e dit : « Voilà M. Uminski, vous êtes accusé d’avoir déchiré les portraits de Pétain ». Je réponds par l’affirm ative . S urpris , il m e dem ande pourquoi je le lui avoue . « Je ne vous ai pas demandé de me le dire ! » Je lui conseille alors d’alle r se rens eigne r auprè s des deux jeunes fille s en ques tion, c’es t ce qu’il a fait. Elles ont nié ce fait en dis ant : « Non, ce n’est pas vrai, il n’a jamais fait ça ». Alors il a m is la dé pos ition au panie r. J’ai eu de la chance car à chaque dé nonciation, il m ’a blanchi, s ans que je sache pourquoi. Malhe ure usem ent, à la fin de la gue rre , il a é té inculpé . Mon pè re e s t parti au tribunal à Borde aux pour raconte r ce qu’il avait fait e t le dé fendre . Dans le s com m unes , de s haut-parle urs é taient ins tallés pour les discours de Pé tain. Les légionnaires - parce que pour ceux de 14, Pé tain é tait leur dieu ! - le s lé gionnaire s de vaient lui prê te r s e rm ent devant le s m icros 16. Moi, je dis : « Non ! Les gens ne savent pas ce qu’ils font, il ne faut pas les laisser faire ça, ce sont des personnes âgées… ». À S ainte -Fé ré ole , nous é tions alim e nté s par un trans form ate ur qui é tait sur la route de Brive e t qui trave rs ait un bois de s apin. Il avait une particularité : s ’il y avait un obs tacle sur la ligne , il dis jonctait. Il dis jonctait trois fois e t si, au bout de la trois ièm e fois , l’obs tacle é tait toujours s ur la ligne , le courant é tait coupé dé finitivem ent. Alors , j’ai pris un grand bam bou que j’ai bien 16 Légion française des combattants : organisation d’anciens combattants créée par le régime de Vichy en 1940. 21 isolé ave c une cham bre à air de vélo, je suis m onté à la pointe du poteau e t j’ai m is les fils e n court-circuit. Plus de courant… plus rien ! Pé tain n’a pas parlé ! J’en ai fait de s bê tise s com me ça…m ais quand j’y ré flé chis , je m e dis que c’é tait has ardeux, car c’é tait de la haute tension, pas du 220 ! Après j’ai cré é les fam e ux cam ps . À partir de 1942, nous avons com m encé à recevoir de s jeunes , e t à partir du printem ps 1943, les cam ps ont com m encé à s ’organise r dans la forê t des S auliè re s . Le 15 novem bre 1943, ils ont é té attaqués par 300 Allem ands , il y a eu 18 m orts . À la suite de ça, grâce aux ruraux, nous avons m ie ux organis é la ré sis tance , afin que ces je unes puis se nt vivre car nous n’avions pas d’arge nt. Il fallait les nourrir, ils n’avaie nt rie n. Les habitants le s ont accueillis chez eux, les ont ré conforté s . Cela a é té e xtraordinaire . Albert Uminski (à droite) à Lanteuil (19) le 15 août 1944 (© A. Uminski). Après l’attaque du m ois de novem bre 1943, il fallait passe r l’hive r, les je une s ont donc é té répartis che z les pays ans . Au printem ps , ils s ont partis à Cam ps , à côté de Me rcœ ur. Au m om ent de la libé ration de Brive , ils é taient 1 500, form é s e t encadrés m ilitairem ent. Le bataillon AS de cœ ur é tait le m ieux ins truit m ilitairem ent, il a attaqué la division Das Reich afin de rale ntir sa progre ssion s ur le pass age de la Dordogne . Nous é tions à 22 Mas cheix à ce m om e nt-là. Com m e ils é taient m ieux préparés m ilitairem ent, ils organisaient de s actions toutes les nuits contre les pos tes avancés . […] Les Allem ands é taient harcelé s . Après le parachutage du 14 juille t 1944 (400 « forte ress es volantes » e t 200 chasse urs ), nous avons pu nous arm e r. Nous é tions très bien e ncadrés m ilitairem ent parce que Marius Guedin (dit capitaine Georges) venait du 60 e à Bes ançon. D’aille urs , après l’arm is tice , il a é té nom m é au 41 e à Brive , tout com m e Vaujour. Ils é taient capitaines tous les de ux e t quand, e n 1942, Guedin e s t e ntré dans la Ré sis tance avec Edm ond Michele t e t Martial Brigouleix d’abord, puis avec Gontran Roye r, il a aidé à la form ation des jeune s e t à s tructure r les cam ps . J’é tais sous s es ordre s . De l’autom ne 1942 à août 1945, j’é tais tout le tem ps avec Guedin, je l’ai suivi partout. Après la libé ration de Brive , Guedin e t Vaujour ont cré é le R MCL. Né en 1922 à Montgibaud (19), André Valade a 18 ans en 1940. Domicilié en Haute-Vienne, il est incorporé dans les Chantiers de jeunesse à 17 Pontgibaud (63) de novembre 1942 à juin 1943 . Requis par le STO, il s’évade d’Allemagne en novembre 1943 et entre plus tard dans la Résistance. J’ai é té incorporé au Chantie r de jeune sse à Pontgibaud pendant huit m ois 18. À l’époque , nous é tions « m obilisés ». J’habitais le départem ent de la Haute -Vie nne , nous n’é tions pas m obilisés en m êm e tem ps que la Corrèze . […] À Pontgibaud, je pe nse que nous é tions un m illie r, pe ut-ê tre plus . Du Chantie r de je uness e , j’ai é té 17 Chantier de jeunesse : organisation de jeunesse obligatoire du régime de Vichy, à michemin entre le scoutisme et le service militaire. 18 Témoignage de M. André Valade enregistré le 8 mars 2012. 23 déporté au S TO en Allem agne . J’é tais che z Baye r à Le ve rkusen, dans la ré gion de Cologne . À l’époque , il n’y avait pas beaucoup d’Allem ands là-bas , il n’y avait que des é trange rs dans l’usine . Nous é tions 25 000 chez Baye r, ce n’é tait pas Miche lin ! Il n’y avait que des Polonais , des Rus se s ...À l’endroit où je travaillais , j’é tais le s eul Français , alors j’ai dû me débrouille r. Un m arché noir exis tait avec les cigare ttes . J’ai ache té une fausse pe rm is sion, e t je suis re venu en France à S aint-Y rieix dans la Haute -Vie nne . Mais j’ai é té dénoncé . Je ne pouvais plus res te r à la m aison e t j’ai dû partir. J’ai re joint le m aquis ORA à S aint-Y rieix. Après la libé ration de Lim oges , ceux qui voulaient re joindre la 1 re arm ée dé barquée en Prove nce s ont partis . Geo rg es Favard est né le 2 février 1926 à Riom (63). Il s’engage dans la Résistance dès 1941. En avril 1944, il rejoint le maquis à Bellac (87). Mon pè re é tait re sponsable du Parti com m unis te à R iom 19. […] J’avais 14 ans e n 1940, j’ai fait de la résis tance bien innocem m ent, s ans le savoir. S ur le s indications de m on pè re , j’allais che rche r des gens sur la route de Paris , e t je les conduisais à Marsat chez des pe rsonnes qui les hébe rgeaient. Ils re s taient chez elle s un ou plus ieurs jours afin de re prendre de s forces , car ils ve naient de Paris e n vélo. C’é tait cela à l’é poque : à pied ou à vélo ! […] 19 Témoignage de M. Georges Favard enregistré à Riom le 6 janvier 2012. 24 La Ré sis tance s ’es t progres sivem ent organis ée . On m e dem andait de porte r des papie rs , des arm e s , d’alle r à tel e ndroit pour che rche r quelqu’un. J’avais 14 ans lors que j’ai com m encé , j’en avais 15 lors que j’ai é té hom ologué . À partir de ce m om ent, j’ai s u que je fais ais de la résis tance . Mon pè re m ’avait prévenu : « Surtout tu ne parles pas, tu ne connais pas, tu n’as pas vu. Si on te demande quelque chose, tu te caches ». […] Mon frè re aîné é tait responsable inte rrégional FTP. S on rôle é tait de crée r des m aquis e t de re pé re r le s lie ux qui pouvaie nt les accueillir. Il avait é té dénoncé . Il avait toujours dit à m a m è re (m on pè re ayant é té arrê té le 24 novem bre 1940 par de s gendarm es français ), à m a sœ ur e t à m oi : « Je téléphonerai chez Mme B. c’é tait une épice rie e n-des sous de che z nous e t la se ule dans le quartie r qui avait le téléphone - en lui demandant d’avancer tes vacances. Cela voudra dire qu’il faut se sauver le plus vite possible ». Un sam edi m atin, ce tte pe rs onne arrive alors que j’é tais e n train de dé je une r : « Ta mère n’est pas là ? ». Je lui réponds qu’e lle es t au m arché . « Ton frère m’a dit qu’il faut qu’elle avance ses vacances, je n’ai rien compris ! ». Moi j’avais com pris . Je suis allé che rche r m a m è re im m édiatem e nt. Trois quarts d’heure plus tard, nous prenions le train, e t de ux heures plus tard, la Ges tapo é tait à la m aison. Ils ont tout ouve rt, le s vole ts , le s porte s . Ils sont re s tés trois jours chez nous à attendre pour voir si quelqu’un allait venir. Ils ont tout dém oli, ils ont fait leurs be soins dans la m aison… À partir de là, nous som m e s partis dans la Haute -Vienne . Mon frè re é tait reche rché , il s ’es t sauvé e t nous nous s om m es re trouvés avec lui chez le frè re de m a m è re , dans s a fe rm e en 25 Haute -Vie nne . Nous avions conve nu de nous re trouve r ici e n cas de bes oin. […] Nous avons appris qu’il y avait des Ré sis tants dans la région. Mon cousin connaiss ait un résis tant, nous avons alors re joint le m aquis à Bellac. Mais à Bellac, il y avait é norm ém ent de je unes . Il a donc é té né ces saire de « dé ce ntralis e r » le m aquis , pour qu’il ne s oit pas trop gros . Je m e s uis re trouvé dans un m aquis au bois du Que roy. Né en 1925 à Fougerolles (Haute-Saône), Je an S alle étudie la médecine à Limoges pendant la guerre tout en s’engageant dans la Résistance. À partir de 1943, il y avait foule dans les bois 20. Dans la R és is tance , il y avait le s « légaux » e t les « illégaux ». Les ré sis tants é taient des illégaux. Le s légaux, tant chez les com m unis tes que che z nous , é taient des gens qui avaient signé un e ngagem ent m ais à qui on avait conseillé de re s te r chez eux, de re s te r au boulot, de re s te r é tudiant, jusqu’à ce que l’on ait be soin d’eux. J’é tais donc un légal, je faisais m es é tude s de m édecine à Lim oges . J’ai vé cu toute ce tte pé riode à Lim oges , je n’ai pas vécu le m aquis . On m ’a appe lé au m om ent du dé barquem ent de Norm andie . D’ailleurs quand je suis arrivé , un gars à Cam ps a ouve rt les bras : « - Depuis le temps que nous t’attendons ! - Ah pourquoi ? 20 Témoignage de M. Jean Salle enregistré le 6 mars 2012 à Sainte-Féréole (19). 26 - Parce que nous n’avons pas de médecin. - Mais je ne suis pas médecin, je suis en deuxième année de médecine ! - Ça ne fait rien, on te donnera les galons et les Nord-Africains21 ! » Et j’ai fait toute la gue rre ave c les Nord-Africains com m e m éde cin. On m ’a donné le s galons , m ais on n’a pas osé m e nom m er lieutenant, alors j’é tais adjudant-che f. Vous voyez com m ent cela se pas sait à l’époque ! Re né Dubo is est né en 1925 à Chavagné (79). Domicilié à Saint-Julien-leVendômois (19), il décide de rejoindre le maquis en 1944. Nous s om m es au dé but de l’anné e 1944, j’ai 18 ans 22. Par radio Londre s , nous suivons le s événem ents de la gue rre qui se précipitent s ur le front russ e . Le m as sacre par les Allem ands du m aquis de Pont-Las veyras tout près , le 16 févrie r 1944, nous ré volte e t nous engage à prendre le m aquis pour nous ve nge r. Un débarquem e nt des Alliés parais sait proche . Mon voisin e t am i, Fe rnand Lachaud, es t un ancien e ngagé dans l’arm é e recré ée par le m aré chal Pé tain fin 1940, puis diss oute lors de l’occupation par l’arm ée allem ande de la Zone dite libre fin 1942. Il a gardé des contacts ave c s es anciens s upé rie urs à Brive . Par leur inte rm édiaire , il a connaissance de la form ation d’une ré sis tance de l’Arm é e s ecrè te dans notre région, au nord-oues t de Brive . 21 Des équipes de travailleurs étrangers (Espagnols, Nord-Africains), œuvrant sur les barrages de la Dordogne, avaient rallié le maquis. 22 Témoignage écrit de M. René Dubois du 26 août 2012. 27 Fin m ai, nous décidons , avec d’autre s jeunes de la ré gion de S aintJulien-le -Vendôm ois , de prendre le m aquis . Le lie u de re ncontre e s t fixé à S égur-le -Châte au, dans la grange isolée de M. Coudouin, le long de la riviè re l’Auve zè re (proche du Moulin Dufour). J’em porte un fusil Lebel de 1914-1918, un ré volve r m odèle 1892 e t des m unitions qui ont é té abandonné es dans la grange de m es parents par des soldats français lors de la dé bâcle de juin 1940. R egroupé s au bout de plus ieurs jours , nous partons re joindre le cam p « Coupry » im planté dans une forê t aux environs de S aintCyr-les -Cham pagnes e n Dordogne . Nous voici incorporé s à l’AS , nous faisons partie du bataillon AS de trè fle placé sur les ordres du com m andant Pie rrot. S uite à des dé nonciations ou indiscré tions , nous change ons s ouvent d’em placem e nts : un coin pe rdu dans la forê t du châte au de R epaire , Le Bos -Vie ux, Gre nouille t, La Jugie , dis tants d’une dizaine de kilom è tres les uns des autres . Nous s om m es e ncadrés par des m ilitaires de carriè re qui nous ont re joints e t qui nous donnent une form ation param ilitaire très utile en vue de s com bats futurs . Brassard de l’Armée secrète de Corrèze (© R. Dubois). En juin e t juille t 1944, nous avons béné ficié de plusieurs parachutage s anglais d’arm em e nt (S te n, fusils -m itraille urs , baz ookas , plas tique , gre nades dé fensives , fus ils … ). Le s largages 28 avaient lie u ve rs 23-24 heures sur la com m une de Beys sac, dans les pré s de la fe rm e de la Nouaille (qui ont aujourd’hui laiss é place au Club-Me d de Pom padour). Les containe rs é taie nt vidés auss itôt. Le m até riel re joignait le cam p dans un vie ux cam ion à gaz ogène de la m inote rie Be ss e de Pom padour. Les containe rs vide s é taient chargé s dans les charre ttes à bœ ufs de la fe rm e , puis im m ergés dans l’é tang dit d’Ecupillac, tout proche de la com m une de Troche . Début août 1944, en prévision de l’attaque sur Brive , les diffé rents groupe s de l’AS de trè fle conve rgent à pied ve rs Uz e rche e t se rass em blent. Puis vie nt le dé part à pied du bataillon ve rs Brive par Allassac, S aint-Viance , Vare tz e t par la route d’Objat. Nous entrons dans Brive après avoir ré duit au s ile nce une casem ate allem ande au pont de la Bouvie . 