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8 I TGM 281 I JUILLETAOÛT 2016 I L’ALBUM DE MA XIME ME ILLEUR L’ALBUM DE Maxime Meilleur PAR MARTINE OCCHIPINTI La Bouitte… Construite en 1976, La Bouitte est perchée sur les hauteurs de Saint-Martin-de-Belleville, dans le hameau de Saint-Marcel, à 1502 mètres d’altitude. Au cœur des Trois Vallées. L’ALBUM DE MA XIME ME ILLEUR I JUILLETAOÛT 2016 I TGM 281 I 9 La Bouitte à Saint-Martin-de-Belleville en Savoie Maxime Meilleur est né le 28 août 1975 à Moûtiers. Il a tout juste un an lorsque son papa René construit de ses propres mains La Bouitte. À présent, le jeune chef a quarante-et-un ans et toute son énergie. Sauf qu’à La Bouitte, le luxe est impalpable tellement il se fond dans une certaine rusticité, celle de nos vieux chalets savoyards. En fait, nous percevons le meilleur des deux mondes. Un troublant et mystérieux phénomène… Spontané, le regard pétillant, hyper sympa, Maxime Meilleur a de la faconde, un verbe plein d’espièglerie, et, très vite, il nous fait entrer dans l’univers de sa petite maison ou, si vous préférez, sa bouitte (en patois…) Mais comment ce petit pavillon en bois qui s’est construit sur un champ de pommes de terre, au ras des pistes, où le papa servait raclettes, tartiflettes et autres plats savoyards, s’est-il métamorphosé en un univers d’exception ? Jusqu’à se hisser au même rang que les établissements de luxe ? La Bouitte… Dans une région qui fleure bon les étoiles Michelin, La Bouitte est la première maison savoyarde à avoir décroché la troisième étoile. Cocoonnière, vibrante, inspirante, tellement accueillante… Les chambres sont entièrement boisées, avec charpentes et mezzanines… On a envie de se faire chrysalide, de se retirer du monde, de s’y attarder encore et encore… On y perçoit l’ambiance douillette d’un chalet de montagne, la gentillesse d’une famille et le confort du luxe. Ah ! Le luxe ! Voilà bien quelque chose qui nous fascine tous… Si l’on pose la question à Maxime Meilleur, il répond, « tout simplement en prenant son temps… ». En effet, l’histoire de La Bouitte s’est écrite au fil des ans, telle un roman dans lequel pourtant, l’action trouve très vite sa forme. Avec le papa René (toujours lui), qui un beau jour, comme ça, se lance tête baissée dans une aventure des plus extravagante. Il décide de transformer son petit chalet en un restaurant gastronomique. Du jour au lendemain, dans un lieu improbable et sans autre forme d’expérimentation que quelques repas pris dans des restaurants étoilés dont un chez Paul Bocuse. C’est d’ailleurs chez Paul Bocuse que l’idée lui est apparue telle une évidence, comme tombée du ciel. Un gastro à Saint-Marcel ! À une époque où les amoureux de montagne, n’étaient franchement pas les plus férus d’une cuisine fine. Mais les Meilleur sont de vrais Savoyards. Humbles certes, mais souverains chez eux. Dotés d’un instinct infaillible, ils prennent leur sort entre leurs propres mains… En d’autres termes, ils exploitent leur territoire et ses ressources comme ils l’entendent. De vrais électrons libres. À un point tel d’ailleurs, que même la troisième étoile, obtenue en 2015, n’affecte en rien la façon dont la famille Meilleur mène son existence depuis toujours. Sa seule ambition étant d’explorer toutes les alternatives possibles, d’exalter le potentiel de La Bouitte. Sans jamais perdre de vue l’essentiel : l’âme de la « petite » maison. Une maison dont Maxime Meilleur connaît les moindres recoins. Il y a grandi, il a vécu toutes ses métamorphoses. 