les reseaux confreriques musulmans dans l`europe du sud-est

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les reseaux confreriques musulmans dans l`europe du sud-est
Les réseaux confrériques musulmans dans l’Europe du Sud-Est – EGO
LES RESEAUX CONFRERIQUES MUSULMANS
DANS L’EUROPE DU SUD-EST
Des réseaux confrériques musulmans se sont répandus dans l’Europe du SudEst avec la domination ottomane, à partir du XIVe siècle, et se sont recomposés
selon les évolutions politiques, sociales et religieuses. Ses réseaux tissés autour des
liens entre maîtres spirituels et disciples ont des dimensions supra-locales, même si
la dimension locale de ces « noyaux sociaux » que forment les confréries reste
primordiale. Une mobilité liée à la formation spirituelle, à la dévotion, mais aussi au
djihad, parfois aussi des liens économiques et sociaux ont contribué à l’expansion
et au maintien des réseaux (et par défaut à leur disparition).
Introduction
A côté de réseaux militaro-administratifs et de réseaux marchands, la
« Turquie d’Europe » ou « Roumélie » – ainsi appelait-on la partie européenne des
possessions ottomanes, a également été irriguée de réseaux religieux musulmans et
non-musulmans1. Les réseaux musulmans de nature religieuse étaient
principalement de deux types : ceux des savants en sciences religieuses – les
oulémas – qui occupaient les postes de cadis (juges de la charia) et de
müderris/mudarris (professeurs dans les madrasa), selon un système hiérarchisé à
partir du XVe-XVIe siècle2, et ceux des confréries soufies, c’est-à-dire des
confréries mystiques musulmanes, les deux types n’étant toutefois pas totalement
disjoints.
L'implantation des confréries (tarikat, de l’arabe tariqa, plur. turuq) dans la
Péninsule balkanique ne commence véritablement qu’avec la conquête ottomane de
ces régions. Avant l’arrivée des Ottomans en Europe, on ne peut guère signaler
e
que la présence, au XIII siècle, d'un saint guerrier, plus ou moins mythique,
nommé Sar Salt k Dede3, qui s’installa en Dobroudja avec des tribus turques
venues de Sinop, faisant tampon entre l’Empire byzantin et la Horde d’Or, ainsi
que celle de communautés babais (mystiques « hétérodoxes ») en Dobroudja et
dans le Deliorman à partir du XIIIe siècle également4. Concernant la diffusion des
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réseaux confrériques dans l’espace balkanique après les débuts de la conquête
ottomane (milieu du XIVe siècle) et du rôle de leurs membres dans la société de ces
régions, on peut distinguer trois grandes périodes.
Les trois phases de l’expansion des réseaux confrériques
La première phase est celle des premières conquêtes des XIVe-XVe siècles, au
cours de laquelle on voit se développer des réseaux de derviches
colonisateurs « hétérodoxes » (Kalenderis, Bektashis, ou autres) : des derviches
qui émigrent vers les terres nouvellement conquises et s’installent dans des régions
désertées par les populations chrétiennes ou en des points stratégiques, le long des
voies de communication ; des derviches qui cultivent eux-mêmes la terre, œuvrent
pour la diffusion de la religion et de la culture musulmane, participent aux
campagnes militaires ou y envoient leurs fidèles, mais ne forment pas encore ce
qu’on appellera les tarikat/confréries. Au XVe siècle, des confréries commencent à
se former et à étendre leurs réseaux jusque dans les Balkans – la Bayramiyye, la
Nakshbandiyye et la Halvetiyye, notamment grâce aux faveurs du sultan Bayezid
(r. 1481–1512)5.
La seconde phase correspond aux conquêtes plus lointaines qui atteignent la
Hongrie et mènent les troupes ottomanes sous les murs de Vienne (1529). Cette
période est aussi caractérisée par la mise en œuvre d’une politique de
« sunnitisation » par les autorités ottomanes, forgée face à la menace extérieure des
Safavides d’Iran et à celle de divers groupes de populations au sein même de
l’Empire, qui leur sont alliés. Globalement, ces changements de politique auront
pour conséquences principales une structuration et une reprise en main de certains
groupes hétérodoxes au sein d’une Bektashiyye réorganisée (dans les territoires
bulgares et albanais notamment), et surtout la diffusion de confréries politiquement
et religieusement plus « orthodoxes », qui contribuent à la lutte contre les
hérétiques et contre les infidèles (les Autrichiens et les Vénitiens), et prêchent la
« bonne voie » à la population : en particulier, différentes branches de la
Halvetiyye, qui essaiment dans toute la Péninsule, et la Djelvetiyye. Ainsi, de
nouveaux réseaux confrériques, essentiellement urbains, se développent, la plupart
du temps grâce aux fondations de grands personnages, et cela jusque dans les
nouvelles régions frontalières, à l’image du tekke halveti fondé par Gazi Husrev
Beg (1480–1541) à Sarajevo dans les années 1530. A cette époque, les liens entre
la position d’une tarikat à Istanbul et sa diffusion dans le Sud-Est européen sont
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assez étroits. Les cheikhs stambouliotes ont une part dans l’expansion des réseaux
en Europe ; beaucoup de futurs cheikhs rouméliotes viennent faire leur études à
Istanbul. Les relations qu’entretient chaque réseau dans les sphères du pouvoir
politique dans la capitale ottomane, comme dans les centres provinciaux pèsent sur
leur assise dans la société6.
Mais aux côtés des différents réseaux halvetis et djelvetis qui deviennent
extrêmement denses, d’autres confréries essaiment dans la Péninsule. Le
Seyahatnâme – récit de voyage – d’Evliya Çelebi (1611–1682) témoigne de cette
présence confrérique dans pratiquement tous les centres urbains balkaniques au
milieu du XVIIe siècle. La Nakshbandiyye est présente. La Kadiriyye est introduite
à Yenishehir-Fener/Larissa en 1601 par un cheikh venu de Damas (m. en 1630).
Mais la confrérie connaît un élan plus important en Thrace, en Macédoine, au
Kosovo et jusqu’en Bosnie, à la suite du voyage d’Ismail Rumi (m. en 1643),
fondateur d'un nouveau réseau kadiri, dont les deux principaux centres de diffusion
sont situés à Istanbul et à Edirne. La confrérie des Mevlevis (ou derviches
tourneurs), plutôt élitiste, dans laquelle la poésie et la musique jouent un rôle
important, s’implante au cours du XVIIe siècle dans certaines villes
importantes, comme Pécs, Sarajevo, Salonique, Serrès, Elbasan et Plovdiv7.
Malgré la volonté des autorités ottomanes, le soufisme « hétérodoxe » n’est
pas totalement éradiqué dans la Péninsule. Cette période voit même l’expansion,
depuis l’Anatolie, d’un nouveau mouvement – celui des Melamis-Bayramis (ou
Hamzevis) – d’abord dans la région d’Edirne, plus tard en Thrace, en Bosnie, dans
la région de Belgrade et jusque dans les territoires hongrois. Parmi ces maîtres, le
plus célèbre est Hamza Bali, qui, accusé d’hérésie, aurait été arrêté dans la région
de Tuzla, en Bosnie, où il s’était réfugié après avoir quitté la capitale ottomane. Il
est ensuite ramené à Istanbul, condamné et exécuté en 15738.
