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la porte des étoiles
le journal des astronomes amateurs du nord de la France
Numéro 26 - automne 2014
26
A la une
L’horloge astronomique de Prague
GROUPEMENT D’ASTRONOMES
AMATEURS COURRIEROIS
Adresse postale
GAAC - Simon Lericque
12 lotissement des Flandres
62128 WANCOURT
Internet
Site : http://www.astrogaac.fr
E-mail : [email protected]
Les auteurs de ce numéro
Michel Pruvost - Membre du GAAC
E-mail : [email protected]
Site : http://cielaucrayon.pagesperso-orange.fr/
Auger Jean-Pierre - Membre du GAAC
E-mail : [email protected]
Emeline Taubert - Membre du GAAC
E-mail : [email protected]
Stephen Kowalczyk - Membre du GAAC
E-mail : [email protected]
François Lefebvre - Membre du GAAC
E-mail : [email protected]
Simon Lericque - Membre du GAAC
E-mail : [email protected]
Site : http://lericque.simon.free.fr
L’équipe de conception
Simon Lericque : rédac’ chef tyrannique
Arnaud Agache : relecture et diffusion
Catherine Ulicska : relecture et bonnes idées
Fabienne Clauss : relecture et bonnes idées
Olivier Moreau : conseiller scientifique
Auteur : Simon Lericque
Date : 14/07/2014
Lieu : Prague (CZ)
Matériel : APN Canon EOS 450D
et téléobjectif Canon 70-300
Edito
Ce nouveau numéro de la Porte des Etoiles sera encore un
peu spécial puisque nous consacrons ce trimestriel automnal
en mettant à l’honneur la Tchéquie. En juillet dernier, le
GAAC est en effet parti à la découverte de ce beau pays, de sa
riche histoire, de son patrimoine astronomique étonnant et...
de sa bière ! Notre voyage va ici vous être conté, mais plus
encore, vous verrez au fil de ces pages qu’il s’en est passé des
choses en Tchéquie, à travers l’histoire de l’astronomie : en
commençant par la rencontre de Johannes Kepler et Tycho
Brahé jusqu’aux prémices de la lutte contre la pollution
lumineuse. C’est aussi à Prague en 2006 que Pluton se verra
retirer son statut de planète. Lors de notre périple tchèque,
nous avons vu beaucoup, mais nous sommes très loin d’avoir
encore tout vu...
Sommaire
4������������������������������������������������� Le GAAC chez les Tchèques
par Simon Lericque
28.Ondřejov, l’incroyable passion de deux frères pour l’astronomie
par Jean-Pierre Auger
32.........................................................................Pražský orloj
par Stephen Kowalczyk et Simon Lericque
39������������������������������Brahé et Kepler : sur la trace des géants
par Michel Pruvost
44���������������������������������������������������Le déclassement de Pluton
par François Lefebvre
60������ Pollution lumineuse : de la République Tchèque à la France
par Emeline Taubert
Edition numérique sous Licence Creative Commons
65�������������������������� Petite galerie de cadrans solaires tchèques
par Simon Lericque
70����������������������������������������������������������������������������� La galerie
• • • • ACTU DU GAAC
C’était cet été
Escapade astronomique en Tchéquie
La Nuit des Etoiles
La Fête du Soleil
Visite du studio astronomique de Festraets à Saint-Trond
Premières lumières du Strock 200
L’exposition « Carnets de voyages astronomiques »
à la médiathèque de Courrières
Assemblée Générale
du GAAC
Visite du parc de cadrans
solaires de Genk
17ème Nuit Noire du Pas-de-Calais
Ce sera cet automne
Fête de la Science
RCE 2014
Promenade en Cotentin
Les 10 et 11 octobre prochains, le
GAAC organisera à nouveau la
Fête de la Science à Courrières,
d’abord au collège Debussy
pour les scolaires, puis à la
Ferme Pédagogique pour tous.
Les Rencontres du Ciel et de
l’Espace se déroulent tous les
deux ans à la Cité des Sciences et
de l’Industrie de La Villette, près
de Paris. Le GAAC sera présent
pour ce grand rendez-vous.
Fin octobre, durant un long
weekend, plusieurs membres
du GAAC partiront pour la
Normandie afin d’y découvrir,
entre autres, l’observatoireplanétarium de Ludiver.
Retrouvez l’agenda complet de l’association sur http://www.astrogaac.fr/agenda.html
• • • • VOYAGE
Le GAAC chez les Tchèques
Par Simon Lericque
La Porte des Etoiles n°26
• • • • VOYAGE
Après le GAAC chez les grands bretons durant l’été
2013, voici contée la nouvelle aventure de notre
association : « le GAAC chez les Tchèques ». Le choix
de ce joli pays, coincé entre Allemagne, Autriche,
Pologne et Slovaquie, remonte à quelques années déjà.
Au détour d’un forum astro bien connu, un expatrié
Français à Prague, François, annonce qu’il rentre au
pays – pas de chance, dans le Nord de la France - et
cherche désespérément une association d’astronomie.
Il deviendra un membre du GAAC des plus actifs !
Bien vite après son arrivée, nous rencontrons sa
compagne, Andrea. Cette dernière n’aura pas résisté
Notre guide !
longtemps à vouloir nous faire découvrir son pays, sa
Tchéquie. Après quelques réunions de travail – productives ou non – des sites astronomiques sont choisis, le
circuit théorique est dessiné ; ne reste plus qu’à prendre les contacts avec les observatoires et les planétariums:
Andrea se chargera de la chose avec brio et n’obtiendra quasiment que des réponses positives. Bravo... Et
merci Andrea ! Nous n’avons plus qu’à mettre les pieds sous la table et attendre le jour du départ.