10 I TGM 281 I JUILLETAOÛT 2016 I L’ALBUM DE MA XIME ME ILLEUR Été 1976, René Meilleur, son frère Jacky et le petit Maxime construisent La Bouitte. Le petit Maxime et déjà le sourire espiègle. Des débuts « difficiles » ? T.G.M. : Les métamorphoses de La Bouitte ? M. M. : La plus importante bien sûr date des années 80, lorsque mon père décide de changer radicalement la carte de son petit restaurant. Il efface tartiflettes et raclettes pour une cuisine de montagne plus raffinée. La montagne… Je la connais par cœur, enfant, je vivais dehors, je courais partout dans les montagnes. À cette époque, l’essor des stations était une vraie polémique, il y avait les visionnaires et les autres. Les visionnaires venaient d’ailleurs… et ceux d’ici qui les ont suivis ont fait fortune. Et ce, en pleine saison… Personne n’a rien compris. En quelques semaines, La Bouitte perd 60 % de sa clientèle. Pourtant votre papa persiste… Mon père saura toujours rebondir, repartir à zéro mais il ne fait jamais marche arrière. D’autres métamorphoses … Une autre, des plus mémorable, en 1993, lorsque mon père a échangé du bois neuf contre du vieux bois pour rénover la salle de restaurant. Dès lors, les gens venaient à Saint-Marcel pour voir l’église Notre-Dame de la Vie et La Bouitte. Votre enfance à La Bouitte ? Je lui dois mes premières émotions gourmandes. À La Bouitte, nos clients se sont toujours régalés. La cuisine était simple, rustique, une cuisine savoyarde, très goûteuse. La Savoie… Elle était et elle demeure notre fil conducteur ; l’inspiration nous vient de ses vallées, de ses lacs, de ses hauteurs… L’école… J’avais toujours les yeux dehors, je ne voyais pas l’utilité de ce que j’apprenais. La philo, ça me hérissait les poils… Cela vous hérisse toujours les poils ? Non, parce qu’avec les années, on prend le temps de réfléchir. Certes, je ne passerais jamais pour un grand philosophe, mais parfois, je sors des phrases… je m’étonne moi-même. Plus jeune, je n’aurais jamais tenu de tels propos. Quelques mots sur votre région… Ici, les corbeaux passaient à l’envers pour ne pas voir la misère. La Savoie était une région rude… Une région pauvre. Puis, il y a eu les sports d’hiver. Les prémices dans les années 50. En dix ans, tout s’est construit dans la vallée des Belleville : les routes, les remontées mécaniques… Au tout début, c’était un sacré pari. Les anciens y croyaient-il ? Certainement pas. Mes grands-parents n’auraient jamais investi au Menuires et encore moins à Val-Thorens. La vie était déjà rude dans les vallées, alors à 2300 mètres d’altitude ! Pour eux, c’était la Sibérie, avec encore de la neige en plein juillet. Ensuite… Ce fut le Far West. Tout était possible, tout était à créer. En 1993, vous optez pour le sport et une vie militaire… Je rentre à l’école militaire de Haute Montagne de Bourg-Saint-Maurice où j’intègre l’équipe de France junior de biathlon. Puis vous décidez de changer de vie… En 1996, je n’avais plus le niveau, je dépose aussitôt mes skis, mes bâtons et ma carabine 22 long rifle dans le garage. Instinctivement, je savais que je prenais une bonne décision. Votre vie de militaire… Deux années… une période durant laquelle je pratiquais toutes les activités alpines. Quel enseignement tire-t-on d’une telle expérience ? On en tire avant tout un état d’esprit. Un esprit d’obéissance, de partage et surtout de camaraderie. Lorsqu’il nous fallait grimper une montagne, le but n’était pas d’arriver le premier, le but était d’arriver tous au sommet de la montagne. À nous de nous débrouiller, de gérer notre fatigue et celle de nos camarades. L’ALBUM DE MA XIME ME ILLEUR I JUILLETAOÛT 2016 I TGM 281 I 11 À gauche : Maxime, champion de biathlon. Ci-dessous : Maxime, Delphine, Sophie, René et Marie-Louise. Vous étiez aux antipodes de l’univers de la cuisine… Pas tant que ça. En cuisine, il y a aussi la discipline, l’entraide et le dépassement de soi. Lorsqu’un commis devient chef de partie, nous sommes heureux, nous avons su éveiller sa motivation. Et lui, il a su évaluer et gérer ses capacités. Le secret de la réussite… Pour les jeunes, c’est la fougue, pour les plus âgés, c’est l’expérience. Pourquoi toujours dépasser ses limites ? En compétition sportive, on apprend à ne pas s’auto-satisfaire de ses capacités physiques et mentales. C’est le dépassement de soi qui « paye », c’est la base si l’on ne veut pas rester au même niveau, même si notre niveau est satisfaisant. J’ai réalisé des desserts très simples, puis