29 B. Le s v o lo ntaire s limo us ins e n ro ute po ur le front Au levant, au couchant, partout, au s ud, au pôle, Avec de vieux fusils s onnant s ur leur épaule, Pas s ant torrents et m onts , S ans repos , s ans s om m eil, coudes percés , s ans vivres, Ils allaient, fiers , joyeux, et s oufflant dans des cuivres Ains i que des dém ons ! Victor Hugo « À l’obéissance passive », Les Châtim ents , 1853. À la mi-septembre 1944, les trois quarts de la France sont libérés23. Le front normand a éclaté après la percée d’Avranches. Leclerc et sa 2e division blindée (DB) prennent Alençon le 12 août, les Canadiens enlèvent Falaise le 16. Alors que toutes les troupes allemandes refluent vers l’est, les Alliés progressent dans trois directions. À l’ouest, la Bretagne est rapidement libérée (bien qu’Hitler ait ordonné à des garnisons sacrifiées de tenir certains ports de l’Atlantique et de la Manche). Au nord, l’avancée des troupes anglocanadiennes est foudroyante : Amiens est libérée le 31 août, Lille le 3 septembre, et les avant-gardes britanniques atteignent Anvers en Belgique le 4. Enfin vers l’est, la route de Paris est ouverte. Le 25 août, l’insurrection des FFI et l’arrivée de la 2e DB libèrent la capitale. Les Américains de la III e armée franchissent la Moselle le 6 septembre, s’emparent de Nancy le 15 mais sont bloqués devant Metz. Dans le Midi, après avoir libéré le littoral, les Français et les Américains débarqués en Provence s’élancent vers le nord en empruntant le couloir rhodanien et la route Napoléon. Ils atteignent Lyon le 3 septembre, puis 23 Jean-Luc Leleu, Françoise Passera, Jean Quellien, Michel Daeffler, La France pendant la S econde Guerre m ondiale, Atlas His torique , op. cit., pp. 246-249. 30 progressent à la fois vers Besançon-Belfort-Colmar et vers Dijon-Épinal24. Besançon est libérée le 7 septembre, Dijon le 11. Le 12 septembre en Côted’Or, les armées alliées débarquées en Normandie et en Provence se rencontrent ; symbole de la renaissance française, ce sont les troupes de Leclerc venant de Normandie et les soldats de de Lattre remontant du Midi qui réalisent la jonction sur une petite route de Bourgogne. L’Armée B, devenue en septembre la 1re armée française, doit marquer une pause devant Belfort et les Vosges, à cause d’un ravitaillement insuffisant et d’un ennemi de plus en plus agressif à mesure que les Alliés approchent de l’Alsace et du Rhin. Fin septembre 1944, les Allemands n’occupent plus en France qu’une partie de la Lorraine (Moselle, Vosges), de la Franche-Comté (Belfort, Montbéliard) et toute l’Alsace (ainsi que les poches de l’Atlantique et certains cols alpins). Hitler ordonne à ses troupes de tenir tout l’hiver sur la Meuse et le Rhin inférieurs, les Ardennes, la Moselle et les Vosges. Après avoir libéré des régions entières et facilité la progression des armées alliées, les FFI entendent eux aussi participer aux batailles qui vont être livrées dans l’Est du pays. Dans l’immédiat, il s’agit d’abord de traquer les troupes allemandes en pleine retraite qui cherchent à rejoindre leurs lignes. Cofondateur de Com bat et chef du bureau FFI du Commissariat à la Guerre, le général Chevance (Be rtin ) souhaite regrouper les FFI des régions de Clermont-Ferrand (R6), Limoges (R5), Toulouse (R4) et Montpellier (R3) dans une grande division FFI, destinée à rallier l’armée de de Lattre25. Le 1er septembre 1944 est créé, à Toulouse, le Groupe mobile des FFI du SudOuest et Centre (GMSO). Ce « vaste et tumultueux groupement26 » est confié 24 Henri Michel, La S econde Guerre m ondiale , Paris, Omnibus, 2001, p. 682. Henri Noguères et Marcel Degliame-Fouché, His toire de la Rés is tance en France, tom e 5 (juin 1944-m ai 1945), op. cit., pp. 720-725 ; Charles de Gaulle, Mém oires de guerre, Le S alut (tom e 3), 1959, pp. 45-46. 26 Charles de Gaulle, Mém oires de guerre, Le S alut (tome 3), op. cit., p. 46. 25 31 à l’adjoint de Chevance, le colonel Schneider. À Toulouse, une division légère est rapidement formée. En R6, 7 000 FFI auvergnats constituent une division légère d’Auvergne, tandis qu’une brigade légère du Languedoc est formée en R3. Un même élan anime les FFI en Limousin. Alors qu’une grande partie d’entre eux sont déjà en route pour le littoral atlantique afin d’encercler les poches allemandes, deux colonnes se forment en R5 pour rejoindre le GMSO et la 1re armée. La première se rassemble à Limoges et est commandée par le lieutenantcolonel Joly. Joly dispose d’environ 1 900 hommes : un escadron motorisé de la garde républicaine (250 hommes), deux bataillons AS (800), un bataillon FTP (400) et un bataillon ORA (450)27. Issu des parachutages et des prises sur l’ennemi, l’armement de la colonne est très insuffisant : fusils canadiens ou anglais sans baïonnette, mitraillettes Sten, fusils-mitrailleurs Bren, quelques PIAT antichars, mais pas de mitrailleuse lourde ni de mortier. L’équipement radio est inexistant, l’habillement et l’équipement hétéroclites (parfois pris aux Allemands ou aux forces de Vichy) et légers (aucun vêtement d’hiver). Le matériel de campement est insuffisant, et les hommes devront souvent vivre chez l’habitant. Quant aux moyens de transport, chaque bataillon dispose de ses propres véhicules réquisitionnés. Il existe quelques véhicules légers pour les cadres, mais la majorité des hommes sont transportés par des véhicules lourds de tout type, des cars jusqu’aux camions ou bétaillères. 27 Archives départementales de la Haute-Vienne (ci-après AD 87), 40 J 171 : Le régim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , par André Pujos (1999), pp. 3-4. 32 La colonne se met en route à partir du 12 septembre. Après une première étape à Saint-Léonard-de-Noblat, la colonne cantonne à La Villeneuve-enMarche près d’Aubusson le 14. Le lendemain, les FFI atteignent Biozat près de Gannat. Toute la troupe rejoint le secteur progressivement et sans incident. Toutefois, l’essence commence déjà à manquer et la colonne n’a plus que 100 km d’autonomie. Tous les éléments de la colonne Joly se fixent dans la région de Gannat jusqu’au 26 septembre. Le 24 septembre, une mission de liaison britannique prend contact avec Joly et promet de fournir, à Dijon, des armes lourdes, des mitrailleuses et des mortiers. Le lendemain, les hommes sont rassemblés pour une prise d’armes sur la place de la mairie de Vichy. Une remise de décoration par le colonel Joly, puis un défilé dans les rues de l’ex-capitale de l’État français, sont organisés. Le 26 septembre, les troupes embarquent dans des trains à Gannat et Vichy, et le 28, les FFI arrivent à Auxonne (21) entre Dijon et Dole, et établissent leur cantonnement. Le défilé de la colonne Joly à Vichy, ici devant l’Hôtel des Postes (© G. Favard). En 1940 après l’armistice, le gouvernement du maréchal Pétain choisit de s’installer dans la ville thermale alors en zone non occupée, en raison notamment de sa grande capacité hôtelière et de son central téléphonique moderne. 33 La seconde colonne limousine est principalement composée de Corréziens issus des maquis de l’AS. Elle est commandée par le lieutenant-colonel René Vaujour (He rvé ). Né à Tulle en 1906, saint-cyrien, René Vaujour est capitaine en 1940 et combat au sein du 6e régiment de tirailleurs algériens. Nommé au 41e régiment d’infanterie (RI) de Brive en 1941, il devient membre de l’ORA et de l’AS après l’invasion de la Zone sud en novembre 1942, puis commandant militaire de l’AS-ORA en Corrèze. Vaujour coordonne les combats de 1944 en compagnie de son adjoint, le colonel Guedin (Ge orge s ). Originaire de Franche-Comté, Marius Guedin est également militaire de carrière. Officier sorti du rang, il participe à la campagne de France avec le 60e RI de Besançon, puis rejoint le 41e RI en 1941. Il bascule dans la Résistance après l’invasion de la Zone sud. Guedin organise à Brive le camouflage des stocks d’armes et de matériel lors de l’Armée la dissolution de d’armistice, puis devient responsable des maquis corréziens de l’AS. Le colonel Vaujour en Allemagne en mai 1945 (© AD 87, 40 J 171). Formée à Brive, la colonne Vaujour compte environ 2 000 hommes. Les Corréziens se mettent en marche le 7 septembre pour Lapalisse et Varennessur-Allier. Ils sont alors donnés en renfort à la division légère d’Auvergne (DLA) qui est au contact de l’ennemi autour de Moulins (libérée le 34 6 septembre)28. Les FFI tentent de barrer la route à la colonne Elster forte de 20 000 hommes. Venant du Sud-Ouest et harcelée par les FFI lancés à sa poursuite, la colonne du général Elster est un assemblage de différentes unités qui cherchent à rejoindre les lignes allemandes. Partie de la région de Bordeaux le 21 août, la colonne atteint le Cher le 7 septembre. Elle est alors attaquée par la division légère d’Auvergne du colonel Fayard, renforcée progressivement par les éléments de la division légère de Toulouse. Tout en poussant vers Nevers, la DLA s’emploie à empêcher le franchissement de la Loire par la colonne Elster. Tandis qu’en Saône-et-Loire, les FFI affrontent une autre colonne allemande, le groupe Bauer, les Allemands de la colonne Elster tentent sans succès de franchir la Loire en force au pont de Decize dans la Nièvre, dans la nuit du 9 au 10 septembre. Piégé sur la rive gauche et définitivement isolé, le général Elster capitule le 10 septembre à Issoudun, avec ses 20 000 hommes. Après ces combats, la colonne Vaujour reste plusieurs jours à Moulins, puis rallie à son tour la Bourgogne fin septembre. 28 Henri Noguères et Marcel Degliame-Fouché, His toire de la R és is tance en France, tom e 5 (juin 1944-m ai 1945), op. cit., pp. 716-736. 35 Té m o ig nag e s Re né Dubo is rejoint la colonne Vaujour. Brive libé rée , la ques tion nous es t posé e : « Qui veut continuer le combat ou rentrer chez lui ? ». Aprè s les abandons , le res te du bataillon es t équipé de vélos tout ne ufs iss us de la fabrique Roche r à Brive , e t cons titue une com pagnie dite cyclis te sous le s ordres du com m andant Thom as (un res ponsable a dit : « Le vélo est plus rapide que le fantassin et plus silencieux que le char ! »). Barda sur le vélo, nous partons via Cle rm ont-Fe rrand, Riom , Gannat, Vichy e t Moulins , en vé rifiant qu’il n’y ait plus de soldats allem ands à la traîne . Nous re s tons plusieurs sem aines à l’entrée de Moulins , logé s dans les box d’un haras . Là encore , plus ieurs abandonne nt la poursuite e t nous quittent. Jean S alle est incorporé dans les FFI en juin 1944 puis intègre la colonne Vaujour. Brive é tait libé rée . Nous é tions jeune s e t nous voulions absolum ent foutre les Boche s de hors . Nous voulions donc continue r, e t les ordres d’en-haut allaient en ce s ens . Tous les gens qui é taient re groupés autour de Brive , ainsi que quelque s FTP e t quelques uns du Corps franc de Tulle , sont partis . Il y avait toujours les quatre com pagnies AS . Nous s om m es allés à Moulins par le train, nous avons participé à quelques com bats dans ce tte ré gion. Nous 36 partions aux trous ses de s Allem ands , donc tout e n m ontant, nous participions à la libé ration de ces ville s . Mais ce n’é taie nt plus de vrais com bats , les Allem ands ne pensaient plus qu’à re joindre les lieux du dé barquem ent. Plus ils s ’en allaie nt vite , plus ça leur allait e t plus ça nous allait ! Après son retour du STO, André Valade rejoint le maquis ORA dans la région de Saint-Yrieix-la-Perche (87) puis, après la libération du Limousin, la colonne Joly partie de Limoges. Nous s om m es m onté s par Vichy où nous avons dé filé . Ce dé filé n’é tait pas choue tte . Parce que Vichy, c’é tait Pé tain ! Il n’y avait pres que pe rs onne dans les rues . On jouait la Marseillaise, pe rs onne ne se dé coiffait. Alors nos officie rs les dé coiffaient ! Les maquisards de la colonne Joly défilant dans les rues de Vichy (© G. Favard). 37 Après la libération de Limoges, Geo rge s Favard intègre la colonne Joly. Après la prise de Lim oges , nous é tions dans le s cas e rnes . On nous a dem andé si nous é tions volontaires pour pours uivre la bataille . Pour le s gars de m on m aquis , il y avait e u l’affaire d’Oradour-surGlane et les tém oignage s d’Oradour…donc tous é taient volontaire s ! Nous som m es partis habillé s en FFI, évidem m ent, ave c le m até riel de l’époque . On nous a regroupé s , re fondus en com pagnie , en se ction, e tc., e t nous som m es partis ve rs l’es t. Nous s om m es pass és à Riom , je n’avais pas re vu la ville de puis plus d’un an. J’ai alors dem andé au chauffe ur du cam ion d’avoir une panne …il a eu une belle panne , une panne de plus d’une he ure ! Cela m ’a pe rm is de voir m a m è re qui ne m ’avait pas vu de puis longtem ps . Elle ne m ’attendait pas , elle é tait à la m ais on ave c ma belle -s œ ur. J’ai jus te eu le tem ps de les em brass e r e t de repartir. Nous cantonnions à Effiat, puis nous s om m es allés à Vichy où nous avons pris de s wagons à be s tiaux pour alle r ve rs l’e s t. […] La prise d’armes à Vichy (© G. Favard). 