Gautier bien dans ses meubles
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Gautier bien dans ses meubles
Gautier bien dans ses meubles Dimanche 08 Novembre 2015 à 19:00 Arnaud Bouillin Envoyé spécial La PME vendéenne, grâce à d'importants investissements dans la production automatisée, a pu se tourner vers l'export et compenser la morosité du marché français. Son secret : marier tradition et innovation. Capture d'écran - Film institutionnel Gautier Une bonne heure de voiture depuis Angers. Autant depuis Nantes. Dans le pays de Pouzauges, au beau milieu du Bocage vendéen, une PME française résiste encore et toujours à l'envahisseur. Son bastion ? Le Boupère, 3 000 habitants, quartier général des meubles Gautier où David Soulard, 44 ans, a pris la relève de son père, Dominique, dans l'entreprise fondée par son oncle en 1960. Une vraie maison de famille : ses deux frères et sa sœur travaillent à ses côtés. Le 17 septembre dernier, les Soulard au grand complet n'étaient pas peu fiers d'inaugurer leur nouvel outil de production automatisé devant la presse et les huiles locales. Un investissement de 10 millions d'euros, baptisé Flex, que David aurait bien aimé montrer à Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie. «Nous l'avions invité dès le mois de mai, raconte le patron. Son agenda, nous a-t-on répondu alors, ne lui permettait pas de venir nous voir. C'est dommage. On aurait pu lui faire partager notre fierté de produire ici, avec des technologies européennes.» Dans l'usine attenante au siège administratif, les panneaux de bois 100 % d'origine française défilent par petits lots sur des tapis roulants avant de traverser deux tunnels vitrés, l'un de conception allemande, l'autre, italienne. A l'intérieur, 450 outils différents pour découper, trouer, nervurer ou plaquer des portes de buffet ou des tiroirs de commode. «Avant, il nous fallait entre trois et cinq jours pour fabriquer toutes les pièces d'un meuble. A présent, trois heures suffisent, détaille Olivier Hulot, le directeur industriel. C'est à la fois un gain de productivité formidable et une souplesse nouvelle pour concevoir rapidement des petites séries.» Formés en interne à la robotique, les techniciens, peu nombreux, qui surveillent la bonne marche de ce ballet millimétré, sont devenus des «pilotes de ligne». Cette modernisation n'a pas créé de nouveaux emplois, mais elle ancre un peu plus le groupe dans son territoire, en lui offrant des leviers de croissance. UNE CELLULE DE R&D Avec 950 salariés et 140 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2014, Gautier, positionné sur le moyen-haut de gamme, s'est résolument tourné vers l'export pour oublier la morosité du marché français, en recul depuis des années. Un gros quart de la production est vendue aujourd'hui à l'étranger, dans 65 pays. Les mœurs locales sont autant de défis. «En Arabie saoudite, où les familles sont très nombreuses, on nous a reproché de ne faire des tables que pour 12 personnes, explique David Soulard. Aux Etats-Unis, les lits pour enfants de 90 cm de large ne se vendent plus : les parents veulent du 120 cm, voire du 140 cm. Chaque nationalité, ou presque, a ses codes. Nous nous efforçons d'y répondre, en mettant en avant notre signature : un certain style de vie à la française.» Lequel passe également par la qualité de service. Dès janvier prochain, des équipes de monteurs, en gants blancs, proposeront aux clients d'assembler à leur domicile leur dressing ou leur bibliothèque. So chic ! Les idées originales, David Soulard n'en manque pas, qui mêlent tradition et innovation. Un atelier de matériaux souples, employant trois couturières et deux tapissiers qui signent chacune de leurs pièces, a vu le jour l'an dernier pour travailler le cuir ou le tissu et redonner vie au savoir-faire choletais. Au même moment, une cellule de R&D, baptisée «le Lab», a ouvert ses portes. Un système inédit de fixation ? Une charnière bien pensée ? Tous les salariés peuvent poster sur un Facebook interne leurs découvertes, repérées sur un salon professionnel, dans un magasin ou chez des amis. L'équipe du Lab fait le tri et fabrique les prototypes qui lui semblent prometteurs. «Les besoins et les envies du consommateur évoluent de plus en plus vite : il faut être constamment à l'affût, souligne David Soulard. En deux ans, nous avons renouvelé 70 % de notre gamme. La mezzanine XXL, par exemple, destinée aux couples, est directement liée à la multiplication récente des petits appartements urbains.» L'entreprise serait ravie que les pouvoirs publics lui prêtent la même oreille qu'aux grands groupes ou aux start-up. Le patron de Gautier aurait donc tout pour être heureux - et pour continuer à produire en France - si les pouvoirs publics prêtaient aux PME comme la sienne la même oreille qu'aux grands groupes ou aux start-up. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) a, certes, donné un peu d'air au fabricant vendéen : 1,2 million d'euros versés cette année et 100 % consacrés à l'investissement après accord des syndicats. Mais, pour relancer les ventes dans l'Hexagone, David Soulard et ses confrères militaient pour un autre coup de pouce, plus ciblé : la possibilité pour les détenteurs d'un plan d'épargne logement (PEL) de sortir jusqu'à 10 000 € pour s'acheter de nouveaux meubles. «Une mesure temporaire et sans coût pour les finances publiques, l'Etat n'ayant pas à verser la prime dans la mesure où les PEL concernés demeurent ouverts», précisait l'Union nationale des industries françaises du meuble. Las ! Adoptée au Sénat en avril dernier par le biais de deux amendements à la loi Macron, cette idée n'a pas survécu au retour du texte à l'Assemblée nationale. «Si les épargnants veulent acheter des meubles, ils doivent utiliser leur épargne liquide. Ce n'est pas l'objet du PEL», a tranché le ministre de l'Economie, arguant de la difficulté à contrôler l'utilisation des sommes retirées. En 2013, un déblocage similaire - et exceptionnel - avait pourtant été consenti aux possesseurs d'un plan d'épargne salariale, et ce, jusqu'à 20 000 €, sans que Bercy s'émeuve alors des justificatifs à fournir. Il est vrai que la mesure, et c'était inscrit dans la loi, visait à soutenir le secteur automobile - comme au bon vieux temps de la «balladurette» -, et notamment Peugeot, au plus mal à l'époque. En résumé : les gros de la bagnole, oui. Les petits du canapé-lit, non. David Soulard garde quand même le sourire. Il n'a eu ni Macron, ni «macronette». Mais d'ici à quelques semaines, il va ouvrir de nouveaux magasins à Manille, Singapour et Abidjan. Le grand large, il n'y a que ça de vrai.