La troisième phase d’expansion des réseaux confrériques débute avec l’échec
des armées ottomanes devant Vienne en 1683, suivi de la « reconquista »
hongroise et vénitienne et de profonds bouleversements que connaît ensuite la
Turquie d’Europe : une perte de territoires qui en annonce d’autres, plus
importantes encore et une crainte permanente des soulèvements de populations
chrétiennes. Ce sont là probablement les raisons pour lesquelles les autorités
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ottomanes entreprennent dans les Balkans, à partir du milieu du XVIII siècle une
politique de renforcement de l’élément musulman, facilitée par l’immigration de
réfugiés venant des territoires perdus et par l’islamisation qui continue dans
certaines régions occidentales. Or, ces transformations sont accompagnées de
l’expansion de nouveaux réseaux confrériques, qui contribuent à renforcer la
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cohésion des populations musulmanes fraîchement islamisées ou installées dans ces
régions. Ces nouveaux réseaux supplantent en partie les plus anciens dans les villes,
mais connaissent également une extension sans précédent en zone rurale,
notamment dans les régions que recouvrent aujourd’hui l’Albanie, la Macédoine, le
Kosovo, la Grèce du Nord et la Bulgarie, restées le plus longtemps sous la
domination ottomane9.
Certains réseaux confrériques existants connurent de nouvelles impulsions,
comme ceux de la Rifaiyye et de la Kadiriyye. Quant à la Bektashiyye, bien
qu’officiellement interdite en 1826, au moment de l’abolition du corps des
janissaires, elle connait de façon surprenante une nette expansion dans les régions
du Sud de l’Albanie actuelle dans le dernier quart du XIXe siècle, et put ainsi être
utilisée à la fin du siècle, par des Albanistes qui cherchaient à forger une identité
albanaise distincte d’une identité turque, supposée reposer sur une identité
musulmane bektashi considérée comme « non fanatique », afin de légitimer
l’existence d’une nation albanaise majoritairement musulmane en Europe10.
De nouvelles confréries ou de nouvelles branches de confréries essaiment
aussi dans les territoires rouméliotes à cette époque, parfois même très tardivement
e
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à la fin du XIX -début du XX siècle, et notamment des confréries venant des
e
provinces arabes : la Sadiyye, à partir du début du XVIII siècle, surtout dans la
partie occidentale de la Péninsule, recrutant dans les classes moyennes et
inférieures et peu parmi les oulémas (spécialistes des sciences religieuses
islamiques), de même que la Rifaiyye, avec laquelle elle présente des similitudes au
niveau des pratiques : utilisation d’instruments de musique, rituels de mortification
du corps, ingestion de braise et de verre, pouvoir sur les serpents ; la Shaziliyye, en
Bulgarie et au Kosovo ; et la Tidjaniyye qui est introduite dans la ville de Shkodra,
au nord de l’Albanie actuelle, vers 1910–1911 par le biais du pèlerinage à la
Mecque. Toujours dans les dernières décennies de l’époque ottomane, le
rayonnement mystique des provinces arabes sur les Balkans se fait également à la
suite de l’activité d’un égyptien, à l’origine d’un nouveau réseau confrérique : la
Melamiyye-Nuriyye. Muhammad Nur al-Arabi (né en Egypte en 1813 ; mort à
Strumica, en Macédoine, en 1888), après avoir fréquenté les Lieux saints de
l’islam, introduit en effet une nouvelle voie, très réformiste, en Macédoine (à
Skopje, puis à Strumica). Il touche rapidement certains hauts fonctionnaires en
poste en Macédoine, qui lui permettent de se rendre à Istanbul et de faire des
adeptes jusqu’au cœur de la capitale ottomane. Mais c’est dans la Macédoine en
ébullition que, vingt ans après sa mort, les fidèles de son mouvement jouent un rôle
politique de premier plan, dans la révolution jeune-turque. Dans les cinq dernières
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décennies de la domination ottomane, le mouvement se répand en Macédoine et au
Kosovo, et de là en Bosnie-Herzégovine, plutôt dans des centres urbains, au sein
des cercles de lettrés/fonctionnaires, civils et religieux11.
La Halvetiyye est cependant restée la confrérie la plus répandue, elle aussi
représentée par de nouveaux réseaux, dont certains naissent dans la Péninsule
même (à Edirne, à Salonique, à Ohrid, à Love en territoire bulgare, ou encore à
Serrès en Macédoine), phénomène nouveau que l’on peut lier à la montée en
puissance des pouvoirs locaux et à l’expansion en zone rurale. Pourtant, l’un des
réseaux halvetis qui ont le plus de succès est celui de la Shabaniyye, devenue la
branche halveti possédant le plus d’établissements dans la capitale. La poussée
qu’elle connut au XIXe siècle à Istanbul, ainsi que dans les territoires bulgares, en
Macédoine et en Bosnie-Herzégovine notamment, est certainement due à ses
principes doctrinaux d’alors : mise en avant de la charia, insistance sur la pratique
de la rabita (liaison, en imagination, du cœur du disciple avec celui de son maître)
et halvet (retraite spirituelle), qu’elle avait d’ailleurs en commun avec la branche
Halidiyye de la Nakshbandiyye, alors aussi en pleine expansion12.
Au reste, si la Halvetiyye demeure, toutes branches confondues, la confrérie la
plus répandue dans la Péninsule balkanique, elle est pourtant concurrencée sur le
plan religieux et politique durant cette troisième phase, précisément par la
Nakshbandiyye qui, d’une certaine façon, reprend le rôle et la place des Halvetis
aux XVIe–XVIIe siècles. Il s’agit d’une confrérie fortement implantée dans le
milieu des oulémas, soutenant la charia, défendant « l’Empire glorieux, sur lequel
reposait l’existence victorieuse de l’Islam » contre « les chrétiens maudits et les
Persans apostats » et proche de l’entourage des sultans. A travers deux nouvelles
branches (la Mudjaddidiyye apparue au XVIIIe siècle, et surtout la Halidiyye au
e
XIX siècle), les réseaux nakshbandis se tissent plus densément dans la Péninsule,
notamment en Bosnie. Leur essor y est dû d’abord à l’action de Hüseyin Baba
Zuki , qui, au retour d’un très long périple à Istanbul, Konya, Samarkand,
Boukhara, Bagdad et ailleurs, fonde un établissement à Vukeli i-Živ i, près de
Fojnica13.
Malgré ce succès de confréries prônant la charia, dans la partie occidentale
de la Péninsule surtout, il se produisit un phénomène d’« alévisation » d’autres
confréries comme la Rifaiyye, la Kadiriyye, la Sadiyye et même certaines branches
de la Halvetiyye, dans la mesure où celles-ci adoptent des pratiques et des
croyances courantes chez les alévis-bektashis : culte de Ali (le gendre du
Prophète), fête du matem en mémoire du martyre de Huseyn (l’un de ses deux fils),
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etc. Les transpercements et autres mortifications entrent également en usage dans
nombre d’établissements de ces différentes confréries.
