EVOLUTION EN FRANCE DES BASSES A EMBOUCHURE AU
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EVOLUTION EN FRANCE DES BASSES A EMBOUCHURE AU
11 EVOLUTION EN FRANCE DES BASSES A EMBOUCHURE AU DEBUT DU XIX° SIECLE GENERALITES A la fin du XVIII° siècle, la basse des instruments à embouchure était uniquement représentée par le serpent, dont la forme n'avait pas changé depuis deux siècles (fig. 1). Sa création, d'après l'abbé Leboeuf, est attribuée à EDME GUILLAUME, chanoine d'Auxerre, en 1590, pour accompagner le plain-chant à l'église. La révolution Française et son cortège de réformes et de nouveautés devait apporter un coup de fouet à la recherche instrumentale, et, la mécanisation aidant, l'essentiel des instruments tels que nous les connaissons aujourd'hui était mis au point dans la première moitié du XIX° siècle. Le serpent, tout en continuant à être employé à l'église, a été de plus en plus utilisé dans les musiques militaires, qui ne disposaient pas à l'époque d'instruments graves et puissants : le basson possède un son trop faible, et le trombone à coulisse basse, difficile à utiliser en marchant, était pratiquement tombé en désuétude. Beaucoup de serpents fabriqués avant le XIX° siècle sont anonymes. Le principal facteur Français au XIX° est BAUDOUIN. La forme du serpent fait qu'il est très malaisé à jouer tout en marchant et en défilant, l'instrument étant écarté du corps et ne disposant pas de cordon de soutien. Les facteurs se sont donc ingéniés à lui donner une forme plus pratique, sans oublier d'ajouter quelques clés pour tenter d'améliorer l'intonation de certaines notes particulièrement défectueuses. Toutefois, le principe de base du doigté est conservé, à savoir deux groupes de trois trous relativement petits par rapport à la perce, et très loin de leur position acoustique idéale. De ce fait, seul l'instrument ayant tous les trous entièrement bouchés donne une série de partiels bien timbrés et acceptables, proches de la série harmonique. Le débouchage des trous, plutôt que de donner une série de notes précises, agit comme un formant et modifie le timbre émis, ce qui permet d'améliorer l'intonation de certaines notes. Ce principe acoustique pratiquement unique dans l'histoire des instruments à vent explique les grandes différences de doigté rencontrées entre les diverses tablatures éditées au cours du temps. Le contrôle des lèvres primordial pour la justesse, et, dans l'instrument, un bon serpentiste est jouer (juste !) n'importe quelle n'importe quel doigté ! est donc le grave de capable de note avec Par la suite, la commande de tous les trous par des clés a permis d'élargir ceux-ci à volonté, ce qui a conduit HALARY à breveter en 1821 l'ophicléide, sonnant le glas des serpents militaires et autres bassons russes. La victoire de l'ophicléide a été elle aussi de courte durée, les pistons devant finalement s'imposer pour tous les instruments à embouchure. L'agonie, toutefois, a été longue, plusieurs fabriquants proposant encore des ophicléides dans leurs catalogues jusque en 1914. Le présent article donne la description et les particularités de certains de ces instruments exécutés par des facteurs français. Cette liste n'a pas la prétention d'être exhaustive, et toutes les informations complémentaires qui pourront m'être communiquées sont les bienvenues. Ce type d'instrument a été aussi réalisé à la même époque dans d'autres pays d'Europe sous des formes spécifiques : bass-horn en Angleterre, tuba-Dupré en Belgique, bassons russes en Allemagne... L'origine de cette famille d'instruments peut être attribuée à Régibo, dont l'invention fut annoncée dans le calendrier Universel Musical de 1789 : "J. J. REGIBO, musicien à la Collégiale de St Pierre de Lille, vient d'inventer un serpent nouveau qui est fait de même qu'un basson; il se démonte en trois parties et est plus