Philippe Cognée figures en

Transcription

Philippe Cognée figures en
Dossier pédagogique
figures envisagées
Philippe Cognée
Sommaire
Ce dossier a été conçu à destination des enseignants et de tous les accompagnateurs de groupes qui
souhaitent préparer leur visite de l’exposition. Il propose :
Le Radar, Espace d’art actuel Page 4
BiographiesPage 5
Extrait du texte du commissaire pour le catalogue Page 6
Le temps de l’impressionnisme,Pages 7-23
Philippe Cognée, restitution d’impressions
Les œuvres présentées dans l’exposition Pages 24-25
Visuels disponiblesPages 26-28
Philippe Cognée, figures envisagées
Commissariat de Philippe Piguet
Exposition visible du 11 juin au 18 septembre 2016
Au Radar, Espace d’art actuel
Dans le cadre du festival Normandie Impressionniste
Vernissage le samedi 11 juin 2016 au Radar à 14h30
En présence de l’artiste et du commissaire
Le Radar, Espace d’art actuel
Parking du Violet de Bayeux
24 rue des Cuisiniers 14 400 Bayeux
Tel: 02 31 92 78 19
www.le-radar.fr
Contact presse et visuels : [email protected]
Justine Richard
Horaires d’ouverture de septembre à juin :
Du mardi au dimanche de 14h30 à 18h30
Le samedi de 14h à 19h
Horaires d’ouverture d’été en juillet et août :
Tous les jours de 14h à 19h
Entrée libre
Le Radar, Espace d’art actuel
Depuis 2007, Le RADAR développe, à Bayeux, une politique de diffusion de la création contemporaine.
Dans cet espace en perpétuel mouvement, les visiteurs peuvent découvrir tout au long de l’année des
expositions et des événements culturels. Le lieu offre également un accès différent et plus intime à l’art
contemporain grâce à son artothèque. Le Radar présente une programmation composée d’artistes
confirmés et de jeunes plasticiens de talent. L’objectif est de faire découvrir aux visiteurs la diversité des
pratiques contemporaines au travers d’expositions qualitatives, insolites et audacieuses.
Actions culturelles et médiation
Le Radar, Espace d’art actuel, conçoit des rencontres à l’attention de tous les publics. Il propose des
visites pensées spéciquement pour les scolaires et les groupes, favorisant un apprentissage du regard
et une appropriation des œuvres par le visiteur. Lieu d’échange et d’expérience, le Radar met en place
des visites actives qui expérimentent de nouveaux formats de médiation. Ces temps d’échanges font du
visiteur le moteur de sa propre découverte et de son appropriation des œuvres d’art.
VISITES ACTIVES
pour les groupes scolaires toute l’année
Réservations au 02-31-92-78-19
ou par mail à [email protected]
Le Radar, Espace d’art actuel
Parking du Violet de Bayeux
24 rue des Cuisiniers 14 400 Bayeux
Tel: 02 31 92 78 19
www.le-radar.fr
Horaires d’ouverture de septembre à juin :
Du mardi au dimanche de 14h30 à 18h30
Le samedi de 14h à 19h
Horaires d’ouverture d’été en juillet et août :
Tous les jours de 14h à 19h
Entrée libre
Biographies
Philippe Cognée
Né en 1957 à Nantes, Philippe Cognée revient dans sa ville natale dans les années 70 après avoir passé
son enfance au Bénin. En 1982, Il y obtient le diplôme de l’école des Beaux-Arts. C’est également aux
Beaux-Arts d’Angers qu’il débute en 1989, une carrière d’enseignant, qu’il prolonge aux Beaux-Arts de
Paris. En 1990, il devient Lauréat de la Villa Médicis puis obtient le prix de Rome en 1991 avant d’être
nominé au prix Marcel Duchamp en 2004. Aujourd’hui, Philippe Cognée expose en France et à l’étranger
et s’impose notamment par l’innovation des techniques picturales qui lui sont propres.
Philippe Piguet
Critique d’art et commissaire d’expositions indépendant, directeur artistique de Drawing Now Paris, le
Salon du dessin contemporain, chargé de la programmation de la Chapelle de la Visitation de Thononles-Bains (74), Philippe Piguet collabore régulièrement aux revues L’Oeil et (Art Absolument). Auteur
de nombreux textes de catalogues, d’ouvrages sur l’art impressionniste et contemporain et de films
sur l’art, il enseigne l’histoire de l’art à l’ICART depuis 1986 et développe une importante activité de
conférences.
Philippe Cognée, portrait de peinture
Extrait du texte de Philippe Piguet
pour le catalogue de l’exposition
- « Saisi de face, plein cadre sur son visage jusqu’à barrer la ligne de son front, les épaules dénudées,
les oreilles écartées, les yeux exorbités, le regard perdu, Philippe Cognée ne s’épargne pas lui-même.
D’ailleurs, il n’épargne personne et l’image qu’il nous donne ici n’est ni plus, ni moins vraisemblable que
celle de cet autre autoportrait où il s’est peint le cou tendu, la tête relevée en arrière, dans un floutage
interdisant toute lisibilité. Qu’il s’en prenne à lui-même, à une figure amie ou à un inconnu, le peintre
appréhende son modèle non tel qu’il le voit mais tel qu’il le perçoit au travers du filtre exclusif de la
peinture et à l’unique appui d’une image photographique.
Au travail du portrait, Philippe Cognée adopte les mêmes principes, use des mêmes protocoles et vise
les mêmes fins que lorsqu’il traite n’importe quel autre sujet. Quel que soit le médium qu’il emploie,
l’image finale procède toujours d’un écrasement, sinon d’un effacement dont la force, voire la violence
est en quête d’une essentialité. Rien n’intéresse moins l’artiste que la question de la ressemblance et
son art se garde bien de tout souci de représentation. En revanche, il est tout entier dévolu à la question
de la présence. La metexis contre la mimesis, en quelque sorte. Un art de l’être-là contre un art de
l’apparence.
Le portrait est l’un des genres majeurs de l’histoire de l’art. Longtemps considéré comme « l’image
d’une personne faite à l’aide de quelqu’un des arts du dessin » (cf. Le Littré), donc de la peinture, il est
préférable de ne pas chercher à vouloir le définir d’une formule globale, valable pour tous les temps et
pour tous les styles. En effet, suivant la civilisation et le contexte dans lesquels il s’insère, le portrait
remplit des fonctions qui diffèrent en même temps que sa nature se modifie suivant l’usage qui en est
fait et la destination qui lui est dévolue. S’il fut un temps où les concepts de fidélité et de ressemblance
constituaient les canons obligés de toute pratique artistique, l’époque moderne les a largement infirmés
par une conception qui prend ses distances par rapport au motif traité. En écho à la fameuse formule
de Maurice Denis , on pourrait dire que le sujet n’est jamais que le prétexte du tableau – le pré-texte,
donc ce qui est avant le texte - et que la peinture en est le texte, dans ce rapport sémantique avec l’idée
de texture, de matière, voire de chair.