Mais pour mieux comprendre ce qu’ont représenté ces réseaux confrériques
dans la société ottomane sud-est européenne, revenons d’abord sur leur
fonctionnement.
Maîtres, disciples et sympathisants : les liens confrériques
Au cœur de la mystique musulmane se trouve la relation entre maître et
disciple. Le disciple chemine sur la voie (tarikat) qui mène à Dieu en étant guidé
par le maître (murshid, cheikh). Alors que l’Empire ottoman est encore dans sa
phase initiale, les courants soufis sont surtout portés par des groupes de derviches
très mobiles, parfois antinomiques, qui se fixent dans certains cas dans des
établissements composés de cellules réparties autour de la salle de prière d’une
mosquée. Après le premier quart du XVe siècle, en raison d’une plus grande
stabilité politique et à la faveur de l’intérêt des élites politiques, un soufisme plus
« institutionnel » se cristallise dans l’Empire et en Transoxiane, comme il l’avait
déjà fait au Proche-Orient, sous la forme de tarikat, des voies définies à la fois
diachroniquement et synchroniquement, pour reprendre l’analyse de d’A.
Karamustafa14. L’autorité est désormais légitimée par une chaîne de transmission
(silsile), qui remonte à un ancêtre spirituel, père de la voie, et de là jusqu’au
Prophète. Cette chaîne définit l’appartenance au groupe. D’autre part, la relation
de maître à disciple est identifiée à un cadre plus fixe (un tekke ou autre
établissement de derviches15), à des rituels et pratiques davantage codifiées,
certaines étant effectuées régulièrement en commun autour du maître (cheikh), à
un cheminement initiatique spécifique, à des règles de comportement au sein du
groupe, comme en société.
Par ailleurs, des hiérarchies apparaissent entre le maître, ses disciples devenus
maîtres et envoyés diriger d’autres établissements, pouvant éventuellement à leur
tour former de nouveaux cheikhs (on les appelle alors halife, khalifa en arabe), et
les disciples possédant divers degrés d’initiation. Les liens entre différentes
générations de maîtres spirituels sous-tendent ainsi des réseaux entre différents
établissements, parmi lesquels un ou plusieurs sont reconnus comme des
établissements principaux (asitane). Les liens initiatiques se doublent aussi, de plus
en plus fréquemment, de liens familiaux, la succession héréditaire (evladiyet)
s’imposant à partir de la seconde moitié du XVIIe–début du XVIIIe siècle dans de
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nombreuses confréries. Le cheikh qui dirige un tekke est ainsi remplacé par l’un de
ses descendants.
Cependant, les confréries ne doivent pas être vues comme des institutions
rigides. Les affiliations multiples, à plusieurs maîtres de différentes tarikat, sont
très courantes, tant chez les lettrés que chez les illettrés. Les « hiérarchies »
confrériques sont également très fluides. Leurs réseaux sont en constante
recomposition en fonction du charisme des maîtres spirituels. Ceci conduit même,
dans certaines confréries, à la création de branches, plus ou moins autonomes, et à
l’évolution des pratiques et des doctrines. Même les confréries généralement
présentées comme très centralisées, à l’instar de la Mevleviyye avec son centre à
Konya et de la Bektashiyye avec son tekke principal à Hadji Bektash en Anatolie
centrale, ne doivent pas être vues comme des organisations très structurées.
Si des liens supra-locaux peuvent être activés à tout moment, au nom de
l’appartenance à une même tarikat ou à un sous-réseau de la tarikat, au nom d’une
allégeance formelle à un autre tekke, sous le prétexte de liens religieux ou familiaux
avec d’autres établissements, ou encore en raison du charisme d’un autre cheikh, le
niveau local demeure fondamental dans la vie confrérique. A ce niveau, il existe
plusieurs cercles autour du cheikh : le premier est formé par sa famille et ses
proches disciples qui le servent en permanence ou très régulièrement; le second est
celui des autres disciples initiés qui participent régulièrement aux rituels et autres
réunions, mais qui, comme tout disciple initié, s’en remettent au cheikh « comme le
cadavre entre les mains du laveur de morts », lui montrant totale obéissance ; le
troisième est celui des aspirants et des sympathisants qui fréquentent de façon
irrégulière le tekke. On pourrait ajouter un quatrième cercle formé par tous ceux
qui viennent solliciter le cheikh pour ses bienfaits ou se rendent sur les tombes des
saints associées au tekke afin de demander leur intercession.
De part des liens qui lient le cheikh à ses disciples, la confrérie est donc un
« noyau social », pour reprendre les termes de Constant Hamès, « qui contribue à
façonner la société dans laquelle elle s’insère »16. Au-delà des aspects purement
religieux, la tarikat et son chef spirituel remplissent des fonctions sociales et
politiques. Ces dernières peuvent dépendre de la doctrine de la tarikat, d’une
conception particulière de la place des soufis dans la société : certaines confréries
comme la Bektashiyye ou la Kalenderiyye, insistent par exemple sur le
renoncement au monde (terk-i dünya), ce qui les conduit à l’adoption du célibat et
à une implantation plutôt en dehors des centres urbains, quand, dans la plupart des
autres confréries, le rôle du soufi dans la société est mis en avant selon le principe
de « retraite en société » (halvet der endjüman). Cependant, plus déterminants
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semblent être la personnalité, le charisme des cheikhs, ainsi que le contexte propre
au lieu et au moment. De fait, tous les spécialistes constatent qu’une même
confrérie peut jouer des rôles radicalement opposés dans des endroits et à des
époques différentes.