un peu plus élaborés. Je m’inspirais de ce que je voyais dans les livres, les magazines… Ensuite, nous avons fait un chariot de desserts et je suis passé en cuisine. Pour dépasser ses limites… Il faut tout d’abord s’évaluer. Et continuer l’effort. Faire des efforts, toujours des efforts, est-ce possible ? Oui, si l’on sait que la récompense est au bout. Jusqu’à en souffrir ? Je suis un ancien sportif. En sport, on est tous un petit peu maso… Sauf que si le sportif parvient à surmonter la douleur, il atteint un état quasi second et c’est incroyable le bien-être qu’il peut alors ressentir. Le stress… En cuisine, je n’ai que de la rigueur. Le stress, c’est autre chose. C’est quand on est seul, c’est ce que l’on ressent au départ d’une compétition… Votre arrivée à La Bouitte en 1996… J’ai commencé en pâtisserie, et après le départ précipité du chef, je me suis retrouvé seul à ce poste. Un vrai délire. En cuisine ? Commis au poisson, puis commis à la viande et au bout d’un an ou deux, chef de partie. Jusqu’au jour où mon père m’a demandé de le rejoindre au passe. C’était le départ d’une belle réussite… Mon père a renforcé les équipes, réaménagé les cuisines… Nous avons progressivement évolué. Les relations père et fils ? Mon père a toujours été très ouvert, il piochait volontiers dans mes idées, mais il faisait les cartes, moi, j’en aurais été incapable. Puis, petit à petit, nous les avons élaborées ensemble… En 2003, la première étoile… Sans doute la plus belle, elle marquait le début de quelque chose. Quelle sensation ressentiez-vous ? La sensation d’avoir remporté une médaille. En ski de fond, j’étais déjà monté sur des podiums, mais là, j’étais avec mon père. Nous n’étions pas sur la plus haute marche, mais nous portions à présent un dossard. Vous sentiez-vous prêt à recevoir toutes les étoiles ? Les étoiles ne se donnent pas. Elles se méritent. En 2008, nous avons mérité la deuxième étoile. Si vous deviez définir l’esprit de la famille Meilleur ? Mon père est un artisan hyper doué, il vous répondrait, « nous avons la maladie de la pierre ». Il a construit La Bouitte avec son frère. Puis, il a transformé une vieille bâtisse pour en faire sa maison, et j’ai construit la mienne en 2000. En réalité, vous êtes des vrais autodidactes… Pour se structurer, un autodidacte n’a rien d’autre que son intuition, sa sensibilité. Cela lui permet de s’exprimer selon ses propres choix et forcément, il se met hors système. La Bouitte, c’est un peu ça. Ce qui vous a aidé ? Mon expérience, ma rigueur, l’histoire de ma famille et surtout le respect que nous portons à la matière première. Pour nos maisons, nous avons toujours acheté les plus beaux matériaux, autant vous dire que nous nous sommes sacrément appliqués. 12 I TGM 281 I JUILLETAOÛT 2016 I L’ALBUM DE MA XIME ME ILLEUR Oscar et Calixte « nos enfants ». La famille Meilleur à La Pinède de Saint-Tropez en compagnie d’Arnaud Donckele et Thierry di Tullio. Avec Gilles Goujon et Arnaud Lallement. La particularité d’un autodidacte ? Un autodidacte ira toujours au fond des choses, c’est comme un processus qui s’est déclenché dans son cerveau. Ainsi, vous y voyiez quelques ressemblances ? Énormes, sauf que La Bouitte était comme un quartz brut, il nous suffisait de lui donner sa forme finale. un Hermitage blanc 1988 à pleurer… un vin de paille… En quête d’évolution, vous vous êtes rendus chez certains de vos confrères. Cela vous rassurait-il ? Certaines maisons me rassuraient, d’autres pas du tout. Leurs moyens financiers et humains étaient considérables ! Ce qui vous a le plus marqué ? Chaque restaurant avait sa propre marque, son identité. Celles dont vous vous seriez volontiers inspiré ? L’Astrance à Paris. Pascal Barbot en cuisine et Christophe en salle utilisent le même langage. À La Pinède de Saint-Tropez, l’on retrouve aussi cette cohérence avec Arnaud Donckele, Thierry et Olivier. Vous me citiez aussi la famille Marcon, la famille Bras… Des maisons très semblables à la vôtre… Effectivement, nous