L`obligation de soins comme alternative à la peine

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L`obligation de soins comme alternative à la peine
L’obligationdesoins
commealternativeàlapeine
Dominique BEYNIER
Professeur de sociologie, Centre d’étude et de recherche
sur les risques et les vulnérabilités (CERReV),
université de Caen-Basse-Normandie
I. – PRÉSENTATION DE L’ENQUÊTE
II. – PETIT HISTORIQUE
III. – LES SPIP
IV. – PRÉSENTATION DES TRAVAUX D’INTÉRÊT GÉNÉRAL (TIG)
V. – PETIT HISTORIQUE DE L’OBLIGATION DE SOINS
VI. – LA CONDUITE SOUS L’EMPIRE D’UN ÉTAT ALCOOLIQUE
VII. – CRITIQUE DE L’OBLIGATION DE SOINS
VIII. – UNE MISE A DISTANCE DE LA CONTRAINTE
I. – PRÉSENTATION DE L’ENQUÊTE
Ce qui est présenté ici correspond à une partie d’un travail plus ample effectué
pour l’ANPAA 14 1 qui visait à mesurer, chez les personnes qui ont suivi un stage
comme alternative à une peine, la perception qu’elles ont des transformations
qui se sont produites dans leurs schèmes de représentations.Il s’agit d’un travail
de réponse à une commande 2. Pour dégager ces représentations ont été ren-
1. ANPAA 14, déclinaison calvadosienne de l’Association nationale de prévention en alcoologie et
addictologie.
2. La réponse à cette commande a été effectuée en 2009, au département IUP Management du
social et de la santé de l’IAE de l’université de Caen-Basse-Normandie, dans le cadre d’une épreuve
obligatoire de la formation d’étudiants de formation continue préparant le diplôme d’État d’ingénierie sociale.
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SOMMAIRE
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contrées, dans le cadre d’entretiens semi-directifs, quinze personnes soumises à
l’obligation de suivre un stage organisé par l’ANPAA 14 dans le cadre d’une
convention avec le SPIP 3. Les personnes ont été interviewées trois fois : avant le
début du stage, juste après et entre un et deux mois plus tard. Des grilles d’entretien relativement ouvertes ont été construites pour chacun de ces moments,
puis les entretiens ont été réalisés par des étudiants du diplôme d’État d’ingénierie sociale (DEIS).
Le travail présenté dans cette intervention est l’exploitation des réponses obtenues à quelques questions de la grille d’entretien administrées lors des interviews réalisées lors de la première vague de l’enquête. Quinze entretiens ont été
nécessaires avant d’observer une redondance de l’information telle que nous
puissions penser que la méthode utilisée avait atteint ses limites.
II. – PETIT HISTORIQUE
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Avec la Révolution de 1789, l’enfermement devient la peine type. Mais, sous la
double influence des médecins qui repensent la folie, et des philanthropes qui
reprochent à la prison son caractère criminogène, l’enfermement apparaît de
moins en moins comme la façon de changer le délinquant. En 1885 est créée la
libération conditionnelle, qui permet la sortie anticipée des détenus ayant donné
des gages de bonne conduite. Pour encadrer et aider ces libérés d’un nouveau
genre, sont alors institués des comités de patronage animés par des militants
issus des mouvements caritatifs. Le 26 mars 1891, la loi Béranger fait entrer dans
l’arsenal répressif le sursis simple qui évite l’incarcération pour les petits délits
commis par des délinquants primaires. Cette mesure, qui s’est perpétuée jusqu’en 1958, était une forme d’acquittement avant l’exécution complète de la
peine, visant à éviter les effets potentiellement néfastes d’une incarcération :
perte du lien social, rencontre avec des délinquants plus affirmés. Elle ne s’adressait qu’à un petit nombre de condamnés et a souvent été aménagée. Elle est
aujourd’hui régie par les articles 132-25 et 132-27 du Code pénal. Elle s’applique
désormais à un plus grand nombre. Elle est structurée de manière plus formelle
et se décline maintenant suivant trois modalités : le sursis simple, le sursis avec
mise à l’épreuve et le sursis assorti de travaux d’intérêt général.