Dans les Balkans, comme dans le reste de l’Empire ottoman, les tarikat ont
d’abord été des vecteurs de la diffusion de différents courants de l’islam mystique,
et plus largement des sciences islamiques exotériques et ésotériques, tant par l’écrit
que par l’oral. Les tekke, comme les medrese (établissements d’enseignement
religieux) sont le lieu de rédaction, de copie, de lecture, de commentaire et de
conservation d’œuvres manuscrites – et imprimées à partir de la seconde moitié du
XIXe siècle. Au-delà, les établissements confrériques sont aussi le lieu de diffusion
orale d’un islam mystique transmis par les sohbet (entretiens spirituels entre le
cheikh et ses disciples) ou les ilahis (chants religieux), ou encore à travers
certaines pratiques, comme le zikr (rituel de remémoration inlassable de formules et
de noms divins), la retraite spirituelle (halvet), etc. Dans la pratique précisément,
les confréries ont aussi façonné un islam dans lequel le cheikh est un intercesseur
entre Dieu et les fidèles. Proche de Dieu, il accomplit des miracles (keramet) qui
témoignent de cette proximité et de pouvoirs que cette dernière lui confère. Ses
disciples, mais aussi tous ceux qui en ont le désir (musulmans ou non) viennent
donc le voir pour bénéficier de ses bienfaits et résoudre des problèmes : stérilité,
maladie, décision à prendre, réussite d’une entreprise, protection, etc. Mort, le
cheikh conserve ses pouvoirs et l’on vient sur sa tombe, déposer de l’eau à boire
par le malade, un vêtement de celui-ci, faire plusieurs fois le tour du tombeau,
dormir à ses côtés. De fait, les confréries ont été, dans les Balkans comme ailleurs
dans l’Empire et au-delà même, des lieux de prédilection du développement du
culte des saints17 ; elles ont aussi souvent encadré la visite de tombeaux de saints
très divers, y compris dans des sanctuaires « ambigus », anciens lieux de dévotion
chrétiens ou païens continuant à être fréquentés par des non-musulmans18. Elles
ont également été un cadre propice au développement d’une magie musulmane
(récitation magique du Coran, confection d’amulettes et de talismans, divination à
travers divers rituels, interprétation des rêves – ceux-ci servant aussi à la guidance
spirituelle). Il ne s’agit pas ici d’un islam « populaire ». Bien au contraire, les
sultans comme de simples sujets, des oulémas comme des membres des
corporations de métiers ou des soldats ont recours à l’intercession des cheikhs.
Cette position du cheikh comme intercesseur, ainsi que les règles de
soumission des disciples initiés envers lui et les règles de comportement entre
disciples entraînent d’autres fonctions de la confrérie, en particulier dans le
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domaine économique, social et politique. Pour ses bienfaits, le cheikh reçoit en
effet des rétributions en espèces ou en nature qui lui permettent de bâtir,
d’entretenir, puis d’enrichir son établissement. Nombre de tekke ou de zaviye ont
été fondées en Turquie d’Europe grâce à des fondations pieuses (vakf, plur. evkaf)
faites par les sultans, de grands personnages de l’Empire ou des notables locaux.
D’autres établissements, de petite ou moyenne taille, ont été financés par
accumulation de biens au cours du temps, grâce à la participation financière des
cheikhs et de leurs disciples, à l’instar des tekke nakshbandis des premiers siècles19,
les deux systèmes se combinant souvent. Parmi les donations ou les acquisitions du
cheikh peuvent se trouver des terres, des boutiques, des moulins : autant de
sources de production enrichissant l’établissement, et conférant au cheikh et, le cas
échéant, à sa famille, un pouvoir économique parfois important. Mais, qu’ils soient
riches ou modestes, les ressources des tekke sont aussi partiellement redistribuées
pour le fonctionnement de l’établissement (entretien, embellissement, salaires de
certains officiants), la vie du groupe (repas, livres) et la réception des hôtes de
passage, l’hospitalité étant l’une des règles de base des confréries.
Car le tekke est aussi le lieu d’une sociabilité pour les disciples du cheikh,
comme pour les sympathisants. Toute personne peut être accueillie, être logée et
nourrie trois jours et trois nuits durant, parfois plus pour des affiliés. Dans
certaines régions rurales, le zikr a lieu le jour du marché, de façon à ce que
paysans et montagnards puissent faire leurs achats et venir au tekke qui peut aussi
les héberger. En dehors des cérémonies rituelles, généralement tenues une ou deux
fois par semaine, ainsi qu’à l’occasion de fêtes, les disciples se retrouvent autour
du cheikh pour des sohbet (entretiens spirituels) et des discussions plus libres. Là,
la consommation de café, d’ailleurs introduite dans l’Empire au XVIe siècle par des
soufis, joue alors un rôle important. Le tekke peut aussi être un lieu d’instruction
au-delà de l’initiation mystique, on l’a vu. Dans certaines confréries, l’usage
d’instruments de musique lors des rituels (chez les Mevlevis par exemple),
l’importance accordée à la poésie (chez les Mevlevis aussi) et à la calligraphie ont
fait de certains tekke des lieux de sociabilité autour de ces pratiques artistiques20.
Tout ceci donne aux communautés des tekke les allures de « club sociaux dans
un sens, mais aussi de réseaux de communication et de confiance mutuelle », pour
reprendre l’expression de C.V. Findley : des réseaux liant des personnes de statuts
sociaux divers, qui peuvent permettre un accès à des réseaux de pouvoir, pouvant
faciliter par exemple une ascension socioprofessionnelle21.
Et la place des femmes ? Elle est probablement moins marginale qu’on ne
pourrait le penser. Si elles ne peuvent accéder à la fonction de cheikh, certaines
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d’entre elles, lorsqu’elles appartiennent à une famille de cheikhs, peuvent jouer un
rôle central dans la vie confrérique. Beaucoup sont initiées (plus ou moins selon les
tarikat et les périodes) et participent aux rituels, dans une pièce connexe ou sur
une galerie, séparées des hommes. Elles forment parfois des cercles dans des
maisons privées, sous la guidance de l’une d’entre elles, et certaines composent des
textes mystiques, comme ces poétesses soufies bektashies étudiées par T.
Zarcone22. Quelques unes sont vénérées comme des saintes, de leur vivant ou après
leur mort, à l’image de Dervishe Hatidje à Tirana23. Dans les relations sociales,
elles ont bien sûr leur importance dans les relations matrimoniales nouées dans, ou
grâce à la société confrérique.
Reconnus pour leur autorité spirituelle supérieure, les cheikhs exercent aussi
souvent, dans la société ottomane sud-est européenne, des fonctions sociales qui
dépassent le cadre de la vie communautaire au sein du tekke. Ils sont régulièrement
sollicités comme conseillers pour des questions très variées, et surtout amenés à
régler des conflits24. Ils peuvent, dans ce domaine, rivaliser avec des notables
locaux (beys, agas) ou avec des gouverneurs provinciaux. Dans certaines régions,
cette autorité spirituelle, leur pouvoir économique et les relations qu’ils peuvent
avoir avec d’autres cheikhs, leur confèrent également un pouvoir de mobilisation et
leur donnent la possibilité de contribuer soit au renforcement, soit au dépassement
de certaines unités sociales. D’où le rôle politique que des cheikhs sont amenés à
jouer, soit en faveur, soit contre le pouvoir, comme relais des autorités ou comme
porte-parole de la population.
S’agissant du Sud-Est européen, les sources écrites sur l’histoire des soufis
demeurent relativement rares. Actes des fondations pieuses, recueils biohagiographiques, chaînes spirituelles, ouvrages doctrinaux, ils nous permettent de
comprendre en partie quelle y était la place des confréries. Afin de saisir ce qu’était
la réalité de leurs réseaux, prenons deux témoignages sur deux périodes
différentes, le XVIe et le début du XVIIe siècle d’abord, puis le XVIIIe-début du
XIXe siècle. Le premier est le recueil bio-hagiographique d’un cheikh qui vécut à
Belgrade (aujourd’hui en Serbie)25 et le second l’histoire d’une branche de la
confrérie halvetie, compilée à Istanbul au milieu du XX e siècle, qui s’éloigne
quelque peu de la forme bio-hagiographique, notamment par l’ajout d’éléments sur
les fondations pieuses afférentes26.
