La Lettre sous le Bruit

Transcription

La Lettre sous le Bruit
La Lettre sous le Bruit
Littérature Arts Idées
Nouvelle série
janvier 2014
Gilbert
Renouf,
Fond
de
cul otte et fonds de comme rce
Véronique
citation
Adam ,
Chat
et
Rémy Durand, Une rencontre
Michel Costagutto ,
Mol otov
© PQMAN
Cocktail
Gilbert Renouf
Fond de culotte et fonds de commerce
Notre époque essaie désespérément de prendre de la hauteur. Il n’est plus
question de se rendre à Paris, à Toulon, { Marseille… mais sur Paris, sur Toulon,
sur Marseille… A moins qu’il ne s’agisse d’un effet pervers des « nouvelles
pratiques culturelles » dans lesquelles le survol de tout est la règle ? Ce qui
est certain, c’est que se rendre sur Marseille me tape à les nerfs, et que je
prends vraiment à moi pour ne pas m’en fâcher sur chaque fois que je l’entends.
***
« On va s’interroger sur pourquoi il a fait ça. »
***
ème
France Musique : « Schubert, sa 8
symphonie, la dernière qu’il ait achevée de
son vivant. » Ayant, dans mon adolescence, découvert la majeure partie de ce que
je connais en musique classique grâce { cette radio, je demeure { l’affût d’une
nouveauté, une partition révélée, qu’un producteur pourrait porter { notre
connaissance. Et bien sûr, pourquoi pas, la partie d’une symphonie que Schubert
aurait achevée après sa mort ?
Heureusement, et { l’inverse, Bach, et aussi Mozart, Vivaldi, Pergolesi,
Monteverdi ont écrit de leur vivant les partitions de leur éternité, ce qui
constitue, mine de rien, la preuve de l’existence de Dieu. Prenez du matériel
dernier cri, c’est-à-dire un vrai ampli, de vraies enceintes, une vraie platine et
un disque 33T vinyle, faites taire tout le monde (n’hésitez pas { utiliser la
force s’il le faut), branchez-vous sur l’aria des Variations Goldberg. Si vous ne
vous convertissez pas sur-le-champ, allez au diable.
***
Journal d’informations sur RCF (ben oui, sur RCF) : « La manifestation
organisée par le gouvernement ukrainien n’était pas vraiment spontanée ». Quoique
je ne déteste point l’éclair lumineux qu’un oxymore peut parfois porter sur une
situation complexe, je peine toutefois à imaginer ce en quoi pourrait consister
l’organisation d’un mouvement spontané. Ou bien, pour appeler un chat un chat, ne
s’agirait-il pas de ce que l’on appelle une manipulation ?
Aimer les chats, c’est être du bon côté une fois pour toutes. C’est abolir les vieilles superstitions. C’est
réhabiliter les hérétiques.
Louis Nucéra
***
Le vendeur de vélos (en France) : « Le Street est fun comme look. » Sorry, do you
speak french ?
***
Pacte, définition du Petit robert : « Convention de caractère solennel entre
deux ou plusieurs parties. Conclure, sceller, signer un pacte. »
Pacte de responsabilité du gouvernement de la France: Je travaille dans une
entreprise, je vais donc être obligé (personne ne m’a demandé si j’étais d’accord
pour signer ce pacte, ça n’en est donc pas un…)de prendre la responsabilité de
consacrer une partie de mes impôts { l’allègement des cotisations sociales (et non
des charges) dues par mon patron, en échange de quoi celui-ci (auquel on aura
demandé son avis) sera obligé de prendre la responsabilité de… rien, en fait.
***
Commissariat de Police. L’agent, derrière son ordinateur, tente de remplir un
formulaire. Elle me demande mon lieu de naissance.
- Cherbourg.
- Comment ça s’écrit ?
J’épelle. Elle frappe laborieusement.
- Quel département ?
- 50, la Manche.
- Ça n’existe pas.