Pour ce qu’il relève de l’absorption du sujet dans la matière picturale, le travail de Philippe Cognée
affiche clairement son objectif : atteindre une forme de dissolution du réel. A propos de portrait,
l’artiste ne cache d’ailleurs pas sa détermination : « Il ne faut pas que ce soit trop réaliste. Si c’est trop
ressemblant, ce n’est pas bien. » Tout est dit et le résultat est là, sous nos yeux, dans la surprise de toute
une galerie de portraits aux visages souvent projetés en gros plan, présentant en surface toutes sortes
d’ecchymoses, de tuméfactions, de perclusions ou de trouées. Toute une galerie de portraits qui jouent
de brillances et de matités, de fonds clairs et de fonds bouchés, de face-à-face immédiats et d’angles
de vue distordus offrant à la peinture l’occasion d’une déclinaison sans fin de figures incarnées comme
autant de présences troubles. »
Le temps de l’impressionnisme,
Philippe Cognée, restitution d’impressions
Ce dossier pédagogique est réalisé dans le cadre
de l’exposition de Philippe Cognée, figures envisagées visible lors du festival Normandie Impressionniste.
Il apparaît donc incontournable de lier cette période importante de l’histoire de l’art avec la pratique contemporaine de l’artiste Nantais.
Plus que la rétrospective d’un mouvement et de
l’œuvre du peintre, ce support réalise des ponts,
tire des fils. Il croise le passé et le présent, met en
lumière les dissemblances et les ressemblances
dans un jeu de zoom et de dé-zoom permanent.
Véritable loupe grossissante, le document ci-dessous, décortique pour une approche globale, un
mouvement majeur de l’histoire de l’art ainsi que
le processus de création, d’un artiste essentiel de
notre temps.
Monet
Autoportrait, 1917
Philippe Cognée
Autoportrait,
Histoire de
l’impressionnisme
On évalue aujourd’hui bien mieux le contexte, institutionnel, social, économique, dans lequel s’inscrit l’impressionnisme. Quant à l’impressionnisme
stricto sensu, il se limite à une vingtaine d’années,
de 1867, date à laquelle Bazille réfléchit à l’organisation d’une exposition en marge du Salon officiel, et 1886, date de la dernière manifestation
du groupe en tant que tel. C’est en effet sous le
Second Empire que les membres du groupe se
sont réunis, dans un cadre institutionnel qu’ils ont
cherché à intégrer avant de le combattre de l’extérieur et, pour certains, de tenter de le réinvestir
de nouveau.
Fantin-Latour
Un atelier aux Batignolles, 1870
Huile sur toile
2,04 x 2, 73 m
Avec Otto Scholderer, Manet, Renoir, Zacharie
Astruc, Emile Zola, Edmond Maitre, Bazille, Monet.
Ce système académique, hérité pour l’essentiel
de l’Ancien Régime, déterminait en grande partie la carrière des artistes et n’était alors remis
en cause par personne — surtout pas par les artistes eux-mêmes. Il reposait, en ce qui concerne
la peinture, sur le primat du sujet, et l’importance
du « genre » dans l’appréciation d’une œuvre. Dans
ce cadre, la peinture d’histoire, illustrant aussi bien
la mythologie, les textes saints ou littéraires que
l’histoire proprement dite, était jugée bien supérieure au paysage, à la nature morte ou au portrait.
Les rares marchands de peintures contemporaines ne jouaient pas, comme de nos jours, un
rôle de découvreurs. Il n’existait pas, ou presque,
d’expositions indépendantes. D’où la situation de
monopole du Salon.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les débuts
des impressionnistes. La plupart, après de solides
études classiques, suivirent une formation ou un
commencement de formation académique. Certains en avaient réellement ressenti le besoin, mais
pour d’autres, ces études leur ont été imposées
par des parents soucieux de voir leur enfant suivre
une voie « sérieuse » pour débuter dans une carrière qui l’apparaissait beaucoup moins.
Que les futurs impressionnistes aient suivi un
enseignement traditionnel ne veut pas dire qu’ils
l’aient accepté sans réticences. Tous abandonnèrent assez vite les ateliers « officiels » pour se
former en autodidactes, dans les académies «
libres ». Elles étaient nommées ainsi parce qu’elles
ne dépendaient pas de l’École des Beaux-Arts, et
surtout par leur travail sur le motif, en particulier
dans les environs de Paris. La peinture de paysage
allait devenir, pour beaucoup, un moyen d’expression privilégié.
L’une des caractéristiques majeures de l’impressionnisme reste cependant la représentation, sans
aucune idéalisation, de la vie moderne, c’est-à-dire
de la ville, et en particulier de Paris : Monet, Renoir
exécutent quelques vues de la capitale, Sisley, Pissarro, d’autres de ses environs.
Il faut par ailleurs souligner la dimension collective
du travail mené jusque vers 1875 par les membres
du groupe. Celui-ci est né, petit à petit, de rencontres, puis de séances communes, de discussions aussi, dans des ateliers parfois partagés, ou
dans les cafés du quartier des Batignolles. C’est
ainsi que le Guerbois, la Nouvelle Athènes devinrent le point de ralliement de jeunes peintres
désireux de s’imposer aux critiques, de conquérir
un public, de convaincre des amateurs.
Pour cela, on l’a dit, un seul moyen : le Salon. Ce
qui signifie « toile à faire », grand format imposé,
sujet ambitieux et caractéristique, tels : Le Déjeuner sur l’herbe de Manet en 1863 ou les Femmes
au jardin de Monet, vers 1866-1867. Premier obstacle, donc, le jury. Certains le franchiront sans encombre, comme Degas, Monet ou Renoir, d’autres
n’y arriveront pas, comme Cézanne.
Cézanne
Montagne Sainte Victoire, 1885
58 x 72 cm
Certes, ils n’ont pas été les premiers à peindre en
plein air, ni même à vouloir rendre sur leur toile un
moment fugitif. Mais ils ont su profiter des possibilités offertes par le progrès technique : du chemin de fer, qui leur permettait de parcourir facilement les environs de Paris jusqu’à la Normandie, à
la peinture en tube, qui leur facilita le travail sur le
terrain. Monet, Bazille, Renoir, Sisley suivirent ainsi,
en forêt de Fontainebleau, les traces d’autres novateurs qui commençaient enfin à trouver le succès :
les peintres dits de Barbizon, au premier rang desquels on pouvait trouver, Théodore Rousseau ou
Jean-François Millet.
Claude Monet
Femmes au jardin, 1866
Huile sur toile
255 × 205 cm
Second obstacle : celui des visiteurs et des critiques. Là commencent les vraies difficultés. On
aurait pourtant tort de croire que tous les tableaux
de ceux qui ne sont pas encore les impressionnistes ont été rejetés avec violence. Le premier
envoi de Monet, deux Marines, reçut ainsi, en 1865,
un accueil favorable, comme, en 1866, le grand
portrait de sa femme, Camille à la robe verte. Mais
la plupart de leurs œuvres suscitèrent au mieux
des encouragements, au pire de l’indifférence.