Les évolutions récentes des textes sont, pour une grande partie, la conséquence
de la Seconde Guerre mondiale qui a vu l’incarcération des résistants suivie de
celle des collaborateurs. L’enfermement successif de ces deux populations a fait
émerger un certain malaise parmi le personnel pénitentiaire. Nommé le 30 septembre 1944 directeur de l’Administration pénitentiaire et des services de l’éducation surveillée, Paul Amor 4, qui a lui-même été emprisonné pendant la guerre,
se lance dans une grande réforme de l’institution carcérale. Son mandat se ter-
3. Service pénitentiaire d’insertion et de probation.
4. 1901-1984.
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mine le 24 septembre 1947. Pendant cette courte période, il instaure un régime
de peine progressif et fait entrer les éducateurs dans les établissements pénitentiaires. Avec les magistrats qui l’entourent, il promeut l’idée que la prison doit
constituer un facteur d’amendement des condamnés et non un seul moyen de
punition. Pour ce faire, il préconise l’individualisation dans l’exécution des peines.
Le délinquant doit être d’abord traité socialement, psychologiquement, médicalement, le cas échéant d’un point de vue psychiatrique, et il doit être formé tant
scolairement que professionnellement. Sa prise en charge en milieu ouvert est
préférable à son incarcération. Malgré l’échec relatif de ses préconisations, l’esprit
de réforme s’est prolongé.
Dans le même temps, les comités de probation et d’assistance aux libérés remplacent, en se professionnalisant, les comités de patronage. Ils se dotent de personnels nouveaux : éducateurs de justice formés par l’Administration pénitentiaire et assistantes sociales.
Cette évolution a débouché, en 1999, sur la création des services pénitentiaires
d’insertion et de probation (SPIP). Crées par le décret n° 99-276 modifiant le
Code de procédure pénale, les SPIP sont des services déconcentrés de l’Administration pénitentiaire dirigés par un directeur placé sous l’autorité du directeur
régional des services pénitentiaires. Ce décret du 13 avril 1999 a créé un SPIP
dans chaque département. Sa mission principale est de faciliter l’accès aux droits
et aux dispositifs d’insertion aux personnes qui lui sont confiées . Les SPIP regroupent désormais deux services qui, dans l’Administration pénitentiaire, étaient
auparavant en charge de l’insertion et qui, jusqu’alors, étaient répartis suivant un
découpage hors les murs/dans les murs. D’une part, les services intervenant en
milieu ouvert en direction des personnes condamnées libres (comité de probation et d’assistance aux libérés), et, d’autre part, ceux qui, en milieu fermé, en
détention, prennent en charge les détenus (service socio-éducatifs des établissements pénitentiaires).
La création des SPIP fait suite à un rapport de 1993 émanant de l’Inspection
générale des services judiciaires qui soulignait les divers bouleversements auxquels les services d’insertion de l’Administration pénitentiaire avaient été
confrontés durant les années précédentes : l’aggravation très nette de la situation économique et sociale des publics suivis ; la diversification des mesures du
milieu ouvert, avec notamment la création du travail d’intérêt général institué par
la loi du 10 juin 1983 et mise en œuvre en 1984 ; la transformation des
méthodes de suivi des personnes confiées, le transfert des compétences en
matière d’aide sociale au département lié aux premières lois de décentralisation ;
l’augmentation importante des interventions des comités de probation et d’assistance aux libérés ; l’augmentation de la population carcérale qui engorge les
lieux de détention et le surcroît de travail pour les services socio-éducatifs.
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III. – LES SPIP
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IV. – PRÉSENTATION DES TRAVAUX D’INTÉRÊT GÉNÉRAL
(TIG)
Le droit français prévoit le prononcé du TIG sous deux formes.