- Quoi donc ?!
- Cherbourg.
- Ah pourtant, je vous assure que l’on a toujours prétendu devant moi que j’y
étais né !
- L’ordinateur n’en veut pas, y connaît pas.
- Essayez Cherbourg-Octeville.
- Epelez.
J’épelle. Elle frappe laborieusement.
- Ah voilà ! dit-elle. Vous êtes né à Cherbourg-Octeville.
- Non, mais enfin… si ça peut vous rendre service…
Il y a quelques années, les deux communes Cherbourg et Octeville ont fusionné
en Cherbourg-Octeville. Cherbourg donc n’existe plus, Octeville non plus. Ainsi,
je suis né dans une ville qui n’existe pas, ou plutôt je suis enregistré comme
étant né dans une ville qui n’existait pas quand je suis né… { moins finalement
que je ne sois pas né, peut-être une chose qui pourrait être moi est en train de
rêver à sa matérialité. En informatique, seul existe ce qui n’existe pas.
***
Sur la chaîne Public Sénat, M. Larrouturou, journaliste chez Le Lab-Europe1, se
désole que F. Hollande n’utilise plus Tweeter (oui, c’est bien triste ma
pauv’dame) : « Il n’a pas compris que c’est un outil. » Oui, et alors ? Un outil
pour quoi faire ? Personnellement, si je n’ai pas besoin, par exemple, d’une
tronçonneuse, je ne vais pas me balader avec une tronçonneuse en bandoulière que
j’allumerais de temps en temps, sous prétexte que c’est un outil. Encore faudraitil que j’en aie besoin. Mais le Président de la République a-t-il besoin de
Twitter, ou Twitter aurait-il besoin du Président de la République ?...
***
On « peopolise » la vie privée du Président de la République dans des torchesculs, comme chacun « peopolise » la sienne sur les réseaux sociaux. Se répandre,
pour ne pas dire s’écouler, se montrer dégoulinant, est devenu la norme. Venez
visiter ma petite culotte, le trou du cul de mon chien, l’amant de ma belle-mère,
tout ça avec de superbes photos, des vidéos et des commentaires instructifs. Les
inconnus ne pouvant jouir d’être poursuivis et dénoncés par les furets de la
presse de chiottes, ils se dénoncent eux-mêmes sur leurs blogs, si au moins on
pouvait parler de moi, { n’importe quel prix, mais qu’on parle de moi, de moi, de
moi moi moi.
Il semble que monsieur Mélenchon subisse une existence assez frustrante. Se
désolant de l’effet que cette histoire de maîtresse du Président peut avoir sur
l’image de la fonction, et conscient d’être lui-même potentiellement destiné à
occuper de hautes responsabilités, il déclare, concernant sa vie de tous les
jours : « Je m’astreins { une discipline de fer ! ». Monsieur Mélenchon, et c’est
là son principal défaut, parle trop. On reste pour le moins songeur devant cette
phrase qui montre si bien ce qu’elle cache, ce désir sans cesse réfréné de fouler
au pied (si je puis dire) ce qu’on érige en vertu pour la galerie. On comprend
pourquoi le pouvoir les attire tant. Le pouvoir fait bander, c’est pour cela que
plus on vieillit plus on y tient. Il vous amène aussi tout à coup un cheptel
considérable de fans déj{ humides qui ne demandent qu’{ passer sous le vénérable
bureau afin de connaître le goût du pouvoir (coucou Monica), la soumission on le
sait étant un des ressorts, fantasmé ou pas, de l’excitation féminine (Mon Dieu,
comme j’ai hésité { écrire ces dernières phrases… Les féministes vont encore
vouloir m’émasculer, les frigides vont faire une crise d’hystérie, les ligues de
vertu vont lancer une fatwa, les vierges effarouchées vont s’émoustiller, les
cerbères de l’ordre bourgeois vont m’accuser de vulgarité confondant comme
toujours leur image dans le miroir avec celui qui le leur tend, les amatrices de
SM vont me harceler… heureusement quelques exquises vont comprendre que je les ai
reconnues…). Comme écrivait Aragon, « Félix Faure est un kanguroo un vrai kanguroo
Mesdames »… mais je m’égare…
Bref, l’hypocrisie est toujours au pouvoir, ou dans ses anti-chambres. Qui
veut paraître trop vertueux endosse des habits trop grands qui finissent par
tomber en un disharmonieux accordéon sur les chevilles du fornicateur invétéré.