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Les réseaux confrériques vus depuis les frontières
Ibrahim ibn Iskender, dit Müniri Belgradi (né en 1551 dans les régions de
Bosnie ou de Srem, et mort à Belgrade entre 1620 et 1625) a laissé un ouvrage qui
éclaire certains aspects de la vie des mystiques et des saints dans les régions
européennes de l’Empire situées aux frontières – région de Belgrade, Bosnie et
Hongrie27 – au XVIe et au début du XVIIe siècle28. L’un des aspects frappants est
sans aucun doute celui de la mobilité, qui nous permet précisément de saisir les
réseaux dans leur dynamique. Cette mobilité est de plusieurs types : il y a la
mobilité liée à l’acquisition des connaissances et à l’initiation ; il y a également la
mobilité liée à l’accomplissement du djihad ; et enfin la mobilité liée à la dévotion.
Outre la mobilité des individus, il faut également prendre en compte la circulation
des textes et des récits oraux qui contribuent aussi à forger l’appartenance, même
distante, à un réseau.
Müniri lui-même est relativement mobile. On sait qu’il a grandi à Sremska
Mitrovica, où il est initié par deux cheikhs de la confrérie des Halvetis (Cheikh Ali
et Cheikh Muslihuddin), qu’il fait des études en sciences religieuses, peut-être dans
une grande ville des Balkans ou à Istanbul, avant de faire une carrière d’ouléma à
Belgrade et dans sa région, finissant comme mufti de Belgrade. Auteur de plusieurs
ouvrages, dont certains sont destinés à mettre à la portée d’un public assez large
des connaissances religieuses et morales, copiste, il a acquis dans la région une
grande influence semble-t-il. Plusieurs décennies après sa mort, son nom est encore
très connu. Egalement maître soufi, il a, depuis Belgrade, la possibilité de collecter
et de confectionner des récits bio-hagiographiques de personnages ayant vécu ou
vivant encore à son époque dans ces régions frontières et appartenant à des
réseaux qui lui sont d’une certaine façon liés. Il mentionne d’ailleurs ici et là qu’il a
reçu les informations de certains cheikhs ou de leurs disciples, qu’il a rencontrés,
lorsqu’il n’a pas été lui-même témoin des événements29.
Dans son récit, la mobilité accompagne souvent la période de formation et
d’initiation des cheikhs. Le fameux Ali Dede Sigetvari, ainsi appelé parce qu’il a
été nommé gardien du tombeau de Soliman le Magnifique (env. 1494–1566), à
Sigetvar (Hongrie), est d’origine bosniaque, mais se trouve probablement à
Istanbul lorsqu’il se soumet au cheikh Muslihhudin Nureddinzade et devient son
disciple. Plus tard, il séjourne de nombreuses années à la Mecque, où il se consacre
à la poésie arabe et à la doctrine mystique d’Ibn Arabi (1155–1240). Il revient
ensuite vers la capitale de l’Empire, d’où le grand vizir l’envoie à Sigetvar, ayant
ainsi parcouru l’Empire du Nord au Sud et du Sud au Nord30. Dans d’autres récits
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Les réseaux confrériques musulmans dans l’Europe du Sud-Est – EGO
bio-hagiographiques, la mobilité est même souvent une condition pour avancer
dans la voie mystique, imposée par le guide spirituel. Originaire de Sarajevo, où il
est artisan, le cheikh Muslihuddin est initié par le cheikh Ayni Dede à Istanbul et le
sert assidûment, lorsque ce dernier lui enjoint de partir pour Sremska Mitrovica,
pour se rendre auprès d’un saint. Muslihuddin ne veut pas quitter son maître. Tout
au plus accepterait-il de se rendre auprès du très célèbre cheikh Bali Efendi qui
réside à Sofia. Sur l’insistance du maître, Muslihuddin se rend cependant dans les
frontières de Srem et, à Mitrovica, se met à la recherche du saint qu’il doit
rencontrer. Lorsque la rencontre advient, ce dernier lui dit de rester là, à sa place,
et part, deux saints ne pouvant coexister au même endroit. Il s’agit bien sûr d’un
topos hagiographique, mais il n’en reste pas moins que Muslihuddin a quitté sa
Bosnie pour retrouver un maître spirituel dans la capitale ottomane, puis a été
envoyé par celui-ci dans une autre localité des frontières européennes, pour avoir
un contact avec un autre maître et finalement se mettre à guider lui-même de
nombreux disciples et attirer des sympathisants autour d’un établissement qu’on lui
fait construire dans cette localité31. Ces cas illustrent la mobilité liée au
cheminement initiatique, qui met en contact des cheikhs et des disciples plus ou
moins avancés, à laquelle s’ajoute parfois une mobilité liée à l’apprentissage des
sciences religieuses exotériques. Ces deux types de mobilité mettent en contact des
personnages nés dans le Sud-Est européen avec des réseaux soufis alors implantés
dans la Péninsule, dans la capitale ottomane et même dans les provinces arabes.
La dynamique des réseaux confrériques dans les régions frontières
européennes résulte également d’un second type de mobilité, liée au devoir des
soufis d’accomplir le petit djihad, c’est-à-dire la gaza ou guerre contre les infidèles
(le grand djihad étant le combat contre son propre ego – nefs), une mobilité plus
généralement liée au désir de soutenir les frontières de l’islam32. Le récit de Müniri
offre en effet de nombreux exemples de cheikhs venus, depuis différentes régions
du Sud-Est européen et au-delà, vers les frontières, y restant jusqu’à la fin de leur
vie, y demeurant plusieurs années, ou même n’y séjournant que pour quelques
mois, le temps d’une ou plusieurs campagnes et d’un ou plusieurs hivernages, à
Belgrade ou dans l’une des forteresses de ces régions33. Les cheikhs participent aux
campagnes et combattent eux-mêmes, tombant parfois martyrs, comme le cheikh
Hizir qui meurt lors de la campagne d’Eger34. Ils prévoient l’issue des batailles et
sont, pour certains, récompensés d’une partie du butin35. Ils sont là pour protéger,
soutenir, conseiller, stimuler et favoriser l’issue des batailles.
Kurd efendi, un disciple du grand cheikh Sofyali Bali efendi (m. en 1553),
vient, après la conquête de Sigetvar, soutenir le gouverneur Mustafa Pacha (règne :
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Les réseaux confrériques musulmans dans l’Europe du Sud-Est – EGO
1566–1578) à Buda. Il y restera de nombreuses années. Parmi les cheikhs passés à
Belgrade sur le chemin du théâtre de la guerre, Müniri cite Shemseddin Sivasi,
maître spirituel très réputé de la capitale ottomane. Comme lui, d’autres sont venus
accompagner les troupes ottomanes lors de diverses campagnes : Muhammed
efendi de Nevrokop en territoire bulgare, Cheikh H r d’Istanbul qui accomplit
deux campagnes dans les années 1590, avant de mourir martyr lors de la seconde,
ou encore le cheikh Mahmud de la région d’Edirne, qui reste dans la forteresse
d’Estergom après sa conquête en 1543, et y aura l’occasion d’initier de nombreux
disciples, parmi lesquels Ali efendi, l’un des maîtres spirituels de Müniri. Au bout
d’un certain temps, Cheikh Mahmud s’en reviendra dans son pays natal. Comme
précédemment, cet élan relie même le Sud-Est européen aux provinces arabes : un
disciple d’Emir Evhadeddin arrive d’un lieu qui se situé « au-delà d’Alep », et
Cheikh Ama Bali efendi est originaire de cette même ville36.