Sur la route des vacances
Casse-croûte autoroute
Jour 1 – samedi 12 juillet. Nous partons de
Chéreng en banlieue lilloise vers 9h30. Il était
normalement prévu un départ à 8 heures, mais
personne n’y a jamais vraiment cru... Les quatre
voitures prennent la route. En tête, François,
Andrea et leurs deux gamines Julie et Sophie.
Ensuite, c’est moi qui ai en charge de chaperonner
deux autres gamins insupportables Émeline et
Stephen ; plus loin derrière on trouve Huguette,
qui ne veut pas lâcher le volant avec son homme
Michel. Enfin, les sages, Françoise et Jean-Pierre
ferment la marche.
La première partie de la route se fait sous un crachin d’automne, sans encombre ou presque... Juste un petit
raté à l’approche de Cologne qui fera faire un détour. Sophie, dans la voiture de tête, a eu la bonne idée de
ne pas digérer un cookie pourtant préparé avec amour par Émeline... Aïe ! Pause improvisée ! Le repas est
pris sur une aire d’autoroute près de Cologne. On croise de nombreux routiers, beaucoup d’Allemands aux
voitures maquillées aux couleurs de leur équipe nationale (la finale de la coupe du monde de foot sera pour
le lendemain). Les hommes pourront se soulager gratuitement contre un bosquet chétif, tandis que les dames
devront se soulager de 70 centimes d’euros. Difficile d’accepter de laisser filer une somme si faramineuse...
Mais la volonté de se soustraire à cette dépense inutile sera de courte durée.
Bref... La route reprend et les paysages commencent à changer. Le centre de l’Allemagne que nous traversons,
devient vallonné et surtout extrêmement boisé. Le Soleil même, commence à percer derrière les nuages.
Certains roupillent... Les chauffeurs heureusement non... La balade devient agréable malgré les kilomètres qui
s’accumulent. Encore une pause... Et puis une autre... Nous passons finalement la frontière tchèque où une
dernière formalité administrative nous attend : l’achat de la vignette qui nous permettra de circuler librement
durant notre séjour ici.
Il ne nous reste plus que quelques kilomètres pour atteindre la première étape de notre escapade tchèque :
Mariánské Lázně. Le soir de ce premier jour, nous ne verrons que quelques bâtisses bourgeoises de cette
célèbre ville thermale. Nous avons juste le temps de prendre possession de notre pension baptisée “Endinburg
Penzion” dégotée par Andrea avant de nous faire emmener vers notre premier resto tchèque ! La nuit commence
à tomber, la Lune est belle, toute ronde... Les premières bières sont descendues... Les premières pièces de viandes
La Porte des Etoiles n°26
• • • • VOYAGE
sont avalées... Et surtout, notre accent
franchouillard se fait rapidement
remarquer et nous attire la sympathie
des propriétaires de l’auberge. Après le
digestif traditionnel... Et un deuxième
digestif traditionnel... Nous regagnons
tous notre chambre pour une première
nuit sous le ciel étoilé de la Tchéquie.
De Mariánské Lázně
à Prague
Jour 2 – dimanche 13 juillet. Le réveil
sonne vers 8 heures mais la nuit fut
bonne pour presque tous. Les derniers
à sortir de leur chambre rejoindront
Première bière
le reste de la troupe vers 9h30. On
ne dénoncera personne, mais il s’agit de François et Andrea... Après un petit déjeuner copieux (confitures,
charcuteries, fromages), la fine équipe prend le chemin du centre-ville de Mariánské Lázně sous un Soleil
menacé par la pluie mais une température déjà haute.
La ville est splendide. Les façades des immenses immeubles colorés datant des
années 1900 sont étonnantes. Nous déambulons tranquillement jusqu’au centre
de la cité, là où sont concentrées la plupart des sources de cette ville thermale.
Là, nous aurons tous la joie (ou pas) de goutter aux différentes sources aux
vertus thérapeutiques, riches en gaz carbonique et en soufre. Elles s’avéreront
pour la plupart très odorantes et imbuvables ! Dégueulasse ! Non loin de là,
sur le plafond de l’imposant bâtiment des Colonnades, figure une improbable
fresque montrant des cosmonautes - dont un est probablement Youri Gagarine,
le premier homme dans l’espace - et le premier satellite artificiel Spoutnik. Tout
cela nous ramène à la grande époque des réussites spatiales soviétiques.
Après cela, nous nous dirigeons vers le Sud de la ville, en rejoignant un joli
parc traversé par un petit cours d’eau. Même si nous avons pris un gros petit
déjeuner, l’heure de casser la croûte arrive. Nous nous arrêtons sur la terrasse
d’un snack, en plein milieu du parc, pour reprendre quelques forces. Bien nous
Gagarine et Spoutnik
en a pris puisqu’un orage aussi violent qu’interminable s’abat sur nous. Certains
courageux – Michel, Jean-Pierre et François – décident d’aller récupérer dans les voitures les équipements
de pluie des uns et des autres. Ils reviendront au moment où l’averse se décidera enfin à cesser... La balade
reprend donc vers une dernière source baptisée Ferdinandův Pramen, réputée pour être la plus soufrée de
toutes. Elle ne nous décevra pas ! La source est abritée par un beau bâtiment, fait de colonnes en marbre blanc.