Cependant, cette hypocrisie est amplement partagée par les opposants politiques et
la partie de la population qui fait semblant d’estimer que c’est l{ un bien
mauvais exemple. En effet, étant donné que la relation extraconjugale constitue la
première fédération sportive par le nombre de ses adhérents (vous n’allez tout de
même pas me dire que vous n’étiez pas au courant), il faut bien admettre, au
contraire, que le comportement du Président est tout à fait conforme, et donc
parfaitement exemplaire. Le Président, il nous avait pourtant prévenus, est comme
tout le monde. Un Président normal, quoi.
Enfin… et décidément, face { toute cette ringardise pour ploucs (réseaux
sociaux, magazines « people »), la seule attitude révolutionnaire, très en avance,
puisqu’elle relève de la liberté, est, comme de tous temps (notamment les temps
d’avant la régression de la pensée, du repliement sur soi et du rétrécissement de
l’horizon par les diktats médiatiques d’internet) et encore davantage en ces
temps-ci, la préservation du secret et le brouillage des pistes. Ainsi, vous ne
saurez rien de ma maîtresse roumaine (leurs services secrets demeurent les plus
efficaces), rien du marocain avec lequel je me suis marié clandestinement en
Belgique sous un faux nom, rien du club libertin zoophile que je pratique
occasionnellement en compagnie d’éminents et célèbres défenseurs de la condition
animale, rien des rapports en forme d’aller-retour que j’entretiens pour des
raisons politiques entre une parlementaire française de droite au passé gauchiste
et l’épouse d’un prince saoudien qui s’empresse dans l’avion de troquer son
linceul noir contre un jean taille très basse, un chemisier généreusement
déboutonné et un maquillage un peu trop voyant malgré mes recommandations
réitérées à davantage de retenue – mais que voulez-vous, cela l’amuse avec une
certaine puérilité de croiser en occident, parée de la sorte, des femmes voilées , las, vous ne saurez rien de tout ce qui n’a aucune importance. Le reste me
regarde.
Quant au Président, si je peux me permettre de lui donner un conseil pour
régler la question protocolaire de la Première Dame : il lui suffit d’utiliser la
nouvelle loi du mariage pour tous, il épouse un collaborateur, et le tour est
joué. Je me propose humblement comme émissaire pour régler les questions
concernant les relations diplomatiques avec le Saint-Siège.
Pour l’heure, je laisse les esclaves du regard social à leur esclavage
mortifère et masochiste. Je les contemple. Ils peuvent parfois être distrayants.
***
Emission sur RCF : « Quand on parle des crèches, on pense souvent au manque de
places, mais c’est intéressant de regarder la crèche sous l’angle qu’est-ce qu’on
fait à la crèche. » Et quand on cause dans le poste, ça peut être intéressant de
regarder la langue sous l’angle comment qu’on la parle, non ?
Arrivé là, le correcteur de ma machine souligne en vert « comment qu’on » ; je
t’épargne, cher lecteur, les propositions savoureuses de ce « correcteur »
cocasse. Nonobstant cette abstention qui ne vise qu’{ ménager ta patience afin de
ne point te détourner irrémédiablement de la lecture des prochains numéros, nous
remarquerons toi et moi sans étonnement l’état d’emploi de la langue française
quand la seule référence utilisée désormais par les gamins tend à être ce fameux
correcteur. Encore une fois, force est de constater que l’acharnement déployé par
les pouvoirs politiques pour faire entrer le plus massivement possible cet
« outil » dans les écoles démontre bien la volonté de poursuivre et d’accélérer la
perte de l’orthographe et de la syntaxe, c’est-à-dire de la pensée.
