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8 I TGM 281 I JUILLETAOÛT 2016 I L’ALBUM DE MA XIME ME ILLEUR
L’ALBUM DE
Maxime Meilleur
PAR MARTINE OCCHIPINTI
La Bouitte…
Construite en 1976, La
Bouitte est perchée sur
les hauteurs de Saint-Martin-de-Belleville, dans le
hameau de Saint-Marcel,
à 1502 mètres d’altitude.
Au cœur des Trois Vallées.
L’ALBUM DE MA XIME ME ILLEUR I JUILLETAOÛT 2016 I TGM 281 I 9
La Bouitte à Saint-Martin-de-Belleville en Savoie
Maxime Meilleur est né le 28 août 1975 à
Moûtiers.
Il a tout juste un an lorsque son papa René
construit de ses propres mains La Bouitte. À
présent, le jeune chef a quarante-et-un ans
et toute son énergie.
Sauf qu’à La Bouitte, le luxe est impalpable
tellement il se fond dans une certaine rusticité, celle de nos vieux chalets savoyards.
En fait, nous percevons le meilleur des
deux mondes. Un troublant et mystérieux
phénomène…
Spontané, le regard pétillant, hyper
sympa, Maxime Meilleur a de la faconde,
un verbe plein d’espièglerie, et, très vite, il
nous fait entrer dans l’univers de sa petite
maison ou, si vous préférez, sa bouitte (en
patois…)
Mais comment ce petit pavillon en bois qui
s’est construit sur un champ de pommes
de terre, au ras des pistes, où le papa servait raclettes, tartiflettes et autres plats
savoyards, s’est-il métamorphosé en un
univers d’exception ? Jusqu’à se hisser au
même rang que les établissements de luxe ?
La Bouitte…
Dans une région qui fleure bon les étoiles
Michelin, La Bouitte est la première maison
savoyarde à avoir décroché la troisième
étoile.
Cocoonnière, vibrante, inspirante, tellement accueillante… Les chambres sont
entièrement boisées, avec charpentes et
mezzanines… On a envie de se faire chrysalide, de se retirer du monde, de s’y attarder
encore et encore… On y perçoit l’ambiance
douillette d’un chalet de montagne, la gentillesse d’une famille et le confort du luxe.
Ah ! Le luxe ! Voilà bien quelque chose qui
nous fascine tous…
Si l’on pose la question à Maxime Meilleur,
il répond, « tout simplement en prenant
son temps… ».
En effet, l’histoire de La Bouitte s’est écrite
au fil des ans, telle un roman dans lequel
pourtant, l’action trouve très vite sa forme.
Avec le papa René (toujours lui), qui un
beau jour, comme ça, se lance tête baissée
dans une aventure des plus extravagante.
Il décide de transformer son petit chalet
en un restaurant gastronomique. Du jour
au lendemain, dans un lieu improbable et
sans autre forme d’expérimentation que
quelques repas pris dans des restaurants
étoilés dont un chez Paul Bocuse. C’est
d’ailleurs chez Paul Bocuse que l’idée lui
est apparue telle une évidence, comme
tombée du ciel.
Un gastro à Saint-Marcel ! À une époque
où les amoureux de montagne, n’étaient
franchement pas les plus férus d’une cuisine fine.
Mais les Meilleur sont de vrais Savoyards.
Humbles certes, mais souverains chez eux.
Dotés d’un instinct infaillible, ils prennent
leur sort entre leurs propres mains…
En d’autres termes, ils exploitent leur
territoire et ses ressources comme ils
l’entendent.
De vrais électrons libres. À un point tel
d’ailleurs, que même la troisième étoile,
obtenue en 2015, n’affecte en rien la façon
dont la famille Meilleur mène son existence
depuis toujours.