Il s’agit d’abord du TIG, peine principale prononçable pour les délits punis d’une
peine d’emprisonnement. Il ne peut se cumuler avec une peine d’emprisonnement, une peine d’amende, une peine de jours-amende ou une peine privative
ou restrictive de droits. Il ne peut être prononcé qu’en présence du condamné
et avec son accord. Sa durée est de quarante à deux cent quarante heures et son
délai d’exécution est au maximum de dix-huit mois.
La seconde forme de prononcé du TIG est le sursis TIG, qui ne peut assortir une
peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans. La condamnation est considérée
comme non avenue à l’expiration du délai d’exécution ou à la date d’accomplissement total du TIG. La présence du condamné est nécessaire, la fourchette
et le délai d’exécution sont les mêmes que pour le TIG simple.
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Dans sa première version, la personne condamnée à une peine d’intérêt général doit effectuer un travail au sein d’une association, d’une collectivité ou d’un
établissement public, au service de l’État, d’une région, d’un hôpital... La peine
est prononcée soit à titre de peine complémentaire pour les contraventions de
cinquième classe, soit à titre de peine alternative lorsqu’une peine d’emprisonnement est encourue, soit à titre de mise à l’épreuve dans le cadre d’une peine
d’emprisonnement avec sursis. La personne qui doit effectuer un TIG, si elle se
dérobe à ses obligations, peut être condamnée pour non-exécution du travail
d’intérêt général, le sursis peut être révoqué si la peine en était assortie.
Dans sa seconde version, le sursis avec mise à l’épreuve est également une peine
alternative à l’emprisonnement. Il dure de dix-huit à trente-six mois. Cette durée
est fixée impérativement par le tribunal. Depuis la loi du 10 juillet 1989 elle ne
peut être inférieure à dix-huit mois ni supérieure à trois ans. L’exécution du sursis avec mise à l’épreuve est soumise au contrôle du juge d’application des peines
(JAP). La personne condamnée doit répondre à deux types d’obligations : cinq
sont générales et imposées à tous les condamnés à cette peine ; quatorze sont
particulières et notifiées par le juge lors du jugement. Seules sont à respecter
celles qui, parmi ces quatorze, sont imposées par le juge lors du jugement. Elles
peuvent être modifiées par le JAP. Parmi elles figure l’obligation de soins qui
consiste pour un condamné à se soumettre à des mesures d’examen médical, de
traitement ou de soins, même sous le régime de l’hospitalisation 5. Les personnes
condamnées pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique sont souvent soumises à cette obligation particulière de soins.
5. Article 132-45 du Code pénal.
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V. – PETIT HISTORIQUE DE L’OBLIGATION DE SOINS
Cette loi ne fut quasiment pas appliquée. En revanche, elle a introduit l’idée,
dès 1954, qu’un individu peut se voir imposer un traitement s’il semble dangereux pour autrui du fait de sa consommation alcoolique. C’est à cette époque,
parallèlement à l’évolution de la réforme pénitentiaire que, d’une part, se développe une réflexion sur la prise en charge de la délinquance en milieu ouvert,
c’est-à-dire en dehors du milieu carcéral, et que, d’autre part, émerge la notion
de peines alternatives à l’emprisonnement. Quatre ans après, en 1958, le sursis
avec mise à l’épreuve est mis en place en même tant qu’est institutionnalisé, par
le Code de procédure pénale, le juge d’application des peines. En 1970, la loi sur
les toxicomanies place l’usager sous la surveillance de l’autorité sanitaire et définit les différents moments du processus pénal où le magistrat peut décider d’une
alternative sanitaire.
Pendant cette même période, le sursis avec mise à l’épreuve a été modifié à plusieurs reprises par diverses lois jusqu’en 1989.
Ce processus à la fois de réforme de l’Administration pénitentiaire et d’évolution du cadre juridique va aboutir, dans la loi du 27 juin 1990, à la possibilité
qu’un alcoolique dangereux soit pris en charge dans un cadre contraignant.