***
Vladimir Poutine, actif soutien au régime syrien qui déverse des tonnes de
bombes sur la population de son pays, Vladimir Poutine connu pour placer en sûreté
dans des prisons la liberté des opposants, est aussi le gentil organisateur
omniprésent des jeux olympiques en Russie. Quelqu’un semble-t-il s’en émouvoir,
s’en émouvoir vraiment ? Un président français, états-uniens, anglais, allemand
aurait-il quelque chose à faire remarquer, quelques mesures à prendre ? Comment ?
Non ? Rien ? Personne ? Une fédération sportive internationale, un comité
auraient-ils quelque règle éthique à faire valoir, une vague idée des « valeurs »
du sport à opposer ? Pardon ? Parlez plus fort, je ne vous entends pas.
Ah oui, d’accord, c’est cela, je ne comprends pas, je ne saisis pas les tenants
et les aboutissants, tout cela est compliqué vous comprenez, oui oui oui, bien
sûr… c’est en y allant qu’on peut faire savoir mieux ce qui s’y passe, il faut y
aller pour cela, hein, vous voyez, il faut être raisonnable n’est-ce pas…
Bien évidemment il n’est pas question de boycott.
Petit rappel historique : 2008,Jeux olympiques de Pékin, il est beaucoup
question d’un éventuel boycott, on cherche tous les moyens d’y échapper, même
refrain, il faut y aller au contraire pour faire bouger les choses, les athlètes
se voient interdire par le Comité Olympique le port d’un badge sur lequel figurait
cette sibylline et très engagée maxime : « Pour un monde meilleur ». Il était
pourtant difficile de trouver plus lénifiant pour se donner bonne conscience
d’aller l{-bas faire mumuse tandis qu’{ côté sont enfermés et torturés les
opposants politiques. Ils comptaient s’en tirer avec une petite phrase cucul ? Eh
bien non.
S’ils voulaient faire montre de courage, le vrai, pas celui qui
consiste { dire qu’ « il faut des couilles » pour battre tel ou tel adversaire ou
faire tomber tel ou tel record, il allait s’agir d’exprimer du courage
intellectuel et moral, bien plus exigeant et qui dure et continue à interroger en
soi bien au-delà de quelques secondes, ce courage-là qui leur avait fait défaut
jusque-là. Mesdames et messieurs les sportifs, nous allions voir si « les idées
nobles » que vous êtes censés promouvoir allaient résister au principal défi qui
se présentait à vous : la pression financière. Celle des entreprises qui
comptaient bien { l’occasion décrocher tranquillement des marchés en Chine, et
celle de vos sponsors qui vous ont achetés comme de simples bols de riz.
Eh bien, on a vu.
Restant très attentif au goût fortement affirmé des instances sportives
internationales pour les régimes politiques à haute valeur démocratique ajoutée,
et considérant que l’on peut encore, sans abandonner ce cap, en affermir la
rigueur, je suggère pour les prochaines années : la Corée du Nord, la Syrie, la
Biélorussie, l’Iran, la République centrafricaine, la Libye, le Mexique, le
Soudan, la Birmanie, l’Arabie saoudite, l’Ouzbékistan, Madagascar, l’Afghanistan,
le Cambodge, le Rwanda… Bref, on le voit, l’avenir sportif est radieux et
inépuisable, comme les affaires à faire.
Bons jeux à tous !
***
Catastrophes naturelles, guerres, famines, accidents, séparations, pauvreté,
maladies, morts. Le pire est toujours sûr. Donnons-nous au meilleur.
Ou bien, comme répondit un jour ma sœur Antigone { son oncle Créon : « Je suis
de ceux qui aiment, non de ceux qui haïssent. »
Gilbert Renouf
Derniers livres parus de Gilbert Renouf :
Aux éditions Villa-Cisneros, 2013.