Sa seule ambition étant d’explorer toutes
les alternatives possibles, d’exalter le
potentiel de La Bouitte. Sans jamais perdre
de vue l’essentiel : l’âme de la « petite »
maison. Une maison dont Maxime Meilleur
connaît les moindres recoins. Il y a grandi,
il a vécu toutes ses métamorphoses.
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Été 1976, René Meilleur, son frère Jacky et le petit
Maxime construisent La Bouitte.
Le petit Maxime et déjà le sourire espiègle.
Des débuts « difficiles » ?
T.G.M. : Les métamorphoses
de La Bouitte ?
M. M. : La plus importante bien sûr date
des années 80, lorsque mon père décide
de changer radicalement la carte de son
petit restaurant. Il efface tartiflettes et
raclettes pour une cuisine de montagne
plus raffinée.
La montagne…
Je la connais par cœur, enfant, je vivais
dehors, je courais partout dans les
montagnes.
À cette époque, l’essor des stations était une
vraie polémique, il y avait les visionnaires et
les autres. Les visionnaires venaient d’ailleurs… et ceux d’ici qui les ont suivis ont fait
fortune.
Et ce, en pleine saison…
Personne n’a rien compris. En quelques
semaines, La Bouitte perd 60 % de sa
clientèle.
Pourtant votre papa persiste…
Mon père saura toujours rebondir, repartir
à zéro mais il ne fait jamais marche arrière.
D’autres métamorphoses …
Une autre, des plus mémorable, en 1993,
lorsque mon père a échangé du bois neuf
contre du vieux bois pour rénover la salle
de restaurant.
Dès lors, les gens venaient à Saint-Marcel
pour voir l’église Notre-Dame de la Vie et
La Bouitte.
Votre enfance à La Bouitte ?
Je lui dois mes premières émotions gourmandes. À La Bouitte, nos clients se sont
toujours régalés. La cuisine était simple, rustique, une cuisine savoyarde, très goûteuse.
La Savoie…
Elle était et elle demeure notre fil conducteur ; l’inspiration nous vient de ses vallées,
de ses lacs, de ses hauteurs…
L’école…
J’avais toujours les yeux dehors, je ne voyais
pas l’utilité de ce que j’apprenais.
La philo, ça me hérissait les poils…
Cela vous hérisse toujours les poils ?
Non, parce qu’avec les années, on prend le
temps de réfléchir.
Certes, je ne passerais jamais pour un
grand philosophe, mais parfois, je sors des
phrases… je m’étonne moi-même. Plus
jeune, je n’aurais jamais tenu de tels propos.
Quelques mots sur votre région…
Ici, les corbeaux passaient à l’envers pour
ne pas voir la misère.
La Savoie était une région rude…
Une région pauvre. Puis, il y a eu les sports
d’hiver. Les prémices dans les années 50.
En dix ans, tout s’est construit dans la vallée des Belleville : les routes, les remontées mécaniques… Au tout début, c’était
un sacré pari.
Les anciens y croyaient-il ?
Certainement pas. Mes grands-parents
n’auraient jamais investi au Menuires et
encore moins à Val-Thorens.
La vie était déjà rude dans les vallées, alors
à 2300 mètres d’altitude ! Pour eux, c’était
la Sibérie, avec encore de la neige en plein
juillet.
Ensuite…
Ce fut le Far West. Tout était possible, tout
était à créer.
En 1993, vous optez pour le sport
et une vie militaire…
Je rentre à l’école militaire de Haute Montagne de Bourg-Saint-Maurice où j’intègre
l’équipe de France junior de biathlon.
Puis vous décidez de changer de vie…
En 1996, je n’avais plus le niveau, je dépose
aussitôt mes skis, mes bâtons et ma carabine 22 long rifle dans le garage. Instinctivement, je savais que je prenais une bonne
décision.
Votre vie de militaire…
Deux années… une période durant laquelle
je pratiquais toutes les activités alpines.
Quel enseignement tire-t-on
d’une telle expérience ?