n’y sommes pas allés par hasard. Chez Bras, c’était en 2000. Dudu, le chef pâtissier de chez Bras a fait je crois trois saisons ici, il parlait de Michel Bras comme d’un gourou... En 2001, nous sommes allés chez Régis Marcon. J’ai vu Paul, le petit dernier entrer en salle, en pyjama et en plein service, pour dire bonsoir à sa maman. Tout comme je le faisais à La Bouitte, lorsque nous habitions en haut du restaurant. Le tailler en quelque sorte… Tailler un quartz est un travail d’une grande précision. Facette après facette… Avec des outils bien affûtés… L’essentiel pour évoluer ? Mon grand-père vous répondrait : l’instruction. Il parle moins de l’intelligence. Comment votre grand-père définirait-il un homme instruit ? Un homme qui s’intéresse à tout, qui connaît l’informatique, qui sait planter un clou, cultiver son jardin… Selon mon grand-père, plus les gens sont instruits, plus ils sont ouverts à tous les dialogues. Et plus ils sont passionnants. Un des éléments qui vous a aidé à vous construire ? Je dirais le vin. Lors d’une discussion, un ami cuisinier m’a dit, « le jour où tu mettras les vins à la hauteur de ta cuisine, tu auras peut-être tes trois étoiles ». Pour moi, là, il s’exprimait en « philosophe », je n’ai rien compris ! Après réflexion, je me suis incliné et j’ai suivi des séances de rattrapage. Vos séances de rattrapage… Des rencontres avec les viticulteurs, des moments fabuleux, dont un en compagnie de Michel Chabran, dans la cave de Jean-Louis Chave. Un festival de saveurs : Vous rencontriez des gens passionnants… Ils m’ont tous plongé dans leur univers. Et aujourd’hui ? Une « case » s’est ouverte dans mon cerveau. Aujourd’hui, le vin m’apporte des émotions Et c’est grâce à ces émotions qu’à l’occasion de nos soirées œnologiques, nous mettons en place des constructions de saveurs que nous n’aurions jamais créées auparavant. Vos soirées œnologiques… Tous les mois, nous organisons un repas pour nos clients auquel nous convions un grand viticulteur. Nous avons eu Yquem, la Romanée Conti, Aubert de Villaine, Cheval Blanc, le Clos de Tart, Jean-Michel Deiss, entre autres… Tous ces grands vins, tous ces grands vignerons sont les ambassadeurs de notre pays. Votre carte des vins… Nous l’avons considérablement étoffée. Avec mille et une références, le vin tient une place importante dans notre maison. Pour vous, la cuisine est-elle liée à l’émotion ? Un jour, quelqu’un m’a dit, « la cuisine doit sortir des tripes… » J’ai ouvert grand les yeux, un peu ahuri. Selon moi, la cuisine, avant qu’elle sorte du ventre, il fallait quand même la réfléchir un peu et la comprendre un minimum. L’ALBUM DE MA XIME ME ILLEUR I JUILLETAOÛT 2016 I TGM 281 I 13 Ci-dessus, Maxime entouré de ???????, Hervé Flandin (biathlète) et ?????????. À gauche, Maxime dans l’ascension du mont Ventoux. Aujourd’hui, je saisis toute la portée de cette phrase. La cuisine, je ne sais pas d’où exactement, mais elle sort effectivement de l’intérieur de soi. Tout est relié par un fil invisible : l’inspiration, la réflexion, l’émotion, le plaisir d’offrir, de partager… La démarche est donc émotionnelle. Oui, si elle est posée sur de vraies fondations. À La Bouitte, nous ne sommes pas dans l’esbroufe. Vos équipes… Ils ont la foi, le sourire, l’accueil, l’envie de faire plaisir et le professionnalisme… Tout cela ne s’improvise pas. Avec votre père, vous travaillez en symbiose… À deux, on est plus fort. Je pense que nous sommes la seule maison dans laquelle le père et le fils ont gagné, ensemble, la première, la deuxième et la troisième étoile. En 2015, la troisième étoile… Quinze jours avant la sortie du Michelin, nous recevions déjà des messages. Je répondais par texto : « en bons Savoyards, nous ne vendons pas la peau de la marmotte avant de l’avoir tuée ». Le lundi 2 février 2015, à 11 heures, lorsque la nouvelle est tombée, j’ai reçu des centaines de sms : « enfoiré, la marmotte est morte… ». Votre réaction ? Après le coup de fil de Michael Ellis, j’ai enfilé mon