Monet,
Camille à la robe verte, 1866
Huile sur toile,
231 x 151 cm
A l’initiative de Pissarro fut créée, à la fin de 1873,
une Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs, graveurs, qui se fixait trois buts principaux : l’organisation d’expositions libres, la vente
d’œuvres d’art et la fondation, puis la publication
rapide, d’un périodique artistique. La rupture, dans
les statuts et dans une organisation très démocratique, avec les principes du Salon, était évidente.
Aussi Degas, imposa-t-il à ses camarades l’inclusion de peintres ou de sculpteurs plus « sages » ou
plus « établis » pour ne pas se couper du monde
de l’art, que l’on cherchait après tout non pas à
détruire, mais à pénétrer.
La première exposition eut lieu dans l’ancien atelier
du photographe Nadar, boulevard des Capucines,
en plein cœur du Paris haussmannien. Elle ouvrit
pour un mois, le 15 avril 1874, quinze jours avant le
Salon officiel. Elle présentait comme lui deux cents
œuvres de tous genres et de toutes techniques
: peintures, sculptures, dessins, gravures. L’écho
fut considérable dans la presse, les avis partagés, mais l’audace de l’initiative et les qualités des
œuvres présentées reconnues. On s’attacha en
particulier à souligner leur « relâché », leur aspect
esquissé, comme s’il s’agissait d’études préparatoires plus que de tableaux terminés au regard
des canons traditionnels. La touche juxtaposée de
couleurs pures ne fut pas systématiquement employée par les membres du groupe. En revanche
tous lorsqu’ils l’utilisaient, la laissait plus ou moins
apparente, dédaignant de donner à leurs toiles, le
« fini » lisse si important dans la peinture académique. En 1877, Cézanne, provocateur, ira jusqu’à
intituler une de ses peintures, dans le livret, Les
Baigneurs : étude, projet de tableau.
Cézanne,
Les Baigneuses, études, projet de tableau 1877
45,5 x 55 cm
Ce fut bien l’un des principaux éléments de rupture,
celui qui fit vraiment scandale. Le tableau de
Monet, Impression, soleil levant, exécuté en 1872,
fut ainsi pris à partie par le critique Louis Leroy
dans Le Charivari : « Impression, j’en étais sûr. Je
me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit
y avoir de l’impression là-dedans. Et quelle liberté,
quelle aisance dans la facture ! Le papier peint à
l’état embryonnaire est encore plus fait que cette
marine-là ! »
« Impressionniste », le mot était né. Sobriquet à
l’origine, il fut très vite revendiqué par Monet et ses
amis, même si les autres expositions du groupe ne
l’utilisèrent qu’exceptionnellement. Quant à la critique, aussi bien favorable qu’hostile, elle ne l’employa par la suite qu’en concurrence avec d’autres
dénominations tout aussi révélatrices, « indépendants », « intransigeants », « révoltés », et l’usage
ne s’en imposa donc que très progressivement.
Tous les éléments du débat qui va scinder la critique sont alors en place : nouveauté des sujets,
le paysage prenant une place prépondérante et la
peinture d’histoire laissant la place à la représentation de la vie moderne. Nouveauté formelle avec
la question du fini mais aussi celle de l’emploi d’une
gamme très colorée, à une époque où les teintes
sombres avaient la faveur de nombreux amateurs.
Monet
Impression, soleil levant, 1872
48 x 63 cm
C’est que les impressionnistes manifestaient un
intérêt tout particulier pour les effets de la lumière sur différents sujets à certaines heures de
la journée. Peu importait que le sujet soit un arbre,
une pomme ou un être humain. Ils étaient trop
occupés à observer que ce qui était vert le matin pouvait devenir jaune, voire rouge, l’après-midi,
en fonction de l’intensité et de la position du soleil. Les impressionnistes avaient pris conscience
que la couleur était partout. Une ombre n’était
pas seulement grise ; elle pouvait posséder de superbes nuances de violet ou de bleu..
C’est ce que souligne un an plus tard le critique
Philippe Burty, assez bien disposé envers ces tendances novatrices. Il accepte de préfaçer le catalogue d’une vente publique de leurs œuvres organisée par Renoir, Monet, Sisley et Berthe Morisot :
« Combien ces œuvres méritaient plus que l’attention, la sympathie, par le désir d’éveiller le souvenir
de sensations de nature vives et franches, la préférence pour les tons clairs et hardis, la suppression des détails au profit des masses ! Nous avons
fait des réserves et nous les maintenons sur les
rudesses de la touche, le sommaire du dessin, le
précieux de certaines indications ».
Le soutien apporté ne fut pas seulement financier
mais aussi moral, ce qu’on ne saurait sous-estimer tant les impressionnistes eurent à soutenir
une lutte incessante pour s’imposer. C’est que le
groupe fut traversé de tensions parfois très vives,
qui finirent par aboutir à son éclatement.
Manet,, Émile Zola, 1868, 146 x 114 cm
L’arrivée de nouveaux sociétaires a cependant pu
être aussi un facteur de renforcement, comme
celle de Caillebotte en 1877. Mais elle a également entraîné des divisions : Vont être intégrés au
groupe, des peintres plus jeunes et encore plus
audacieux : Gauguin en 1879, Seurat, Signac et
Odilon Redon amenés par Guillaumin en 1886.
Malgré tout, le succès se fait encore attendre. Il y
eut des années difficiles, en particulier autour de
1878-1880 : les amateurs ne se renouvelant pas,
les marchands, en difficulté, achetant moins ou
plus du tout, une partie de la critique se montrant
toujours hostile. Zola, sévère, pouvait ainsi écrire
en 1878 que « tous les impressionnistes sont de
pauvres techniciens » .
La reconnaissance, puis la réussite commerciale
se dessinèrent et s'affirmèrent tout au long des
années 1890. Les étapes en sont bien connues :
la conquête de nouveaux amateurs, en particulier
outre-Atlantique, l'envol parallèle de la cote, et
enfin la consécration officielle par l'entrée dans
les musées français et étrangers. Tous les impressionnistes n'atteignirent pas ces sommets de leur
vivant. Il n'empêche qu'après 1890 ils ne connaissaient plus de difficultés financières et pouvaient
enfin se consacrer en toute liberté à leur travail.
Philippe Cognée, peinture
matière-couleur
Comme chez les impressionnistes la peinture de
Philippe Cognée n’est que matière et couleur. Elle
intervient comme moyen d’expression où la couleur fait office de substance et de lumière, elle est
à la fois matérielle et immatérielle. Chez lui, la couleur introduit des notions d’épaisseur, d’opacité et
de translucidité, de fini et de non fini.
« J’ai besoin de passer du temps par rapport au
sujet que je traite ; il faut que je l’ingère, qu’il se
décante. Il me faut l’intérioriser pour pouvoir lui
donner vie en peinture. (…) J’ai besoin d’un temps
d’incarnation (…) ».