On en tire avant tout un état d’esprit. Un
esprit d’obéissance, de partage et surtout
de camaraderie. Lorsqu’il nous fallait grimper une montagne, le but n’était pas d’arriver le premier, le but était d’arriver tous au
sommet de la montagne. À nous de nous
débrouiller, de gérer notre fatigue et celle
de nos camarades.
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À gauche : Maxime, champion de biathlon.
Ci-dessous : Maxime, Delphine, Sophie, René et Marie-Louise.
Vous étiez aux antipodes de l’univers
de la cuisine…
Pas tant que ça. En cuisine, il y a aussi la
discipline, l’entraide et le dépassement de
soi. Lorsqu’un commis devient chef de partie, nous sommes heureux, nous avons su
éveiller sa motivation. Et lui, il a su évaluer
et gérer ses capacités.
Le secret de la réussite…
Pour les jeunes, c’est la fougue, pour les
plus âgés, c’est l’expérience.
Pourquoi toujours dépasser ses limites ?
En compétition sportive, on apprend à ne
pas s’auto-satisfaire de ses capacités physiques et mentales. C’est le dépassement
de soi qui « paye », c’est la base si l’on ne
veut pas rester au même niveau, même si
notre niveau est satisfaisant.
J’ai réalisé des desserts très simples, puis
un peu plus élaborés. Je m’inspirais de
ce que je voyais dans les livres, les magazines… Ensuite, nous avons fait un chariot
de desserts et je suis passé en cuisine.
Pour dépasser ses limites…
Il faut tout d’abord s’évaluer. Et continuer
l’effort.
Faire des efforts, toujours des efforts,
est-ce possible ?
Oui, si l’on sait que la récompense est au
bout.
Jusqu’à en souffrir ?
Je suis un ancien sportif. En sport, on est
tous un petit peu maso… Sauf que si le
sportif parvient à surmonter la douleur,
il atteint un état quasi second et c’est
incroyable le bien-être qu’il peut alors
ressentir.
Le stress…
En cuisine, je n’ai que de la rigueur.
Le stress, c’est autre chose. C’est quand on
est seul, c’est ce que l’on ressent au départ
d’une compétition…
Votre arrivée à La Bouitte en 1996…
J’ai commencé en pâtisserie, et après
le départ précipité du chef, je me suis
retrouvé seul à ce poste. Un vrai délire.
En cuisine ?
Commis au poisson, puis commis à la
viande et au bout d’un an ou deux, chef
de partie. Jusqu’au jour où mon père m’a
demandé de le rejoindre au passe.
C’était le départ d’une belle réussite…
Mon père a renforcé les équipes, réaménagé les cuisines… Nous avons progressivement évolué.
Les relations père et fils ?
Mon père a toujours été très ouvert, il
piochait volontiers dans mes idées, mais
il faisait les cartes, moi, j’en aurais été
incapable.
Puis, petit à petit, nous les avons élaborées
ensemble…
En 2003, la première étoile…
Sans doute la plus belle, elle marquait le
début de quelque chose.
Quelle sensation ressentiez-vous ?
La sensation d’avoir remporté une médaille.
En ski de fond, j’étais déjà monté sur des
podiums, mais là, j’étais avec mon père.
Nous n’étions pas sur la plus haute marche,
mais nous portions à présent un dossard.
Vous sentiez-vous prêt à recevoir toutes
les étoiles ?
Les étoiles ne se donnent pas. Elles se
méritent. En 2008, nous avons mérité la
deuxième étoile.
Si vous deviez définir l’esprit
de la famille Meilleur ?
Mon père est un artisan hyper doué, il vous
répondrait, « nous avons la maladie de la
pierre ».
Il a construit La Bouitte avec son frère. Puis,
il a transformé une vieille bâtisse pour en
faire sa maison, et j’ai construit la mienne
en 2000.
En réalité, vous êtes des vrais
autodidactes…
Pour se structurer, un autodidacte n’a rien
d’autre que son intuition, sa sensibilité. Cela
lui permet de s’exprimer selon ses propres
choix et forcément, il se met hors système.
