Revue EP.S

Transcription

Revue EP.S
Les auteurs
proposent, en
les discutant,
des éléments de
compréhension
de l'expérience
sportive des
collégiens et
lycéens.
Les élèves et les sports
PAR M. TRAVERT, O. L'AOUSTET, J. GRIFFET
Depuis quelques années, au sein
de la faculté des sciences du sport
de Marseille, nous tentons de
décrire et de comprendre l'expérience sportive des jeunes (1).
Riches de données touchant en
particulier aux formes actuelles
de la pratique sportive des
jeunes ( 2 ) , il nous a semblé
important de faire passer ces
connaissances du domaine scientifique à l'espace pédagogique.
Ce transfert doit s'accompagner
d'un certain nombre de réserves.
Nos travaux concernent un
échantillon représentatif des
élèves de l'académie d'Aix-Marseille. En aucun cas, nous prétendons étendre nos réflexions à
l'ensemble des élèves du territoire national. Seul le lecteur
pourra confronter ces constats à
la perception de ses propres
élèves.
Nos interprétations sont des infe-
rences. Elles sont à la fois fidèles
à la précision des résultats obtenus et marquées par la familiarité
qui nous lie au système scolaire.
Schéma 1. Des profils d'élèves
PROFILS D'ÉLÈVES
Nos adolescents sont des sportifs !
En effet, 79,5 % de ceux qui ont
été interrogés déclarent pratiquer
au moins une fois par semaine du
sport (schéma 1).
On relève que 14,9 % d'entre eux
s'adonnent uniquement à la pratique instituée (PI), 29 % se
fixent exclusivement sur une pratique non instituée (PNI) et
35,6 % combinent ces deux
manières de vivre la pratique du
sport (PI/PNI).
Si le pourcentage total de jeunes
concernés par la PI (PI + PI/PNI)
rassemble 50,5 % d'entre eux,
celui de la PNI (PNI + PI/PNI) en
29
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fédère 64,6 %. De ces trois
formes de pratiques se dégagent
trois profils d'élèves.
Le collège : lieu de la mixité
culturelle par excellence
Si 83,3 % des élèves déclarent
pratiquer du sport, la forme dominante est mixte (PI/PNI). Elle
fixe presque la moitié de cette
population collégienne (41,5 % ) ,
alors que les deux autres restent
loin derrière, avec 14,8 % de PI et
27 % de PNI (schéma 2).
On remarque, pour les élèves des
classes de 3 d'insertion (31) et 3
technologique (3T), une prise de
distance avec « l'institué » :
- la combinaison (PI/PNI) n'est
plus dominante : 34,2 % (31) et
34.9 % (3T) ;
- l'abandon de la PI est marqué :
2,3 % (31) et 14,8 % (3T) ;
- c'est la PNI qui rassemble le
plus de suffrages : 42,1 % (31) et
44,2 % (3T).
e
Profil PI : « le spécialiste »
Le groupe d'élèves reste majoritairement centré sur un seul sport.
Ainsi, 78,1 % des collégiens et
72,8 % des lycéens disent privilégier une pratique monovalente.
Le football arrive en premier
( 1 3 , 2 % ) suivi par la danse
(12 % ) , le tennis (7,9 % ) , le
basket-ball (5,6 % ) , les sports
hippiques (5,1 % ) , le handball
(4,9 % ) la natation (4,4 % ) ,
le volley-ball (4,4 % ) , la gymnastique (3,5 % ) , l'athlétisme
(3,4 % ) le judo (3,2 % ) et le
karaté (2,9 % ) .
Dans ce cas, on a affaire à des
« exclusifs conventionnels » que
l'on peut assimiler aux « spécialistes ».