38 À Vichy, nous avons fum é les cigare ttes du Maréchal ! On nous a payé un coup e t donné deux cigare ttes chacun, des cigare ttes m arquées d’une francis que . Moi je ne fum ais pas , m ais j’avais de bons cam arades ... […] Je fais ais partie de la colonne Joly . Les m oyens de trans ports e t l’arm em e nt é taient as sez hé té roclites . Ce rtains avaient de s fusils allem ands , d’autres des fusils anglais . C’é tait l’an II, m ais nous n’allions pas à Valm y ! 39 II. L’armé e de s o mbre s au g rand jo ur : la c ré atio n du RMCL A. L’amalg ame Organis er pour la bataille la bouillante et vaillante jeunes s e qui avait m ené la lutte clandes tine et la joindre aux troupes venues d’Afrique, voilà ce qui m e paraiss ait réalis able au point de vue m ilitaire et nécess aire au point de vue national. Charles de Gaulle Mém oires de guerre , Le S alut, 1959. L’amalgame constitue la fusion des FFI, passés de 140 000 à 400 000 hommes de juin à septembre 1944, à l’armée régulière, principalement la 1re armée française29. Des considérations tant militaires que politiques ont rendu cette intégration nécessaire. Militairement, l’incorporation des FFI permet de renforcer, au mieux de relever, les troupes coloniales qui constituent alors le gros de l’armée française30. Ces hommes combattent depuis de longs mois (campagnes de Tunisie, d’Italie et de France), voire depuis 1940 pour les premiers Français libres. Certaines divisions sont à la limite de l’épuisement total. Politiquement, les responsables de la Résistance et du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) considèrent comme fondamental d’associer pleinement les FFI, « l’armée du peuple », à l’armée régulière et aux dernières campagnes de la guerre. Alors essentiellement africaine (Français 29 Un premier amalgame a été réalisé en Afrique du Nord en 1943, entre l’armée d’Afrique, sous l’autorité de Vichy jusqu’en novembre 1942, et les Forces françaises libres (FFL) du général de Gaulle. 30 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , op. cit., pp. 564-568. 40 d’Algérie et soldats coloniaux), la nouvelle armée française, celle de la Libération, doit devenir l’armée de la Nation tout entière et refléter toutes ses composantes. Plutôt que de recourir à la mobilisation, mesure jugée trop dispendieuse, le GPRF choisit la solution de l’amalgame. L’intégration des FFI dans les rangs de l’armée présente enfin l’avantage d’éloigner de la province, de discipliner et de contrôler des éléments de la Résistance intérieure (surtout ceux encadrés par le Parti communiste) qui pourraient entraver la stratégie gaullienne de restauration de l’État31. Le 28 août 1944, le général de Gaulle ordonne la dissolution des FFI et leur versement à l’armée régulière (décret du 23 septembre 1944). Le commandant en chef de la 1re armée française, le général de Lattre, partage la vision de l’amalgame du président du GPRF, mais il sait que la réussite de cette opération d’envergure nécessite un subtil dosage : « […] De Lattre conçoit l’amalgame non comme une fusion, mais comme une synthèse. Les FFI apporteront leur enthousiasme tout en acceptant l’organisation, le sens de la hiérarchie et la technicité d’une armée moderne. Pour cela, un double écueil doit être évité : la dispersion des individus, qui ruinerait l’identité FFI, et la formation de “divisions FFI“, qui ne présenterait pas d’intérêt militaire […]32. » À la fin du mois de septembre 1944, les deux colonnes venues du Limousin cantonnent dans la région d’Auxonne en Côte-d’Or. Des contacts sont aussitôt établis avec l’état-major de de Lattre, afin de prendre connaissance des modalités d’incorporation dans la 1re armée33. L’état-major impose aux 31 Ibidem , pp. 564-568. Ibidem , pp. 565-566. 33 AD 87, 40 J 171 : Le ré gim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , op.cit., p. 4. 32 41 FFI la signature individuelle d’un « engagement volontaire pour la durée de la guerre », tandis que les jeunes de moins de 18 ans sont refusés et renvoyés dans leurs foyers. Très contraignante, cette obligation de s’engager individuellement jusqu’à l’issue finale du conflit passe mal chez les FFI. Le lieutenant-colonel Joly tente d’y substituer une autre formule d’engagement, sans la mention « pour la durée de la guerre ». Mais l’état-major de la 1re armée reste inflexible, et les hommes qui refusent de s’engager sont placés « en congé provisoire dans leurs foyers »34. Cette intransigeance provoque l’agitation dans les rangs. Dès l’arrivée des formulaires d’engagement le 4 octobre, puis les jours suivants, un certain nombre de FFI repartent pour le Limousin, dont quasiment la totalité du bataillon FTP de la colonne Joly. Sur les 1 650 FFI de cette colonne, à peine 750 signent l’engagement35. Le même phénomène se produit dans la colonne Vaujour, quoique d’une moindre ampleur : sur environ 2 000 hommes partis de Corrèze, 1 100 s’engagent dans la 1re armée, les autres retournent dans leurs foyers. Les strictes modalités d’incorporation sont en fait le reflet d’une véritable reprise en main des unités FFI par l’armée. Leur militarisation et la perte de leur autonomie entraîneront des départs nombreux. Toutes les formations FFI, dont le GMSO de Schneider, verront leurs effectifs fondre au moment de leur transformation en unités régulières. 34 AD 19, 60 J 229 : note de service n°106. La colonne Joly quitta Limoges avec 1 900 hommes, mais les 250 hommes de la garde républicaine la quittèrent à Vichy pour être dirigés vers Nancy. AD 87, 40 J 171 : Le régim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , op. cit., pp. 3-4. 35 42 L’hostilité du général de Lattre pour la formation de grandes unités FFI entraîne l’abandon du projet de Chevance et Schneider : il n’y aura pas de division FFI du Sud-Ouest et du Centre au sein de l’armée. Les deux colonnes limousines s’entendent malgré tout dans le but de constituer un régiment. Le régiment de marche Corrèze-Limousin est créé à la mi-octobre 1944, et le colonel Vaujour en prend la tête. Divisé en deux bataillons, le RMCL est composé des maquisards de Corrèze (1er bataillon du commandant Merlat) et de Haute-Vienne (2e bataillon du commandant Lhermite). Les effectifs sont renforcés de quelques Creusois et Auvergnats, et d’une section de Polonais qui avait rallié la colonne corrézienne à Moulins. Le RMCL est incorporé à la 2e division d’infanterie marocaine (DIM), sur la brèche depuis de longs mois et ayant un besoin impératif de renforts36. Le commandant Gustave Lhermite, chef du 2nd bataillon du RMCL, et son adjoint le commandant Dugros à Belfort en décembre 1944 (© AD 87, 40 J 471). 36 La 2e DIM fut l’une des principales unités du Corps expéditionnaire français en Italie ; elle s’est particulièrement illustrée lors des combats de l’hiver 1943-1944 et lors de l’offensive du Garigliano au printemps 1944. 43 À l’automne 1944, 190 000 hommes se sont volontairement engagés dans l’armée régulière (dont environ 117 000 dans la 1re armée) : 80 % d’entre eux ont entre 20 et 25 ans, et la plupart sont originaires des régions situées au sud d’une ligne Pau-Strasbourg (ce qui correspond approximativement au passage de la 1re armée et aux zones de maquis) ; 30 % de ces volontaires FFI proviennent de l’AS, 15 % de l’ORA et 10 % des FTP37. L’amalgame apparait comme une grande réussite, mais il n’a pas été facile à réaliser. Les différences d’interprétation sur ses objectifs et sa mise en œuvre provoquèrent d’inévitables tensions entre les cadres (les officiers de l’armée d’un côté, les officiers FFI de l’autre) et du remous dans les rangs. Si des unités ont su parfaitement et rapidement s’intégrer, ce ne fut pas toujours le cas38. Le commandement français dut également faire face à d’énormes défis matériels pour équiper tous les nouveaux régiments. Préoccupante, la situation du matériel et du ravitaillement devait de surcroît être réglée dans l’urgence, car l’hiver approchait, les combats dans les Vosges, en FrancheComté et en Alsace aussi. En outre, une défiance certaine s’est parfois installée résistants/maquisards et les militaires aguerris de la 1 re entre les armée. Chez ces derniers, d’aucuns craignent la désorganisation de l’armée provoquée par l’arrivée massive de FFI inexpérimentés, sous-armés, sous-équipés et à l’encadrement pléthorique. D’autres dénoncent leur indiscipline et doutent de leur valeur militaire, en particulier pour la bataille rangée et le combat en ligne. Certains enfin se méfient de leurs orientations politiques et de leur militantisme. De l’autre côté, les FFI n’apprécient guère le comportement jugé 37 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , op. cit., pp. 565-566. 38 Ibidem , p. 568 ; Charles de Gaulle, Mém oires de guerre, Le S alut (tom e 3), op. cit., pp. 47-52. 44 condescendant de certains cadres de l’armée. Ils refusent d’être uniquement considérés comme forces d’appoint et redoutent de perdre leur identité de maquisards/FFI et leurs particularismes. Sous-équipés et insuffisamment armés, les FFI ont enfin dû relever le défi de s’adapter à une guerre moderne, technicienne et motorisée, très éloignée des coups de main et de la guérilla du maquis. À la création du régiment, les hommes du RMCL manquent toujours cruellement d’habillement et d’équipement, d’armes lourdes, de mitrailleuses et de mortiers, de moyens de transmission, ainsi que de matériel de campement et d’outils. Toutefois, en dépit de ces imperfections, l’amalgame a renforcé l’armée française par l’augmentation des effectifs et par la relève de certains régiments épuisés. Il a permis d’unir résistants de l’Intérieur, Français libres et soldats de l’armée d’Afrique au sein d’une seule et même armée de France, symbole du redressement national ; une armée désormais prête à libérer les derniers territoires occupés et à porter la guerre au cœur du Reich aux côtés de ses alliés. 45 Té m o ig nag e s Jean S alle Nous som m es allé s à Auxonne où es t arrivé l’ordre de l’am algam e . L’am algam e fut l’inté gration des FFI à l’arm ée de de Lattre , qui venait d’Afrique e t de Prove nce e t arrivait en Bourgogne e t Franche -Com té . L’idée de S chneide r, celle de la form ation d’une division de ré sis tants , é tait donc abandonné e . L’am algam e é tait une vé ritable intégration de s résis tants dans le cadre de l’arm é e . Il y a e u de s dis cussions . J’ai é té très tris te : es t-ce qu’il fallait s igne r un engagem ent pour la durée de la gue rre ou pas ? Nous avions 18 ans … Nous nous som m e s réunis plusieurs fois . Finalem e nt, sur 2 000 Corré zie ns , 800 s ont re partis , il en re s tait donc 1 200. La s econde colonne , celle de Joly e t des Lim ougeauds , é tait com pos ée d’environ 1 500 hom m es : 800 sont re s tés . Nous n’é tions donc plus que 2 000, il n’é tait plus possible de cons titue r une division. Mais nos che fs ont quand m êm e form é un ré gim e nt : le ré gim ent de m arche Corrè ze -Lim ousin. Geo rg es Favard Avant de nous habille r e t de nous arm e r, nous avons signé notre e ngagem ent e t re çu la carte d’identité de la 1 re arm ée française . Grâce à ce tte carte , nous n’é tions pas considé ré s com m e francs - 46 tireurs par les Allem ands . Car dans le cas contraire , ave c notre habillem e nt, si les Allem ands nous avaie nt fait prisonnie r…Pan ! […] La situation é tait donc ré gularisée grâce à la signature d’un e ngagem ent pour la duré e de la gue rre . Nous é tions incorporés dans une divis ion de tirailleurs m arocains de la 1 re arm ée française . En octobre 1944, nous cantonnions à Auxonne . Carte d’identité de la 1re armée française d’André Valade (© A. Valade). [Sur le refus de certains FFI de s’engager dans l’armée pour la durée de la guerre] Il faut te nir com pte de l’am biance de l’é poque . Pendant quatre ans , la je une ss e ne s ’é tait pas tellem ent am usée , nous n’avions pas vécu. Ce rtains é taient suffisam m e nt m otivés , 47 m ais d’autres se sont e ngagé s e n juille t e t en août [1944], sont e ntrés dans la colonne , e t quand ils se s ont ape rçus que nous é tions des m ilitaire s , ils s ont repartis . Nous ne voulions que des volontaire s , ceux qui ne l’é taient pas repartaie nt s ur Lim oges . Beaucoup sont repartis . Il y eut des diss ens ions , des que relle s entre les ancie ns FTP e t ceux de l’Arm é e secrè te . […] J’é tais un ancie n FTP, m ais com me je n’avais pas re trouvé de m aquis FTP, j’avais re joint un m aquis de l’AS . Nous é tions bien arm és alors que le s FTP n’avaie nt pres que pas d’arm e s . Ils n’avaient pas bé né ficié des parachutages parce qu’ils é taient com m unis ants , c’e s t en tout cas com m e cela qu’on les voyait. Les problèm es politiques ont alors surgi : « Les com m unis tes vont prendre le pouvoir en France si on leur donne des fusils », « ils vont faire la gue rre », « il y aura la ré volution », e tc. Ils ne recevaient donc des arm es qu’au com pte -goutte s . Un jour, à Vichy, le s FTP ont volé des arm es dans un entrepôt de l’AS . On nous a dem andé de nous battre contre e ux pour ré cupé re r nos arm es . Je n’ai pas voulu. Mon lie ute nant a com pris , il m ’a engueulé m ais enfin il a com pris : « Je comprends que cela te pose des problèmes ». C’é taient de s copains en face , e t je n’allais pas me battre contre eux. Je m ’é tais engagé pour m e battre contre les Boche s , pas contre les copains ! Mais il y avait d’é norm es problèm e s . L’incorporation des FFI dans la 1 re arm ée française ne fut é galem ent pas toujours facile . Ce tte arm é e é tait l’arm ée française d’Afrique , les officie rs venaie nt des é tats -m ajors , ils avaient é té breve tés , ils avaie nt des panneaux. Mais la plupart des jeunes 48 m aquis ards n’avaie nt pas fait leur s e rvice (c’é tait m on cas ), m ême pas les gradés . Ce rtains n’avaient jam ais touché un fus il, m ais dans la Ré sis tance , nous é tions am enés à appre ndre tout cela. Lors qu’il a fallu ass im ile r ces gars -là, il y a e u un m épris enve rs les FFI, ce la n’a pas é té facile . 