Un piano traîne là, presque abandonné. François ne résistera pas à interpréter quelques grands morceaux de
musique classique : Jean-Michel Jarre, la Compagnie Créole, la danse des canards... Pendant ce temps, Sophie
arrache les fleurs du parc et c’est Huguette qui se fait enguirlander par des habitués des lieux.
Dégustation
La Porte des Etoiles n°26
Huguette fait sa difficile
Le petit bonhomme en mousse... la la la...
• • • • VOYAGE
Vers 15 heures, nous rejoignons nos voitures laissées à l’hôtel. Nous disons au revoir à l’Edinburg Penzion et
mettons le cap vers Prague. La route n’est pas très longue ; après une grosse heure de voyage nous arrivons
dans la banlieue Sud de la capitale tchèque, là où logeront Andrea et François. Le père d’Andrea nous prête
sa voiture. Nous laissons les nôtres ici - car elles seront inutiles durant notre escale praguoise - et nous nous
faisons accompagner jusqu’à notre hôtel tout proche du vieux centre-ville.
Après avoir pris possession de nos chambres et fait une petite pause, nous rechaussons nos godasses pour
une “courte” balade dans le centre de Prague. Ce soir-là, nous longerons d’abord la Vltava, le fleuve qui
baigne Prague, avant de découvrir les premiers monuments de la capitale tchèque. Une halte dans une pizzeria
au Soleil couchant nous permettra de descendre à nouveau quelques bières. Michel, quant à lui, se laissera
tenter par un dessert à base de glace à la vanille et de framboises chaudes... Miam ! Il en entendra parler
tout le séjour... Après le repas, nous prenons le chemin de l’hôtel en longeant à nouveau la Vltava, sauf pour
Françoise et Jean-Pierre qui choisiront un chemin plus direct qui les emmènera tout près d’un quartier... animé
de péripatéticiennes. Avec l’arrivée de la nuit, le paysage a
totalement changé, les lumières de la ville sur les rives se
reflètent désormais dans les eaux calmes du fleuve, l’horizon
n’existe plus vraiment, et nous ne résistons pas à rendre visite
au Pont Charles qui nous appelle non loin de là...
Nous finissons par laisser Andrea et François à la bouche de
métro la plus proche de l’hôtel et nous gagnons notre chambre
après une dernière marche, juste à temps pour voir sur une
chaîne de télévision tchèque le but allemand, synonyme de
victoire en Coupe du Monde de football. Il faudra lutter pour
voir la cérémonie jusqu’au bout. Le sommeil l’emportera...
Balade romantique sur le pont Charles
Prague la nuit sur les rives de la Vltava
Prague historique, Prague astronomique...
Jour 3 – 1undi 14 juillet. C’est reparti ! Après un nouveau petit déjeuner
copieux, rendez-vous est fixé à 9 heures devant le Best-Western hôtel de
Prague. Andrea et François arriveront finalement à 10h15 à la station de métro
la plus proche. Justement, pour cette première journée praguoise, la première
chose à faire est de récupérer les “pass” qui nous permettront de circuler en
métro, en tramway et même en funiculaire. Le métro de Prague a cela de
surprenant que les escalators sont très raides et très longs. On aura parfois
envie de vomir mais on arrivera toujours à bien se tenir.
Après cette première expérience dans les profondeurs, nous débarquons au
plein cœur du centre-ville et commençons notre balade. La première halte
se fera devant la splendide horloge astronomique, célébrité de la Tchéquie
bien au-delà des frontières du pays. Pražský orloj comme on la nomme ici
aurait été construite en 1410, faisant d’elle l’une des plus anciennes horloges
La Porte des Etoiles n°26
La foule devant l’horloge
• • • • VOYAGE
astronomiques encore en fonctionnement dans le monde (voir article dédié page
32). A midi, nous serons tous au pied des cadrans, agglutinés avec des centaines
d’autres touristes pour assister au spectacle des automates qui se produit à
chaque heure jusque 21 heures. La chose est toujours amusante à admirer. Sur
la place près de l’horloge, nous dénichons le méridien de Prague. Celui-ci, situé
exactement à 14°25’ à l’Est du méridien de Greenwich, était historiquement la
référence de l’établissement de l’heure pour Prague. Sur la plaque de laiton qui
signifie l’emplacement du méridien, on peut d’ailleurs lire : “Meridianus quo
olim tempus pragense dirigebatur” que l’on pourrait traduire par “Le méridien,
selon lequel dans le passé, on dirigeait le temps praguois”. Sur cette Staroměstské
náměstí, il y avait à l’origine un monument baptisé “la colonne de la Vierge” qui
a été enlevé en 1918. C’est cette colonne, qui par son ombre, indiquait l’heure du
midi sur le sol pavé.
Le méridien de Prague
Tour d’horizon de la place de la vieille ville
La promenade se poursuit par les rues typiques de la vieille ville et par la visite de quelques monuments:
à commencer par la tour poudrière au sommet de laquelle se dévoile une spectaculaire vue sur les toits de
Prague. C’est aussi à cette occasion que nous découvrirons
l’amour profond que porte François aux tours, qu’il ne peut pas
s’empêcher de gravir... Une fois descendus, nous constatons que
certaines églises sont fermées le lundi. Nous raterons notamment
Notre-Dame de Týn, là même où est enterré l’astronome Tycho
Brahé. Pas de chance. Après le déjeuner, une visite de l’ancien
quartier juif s’impose. Huguette insiste pour aller visiter le
vieux cimetière. Michel, bien sûr, ne saura pas dire non.
