Pierre Cardin, soixante années de futur
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Pierre Cardin, soixante années de futur
AD STARS DE LA DÉCO Pierre Cardin, soixante années de futur 4 Symbole des années 1970 et d’une certaine vision du futur, Pierre Cardin fête cette année soixante ans de création. Retour sur un parcours visionnaire qui excite de nouveau les collectionneurs. Par Patrick Remy 2 Le studio de création 3 5 6 U Photos : Archives Pierre Cardin (4) ; Jérôme Faggiano et Nils Herrmann (3). 1 ne vision d’avant-garde, une obsession du futur rare, une technique de vente irréprochable : Pierre Cardin a assurément marqué son époque, des années 1960 à la fin des années 1970. Né en Italie en 1922, il arrive à Paris en 1945 et devient, après un passage chez Paquin et Schiaparelli, premier tailleur chez Christian Dior. En 1949, il quitte le maître pour monter sa propre entreprise de costumes de théâtre avant de présenter sa première collection en juillet 1953. Le reste appartient à la légende des réussites made in France, avec ses succès et ses aigreurs. Cardin est un monument, en tout cas un des Français les plus connus à l’étranger. Et pas seulement pour sa mode. Car, touche-à-tout, collectionneur invétéré d’antiquités, nostalgique des après-midi qu’il passait chez le père menuisier d’un de ses camarades, il a fait de la décoration un de ses domaines d’activité intense. Créer un monde novateur tourné vers le futur, tel était son credo. Barbarella flirtant avec Boulle… Au départ qualifiées d’« expériences », ses boutiques sont devenues de véritables lieux de création qui marqueront leur époque. Il faut dire que Pierre Cardin a su s’adjoindre les talents de designers tels que Maria Pergay, Serge Manzon, Francesco Bocola, Claude Prevost, François Cante-Pacos, Giacomo Passera, Boris Tabacoff et bien d’autres. Aujourd’hui l’homme s’est quelque peu retiré de la vie publique, le mythe peut prendre le pas sur la légende. Ses formes et matières tant décriées deviennent de purs vintages. L’homme est difficile à cerner car si multiple… Voici quelques clés pour mieux le connaître. 2 � NOVEMBRE 2010 En 1970, il ouvre son studio au sein de l’espace Cardin, sous la direction d’Alain Carré, qui accueille de nombreux jeunes designers, souvent élèves de Jean Prouvé ou de Roger Tallon. Ils y créeront une multitude d’objets griffés Cardin : montres, bijoux, papiers peints, poussettes, stylos, cendriers, briquets, chaises, cuisines, tables et bureaux… Un certain Philippe Starck y passera. Lucile Roybier, qui y travailla de 1976 à 2003, se souvient : « Nous étions entre cinq et sept, cela dépendait des périodes. On était, bien sûr, complètement dépendants de monsieur Cardin, et on était sur plusieurs projets à la fois. C’était très varié ! Au départ, on travaillait beaucoup avec les artisans du faubourg Saint-Antoine ; puis il a ouvert son propre atelier à Saint-Ouen. Nous avions une très grande liberté de création que cela soit dans les formes, matériaux et même dans les budgets. Puis on lui présentait des maquettes, il aimait beaucoup voir les maquettes. Il n’y avait pas d’influence extérieure ! » Les lieux Le design « Quand on aime créer des formes, il est normal qu’un jour ou l’autre on s’intéresse au meuble. Pourquoi admettre, une fois pour toutes, que c’est le domaine des Italiens ? En France, les créateurs ne manquent pas. Encore faut-il leur en donner la possibilité, tout en leur assurant les moyens d’en vivre. Il n’est pas normal qu’à notre époque des artistes de talent crèvent la faim dans l’indifférence générale et que les artisans soient condamnés à reproduire indéfiniment les mêmes modèles de chaises, de lampes, des modèles du siècle passé… » 1. Salon de coiffure. 2. Pierre Cardin devant l’une de ses sculptures, en 1971. 3. Meuble télévision en Plexiglas, Francesco Bocola, 1971-72. 4. Cabinet Coquelicot en bois laqué, 1979-80. 5. Décoration intérieure de Maxim’s à Paris, avec la lampe Éclair et la table de Serge Manzon. 6. Le palais Bulles, dessiné par Antti Lovag en 1975. Il y eut la galerie Évolution, plus de 1 000 m2, ouverte le 18 octobre 1977, au 72 de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, dont il ne reste plus aujourd’hui que les vitrines, vides… Dans la même rue, au 82, face à l’Élysée, Cardin installa un autre espace avec, tout près, rue de Duras, deux autres boutiques, occupées par des « sculptures utilitaires » et des meubles, dont un échiquier, superbe, et quelques œuvres de Serge Manzon ou de Yonel Lebovici. Il y a aussi le légendaire Espace Cardin, qui fut un des lieux de l’avant-garde parisienne et reçoit toujours quelques manifestations. Sans oublier la Résidence, avenue de Marigny, aujourd’hui