Les cheikhs et leurs disciples se déplacent également pour accomplir leurs
dévotions. Avec le pèlerinage aux Lieux saints de l’islam, on retrouve encore un
lien avec les provinces arabes. Le pèlerinage à la Mecque (la ville sainte de l’islam)
peut même être effectué plusieurs fois dans une vie. La Mecque apparaît comme un
refuge, loin de la vie difficile des frontières. Le pèlerinage est en outre l’occasion
de stationner dans d’autres localités proches-orientales et de nouer des liens avec
d’autres mystiques. Dans le récit de Müniri, c’est surtout Damas qui apparaît de la
sorte. Or ces stations contribuent à tisser des réseaux confrériques, puisque Damas
apparaît aussi comme le lieu de résidence de certains cheikhs appartenant à un
réseau qui s’étend jusque dans les serhad (zones frontalières) européens. Müniri
rédige même les vies de plusieurs maîtres spirituels damascènes faisant partie de sa
propre lignée spirituelle37.
La dynamique des réseaux est également visible dans la circulation de textes et
de récits oraux. Müniri se présente lui-même comme ayant lu ou copié des
ouvrages de ses confrères qui exercent dans divers lieux de la Péninsule et au-delà.
A propos de Hizir Efendi, qui réside dans la capitale ottomane, par exemple, il
écrit :
« Le défunt était diligent et appliqué dans l’exotérisme et l’ésotérisme. Il a annoté en
marge des recueils avec de fines vérités et subtilités. Comme [les textes] étaient très
difficiles à comprendre et qu’il lui avait été donné, à lui, de les rendre intelligibles, ses
proches ont écrit en marge, qu’après eux ses deux recueils contenant d'importants
enseignements devaient être des biens de main morte, et ils les complétèrent avec talent
dans les discussions et les commentaires. Il avait également commencé à écrire le
commentaire d’un excellent livre intitulé Mülteka ül-ebhur.38 Il a fait, d’une manière
suffisante, de fines vérifications de ce qu’il a écrit en s’appuyant sur le kelâm [du Coran]. Il
a aussi écrit un fin essai sur la sûre-i kadr. Votre humble serviteur l’a copié »39.
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Des lettres attestent des liens épistolaires qu’un personnage comme Müniri
pouvait avoir avec différents cheikhs40. Quant à la circulation par voie orale, elle
est attestée à la fois par les références explicites qu’il fait concernant les
informations et les récits qu’il a obtenu de ses confrères et par ses descriptions
d’assemblées de croyants et de réunions de derviches au cours desquelles on se
remémore les faits et gestes, les miracles des cheikhs défunts ou de cheikhs vivants.
Lui-même aurait eu l’opportunité, au cours de telles réunions de raconter,
comment le cheikh Muslihuddin avait apporté son aide spirituelle pour certaines
conquêtes ou de parler d’un cheikh de Teme var41.
Réseaux confrériques, familiaux et économiques
L’exemple du sous-réseau de la Halvetiyye-Djerrahiyye qui se répandit depuis
la capitale ottomane à une époque plus tardive, à partir du début du XVIIIe
siècle42, dans le Péloponnèse, ainsi que dans d’autres régions du Sud de la
Péninsule des Balkans – Thrace, Macédoine, Bulgarie – nous permet de considérer
le phénomène réticulaire sous un autre angle, celui du poids éventuel des liens
familiaux et des liens économiques.
Le cheikh Nureddin Mehmed Djerrahi (m. en 1721) avait acquis une grande
renommée à Istanbul, et avait fait de nombreux halife qui furent influents parmi les
autorités politiques, militaires et religieuses de la capitale. Si certains tekke djerrahi
furent fondés dans les Balkans par de jeunes disciples venus étudier dans la
capitale, puis repartis dans leur région natale pour y répandre la confrérie, son
expansion dans le Péloponnèse (ou Morée) est étroitement liée à la participation de
plusieurs disciples à la campagne militaire qui permit la reconquête de la région en
171543.
De fait, avant même qu’un traité ne réattribue officiellement le Péloponnèse
aux Ottomans, Cheikh Yahya Moravi, le halife de Nureddin Mehmed Djerrahi qui
avait participé à la reconquête avec plusieurs disciples se voit nommé cheikh d’un
tekke dans la forteresse de Nauplie/Anabolu, richement doté par l’aga du corps de
cavalerie qui réside dans cette même forteresse. Premier point de fixation de la
confrérie dans la Morée reconquise, ce tekke va devenir le centre de rayonnement
d’un sous-réseau de la Djerrahiyye autour du cheikh Yahya Moravi, de sa famille et
de ses disciples, et des riches dotations dont ils vont bénéficier. Le centre de
gravité du réseau sera ensuite double, en raison de la nomination de Cheikh Yahya
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Les réseaux confrériques musulmans dans l’Europe du Sud-Est – EGO
à la tête de l’asitane (tekke principal) djerrahi à Istanbul, et, du côté moréote, il se
déplacera vers Tripolis, devenue la métropole régionale.
Les compagnons du cheikh, qui résident avec lui à Nauplie, vont en effet
rapidement diriger d’autres établissements moréotes (Patras, Nauplie, Kilavrita,
Tripolis, Gastouni, Vostitza), selon plusieurs modi operandi : des personnages
importants fondent pour eux des tekke, ils en créent eux-mêmes ou récupèrent la
direction de tekke dirigés par les membres d’autres confréries. A leurs tekke sont
généralement associés des vakfs (biens de mainmorte) très riches – grands
domaines agricoles, oliveraies, etc. Les nouveaux cheikhs en sont les bénéficiaires,
souvent également les administrateurs, lorsqu’ils n’en sont pas propriétaires.