La Bouitte, c’est un peu ça.
Ce qui vous a aidé ?
Mon expérience, ma rigueur, l’histoire de
ma famille et surtout le respect que nous
portons à la matière première. Pour nos
maisons, nous avons toujours acheté les
plus beaux matériaux, autant vous dire que
nous nous sommes sacrément appliqués.
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Oscar et Calixte « nos enfants ».
La famille Meilleur à La Pinède de Saint-Tropez en
compagnie d’Arnaud Donckele et Thierry di Tullio.
Avec Gilles Goujon et Arnaud Lallement.
La particularité d’un autodidacte ?
Un autodidacte ira toujours au fond des
choses, c’est comme un processus qui
s’est déclenché dans son cerveau.
Ainsi, vous y voyiez quelques
ressemblances ?
Énormes, sauf que La Bouitte était comme
un quartz brut, il nous suffisait de lui donner sa forme finale.
un Hermitage blanc 1988 à pleurer… un vin
de paille…
En quête d’évolution, vous vous êtes
rendus chez certains de vos confrères.
Cela vous rassurait-il ?
Certaines maisons me rassuraient, d’autres
pas du tout. Leurs moyens financiers et
humains étaient considérables !
Ce qui vous a le plus marqué ?
Chaque restaurant avait sa propre marque,
son identité.
Celles dont vous vous seriez volontiers
inspiré ?
L’Astrance à Paris. Pascal Barbot en cuisine et Christophe en salle utilisent le
même langage. À La Pinède de Saint-Tropez, l’on retrouve aussi cette cohérence
avec Arnaud Donckele, Thierry et Olivier.
Vous me citiez aussi la famille Marcon,
la famille Bras… Des maisons très
semblables à la vôtre…
Effectivement, nous n’y sommes pas allés
par hasard. Chez Bras, c’était en 2000.
Dudu, le chef pâtissier de chez Bras a fait
je crois trois saisons ici, il parlait de Michel
Bras comme d’un gourou...
En 2001, nous sommes allés chez Régis
Marcon. J’ai vu Paul, le petit dernier
entrer en salle, en pyjama et en plein service, pour dire bonsoir à sa maman. Tout
comme je le faisais à La Bouitte, lorsque
nous habitions en haut du restaurant.
Le tailler en quelque sorte…
Tailler un quartz est un travail d’une grande
précision. Facette après facette… Avec des
outils bien affûtés…
L’essentiel pour évoluer ?
Mon grand-père vous répondrait : l’instruction. Il parle moins de l’intelligence.
Comment votre grand-père définirait-il
un homme instruit ?
Un homme qui s’intéresse à tout, qui
connaît l’informatique, qui sait planter un
clou, cultiver son jardin…
Selon mon grand-père, plus les gens sont
instruits, plus ils sont ouverts à tous les dialogues. Et plus ils sont passionnants.
Un des éléments qui vous a aidé
à vous construire ?
Je dirais le vin. Lors d’une discussion, un
ami cuisinier m’a dit, « le jour où tu mettras les vins à la hauteur de ta cuisine, tu
auras peut-être tes trois étoiles ». Pour
moi, là, il s’exprimait en « philosophe », je
n’ai rien compris !
Après réflexion, je me suis incliné et j’ai
suivi des séances de rattrapage.
Vos séances de rattrapage…
Des rencontres avec les viticulteurs, des
moments fabuleux, dont un en compagnie de Michel Chabran, dans la cave de
Jean-Louis Chave. Un festival de saveurs :
Vous rencontriez des gens
passionnants…
Ils m’ont tous plongé dans leur univers.
Et aujourd’hui ?
Une « case » s’est ouverte dans mon cerveau. Aujourd’hui, le vin m’apporte des
émotions Et c’est grâce à ces émotions qu’à
l’occasion de nos soirées œnologiques,
nous mettons en place des constructions
de saveurs que nous n’aurions jamais
créées auparavant.