anorak, je suis sorti et j’ai hurlé dans un pré. Votre ressenti… Mon père et moi étions enfin arrivés au sommet de la montagne et nous recevions une récompense. Il ne manquait que la Marseillaise… En Savoie, une montagne en cache toujours une autre… Y aurait-il d’autres sommets à atteindre ? Oui. Les étoiles se méritent tous les jours. Dans le pays… Saint-Marcel est devenu le centre de l’univers. La troisième étoile facilite bien des choses… La troisième étoile est comme toutes les médailles, elle a son revers. À nous de lui donner un brillant unique. Nous ne lâcherons pas la bride. Que vous apporte-t-elle réellement ? Le « moyen » de nos ambitions. Êtes-vous cool… Je le suis devenu. La nuit, c’est fait pour dormir... Tout le monde me disait, « si un jour vous avez la troisième étoile, tu ne dormiras plus la nuit ». Je les rassure tous, je n’ai jamais connu des nuits aussi paisibles. Ce qui vous a apaisé… Notre identité est reconnue dans sa globalité. Nous ne nous mettons plus des limites hors normes, nous accordons enfin aux choses leur réelle importance. Y a-t-il des choses sans grande importance ? Bien sûr ! Parfois, ce sont ses petites imperfections qui font le charme d’une maison. Ce que vous aimeriez améliorer ? Le confort de La Bouitte, encore et toujours. L’identité en cuisine… Pour moi, c’est un homard bleu dans un bouillon bleu. Le bleu, c’est la mer. Dans les années 2010, j’ai vu ça chez Gérald Passédat, une pure merveille. Chez Régis Marcon, pareil, vous mangez des champignons. Ce qui vous surprendra toujours… La destinée, le courage de mon père. Ses débuts dans la profession, une première étoile en 2003, une deuxième en 2008 et à soixante-cinq ans la troisième étoile. C’était juste incroyable. En 2002, votre premier enfant, en 2003, la première étoile … Notre fils Oscar est arrivé une année avant l’étoile. En deux ans, nous avons eu l’Étoile et l’Oscar… Lorsqu’en 2008, nous avons eu notre deuxième étoile et notre deuxième enfant, sur le faire-part de naissance nous avions écrit : « oserons-nous l’appeler César ? » Puis non, nous l’avons appelé Calixte. Et pour la troisième étoile ? Delphine et moi ne l’avions pas suffisamment anticipée… 14 I TGM 281 I JUILLETAOÛT 2016 I L’ALBUM DE MA XIME ME ILLEUR Soirée œnologique avec Cheval Blanc (Saint-Émilion Grand Cru). Marlène Soria, domaine Peyre-Rose (Languedoc). Une belle équipe. Delphine… Lorsque nous nous sommes connus, Delphine avait dix-neuf ans et moi vingt et un. Un jour, elle est arrivée dans l’entreprise de mes parents, pour un travail d’été. Elle n’est jamais repartie. Tous ces investissements faits à La Bouitte, était-ce pour obtenir la troisième étoile ? Investir des millions d’euros pour avoir des étoiles, c’est une bêtise. Nous avons toujours investi pour améliorer notre confort de travail, pour peaufiner les détails. Les détails… Dans la cuisine, j’avais affiché une phrase de Léonard de Vinci : « les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail ». Vous voyez, je philosophe encore… Philosopher, c’est s’assagir… Mon père a atteint le système de pensée qui mène à la sagesse. Moi, je suis encore très loin derrière. Votre père… Il est le roi du marketing. Il place toujours le curseur au bon endroit, instinctivement. Il n’est pas toujours facile de travailler avec son papa… Notre relation est tellement simple et naturelle… Votre mère… Au départ, maman ne croyait pas aux étoiles. Selon elle, avec des clients qui venaient déjeuner en chaussures de ski, c’était tout simplement impensable… Nous avons eu notre première, et puis notre deuxième étoile… Votre cuisine… Elle raconte notre histoire, il reste encore des chapitres à écrire… La troisième, l’envisageait-elle ? En dépit des étoiles, nos clients ne changeaient en rien leurs habitudes. Ils continuaient de venir en chaussures de ski, ils étaient parfois bruyants, ils mangeaient rapidement… Alors, vous imaginez, selon maman, la troisième, jamais… Lorsque vous vous fixez un objectif… Je fais tout pour y