Surtout, la famille de Cheikh Yahya Moravi va jouer un rôle central dans la
constitution et le maintien de ce sous-réseau pendant un siècle, jusqu’à
l’insurrection de 1821. Car, parmi les disciples du cheikh qui résida quarante-cinq
ans à Nauplie avant d’aller diriger le tekke principal d’Istanbul, se trouve également
deux de ses fils et disciples. Comme il est devenu alors largement d’usage dans les
milieux confrériques, selon les clauses de l’acte de fondation, la direction spirituelle
du tekke et l’administration de ses biens reviennent aux descendants de cheikh
Yahya. Ce sera donc son fils aîné, Abdüshekur, qui lui succèdera, puis le fils de
celui-ci. En réalité ceux-ci ne sont que nominalement cheikh du tekke puisqu’ils
suivent Cheikh Yahya quand ce dernier quitte la Morée pour la capitale. Comme
son père, Abdüshekur cumule les deux postes, tandis que son fils avant de devenir
aussi cheikh de l’asitane en 180544 passe plusieurs années en Morée afin de
s’occuper des biens du tekke de Nauplie, ce qui prouve que des liens subsistent
bien, en particulier sur le plan économique. On sait que Cheikh Yahya et son fils
ont fait des donations au tekke principal d’Istanbul, pour l’approvisionner en
nourriture, grâce à leurs possessions en Morée45. Dans le Péloponnèse, le petit-fils
de Cheikh Yahya va aussi, grâce à son cousin alors cheikh d’un tekke à Tripolis,
être nommé à la tête d’un autre tekke, situé à Vostitza, en tant que vekil (c’est-àdire substitut) d’un cheikh dirigeant un autre établissement à Istanbul – le cumul
étant donc très courant à l’époque.
Une seconde lignée de descendants du cheikh Yahya fait souche en Morée,
celle de son fils cadet, Abdülbaki. Après avoir été initié par son père, il devient
mufti de Tripolis où il fait restaurer et agrandir le tekke fondé par un halife de son
père. Alors que certains de ses propres halife iront diriger des établissements de la
confrérie à Gastouni et Vostitza, son fils lui succèdera, à la fois comme maître
spirituel et comme gestionnaire (mütevelli) de la fondation. Ses petits-fils devront
fuir en Egypte à la suite de l’insurrection grecque pendant laquelle leur père est
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Les réseaux confrériques musulmans dans l’Europe du Sud-Est – EGO
tué. Au Caire, ils fonderont un tekke, puis occuperont de hautes fonctions dans
l’administration ottomane. Pour décrire ce réseau confrérique, fortement familial, il
faudrait encore ajouter l’existence d’une troisième lignée, celle du gendre
d’Abdüshekur, dont les membres ont été cheikh d’un tekke situé à Istanbul, dans le
quartier d’Üsküdar, tout en cumulant le titre et une partie des revenus de tekke en
Morée.
L’impossible institutionnalisation des réseaux confrériques
Dans les dernières décennies de l’époque ottomane, des évolutions touchent
partiellement les réseaux confrériques et leur rapport au pouvoir. La sociabilité de
certains réseaux bektashis et melamis se rapproche de celle de la franc-maçonnerie,
qui a pénétré dans l’Empire46. D’autre part, dans le cadre des réformes lancées par
les autorités ottomanes, qui tendent à construire un Etat « moderne » et
transformer les rapports entre pouvoir et sujets/citoyens, plusieurs mesures sont
prises qui visent à l’institutionnalisation des réseaux confrériques, rejoignant
l’esprit réformiste de certains musulmans, soufis et non soufis. En 1812, d’abord,
les vakfs sont mis sous l’administration d’un Ministère des fondations pieuses et on
envisage de centraliser la nomination des cheikhs par le cheikh d’un tekke principal,
propre à chaque confrérie ; puis, en 1836, on essaie de réglementer la fonction de
cheikh, certaines pratiques et tenues vestimentaires ; enfin, en 1866, on crée un
“Conseil des cheikhs” à Istanbul, supposé centraliser le fonctionnement des
confréries, sous l’égide du sheyhülislam (le chef de la hiérarchie religieuse
ottomane), avec des tekke-relais dans différentes régions (indépendamment de
l’appartenance confrérique), le conseil étant supposé contrôler les capacités des
nouveaux cheikhs. Le Conseil fonctionne jusqu’en 1917. En réalité, ces mesures
ont peu, ou pas d’effets en dehors de la capitale ottomane47.
Dans le Sud-Est européen, après la fin de la domination ottomane, qui
entraîne l’émigration de nombreux musulmans et signifie dans certaines régions un
affaiblissement considérable des réseaux confrériques, des tentatives
d’institutionnaliser les réseaux soufis sont aussi menées, mais cette fois davantage
« par le bas », par des groupes soufis. Dans la Yougoslavie communiste, au début
des années 1970, deux organisations soufies seront créées : la ZIDRA
(Communauté des Saints Ordres de Derviches), principalement active au Kosovo
et en Macédoine, et le Tarikatski Centar en Bosnie-Herzégovine.48 En Albanie,
une tentative similaire a été faite déjà durant l’entre-deux-guerres, conduisant à la
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Les réseaux confrériques musulmans dans l’Europe du Sud-Est – EGO
création d’une organisation rassemblant quatre confréries (la Sadiyye, la Rifaiyye,
la Kadiriyye et la Tidjaniyye), sous l’autorité des institutions islamiques officielles.
Parallèlement, deux confréries plus importantes numériquement ont tenté de
s’institutionnaliser elles-mêmes de façon plus ou moins indépendante de ces
institutions. La Halvetiyye n’y est pas vraiment parvenue 49, tandis que la
Bektashiyye a réussi à obtenir une certaine autonomie à partir des années 1920,
mettant au point des statuts et règlements, afin d’être reconnue comme une
communauté religieuse à part entière. Mais si l’on y regarde de plus près, on
s’aperçoit non seulement que le poids des milieux musulmans non soufis n’a pas
permis la reconnaissance de l’indépendance des Bektashis vis-à-vis des institutions
islamiques50, mais aussi que la confrérie elle-même n’a pu véritablement se muer en
communauté religieuse institutionnalisée. La principale raison à cela est que
l’autorité religieuse au sein des confréries reste essentiellement définie au niveau
local et que la légitimité de structures supra-locales ne peut s’imposer que très
difficilement, même si les réseaux confrériques ont toujours, on l’a vu, une
dimension supra-locale51. Celle-ci est néanmoins par nature très variable. Elle varie
avec le temps et le charisme des maîtres spirituels, et s’accommode mal d’une
rigidification qu’imposerait par exemple une institutionnalisation, voire une
nationalisation.
Nathalie CLAYER (EHESS-CNRS, Paris)
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Zarcone, Thierry / I in, Ekrem / Buehler, Arthur (eds.): The Qâdiriyya Order, in: Journal
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Notes :
1
En dépit de l’installation de populations musulmanes et des conversions à l’islam qui se
sont produites au cours des siècles, la Roumélie, conquise progressivement à partir du milieu du
XIVe siècle et perdue également progressivement entre la fin du XVII e siècle (territoires
hongrois) et le début du XXe siècle (Albanie, Macédoine, Thrace occidentale), est toujours restée
majoritairement chrétienne, sauf régionalement ou localement.
2
Cf. Veinstein, Les Ottomans 2003, et Clayer, L’autorité religieuse 2004.
3
Bien après sa mort, un Sar Saltuk légendaire plus que réel devint d'ailleurs le symbole de
l’islamisation de la Péninsule et de la gaza (guerre sainte). Sa figure a notamment été utilisée par
la confrérie des Bektachis (Leiser, Sar Saltuk Dede 1995, et Popovic, Morts de saints 1996.)