Georges Seurat
Une baignade à Asnières, 1884
Huile sur toile
200 x 300 cm
Il ne faut donc pas sous-estimer la portée subversive que ce soit par le naturalisme des sujets ou
l’audace de la facture de la peinture impressionniste autour de 1910, en un mot sa rupture manifeste avec la tradition établie. Ce n’est qu’après la
disparition de ses derniers représentants « historiques » Degas en 1917, Renoir en 1919, Monet en
1926 que sa place sera définitivement assurée et
enfin reconnue par les instances officielles. Encore subira-t-elle bien des fluctuations, au gré de
son influence, plus ou moins évidente sur l’évolution des arts visuels au XXe siècle, du cubisme à
l’expressionnisme abstrait. Avant d’entrer, après
plus d’un siècle, dans une histoire apaisée.
P. Cognée, Portraits de Y.T., 22014-016
Cette appréhension si particulière du sujet traité,
le réel au sens large tel que le décrit ici l’artiste, est
au cœur du langage pictural qu’il développe depuis
le début des années 90. Philippe Cognée instille à
l’œuvre un état de mutation permanent qui altère
les codes de perception traditionnelle de la réalité. « Chaque fois que je peins, je pense quasiment
en terme d’abstraction, même si ça passe par une
image figurative. Il me faut une mise à distance du
sujet lui même pour être pleinement dans la peinture (…) ».
La mélancolie paraît traverser toute l’œuvre de
Philippe Cognée. Elle s’insinue dans ces objets orphelins de leurs utilisateurs (chaise, frigo…), dans
ces instantanés de vacances, pourtant reflets de
moments de bonheur, dans ces paysages sans
horizon, dans ces HLM aux silhouettes fantomatiques… Elle habite ce monde désert des banlieues
et mégalopoles. La ville : le sujet s’est imposé au
fil du temps et il est devenu en soi, un emblème
de la mélancolie moderne qui s’attache aux alignements trop réguliers des immeubles des cités ou
au sortir des villes, autour des gares… Dans le regard du peintre, on lit moins la puissance des sociétés qui les ont édifiées que la solitude, l’anonymat, la déréliction des hommes qui doivent y vivre.
A l’instar des peintres impressionnistes, Philippe
Cognée par sa touche, matière vibrante par les
stries, les taches, les bavures, les éclats… détruit
pour construire et créer un monde instable, flottant, qui ne cesse de se mouvoir entre des forces
contraires. C’est le présent, évident et énigmatique, lisible et indéchiffrable, qui se consume dans
ses œuvres.
P. Cognée, Portraits de P.P., 2016
& G.F. 2014-2015
L’environnement
impressionniste :
un monde en changement
Repères chronologiques
1769-85 Machines à vapeur de Watt
1784 Puddlage de la fonte [Obtention
de l’acier peu chargé en
carbone]
1792 Gaz d’éclairage (Murdock)
1800 Banque de France
(franc germinal 1803)
1809-1814 Premier bateau à vapeur
première locomotive à vapeur (Stephenson)
1817 Principes de l’économie politique et de l’impôt (Ricardo)
1822-26 Premières photographies (Niepce)
1835-40 Premières machines-outils
automatiques
1839 L’Organisation du travail
(Louis Blanc)
1840 Qu’est-ce que la propriété ?
(Proudhon)
1844 Télégraphe électrique (Morse)
1848 Manifeste du parti communiste (Marx, Engels)
1851 Exposition universelle à Londres (1855, 1867, 1878 : Paris)
1864
Droit de grève en France - création
1869
Ouverture du canal de Suez
1876-90
Mise au point du moteur à explosion
1876
Téléphone de Bell
1979
Premier chemin de fer électrique
(Siemens)
1881
Premières centrales électriques
1884
Autorisation des syndicats en France (loi Waldeck-Rousseau)
1889
Exposition universelle à Paris
(tour Eiffel)
1891
Création de l’Office du Travail
1896
Premier salon de l’automobile
1898
Loi sur les accidents du travail
en France
1900
Exposition universelle de Paris
(gare d’Orsay, métropolitain ...)
1900
Réduction progressive de la journée de travail à dix heures
1908
Débuts de l’introduction du
système Taylor aux usines Renault
1910
Loi sur les premières retraites ouvrières et paysannes
Art et société
La place de l’art dans l’Histoire et ses liens avec
la société repose sur une confrontation entre les
œuvres et l’histoire. L’artiste n’utilise pas seulement l’anecdote, l’événement, le paysage, pour en
rendre compte. Lorsqu’il créait une œuvre d’art, il
s’inscrit dans une recherche personnelle ou collective et dépasse la seule représentation du sujet
choisi. Ce chapitre se concentre sur les œuvres
impressionnistes qui mettent en lumière un phénomène majeur de la période en histoire : l’industrialisation croissante de la France et des autres
pays d’Europe occidentale, ainsi que ses liens avec
les transformations sociales, politiques et culturelles.
Monet, les déchargeurs de charbon, 1875
La première révolution industrielle (fin du XVIIIe
siècle en Grande-Bretagne, première moitié du
XIXe en Europe occidentale) se fonde sur l’exploitation du charbon comme source d’énergie, la métallurgie et le textile comme industries de base. La
seconde, qui se déploie entre 1880 et 1914 environ, s’appuie sur l’énergie électrique, le pétrole, le
moteur à explosion et la production d’acier (sidérurgie). Ces données économiques ne se transforment pas automatiquement en sujets ou en source
d’inspiration pour les artistes ! Même chez les héritiers de l’école réaliste, la représentation du travail industriel reste exceptionnelle. La vie rurale,
les travaux des champs conservent une écrasante
prédominance parmi les thèmes “sociaux”, quelle
que soit la période choisie, ou le courant artistique
en cause. Mais une visite sur le “monde industriel”
n’a toutefois aucune raison de se limiter à la seule
représentation d’ouvriers au travail ou de grandes
usines... Le monde industriel intègre les questions
du logement ouvrier, du travail à domicile, si importantes au siècle dernier, des grandes voies de
communication nécessaires aux échanges, caractéristique primordiale de la révolution industrielle,
des travailleurs, mais aussi des capitaines d’industrie, des banquiers et des “capitalistes”...
Pierre-Auguste Renoir (1841- 1919)
Chalands sur la Seine, 1869
Renoir peignit ce tableau à 28 ans, lorsqu’il était
déjà sorti de l’anonymat, mais qu’il n’avait pas encore reçu la grande consécration officielle. La
Seine est son véritable sujet. “Fleuve national”, elle
a acquis au XVIIIe le statut d’élément essentiel du
paysage contemporain français. Les impressionnistes représentèrent avec prédilection les paysages humanisés : champs, cultures, rivières et
coteaux modérés, tels que pouvait les découvrir
dans sa marche un promeneur.