49 B. Monté e e n lig ne e t pre mie rs c o mbats On as s is te alors à ce s pectacle extraordinaire : jus que dans les trous , à quelques centaines de m ètres de l'ennem i, des gam ins s 'en vont prendre la place des S énégalais et en reçoivent s éance tenante capotes , cas ques , arm es et cons ignes . Jean de Lattre de Tassigny His toire de la prem ière arm ée français e , 1949. Depuis le début du mois d’octobre 1944, les troupes de la 1re armée luttent dans le froid et la neige des forêts vosgiennes39. L’objectif est de libérer l’Alsace et repousser les Allemands au-delà du Rhin. Mais pour cela, il faut auparavant forcer le verrou de Belfort et les défenses allemandes sur les hauteurs vosgiennes. Confiée au 2e corps d’armée du général de Monsabert, l’offensive dans les Vosges débute le 4 octobre. Dans des conditions climatiques déplorables, les troupes françaises subissent de lourdes pertes face à un ennemi résolu à bloquer l’accès au Vate rland . Les Allemands résistent et la percée alliée n’a pas lieu. Toutefois, conçue également comme une diversion, cette bataille permet de fixer 55 000 soldats allemands dans les Vosges au détriment de la région de Belfort et de Montbéliard, autres objectifs du commandement allié. En attendant l’offensive en Franche-Comté, les troupes se rassemblent face à la trouée de Belfort, passage d’une vingtaine de kilomètres de largeur entre les massifs des Vosges et ceux du Jura. Le 16 octobre 1944, le RMCL quitte Auxonne pour la région de Villersexel en Haute-Saône, entre Vesoul et Belfort40. Le premier bataillon cantonne dans le village des Aynans, le second 39 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , op. cit., pp. 618-621. 40 Archives privées de Georges Favard : journal de marche du régiment. 50 à Vouhenans, deux villages entre Villersexel et Lure servant de bases arrières aux troupes sur le front qui n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres à l’est. Les granges des fermes sont réquisitionnées pour installer les hommes qui cohabitent avec le 5e régiment de tirailleurs marocains (RTM) 41. Le 18 octobre près de Vouhenans, l’ensemble du régiment est passé en revue par le colonel Piatte, au nom du général Carpentier commandant la 2e DIM. Le colonel Piatte (un Limougeaud) dirige le 5e RTM. « En Provence, dit-il aux officiers du RMCL, et tout le long de la vallée du Rhône, on nous a applaudis mais bien peu se sont proposés de se joindre à nous42. » La montée en ligne du RMCL (© d-maps.com). 41 Le 5e RTM sera relevé par le 4e RTM le 31 octobre. AD 87, 40 J 171 : Le ré gim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , op.cit., p. 7. 42 51 La 6e compagnie du 2e bataillon du RMCL est la première à monter au front dans le secteur de Moffans et de Lyoffans, en appui du bataillon Clément du 5e RTM43. Au fur et à mesure de la montée en ligne des autres compagnies, la défense de ce secteur est entièrement prise en charge par les Limousins. Des deux côtés de la ligne de front, dans cette région boisée, l’heure n’est pas encore à l’offensive. Les hommes s’enterrent pour se protéger des obus et des balles, dans des abris mais le plus souvent dans de simples trous individuels. Des mines et des fils de fer barbelés sont installés. Les conditions de vie sont rendues difficiles par un temps exécrable : le froid, la pluie et la neige transforment les positions en véritables bourbiers. De jour comme de nuit, des patrouilles quittent la ligne et s’aventurent dans les bois pour tenter de repérer les postes avancés de l’ennemi (à un ou deux kilomètres des avant-postes français). Les Allemands font exactement la même chose, rendant les hommes particulièrement nerveux. Les alertes, justifiées ou non, sont incessantes et les fusillades régulières. Cette guerre de position est nouvelle pour les anciens maquisards. Elle est aussi psychologiquement dure à vivre. La fatigue s’accumule mais la veille et la concentration ne doivent pas se relâcher un seul instant pour détecter et contrer les infiltrations ennemies, tout cela dans des conditions climatiques difficiles. Le « tir ami » est aussi à redouter, particulièrement la nuit. Sans être idéale, la situation matérielle s’est heureusement améliorée44. Le 31 octobre, le RMCL a reçu de la 2e DIM des outils pour aménager ses positions, ainsi que des mines. En revanche, le fil de fer barbelé a été fourni par les habitants ou directement prélevé sur les clôtures des pâturages. Si le régiment n’a toujours pas d’armes lourdes, il bénéficie de l’artillerie de sa 43 44 Ibidem , p. 8. Ibidem , p. 8. 52 division qui contrebat celle de l’ennemi et disperse ses patrouilles. L’armement individuel est toujours aussi varié : fusils mitrailleurs Bren anglais ou Hotchkiss français, fusils canadiens ou anglais, Sten, mortiers ou canons de 25 mm pris aux Allemands, quelques grenades anglaises. La question de l’habillement a été réglée. À tour de rôle, les soldats du RMCL se rendent à Besançon où, après une douche revigorante, ils échangent leurs tenues disparates de maquisard contre l’uniforme américain : battle-dress, imperméables, casques d’acier, pantalons. Le régiment a aussi été ravitaillé par des rations américaines. Le RMCL déplore ses premières pertes le 3 novembre : deux soldats tombent au cours d’une patrouille. Le 8, le capitaine Demaison est tué accidentellement par une sentinelle, et le 10, un obus fait un mort et quatre blessés. Le 16 novembre, une patrouille de 17 hommes du 2e bataillon, en mission de reconnaissance dans un bois près de Moffans, est prise à partie par une mitrailleuse allemande embusquée. Une section de secours est envoyée sur place pour dégager la patrouille à présent encerclée, mais elle est à son tour stoppée par les tirs ennemis. L’issue de l’accrochage est tragique : la patrouille est décimée (six tués et neuf prisonniers dont sept blessés) et la section de secours compte quatre tués. Ces premières pertes sont assez caractéristiques de la guerre de position et de la phase défensive de cette période : un obus tombant dans les lignes au mauvais endroit et au mauvais moment, une patrouille qui se fait surprendre par un tireur isolé, un abri camouflé ou une patrouille ennemie, un homme revenant dans ses lignes et abattu par méprise par une sentinelle sur le qui-vive. 53 À partir du 12 novembre, le front tenu par le RMCL passe de 2 à 4 km avec la relève de toutes les troupes marocaines du secteur45. Les Limousins sont tout de même appuyés par les troupes FFI du bataillon de l’Yonne et du Commando de Cluny. Le RMCL (temporairement détaché de la 2e DIM) et les FFI bourguignons forment un nouveau groupement, afin de relever les régiments marocains chargés de l’effort principal dans l’offensive imminente contre Belfort. Commandé par l’adjoint du général Carpentier, le général Molle, ce groupement FFI se positionne entre la 1re division française libre (DFL) du 2e corps d’armée au nord, et la 2e DIM au sud. Si l’artillerie d’appui a dû suivre la 2e DIM et quitter le secteur du RMCL, ce dernier a reçu en renfort un peloton d’automitrailleuses du 3e régiment de spahis marocains, ainsi qu’une batterie américaine de mortiers chimiques (obus au phosphore). Tandis que les combats se poursuivent dans les Vosges, le 1er corps d’armée du général Béthouart reçoit l’ordre d’attaquer en Franche-Comté46. Renforcée par la 5e DB, la 2e DIM est chargée de l’offensive principale au centre : elle doit percer la ligne allemande et, si possible, prendre Belfort. La progression de la 2e DIM sera appuyée au sud par la 9e division d’infanterie coloniale (DIC), qui avancera vers Montbéliard et la frontière suisse, et au nord par le groupement Molle. Initialement prévue le 13 novembre, l’offensive est reportée d’un jour en raison des conditions météorologiques épouvantables, avec notamment une neige abondante et une visibilité médiocre. Après un mois éprouvant de guerre de position, les hommes du RMCL vont de nouveau se remettre en marche. 45 Ibidem , pp. 9-10. François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , op. cit., p. 621. 46 54 Té m o ig nag e s Jean S alle Nous avons form é le régim e nt, e t tout e s t allé trè s vite . Des cam ions nous ont em m ené s im m édiatem e nt s ur le front. Le front é tait s table , c’é tait la « drôle de gue rre » qui continuait, com m e en 1940. La gue rre s ’é tait arrê tée de vant Belfort. Nous com battions à la m aniè re des com m andos : des groupe s en patrouille re ncontraie nt de s groupe s d’Allem ands , e t s uivant les cas , c’é tait plus ou m oins douloureux, souvent un peu folklorique… Mais à Vache re ss e e t à Lom ontot, nous avons quand m êm e eu des pe rtes . Je n’en ai pe rs onnellem ent re levé qu’une : le capitaine Dem aison de Lim oges . S a m ort fut un cas un pe u particulie r. Je ne s ais pas d’où il re ntrait en pleine nuit, m ais le tiraille ur tunisie n de garde lui a dem andé le m ot de pas se . Le capitaine ne l’a pas pris au s é rieux, il n’a pas donné le m ot de pass e ou il ne le connais sait pas …le tirailleur a tiré . Ce fut l’un des prem ie rs tué s que je ram ass ais . Ensuite je s uis parti ave c m on infirm e rie à Lom ontot, en pos te de secours avancé (on m e ttait là les plus jeunes ). Une nuit, le s Allem ands ont fait prisonnie rs les cuis tots . Le lendem ain, nous som m es allé s prendre le pe tit dé jeune r, m ais plus de cuis tots ni de pe tits dé jeune rs ! J’ai donc décidé (à 19 ans ) d’arm e r m es brancardie rs e t infirm ie rs , e t nous avons m onté la garde . Ils ont e nte ndu du bruit e t, m alheureusem ent, ils ont tué une vache qui ne dem andait rien ! Ce tte affaire a fait du bruit… je suis 55 pas sé en cons eil de gue rre devant Hervé [le colonel Vaujour], j’ai pris une bonne engue ulé e , non pas pour avoir tué la vache m ais pour avoir arm é le s brancardie rs ! Autre s ouvenir, nous avions be aucoup de pie ds gelés . Il faisait 30 ou -25°, il faisait très froid e n 1944. Mes brancardie rs s ’é taient portés volontaires pour alle r donne r la nourriture aux pos te s encore plus avancé s , en bordure entre Faym ont e t Lom ontot. Pour y arrive r, ils s uivaie nt le fil du téléphone …m ais les Allem ands l’avaie nt dé vié e t le fil am enait droit chez eux ! Le s brancardie rs s ont arrivé s à 50 m è tre s de s Allem ands , ils les voyaie nt e n train de s e ras e r ! Ils ont fait dem i-tour e t s ont re ntrés …les pos tes avancés n’ont pas m angé ce jour-là, m ais m e s gars sont revenus . Geo rg es Favard Nous signons à Auxonne puis nous m ontons au front. Ensuite , on nous « déguis e » en Am é ricains à Bes ançon : nous touchons de l’habillem ent am é ricain e t de l’arm em ent avant de rem onte r au front. Nous é tions incorporés dans une division de tiraille urs m arocains . © G. Favard J’ai é té bles sé à Moffans […]. Les cam arade s de la 6 e com pagnie é taient en patrouille quand ils ont é té ence rclé s par le s Allem ands . Ce rtains ont ré us si à s ’échappe r e t s ont venus nous pré ve nir que les copains s e battaient e t é taie nt e nce rclés . On a dem andé des 56 volontaire s pour les dé gage r. Mais les Allem ands avaie nt pré vu la m anœ uvre , e t quand la patrouille de se cours es t arrivée , elle a é té m itraillée . Nous avons eu cinq m orts , dont le copain qui é tait avec m oi. Je ne connaiss ais pas son nom , je l’ai appris plus tard : Martial Majore ss e . Lorsque le s Allem ands ont com m encé à tire r, nous nous som m es couché s tous le s de ux, nous é tions parallèles . Mais nous é tions quand m êm e à découve rt. J’ai é té touché aux jam bes , lui é tait plus bas que m oi, il a é té touché e n trave rs . J’ai fait huit m ois d’hôpital à Toulous e . Blessé le 16 novembre 1944 à Moffans en Haute-Saône, Ge org es Favard est hospitalisé à Toulouse jusqu’au 13 juin 1945, puis démobilisé le 2 avril 1946. Après la libération de la Corrèze, Albert Umins ki s’engage dans la 1re armée française au sein du RMCL. Nous nous som m e s re trouvé s e ngagés à Vache re ss e , où a eu lieu notre prem ie r contact ave c les Allem ands . Pris sous de s tirs de m ortie rs , Ruff a é té tué . Dans le régim ent, il y avait, com me capitaine , le baron de Bas tard. Cela ne vous dit rien, m ais il é tait le proprié taire du château de Haute fort, un château im m ens e qui appartient m ainte nant à l’État. Le baron de Bas tard re gardait à la jum elle , e t Guedin, qui n’é tait pas loin, lui crie : « Couchez-vous capitaine ! » Et de Bas tard, très grand s eigneur : « Cela ne se fait pas dans la famille, mon colonel ». Il a pris un é clat d’obus dans les jam bes e t es t parti à Bes ançon. 