Dans l’absence des tribus, (lire un extrait : http://remydurand.com/pdf/extrgilb.pdf)
14 € l’exemplaire courant,
25 € l’exemplaire numéroté et signé
rehaussé d’une page manuscrite,
(+ 2€ de frais d’envoi).
Brûlure intérieure, (lire un extrait : http://remydurand.com/pdf/extrbrul.pdf )
avec Gilbert Conan (textes et encres),
8 € (+2 € de frais d’envoi).
Commandes à l’ordre de :
Gilbert Renouf,
226 chemin de La Beaucaire
rés. La Beaucaire G
83200 Toulon
Rémy Durand
UNE RENCONTRE
La gare de N*** regarde la Place de l’Europe d’un œil morne. Sa construction date du XIXème siècle
et n’a rien de remarquable. Dans le prolongement, au-del{ d’un monument élevé { la mémoire des
marins et soldats tués { l’ennemi depuis 1870, l’avenue J***, bordée de platanes.
Gravé dans la pierre du mémorial on peut lire Dulce et decorum est pro patria mori. Sont-ils heureux,
ces marin et soldat, que la pierre a figés dans le mouvement triomphant et viril du sacrifice ? Triste
monument, tristes héros épinglés sur un rond-point planté de palmiers et de romarins que des
centaines de voitures contournent, chaque jour, depuis tant d’années, indifférentes, et où aucun
piéton ne s’arrête. Quoique personne ne les regardât, il pensait qu’{ tout le moins ces deux statufiés,
oubliés des hommes, avaient la chance de tourner le dos { la gare, flanquée { présent d’un bâtiment
moderne au squelette d’aluminium douteux, qui jurait avec la vieille pierre de l’ancien édifice.
Régis avait rendez-vous.
Il était très en avance. Pour tromper sa nervosité, il faisait les cent pas, puis traversait la rue pour
mettre fin à ce va et vient inutile et, pour la première fois, observer le monument. Il se rendit
compte, alors, après avoir regardé la hache que tenait { la main droite l’un des soldats, que le temps
se jouait de son attente. Comme si l’éternité des gestes des soldats coïncidait non plus avec son
temps { lui, mais { celui d’un pressentiment inéluctable.
Ce premier rendez-vous était inattendu, elle lui avait proposé au téléphone de prendre un téméraire
café { la gare. Chloé avait dû être troublée, cela faisait plusieurs jours qu’ils ne s’étaient pas revus. Au
téléphone, elle lui avait dit Vous savez je parle anglais et ce Vous savez je parle anglais n’avait
strictement rien à voir avec leur rendez-vous et ressemblait fort à un Vous m’avez plu et j’ai envie de
vous revoir
Régis était donc dans l’attente de Chloé devant la gare de N***, et devant le monument, le temps
marquait une pause. Alors que la nuit commençait à tomber, un nuage curieusement très blanc et
plein flottait au-dessus de la tête des héros Morts pour la patrie, comme pour les couronner d’ouate,
nuage intemporel et gai, étrange aussi dans un ciel ce soir-là sans nuage. Arrêt du temps. Ralenti de
sa perception. Recouvrer le calme.
Il y avait beaucoup de monde sur le parvis de la gare, c’était une heure de pointe, et quoiqu’il sut que
Chloé était grande, il eut peur de ne pas la voir arriver, de la perdre dans la foule. Il craignait aussi
qu’elle pensât qu’il aurait pu ne pas venir au rendez-vous, c’était une des raisons pour lesquelles il
était arrivé si en avance Vous voyez je suis déjà là et je vous attends, pourquoi tant d’impatience ?