Mais l’obligation de soins n’est pas le seul cadre dans lequel la justice peut
contraindre à un traitement médical. Il existe d’autres soins imposés par la justice que l’on regroupe sous le terme de soins pénalement obligés. Ils comportent
l’obligation de soins, l’injonction thérapeutique et le suivi socio-judiciaire qui
peut comprendre une injonction de soins. Ces trois volets des soins pénalement
obligés se différencient les uns des autres par leur durée, le moment où ils interviennent et les individus à qui ils s’adressent.
L’obligation de soins, dans l’article 132-45, alinéa 3, du nouveau Code pénal, est
définie comme : L’obligation de se soumettre à des mesures de contrôle de traitement
ou de soins, même sous le régime de l’hospitalisation. Elle intervient après le jugement.
L’injonction thérapeutique, elle, intervient en amont de la partie judiciaire en
alternative aux poursuites pénales, elle aboutit la plupart du temps à un classement de l’affaire si l’injonction thérapeutique a été effective. Elle est souvent uti197
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Le premier texte définissant l’obligation de soins est le décret du 1er avril 1952
relatif à la réforme de la libération conditionnelle. Le 15 avril 1954, la loi dite de
Landry-Cordonnier, loi sur le traitement des alcooliques dangereux pour autrui, est
votée. Elle comprend deux volets. Le premier, prophylaxie et cure, prévoit que
tout alcoolique dangereux pour autrui soit placé sous la surveillance de l’autorité sanitaire. Le second définit des mesures de défense qui consistent à faire que
toute personne présumée auteur d’un crime ou d’un délit ou accident sous l’empire de l’alcool, peut être soumise à des vérifications médicales et biologiques
pour établir la preuve de la présence d’alcool dans son organisme.
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lisée dans les problèmes de toxicomanie. Dans ce cas, le procureur de la République peut enjoindre aux personnes ayant fait un usage illicite de stupéfiants de
subir une cure de désintoxication ou de se placer sous surveillance médicale.
Le suivi socio-judiciaire, quant à lui, est défini par la loi du 17 juin 1998 relative
à la prévention et à la répression des infractions sexuelles. Il ne concerne pas les
personnes condamnées pour des conduites addictives. Ce soin pénalement
obligé intervient également après le jugement. Sa durée peut être de dix à vingt
ans, dix ans en cas de condamnation délictuelle, vingt ans en cas de condamnation criminelle.
VI. – LA CONDUITE SOUS L’EMPIRE
D’UN ÉTAT ALCOOLIQUE
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Toute personne prise à conduire sous l’empire d’un état alcoolique est susceptible de passer devant un tribunal correctionnel. Le plus souvent, elle est
condamnée non pas à une peine d’emprisonnement ferme, mais à une peine
alternative à l’emprisonnement : soit un travail d’intérêt général, soit un sursis
avec mise à l’épreuve. Dans la plupart des cas, ces deux peines sont assorties
d’une obligation de soins. Cette personne se voit donc dans l’obligation de se
soigner sans qu’elle puisse donner son avis.
Elle se voit notifier par le juge d’application des peines ses obligations lors d’un premier entretien. Le juge lui explique le sens de la sanction et la justifie. Il peut soit
l’obliger à se soigner de façon immédiate et, dans ce cas, il peut, dès le premier
contact avec la personne, prendre un rendez-vous pour elle dans un centre de cure
ambulatoire en alcoologie ou dans une structure médicale ; soit tenter peu à peu
d’amener le probationnaire vers le soin jusqu’à ce qu’il l’accepte. Pendant ce
temps, la personne peut, dans le cadre de son obligation de soins, consulter un
médecin généraliste ou un spécialiste ou une structure de soins (centre médicopsychologique ou de cure ambulatoire en alcoologie). La personne a la possibilité de choisir qui intervient pour le soin. Ce délai de latence, entre la première rencontre et l’entrée dans le soin, peut voir sa durée négociée, mais doit
obligatoirement déboucher sur la mise en place d’un processus de soin. Dans le
cas où la démarche n’aboutit pas, le magistrat est amené à demander au tribunal
la révocation totale ou partielle du sursis pour non-respect de l’obligation de soins.