fort que le serpent ordinaire, et plus aisé à jouer, il a la même embouchure, est du même diapason et même gamme. Il a été présenté à MM. du chapitre dans une musique à grande symphonie, et a fait l'admiration des auditeurs par son effet; ils l'ont reçu dans leur musique ordinaire. Ceux qui veulent s'en procurer peuvent s'adresser à l'auteur, rue Pétérink, Paroisse St Pierre à Lille. Le prix est trois louis". Il n'existe malheureusement pas d'exemplaire connu de cet instrument. L'ensemble des avatars du serpent comprend en général un bocal en laiton en col de cygne ou faisant une boucle, un tube dérivé du basson, plus ou moins en U, en laiton ou en bois 12 éventuellement recouvert de cuir, et quelquefois un pavillon en laiton, de forme standard, ou en forme de tête de dragon polychrome. La longueur du tube reste proche de celle de l'instrument original, ce qui lui donne la même tessiture et le même jeu. SERPENT PIFFAULT PIFFAULT, facteurs de serpents, inventa en 1806 un serpent droit faisant une boucle sur luimême, dont la forme pourrait se comparer à celle d'un saxophone baryton. Une méthode de serpent (méthode de serpent pour le service du culte et le service militaire, Paris 1814 - Minkoff reprint 1974 ) illustre ce type d'instrument: "Nouvelle forme donnée au serpent, au commencement de l'an 1806, par le Sieur Piffault, luthier, rue Bourtibourg, à Paris. L'usage de ce serpent est bien plus facile pour le service militaire que celui du serpent ancien; on passe sa partie inférieure sur le côté droit, comme on fait du basson. En raison de cette facilité, son inventeur l'a nommé SERPENT MILITAIRE. Ce serpent a toutes les qualités de l'autre, le même doigté, les mêmes inconvéniens de l'ut#, tant en haut qu'au médium; mais le son en est plus brillant, son tube n'étant pas recouvert de peau comme l'est celui du Serpent ancien." Le serpent Piffault est construit selon la même technologie que le serpent standard, le corps en deux parties longitudinales, évidées et collées, et le bocal en laiton (fig. 2). Malgré l'affirmation de la méthode, la plupart de ces serpents sont recouverts de cuir. Il existe de nombreuses variantes au serpent Piffault, toutes plus tarabiscotées les unes que les autres, qui font honneur à l'imagination des luthiers de l'époque ! (fig. 3 à 5) Une variante plus rare de cet instrument se rapproche encore plus du saxophone baryton. La boucle, cette fois en laiton, est reportée entre le bocal et le corps rectiligne. Ce modèle est muni de deux ou trois clés. Particularité rarissime sur un exemplaire (fig. 6), ces clés sont en fer forgé! SERPENT FORVEILLE Ce type de serpent droit fut inventé en 1823 par Forveille qui lui donna son nom. Il s'agit sans doute du premier exemple dans l'histoire de la facture d'un instrument portant le nom de son inventeur. C'est de loin le plus répandu de tous les serpents droits fabriqués en France (fig. 7). Le Serpent Forveille (dénommé aussi ophibaryton; toutefois, ce dernier nom s'applique aussi aux bassons russes à tête de serpent) est en bois recouvert de cuir foncé et est muni d'un bocal et d'une branche d'embouchure en laiton. La forme générale rappelle approximativement celle d'un basson. L'intérieur du pavillon, où se trouve l'estampille, est peint en rouge. Le bocal, en forme de col de cygne, et la branche d'embouchure, en forme de S allongé verticalement, sont amovibles. L'instrument comporte six trous groupés trois par trois et trois clés longitudinales fermées, munies de plaques rondes et plates comportant un tampon en baudruche. Les deux premières sont à manchon monté sur tourillons fixés sur patin, la troisième pivote sur tenon. Les trous situés sur la culasse peuvent comporter intérieurement un tube cylindrique en métal. La branche de pavillon comporte un support de porte-partition en forme de lyre et un support pour la