Profil PNI : « l'original »
Si 44,5 % ne pratiquent qu'un
seul sport on relève que 32,3 %
en font deux et 23,2 % trois. Le
football arrive aussi au premier
rang (20,3 % ) . On trouve ensuite
le vélo (16,6 % ) , le jogging
(10,4 % ) , la natation (7,2 % ) le
tennis (6,8 % ) le basket-ball
(5,3 % ) , le roller (3,4 % ) , le ski
(3,1 % ) , la musculation (3 % ) , le
skate (2,2 % ) , la danse (2,1 %) et
la marche (2,1 % ) .
Si pratiquer en dehors de tout
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cadre institué peut se faire en
reproduisant, à l'identique, les
formes de pratique qui ont cours
dans un cadre conventionnel, il
est également possible de voir
émerger dans ce contexte, des
formes de pratique plus singulières.
Deux exemples : le football et les
« sports de roule »
Ces deux activités (respectivement
en l et 4 position) qui ont fait
l'objet d'études plus qualitatives,
témoignent d'autres manières de
pratiquer un sport.
• Dans un cas, le football, pratiqué au pied des immeubles (3)
peut être considéré comme un
« sous-monde » , c'est-à-dire
comme un monde social où les
personnes sont liées par des perspectives partagées, un langage et
des activités qui leurs sont propres
et des réseaux de communication
communs.
• Dans l'autre, les sports de roule
(roller + skate réunis) (4, 5) apparaissent comme des « sous-cultures » , à savoir un ensemble de
normes, de valeurs et de pratiques
qui se forgent dans l'opposition,
plus ou moins virulente, à la culture dominante.
Si les seconds trouvent leur sens,
dans plusieurs études de cas, dans
l'opposition au sport traditionnel,
le premier se caractérise par
la singularité et la diversité de
l'objet social qu'il crée.
Pour les uns on se situe dans le
domaine de la résistance, du défi.
Pour les autres, dans celui de
l'équilibre communautaire, du
relief donné à une existence ordinaire. On pourrait, schématiquement, dire que les sports de roule,
à front renversé des sports traditionnels, s'affichent comme une
re
e
contestation en actes alors que le
« football de pied d'immeuble »
se présente, à côté du « football
des stades » , comme une sorte
d'escapade ludique.
Bref, jouer en dehors d'un
contexte conventionnel peut revêtir des aspects multiples. Dans ce
cas, on peut avoir à faire à des
« polyvalents créatifs » que l'on
peut assimiler à des « originaux ».
Profil PI/PNI : « le curieux »
Ils peuvent s'identifier à des
« pluralistes ». Ils vont d'une pratique conventionnelle à d'autres
plus originales et on peut les assimiler à des « curieux ».
Le « spécialiste » , « l'original »
et le « curieux » précisent la
palette des élèves auxquels les
enseignants d'EPS s'adressent.
COLLÈGE ET LYCÉE :
DYNAMIQUES
CULTURELLES
CONTRASTÉES
En comparant le collège et le
lycée, on nuance les résultats présentés. Deux dynamiques culturelles émergent.
e
Le lycée : vers une émancipation culturelle
S'il n'y a pas de relation significative entre l'appartenance à une
filière et le cadre de la pratique,
par contre, on remarque un appétit plus marqué des lycéens pour
une pratique libérée des déterminismes culturels. Notons par
exemple, que pour le football,
considéré comme un sport populaire, on repère chez les collégiens
une sous-représentation des
élèves issus des classes sociales
culturellement favorisées, alors
qu'en lycée l'équilibre entre pratiquants d'univers culturels différents se rétablit.
La PNI rassemble 31,8 % d'entre
eux. Ce processus ne s'associe
pas à un rejet de la PI puisque
celle-ci, dans un pourcentage
proche de celui du collège, attire
encore 15 % des adolescents.
La combinaison des pratiques
possibles PI/PNI perd de son
influence puisqu'elle ne concerne
plus que 27,1 % des jeunes
(schéma 3).