Dans certains cas, il existe une convention avec un centre de cure ambulatoire
en alcoologie. Cette convention comporte l’obligation d’une première consultation dans le centre de cure ambulatoire en alcoologie. Au terme de cette première rencontre, le probationnaire peut décider d’être suivi par la suite au centre
de cure ambulatoire en alcoologie ou par un autre thérapeute.
Quelle que soit l’option retenue par la personne, des sanctions sont prévues en
cas de non-respect de l’obligation de soins. Celle-ci peut théoriquement se transformer rapidement en incarcération. D’une manière générale la personne ne
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revoit pas le juge d’application des peines sauf en cas de difficultés majeures ou
de non-respect des obligations. Elle est suivie et accompagnée par un intervenant du SPIP (conseiller d’insertion et de probation, assistante sociale…) qui vérifie si elle respecte bien les obligations. Il l’aide également à réfléchir sur le sens
de sa peine, le soutient dans sa démarche pour une réinsertion sociale.
Le contenu de ce qui se passe entre la personne et le thérapeute n’a pas à être
connu par le travailleur social ni par le juge. Seule l’existence de rencontres relève
de leur droit de contrôle.
VII. – CRITIQUE DE L’OBLIGATION DE SOINS
L’importance de ces relations dans le processus thérapeutique a été longuement
analysée par Talcott Parsons 6 qui en fait un des éléments moteurs de la guérison. Compte tenu de l’étiologie sociale des maladies qui prévaut pour Parsons,
cette relation de subordination médecin-malade, par son pouvoir organisateur
sur les exemptions et obligations du malade, le met à l’écart des sollicitations
contradictoires dont il est l’objet et lui permet ainsi, en le soustrayant à la pression sociale, de cheminer sur la route de la guérison. Pour Talcott Parsons, en
1951 7, mais dont les thèses aujourd’hui contestées pour leur conservatisme, et
ce bien qu’elles aient ouvert le champ d’une approche sociologique de la santé,
être malade est un rôle social qui résulte d’une action motivée.
Pour expliquer cette motivation, Talcott Parsons qui, au bout du compte, ne
s’intéresse pas à la santé ni à la maladie, mais qui cherche à construire un système, élabore, suivant les moments de son œuvre, l’idée que nos actions s’effectuent sous la pression de trois ou quatre instances symboliques qui nous poussent à agir. Prenons sa construction comportant trois instances symboliques : la
culture, la société, la personnalité. La première comprend l’ensemble des exigences des grands principes qui fondent notre civilisation : l’égalité de droit
entre les hommes, un homme une voix, la laïcité, la liberté d’expression… la
deuxième, les principes du vivre ensemble qui se sont pour la plupart codifiés
dans des textes hiérarchisés en fonction de leur portée : Code pénal, Code du
travail, Code de l’urbanisme, règlements de copropriété, contrats commerciaux,
6. Talcott PARSONS, Éléments pour une sociologie de l’action, librairie Plon, 1954, trad. et introd.
François BOURRICAUD.
7. ID., The Social System, Glencoe, Ill, Free Press, 1951, chap. VIII.
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Obligation et soins sont deux termes dont l’appariement ne va pas de soi. L’obligation de soins perturbe le schéma classique de construction de la relation médecin-malade-maladie. Cette proximité de l’obligation et du soin modifie la possibilité de cheminer vers la guérison en n’abstrayant pas le malade du conflit dans
lequel il vit, mais, au contraire, en le maintenant par une double injonction :
celle du médecin et celle du juge.
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mais aussi règles de bonne conduite même non écrites… enfin, la troisième,
selon laquelle la personnalité recouvre la manière dont tout un chacun a intégré
les attentes des deux autres instances : voler est interdit, mais on peut voler son
patron car ce n’est qu’un juste retour des choses quand on se sent exploité et
sous-payé ; il est poli d’être à l’heure, mais cinq minutes de retard ce n’est pas
grave ; la fidélité est attendue dans le mariage, mais… Tout se passe au mieux
pour les individus quand les attentes de ces trois instance nous motivent dans le
même sens, mais il arrive quelque fois que leurs attentes conjointes nous poussent à hue et à dia et que les contradictions soient telles que nous ne puissions
plus entreprendre quoi que ce soit. La société, par l’instance symbolique parsonienne, a imaginé des rôles sociaux déviants qui apparaissent comme des solutions pour réguler ces situations.