57 André e Wurtz a rejoint le maquis en juin 1944. Affectée comme secrétaire à l’état-major de l’AS en Corrèze puis à celui du RMCL, elle revint à Brive après la dissolution du régiment en janvier 1945. Le jour qui m ’a m arquée ? Lorsque nous é tions près des Aynans , à Vache res se . Ce fut notre prem ie r contact avec le s Allem ands . Il y avait un cam p m ilitaire près de Vache res se . Nous avions re pos , e t com m e c’é tait un dim anche , le colonel Guedin avait dem andé à s on beau-frè re , un abbé , de célébre r la m e sse pour tous les s oldats . Ce jour-là, nous parlions be aucoup de théâtre aux arm ée s . Nous devions recevoir la visite de la troupe de l’Opé ra de Paris : Liane Daydé e t Y ve tte Chauviré (de s danse us es é toile s de l’é poque ), des chante urs de l’Opé ra, de s « pe tits rats ». […] Au m om e nt du re pas , alors que nous é tions tous ensem ble , on nous signale que la troupe n’a pas pu pas se r en rais on de m ouvem e nts allem ands dans la ré gion. Notre se cteur é tait considé ré com m e zone d’opé rations , donc la troupe de l’Opé ra n’a pas pu ve nir. Les officie rs s e dem andaient ce qu’ils allaient faire de tous les m ilitaires pré se nts . Ils ont alors dem andé s i ce rtains voulaient se découvrir de s talents de chanteur ou de conte ur, afin d’occupe r l’après -m idi. Le com m andant Marchal s avait que je chantais , e t il voulait que je chante . Ils ont dem andé l’autoris ation à m on pè re , qui a répondu : « Oui, mais il faut lui demander à elle ». J’ai finalem ent accepté . J’ai com m encé par chante r La Bergerette, puis un extrait des Noces de Figaro (le chant de Ché rubin, « Mon cœ ur 58 s oupire »). Ens uite , ils ont à nouveau dem andé si d’autres voulaie nt chante r, ce rtains ont raconté des his toires . Tout à coup, nous avons entendu tire r. La radio, qui é tait avec Gue din, nous a appris que de s troupes é taient e ngagées ave c les Allem ands e t qu’il y avait des bless és . La m ort du s e rgent Ruff a é té annoncée , je ne connaissais pas les autres tué s m ais je connaissais Ruff. Je vous as sure que cela a tout arrê té . Nous avions fini de chante r. 59 III. Le RMCL à l’o ffe ns ive A. La pris e de Be lfo rt e t l’e ntré e e n Als ac e Il ne faut pas qu’il y ait un hom m e de guerre au repos en France tant qu’il y aura un Allem and en-deçà du Rhin, en Als ace. Maréchal Turenne, 1674 Le 14 novembre 1944, après une préparation d’artillerie de quarante minutes, le général Béthouart lance son offensive dans la trouée de Belfort. Dans un froid polaire, les goumiers et tirailleurs marocains de la 2e DIM, appuyés par les chars de la 5e DB, percent la première ligne de défense allemande entre Gémonval et le Doubs47. Un à un, les villages de la région de Beutal sont conquis, et le 17 novembre, la Lizaine est atteinte et Héricourt libérée48. Plus au sud, Montbéliard est libérée le 18. Depuis le déclenchement de l’offensive, le RMCL est resté sur ses positions. Ce temps a été mis à profit pour passer du dispositif défensif à un dispositif offensif plus resserré, pour définir les objectifs de l’artillerie, et enfin pour coordonner les mouvements des différentes unités du secteur (RMCL, Commando de Cluny et bataillon de l’Yonne). La reconnaissance du terrain a été effectuée, en particulier le repérage des postes avancés et des lignes ennemis (la patrouille décimée du 16 novembre fut justement organisée pour cette mission). 47 Ministère de la Défense (SGA/DMPA), Le rôle des troupes m arocaines dans la Victoire 1940-1945, 2001, p. 44. 48 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , op. cit., p. 621. 60 L’offensive sur Belfort (© Ministère de la Défense/SGA/DMPA). Le groupement Molle se met en mouvement le 17 novembre pour couvrir le flanc nord de la 2e DIM. La marche d’approche débute à 10 heures, après le bombardement de postes avancés allemands par des mortiers américains49. Ralenti par de nombreux champs de mines, le RMCL progresse tout de même sur un axe Mignavillers-Champey pour le 1er bataillon et sur un axe ChênoleyLomontot-Lomont pour le second. Lomont est atteint à 14 heures. Menacés d’encerclement par la double progression du groupement Molle et de la 2e DIM, les Allemands abandonnent leurs positions et décrochent vers l’est. Le lendemain, l’avance des Limousins se poursuit en direction de Belverne et d’Étobon. Le second bataillon pousse jusqu’à Chenebier sur la Lizaine, tandis 49 AD 87, 40 J 171 : Le ré gim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , op.cit., p. 10. 61 que les pionniers s’emploient toujours à déminer les routes et leurs abords. Dans chaque village libéré, les habitants sortent de leurs maisons pour fêter leurs libérateurs ; les soldats distribuent des cigarettes, les civils offrent à boire. Au nord du RMCL, la progression du bataillon de l’Yonne est plus lente et la liaison mal assurée avec la 1re DFL qui se bat autour de Ronchamp. La progression du RMCL en direction de Belfort (© d-maps.com). La prise de Montbéliard permet de déborder la place forte de Belfort et ouvre la route de Mulhouse et de la plaine alsacienne. S’engouffrent dans la brèche la 1re DB et la 9e DIC, qui s’emparent le 18 novembre de Delle et de son pont sur l’Allaine. Le lendemain, un escadron du 2e régiment de chasseurs d’Afrique et une section du 1er régiment de zouaves atteignent le Rhin à Rosenau. Les Français mettent quelques pièces en batterie et expédient, fait symbolique, les premiers obus alliés sur la rive allemande. La 1re DB marche sur Mulhouse, tandis que dans le même temps, l’assaut final pour faire sauter le verrou de Belfort, vaste camp retranché de dix-huit forts, est lancé. 62 Le 19 novembre, les Allemands tenant Échavanne et Frahier opposent une farouche résistance au RMCL et au Commando de Cluny. À Chenebier, le pont sur la Lizaine a été détruit, mais les pionniers ont réussi provisoirement à le remettre en état. Les chars Sherman peuvent franchir la rivière et appuyer l’infanterie qui s’empare d’Échavanne mais pas de Frahier. Le 20 novembre, le groupement Molle relance l’offensive et atteint les faubourgs nord de Belfort après avoir traversé le canal de la Haute-Saône50. Malgré les champs de mines et les tirs venant du Salberg, colline dominant le nord de Belfort, le 1er bataillon libère Haut-Évette, le 2e bataillon Évette et Bas-Évette51. Sur les pentes du Salberg, les hommes du 1er bataillon enlèvent un nid de résistance ennemi, neutralisant deux canons de 88, plusieurs mitrailleuses et faisant vingt prisonniers. Les forts ceinturant Belfort sont enlevés les uns après les autres, après parfois de violents combats. Les commandos d’Afrique et le bataillon de choc pénètrent dans Belfort le 20 novembre, suivis par le 4e RTM. La ville ne sera vraiment sécurisée qu’à partir du 25 avec la reddition des dernières fortifications encore tenues par les Allemands. Après la libération de Belfort, le groupement Molle est dissous et le RMCL de nouveau rattaché à la 2e DIM. Le 23 novembre, le régiment limousin reçoit l’ordre de relever le 3e régiment de spahis marocains à Valdoie, puis de progresser vers le nord-est en direction de Thann. Les Allemands reculent toujours devant l’avance des troupes françaises. Les forts Rodolphe et de Roppe sont trouvés inoccupés et la ville d’Ajoutey est atteinte le 25. Du 26 au 28 novembre, le régiment est engagé dans des combats autour de Felon, Lachapelle et Petite-Fontaine. 50 AD 87, 40 J 171 : Le ré gim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , op.cit., p. 11. 51 Archives privées de Georges Favard : journal de marche du régiment. 63 Les Limousins entrent en Alsace le 30 et rallient le 8e RTM à Mortzwiller, Soppe-le-Haut et Soppe-le-Bas. Ils marchent ensuite en direction de Sentheim, à l’est de Gruvenheim encore tenue par les Allemands. À Sentheim, les mines et les tirs d’artillerie ennemis causent la mort de plusieurs hommes du RMCL. Ordre est donné au régiment de déborder Gruvenheim par le nord en attaquant vers Bourbach-le-Bas, localité située au sud de Thann. © d-maps.com Grâce au succès de l’offensive sur Belfort, les deux corps d’armée français ont débouché sur la plaine alsacienne52. La ville de Mulhouse est atteinte le 20 novembre, tandis que de Monsabert pénètre en Alsace. Le 28 novembre, les troupes de Béthouart et celles de de Monsabert opèrent leur jonction à Soppe-le-Bas dans la région de Burnhaupt. Encerclés par la manœuvre française dans la poche de Burnhaupt, 17 000 soldats allemands sont faits prisonniers. Plus au nord, les Américains de la VII e armée du général Patch et la 2e DB du général Leclerc sont eux aussi passés à l’action. Baccarat en Meurthe-etMoselle est enlevée le 31 octobre et, le 13 novembre, Leclerc et les 52 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , op. cit., p. 622. 64 Américains attaquent en direction de Saverne dans le Bas-Rhin. La ville tombe le 22. La plaine s’ouvre aux chars de Leclerc qui foncent désormais vers Strasbourg par toutes les routes possibles. Le 23 novembre, le Serment de Koufra est tenu : la capitale alsacienne est libérée. Mais si Belfort, Mulhouse et Strasbourg sont délivrées, l’ennemi est loin de se disloquer. Au contraire, les troupes allemandes se cramponnent fermement à l’Alsace médiane dans une large poche autour de Colmar, sous le commandement direct du Reichsführer-SS Himmler53. 53 Henri Michel, La S econde Guerre m ondiale , op. cit., p. 688. 65 Té m o ig nag e s Jean S alle En quittant Lom ontot, nous s om m es arrivés à Faym ont, où nous avons fait le pari, avec m e s brancardie rs , de m onte r un drapeau s ur le cloche r de l’église . Cela a pris du tem ps… quand nous s om m es redes ce ndus , nous avions pe rdu notre régim e nt ! Nous nous s om m es re trouvés à deux… « Mais où sont-ils ? » Il faisait te llem e nt froid que les m orts é taie nt gelés dans la position où ils avaient é té tués . Ce rtains à m oitié de bout… conge lés . Il y avait du bruit sous te rre , nous grattons un peu puis e ntendons un coup de revolve r. Les chars é taie nt pass és s ur le s pe tits blockhaus que le s Allem ands avaie nt cons truits à l’entrée des bourgs , e t les avaient écras és . Un officie r s ’é tait suicidé (c’é tait le coup de feu que nous avions entendu), e t de ux hom m es sont s ortis . Nous avons ram ené les deux prisonnie rs au colonel, m ais il nous a e ngue ulé s : « Qu’est-ce que vous voulez que j’en foute ! » La ville de Belfort é tait entourée de forts de puis la gue rre de 1870. Les Allem ands le s occupaie nt, e t nous é tions en bas . Une fois e ncore , je pens e que nous avons é té im patie nts , car les Allem ands s e se raie nt rendus en attendant un pe u. Il n’y a eu que le fort du Lion qui a résis té . Nous avons voulu attaque r, il y a eu des dégâts . Il y a m êm e eu un pe tit groupe qui voulait voir le Lion e t vis ite r, com m e s ’il n’y avait pas la gue rre . Ils s e sont fait m itraille r de puis la citadelle . 