Des hommes et des femmes ne cessaient d’entrer et de sortir, dans la coulée anonyme et las des fins
de journées laborieuses. Son chapeau de feutre noir sur la tête (C’est un signe de reconnaissance,
avait-il pensé, de loin elle me verra), il regardait les gens sans les voir, car il ne cherchait à distinguer,
dans cette foule ignorée, que le visage et la silhouette de celle qu’il avait rencontrée quelques
semaines auparavant et qui aujourd’hui lui donnait ce premier rendez-vous.
Pour tromper le temps il eut envie de retrouver le nuage et son intemporalité. Sa présence dans le
ciel, { l’extérieur de ce carrefour de gare sale et peu amène, le rassurait. Il regardait l’heure, puis
tentait de fixer ses yeux sur la foule, puis imaginait le nuage et souriait à cette complicité avec un
élément si léger, si lointain dans l’espace et si proche dans le temps. Cette certitude le rasséréna. À
l’extérieur de la gare, la noria des voyageurs et des voitures ne cessait, un train venait d’arriver et des
gens chargeaient leurs bagages dans des voitures.
Régis resta là, absent à ce qui pouvait bien arriver, aux cris, aux bonjours, aux retrouvailles. A
l’intérieur, il se contraignit { lire les enseignes, présent aux mots mais absent { leur signification,
s’approcha du débit de sandwiches Pains à la ligne, n’apprécia pas le jeu de mots et égrena les
différentes propositions, ânonnant des mots qui sonnaient creux mais calmaient son impatience, Le
parisien, le basque, l’atlantique, le jardinier, le francomtois, le boucher, l’européen, le gaulois, le
montagnard…
Puis il se rendit au Photomaton Choisissez votre pose sur écran vidéo, regarda la brunette qui souriait
benoîtement sur la devanture, consulta { nouveau sa montre, lut plusieurs fois l’annonce qui défilait
sur un écran Votre billet peut être contrôlé à tout moment, se rendit au panneau qui proposait les
fiches horaires, sortit à nouveau, se remit à faire les cent pas, salua le nuage protecteur, toujours là,
familier.
Elle arriva { grandes enjambées, s’approcha de lui, sourit. Il savait que c’était elle, il la reconnaissait
bien qu’il ne l’eût vue qu’une seule fois quelques semaines auparavant, avant ce rendez-vous, il
s’entendit pourtant lui dire Vous êtes Chloé ?, question qui lui avait certainement semblé ridicule, à
tout le moins incongrue, { moins qu’elle n’y eût pas prêté attention, ou qu’elle ne l’eût pas entendue.
Elle portait un béret noir et un imperméable kaki. Son marcher, un port bien droit et une nuance de
mystère sur le visage lui donnèrent { penser qu’elle avait l’allure d’une Résistante qui venait lui
remettre un document secret, le plan pour un futur sabotage, un message codé ou des lettres à faire
passer à Londres où il devait se rendre la semaine suivante. Ils allaient prendre le train pour une
destination que, par mesure de prudence, elle seule connaissait et, au cours du voyage, elle lui
donnerait des nouvelles des camarades et de la situation dans le maquis.
La gare était presque déserte.
La lumière tamisée des réverbères revêtait le parvis d’un éclat orange, ouaté. On pouvait entendre
des sifflements, le chuintement d’une locomotive qui évacuait sa vapeur. Une odeur très particulière
de brouillard et de charbon flottait dans l’air. Quelques personnes { bicyclette se hâtaient.
Deux hommes en longue gabardine noire se dirigèrent dans leur direction et s’approchèrent. Alors,
par un réflexe de prudence, il prit Chloé dans ses bras et l’embrassa sur les lèvres. Il la tint enlacée
jusqu’{ ce que les hommes passent leur chemin. Pardonnez-moi, vous comprenez, lui dit-il, dans une
feinte confusion mêlée de joyeuse surprise, car il n’avait perçu aucune indifférence de la part de
Chloé { ce chaste et délicieux baiser donné dans l’urgence et le danger.
Dépêchons-nous, nous allons manquer le train, dit-elle.