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L’un d’entre eux, qui nous intéresse plus particulièrement, est celui de malade.
Être malade est un statut social 8, il est régi par un système d’exemptions et
d’obligations. Parmi les premières sont, par ordre, l’exemption de la responsabilité d’être malade, de devoir accomplir les rôles sociaux habituellement dévolus. Pour les obligations c’est : guérir, avoir recours à une personne reconnue
socialement apte à nous aider à cheminer sur la voix de la guérison, se conformer aux prescriptions du praticien ou tradi-praticien 9. Dans ce rôle social de
malade, les personnes voient toutes leurs activités orientées, pour ne pas dire
dictées, par les prescriptions des soignants : quand elles doivent faire telles ou
telles choses, qui elles peuvent voir, ce qu’elles peuvent ou doivent ingérer, en
quelle quantité… Les sociétés ont vu le danger de domination sans contrôle
auquel sont exposés les malades dans cette situation et, pour limiter les risques
d’une contrainte sans limite, elles ont mis en place des codes de déontologie ou
des systèmes de tabous. Les rapports des malades avec les praticiens ou les tradipraticiens sont donc codés, encadrés, tout ce qu’ils demandent aux personnes
qu’ils soignent est orienté vers la guérison. Les exigences n’ont qu’une seule
8. Talcott PARSONS, « The illness and the physician : a sociological perspective », communication à
la réunion annuelle de l’université de Harvard, publiée in American Journal of Orthopsychiatry, 1954,
New York, Éd. Edmund Gordon, trad. fr. D. BEYNIER et D. LE GALL, in « Le médical et la santé »,
numéro spécial des Cahiers de la recherche sur le travail social, 1er sem. 1984 (trad. et public. autorisées par l’American Journal of Orthopsychiatry).
9. Dans nos sociétés développées, il s’agit la plupart du temps du médecin qui exempte de travailler, mais aussi d’effectuer d’autres tâches de la vie quotidienne. Cela peut s’accompagner de
contrôle de l’emploi du temps à travers les limitations de sorties. Quelquefois, dans 5 à 10 % des
cas, les personnes malades bas-normandes ont recours à des tradi-praticiens comme les rebouteux,
les toucheurs ou souffleurs, les sorciers. Ces trois types de tradi-praticiens correspondent à trois
conceptions du soin et de la société. Dans la première les tradi-praticiens se réfèrent à une conception du corps qui n’est pas celle de la médecine scientifique, mais de savoirs basés sur la tradition
et l’expérience qui font l’objet d’une transmission par imitation, apprentissage, enseignement. La
seconde, les toucheurs et les souffleurs, s’ancre dans des sociétés structurées sur la filiation, la
capacité de soigner est un don hérité, transmis suivant des schémas de filiation plus ou moins
complexes. La troisième suppose une extériorité sociale que le tradi-praticien est capable de mobiliser pour faire soit le bien : soigner par exemple, soit le mal : provoquer la maladie ou le malheur,
soit les deux.
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finalité : favoriser la guérison, elles sont univoques, les attentes des trois instances
symboliques sont mises à distance, l’individu n’est plus soumis à des injonctions
contradictoires. C’est cette mise à distance, cette limitation de liberté de décision, cette orientation de l’action vers un seul but : guérir, cette non-ambiguïté
relationnelle qui permettent au malade de se ressourcer et de retourner à terme
dans les contradictions de ses rôles sociaux habituels.