66 À ce tte é poque , je m ’occupais de s évacuations . Nous avons s auté s ur une m ine avec l’am bulance m ais , coup de chance , nous n’avons e u aucun ble ssé , ni ce ux qui é taie nt de rriè re , ni le chauffeur, ni m oi. Albe rt Umins ki Ave c Gue din, nous arrivons à l’entrée d’Éve tte . J’arrê te la voiture : nous e ntendons parle r allem and de l’autre côté du village . Ni une ni de ux, il m onte dans le cloche r e t se m e t à sonne r les cloche s à toute volée . Le s Allem ands te naient une gros se pièce d’artille rie qui dé fendait la route de Belfort. Ils se sont sauvé s . Albert Uminski portant la chéchia du 9e Zouaves (© A. Uminski). Gue din es t quelqu’un dont je parle s ouvent car je l’adm irais beaucoup. Du point de vue de s techniques de gué rilla, il é tait e xtraordinaire . À Belfort, au fort du Lion qui é tait occupé , une nuit ve rs cinq he ure s du m atin, alors que Guedin é tait dans une m aison d’un côté de la rue de Lille e t m oi dans la m aison d’en face , il m ’appelle : « Tu prends la voiture , tu em m ène s les copains ». Je ré cupè re donc tous le s copains : nous é tions s ept dans la voiture ave c Gue din. 67 Nous fichons le cam p e n dire ction de la route de Mulhous e . Nous pas sons un pe tit pont qui é tait m iné , nous réussissons à évite r les m ines . Dans un village , à R oppe , nous fais ons trois pris onnie rs allem ands . Puis en continuant, nous arrivons aux Errues . Dans un virage , nous tom bons ne z à ne z avec un char ! Alors tout le m onde s ’évapore . Moi je pas se de rriè re la voiture , e t au m êm e m om ent, un obus arrive e n plein dans la voiture ! Avec Je an, nous é tions sur un te rrain plat, un pré , e t nous avons ram pé . Les Allem ands nous tiraient de ss us à la m itraille use . Heureusem e nt, la voiture e nfum ée nous couvrait. En contrebas , il y avait un ruiss eau que nous avons trave rs é , j’avais de l’e au jusqu’à la taille . Nous e n s ortons pour re trouve r Guedin. Nous n’avions plus de voiture . Il m e dit alors : « Il faut que tu te dé brouilles pour en trouve r une autre ! » Alors j’ai arrê té un Am é ricain de la Military Police . Il m ’a pris s ur sa m oto e t nous som m es partis com m e cela, à -15°. Mouillé de la tê te aux pieds , j’ai fait 20 km s ur la m oto e t je n’ai m êm e pas attrapé un rhum e ! Après la dissolution du RMCL, Albe rt Umins ki continue la guerre au sein du 9e Zouaves de la 1re armée française. Il participe à toute la campagne d’Allemagne et d’Autriche jusqu’à la capitulation allemande. Il est décédé le 30 janvier 2013 à Sainte-Féréole, à l’âge de 93 ans. Re né Dubo is Dés irant poursuivre le com bat e n unité organisé e , je signe un e ngagem ent pour la duré e de la gue rre contre l’Allem agne le 5 68 octobre 1944, par-de vant le colonel Gue din. Je reçois par la s uite , le 20 octobre , m a carte d’identité au titre de la 1 re arm ée française . Je m e trouve affecté à la 1 re com pagnie du R MCL s ous les ordres du com m andant Thom as e t de son adjoint le lie ute nant Croz e tte . Les choses sé rieuses com m encent lorsque nous s om m es e ngagés dans de s com bats face à un adve rs aire plus ague rri e t m ie ux arm é que nous . À Bes ançon, nous quittons nos tenues hé té roclite s pour ê tre é quipés e n uniform es e t m até rie ls am é ricains . Nous s om m es au dé but de l’hive r e t s ous la pluie , la neige e t le froid, nous avançons en dire ction de Belfort. De rudes com bats nous atte ndent, en particulie r à Bas -Éve tte , Valdoie , puis sous les tirs des forts de R oppe e t du S albe rt. Puis nous m archons ve rs R ougem ont, Mass evaux e t Bourbach-le -Bas où un bataillon du R MCL subit d’é norm e s pe rtes sur la côte 475. Nous s om m es alors re pliés au fort Hatry à Belfort, pour repos e t re cons titution du ré gim ent. Mais faute de nouvelles recrue s , le R MCL es t diss ous . Nous som m es intégrés au 9 e ré gim ent de z ouave s pour com ble r leurs pe rte s . Le R MCL n’a vé cu que quelques m ois ! 69 B. Le s c o mbats de Bo urbac h-le -Bas dis s o lution du ré g ime nt e t la L’hom m age d’aujourd’hui n’appelle que le chant qui va s ’éle ver m aintenant, ce Chant des partis ans que j’ai entendu m urm urer com m e un chant de com plicité, puis ps alm odier dans le brouillard des Vos ges et les bois d’Als ace, m êlé au cri perdu des m outons des tabors , quand les bazookas de Corrèze 54 avançaient à la rencontre des chars de Runds tedt lancés de nouve au contre S tras bourg. Écoute aujourd’hui, jeunes s e de France, ce qui fut pour nous le chant du m alheur. André Malraux extrait du discours prononcé à l’occasion du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, le 19 décembre 1964. Le 2nd bataillon du RMCL entre dans Bourbach-le-Bas le 30 novembre, alors qu’une bataille fait déjà rage sur les hauteurs à l’est du village. Les Allemands tiennent solidement ces positions qui séparent Bourbach-le-Bas de Roderen au sud de Thann55. Plusieurs troupes s’élancent à l’assaut des hauteurs (4e RTM, FFI de Bourgogne, blindés de la 5e DB), mais alors qu’elles gravissent les pentes, elles sont brutalement stoppées par une contre-attaque des blindés allemands, sur la côte dite 47556. Les Français commencent à refluer jusqu’à ce que les chars du 8e régiment de chasseurs d’Afrique interviennent et bloquent les blindés allemands. Une bataille de chars s’engage, quatre blindés allemands et deux français brûlent sur la côte 475 à l’issue de ces affrontements. 54 André Malraux fait ici référence à la « Brigade indépendante Alsace-Lorraine » qu’il commanda, formation composée de maquisards alsaciens et lorrains réfugiés notamment en Auvergne, en Limousin et dans le Sud-Ouest pendant l’Occupation. 55 AD 87, 40 J 171 : Le ré gim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , op.cit., p. 12. 56 Ibidem , p. 13. 70 À 16 heures, dans des rafales mêlant neige et pluie, les hommes du 2e bataillon du RMCL s’élancent à leur tour à l’assaut des positions ennemies. Soutenues par l’artillerie, deux compagnies (la 6e et la 7e) parviennent à occuper une partie de la côte 475, faisant quelques prisonniers. La nuit tombe et les Limousins reçoivent l’ordre de consolider leurs positions afin de contrer une éventuelle réaction allemande57. Les hommes se retranchent et s’enterrent du mieux possible, pendant que des blindés français se regroupent dans le village en préparation d’une nouvelle offensive le lendemain. Mais les Allemands ne comptent pas abandonner les hauteurs de Bourbach qui protègent Thann. Déclenchée vers deux heures du matin (1er décembre), l’offensive est menée par des unités d’infanterie SS, appuyées par un puissant feu d’artillerie. Les deux compagnies limousines encaissent le choc, s’accrochent, ripostent et repoussent les deux premières vagues allemandes. Mais les assaillants ne renoncent pas et renouvellent leur attaque à 4 h 30. Sur la côte 475, Français et Allemands se battent désormais au corps à corps, bien que les premiers ne possèdent pas de baïonnette. Exténuées, à court de munitions et débordées par les Allemands, les deux compagnies limousines doivent finalement décrocher en direction de Bourbach-le-Bas. Encerclée, la section la plus en pointe de la 6e compagnie, celle de l’adjudant Delage, est massacrée sur place. L’avance allemande est néanmoins stoppée à l’entrée du village. La 6e compagnie a perdu plus de 50 % de ses effectifs (tués et blessés), il ne reste que 45 hommes valides ; la 7e compagnie déplore, quant à elle, 14 tués, 10 blessés et deux disparus. 57 Ibidem , p. 13. 71 L’arrivée d’un convoi de munitions à Bourbach-le-Bas rend possible une nouvelle attaque française une fois le jour levé. Les combats sont une nouvelle fois violents, les Français parviennent à s’emparer d’une crête en face de la côte 475. Le 3 décembre, le RMCL est relevé par le Commando de Cluny et se regroupe à Étueffont et Saint-Germain. Les combats de Bourbach ont duré une dizaine de jours, et la côte 475 sera prise, perdue et reprise plusieurs fois58. Les attaques et contre-attaques, toutes très meurtrières, se succèdent jusqu’au 9 décembre, date à laquelle les hauteurs de Bourbach, puis le village de Roderen derrière ces hauteurs, sont définitivement enlevés. Thann a également été libérée. Le 6 décembre, le RMCL est envoyé au repos à Belfort. Les soldats sont logés chez l’habitant dans la cité ouvrière du Mont ou à la caserne Hatry. Le 9, le régiment est passé en revue par le général de Lattre. Pendant que les hommes partent en permission, le colonel Vaujour et le chef du 2nd bataillon, le commandant Lhermite, se rendent dans le Limousin afin d’obtenir des renforts pour le RMCL, sensiblement amoindri par les derniers combats59. Mais ni le premier en Corrèze, ni le second en Haute-Vienne ne parviennent à ramener des hommes, tous les effectifs disponibles étant destinés au front de l’Atlantique. Faute de renforts et considérant les effectifs du RMCL trop faibles, l’état-major de la 1re armée décide de dissoudre le régiment et de verser ses soldats dans le 9e régiment de zouaves du colonel Aumeran, qui a subi des pertes importantes lors de l’offensive dans la trouée de Belfort et en Haute-Alsace60. Le régiment limousin disparait ainsi en janvier 1945, mais les volontaires 58 Ibidem , p. 15. Ibidem , pp. 15-16. 60 Créé en 1914, le 9e régiment de zouaves est l’une des unités les plus décorées de l’armée française. 59 72 continuent la lutte au sein du 9e Zouaves. Le 1er bataillon du RMCL devient le 1er bataillon du 9e Zouaves, commandé par le colonel Vaujour, le second devient le 3e bataillon aux ordres du commandant Lhermite. Les effectifs du 9e Zouaves sont également renforcés, le 17 janvier, par 800 volontaires issus des FFI parisiens (bataillon 10/22). Le colonel Aumeran, commandant du 9e régiment de zouaves (© AD 87, 40 J 171). À l’instar du premier, ce deuxième amalgame ne se déroule pas sans friction, principalement au niveau des cadres. Comme l’explique le commandant Lhermite, les officiers zouaves se méfient des officiers limousins, qui eux-mêmes se méfient des Parisiens61. En revanche, les hommes du rang accueillent ce second amalgame avec davantage d’enthousiasme. Ils espèrent que cette fusion leur permettra d’être mieux habillés et équipés. Et en effet, les deux bataillons limousins abandonnent leur ancien armement d’origine anglaise ou canadienne pour être armés et équipés entièrement à l’américaine. Ils reçoivent ainsi des mortiers de 60 et 81, des mitraillettes Thompson, des fusils semi-automatiques Garand et des baïonnettes. Au repos toutefois, il y a peu de risque de les prendre pour d’authentiques GI, car tous les soldats du régiment portent la chéchia rouge caractéristique des troupes coloniales en général et des zouaves en particulier. À la fin du mois de janvier 1945, le régiment est à nouveau prêt pour le combat. Le 28 janvier arrive l’ordre de mouvement pour le 30. 61 AD 87, 40 J 171 : Le ré gim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , op.cit., p.18. 73 Après la prise de Mulhouse et de Strasbourg, des conditions météorologiques particulièrement rigoureuses et le ressaisissement des troupes allemandes autour de Colmar ralentissent l’offensive alliée62. En Alsace, la XIXe armée allemande reçoit des renforts, résiste et même contre-attaque. Les troupes françaises et américaines livrent de violents combats autour de Colmar en décembre 1944, mais malgré des succès chèrement acquis, les Allemands tiennent bon et le front n’est pas rompu. Le 16 décembre 1944, Hitler lance une contre-offensive de grande ampleur dans les Ardennes belges. Totalement surpris, les Alliés sont d’abord bousculés, avant de réussir à stopper la Wehrmacht à la fin du mois. En marge de la contre-offensive des Ardennes, les Allemands attaquent en direction de Strasbourg et de Saverne à partir du 1er janvier 1945. Sérieusement menacée, la capitale alsacienne est dégagée après trois semaines de combat. L’échec de la contre-offensive dans les Ardennes et en Alsace réduit définitivement les Allemands à la défensive63. Toutes les énergies alliées convergent désormais vers les mêmes objectifs : liquider la poche de Colmar, franchir le Rhin et envahir l’Allemagne. 62 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , op. cit., p. 625. 63 Henri Michel, La S econde Guerre m ondiale , op. cit., p. 701. 74 Té m o ig nag e s André Valade s’engage dans le RMCL puis dans le 9e Zouaves. Il est démobilisé le 3 octobre 1945. Bourbach fut une catas trophe . Le village é tait libé ré m ais il y avait la côte 475, une colline : douze ré gim ents y sont passé s , e t douze ré gim e nts se s ont fait e squinte r. Nous som m es m ontés ve rs ce tte côte le soir, avec les tirailleurs m ais plus loin qu’e ux, pres qu’à cinquante m è tres des Allem ands . Nous nous som m es pos té s dans des trous . Le s Allem ands nous ont attaqués toute la nuit jus qu’au le ndem ain m atin, quand nous n’avions plus de m unitions . « En arriè re ! Tout le m onde pe rtes …nous en é tions arriè re ! » 25. Ce 60 % de fut une catas trophe , il y a m êm e e u des corps à corps ave c des S S , e t une bataille de chars . Les chars allem ands pass aie nt à cinquante m è tres de nous . Ce rtains ont brûlé . André Valade portant la chéchia des zouaves ; sur l’épaule, l’écusson « Rhin et Danube » de la 1re armée française (© A. Valade). 75 Jean S alle Nous avons pris Belfort, puis continué ve rs l’Alsace jus qu’à Bourbach. Bourbach es t le s ouvenir qui m ’em pêche e ncore parfois de dorm ir, de tem ps en tem ps …Nous som m es arrivés e n pleine bagarre : il y avait cinq chars qui brûlaie nt, quatre allem ands e t un français . Nous s om m es m ontés sur une côte , puis le colonel Lhe rm ite nous a pos tés dans un chem in creux, sans gue tte ur. Et à 4 he ure s du m atin, les Allem ands ont débarqué ave c les baïonne ttes e t nous ont attaqués dans notre chem in. S ur ordre du colone l, je s uis parti à l’arriè re ave c un autre soldat pour ave rtir de l’attaque , car le s chars é taie nt repliés à l’arriè re . Mais le s m alheureux dans le chem in y sont pres que tous res tés . Tant qu’ils ont pu tire r, ils ont tiré m ais quand ils n’avaie nt plus de m unitions … Nous n’é tions quand m êm e que des am ate urs par rapport aux profe ssionnels . […] Ave c m on groupe , m on boulot fut de rele ve r le s « dé gâts » : 42 ble ss és ou tué s . Il y en a eu, bien sûr, beaucoup plus . Notre ré gim ent a é té décim é , s urtout la partie qui venait de Haute -Vie nne dont fait partie André Valade . Il y a eu beaucoup de pe rte s . De Lattre es t ve nu nous pas se r en re vue , e t j’ai participé . Il nous a annoncé qu’il nous m e ttait au repos , e t on nous a envoyés à Be lfort un peu avant Noël. Je m ’e n rappelle bien car j’ai eu une pe rm is sion. Les gars de la ré gion nous ont m al reçus , les copains nous traitaient de tout, nous é tions des niais , de s idiots , eux fê taient la Libé ration e t nous …À te l point que nous som m es partis avant la fin de notre pe rm is sion re trouve r les copains à Belfort. 