Législation, lentilles de contact et applications pratiques
Transcription
Législation, lentilles de contact et applications pratiques
p28cdo89 24/04/06 16:16 Page 28 Contactologie Législation, lentilles de contact et applications pratiques Entretien avec Bertrand Hue1 et Jérôme Monet2 Sur le plan juridique l’adaptation des lentilles de contact comporte-t-elle des particularités ? L’adaptation des lentilles de contact est un acte médical reconnu. Comme pour tout acte médical, la responsabilité de l’ophtalmologiste sera engagée sur le fondement d’une faute éventuelle. Par exemple, s’il cause un traumatisme en plaçant la lentille sur l’œil du patient. L’adaptation de lentilles peut induire des infections nosocomiales. Par exemple, un produit en mauvais état représente une source d’infections. Dans les cabinets d’ophtalmologie, les dispositifs médicaux (produits d’entretien, lentilles), doivent donc être placés dans des lieux qui en assurent une parfaite conservation. La transmission de germes peut aussi avoir lieu au cours de l’adaptation de la lentille, bien que l’utilisation de lentilles jetables limite ce risque. S’il s’agit de lentilles réutilisables, les précautions d’usage en matière de prévention sont à suivre à la lettre. (Prévention des infections nosocomiales en ophtalmologie. CLIN de l’Ouest. Juin 2002). Le problème particulier des agents transmissibles non conventionnels (ATNC, type prion) mérite d’être soulevé. L’œil est en effet classé parmi les tissus “à risques”. Dans l’attente d’une publication officielle, un arbre décisionnel* a été établi à partir de la circulaire 138 (DGS/SC/DHOS/E2/2001/138) pour déterminer ce que l’on doit faire des lentilles rigides d’essai réutilisables. Il tient compte du niveau de risque de l’acte et du patient, selon qu’il possède ou non des facteurs de risques de maladie de Creutzfeld Jacob. la chirurgie esthétique lui sont spécifiques : c’est le cas par exemple du devis dont il est question dans l’article 55 du code de déontologie. Que pensez-vous du cas particulier des lentilles de couleur ? Il convient de dissocier les lentilles colorées correctrices des lentilles colorées non correctrices. En effet, les lentilles de couleur non correctrices ne sont pas considérées comme des dispositifs médicaux. Elles sont malheureusement plutôt assimilées à des accessoires de beauté comme les tatouages temporaires ou les bijoux de peau. Elles étaient d’ailleurs encore récemment en vente libre dans le catalogue de La Redoute ! L’ophtalmologiste n’est pas tenu de prendre la responsabilité de prescrire des lentilles non correctrices de couleur ou fantaisie, ce d’autant que les porteurs sont connus pour avoir des comportements à risques, avec notamment des temps de port trop longs ! En revanche, rien ne différencie les lentilles colorées correctrices des lentilles non colorées si ce n’est qu’il faut insister sur l’information à donner au patient quant au temps de port, souvent excessif ! Ne pas vouloir révéler la véritable couleur de ses yeux ne justifie pas la prise de risque ! Peut-on dans certains cas assimiler la contactologie à de la médecine esthétique ? D’abord, il ne s’agit pas toujours d’une solution de confort. Ensuite, il ne faut pas confondre avec la chirurgie réfractive, qui, pour la plupart des techniques est irréversible. Enfin, les textes qui régissent Quelles sont les règles de prescription ? Pour ne pas être considérée comme fautive, une prescription, doit, entre autres, se fonder sur les données acquises de la science. L’ophtalmologiste, qui ne doit faire courir aucun risque à son patient, doit agir en bon père de famille et prescrire des dispositifs médicaux ou des produits d’entretien dont l’efficacité thérapeutique est prouvée. La prescription d’un produit d’entretien dont l’efficacité thérapeutique n’aurait pas été reconnue (par rapport aux produits validés par les données acquises de la science) et dont le fabricant 1.Ophtalmologiste itinérant, DESS de droit médical – 2. Juriste, DESS de droit médical *Subirana X. Lentilles de contact : vademecum de la législation française. Contact 2004:81-85 28 Les Cahiers p28cdo89 24/04/06 16:16 Page 29 Contactologie n’aurait pas communiqué la composition, entraînerait facilement la qualification juridique de faute devant un tribunal civil ou administratif. L’ordonnance engage la responsabilité du médecin prescripteur. Ce dernier “doit formuler ses prescriptions avec toute la clarté indispensable, veiller à leur compréhension par le patient et son entourage et s’efforcer d’en obtenir la bonne exécution” (Art 34 du Code de déontologie). Cela suppose notamment d’écrire lisiblement, d’identifier précisément le prescripteur et le patient, d’indiquer le nom et les paramètres exacts des lentilles et de la solution d’entretien choisies par l’ophtalmologiste et d’en mentionner les précautions d’emploi. Le Code de déontologie stipule en effet que “l’ordonnance doit être totalement rédigée et ne pas donner lieu à interprétation”. L’opticien a obtenu par dérogation le droit de vendre les produits d’entretien des lentilles, qui revenait initialement au pharmacien. Il ne peut en aucun cas délivrer au porteur une autre solution que celle qui a été prescrite par l’ophtalmologiste. Le droit de substitution, réservé aux pharmaciens, ne s’applique d’ailleurs qu’aux génériques des médicaments (décret n° 99-486 du 11 juin 1999). Il est cependant prudent d’indiquer sur l’ordonnance que la prescription n’est pas substituable sans prendre l’avis du médecin prescripteur. Nous n’aborderons pas ici le cas des lentilles thérapeutiques, prescrites dans des circonstances particulières. À quelles responsabilités l’ophtalmologiste adaptateur peut-il avoir à faire face ? On distingue plusieurs types de responsabilité au plan civil : sans faute, pour faute du fait de l’acte médical ou par défaut d’information, avec des conséquences pécuniaires. Sans faute : il s’agirait par exemple d’un ophtalmologiste qui prescrirait une lentille ou un produit d’entretien que le patient avait mal toléré par le passé, antécédent dont le médecin n’avait pas été informé. Pour faute du fait de l’acte médical : prenons le cas d’un adaptateur qui grifferait l’œil du patient, entraînant ainsi un traumatisme sérieux de la cornée. Même si c’est plutôt la notion de maladresse qui prévaut, la notion de faute peut être retenue. Par défaut d’information enfin, si un abcès amibien sous lentille se développait alors que le médecin n’avait pas interdit au porteur de lentilles souples à renouvellement traditionnel ou mensuel de les mettre en contact avec l'eau douce. 