Il n’en est pas moins vrai que, à travers l’obligation de soins, une possibilité de
se soigner est offerte à des personnes qui ne l’auraient pas fait autrement. Le
pari est que les personnes soumises à l’obligation de soins puissent surmonter
leur difficulté à investir leurs rôles sociaux de malade dans les soins qui leur sont
proposés. L’autre hypothèse est celle de l’émergence d’un nouveau paradigme
qui renverrait le colloque singulier thérapeute-malade, à une conscientisation, à
une remise en cause autorisant de nouvelles élaborations permettant de rendre
les personnes responsables de leurs actes avec, comme conséquences, une amélioration de leur santé et la mise en place de solutions. Cela rejoindrait l’injonction d’autonomisation qui se fait jour dans les politiques sociales. On ne prend
plus en charge les personnes pour les déficits qu’elles présentent, mais on met
en place des dispositifs transversaux et l’aide apportée aux personnes vise à les
rendre autonomes pour qu’elles puissent s’emparer de ces dispositifs.
Mais ce paradigme est nouveau et si l’obligation de soins peut être une solution
au regard du juge et des citoyens, elle bute sur deux écueils : l’acceptation du
soin n’est l’assurance ni d’un consentement à réellement se soigner, surtout dans
les pathologies alcooliques, ni d’un sens donné pour lui-même et par lui-même
à ce qu’il vit comme une injonction et non comme une opportunité d’autonomisation. C’est ce qu’illustre l’étude des discours des personnes soumises à cette
obligation de soins.
VIII. – UNE MISE A DISTANCE DE LA CONTRAINTE
Les participants aux stages de l’ANPAA 14 présentent une assez grande diversité
d’opinions sur l’obligation qui leur est faite d’entrer dans ce dispositif.
D’une manière générale, la nécessité de participer au stage n’est pas contestée. En
revanche, les raisons qui motivent cette participation vont de l’acceptation pure
et simple d’une obligation au déni que leur présence soit le fait d’une obligation :
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Que devient ce rôle social de malade dans le cadre d’une obligation de soins
qui perturbe la mise à distance des contraintes des instances symboliques définies par Talcott Parsons quand il définit le rôle social du malade ? L’obligation de
soin comme contrainte fait entrer de plain-pied dans le dialogue entre les soignants et les soignés les exigences de l’une des trois instances symboliques : la
société, qui se caractérise par les lois, les codes, les règles et les usages du vivre
ensemble. Le processus de retours vers la santé, qui se caractérise par une mise
à l’écart de toutes exigences autres que celles des praticiens et tradi-praticiens,
ne trouve plus ici ses conditions de réalisation.
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Je le fais parce que je suis obligé et [je] n’ai pas le choix de faire autrement sinon
c’était la prison avec sursis pour moi […].
Personne ne m’a obligé à faire ce stage, on me l’a conseillé en raison de mon passé
de récidiviste, c’est un plus, mais que vous êtes obligé de faire.
Pour autant, cette polarité « obligé »/« pas obligé » n’est pas si claire pour les personnes qui semblent, sur ce point, tenir un double registre de discours du type
« ce n’est pas une obligation, mais c’est une aide qui nous est donnée » :
C’est une obligation… c’est plutôt une aide. Je vois ça plutôt comme une aide.
Pour moi c’est… de me sentir aussi aiguillé, ça me permet de me… de pas me perdre
parce que ces problèmes-là, on est un petit peu perdu aussi.
Pour certains, ce double registre s’exprime à travers une acceptation du fait qu’il
s’agit bien d’une obligation, mais aussi d’une proposition qui leur a été faite et
qu’ils ont acceptée :
[…] la démarche m’a été proposée par la justice et j’ai accepté car je ne voulais pas
me retrouver en prison, vous imaginez les dégâts […].
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Pour d’autres, il s’agit d’un choix rationnel entre une obligation qu’ils ont choisie dans une alternative dont l’autre terme était l’incarcération ou la non-réduction de peine :
C’est la surveillance pénitentiaire qui nous oblige, c’est un choix aussi.
Pour d’autres, enfin, il s’agit d’une obligation qui s’impose à eux et qui, le cas
échéant, les gêne dans leur insertion professionnelle :
Je suis obligé d’être là, à cause de ça, je ne peux pas travailler, trouver du travail. C’est
vraiment une obligation.