Vos soirées œnologiques…
Tous les mois, nous organisons un repas
pour nos clients auquel nous convions un
grand viticulteur. Nous avons eu Yquem, la
Romanée Conti, Aubert de Villaine, Cheval
Blanc, le Clos de Tart, Jean-Michel Deiss,
entre autres…
Tous ces grands vins, tous ces grands vignerons sont les ambassadeurs de notre pays.
Votre carte des vins…
Nous l’avons considérablement étoffée.
Avec mille et une références, le vin tient
une place importante dans notre maison.
Pour vous, la cuisine est-elle liée
à l’émotion ?
Un jour, quelqu’un m’a dit, « la cuisine doit
sortir des tripes… » J’ai ouvert grand les
yeux, un peu ahuri. Selon moi, la cuisine,
avant qu’elle sorte du ventre, il fallait quand
même la réfléchir un peu et la comprendre
un minimum.
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Ci-dessus, Maxime entouré de ???????, Hervé Flandin (biathlète) et ?????????.
À gauche, Maxime dans l’ascension du mont Ventoux.
Aujourd’hui, je saisis toute la portée de
cette phrase. La cuisine, je ne sais pas d’où
exactement, mais elle sort effectivement
de l’intérieur de soi. Tout est relié par un fil
invisible : l’inspiration, la réflexion, l’émotion, le plaisir d’offrir, de partager…
La démarche est donc émotionnelle.
Oui, si elle est posée sur de vraies fondations. À La Bouitte, nous ne sommes pas
dans l’esbroufe.
Vos équipes…
Ils ont la foi, le sourire, l’accueil, l’envie de
faire plaisir et le professionnalisme… Tout
cela ne s’improvise pas.
Avec votre père, vous travaillez
en symbiose…
À deux, on est plus fort. Je pense que nous
sommes la seule maison dans laquelle le
père et le fils ont gagné, ensemble, la première, la deuxième et la troisième étoile.
En 2015, la troisième étoile…
Quinze jours avant la sortie du Michelin, nous recevions déjà des messages. Je
répondais par texto : « en bons Savoyards,
nous ne vendons pas la peau de la marmotte avant de l’avoir tuée ».
Le lundi 2 février 2015, à 11 heures, lorsque la
nouvelle est tombée, j’ai reçu des centaines
de sms : « enfoiré, la marmotte est morte… ».
Votre réaction ?
Après le coup de fil de Michael Ellis, j’ai
enfilé mon anorak, je suis sorti et j’ai hurlé
dans un pré.
Votre ressenti…
Mon père et moi étions enfin arrivés au
sommet de la montagne et nous recevions
une récompense.
Il ne manquait que la Marseillaise…
En Savoie, une montagne en cache
toujours une autre… Y aurait-il
d’autres sommets à atteindre ?
Oui. Les étoiles se méritent tous les jours.
Dans le pays…
Saint-Marcel est devenu le centre de
l’univers.
La troisième étoile facilite bien
des choses…
La troisième étoile est comme toutes les
médailles, elle a son revers. À nous de lui
donner un brillant unique. Nous ne lâcherons pas la bride.
Que vous apporte-t-elle réellement ?
Le « moyen » de nos ambitions.
Êtes-vous cool…
Je le suis devenu. La nuit, c’est fait pour
dormir...
Tout le monde me disait, « si un jour vous
avez la troisième étoile, tu ne dormiras plus
la nuit ». Je les rassure tous, je n’ai jamais
connu des nuits aussi paisibles.
Ce qui vous a apaisé…
Notre identité est reconnue dans sa globalité. Nous ne nous mettons plus des limites
hors normes, nous accordons enfin aux
choses leur réelle importance.
Y a-t-il des choses sans grande
importance ?