main gauche. La culasse est renforcée d'une plaque et le pavillon comporte une guirlande en laiton. Le coude inférieur de la branche d'embouchure comporte un gland ou un petit réservoir destiné à recueillir l'eau de condensation. Sur quelques rares modèles, (fig. 8) la branche d'embouchure en forme de S est en bois et non en laiton. La signature est en général gravée dans le bois à l'intérieur du pavillon. On trouve d'autres facteurs hormis Forveille, notamment TURLOT qui était son élève. OPHIMONOCLEIDE Instrument breveté par COEFFET, facteur de Gisors, le 2 mai 1828. La forme de l'instrument signé Coëffet fils est très différente de l'instrument signé simplement Coëffet. Coëffet a-t-il eu un fils qui a continué son travail, et qui a cherché à "perfectionner !?" l'instrument ? Comme son nom l'indique, cet instrument dispose d'une seule clé à bascule ouverte, en laiton, située sur le pavillon. Sa fermeture abaisse approximativement la note d'un demi-ton. Le modèle du fils diffère très nettement de celui du père. L'ophimonocléide Coëffet (fig. 9) est en bois recouvert de cuir brun foncé et muni d'un bocal, d'une branche d'embouchure et d'un petit pavillon en laiton. L'estampille est gravée sur le 13 cuir au milieu du corps. Le bocal, en forme de col de cygne, la branche d'embouchure, en forme de S allongé verticalement et le pavillon sont amovibles. L'instrument comporte six trous groupés trois par trois et, à l'extrémité du corps principal près du pavillon, une clé longitudinale à bascule, ouverte. Les six trous comportent intérieurement un tube cylindrique en ivoire servant de support pour le doigt. Le corps principal, contenant les deux tubes parallèles de l'instrument, est construit d'une pièce, les tubes parallèles n'étant reliés entre eux qu'au niveau des trous de jeu. L'ophimonocléide de Coëffet fils (fig. 10) garde la même structure générale, mais possède un pavillon en laiton beaucoup plus grand et, sur le pavillon, une clé longitudinale à bascule, ouverte, montée sur manchons et tourillons fixés sur patins. Cette clé est exactement semblable à la clé de si grave de l'ophicléide. L'estampille est gravée transversalement sur le pavillon, et le corps a la possibilité de se démonter en deux parties, comme pour un basson dont la petite et la grande branche seraient reliées entre elles. A noter que cette double coulisse en laiton, s'emmanchant dans les tubes en bois de la partie supérieure, et destinée à accorder l'instrument, fonctionne remarquablement mal ! BASSE TROMPETTE BASS-HORN Le bass-horn est d'origine française, mais a connu le succès en Angleterre. Louis Alexandre FRICHOT, serpentiste, se réfugia à Londres au début de la révolution française. Il inventa vers 1790 un serpent entièrement en laiton, (fig. 11) possédant deux branches rectilignes en forme de V réunies à leur partie inférieure. L'instrument comporte 3 ou 4 clés et est muni d'un bocal en col de cygne. cette forme, peu esthétique, a le mérite de la simplicité de la fabrication. Cet instrument a connu une popularité considérable en Angleterre jusque en 1840, avant d'être remplacé comme ailleurs par le tuba. Frichot revint en France en 1804, et breveta le 31 décembre 1810 une nouvelle amélioration du bass-horn. Son invention fut baptisée en 1812 par l'académie des Beaux Arts successivement basse-cor, basse-trompette, puis trombe. La basse-trompette (fig. 12) conserve les six trous du serpent par groupes de trois, et comporte de trois à cinq clés. Le corps, en laiton, fait une grande boucle reliée par des coudes et ne comporte donc pas l'angle aigu à la partie in- férieure du bass-horn. Une série de coulisses interchangeables permettait de changer la tonalité. Toutefois, contrairement à son avatar anglais, cet instrument n'a connu aucun succès. Le bass-horn a inspiré l'hibernicon, breveté en 1823 par Joseph Rogerson