Toutes ces personnes sont bien reçues par un juge qui leur a présenté le dispositif, elles ont été dirigées vers le SPIP, qui lui-même leur a proposé comme mode
d’exécution de leur TIG le stage. Ces diverses réactions, qui mettent à distance
le caractère obligatoire de suivre le stage, sont difficiles à concevoir sous un autre
registre que celui d’une élaboration symbolique visant à mettre à distance la
prise en charge judiciaire de leur délit (alcoolisation, violence sous emprise alcoolique, consommation de produits illicites…).
La perception que cette obligation d’effectuer un stage est liée à un TIG n’est pas
uniforme pour les personnes qui n’ont pas commencé le stage. Certains pensent
que le stage est une alternative au TIG :
A la base, je devais faire des travaux d’intérêts généraux. Apparemment, ici, ils vous
prennent à la place des TIG. J’ai fait une cure pour m’enlever l’envie de boire.
Pour d’autres, à l’inverse, le stage est bien ce qui leur permet d’effectuer leur
TIG. Pourtant, ils ne sont pas arrivés en stage selon un principe de volontariat,
mais suite à un rappel que leur obligation d’effectuer leur TIG dans le délai des
dix-huit mois courait depuis un bon bout de temps :
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santé et droit numéro spécial 2010
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L’OBLIGATION DE SOINS COMME ALTERNATIVE A LA PEINE
C’est l’autre coup, c’est vrai qu’on en reparlait avec ma conseillère du SPIP, elle
regarde, elle me dit : « Tiens, vous avez encore vos TIG à faire. » J’y ai dit : « Voilà,
je les ferai, voilà », je me pressais pas trop, quoi […] j’ai dit oui, quoi, mais, bon,
après, pour moi, c’était normal de les faire, j’ai pris soixante heures de TIG, je les fais,
quoi...
Enfin, certains savent très bien que le stage est leur TIG et qu’il s’impose à eux
et que, de ce fait, il a le même caractère obligatoire que leur TIG.
Et le truc… truc que j’ai eu de plus gros, bah c’est le TIG à faire, qu’il faut que je fasse
absolument. Sinon si je le fais pas, les peines qu’ils m’ont données, j’vais les faire quoi
[…] Bah c’était ça, me faire suivre par l’ANPAA 14.
Le stage à l’ANPAA 14 n’a pas été choisi parmi d’autres formes de TIG. Quand
les personnes y arrivent, elles ne sont en rien volontaires ou inscrites dans un
projet soit de réduction, soit d’arrêt de leurs consommations ou de leurs violences et, bien qu’elles rationalisent cette situation, elles savent bien qu’elles sont
là suite à une condamnation et vivent leur situation de soins à travers ce prisme.
L’obligation de soins est ancienne de cinquante ans, elle a changé plusieurs fois
de forme juridique, elle a été aménagée et réaménagée. Pourtant, elle se heurte
à des formes de conception des soins qui, déjà dans les années où elle a été mise
en place, correspondaient à une structuration du soins et des rapports médecinsmalades dont Michel Foucault nous explique qu’elle s’est produite 10 à la toute
fin du XVIIIe siècle et à l’aube du XIXe. Dans sa genèse, l’obligation de soins s’extrait peu à peu du paradigme répressif qui caractérisait l’Administration pénitentiaire jusqu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Pour autant, on le voit
encore aujourd’hui, les évolutions de l’Administration pénitentiaire, qui rejoignent celle des politiques sociales dans leur volonté de responsabilisation et d’autonomisation des individus, se heurtent à des représentations anciennes de ce
que doit être la peine, à des difficultés de mise en place à l’intérieur des prisons
d’une prise en charge digne des détenus. Ces politiques renforcent la difficulté
des personnes à investir ce nouveau rôle social de malade que tente d’imposer
cette obligation de soins dont on peut dire qu’elle n’est pas du soin, mais s’apparente à une injonction à l’autonomie.
10. Michel FOUCAULT, Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, Paris, PUF, 1963.
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CONCLUSION
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