29 Les Cahiers Il est rassurant de penser que la responsabilité pénale du contactologue est, quant à elle, plus théorique que réelle, étant donné la gravité des faits incriminés(1). Il convient cependant de veiller à ce que ce risque reste théorique. Il s’agirait par exemple de brûlures oculaires ayant entraîné des séquelles suite à l’utilisation inadaptée d’un produit d’entretien pour lentilles (produit pour lentilles rigides alors que le patient porte des lentilles souples). Entrerait également dans ce cadre l’utilisation de lentilles d’essai réutilisables contaminées. Que faut-il savoir du forfait ? Selon l’article 55 du Code de déontologie, “le forfait pour l’efficacité d’un traitement et la demande d’une provision sont interdits en toute circonstance”. Selon le conseil de l’ordre des médecins, cet article confirme la nature non commerciale de la médecine et réaffirme le principe fondamental du paiement du médecin à l’acte (Art. 162-2 du code de la Sécurité sociale). Cependant, certains actes techniques peuvent parfois faire l’objet d’une facturation au forfait, comme par exemple en contactologie où celui-ci, qui est facultatif, recouvre à la fois l’adaptation, la mise en place et l’apprentissage de mise en place des lentilles cornéennes. Compte tenu du fait que le médecin ne doit pas demander le règlement de ses honoraires avant que la procédure thérapeutique ne soit achevée, le forfait ne peut en aucun cas être réglé avant la fin de l’adaptation. (1) Le code pénal incrimine plusieurs infractions susceptibles d’être engagées du fait de l’adaptation. Il s’agit : – des atteintes involontaires à la vie (article 221-6 du Code pénal), – des violences volontaires. Selon l’article 222-19 du Code pénal : “le fait de causer à autrui, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.” L’article 222-20 puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait de causer une incapacité totale de travail d’une durée inférieure ou égale à trois mois. – Enfin, les risques causés à autrui : selon l’article 223-1 du Code pénal : “le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures et de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende”. Sans faute caractérisée, aucune infraction ne peut cependant être retenue. p28cdo89 24/04/06 16:16 Page 30 Contactologie Dans quelles circonstances le praticien peut-il être mis en cause ? S’il commet une faute, si le patient est victime du dispositif médical que lui a donné le contactologue, en cas d’erreur du personnel qui est sous la responsabilité du médecin ou encore d’infection nosocomiale ayant pour origine l’adaptation ou la lentille elle-même. Devant une erreur de prescription du produit d’entretien, le professionnel de santé qui vend le produit est censé vérifier la prescription. Le défaut d’information peut aussi être une cause de plainte si une complication survient. Citons enfin les problèmes liés à la prise en charge par l’Assurance Maladie de certaines catégories de lentilles. Concernant les erreurs d’adaptation ou de réfraction, l’ophtalmologiste n’a qu’une obligation de moyens. Les différents se règlent souvent à l’amiable grâce à une bonne communication. Heureusement les plaintes s’arrêtent le plus souvent au niveau des assureurs en responsabilité civile professionnelle des praticiens. Les assurances communiquent d’ailleurs peu sur le sujet. Quels conseils donneriez-vous aux praticiens pour leur éviter d’être un jour mis en cause ? Le médecin doit informer son patient lors d’un entretien oral, qui se déroule habituellement pendant la consultation. Tous les aspects du port des lentilles doivent être abordés : la manipulation, la durée de validité des produits, les conseils d’utilisation, la marche à suivre en cas de problème et la nécessité de respecter la prescription à la lettre. Il est vivement recommandé de remettre au porteur la fiche d’information de la Société française d’ophtalmologie relative à la contactologie. Il faut à nouveau insister sur la prévention des infections nosocomiales et sur le soin que doit apporter le contactologue à sa prescription. Le médecin a par ailleurs l’obligation de déclarer à la matériovigilance tout accident grave relatif à l’utilisation des dispositifs médicaux. La déclaration des incidents plus bénins n’est, elle, que facultative. Enfin, l’article 30 du Code de déontologie interdit “toute facilité accordée à quiconque se livre à l’exercice illégal de la médecine”. Or l’adaptation des lentilles est reconnue en tant qu’acte médical. Pour un non-médecin, adapter des lentilles est donc considéré comme un exercice illégal de la médecine. Il faut donc inciter les ophtalmologistes qui ne souhaitent pas s’en charger, à adresser leurs patients à un confrère contactologue, qui, en retour, doit s’engager à réadresser le patient une fois l’adaptation effectuée. Déléguer les actes relatifs à l’adaptation revient à prendre un risque, dont l’ophtalmologiste doit être conscient. Les Cahiers 30