Bien sûr ! Parfois, ce sont ses petites imperfections qui font le charme d’une maison.
Ce que vous aimeriez améliorer ?
Le confort de La Bouitte, encore et toujours.
L’identité en cuisine…
Pour moi, c’est un homard bleu dans un
bouillon bleu. Le bleu, c’est la mer. Dans les
années 2010, j’ai vu ça chez Gérald Passédat, une pure merveille.
Chez Régis Marcon, pareil, vous mangez des
champignons.
Ce qui vous surprendra toujours…
La destinée, le courage de mon père. Ses
débuts dans la profession, une première
étoile en 2003, une deuxième en 2008 et à
soixante-cinq ans la troisième étoile. C’était
juste incroyable.
En 2002, votre premier enfant, en 2003,
la première étoile …
Notre fils Oscar est arrivé une année avant
l’étoile. En deux ans, nous avons eu l’Étoile
et l’Oscar…
Lorsqu’en 2008, nous avons eu notre deuxième étoile et notre deuxième enfant, sur
le faire-part de naissance nous avions écrit :
« oserons-nous l’appeler César ? » Puis non,
nous l’avons appelé Calixte.
Et pour la troisième étoile ?
Delphine et moi ne l’avions pas suffisamment anticipée…
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Soirée œnologique avec Cheval Blanc (Saint-Émilion Grand Cru).
Marlène Soria, domaine Peyre-Rose (Languedoc).
Une belle équipe.
Delphine…
Lorsque nous nous sommes connus, Delphine avait dix-neuf ans et moi vingt et un.
Un jour, elle est arrivée dans l’entreprise de
mes parents, pour un travail d’été. Elle n’est
jamais repartie.
Tous ces investissements faits à
La Bouitte, était-ce pour obtenir
la troisième étoile ?
Investir des millions d’euros pour avoir des
étoiles, c’est une bêtise. Nous avons toujours investi pour améliorer notre confort
de travail, pour peaufiner les détails.
Les détails…
Dans la cuisine, j’avais affiché une phrase de
Léonard de Vinci : « les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail ».
Vous voyez, je philosophe encore…
Philosopher, c’est s’assagir…
Mon père a atteint le système de pensée
qui mène à la sagesse. Moi, je suis encore
très loin derrière.
Votre père…
Il est le roi du marketing. Il place toujours
le curseur au bon endroit, instinctivement.
Il n’est pas toujours facile de travailler
avec son papa…
Notre relation est tellement simple et
naturelle…
Votre mère…
Au départ, maman ne croyait pas aux
étoiles. Selon elle, avec des clients qui
venaient déjeuner en chaussures de ski,
c’était tout simplement impensable…
Nous avons eu notre première, et puis
notre deuxième étoile…
Votre cuisine…
Elle raconte notre histoire, il reste encore
des chapitres à écrire…
La troisième, l’envisageait-elle ?
En dépit des étoiles, nos clients ne changeaient en rien leurs habitudes. Ils continuaient de venir en chaussures de ski, ils
étaient parfois bruyants, ils mangeaient
rapidement… Alors, vous imaginez, selon
maman, la troisième, jamais…
Lorsque vous vous fixez un objectif…
Je fais tout pour y parvenir.
Vous avez eu la troisième étoile…
Oui, et si à La Bouitte, la troisième étoile
est certes une singularité, elle n’est pas
une antinomie, parce que nos clients, leurs
chaussures de ski, leur côté informel… Tout
ça, c’est juste nous.
Effectivement, l’hiver, au déjeuner, rares
sont ceux qui s’attardent à table. L’aprèsmidi, c’est fait pour skier… Voilà pourquoi
nous avons des grosses équipes. Le service doit être rapide et irréprochable.
Acceptez-vous les critiques ?
Si elles sont constructives, je suis open,
aucun problème.
Quelques traits de votre caractère ?
Je suis très rigoureux, hyper carré, parfois
obstiné.
