CAHIER TOURISME DE MÉMOIRE Tourisme de mémoire Les
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CAHIER TOURISME DE MÉMOIRE Tourisme de mémoire Les femmes et les enfants aussi ! Dans de nombreux sites mémoriels français, le discours reste souvent militaire et masculin. L’élargissement des propos, en se mettant du point de vue des enfants ou des femmes, permet pourtant, en touchant les familles, d’élargir la fréquentation des musées et sites © Caroline Ugolini Hamelin de mémoire. Exemples de bonnes pratiques. Rayon “jeunesse” de la librairie du Mémorial de Caen CAROLINE UGOLINI HAMELIN A Directrice d’Idéquations vec la disparition des derniers témoins des guerres mondiales, les mémoires vivantes, susceptibles de raconter l’histoire de leur vie aux jeunes générations, s’éteignent. Avec elles s’éloignent les anecdotes des visions civiles, enfantines, féminines..., les éléments vivants remplis d’émotions, vecteurs d’accroches pour illustrer la “grande histoire” 136 e s p a c e s 3 1 3 • j u i l l e t- a o û t 2 0 1 3 [[email protected]] et stimuler la visite des sites de mémoire ou la participation aux commémorations. S’il n’y a pas d’âge ni de sexe pour se retrouver confronté à un conflit armé, l’angle d’approche, dans les sites mémoriels, reste encore, en France, souvent principalement militaire et masculin. Dans d’autres pays, les points de vue des enfants ou des femmes sont plus anciens et plus nombreux, ce qui permet d’élargir la fréquentation des musées et sites de mémoire, de toucher les enfants scolarisés, les jeunes et leurs parents… L’Impérial War Museum de Londres s’attache à présenter la diversité des personnes impliquées dans les conflits armés. Sur son site internet, les choix iconographiques sont parlants : on y voit des femmes et des enfants dès la page d’accueil, et pas seulement du matériel militaires ou des combattants. L’onglet “Families” [www.iwm.org.uk/visits/iwm-north/families] révèle une stratégie complète d’adaptation de l’équipement par âge et par sexe. La diversité des supports de médiation y est déclinée : scénographies adaptées faisant appel aux sens (toucher, odorat), ateliers pour enfants en individuels (dessins, fabrication d’objets), temps semi-guidé avec animateur racontant des histoires sur la “grande histoire”. La diversité des services pour garantir une journée agréable est présentée (espaces de visites, espaces de restauration et menu, autres services). Les messages sont traduits en images. C’est un équipement où les enfants sont bienvenus et cela se voit (photos de visiteurs enfants). C’est un équipement où la mémoire est une affaire de partage intergénérationnel et cela se traduit par des photos d’enfants accompagnés de leurs grands-parents autour d’une expérience commune. C’est un équipement où l’on passe une journée agréable, et cela se traduit par l’image d’un temps de convivialité au restaurant. Transmettre la mémoire de la guerre n’est pas une affaire masculine ; l’iconographie laisse place à de nombreux personnages féminins. www.iwm.org.uk/visits/iwm-north/families CAROLINE UGOLINI HAMELIN Le site internet de l’Impérial War Museum de Londres révèle une stratégie d’adaptation par âge Les visuels marquent les inconscients, contribuant à garantir la qualité de l’expérience de visite pour les enfants. Les promesses sont tenues : les images témoignent des expériences réellement vécues par les visiteurs. Aux Pays-Bas, la Maison d’Anne Frank pose la visite des publics jeunes (enfants “à partir de 10 ans”, adolescents) et des publics féminins comme une priorité ; il faut dire que le thème les concerne tout particulièrement, dans la mesure où ils peuvent facilement s’identifier au personnage [www.annefrank.org/fr]. Dès sa page d’accueil web, la maison d’Anne Frank se tourne vers les publics féminins (iconographie) et mentionne la rubrique “visite avec enfants”. La communication traduit le travail j u i l l e t- a