Enfin, nous terminerons notre journée culturelle par le
Klementinum : un complexe de plusieurs bâtiments qui abrite
notamment l’immense bibliothèque nationale fondée en 1781,
le collège Jésuite Saint-Clément, et – ce qui nous intéresse
surtout – l’édifice de l’Astronomická věž. Il s’agit d’une tour
astronomique haute de 52 mètres érigée en 1722 au sommet
de laquelle trône une imposante statue de plomb de 750
kilogrammes, représentant Atlas soutenant une sphère céleste.
Cette tour a été bâtie sous l’impulsion du Recteur de l’Université
de Prague de l’époque, un certain František Retz. Jusqu’en
1928, elle sera considérée comme l’Observatoire astronomique
national.
La visite de ce lieu s’avérera riche et insolite. Tantôt en
anglais, tantôt en français, mais surtout en tchèque, les guides
qui nous accompagnent seront traduits dans leur propos par
l’indispensable Andrea. François quant à lui, sera heureux de
gravir les 172 marches qui mènent vers le sommet de l’édifice.
La tour astronomique du Klementinum abrite aujourd’hui une
riche collection d’instruments astronomiques et météorologiques
anciens, mais aussi des photographies et dessins lunaires de
La Porte des Etoiles n°26
La tour astronomique du Klementinum
C’est écrit dessus !
• • • • VOYAGE
grande qualité annotés en français car l’un des anciens directeurs était proche d’astronomes hexagonaux et
friand des résultats obtenus notamment à l’Observatoire de Paris. Dans la bibliothèque, ornée de fresques
astronomiques, nous apercevrons aussi de splendides globes terrestres et célestes magnifiquement conservés,
qui datent de plusieurs siècles, ainsi que quelques horloges astronomiques de salon.
Au sein même de la tour sont logées deux belles lunettes méridiennes, l’une orientée au Sud, classique ; et une
seconde, quasiment identique, mais étrangement dirigée vers le Nord. Ce deuxième instrument est d’ailleurs
inachevé puisque aucune graduation n’y figure. Le guide ne saura d’ailleurs pas nous expliquer cette orientation
particulière. Dans cette pièce plongée dans la pénombre, on trouve également au sol et sur l’un des murs un
méridien orienté Nord-Sud qui, par le biais d’un discret œilleton, projette au sol ou sur le mur une tache de
lumière indiquant l’heure du midi solaire. L’histoire raconte que lorsque le “midi” était constaté, un tissu de
couleur était agité au sommet de la tour pour indiquer l’heure à ceux qui réglaient l’horloge astronomique
située à quelques encablures de là.
La double méridienne de la tour astronomique du Klementinum
Au sommet de la tour astronomique, le paysage est une fois de plus spectaculaire, d’autant que depuis cet
endroit on peut apercevoir le château de Prague et le magnifique pont Charles qui surplombe la Vltava. On
comprend pourquoi Prague est surnommée la ville aux cent tours, puisqu’il y en a dans toutes les directions.
Mais l’heure passe, le bâtiment va bientôt fermer ses portes et nous sommes contraints de quitter à regret
ce lieu chargé d’histoire non sans remercier chaleureusement notre guide. Après cette visite, et tout près
du Klementinum, nous passerons devant la bâtisse où vivait Johannes Kepler lors de ces séjours à Prague,
précisément au numéro 4 de la rue Karlova (Charles) qui débouche sur le célèbre pont du même nom. Une
plaque commémore d’ailleurs le passage ici de l’illustre astronome.
La fin de journée approche, nous prenons le tramway
jusqu’à notre hôtel pour une douche salvatrice avant
de reprendre le métro pour rejoindre le restaurant
brésilien dont Andrea et François nous ont tant parlé
depuis des mois. Au menu : viandes, viandes et
encore un peu de viande. Celles-ci sont servies à table
par “petits’’ morceaux et coupées directement sur la
broche par le serveur : Huguette ne pourra s’empêcher
de faire l’amalgame avec nos restaurants kebab. Les
ceintures se desserrent au fur et à mesure du repas...
La compétition pour savoir celui qui en ingurgitera le
plus sera finalement remportée par François et moi,
ex-æquo ! Pour digérer, une promenade s’impose
Banquet gargentuesque
encore... Comme la veille, nous gagnons les rives du
fleuve pour prendre quelques images nocturnes du Pont Charles et du château de Prague. Un dernier petit tour
en tramway nous approche de l’hôtel. Nous abandonnons une nouvelle fois nos guides à la bouche de métro
pour nous traîner péniblement et le ventre plein vers notre chambre... La nuit est bienvenue ! Au lit !