Filles et garçons : des contrastes
prononcés
Les filles (F) sont moins sportives
que les garçons (G). Elles sont
globalement 27,9 % à ne pas faire
de sport contre 12,5 % pour les
garçons. Cette différence est
moins affirmée au lycée puisque
l'on passe : de 26,6 % (F) et
6,6 % (G) à 29,7 % (F) et 21,7 %
(G) (schémas 2 et 3).
Remarquons que, du collège au
lycée, le nombre de garçons ne
pratiquant plus de sport diminue
de 15,1 %. Les différences entre
celles et ceux qui ne pratiquent
pas s'estompent progressivement.
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Schéma 2. Les collégiens
tance à l'égard de la PI/PNI persiste du collège jusqu'au lycée :
la différence est de 30,4 % (F) et
52,8 % (G) dans le premier cycle
est de 21,4 % (F) et 33,8 % dans
le second cycle.
Si la mixité culturelle au collège
est marquée chez les garçons, elle
l'est moins pour les filles.
DISCUSSION
La PI rassemble plus de filles
que de garçons : 18,6 % contre
10,9 % en collège. Cette tendance
se retrouve en lycée puisque l'on
trouve : 17 % contre 12,7 %.
Dans ce cadre, le football et le
vélo/VTT/BMX sont des pratiques avant tout « masculines » .
A l'opposé, la danse et les sports
hippiques sont des activités
« féminines » .
La PNI ne se différencie pas suivant le sexe. Seule, dans ce
contexte, se distingue, la nature
des activités pratiquées. Les filles
affectionnent plus particulièrement la danse, les sports d'entretien et d'endurance comme le
jogging, la natation, la marche, la
musculation. Les garçons restent
attirés par les sports collectifs
(football et basket-ball) et les
sports de raquette (tennis et tennis de table).
Schéma 3. Les lycéens
La PI/PNI n'attire pas, contrairement aux adolescents, les adolescentes. Globalement (collège et
lycée) elle touche 26,5 % des
filles alors qu'elle mobilise
45,3 % des garçons. Cette dis-
On peut imaginer que durant un
cycle d'apprentissage la relation
culturelle qui va lier l'enseignant
d'éducation physique et sportive
aux élèves soit marquée par le ou
leurs profils.
Le (ou la) « spécialiste » , attaché(e) à la conformité au modèle
institué, peut être troublé(e) et
parfois se retrouver en rupture
avec les propositions didactiques
d'un enseignant dont l'ambition
est, bien que s'appuyant sur la
culture sportive conventionnelle,
de se mettre au service des objectifs de la discipline. La tension se
joue alors entre orthodoxie sportive et orthodoxie scolaire.
« L'original(e) » , qui conteste ou
fuit l'univers des stades, peut
faire front ou se dérober face à
l'univers scolaire dans lequel
l'enseignant lui demande d'évoluer. La tension se joue ici entre le
singulier et l'universel.
Le (ou la) « curieux (se) » , qui
papillonne, d'univers culturel en
univers culturel, peut se trouver
enfermé(e) par la stabilité du
cadre culturel dans lequel l'enseignant lui propose d'évoluer. La
tension se joue ici entre l'exubérance et l'enracinement.
Mixité culturelle, prise de distance avec « l'institué », émancipation culturelle (6) caractérisent nos jeunes sportifs au
collège et au lycée. Ces mouvements doivent être pris en charge
par l'EPS et ses enseignants au
risque de voir s'installer un malentendu interculturel ou/et un
repli communautaire.
En effet, laisser libre cours, en
amont à la mixité culturelle et à
la prise de distance avec « l'institué » et, en aval, à l'émancipation
culturelle, c'est abandonner les
élèves à leur propre destin sans
tenter de les relier avec celui de la
communauté nationale à laquelle
ils appartiennent. C'est donc, en
germe, instiller les conditions
d'une rencontre, d'un détachement et d'une libération culturelle qui n'auraient pour seule
référence que le poids de l'expérience vécue. Il nous semble
important de suivre, avec eux, le
chemin d'une culture commune.