Le tableau est tout entier consacré au thème du
passage : le courant de la rivière, la voie ferrée, le
pont, le train lui-même représentent le mouvement, qui se déploie dans l’espace, mais aussi le
temps qui s’écoule et le changement d’époques.
Monet
Le pont du chemin de fer
à Argenteuil,
vers 1873-1874
Renoir
Chalands sur la Seine, 1869
Le paysage impressionniste s’intéresse aux liaisons et aux voies de communication qui donnent
l’image d’une France dynamique, marquée par l’essor commercial et industriel du second Empire.
Claude Monet (1840-1926) :
Le pont du chemin de fer
à Argenteuil,
vers 1873-1874
Deux éléments fondamentaux de l’industrialisation
de la France apparaissent ici : le pont et le chemin
de fer. Ils dominent le reste du paysage comme le
regard du spectateur. Le train ne semble pas avancer très vite si on en juge par le sens de la fumée
contraire au sens de marche de la locomotive. La
représentation du chemin de fer est ancienne chez
Monet : encore l’aborde-t-il prudemment, privilégiant les wagons pittoresques aux formes traditionnelles, au détriment de la locomotive, plus
moderne, évoquée par la fumée de sa cheminée
(Un train dans la campagne) : c’est également le
cas dans cette toile, alors que le pont occupe tout
l’espace.
Claude Monet
La gare Saint-Lazare, 1877
Comme Manet ou Caillebotte, Monet s’intéresse
aux paysages ferroviaires, cherchant à exprimer “la poésie des gares” (Zola, Salon de 1877). Il
peint onze vues différentes des quais de la gare
Saint-Lazare, qu’il connaît bien puisqu’il partage
sa vie entre Argenteuil et Paris et se rend souvent en Normandie. Ce tableau représente l’ancienne partie de la gare, construite en 1841-1843
et couverte d’une nouvelle charpente métallique
en 1855, inaugurée officiellement en 1867 à l’occasion de l’Exposition universelle. Mais le souci de
Monet est évidemment plus vaste : il donne une
vision optimiste et presque enjouée de l’industrialisation, avec l’harmonie bleue et rose des fumées
de locomotive. Il opère également une synthèse
entre deux tendances de l’impressionnisme : le
paysage et la vie moderne.
Monet La gare Saint-Lazare, 1877
Philippe Cognée, portrait de
son environnement
Réalisation de tableaux tremblotant et lumineux.
Philippe Cognée présente des maisons, un sujet
anodin comme il les aime. Quoi de plus commun
que cette maison blanche à Saint-Denis, près de
Paris. Plus le sujet est banal, plus c’est la technique
picturale qui fait l’œuvre. Et dans le cas de Philippe
Cognée, la technique est primordiale. Première
étape, il capture une vue de Google Street View
ou prend une photo de la rue. Deuxième étape, il
projette l’image sur une toile. Troisième étape, il
réalise un dessin à partir de la projection et parfois sur la photographie elle-même. Quatrième
étape, il mélange pigments de couleurs et cire,
puis il chauffe le tout. Cinquième étape, il place un
film plastique Rhodoid sur le tableau et va chercher son fer à repasser. Il repasse sa toile comme
on repasserait une chemise, en fondant la cire il
déforme les contours. Finalement, il décolle la
feuille plastique pour découvrir l’œuvre, si l’alchimie picturale a raté, il doit tout recommencer. Le
résultat, grâce à la cire fondue, donne des formes
moins lisibles ; obligeant l’observateur à parcourir
une partie du chemin figuratif. Ce flou, cette peinture du tremblement de terre est la spécificité de
Philippe Cognée.
L’artiste introduit dans son répertoire dès 1995,
des containers et cabanes de chantier dans une
série qu’il nomme « Proliférations ». Techniquement l’écrasement du dessin répond à la fonte
forcée de la peinture. La composition au crayon
graphite et fusain, sur fond épais d’acrylique
blanche encore humide, est pressée sous un rouleau que l’artiste passe à la surface. Les morceaux
de fusain éclatent, le trait se fragmente. On devine
aisément la composition photographique initiale
: un container, cadré au plus près, isolé dans un
paysage privé d’horizon. Ce sujet banal apparemment neutre, d’une frontalité que ne renieraient
pas Bernd et Hilla Becher, bouche l’espace. Si la
sphère industrielle est effectivement convoquée,
son traitement met cependant en péril toute neutralité. Par l’emploi du fusain, le container paraît
calciné dès son report sur le papier. La désagrégation du trait, dans un flou brumeux et sombre assouplit les lignes de construction de l’objet figuré.
Est-ce là un container ou le vestige d’un temple
antique ? Confusion chronologique d’un temps
qui n’est pas arrêté. Le monument vibre, s ‘ébroue,
son inquiétant contenu vrombit sourdement des
grains du fusain. La méthode de Cognée relève
d’un équilibre entre destruction et construction ;
le brouillage de l’image en convoquant immédiatement une autre. Absorbé par le fond de l’acrylique, le sujet se renouvelle simultanément à sa
surface. Il est souvenir, un souvenir façonné par
l’érosion de l’oubli. Ainsi, plus qu’un container flou,
plus qu’un souvenir de container, Philippe Cognée
rejoue, voire représente le processus même de la
mémoire.
P. Cognée, Saint-Denis, 2012
Ces formes fantomatiques, parlent de notre
monde contemporain. Pour le conservateur du
musée de Grenoble : « C’est une œuvre mélancolique ». Qu’il travaille sur une barre d’immeuble,
une cabane, l’artiste propose toujours un regard
distancié qui interroge l’observateur sur la fragilité de toute chose sur cette terre. Pour l’artiste
même lorsqu’il réalise ces façades de maisons ce
sont des « portraits » . Elles ont eu un passé, une
histoire, une vie…
Les bâtiments tremblotants de Philippe Cogné
sont sensibles, d’autant que ce technicien-peintre
et vice versa, irradie ses toiles, d’une lumière
blanche qui semble venue d’ailleurs.
Cognée, Cabane de chantier, 1996.
Lorsque l’artiste fait fondre la matière, il produit le
flou qui invite le spectateur à un regard plus lent
et plus perçant de l’œuvre. Avec cette technique,
la matière est répandue, comme arrachée du sujet
donné à voir. Le spectateur est forcé de constater
que «repasser», c’est aussi bien : évoquer, remémorer mais aussi faire passer de nouveau, rendre lisse
et net, enfin donner l’aspect voulu... Par analogie, il
s’agit bien de tout cela chez Philippe Cognée. Les
images peintes proviennent de photographies ou
de captations de vidéo qu’il a faites au préalable.
Ce sont des souvenirs. Ici il faut faire passer de
nouveau quelque chose : repeignant la vision photographique, il redonne à voir, mieux voir ou voir
autrement. Il lisse également : repassant avec le
fer chaud l’encaustique, il écrase la matière. Inversion ici d’un geste : la matière est plus lisse, mais
le sujet devient plus flou. Philippe Cognée repasse
donc tout : des containers, des immeubles, des
foules de gens, des bibliothèques, des chaises. Il
repasse, lisse et produit des évocations du monde,
il les donne de nouveau à lire. En somme, c’est une
peinture ménagère que propose l’artiste. Celle-ci
n’arrange pas la vision, mais lui donne une certaine
forme. Celle de l’aspect qu’a choisi le peintre.