fermée ; et le fameux palais Bulles de Théoule-sur-Mer, conçu par Antti Lovag et tant photographié, devenu un prestigieux lieu à louer pour réception et pouvant accueillir « 350 personnes en déjeuner ou dîner assis ou 500 personnes en cocktail ». NOVEMBRE 2010 / 3 AD STARS DE LA DÉCO 6 3 1 Pile et face 2 « C’est idiot de placer un meuble contre un mur. Si vous vous asseyez dans un champ, vous ne vous installez pas contre la clôture mais en plein vent. Si mes meubles sont recto verso, c’est pour être vus sous tous les angles. De dos comme de face. » Les licences Cardin est connu pour avoir vendu son nom en licence. Combien ? Le 2 juillet 2009, il précisait à l’AFP que sa griffe en comptait de 500 à 600 dans le monde. On notera, côté déco, des cuisines pour Bruynzeel, des sièges pour Steiner, l’art de la table pour Lafarge, des vases pour Venini, des lampes pour Yamada Shomei, du papier peint pour Toto, du revêtement de sol pour Gerflor, des lavabo, bidet et w-c pour Idéal Standard… Des voitures aussi : une Cadillac limitée à 300 exemplaires – « only a master can create… a masterpiece » disait la publicité –, puis la Cardin pour Sbarro (1975) – la « voiture haute couture ! » – et la Simca 1100. Et même un avion pour Atlantic Aviation Westwind Airlines Division ! 1. Cabinet Manta, bois laqué et bronze, 1977-78. 2. Lampe Éclair, Serge Manzon, vers 1978. 3. Bureau Lèvres et lampe Perspex Ballon, vers 1979. 4. Fauteuil Maxim, édité par Steiner, 1978-79. 5. La boutique Pierre Cardin à Milan en 1969. 6. Cabinet Paysage, vers 1980. 7. Le jet Westind, entièrement dessiné par le studio Pierre Cardin, 1978. 8. Collection Pierre Cardin, 1969. Le dernier mot « Ce que je fais, avec quelques rares couturiers, c’est définir cette mode qui, dans cinquante ans, dans cent ans, permettra de présenter la civilisation de 1970. » P.R. 3 7 Les matières Photos : Jérôme Faggiano et Nils Herrmann (5) ; Yoshi Takata (2) ; Archives Pierre Cardin (2). Éditions limitées Éclipse, Diamant, Éventail, Insecte, New York, paravent Nuage, étagère Araignée, cabinets Coquelicot et Manta, bureau Lèvres, lampe Arbre de vie… plus de 200 modèles sont répertoriés sous ces noms évocateurs. Ils se partagent entre la ligne prêt-à-porter (« meubles utilitaires ») ou les créations sous licence ; et la ligne haute couture avec des éditions limitées à moins de dix exemplaires. Cette dernière comprend même le plus souvent des prototypes uniques, car Pierre Cardin ayant horreur de vendre ses meubles, il affichait des prix très élevés pour dissuader les éventuels clients... 4 5 4 � NOVEMBRE 2010 Un choix très large de matériaux. Il y a tout d’abord la laque ( jusqu’à huit couches !), comme « une peau qui donne envie d’être touchée », longtemps fabriquée dans l’usine de Saint-Ouen, fermée depuis pour… pollution. Et, bien sûr, le plastique. Qui, une fois passé de mode, sera remplacé par le bois – macassar, wengé, olivier, ébène, Tinéo du Chili… On y trouve aussi l’Altuglas découpé au laser, l’acier « métal de satin », le caoutchouc et le tissu utilisés en gaine ou en housse zippée, comme un habillage du mobilier – rappel du métier premier du créateur. Sans oublier de luxueuses extravagances comme le sofa Tortue réalisé par Maria Pergay qui réunit 34 carapaces de tortues des Seychelles avec doublure de cuir. Les formes sont organiques (« Ce sont des meubles faits de cellules organiques qui, agglomérées les unes aux autres, forment une nouvelle ligne ») : bustes, fentes, crêtes, vulves… 8 La cote Dans le doute, un signe distinctif : la signature, présente sur tous ses objets et meubles, marquée en très gros sur le côté ou plus discrètement au fond d’un tiroir. Ses meubles sont recherchés, d’autant qu’on en trouve peu, Cardin ayant peu vendu ses créations. Le site américain www.1stdibs.com en répertorie souvent chez les antiquaires européens ou américains. Il faut compter 1 580 à 2 300 € pour une lampe ou une table basse, 4 700 € pour un buffet, 9 400 € pour un ensemble de tables et chaises. À lire Pierre Cardin, Évolution, de Benjamin Loyauté, 65 €, éd. Flammarion. Pierre Cardin, 60 ans de création, de Jean-Pascal Hesse, 65 €, éd. Assouline. À voir Le site, www.pierrecardin.com Le musée Pierre Cardin, 33, boulevard Victor-Hugo, 93400 Saint-Ouen, tél. : 01 49 21 08 20. Ouvert les mercredis, samedis, dimanches de 14 heures à 17 heures. Où trouver des créations de Cardin Nicolas Denis, stand 40, allée 2, marché PaulBert, 93400 Saint-Ouen. www.nicolasdenis.com Galerie Yves Gastou, 12, rue Bonaparte, 75006 Paris, tél. : 01 53 73 00 10. www.galerieyvesgastou.com Galerie Jean-Pierre Orinel, 12, rue de Lille, 75007 Paris, tél. : 01 42 97 58 66. www.orinel.fr NOVEMBRE 2010 / 5