La Porte des Etoiles n°26
• • • • VOYAGE
...et Prague classique
Jour 4 – mardi 15 juillet. La routine s’installe vite, mais
cette fois-ci le lever et le petit déjeuner sont pris en ordre
dispersé. Ceux qui vivent à l’hôtel - Émeline, Françoise,
Huguette, Jean-Pierre, Michel, Stephen et moi – savent
bien que les guides ne seront pas à l’heure... Raté ! A 5
minutes près, le timing sera respecté. Cap sur le centre de
Prague où les hommes, une fois n’est pas coutume, pourront
s’adonner au lèche-vitrine. En effet, nous croiserons sur
notre route un magasin d’astronomie et une splendide
boutique de matériel photographique ancien... Après
Kepler, Brahé... et tous les autres
cette courte halte près de la vieille ville, nous prenons la
direction du quartier du château, sur la rive Ouest de la Vltava. Pour cela, le tramway est impératif ; il nous
emmènera au pied de la statue de Johannes Kepler et Tycho Brahé... L’astronomie n’est jamais loin, d’autant
qu’entre temps, nous avons pu croiser quelques cadrans solaires sur les façades de plusieurs bâtiments.
Nous voici maintenant devant l’entrée du château de Prague gardé par deux militaires de la Garde Nationale.
Huguette - comme en Angleterre il y a un an - ne résistera pas à prendre la pose à côté de ceux-ci. Depuis
la place qui se trouve devant le château, la vue est belle sur l’autre rive de Prague. Situé en hauteur, le lieu
domine véritablement les environs et nous retrouvons les toits des monuments visités la veille. A l’intérieur
des remparts du château de Prague sont implantés plusieurs sites intéressants à commencer par de nombreuses
églises, mais aussi par le palais présidentiel. L’endroit le plus impressionnant est sans conteste la cathédrale
Saint-Guy (Katedrála svatého Víta en tchèque), dont les plans initiaux ont été établis par un architecte
originaire... d’Arras ! Cette cathédrale est d’ailleurs plus spectaculaire à l’extérieur qu’à l’intérieur. D’un style
gothique, elle culmine à 96,5 mètres de haut. Ses pierres noircies par les outrages du temps lui donnent un
aspect très particulier que je n’ai jamais vu jusqu’ici.
Pour redescendre de la colline, nous empruntons des jardins en escaliers accolés à la falaise. Des vignes
sont même plantées là... La vue sur Prague est toujours splendide, d’autant qu’un lourd Soleil est au rendezvous. Nous croisons ce que nous prenons pour une cérémonie d’un mariage. Il s’agit en fait du repas offert
aux figurants d’un film dont le tournage est proche. Nous faisons ensuite une halte dans un restaurant qui
offre un menu local. Pour la première fois du séjour, la nourriture sera tchèque : goulash, svickova et soupe
traditionnelle ; toujours accompagnée d’un demi-litre de bière.
Le plafond de Saint-Nicolas
Huguette ne sait pas se tenir
Dans la cathédrale Saint-Guy
La promenade digestive sera encore une fois la bienvenue, la visite de la cathédrale Saint-Nicolas de Malà
Strana également. Il faut dire que la fraîcheur du lieu est bénéfique ! Les ornements de cette cathédrale
baroque sont splendides : fresques sur les voûtes, statues, vitraux, peintures... Il y en a pour tous les goûts.
Le plus impressionnant reste la coupole de 80 mètres de haut décorée par des statues du sculpteur Ignác
František Platzer. Les orgues ne passent pas non plus inaperçues. D’ailleurs Mozart jouera ici durant un
séjour à Prague. Non loin de la cathédrale Saint-Nicolas, nous franchissons, cette fois complètement, le pont
Charles. A l’extrémité, les plus courageux grimpent au sommet de la tour qui offre une vue panoramique sur
les environs du pont et du quartier de la vieille ville. C’est d’ailleurs depuis ce point de vue que l’on aperçoit
dans les meilleures conditions la tour astronomique du Klementinum visitée la veille.
La Porte des Etoiles n°26
10
• • • • VOYAGE
Après cette dernière visite touristique, nous retournons rapidement à l’hôtel pour nous refaire une beauté.
Andrea a tenu à nous emmener à un concert de musique classique dans l’église Svaty Martin ve zdi : costard
(ou presque) obligatoire ! Nous y écouterons la musique jouée par un organiste, Drahoslav Gric, un violoniste,
Filip Himmer, et une soprano Libuse Moravcova. La (longue) journée, s’achèvera dans un restaurant où l’on
est fier de nous annoncer qu’Albert Einstein y a déjà posé ses fesses. Quelques bières plus tard, la fine équipe
s’engouffre à nouveau dans le métro pour rejoindre ses quartiers.
La tour du Klementinum au centre, la tour de l’horloge astronomique en arrière-plan sur la droite
Au plus près des étoiles
Jour 5 – Mercredi 16 juillet. Encore une journée riche s’annonce. Ce soir, nous avons rendez-vous à
l’observatoire de Štefanik pour une observation. Nous allons donc guetter le ciel durant toute la journée. Dès
le matin, le ciel est un peu menaçant. Mais il parait qu’en Tchéquie, les orages ne sont pas fréquents et que le
ciel redevient clair à l’approche de la nuit (cela se vérifiera mais nous ne le savons pas encore). Avant cela, il
faut passer par la case “petit déjeuner”. Nous imaginons que François et Andrea seront en retard, ce qui sera
vite confirmé par un SMS, puis par un second, donc nous ne nous pressons pas.
Un jus d’orange est pris sur la terrasse face à l’hôtel pour patienter en regardant
passer de jolies jeunes filles tchèques.
Obětem komunismu
La Porte des Etoiles n°26
Au programme du jour : la colline de Petřín. Nous débutons par un court voyage
en tram qui nous débarque au pied du monument “obětem komunismu’’.