« Philippe Cognée, en véritable anthropologue,
s’est dès le début évertué à associer l’homme
à son paysage et aux lieux qu’il habite » rappelle
l’éditeur et critique d’art Djamel Meskache. Dans
cette nouvelle série, l’artiste réinterprète en toute
liberté le thème du portrait : confrontant figure
humaine et architecture, il dresse le portrait du
familier. A partir de promenades virtuelles sur
Google Street View, Philippe Cognée transforme
des façades anonymes et pixelisées en paysages
poétiques.
P. Cognée, Sao Paulo, 2013
P. Cognée, Supermarché, 2005
Pour l’artiste, ses «portraits de maisons» sont
réalisés sous la «contrainte» de l’outil «google
street». Si l’artiste avait été présent sur place, il
aurait été de biais, se serait probablement reculé
afin de trouver un angle de vue intéressant. Cela
implique d’utiliser des images avec des points de
vue pré-enregistrés, standardisés. Ici, l’artiste
est obligé d’avoir un point de vue unique. L’image
est frontale, elle est toujours prise à peu près à la
même distance.
Le portrait
Qui dit portrait dit spontanément photographie,
et même le plus souvent photo d’identité au format réduit. Par ailleurs, tenter de dessiner le portrait d’un ami, d’un parent ou de soi-même est
une activité connue de l’enfant, depuis l’école.
Ces exemples de portraits permettent d’emblée
de percevoir deux caractéristiques, apparemment
contradictoires, du genre : la ressemblance purement morphologique qui permet d’identifier le
modèle et la fonction symbolique de ce type de
représentation.
Cependant, toute représentation de figure humaine ne peut être considérée comme un portrait.
Lorsque le titre de l’œuvre précise “portrait de” ou
énonce de manière directe des éléments de l’identité de la ou des personnes figurées, aucune ambiguïté ne subsiste. A l’opposé, certains types de
représentation de personnages comme l’allégorie
ou le symbole (la Mort, la Justice, l’Abondance...) ne
doivent pas être confondues avec le genre du portrait. Mais il existe des cas plus complexes : il arrive
qu’un personnage peint sur un tableau, sans que le
titre fasse mention de son identité, soit néanmoins
identifiable : on peut considérer alors qu’il y a portrait inséré dans un sujet plus vaste, par exemple
une composition historique. Mais l’œuvre n’appartient pas alors au genre du portrait.
Petit historique du genre du portrait
L’art funéraire égyptien comporte d’importants
ensembles de figures individualisées, qu’il s’agisse
du défunt lui-même ou des personnages qui l’accompagnent dans les scènes diverses qui sont
représentées. Le portrait, dans cette conception
religieuse de l’art, a pour fonction de fixer l’image
du disparu pour lui permettre de continuer à vivre
dans l’au-delà.
La civilisation romaine, si elle continue d’illustrer
ce lien entre la mort et le portrait (présent sur les
sarcophages et les cénotaphes), introduit aussi un
usage plus banal du portrait. Avec par exemple, les
bustes sculptés présents dans les demeures privées. Ils assurent alors la postérité des principaux
hommes publics.
Néfertiti
XIV siècle av. J-C
Delacroix, La liberté guidant le peuple, 1830
Huile sur toile, 200 x 300 cm
Un portrait est-il nécessairement ressemblant ?
On le pense spontanément, mais toute l’histoire
du portrait montre que s’opposent deux conceptions, que l’on pourrait appeler pour simplifier la
tendance réaliste (qui veut le portrait le plus fidèle
possible à son modèle) et la tendance idéaliste
(qui ennoblit, voire transcende le modèle) ; elles
s’exercent selon de multiples degrés.
Durant le Moyen Âge chrétien, le statut du portrait pose à nouveau des problèmes de rapport
au sacré. Il est considéré avec la méfiance que lui
influencent les religions iconoclastes orientales. .
Comme pour conjurer les dangers potentiels, l’effigie de l’homme vivant réapparaît dans l’art par
le biais des représentations religieuses. Les papes
introduisent leur propre représentation à côté de
celles des saints qui accompagnent le Christ ou
la Vierge dans les décors de mosaïque du Haut
Moyen Âge.
Puis, des laïcs même apparaissent sur les fresques
ou les retables par le truchement de leur fonction
de donateurs. L’œuvre que l’on considère comme
le premier portrait individuel à part entière est celui de Jean le Bon, qui fut roi de France de 1350 à
1364. L’œuvre, un petit panneau de bois conservé
au musée du Louvre, représente la tête du roi de
profil, sur un fond neutre, sans aucun attribut ni
accessoire.
Puis le portrait connaît au XVe siècle un véritable
essor. Flamands, Vénitiens, Florentins du Quattrocento infléchissent le genre chacun selon sa
sensibilité : portraits intimes de personnages saisis dans leur cadre quotidien comme les époux
Arnolfini de Van Eyck (1434) ou portraits en pied
de nobles cavaliers représentés dans toute leur
gloire sur des fonds de paysages toscans.
Des catégories différentes du genre du portrait se
codifient donc peu à peu, le rigide portrait d’apparat n’ayant que peu à voir avec les formules beaucoup plus libres qui s’épanouissent avec l’avènement du portrait psychologique au XVIIIe siècle.
Ainsi l’ensemble des accessoires se trouve négligé
au profit d’un rendu rapide ou fouillé, désinvolte ou
patient, de la tête seule du modèle, dans une technique qui bien souvent rompt avec l’esthétique du
“bien fini”. C’est un prélude au portrait romantique,
qui quête chez son modèle le sentiment intime, la
personnalité vraie, le moi caché.
George Romney, Lady Hamilton en Circé,
vers 1782, 396 x 430 cm
Jean le Bon, Roi de France
de 1350 à 1364.
60 x 45 cm
Le portrait de cour se développe aux XVIe et XVIIe
siècles ; de plus en plus nombreux sont les commanditaires, courtisans mais aussi personnages
désireux de reconnaissance sociale, issus de la
noblesse de robe et de la grande bourgeoisie, qui
constituent la clientèle de peintres qui se spécialisent dans ce genre. Contre l’abâtardissement
qui le menace, une nouvelle catégorie apparaît :
celle du portrait allégorique ou mythologique, qui
élève le modèle jusqu’aux plus hautes sphères de
la peinture d’histoire. C’est à cette époque et dans
ce contexte qu’est définie par le théoricien de l’art
Félibien la hiérarchie des genres (1667), qui renvoie
le portrait après les représentations de sujets issus de la Bible ou de l’histoire ancienne (peinture
d’histoire), ainsi qu’après celles de sujets de la vie
quotidienne (scène de genre).
Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, alors
que la photographie est une technique et un art
naissant, le genre du portrait est particulièrement
florissant dans la peinture et dans la sculpture. La
bourgeoisie, à la fois acteur et bénéficiaire de la
révolution industrielle, accède au pouvoir d’achat
qui lui permet de devenir commanditaire. A défaut
d’une galerie de portraits d’ancêtres dans un château, les habitants des appartements haussmanniens ou des hôtels de province décorent leurs
pièces de réception du portrait de leur épouse, de
leur famille ; ils réservent leur buste en marbre ou
en pierre à un jardin d’hiver ou à un vestibule. S’ils
ne peuvent se référer à une lignée prestigieuse du
passé, ils ont au moins ainsi le sentiment de laisser
à la postérité l’image de leur réussite. Plus tard,
l’album des photos commémorant les moments
essentiels de la vie familiale - mariage, baptêmes...
, remplira un rôle similaire, entraînant moins de
frais et moins d’encombrement.
Le régime républicain, accroissant le nombre des
acteurs de la vie politique, multiplie aussi ses figures tutélaires : le culte du “grand homme” se
fonde et s’illustre par des portraits peints, et surtout sculptés, qui envahissent l’espace public,
en particulier l’environnement urbain. Les commandes de la Troisième République sont honorées
par les artistes de style éclectique, puis naturalistes qui forment le courant majeur de l’art officiel. En regard, on pourrait croire que les impressionnistes apparaissent comme peu concernés
par le genre du portrait : l’abandon du dessin, le
rejet de la primauté de la forme pourraient empêcher l’individu identifié et reconnaissable de trouver sa place. Certes, les impressionnistes sont
plus souvent paysagistes que portraitistes. Néanmoins, pour des raisons diverses, notamment l’apparition de la photographie, ils apporteront tous
leur contribution à l’évolution du genre. Celui-ci
sera profondément marqué par Degas, Cézanne,
Van Gogh et Gauguin.
Le portrait
chez Philippe Cognée
Pour l’exposition figures envisagées, Philippe Cognée a décidé de proposer des portraits d’enfants
au soleil, saisis comme sur le vif, à une heure qui
semble si particulière, où le soleil encore chaud
est déjà lourd de sa journée bien entamée. Ces
portraits de famille ne sont pas sans rappeler les
scènes des bords de mer peintes par Monet ou
Boudin. Dans les deux cas, on retrouve cette idée
de corps tout tremblés de l’excitation d’un bain de
stimuli.
P.Cognée, Guillaume et Philippe, 1997
Monet, Plage à Trouville 1870
L’artiste articule ses quelques toiles plus anciennes avec des portraits d’amis. Ceux-ci
sont venus tout exprès s’asseoir sous l’œil attentif du peintre. Ces proches jettent en retour
sur le spectateur, un regard qui transperce.
Les portraits de la sphère intime du peintre
tiennent essentiellement par leur regard. Il
semble que seules leurs pupilles ne soient pas
embarquées dans la tempête des éclatements
et le tourbillon de la peinture.
Si l’œil des amis est mis à nu, comme en
sur-présence, l’œil du peintre s’enfonce dans
ses autoportraits. Telle la cavité des orifices
d’un crâne, c’est un trou noir ouvert sur la profondeur de la chair. Philippe Cognée pense le
rapport à la toile à la fois comme destruction
et comme construction ; détruire pour faire
surgir un nouvel ordre et dissoudre ce qu’il y a
de trop figé par la matière chaude.
P. Cognée, SM., 2014-2016
P. Cognée, M.C. 2014-2016
Philippe Cognée – « Mon rapport à l’exercice du
portrait est en effet une constante depuis les années 1990. C’est souvent à des moments charnières de l’évolution du travail, dans les temps de
crise de la création, que j’aborde ce sujet. Cette
thématique ressurgit donc périodiquement. Mon
approche du motif a cependant peu évolué avec le
temps… Cela ira simplement du désir de demander
aux proches de poser dans une certaine attitude,
pour en tirer un portait expressif, exprimant le caractère caché du sujet, jusqu’à vouloir en pousser
l’image aux limites de sa disparition par l’action de
l’effacement. Cet effacement, ou plutôt cette dissolution plus ou moins forte dans le fond du tableau, est une façon de rendre toute sa fragilité à
l’individu représenté et à l’homme en général. C’est
aussi une volonté de dire que ce n’est qu’une image
peinte et que la peinture est à mes yeux plus forte
que la représentation. Chez les grands peintres,
l’écriture domine toujours la figure. C’est évident
chez Rembrant, chez Vélasquez, chez Manet. C’est
d’ailleurs l’admiration que j’ai pour ces grandes figures de l’histoire de l’art qui m’entraîne dans ce
jeu de citations. Je me permets de reprendre et
de maltraiter certains portraits car cette pratique
répond à la volonté de m’approprier un peu plus la
puissance de ces «œuvres».
Photographie & peinture impressionniste
Un peu avant l’impressionnisme, en 1839, le peintre
Paul Delaroche déclarait : “ A partir d’aujourd’hui,
la peinture est morte ” en découvrant les premiers
daguerréotypes. Dès le début de sa rapide évolution, la question se posait de savoir si la photographie accéderait un jour au statut d’art majeur alors
que la peinture elle, tomberait progressivement
dans l’oubli, rendue inutile par sa concurrente. La
relation qui s’établit entre ces deux techniques fut
immédiate, qu’elle les positionne en complices ou
en rivales. Les portraits au daguerréotype furent
rapidement prisés par la bourgeoisie, considérés
plus objectifs, meilleur marché et surtout plus
modernes que leur homologue peint.
La photographie, en générant un répertoire de
formes inédites, a institué de nouveaux modèles
créatifs. Certains peintres préféraient garder secrète cette étape du cliché photographique préalable à l’élaboration de leur toile afin de conférer
une part de mystère au processus de création. Les
peintres commencèrent aussi à se constituer des
répertoires d’images photographiques dans le but
de documenter leur peinture. Ils usèrent aussi de
cette nouvelle technique afin de reproduire leur
tableau par le biais de la photo, et ainsi, gardèrent
une trace de leurs œuvres.
Daguerre, incendie du théâtre Diorama, vers 1850
D’ailleurs les premiers photographes furent souvent des peintres reconvertis, rompus à l’art du
portrait, qui accomplirent donc naturellement
dans leur composition les règles académiques inhérentes au portrait. Très rapidement les artistes
peintres perçoivent l’utilité de la photographie
pour leur art et l’adoptent de façon variée. Les
daguerréotypes par exemple, devinrent des outils techniques pour le peintre, qui, au lieu de sortir de son atelier pour reproduire un paysage avec
toutes les contraintes matérielles que cela pouvaient comporter, se contentait de rester à l’atelier afin de peindre d’après cette reproduction qu’il
avait entre les mains. Le tirage photographique
simplifiera aussi la tâche du modèle vivant en s’y
substituant parfois, le délivrant des contraintes de
la pose. Les modèles qui posaient pour les peintres
devinrent les modèles des photographes. On peut
d’ailleurs trouver des analogies entres les canons
photographiques de cette époque et ceux de la
peinture.