76 IV. Le s Limo us ins au s e in du 9 e Zo uave s A. La ré duc tio n de la po c he de Colmar e t le pas s ag e du Rhin Il ne res tait à faire, en s om m e, que l’es s entiel, c'es t-à-dire pas s er le Rhin. Charles de Gaulle Mém oires de guerre , Le S alut, 1959. Pour le général Eisenhower, commandant suprême des forces alliées en Europe, la première phase de l’assaut final doit consister à chasser les troupes allemandes de la rive gauche du Rhin, afin que l’ensemble des armées alliées viennent border le fleuve avant de le franchir64. Conformément à cette stratégie, la réduction de la poche allemande de Colmar devient prioritaire. La 1re armée française est chargée de cette offensive, appuyée par les Américains du 21e corps d’armée. Le 20 janvier 1945, le 1er corps d’armée du général Béthouart attaque entre Mulhouse et Thann dans des conditions hivernales exécrables. L’aviation alliée est clouée au sol, la neige ralentit la progression française tandis que les nombreux bois, canaux et rivières favorisent les défenseurs. Les combats sont extrêmement violents au nord de Mulhouse dans la région des mines de potasse. Les Allemands s’accrochent et le terrain conquis reste très limité. Cernay tombe le 27 janvier mais la résistance allemande bloque les Français à Wittelsheim. Tandis que la Wehrmacht est attirée vers le sud, de Monsabert 64 Henri Michel, La S econde Guerre m ondiale , op. cit., p. 721. 77 lance, le 23 janvier, son 2e corps d’armée à l’assaut au nord de la poche. Sa progression en direction de Colmar et du Rhin est également difficile, de terribles combats ont lieu à Jebsheim et à Grüssenheim. Les Alliés atteignent tout de même le canal de Colmar le 26 janvier et Horbourg-Wihr dans l’agglomération de Colmar le 30. © Ministère de la Défense/SGA/DMPA 78 Le même jour, le 9e Zouaves quitte Belfort en camion et atteint Orbey au nord de Munster le lendemain (via Lure, Plombières et Gérardmer)65. Passés dans la 10e division d’infanterie (DI) du général Billotte, les zouaves relèvent, dans la région d’Orbey, les Américains du 110e RI66. La mission de la 10e DI et de la 28e DI américaine est de fixer l’ennemi dans les Vosges pendant que se déroule la bataille au nord et au sud de la poche, et le poursuivre s’il se replie67. Insigne du 9 e régiment de zouaves, avec sa devise : « Chacals en Algérie et tigres à Verdun » (© A. Valade). Alors que Colmar vient d’être libérée, le 9e Zouaves passe à l’attaque en direction de Munster, le 3 février en fin de journée. Une épaisse couche de neige rend la progression difficile, d’autant que les Allemands ont abondamment miné la région68. Le 3e bataillon avance sur l’axe OrbeySoultzeren, le second vers le col de la Schlucht plus à l’ouest, et le premier reste en réserve. Sur les deux ailes du dispositif d’attaque, le 2nd bataillon du 9e Zouaves et le 9e tabor n’avancent que lentement, contrairement au 3e bataillon au centre. Le 4 février, les hommes du commandant Lhermite dépassent le col de Wettstein et atteignent un peu plus tard le village de 65 Archives privées de Georges Favard : journal de marche du régiment. Le 9e Zouaves est un régiment de réserve générale, c'est-à-dire qu’il est envoyé pour renforcer temporairement une division de la 1re armée, puis une autre, au gré des besoins. 67 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , op. cit., p. 633. 68 AD 87, 40 J 171 : Le ré gim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , op.cit., p. 20. 66 79 Soultzeren, abandonné par l’ennemi. Coupé du reste du régiment retardé en arrière par la neige et les mines, le bataillon s’y installe pour la nuit. © d-maps.com Les Limousins reprennent leur marche à l’aube du 5 février, et après avoir traversé Stosswirh, entrent dans Munster par l’ouest. Quelques coups de feu sont échangés mais les Allemands continuent leur retraite, laissant derrière eux 80 prisonniers69. Malgré les embrassades et la liesse de la population délivrée, les soldats français s’installent défensivement pour contrer un éventuel retour des Allemands. Mais ces derniers se sont bien définitivement repliés vers l’est. Les 6 et 7 février, le colonel Aumeran et les autres unités régimentaires rejoignent le bataillon du commandant Lhermite, qui est promu lieutenant-colonel et décoré de la croix de chevalier de la Légion d’honneur par le général de Lattre en personne, lors d’une prise d’armes à Munster le 9 février. 69 Ibidem , p. 22. 80 Ce 9 février marque également la fin de la bataille de la poche de Colmar. Le 1er février, la poussée du 21e corps d’armée américain permit de déborder Colmar par l’est et, le lendemain, la 5e DB française entra dans la préfecture du Haut-Rhin, entièrement sécurisée le 3. La résistance allemande s’effondra enfin. Le 4 février, la jonction à Rouffach des Américains de la 12e DB et des Français du 1er corps d’armée coupa la poche en deux et piégea les Allemands bloqués dans les Vosges. Pendant ce temps, les Alliés avançaient aussi vers le Rhin. Neuf-Brisach fut prise le 5 février, et les derniers soldats allemands repassèrent le fleuve le 9 par le pont de Chalampé qu’ils détruisirent derrière eux. La poche de Colmar est définitivement résorbée et la XIXe armée allemande presque anéantie, au prix toutefois de nombreuses pertes parmi les troupes alliées. Le 8 février, Américains et Britanniques déclenchent en Rhénanie l’offensive destinée à s’assurer de la maîtrise de la rive gauche du Rhin. Les Alliés atteignent le fleuve le 2 mars en face de Düsseldorf et s’emparent de Cologne le 5. Le 16 février, après quelques jours de repos à Munster, le 9e Zouaves est mis à la disposition de la 3e division d’infanterie algérienne (DIA) du général Guillaume (2e corps d’armée)70. Relevant le 14e RI américain, les zouaves reçoivent la mission de garder les bords du Rhin au nord de Strasbourg, à Offendorf, Herrlisheim et Rohrwiller. La région est encore marquée par les violents combats de janvier, lors de la contre-offensive allemande sur Strasbourg. Les villages sont détruits, les carcasses de blindés gisent encore sur place, des cadavres aussi71. La garde du Rhin n’est pas sans danger. Abrités dans des blockhaus sur la rive droite, les Allemands expédient régulièrement des obus sur la rive française. Ainsi, le commandant Dugros qui 70 AD 87, 40 J 171 : Le ré gim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , op.cit., pp. 23-24. 71 Archives privées de Jean Salle : carnet de guerre de Georges Dambrine ; archives privées de Georges Favard : journal de marche du régiment. 81 fut l’adjoint de Lhermite est tué le 7 mars par des éclats d’obus. Des patrouilles sont également organisées des deux côtés, donnant lieu à des accrochages. Le 15 mars, la 3e DIA fait mouvement en direction du nord-est, vers Lauterbourg à la frontière franco-allemande. Le 9e Zouaves protège son flanc en progressant le long du Rhin, sans le colonel Lhermite qui a dû à contrecœur quitter le bataillon. Une fois la résistance allemande brisée à Oberhoffen et Schirrhein, la Wehrmacht se replie jusqu’à la ligne Siegfried, ligne fortifiée défendant la frontière allemande composée de blockhaus, barbelés, obstacles antichars et champs de mines. Les Français pénètrent en Allemagne et percent la ligne Siegfried après cinq jours de combat. Ils atteignent Kandel puis se rabattent vers le Rhin. Pendant l’offensive, le 9e Zouaves continue sa progression en Alsace le long du fleuve. Le 30 mars, le régiment entre dans le Palatinat (via Lauterbourg) pour occuper une position entre Maximiliansau et Leimersheim, toujours sur les bords du Rhin. De nombreuses divisions se concentrent dans la région dans l’attente de traverser le fleuve. En quelques semaines, Eisenhower a donc réussi son pari : la Wehrmacht a été chassée de la rive gauche du Rhin et toutes les armées alliées viennent le border72. Mais les Allemands ont fait sauter tous les ponts, et le franchissement du fleuve nécessitera un certain temps avant que le Génie parvienne à en construire un. Pourtant, le 7 mars, des éclaireurs de la 9e DB américaine découvrent un pont miraculeusement intact au sud de Bonn, celui de Remagen. Les Américains le prennent aussitôt d’assaut et les sapeurs sectionnent in e xtrem is les fils des explosifs qui devaient le détruire. Le lendemain, des milliers de GI ont déjà installé une tête de pont sur la rive 72 Henri Michel, La S econde Guerre m ondiale , op. cit., p. 722. 82 droite. Dans la nuit du 30 au 31 mars, à Spire et à Germersheim, des régiments de la 3e DIA et de la 2e DIM sont les premières troupes françaises à franchir le Rhin, à la rame et sous les tirs ennemis. Du 4 au 6 avril, le 9e Zouaves (appartenant désormais à la 9e DIC) passe à son tour le fleuve à Spire et Maximiliansau. Les zouaves entrent dans Karlsruhe, prise le 4 avril par la 9e DIC. L’entrée en Allemagne et le passage du Rhin (© d-maps.com). 83 Té m o ig nag e s Médecin au RMCL puis au 9e Zouaves, Je an Salle est ensuite affecté à la direction des hôpitaux allemands en mai 1945, puis démobilisé en septembre. À notre re tour de pe rm is sion, on nous a annoncé la dis solution de notre régim ent, le RMCL. Il a é té ve rsé au 9 e Zouaves , qui a é galem ent s ubi be aucoup de pe rtes de puis le débarquem ent de Provence e t qui avait besoin de renforts . Nous s om m es deve nus des zouaves e t portions la ché chia. Les zouaves , arm ée réguliè re , ont é té surpris de la pré sence d’un m édecin e n deuxièm e année de m édecine ! Nous avons dû passe r des exam ens de l’arm é e , e t nous avons é té re çus . Puis on nous a donné des galons de lie ute nant, m ais pour nous annonce r que nous é tions e n s urnom bre . J’ai é té m uté dans l’entourage de de Lattre com m e élém ent de vaccination. Nous é tions cinq m é decins , dont un ancien agrégé de S trasbourg. Notre boulot consis tait à vaccine r les troupe s , e n particulie r tous le s FFI qui n’avaient pas é té réglem entairem ent vacciné s . Après le pas sage du R hin, j’é tais m é decin d’un cam p de pris onnie rs allem ands . Il y avait 100 000 prisonnie rs , un m édecin russ e , un m édecin am é ricain, un m é decin anglais e t m oi. Je m ’e nte ndais bie n ave c l’Am é ricain. Il y avait des m é de cins parmi les prisonnie rs , nous avions donc dé cidé de les convoque r à dix heures pour un rapport, avant de le ur donne r les m édicam e nts . Nous é vacuions le s gens qui avaient besoin de l’ê tre . 84 L’aprè s -m idi, nous allions à la chasse . Ce m ois a é té m e rveilleux, nous avions une villa ave c quatre salle s de bains , une villa allem ande qui avait é té réquisitionné e à côté du cam p. Nous s om m es re s té s dans l’arm ée jusqu’à la fin de la gue rre . J’ai é té dém obilis é e n s eptem bre 1945. 85 B. Le s Franç ais au c œ ur du Re ic h Et le com bat ces s a faute de com battants . Pierre Corneille Le Cid, acte IV, scène 3, 1636. Le Rhin franchi, les armées alliées avancent dans trois directions. Le groupe d’armées Nord, commandé par Montgomery, marche vers la Baltique. En dépit d’une poche formée dans la région de la Ruhr où sont encerclées dixhuit divisions allemandes, le groupe d’armées Centre de Bradley progresse sur un axe Erfurt-Leipzig-Dresde pour établir la jonction avec l’Armée rouge, quelque part sur l’Elbe73. Quant au groupe d’armées Sud du général Devers, dont fait partie la 1re armée française, il doit avancer en direction de l’Autriche. De Lattre ordonne à ses troupes de progresser d’une part vers l’est sur Pforzheim et Ludwigsburg (avec Stuttgart comme objectif principal), et d’autre part en direction du sud vers Rastatt et la Forêt-Noire74. La progression française marque le pas au sud de Karlsruhe. La Wehrmacht a en effet réussi à se réorganiser défensivement dans le massif du Hartwald, près de Rastatt, en s’appuyant sur les ouvrages de la ligne Siegfried75. Le 6 avril, les Français lancent une offensive destinée à faire sauter ce verrou. Le 9e Zouaves attaque le massif de front au centre du dispositif allié, tandis que d’autres troupes tentent de déborder par les flancs la résistance allemande. Mais celle-ci ne fléchit pas et la progression reste limitée. L’offensive se 73 Henri Michel, La S econde Guerre m ondiale , op. cit., p. 726. François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , op. cit., p. 646. 75 AD 87, 40 J 171 : Le ré gim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , op.cit., pp. 26-27. 