Impressionnant ! Celui-ci rend hommage aux victimes du communisme entre
1948 et 1989. Nous grimpons ensuite en funiculaire sur la colline de Petřín
qui domine la ville. Un peu de sport pour commencer : nous “escaladons’’ la
petite tour Eiffel et ses 300 marches. La vue est splendide ! Un panorama à
360° s’étant devant nous. On ne peut pas trouver plus haut ! On retrouve sous
un autre point de vue les différents quartiers et les différentes tours de la ville
visités les deux jours précédents. De là-haut, et quand on regarde en bas, on a
des petits frissons. Il est difficile de faire des photographies tant la tour tangue.
11
• • • • VOYAGE
Du sommet de la tour de Petřín, nous apercevons également les trois
coupoles de l’observatoire Štefánik où nous serons ce soir : le ciel
d’ailleurs, semble sensiblement s’améliorer.
L’observatoire Štefánik depuis la tour de Petřín
En descendant, nous passons par le labyrinthe des miroirs, juste pour
retourner en enfance. Cette courte visite donnera lieu à de belles
parties de rigolades. Je me découvrirai d’ailleurs devant certains
miroirs une silhouette de jeune premier. Ensuite, nous regagnons le
centre de Prague par une descente sinueuse de la colline. Il y a des
arbres fruitiers partout, notamment des mirabelliers. Par moment, on
doute d’être à dans la capitale du pays. En bas de la colline, nous
joignons le quartier de l’île de Kampa. C’est celui des ambassades.
Nous croisons d’ailleurs un sympathique orchestre danois qui
“improvise” différents morceaux modernes. Nous passons devant la
très chic ambassade de France et juste en face, le mur John Lennon:
un mémorial informel qui depuis les années 1980 recueille des
hommages sous la forme de graffitis. Il est à l’origine de tensions qui
éclatèrent à la fin des années 1980 sous le régime communiste et il
est devenu un symbole pour la jeunesse locale.
Prague vue d’en haut... C’est beau !
Le mur John Lennon
Nous prenons le tramway jusqu’au Nord de Prague et le parc Stromovka. Dans ce parc, il y a un cadran solaire
“exotique” que nous mettrons un moment à dénicher. Nous avons ensuite rendez-vous avec Monsieur Sifner,
le directeur-adjoint du planétarium de Prague, pour une visite privée des lieux. Le planétarium de Prague est
le plus grand du pays ; il dispose de trois systèmes différents et fonctionnels, (deux numériques, un optomécanique) dans une salle orientée de 210 places abritée par une coupole de 23,50 mètres. Le système de
projection Cosmorama de la firme Carl Zeiss qui trône au centre de la pièce date des années 1960. Il est donc
toujours opérationnel. C’est lui qui donne le ciel le plus réaliste : les deux autres systèmes numériques étant
plus à la traîne de ce côté... J’aurai même la chance de pouvoir prendre les commandes de ce bel engin.
La priorité est ici donnée à la pédagogie, contrairement aux autres planétariums tchèques plus modernes qui
passent des films “à l’américaine”. Monsieur Sifner est d’ailleurs fier d’annoncer que des écoles de l’Est
du pays préfèrent venir ici plutôt qu’aller dans des planétariums numériques plus proches, mais projetant
des spectacles “sensationnalistes”. Les productions des séances sont faites en interne avec une équipe d’une
Un beau cadran solaire
La Porte des Etoiles n°26
Le planétarium de Prague
En tchèque, Michel redécouvre le ciel
12
• • • • VOYAGE
trentaine de personnes : animateurs, techniciens, personnels
administratifs compris. Le plus étonnant est le mélange
entre le matériel ultramoderne (projecteurs vidéo 4K) et
des vieux projecteurs de diapositives datant de plusieurs
décennies.
La visite se poursuit dans l’espace muséographique où de
belles maquettes pédagogiques d’envergure permettent de
poursuivre les démonstrations et les explications. En outre,
un grand nombre d’expositions garnissent les murs du hall
d’accueil. Dans une salle attenante, l’ancien planétarium a
Photo de groupe sous le Cosmorama
été conservé. Celui-ci est le plus ancien système de projection
tchèque, un Zeiss là-aussi, sauvegardé en guise de patrimoine. Plus étonnant, deux simulateurs imaginés par
les animateurs du planétarium permettent au public de circuler à bord d’un rover lunaire ou martien. François
ne résistera pas à faire quelques pointes de vitesse au fond de Valles Marineris.
Après avoir remercié Monsieur Sifner, nous ne perdons pas de temps pour gagner la station de tram car nous
sommes attendus. Le repas est pris dans un restaurant tchèque traditionnel : c’est le premier contact avec les
tuplak (chopes d’un litre de bière) ! Ma deuxième chope sera difficile à engloutir, mais c’était une question
d’honneur de la terminer ! Après ce repas frugal fait d’un demi-canard, nous retournons en vitesse sur la colline
de Petřín, car nous avons rendez-vous avec Monsieur Poddany, qui travaille, entre autres, à l’observatoire de
Štefánik.