Rémy Durand
Contact: [email protected]
http://remydurand.com/
Michel Costagutto
Cocktail Molotov
POUR LA PARITE
article sur les femmes dans le figaro madame : viser l'imperfection ; elles doivent viser l'imperfection !
"les femmes parfaites sont des connasses" : haute littérature pondue par 2 journalistes (quel est le
féminin de journaliste ?) vient de se vendre à 350 000 exemplaires les belles narcissiques se sont
reconnues oui la perfection n'a pas de personnalité et c'est pour cela qu'elles nous tatillent les
ribouldingues comme il se disait au temps de Saint-Simon l'inachevé c'est la vie disait aussi
Picasso alors pourquoi passent-elles le plus clair de leur temps à nous achever pan ! feu sur les
oreilles ciblées du petit lapin vert fluo que je suis ! hé oui toutes les femmes sont des connasses et tous
les hommes aussi.
UN DESTIN DE PLAYBOY
on est jeune beau on ne le sait pas assez on a du succès le suffrage à vue comme dit Casanova cela
dure dure dure puis on grossit et on vieillit l'homme en vieillissant se rapproche du porc la peau le
cœur se tannent on devient bêtement sentimental ou cynique ce qui revient au même on se fait
draguer par des cagoles attirées par l'histrion la bête et on vit seul comme une souris dans un palais
délabré dont on ne connaît pas toutes les pièces et c'est trop tard puisque c'est nous même et c'est très
bien comme ça
ROMANCIER
pour être romancier il faut être un peu con puisque nous faisons revivre sur le papier les abrutis que
nous nous farcissons déjà dans la vie
UN GRAND LIVRE
un grand livre c'est une entreprise au bord de la faillite une catastrophe cruelle et alcoolisée
GRANTECRIVAIN
un grantécrivain c'est quelqu'un qui passe son temps à se contredire à se prouver qu'il a tort on l'a
abîmé il nous donne le faire-part de cet abîme
LES BAISERS
nous ne sommes ni heureux ni malheureux
parfois il y a les baisers
...
- que faites-vous là?
- je suis las c'est tout
L’ETERNITE
l'éternité est jeune
CALFEUTRAGE
certaines personnes brisent les êtres à jamais et s'en retournent comme si de rien
indestructible irresponsabilité joueuse/feutrée/calfeutrée
dans leur
BIO
dame nature est un serial killer
MODESTE
l'obsession de la modestie est le propre des gens dévorés de méchanceté
LA BONTE
l'exercice de la bonté déclenche la haine
MC DO
panneau doré au mur du mac do : DANS CE RESTAURANT VOUS POUVEZ PAYER EN EVITANT
TOUT CONTACT sublime, non ? il suffit de transposer ça à l'amour et nous y sommes
MANGEOIRE
pour ce que l'on appelait autrefois le peuple aller au restaurant signifie manger au mc do
Donald lui qui était si drôle ! ils auraient pu appeler cela un mc bouge
LE BONHEUR
cette certitude réjouissante : je n'assisterai pas à mon enterrement
pauvre
Michel Costagutto
Dernier livre paru de Michel Costagutto :
La délove
Amateurs Maladroits éditions
8 €
commandes à l’ordre de
association Amateurs Maladroits
14 rue Auguste Delaune
83500 La Seyne-sur-Mer
événements
La libraire Le Carré des Mots à Toulon
l’Association Gangotena,
et la revue La lettre sous le bruit
ont invité
pour
Les Mercredis du Carré
mercredi 15 janvier
Chantal Danjou, Ivan Dmitrieff, Rémy Durand
Prochains Mercredis du Carré :
mercredi 12 février
Jacques Serena et Gilbert Renouf
mercredi 19 mars
Yves Miséricordia, Antoine Simon, Gilbert Renouf
mercredi 14 mai
Jean-Claude Haza, Jean-Luc Pouliquen, Rémy Durand
Contacts :
Le Carré des mots: 04 94 41 46 16
http://www.lecarredesmots.com/
Association Gangotena : 06 03 45 63 56
http://remydurand.com/decouvertes.htm Puzzle n°10
et [email protected]
La lettre sous le bruit
[email protected]
à voir à lire
à écouter à voir à lire à écouter à voir à lire
Sable et Sel, cantate pour deux voix
de Colette Gibelin et Jean-Marie Gilory
mise en couleurs par Françoise Rohmer
Sac à mots éditions, coll. Traits pour traits
« Ce qu’il faudrait, c’est n’avoir de mémoire
que pour le ciel et l’allégresse,
chanter les jours, non les compter
Il en reste si peu mais ils seront de braise
et de silence qui couve sous la cendre
et de simple espérance
dans l’aube quotidienne »
Cantate à deux voix comme il semble à deux voies,
l'une qui croirait au ciel de l'amour et l'autre qui n'y croirait pas,
âpre combat entre l'extérieur et l'intérieur,
la lumière appelée et celle en vain cherchée.