Delphine… l’importance d’être deux
dans le métier ?
Si tel n’était pas le cas, Delphine et moi ne
serions plus ensemble. Impossible, je suis
à 300 % ici.
Surtout depuis que je suis chef d’entreprise.
Chef d’entreprise ?
J’ai racheté La Bouitte à mes parents, cela
fait un an.
Mes parents n’ont plus rien à prouver, et moi,
je leur devais au moins ça : la tranquillité.
Un souvenir gourmand…
Dans un petit village en Corse. Lors de mes
premières vacances avec Delphine, après
une saison bien remplie.
Nous n’avions rien organisé, tous les hôtels
étaient complets et nous nous sommes
retrouvés en Haute Corse, dans une chambre
avec terrasse et vue sur le port de Centuri.
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L’équipe de cuisine.
Nous avons dîné sur une table de camping,
nous étions assis sur des chaises de camping. Au menu : des pâtes aux langoustes…
Et en prime un superbe coucher de soleil.
J’étais avec Delphine… C’était énorme.
Le plus beau repas de ma vie. Le meilleur
plat que j’ai mangé.
Vos parents, Delphine et vous…
Il y a un grand respect… Nous travaillons
ensemble, nous partons même en vacances
ensemble…
Dans votre famille…
Il y a le patriarche, il a le dernier mot, parce
qu’il a toujours raison.
Un jour, votre père quittera La Bouitte…
Mon père ne quittera sans doute jamais La
Bouitte complètement et définitivement.
Un jour, il me donnera son trousseau de
clés… Pour le moment, c’est lui qui ouvre et
qui ferme la maison.
Des frères et sœurs ?
J’ai une sœur, Sophie. Après avoir travaillé
avec nous, elle a choisi une autre voie. Dommage, l’histoire serait plus belle avec elle.
L’union fait la force…
Comment les frères Rocca ont-ils atteint
un tel niveau de perfection ? Il y en a un
en cuisine, un autre en pâtisserie et le
troisième en sommellerie. Ils maîtrisent
entièrement leur environnement.
Un personnage que vous aimeriez
rencontrer ?
Mon cœur balance entre l’univers de la cuisine et le monde du sport…
Les gens que vous admirez…
Les grands sportifs. En cuisine, nous
sommes une équipe. En compétition
sportive, c’est chacun pour soi.
Votre luxe préféré ?
La gentillesse autour de moi, le bien-être.
Le bonheur ?
C’est ce que je vis tous les jours.
Ce qui peut vous émouvoir ?
Les gens, à Hong Kong, qui sortent des photos de nous à La Bouitte…
Lorsque vous allez au restaurant…
Où que j’aille, je ne m’inspire jamais d’une
cuisine. Je hume les atmosphères.
Un jeune cuisinier qui pourrait vous
épater un jour ?
Mathieu Pacaud. Il a « cette » autre chose
qui peut plaire ou déplaire, mais qui lui
est propre et lui permet d’intellectualiser
et ensuite d’exprimer toute sa sensibilité.
Votre devise…
Quand on veut, on peut.
Le lieu auquel vous vous identifiez ?
La Savoie, évidemment.
Quand on s’appelle Meilleur ?
On prévient les autres. En sport, je les prévenais juste avant le départ.
Un lieu qui vous semble familier ?
La Corse, une île qui a forgé son identité par
son terroir.
Sans doute le seul endroit où je pourrais travailler si un jour je devais quitter la Savoie. Ce qui, je vous rassure, est
impensable…
Les étoiles…
Ce n’est pas une compétition, c’est un chemin. Il faut trouver le bon itinéraire.
Êtes-vous les « Meilleurs » ?
Nous ne sommes pas les meilleurs, mais ce
qui est sûr, c’est que nous sommes les seuls
à savoir faire ce que l’on fait !
RÉDACTEUR CULINAIRE : JEANLUC DENONAIN.
ACCORDS VINS & METS : ?