Nous retrouvons devant les portes de l’observatoire Štefánik, Xavier Outhier, un astronome amateur Français
qui vit en Tchéquie depuis quasiment vingt ans. La visite débute par la nouvelle salle d’exposition consacrée à
la plus belle collection de météorites d’Europe centrale. Elle a été prêtée à l’observatoire par un collectionneur
privé. Mais ce qui nous intéresse surtout, c’est la possibilité d’observer. L’observatoire de Štefánik compte
trois coupoles : la première privée, mais que nous avons malgré tout pu découvrir, abrite un télescope de
type Cassegrain Meade “Mark” de 400 millimètres, utilisé à des fins scientifiques (suivi d’exoplanètes,
photométrie d’étoiles variables...). Notre guide, Monsieur Poddany, est d’ailleurs l’auteur d’une base de
données internationale sur les exoplanètes baptisée “Exoplanet Transit Database”. Dans la deuxième coupole,
un télescope Weiss de 370 millimètres de diamètre a été installé en 1976. Nous y observerons de grands
classiques : Albireo, Epsilon Lyrae, M13 et M57.
La Porte des Etoiles n°26
13
• • • • VOYAGE
Dans la troisième coupole, on a deux lunettes Zeiss “jumelles”,
l’une pour le visuel, l’autre pour la photographie : 220 mm de
diamètre et 3000 mètres de focale. Elles datent du début du
XXème siècle (1905-1907 approximativement) et étaient utilisées
à l’origine par l’astronome viennois Rudolf Koening (1865-1927)
pour l’observation et la photographie lunaire essentiellement.
Après la mort du premier propriétaire, les lunettes ont été
démontées et installées à Prague en 1929. Aujourd’hui, il n’y a
plus de projets scientifiques menés avec ce double réfracteur. Les
observations sont faites pour le public et encadrées dans notre cas
par une étudiante de l’université. Nous avons pu admirer Mars
et Saturne : les images sont belles dans les trous de turbulence.
A 23 heures, les coupoles se ferment déjà, mais de toute façon le
ciel est en train de se gâter. Nous reprenons le dernier funiculaire
pour descendre de la colline. Prague la nuit est magnifique. C’est
moche à avouer,mais la pollution lumineuse sublime le panorama.
Un tramway et un métro plus tard, nous rejoignons notre hôtel.
Notre dernière journée à Prague aura été la plus épuisante mais
sans doute la plus enrichissante d’un point de vue astronomique.
Michel et la lunette de Prague
Milan Štefánik
Statue de Štefánik à l’entrée de l’observatoire
L’observatoire de Prague a été nommé en
l’honneur de Milan Rastislav Štefánik,
un astronome franco-tchécoslovaque
né en 1880 et mort en 1919. Brillant
scientifique, il aura notamment mené de
riches études en France, en collaborant
avec Jules Janssen au tout début du
XXème siècle à l’Observatoire de
Meudon. Il consacrera dix années de
sa vie à l’astronomie mais il s’illustrera
surtout durant la Première Guerre
Mondiale. Aviateur, il est incorporé
à sa demande à l’Armée de l’Air
Française et s’illustrera notamment
lors de la bataille... d’Arras ! Durant le
reste du conflit, il se muera davantage
en diplomate et en homme politique
et œuvrera pour la création d’un État
tchécoslovaque indépendant.
Superbe visite à Hradec Králové
Jour 6 - Jeudi 17 juillet. Ce matin, nous quittons Prague pour
la province. Première étape : récupérer les voitures laissées
chez le père d’Andrea lors de notre arrivée. Nous mettons
le cap à l’Est. Quelques bouchons dans le contournement de
Prague nous ferons prendre un peu retard. Pas d’inquiétude
cependant, notre seul rendez-vous de la journée est fixé vers
18 heures, ce qui nous laisse largement le temps d’arriver
à destination. Nous débarquons à Kutná Hora, là où nous
logerons le soir vers 12h30, et commençons la visite de
l’ossuaire de Kostnice, un lieu étrange où les ornements sont
tous constitués d’ossements humains. On estime à 40000,
Y avait-il des astronomes dans le lot ?
le nombre de personnes dont les restes sont entreposés sur
le site : une grande majorité provient de la grande peste noire qui a ravagé la Bohême en 1348. C’est un lieu
étonnant !
Il fait très chaud : plus de 30°C. Je suis contraint de faire une pause et d’aller roupiller deux bonnes heures
pendant que mes camarades vont visiter quelques sites de la ville de Kutná Hora, notamment l’église SainteBarbe et la cathédrale de Notre-Dame de Sedlec. Vers 17 heures, mes camarades me rejoignent à l’hôtel.
C’est là qu’Émeline apprendra, grâce à la réceptionniste qu’il ne faut pas confondre une télécommande de
climatisation et un téléphone portable...
La Porte des Etoiles n°26
14
• • • • VOYAGE
La Terre tourne !
Nous partons vers Hradec Králové où nous avons rendez-vous pour
visiter l’observatoire et le planétarium. Nous y retrouvons Monsieur
Vesely, le directeur des lieux, qui est accompagné de l’un de ses
collègues. La visite sera superbe et commencera par une démonstration
de l’expérience du pendule de Foucault, intelligemment installé dans
la cage d’escalier du bâtiment. Nos hôtes nous emmènent d’abord dans
la coupole d’observations principale qui abrite différents instruments
installés sur une imposante monture équatoriale Zeiss : une lunette de
200 millimètres de diamètre et de 3500 millimètres de focale, surmontée
d’un Newton de 250 millimètres, avec, également en parallèle un
coronographe d’environ 150 millimètres qui n’est plus en état de
marche. Dommage ! En compensation, Monsieur Vesely met en place
une projection solaire à travers la grande lunette. Le disque solaire, d’un
bon mètre de diamètre est projeté sur un écran blanc prévu à cet effet et
judicieusement placé sur la coupole. Même si le jour de notre visite, il
n’y avait pas de taches, nous y avons vu de nombreuses plages faculaires.