o û t 2 0 1 3 • e s p a c e s 3 1 3 137 /www.annefrank.org/fr CAHIER TOURISME DE MÉMOIRE La Maison d’Anne Frank pose la visite des publics féminins comme une priorité de fond d’adaptation aux jeunes générations : ne pas les choquer, les préparer, mettre leurs accompagnants en capacité de médiation… Des ressources pédagogiques sont proposées sur le site internet ; elles s’adressent aux parents et aux enfants, de toutes origines géographiques, adaptées aux programmes scolaires de différents pays. Située au cœur d’Amsterdam, la Maison d’Anne Frank accueille plus d’un million de visiteurs par an, dont de nombreux touristes. Elle propose l’achat de billets en ligne et ses horaires d’ouverture sont adaptés aux visites de la destination Amsterdam : tous les jours jusqu’à 21 heures (22 heures en juillet et août !). Applications mobiles, jeux, témoignages sur les réseaux sociaux de familles ayant visité le musée… sont autant de canaux de diffusion utilisés hors les murs, pour faire venir le public dans les murs. En France, le musée mémorial des Enfants du Vél’d’Hiv, à Orléans (45) partage un d’état d’es- prit comparable [www.cercil.fr]. Le Cercil (Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement dans le Loiret), maître d’ouvrage du lieu, y propose une scénographie adaptée aux jeunes publics. Il relaie son action mémorielle hors les murs par des animations dans les établissements scolaires et via des publications littéraires spécialement dédiées aux jeunes publics. 138 e s p a c e s 3 1 3 • j u i l l e t- a o û t 2 0 1 3 Le musée canadien de la Guerre, à Ottawa, a un positionnement délibérément grand public. Il s’intéresse aux “petites histoires au cœur de la grande histoire”, “présentant les points de vue de gens ordinaires qui ont vécu la guerre tant sur les champs de bataille que dans leurs foyers”. La diversité des points de vue est au cœur du propos. Les lieux sont aménagés pour accueillir un public très divers (large gamme d’outils d’interprétation et supports de médiation faisant appel aux cinq sens dès le plus jeune âge). Sur le site internet du musée, le jeu “à l’assault” [www.civilization.ca/cwm/games/ overtop/index_f.shtml] permet de se rendre compte de la réalité des soldats dans les tranchées de 14-18. Le centre Juno Beach, à Courseulles-sur-Mer, créé et géré par une association canadienne, partage le même état d’esprit. Il est l’un des seuls sites en Normandie où la scénographie et les supports d’interprétation sont adaptés aux jeunes publics. Deux jeunes Canadiens (un garçon et une fille) accompagnent la visite des plus jeunes dans la scénographie et sur un livret. La vie quotidienne des civils et les faits militaires y sont abordés. Adultes et enfants parcourent les espaces ensemble, ce qui favorise les échanges intergénérationnels. En France, cette tendance est en marche. En témoignent, par exemple, le parcours de visite “les animaux dans la Grande Guerre”, spécialement adapté aux groupes scolaires, du musée de la Grande Guerre à Meaux, et les visites guidées sur le thème “l’enfant dans la guerre” de l’exposition “En guerres” du château des ducs de Bretagne à Nantes. Pour capter de nouveaux publics, français et étrangers, le tourisme de mémoire en France doit s’adapter. Les parents d’aujourd’hui, détachés des événements, ne peuvent plus s’improviser médiateurs de la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale, encore moins de la Première. Il appartient donc aux sites de visite de leur donner les clefs de compréhension, d’anticiper les risques de choc des images ou des mots. Bref de proposer une scénographie et des outils de médiation adaptés. ■ © Centre Juno Beach, musée canadien des Plages du Débarquement CAROLINE UGOLINI HAMELIN Le centre Juno Beach est l’un des seuls sites en Normandie où la scénographie et les supports d’interprétation sont adaptés aux jeunes publics j u i l l e t- a o û t 2 0 1 3 • e s p a c e s 3 1 3 139