Cotter. Il s'agit d'un instrument contrebasse, dont le tube fait 5 mètres de long. Il n'en survit qu'un seul exemplaire (fig. 13). SERPENT DROIT METALLIQUE L'imagination des facteurs d'instruments semblant sans limites, (c'est un des charmes de ce type de collection : il y a toujours des découvertes à faire !), d'autres variantes plus ou moins tordues ont été réalisées. Il existe par exemple des serpents droits entièrement en métal. Un exemplaire de serpent métallique (fig. 14), présente la particularité d'avoir les trois trous de la main gauche dégroupés, et commandés par trois clés à bascule longitudinales ouvertes, munies de plaques rondes et plates comportant un tampon en cuir. Cette disposition permet de rapprocher les trous de leur position acoustique, mais ceux-ci restent encore de petit diamètre par rapport à la perce. Le pavillon est décoré à l'intérieur comme à l'extérieur de motifs floraux dorés peints sur fond rouge. BASSON RUSSE Le Basson Russe proprement dit est construit comme le basson, et possède un bocal en laiton, une petite branche, une culasse doublement percée en U, une grande branche et un pavillon en laiton remplaçant le bonnet. Ce pavillon affecte souvent l'aspect d'une gueule de serpent polychrome, avec quelquefois une langue fourchue dardée à l'extérieur ! Le bois n'est pas toujours recouvert de cuir. En effet, la fabrication de cet instrument se rapproche de celle du basson, les corps étant percés au tour et non évidés par moitié et collés. De ce fait, il n'était plus nécessaire de rendre étanche l'extérieur de l'instrument. Le basson russe possède généralement trois clés fermées, une sur la petite branche, une sur la culasse et une sur la grande branche près du pavillon. Ces clés sont actionnées par les auriculaires et par le pouce gauche. Les joints et la culasse sont renforcés par des bagues en laiton. L'instrument conserve les deux groupes de trois trous, mais ceux-ci sont percés diagonalement, comme pour le basson. 14 De plus, pour permettre différentes combinaisons de ventilation, les trous de la culasse communiquent tantôt avec la branche descendante, tantôt avec la branche montante, tantôt avec les deux ! (ce qui signifie que lorsque le trou est bouché par le doigt, les deux perces restent en communication entre elles, mais le serpent n'en est plus à une aberration acoustique près !). Les facteurs sont concentrés à Paris (BAUMANN, PEZE, BOILEAU, GALANDER... ) et à Lyon (SAUTERMEISTER, TABART, JEANTET, DUBOIS & COUTURIER, RUST...). On trouve toutefois d'autres facteurs isolés : CUVILLIER à St Omer, (fig. 14),PRINTEMPS à Lille... Les bassons russes de. TABART, munis d'une tête de dragon polychrome, ont toutefois la particularité d'avoir le corps construit en une pièce non démontable (fig. 15). CONCLUSION Cette approche des serpents droits français n'a pas la prétention d'être exhaustive, et je pense que bien des découvertes sont encore à faire en ce domaine. Que ceux qui posséderaient des informations complémentaires n'hésitent pas à me les communiquer ! BRUNO KAMPMANN ******************************************** BIBLIOGRAPHIE : New Grove Dictionary of Musical Instruments, MacMillan Press Ltd, 1984. LANGWILL, an index of musical wind instruments makers. 6° ed. 1980 ******************************************** CREDIT PHOTOGRAPHIQUE : fig; 1, 6 à 10, 14 à 16 : photos BK, coll. BK fig; 2 : photo F. de la Granville, Mairie de l'Aigle fig; 3 : photo F. de la Granville, Musée de Bayeux fig; 4 : catalogue du Musée Instrumental Veershuis, Antwerpen, 1981, réf. n°245. fig; 5 : catalogue du Musée Karl Marx Universitat, Leipzig, band 5, réf. n°1578. fig; 11 : photo BK, coll. Université d'Edimbourgh fig; 12 : photo BK, coll. du Conservatoire National de Musique de Paris fig; 13 : New Grove Dictionary of Musical Instruments, MacMillan Press Ltd, 1984 15 16 17