Eugène Durieu, Nu féminin assis sur un divan, la tête soutenue par un bras, planche XXIX de l’Album Durieu, papier salé
verni d’après négatif papier, 14×9.5cm
Et Delacroix, Odalisque, 1857, huile sur bois, 35.5×30.5cm,
collection particulière
Il est donc naturel que la photographie, parmi les
autres inventions de la révolution industrielle, ait
largement influencé les impressionnistes. La photographie en noir et blanc permettait non seulement d'immortaliser une scène afin de l'étudier ultérieurement, mais également de la saisir sur le vif.
La plupart des impressionnistes possédaient des
appareils photo. Monet en avait quatre et Degas a
pu manipuler l'un des premiers modèles portatifs
de Kodak.
Philippe Cognée : passage
de la documentation au fer à
repasser
Leur art s'est inspiré des compositions singulières,
fortuites et asymétriques parfois fixées par l'appareil photo. Les impressionnistes n'étaient pas
choqués par le fait de couper un personnage sur
le bord d'un tableau ou de repousser l'action dans
les angles en laissant le centre de la toile vide. Degas était un habitué des compositions excentrées.
Il s'intéressait également au cinématographe, qui
venait d'être inventé.
Dans un monde où les informations se multiplient,
Philippe Cognée, en artiste de son temps, collectionne les images qui par la suite lui serviront à
réaliser ses œuvres. Cela peut être des photographies de famille, des images trouvées sur le web
mais aussi des captures d’images de films afin de
constituer une banque de données.
Après les prises de vue ou la recherche d’images,
l’artiste effectue un travail de cadrage, de découpage et de collage. Cette étape d’esquisse, qui
se fait le plus souvent avant la réalisation de la
peinture sur la toile, peut aussi se continuer à la
fin du travail, lorsqu’il réalise des polyptyques et
décide de modifier l’emplacement des différents
panneaux. Avec l’artiste, l’image peinte nous renvoyant constamment à son image source
Degas, Femme avec chrysanthèmes 1865
En prenant plusieurs photos d'objets animés à des
vitesses d'obturation élevées, il a pu parfaire son
étude du mouvement et de la gestuelle. Degas
qualifiait la photographie d' "image d'une instantanéité magique”. Monet avait remarqué qu'avec des
vitesses d'obturation lentes, les personnages en
mouvement étaient flous. Fort de ce constat, il a
commencé à estomper les contours de ses personnages afin d'obtenir cet effet. À l'œil nu, ces
personnages n'ont pas l'air flou et l'un des premiers critiques a eu beau jeu de comparer des promeneurs d'un tableau de Monet à des “coups de
langue noire”. Le lien avec la photographie est souvent passé inaperçu, même pour ceux qui louaient
la capacité de l'artiste à saisir cette “instantanéité
du mouvement”.
2 visuels du même portrait mais avec différences.
Philippe Cognée travaille ses sujets sous différentes formes et interroge notre perception du
motif, ici celui du portrait. On retrouve ainsi une
série de portraits identiques vus sous des angles
différents, autour du personnage, des perspectives légèrement modifiées, ou au contraire l’absence de perspective. Le traitement de la chair
est également sensiblement évolutif, soit sur un
même portrait, par le biais de la retouche ou bien
d’un portrait à l’autre au sein d’une même série. Le
visage se délie alors pour ne devenir qu’un amas
de peau écrasé sous le fer. Face aux peintures,
le spectateur vit des expériences sensibles d’une
grande variété. Par le jeu des formats, il peut avoir
une relation de proximité voire d’intimité avec la
galerie de portraits. Il peut même se sentir cerné
par le sujet.
Les œuvres visibles
Thomas, 1996
Encaustique sur toile marouflée sur bois
83 x 122,5 cm
Autoportrait « tête de clown », 2002-2014
Encaustique sur toile marouflée sur bois
39,5x 34,5 cm
Philippe et Sandrine, 1997
Encaustique sur toile marouflée sur bois
110 x 165 cm
Profile, 2005-2014
Encaustique sur toile marouflée sur bois
40 x 40 cm
Guillaume et Philippe, 1997
Encaustique sur toile marouflée sur bois
103 x 98 cm
Profile, 2005-2014
Encaustique sur toile marouflée sur bois
29 x 26,5 cm
Guillaume, 1997
Encaustique sur toile marouflée sur bois
61 x 91 cm
P.D., 2005-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
42,5 x36 cm
Autoportrait, 2001
Encaustique sur toile marouflée sur bois
30 x 30 cm
PH.D., 2006-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
89 x 130 cm
Autoportrait, 2001
Encaustique sur toile marouflée sur bois
30 x 30 cm
Autoportrait, 2013
Encaustique sur toile marouflée sur bois
41 x 33 cm
A.G., 2001
Encaustique sur toile marouflée sur bois
64,5 x 54 cm
F., 2014-2015
Encaustique sur papier
69 x 64 cm
Mérouan, 2001
Encaustique sur toile marouflée sur bois
79 x60 cm
G.T., 2014-2015
Encaustique sur papier
71,5 x 63
A.A., 2001-2014
Encaustique sur toile marouflée sur bois
60 x 49 cm
G.LR., 2014-2015
Encaustique sur toile marouflée sur bois
130 x 97 cm
Autoportrait, 2002
Encaustique sur toile marouflée sur bois
100 x 81 cm
G.F., 2014-2015
Encaustique sur toile marouflée sur bois
69 x 64 cm
Guillaume, 2006
Encaustique sur toile marouflée sur bois
73 x 60 cm
Olivier, 2014-2015
Encaustique sur papier
58 x 47,5 cm
J.M., 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
38 x 46 cm
D.T., 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
50 x 40 cm
F.I., 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
40 x 50 cm
S.M., 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
43 x 65 cm
Y.T., 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
43 x 65 cm
Autoportrait, 2015-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
46 x 38 cm
G.LR., 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
46 x 38 cm
Autoportrait, 2015-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
41 x 33 cm
M.D., 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
50 x 40 cm
Ph.P., 2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
41 x 33 cm
J.R., 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
50 x 40 cm
G.D., 2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
50 x 50 cm
Autoportrait, 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
55,5 x 65 cm
M.C., 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
65 x 92 cm
Autoportrait, 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
80 x 70 cm
S.B., 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
97 x 116 cm
Portrait sans nom, 2014-2016
Encaustique sur toile marouflée sur bois
110 x 58 cm
Les visuels
A.G.,2001
Encaustique sur toile marouflée sur
bois
30 x 30 cm
Autoportrait, 2013
Encaustique sur toile marouflée sur bois
41 x 33 cm
Thomas, 1996
Encaustique sur toile marouflée sur bois
83 x 122,5 cm

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