parvenir. Vous avez eu la troisième étoile… Oui, et si à La Bouitte, la troisième étoile est certes une singularité, elle n’est pas une antinomie, parce que nos clients, leurs chaussures de ski, leur côté informel… Tout ça, c’est juste nous. Effectivement, l’hiver, au déjeuner, rares sont ceux qui s’attardent à table. L’aprèsmidi, c’est fait pour skier… Voilà pourquoi nous avons des grosses équipes. Le service doit être rapide et irréprochable. Acceptez-vous les critiques ? Si elles sont constructives, je suis open, aucun problème. Quelques traits de votre caractère ? Je suis très rigoureux, hyper carré, parfois obstiné. Delphine… l’importance d’être deux dans le métier ? Si tel n’était pas le cas, Delphine et moi ne serions plus ensemble. Impossible, je suis à 300 % ici. Surtout depuis que je suis chef d’entreprise. Chef d’entreprise ? J’ai racheté La Bouitte à mes parents, cela fait un an. Mes parents n’ont plus rien à prouver, et moi, je leur devais au moins ça : la tranquillité. Un souvenir gourmand… Dans un petit village en Corse. Lors de mes premières vacances avec Delphine, après une saison bien remplie. Nous n’avions rien organisé, tous les hôtels étaient complets et nous nous sommes retrouvés en Haute Corse, dans une chambre avec terrasse et vue sur le port de Centuri. L’ALBUM DE MA XIME ME ILLEUR I JUILLETAOÛT 2016 I TGM 281 I 15 L’équipe de cuisine. Nous avons dîné sur une table de camping, nous étions assis sur des chaises de camping. Au menu : des pâtes aux langoustes… Et en prime un superbe coucher de soleil. J’étais avec Delphine… C’était énorme. Le plus beau repas de ma vie. Le meilleur plat que j’ai mangé. Vos parents, Delphine et vous… Il y a un grand respect… Nous travaillons ensemble, nous partons même en vacances ensemble… Dans votre famille… Il y a le patriarche, il a le dernier mot, parce qu’il a toujours raison. Un jour, votre père quittera La Bouitte… Mon père ne quittera sans doute jamais La Bouitte complètement et définitivement. Un jour, il me donnera son trousseau de clés… Pour le moment, c’est lui qui ouvre et qui ferme la maison. Des frères et sœurs ? J’ai une sœur, Sophie. Après avoir travaillé avec nous, elle a choisi une autre voie. Dommage, l’histoire serait plus belle avec elle. L’union fait la force… Comment les frères Rocca ont-ils atteint un tel niveau de perfection ? Il y en a un en cuisine, un autre en pâtisserie et le troisième en sommellerie. Ils maîtrisent entièrement leur environnement. Un personnage que vous aimeriez rencontrer ? Mon cœur balance entre l’univers de la cuisine et le monde du sport… Les gens que vous admirez… Les grands sportifs. En cuisine, nous sommes une équipe. En compétition sportive, c’est chacun pour soi. Votre luxe préféré ? La gentillesse autour de moi, le bien-être. Le bonheur ? C’est ce que je vis tous les jours. Ce qui peut vous émouvoir ? Les gens, à Hong Kong, qui sortent des photos de nous à La Bouitte… Lorsque vous allez au restaurant… Où que j’aille, je ne m’inspire jamais d’une cuisine. Je hume les atmosphères. Un jeune cuisinier qui pourrait vous épater un jour ? Mathieu Pacaud. Il a « cette » autre chose qui peut plaire ou déplaire, mais qui lui est propre et lui permet d’intellectualiser et ensuite d’exprimer toute sa sensibilité. Votre devise… Quand on veut, on peut. Le lieu auquel vous vous identifiez ? La Savoie, évidemment. Quand on s’appelle Meilleur ? On prévient les autres. En sport, je les prévenais juste avant le départ. Un lieu qui vous semble familier ? La Corse, une île qui a forgé son identité par son terroir. Sans doute le seul endroit où je pourrais travailler si un jour je devais quitter la Savoie. Ce qui, je vous rassure, est impensable… Les étoiles… Ce n’est pas une compétition, c’est un chemin. Il faut trouver le bon itinéraire. Êtes-vous les « Meilleurs » ? Nous ne sommes pas les meilleurs, mais ce qui est sûr, c’est que nous sommes les seuls à savoir faire ce que l’on fait ! RÉDACTEUR CULINAIRE : JEANLUC DENONAIN. ACCORDS VINS & METS : ?