CAHIER TOURISME DE MÉMOIRE Tourisme de mémoire Les

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CAHIER TOURISME DE MÉMOIRE Tourisme de mémoire Les
CAHIER TOURISME DE MÉMOIRE
Tourisme de mémoire
Les femmes et les enfants aussi !
Dans de nombreux sites mémoriels français, le discours reste souvent militaire et masculin. L’élargissement des propos, en se mettant
du point de vue des enfants ou des femmes, permet pourtant, en
touchant les familles, d’élargir la fréquentation des musées et sites
© Caroline Ugolini Hamelin
de mémoire. Exemples de bonnes pratiques.
Rayon “jeunesse” de la librairie du Mémorial de Caen
CAROLINE UGOLINI HAMELIN
A
Directrice d’Idéquations
vec la disparition des derniers
témoins des guerres mondiales,
les mémoires vivantes, susceptibles de raconter l’histoire de
leur vie aux jeunes générations,
s’éteignent. Avec elles s’éloignent les anecdotes
des visions civiles, enfantines, féminines..., les
éléments vivants remplis d’émotions, vecteurs
d’accroches pour illustrer la “grande histoire”
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et stimuler la visite des sites de mémoire ou la
participation aux commémorations.
S’il n’y a pas d’âge ni de sexe pour se retrouver confronté à un conflit armé, l’angle d’approche, dans les sites mémoriels, reste encore,
en France, souvent principalement militaire et
masculin. Dans d’autres pays, les points de vue
des enfants ou des femmes sont plus anciens
et plus nombreux, ce qui permet d’élargir la
fréquentation des musées et sites de mémoire,
de toucher les enfants scolarisés, les jeunes et
leurs parents…
L’Impérial War Museum de Londres s’attache
à présenter la diversité des personnes impliquées dans les conflits armés. Sur son site internet, les choix iconographiques sont parlants :
on y voit des femmes et des enfants dès la page
d’accueil, et pas seulement du matériel militaires ou des combattants. L’onglet “Families”
[www.iwm.org.uk/visits/iwm-north/families]
révèle une stratégie complète d’adaptation de
l’équipement par âge et par sexe. La diversité
des supports de médiation y est déclinée : scénographies adaptées faisant appel aux sens
(toucher, odorat), ateliers pour enfants en individuels (dessins, fabrication d’objets), temps
semi-guidé avec animateur racontant des histoires sur la “grande histoire”. La diversité des
services pour garantir une journée agréable est
présentée (espaces de visites, espaces de restauration et menu, autres services). Les messages sont traduits en images. C’est un équipement où les enfants sont bienvenus et cela
se voit (photos de visiteurs enfants). C’est un
équipement où la mémoire est une affaire de
partage intergénérationnel et cela se traduit
par des photos d’enfants accompagnés de leurs
grands-parents autour d’une expérience commune. C’est un équipement où l’on passe une
journée agréable, et cela se traduit par l’image
d’un temps de convivialité au restaurant.
Transmettre la mémoire de la guerre n’est pas
une affaire masculine ; l’iconographie laisse
place à de nombreux personnages féminins.
www.iwm.org.uk/visits/iwm-north/families
CAROLINE UGOLINI HAMELIN
Le site internet
de l’Impérial War Museum
de Londres révèle une stratégie
d’adaptation par âge
Les visuels marquent les inconscients, contribuant à garantir la qualité de l’expérience de
visite pour les enfants. Les promesses sont
tenues : les images témoignent des expériences
réellement vécues par les visiteurs.