Le lyrisme à l'épreuve d'une manière d'ascèse éperdue.
Les peintures de Françoise Rohmer respirent et soufflent cet air-là.
On tient entre les mains ce grand livre comme un petit objet fragile,
ce qui cherche à se convaincre des visages de certitudes
dans le peuple des doutes.
G.R.
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L’association Amateurs Maladroits
vous invite
samedi 15 février 2014
18h30
La peur en automne
une pièce de Michel Costagutto
-
Non je ne sais pas. Je disais ça comme ça.
De toute façon je préfère l’automne.
Vous mentez. Je sais que vous préférez l’été.
Vous êtes un menteur.
Ce sont les vagues
et c’est le vent
une pièce de Gilbert Renouf
-
Mais tu as dit qu’elles reviennent parfois
-
Bien sûr mais rien n’efface qu’elles
soient parties un jour
lectures à deux voix par les auteurs
Entrée libre et gratuite
Accueil du public à partir de 18h
Fort Napoléon
Chemin Marc Sangnier
La Seyne sur Mer
Renseignements : 06 19 81 18 04
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THEATRE Liberté Toulon
Salle Albert Camus
21 février à 20h30
CONCERTOS POUR VIOLON DE W. A. MOZART LES DISSONANCES
Le talentueux violoniste David Grimal a initié en 2004 Les Dissonances, une aventure collective d'abord guidée par une volonté d'excellence.
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Salle Albert Camus
Théâtre, Création
du 11 au 13 mars à 20h30
COMMENT VOUS RACONTEZ LA PARTIE
L'auteur d'Art et du Dieu du carnage écrit et met en scène une comédie
grinçante, un réjouissant jeu de massacre autour de la condition de l'écrivain.
La version française est présentée en première à Toulon, après une résidence de
création au Théâtre Liberté
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Salle Albert Camus
Musique
16 mars à 16h
AIRS D’OPÉRAS DE G. F. HAENDEL LES BIJOUX
INDISCRETS
La quatrième édition du festival Présences Féminines s'ouvrira au Liberté par un
concert mis en espace par Philippe Berling.
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Salle Albert Camus
Théâtre, Création
21 mars à 20h30 et 22 mars à 17h
BRITANNICUS
Sollicitant la langue singulière de Racine, Xavier Marchand jette une lumière
crue sur l'âme d'hommes modelés par l'exercice du pouvoir dans un dyptique
dépouillé de tout apparat.
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Salle Albert Camus
Théâtre, Création
22 mars à 20h30
BÉRÉNICE
Sollicitant la langue singulière de Racine, Xavier Marchand jette une lumière
crue sur l'âme d'hommes modelés par l'exercice du pouvoir dans un dyptique
dépouillé de tout apparat.
à voir à lire
à écouter à voir à lire à écouter à voir à lire
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qui a la gentillesse de les y archiver.
Qu’il en soit très vivement remercié.
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La Lettre sous le Bruit
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