4
De Jong, Problems 1993.
5
Barkan, Osmanl imparatorlu unda 1942 ;
Zarcone, Nouvelles perspectives 1992;
Karamustafa, God’s Unruly Friends 1994 ; Le Gall, A Culture 2005.
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6
Clayer, Mystiques 1994.
7
Le Gall, A Culture 2005 ; Zarcone / I in / Buehler (eds.), The Qâdiriyya Order 2000 ; et,
sur les Mevlevis, divers articles dans Osmanl 1994.
8
Clayer / Popovic / Zarcone (eds.), Melâmis-Bayrâmis 1998.
9
Ces régions sont restées ottomanes jusqu’aux Guerres balkaniques de 1912–1913, tandis
que la « Vieille Grèce », la Serbie, les Principautés danubiennes, la Bulgarie et la BosnieHerzégovine avait échappé à la domination ottomane déjà au cours du XIXe siècle (cf. Mantran,
Histoire 1989).
10
Popovic, Un ordre de derviches 1993 ; Popovic, La Qâdiriyya 2000 ; Popovic / Veinstein
(eds.), Bektachiyya 1995 ; Clayer, Aux origines 2007.
11
Cf. Popovic, Les derviches balkaniques
1994 ; Clayer / Popovic / Zarcone (eds.),
Melâmis-Bayrâmis 1998 ; Clayer, Tijaniyya 2009.
12
Clayer, Mystiques 1994.
13
Gaborieau / Popovic / Zarcone, Naqshbandis 1990.
14
Karamustafa, God’s Unruly Friends 1994.
15
Lifchez, The Dervish Lodge 1992.
16
17
18
Hamès, Confréries 1996.
Clayer / Popovic, Les Balkans 1995.
L’expression « sanctuaires ambigus » vient de F.W. Hasluck (Hasluck, Christianity,
1929).
19
Le Gall, A Culture 2005.
20
Ocak, Sufism 2005.
21
Findley, Social dimensions 1983.
22
Zarcone, Poétesses 2010.
23
Clayer, La Kadiriye 2000.
24
Dans les montagnes albanaises, en particulier, les cheikhs interviennent souvent comme
autorité afin de régler les conflits dus à des vendettas.
25
Müniri Belgradi, Silsilat al-mukarrabîn wa manâkib al-muttakîn (« La chaîne des
rapprochés [de Dieu] et les vitæ des hommes pieux »), Bibliothèque Süleymaniye, ehid Ali Pa a
2819, f. 21–139.
26
brahim Fahreddin evki, Envar- Hazret-i Nureddîn el-Cerrahî (2 vols.), tapuscrit donné
à l’auteur par le cheikh du tekke de Nureddin Mehmed Cerrahi à Istanbul (Edirne Kap ).
27
Ces régions font partie soit du second, soit du troisième cercle des possessions ottomanes,
tels que Gilles Veinstein les a définis (Veinstein, Les provinces balkaniques 1989).
28
Le texte a été rédigé peu avant ou peu après la mort du sultan Mehmet III (1566–1603) et
l’avènement de son fils Ahmet Ier (env. 1589–1617), soit plus de dix ans après le début de la
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longue guerre entre les Ottomans et les Autrichiens en Hongrie, donc dans une période de crise
politique, économique et sociale, ou ressentie comme telle, en particulier dans les régions
frontières épuisées par les campagnes de guerre (Clayer, Les miracles 2000).
29
Clayer, Münîrî Belgrâdî 2002.
30
Cf. Müniri Belgradi, Silsilat, f. 103b-104b.
31
Müniri Belgradi, Silsilat, f. 82a et suivants.
32
Elle peut aussi être simplement contingente de la vie de soufi. Ainsi, au sujet de Memi
Shah Dernevî, Münirî écrit : « Ce derviche était unique à son époque, et, dans l'ardeur et le désir
spirituels, il était sans égal. Il allait par l'Arabie, le pays de Roum et la Hongrie, et, dans les
endroits qu'il visitait, il attirait les cœurs, enlevait les fautes des esprits. Il avait des disciples à
Damas, dans [les provinces] d'Anatolie et de Karaman, ainsi que de Roumélie » (Müniri
Belgradi, Silsilat, f. 139b).
33
Belgrade était un lieu d’hivernage important pour les troupes ottomanes. Elle était
appelée la Porte du djihad.
34
Müniri Belgradi, Silsilat, f. 96a.
35
Voir en particulier le cas du cheikh Muslihuddin (Müniri Belgradi, Silsilat, f. 82a et
suivants).
36
Müniri Belgradi, Silsilat, f. 94a-95b, 97b-98a, 104b-105a, 114a-114b, 125b-127a.
37
Müniri Belgradi, Silsilat, f. 80a, 82a, 111b et 114b-115a, 125b-132a (sur les cheikhs
Abdülkerim, Mahmud, Davud et Shemseddin de la Uveysiyye damascène).
38
Il s’agit d’un traité de droit hanéfite rédigé par Ibrahim al-Halabi (m. à Istanbul en 1549).
39
Müniri Belgradi, Silsilat, f. 97a.
40
Il existe une lettre de Mahmud Üsküdarî (m. en 1628) adressée à Müniri, ainsi qu'une
lettre de Hüseyin Lamekânî (m. env. 1624) accompagnée de la réponse de Müniri (Šabanovi ,
Književnost 1973, pp. 193–201).
41
Müniri Belgradi, Silsilat, f. 87b, 90b, 103a.
42
Yola, Schejch Nureddin Mehmed Cerrahî 1982.
43
On trouvera les détails et les références dans Clayer, Mystiques 1994, pp. 192, 202–205,
220–223, 256–259.
44
Ses descendants lui succèderont jusqu’en 1925, date de la fermeture des tekke par
Mustafa Kemal (1881–1938).
45
Clayer, Life in an Istanbul tekke 2003.
46
Zarcone, Mystiques 1993.
47
Silverstein, Sufism 2009. Une entreprise similaire de structurer les confréries soufies a été
faite en Egypte aux XIXe–XXe siècles (voir De Jong, Turuq 1978, et Luizard, Le Moyen-Orient
1996).
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Cependant, ces organisations n’ont pas structuré tous les réseaux soufis et leurs relations
avec les institutions islamiques officielles ont été fluctuantes (voir Popovic, Les ordres mystiques
1986, et Duijzings, Religion 2000, pp. 112–120).
49
Elle sera reconnue communauté indépendante par le nouveau régime communiste en
50
Clayer, L’Albanie 1990, pp. 190–212. En 1929–1930, un grand débat débute au sujet du
1945.
statut de la confrérie des Bektashis, qui n’acquiert qu’une autonomie vis-à-vis des institutions
islamiques officielles. En 1945, elle est reconnue comme une communauté religieuse
indépendante, notamment parce que certains leaders communistes y voient une version nationale
et progressiste de l’islam, voire même une version non-religieuse de l’islam.
51
Clayer, Autorité locale [à paraître].
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