Aux Pays-Bas, la Maison d’Anne Frank pose la
visite des publics jeunes (enfants “à partir de
10 ans”, adolescents) et des publics féminins
comme une priorité ; il faut dire que le thème
les concerne tout particulièrement, dans la
mesure où ils peuvent facilement s’identifier
au personnage [www.annefrank.org/fr]. Dès
sa page d’accueil web, la maison d’Anne Frank
se tourne vers les publics féminins (iconographie) et mentionne la rubrique “visite avec
enfants”. La communication traduit le travail
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/www.annefrank.org/fr
CAHIER TOURISME DE MÉMOIRE
La Maison d’Anne Frank pose
la visite des publics féminins
comme une priorité
de fond d’adaptation aux jeunes générations :
ne pas les choquer, les préparer, mettre leurs
accompagnants en capacité de médiation…
Des ressources pédagogiques sont proposées
sur le site internet ; elles s’adressent aux parents
et aux enfants, de toutes origines géographiques, adaptées aux programmes scolaires
de différents pays.
Située au cœur d’Amsterdam, la Maison
d’Anne Frank accueille plus d’un million de
visiteurs par an, dont de nombreux touristes.
Elle propose l’achat de billets en ligne et ses
horaires d’ouverture sont adaptés aux visites
de la destination Amsterdam : tous les jours
jusqu’à 21 heures (22 heures en juillet et août !).
Applications mobiles, jeux, témoignages sur
les réseaux sociaux de familles ayant visité le
musée… sont autant de canaux de diffusion
utilisés hors les murs, pour faire venir le public
dans les murs.
En France, le musée mémorial des Enfants du
Vél’d’Hiv, à Orléans (45) partage un d’état d’es-
prit comparable [www.cercil.fr]. Le Cercil
(Centre d’étude et de recherche sur les camps
d’internement dans le Loiret), maître d’ouvrage du lieu, y propose une scénographie
adaptée aux jeunes publics. Il relaie son action
mémorielle hors les murs par des animations
dans les établissements scolaires et via des
publications littéraires spécialement dédiées
aux jeunes publics.
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Le musée canadien de la Guerre, à Ottawa, a
un positionnement délibérément grand public.
Il s’intéresse aux “petites histoires au cœur de
la grande histoire”, “présentant les points de
vue de gens ordinaires qui ont vécu la guerre
tant sur les champs de bataille que dans leurs
foyers”. La diversité des points de vue est au
cœur du propos. Les lieux sont aménagés pour
accueillir un public très divers (large gamme
d’outils d’interprétation et supports de médiation faisant appel aux cinq sens dès le plus
jeune âge). Sur le site internet du musée, le jeu
“à l’assault” [www.civilization.ca/cwm/games/
overtop/index_f.shtml] permet de se rendre
compte de la réalité des soldats dans les tranchées de 14-18.
Le centre Juno Beach, à Courseulles-sur-Mer,
créé et géré par une association canadienne,
partage le même état d’esprit. Il est l’un des
seuls sites en Normandie où la scénographie
et les supports d’interprétation sont adaptés
aux jeunes publics. Deux jeunes Canadiens (un
garçon et une fille) accompagnent la visite des
plus jeunes dans la scénographie et sur un livret.
La vie quotidienne des civils et les faits militaires y sont abordés. Adultes et enfants parcourent les espaces ensemble, ce qui favorise
les échanges intergénérationnels.
En France, cette tendance est en marche. En
témoignent, par exemple, le parcours de visite
“les animaux dans la Grande Guerre”, spécialement adapté aux groupes scolaires, du
musée de la Grande Guerre à Meaux, et les
visites guidées sur le thème “l’enfant dans la
guerre” de l’exposition “En guerres” du château des ducs de Bretagne à Nantes.
Pour capter de nouveaux publics, français
et étrangers, le tourisme de mémoire en France
doit s’adapter. Les parents d’aujourd’hui, détachés des événements, ne peuvent plus s’improviser médiateurs de la mémoire de la
Deuxième Guerre mondiale, encore moins de
la Première. Il appartient donc aux sites de
visite de leur donner les clefs de compréhension, d’anticiper les risques de choc des images
ou des mots. Bref de proposer une scénographie et des outils de médiation adaptés.
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© Centre Juno Beach, musée canadien des Plages du Débarquement
CAROLINE UGOLINI HAMELIN
Le centre Juno Beach est l’un des seuls sites
en Normandie où la scénographie
et les supports d’interprétation sont adaptés
aux jeunes publics
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