Le pensé et le ressenti de ses
propres expériences sportives, si
riches et si particuliers, ne peuvent échapper à la sensibilisation
aux pratiques et aux représentations du sport les plus partagées
et élaborées. C'est alors, et seulement à cette condition, que le
risque d'un malentendu devient,
l'opportunité d'un enrichissement et celui d'un repli communautaire, l'occasion d'une émancipation culturelle critique. La
nature de la culture commune
nous semble pour l'instant incontestable.
C'est bien « la culture sportive
traditionnelle » (7) qui donne
encore aujourd'hui sens et cohérence à l'ensemble du fait culturel que constitue le sport.
31
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Pour les filles, si leurs pratiques
s'homogénéisent avec celles des
garçons au lycée, elles diffèrent
au collège par une moindre adhésion à la pratique sportive et un
détachement envers certaines pratiques. L'intérêt de les confronter à
cette pratique, grâce à une EPS
considérée comme discipline
obligatoire, permet d'éviter la
conservation d'un état d'ignorance. L'association sportive peut
être pour elles, grâce à la diversité
des rencontres qu'elle provoque,
le moyen de mesurer la dimension sociale des connaissances
acquises.
***
Si l'on envisage que la prise en
compte des cultures sportives
juvéniles est un des facteurs qui
conditionne l'action de l'enseignant, retenons deux idées.
Son intervention ne peut faire
l'économie des profils culturels
des élèves auxquels il s'adresse.
Il est condamné, lors de ses cours,
à composer avec la diversité des
relations qui vont lier l'univers
culturel auquel il fait référence et
ceux que les élèves partagent, au
quotidien, hors de la classe.
L'obligation qui accompagne
l'enseignement de sa discipline
lui permet d'éviter de maintenir
l'élève dans l'ignorance et de
laisser se développer le singulier.
L'ignorance ignore la culture et le
singulier singularise le commun.
L'antidote à l'inculture et à la
banalisation du commun demeure
la défense d'une culture commune. Elle constitue le seul moyen
de façonner, avec ses élèves, les
contours d'une « commune culture » garante d'une sociabilité
qui permet à la fois de s'agréger
au plus grand nombre et d'apprécier en conscience les différences.
Maxime Travert
MCF, IUFM Aix-Marseille.
Olivier L'Aoustet
Docteur en STAPS,
Faculté des Sciences du Sport,
Marseille.
Jean Griffet
PU, FFS, Marseille.
(1) Ces travaux sont menés au sein du laboratoire « Sport, loisirs, santé » , E A 3 2 9 4 de
la FSS de Marseille.
(2) Les données ici exploitées, proviennent
principalement de l'article : L'aoustet O . ,
Niel A . & Griffet J., « Formes actuelles de
la pratique sportive des jeunes : description
des tendances et méthodes d'investigation » , Loisir et société. 2 5 , 2002, 119-138.
(3) Travert M . . L'envers du stade. Le football, la cité et l'école, Collection « Débats
jeunesse » , L'Harmattan / INJEP, 2 0 0 3 .
( 4 ) Pegard O . , « U n e pratique ludique
urbaine : le skateboard sur la place Vauquelin à Montréal » , Cahiers
internationaux de Sociologie, CIV, 185-202, 1998.
(5) Calogirou C , Touché M . , « Sport-passion dans la ville : le skateboard » , Terrain,
25, 1995, 37-48.
(6) Pasquier D., dans Cultures lycéennes, la
tyrannie de la majorité, Autrement, 2 0 0 4 ,
reprend cette idée d'émancipation mais à
l'opposé, l'envisage c o m m e le passage
d'une tyrannie à une autre : celle des déterminismes socioculturels à celle des pairs.
(7) Augustin J.-P, « Assiste-t-on vraiment
à un rejet de la culture sportive traditionnelle ? » , Agora. 16, 1999, 11-20.
Athlétisme
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32
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