74 86 reporte alors plus à l’est et l’ennemi finit par se replier. Les Allemands ne sont plus en mesure d’opposer un front continu au nord de la Forêt-Noire, mais ils combattent toujours et la liste des tués et blessés s’allonge76. Malsch, Oberweier et Gagguenau sont dépassées, et le 12 avril, le 9e Zouaves appuyé par des chars s’empare sans réelle difficulté de Baden-Baden. Le lendemain, le lieutenant-colonel Vaujour est nommé gouverneur de la ville par de Lattre. La campagne d’Allemagne et d’Autriche du 9 e Zouaves. 76 Archives privées de Georges Favard : journal de marche du régiment. 87 À partir du 14 avril, le 9e Zouaves fonce vers le sud en traversant la ForêtNoire77. Les unités ennemies sont disloquées et encerclées les unes après les autres. Les soldats allemands sont épuisés et, mis à part les plus fanatiques, totalement démoralisés. Le 9e Zouaves atteint Oberkirch et Kniebis, entre Offenburg et Freudenstadt. La région est ratissée, l’occasion à chaque opération de faire des centaines de prisonniers. Ravagée par un incendie provoqué par l’artillerie alliée, Freudenstadt est évacuée par les troupes allemandes le 17 avril. Un peu plus au nord, les Français s’emparent de Calw et s’approchent de Stuttgart. De Lattre ordonne à Béthouart d’avancer en Forêt-Noire, et à de Monsabert de prendre Stuttgart avant la VII e armée américaine du général Patch qui a la même mission78. Laissée aux Soviétiques, Berlin n’est plus un objectif pour les Américains qui infléchissent leur dispositif vers le sud. La VII e armée doit ainsi prendre Stuttgart et poursuivre jusqu’à la Suisse et l’Autriche, en coupant la route des Français qui devront se contenter de nettoyer la Forêt-Noire. Mais de Gaulle et de Lattre ne l’entendent pas ainsi. Ils veulent pousser l’armée française le plus profondément possible en territoire allemand. Depuis le début de la campagne d’Allemagne, Américains, Britanniques, Français et Soviétiques se livrent une véritable course interalliée. Il s’agit de se placer dans la meilleure position en vue des futures négociations sur les zones d’occupation. 77 AD 87, 40 J 171 : Le ré gim ent de m arche Corrèze-Lim ous in, am algam é au 9e Zouaves , op.cit., pp. 27-31. 78 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , op. cit., p. 648 ; Charles de Gaulle, Mém oires de guerre, Le S alut (tom e 3), op. cit., pp. 240-245. 88 Stuttgart est investie par les Français le 21 avril, au grand dam des Américains qui ne décolèrent pas. La Forêt-Noire est encerclée (prise de Fribourg-en-Brisgau le 21), le Danube franchi le 21 avril, Ulm et Constance occupées. À l’extrême-sud de tout le dispositif allié, le 9e Zouaves continue son avance à toute vitesse. Après les combats en Forêt-Noire, les zouaves traversent le Danube à Tuttlingen, passent la frontière autrichienne et arrivent le 1er mai à Bregenz sur les rives du lac de Constance. Les Allemands se replient toujours devant les troupes françaises, en tentant vainement de retarder leur marche par quelques escarmouches. La fin de la guerre en Europe est désormais proche. Sur les rives de l’Oder depuis la fin janvier 1945, le maréchal Joukov lance l’assaut final sur Berlin le 16 avril. Une semaine plus tard, la capitale allemande est encerclée par l’Armée rouge. Commence alors une terrible bataille de rues qui s’achève le 2 mai par la reddition du général Weidling et des derniers défenseurs allemands ; entre-temps, Hitler s’est donné la mort le 30 avril. À l’ouest, après la reddition de la poche de la Ruhr le 18 avril (320 000 prisonniers), les Alliés ne rencontrent plus de résistance organisée79. La II e armée britannique atteint Brême le 26 avril, s’empare d’Hambourg le 1er mai, et de Lübeck le lendemain. Profitant des autoroutes allemandes, les Américains de Bradley vont encore plus vite au centre. Hanovre tombe le 10 avril et Patton entre dans Leipzig le 14. Le 25 avril, près de Torgau sur l’Elbe, des soldats américains et soviétiques se rencontrent, réalisant ainsi la jonction entre le front de l’Ouest et celui de l’Est. Enfin, au sud, Patch a pris Nuremberg le 19 avril et franchi le Danube le 25. Munich tombe le 2 mai. Les Américains visent désormais Berchtesgaden dans les Alpes bavaroises, ultime objectif très symbolique puisque la ville 79 Henri Michel, La S econde Guerre m ondiale , op. cit., pp. 734-736. 89 abrite les lieux de villégiature d’Hitler : le Berghof et le « nid d’aigle ». Mais c’était sans compter sur Leclerc qui entend bien achever son épopée en faisant flotter le drapeau tricolore sur la résidence du Führer80. Si les Américains devancent les Français à Berchtesgaden, les soldats de Leclerc les prennent de vitesse en investissant les premiers le Berghof le 4 mai, et le « nid d’aigle » le lendemain. Quant au 9e Zouaves, il passe la première semaine de mai 1945 sur la frontière austro-suisse près du lac de Constance, gardant les passages de la frontière. Au soir du 7 mai, à Bregenz, les zouaves apprennent la signature à Reims de la capitulation allemande. Débute alors un étrange ballet de fusées éclairantes et de balles traçantes tirées au-dessus du lac, auquel répondent les Suisses de leur rive, participant eux-aussi à la joie générale. Cette nuit-là, un insolite feu d’artifice célébra, dans le décor majestueux du lac de Constance, la victoire des Alliés en Europe. Écusson de la 1re armée française d’André Valade (© A. Valade). Conçu en 1945, cet insigne est constitué des armoiries de la ville de Colmar (libérée par la 1 re armée) et de lignes bleues symbolisant les flots du Rhin et du Danube (campagnes d’Allemagne et d’Autriche). « Rhin et Danube » est également devenu le surnom de la 1re armée française. 80 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , op. cit., pp. 654-655. 90 Té m o ig nag e s Re né Dubo is Nous som m es intégré s au 9 e ré gim ent de zouaves , ave c des volontaire s is sus des FFI de la ré gion paris ienne qui viennent com ble r les pe rtes subies au s ein du R MCL. Après la ré organis ation, je s uis affe cté à la com pagnie d’accom pagnem ent du 1 er bataillon (CA1). Nous dispos ons de m ortie rs de 81, de m itrailleus es lourdes de 12.7, d’un canon anglais antichar de 57. Je s e rs com m e tire ur sous le s ordres du lie ute nant Croze tte . Avec ce tte unité , nous rem ontons ve rs l’Als ace , l’Allem agne , le R hin que nous franchiss ons en tê te de pont à Leim e rsheim (une s tè le es t é rigée à l’e ndroit), Karls ruhe , Bade n-Baden, la Forê t-Noire jusqu’aux portes de Bregenz où, lors d’une patrouille de nuit, nous apprenons la capitulation de l’Allem agne . Aprè s bien d’autres ave ntures , je suis dém obilisé à Com piègne le 17 octobre 1945 (je venais d’avoir 20 ans ). Je suis titulaire de la m é daille m ilitaire , che valie r de l’Ordre national du Mé rite à titre m ilitaire , titulaire de la croix de gue rre 1939-1945 ave c é toile e t citation, de la croix du com battant volontaire 19391945, com m ém oratives – Engagé volontaire – Libé ration. Je passe s ous sile nce tout ce que nous avons pu e ndure r au m aquis , le froid, la pluie , la pe rte des copains au com bat, m ais je garde un souve nir ine ffable de ce tte frate rnelle cam arade rie qui nous a soute nus . 91 So urc e s e t biblio g raphie Témoignages et archives privées de Mme Andrée WURTZ, M. Jean SALLE, M. André VALADE, M. Albert UMINSKI, M. Georges FAVARD et M. René DUBOIS. Archives départementales de la Corrèze, 60 J : fonds du commandant Gao (René Jugie). Archives départementales de la Haute-Vienne, 40 J 171 : Le régim ent de m arche Corrèze -Lim ousin, am algam é au 9 e Zouave s , par André Pujos (1999). BROCHE François, CAITUCOLI Georges, MURACCIOLE Jean-François, La France au com bat, de l’Appel du 18 juin à la victoire , Paris, Perrin, 2007, 848 p. DE GAULLE Charles, Mém oires de gue rre , L’appe l 1940-1942 , Paris, Plon, 1954, 440 p. ; Mém oires de gue rre , L’unité 1942-1944 , Paris, Plon, 1956, 515 p. ; Mém oires de gue rre , Le s alut 1944-1946 , Paris, Plon, 1959, 567 p. FELLMANN Johnny, « Les enjeux de la poche de Colmar », S aisons d’Alsace , 1945 La Délivrance , n° 127, 1995, pp. 39-46. KARTHEUSER Bruno, Les pendaisons de Tulle , crim e sans châtim e nt, édition Krautgarten orte, 2008, 491 p. 92 LELEU Jean-Luc, PASSERA Françoise, QUELLIEN Jean, DAEFFLER Michel, La France pendant la S e conde Gue rre m ondiale , Atlas his torique , Paris, Fayard-Ministère de la Défense, 2010, 333 p. MICHEL Henri, La S e conde Gue rre m ondiale , Paris, Omnibus, 2001, 977 p. Ministère de la Défense (SGA/DMPA), Le rôle des troupe s m arocaines dans la Victoire 1940-1945 , 2001, 59 p. NOGUERES Henri et DEGLIAME-FOUCHE Marcel, His toire de la Ré sis tance e n France , tom e 4 (octobre 1943-m ai 1944), Paris, Robert Laffont, 1976, 710 p. ; His toire de la Rés is tance en France , tom e 5 (juin 1944-m ai 1945), Paris, Robert Laffont, 1981, 923 p. PLAS Pascal (dir.), Genèse e t développem ent de la Ré sis tance en R 5 (19401943), actes des colloques de Brive-la-Gaillarde (1998) et de SoudaineLavinadière (2001), éditions Les Monédières (Treignac) et Centre d’études Edmond-Michelet (Brive), 2003, 340 p. PLAS Pascal (dir.), Visages de la Ré sis tance , 1940-1944, libé ration de Lim oges , Saint-Paul, éditions Lucien Souny, 2005, 249 p. RIEDWEG Eugène, « Les batailles de la Libération », S ais ons d’Alsace , 1944 Ve rs la Libé ration , n° 124, 1994, pp. 47-54. RIEDWEG Eugène, « La victoire », S aisons d’Als ace , 1945 La Délivrance , n° 127, 1995, pp. 16-38. 93 Re me rc ie me nts Mme Andrée WURTZ, M. Jean SALLE, M. André VALADE, M. Albert UMINSKI, M. Georges FAVARD, M. René DUBOIS. Le département de la mémoire combattante et de la communication de l’ONACVG, les services départementaux de l’ONACVG en Auvergne et Limousin, la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du ministère de la Défense, les Archives départementales de la Corrèze, de la Haute-Vienne et de l’Allier, le Centre d’études et musée Edmond-Michelet de Brive, Marie-Pierre Aubert. Ré dac tio n Ludovic ZANELLA, Coordonnateur mémoire et communication AuvergneLimousin de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre Collecte des témoignages oraux : Marie-Pierre AUBERT 94 Table de s matiè re s Sommaire................................................................................................................ Introduction............................................................................................................. I. À l’o rig ine du RMCL : le s maquis du Limous in ............................................ A. Été 1944 : le Limousin se libère............................................................... B. Les volontaires limousins en route pour le front...................................... II. L’armé e des o mbres au grand jour : la c réatio n du RMCL........................ A. L’amalgame............................................................................................... B. Montée en ligne et premiers combats...................................................... III. Le RMCL à l’o ffens ive ..................................................................................... A. La prise de Belfort et l’entrée en Alsace.................................................. B. Les combats de Bourbach-le-Bas et la dissolution du régiment ............ IV. Les Limo us ins au s e in du 9e Zo uaves ......................................................... A. La réduction de la poche de Colmar et le passage du Rhin................... B. Les Français au cœur du Reich............................................................... Sources et bibliographie......................................................................................... Remerciements....................................................................................................... Rédaction................................................................................................................ Table des matières................................................................................................. 95 Le régiment de marche Corrèze-Limousin Des résistants limousins dans la 1re armée française 1944-1945 Été 1944, le Limousin se libère. Alors que les troupes alliées débarquées en Normandie et en Provence progressent en France, des résistants limousins se portent à la rencontre de la 1re armée française du général de Lattre de Tassigny. Après avoir libéré leur région, ces volontaires veulent poursuivre la lutte jusqu’à la victoire finale. Au sein du régiment de marche Corrèze-Limousin puis du 9e régiment de zouaves, les anciens résistants et maquisards de Corrèze et de Haute-Vienne prendront part aux durs combats de Franche-Comté et d’Alsace, avant d’entrer en Allemagne et achever leur épopée au cœur du Reich vaincu. Office national des anciens combattants et victimes de guerre Mission interdépartementale Mémoire et Communication Auvergne-Limousin Service départemental de l’ONACVG du Puy-de-Dôme Cité administrative - rue Pélissier - BP 151 63034 Clermont-Ferrand cedex 1