La qualité de l’image obtenue est vraiment très bonne !
Après ce passage sous la coupole, nous sommes
invités sur les toits de l’observatoire, qui sert à la
fois de plate-forme d’observations pour le grand
public et de plate-forme météo : des relevés y sont
d’ailleurs effectués quotidiennement. Là, nous
pourrons tester d’étranges paires de jumelles qui
étaient à l’origine des optiques utilisées sur des
chars d’assaut ! En attendant le coucher du Soleil,
les plus courageux se lancent dans une escapade
à travers le Système solaire. Aux alentours de
l’observatoire, un parcours de planètes a été placé
à l’échelle sur plusieurs kilomètres. Pendant que
mes camarades s’en vont rendre visite à Saturne
et se font dévorés par les moustiques, je reprends
quelques forces en somnolant sur un banc à deux
pas des coupoles de l’observatoire.
Attenant à l’observatoire, une association baptisée
Astronomická společnost v Hradci Králové (Société
Astronomique de Hradec Králové) dont le collègue
de Monsieur Vesely est le Président, a installé dans
des abris à toits roulants deux instruments :
- un Newton 400/2000, qui permet la photométrie
sur des étoiles variables et des astéroïdes.
- une chambre de Schmidt de 600 millimètres qui,
hélas, n'est plus utilisée depuis les années 90 à
cause de la pollution lumineuse grandissante dans
les environs de Hradec Králové et qui est devenue
obsolète avec l’arrivée des caméras CCD.
Sur les toits de l’observatoire de Hradec Králové
Les observations se préparent
La soirée se poursuit par une présentation des travaux réalisés grâce aux différents instruments de l’observatoire
dans la salle de conférence puis, ensuite, par la visite du planétarium. Il s’agit d’une petite salle de 6,5 mètres
de diamètre, conviviale, pouvant accueillir une trentaine de personnes. Le système de projection est un Zeiss
ZKP-1 datant de 1954. Il semblerait que ce soit le dernier en état de marche avec toutes les pièces d’origine.
Il est utilisé comme outil principal pour les démonstrations publiques. A la base du dôme ont été représentés
les différents éléments du paysage visibles depuis Hradec Králové. Ce petit planétarium accueille près de
30000 personnes par an, essentiellement des scolaires qui viennent découvrir le ciel. Malgré les presque 70ans
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • VOYAGE
Zeiss ZKP1 : une relique !
du projecteur, le ciel est vraiment de très bonne qualité.
La magnitude des étoiles est simplement retranscrite par
des points plus ou moins épais : des gros points pour les
étoiles brillantes, des plus fins pour les plus faibles. Cette
technique offre un ciel des plus réalistes. Les planètes, le
Soleil, la Lune, certaines constellations et repères célestes,
sont affichés par des projecteurs additionnels. Un nouveau
planétarium numérique est en cours de construction tout
à côté de celui-ci. Seront alors diffusés des programmes
pédagogiques plus modernes. Néanmoins, l’ancien système
sera toujours utilisé pour des descriptions réalistes du ciel.
Le ciel est toujours dégagé et notre passage à Hradec Králové ne s’arrête donc pas là. Clou de la visite, nous
avons la chance de pouvoir utiliser la grande lunette pour quelques observations : Mars, Saturne, Epsilon Lyrae
et M13 seront nos cibles. Le piqué est impressionnant
et malgré la turbulence, les images sont très belles. Sur
le toit de l’observatoire, à deux pas de la coupole, nous
nous promenons à travers le ciel grâce aux “monstres” de
jumelles présentées plus tôt dans l’après-midi. Là encore,
les images se révéleront de bonne qualité ! Nous nous
succédons tous derrière l’oculaire, échangeons quelques
mots en Tchèque et en Anglais avec nos guides et savourons
le moment présent.
Certains commencent à fléchir. C’est vrai qu’il est
déjà tard et nous décidons, un peu à contre cœur de
Photo de groupe sous la coupole
quitter l’observatoire. Nous échangeons coordonnées,
documentations et signons le livre d’or avant de remercier chaleureusement nos hôtes. Le retour en voiture
sera difficile d’autant que François s’entête à diffuser de la musique électronique tchèque d’un autre temps...
Vers 0h30 nous arrivons à notre pension de Kutná Hora des étoiles plein la tête.
Superbe moment passé sous la coupole de l’observatoire de Hradec Králové
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • VOYAGE
Ondřejov ou l’histoire de l’astronomie tchèque
Jour 7 – vendredi 18 juillet. Après l’observation de Hradec Králové, la nuit a forcément été un peu courte,
d’autant que le petit déjeuner de notre pension de Kutná Hora n’est servi que jusque 9 heures. Mais de toute
façon, pas le temps de lambiner ce matin car nous avons rendez-vous à l’observatoire d’Ondřejov situé au
Sud-Est de Prague, à une petite heure de route de là.
Fini l’autoroute, nous empruntons cette fois des petites
routes de campagne, vallonnées et sinueuses. Nous
arrivons à Ondřejov en avance... Ce sera la première
(et unique) fois du séjour. Nous y retrouvons Xavier
dont nous avons fait la connaissance il y a deux jours
à l’observatoire de Štefánik. Là, une inquiétude : nous
apprenons que le contact d’Andrea qui devait nous faire
visiter l’observatoire est en mission aux États-Unis.
Heureusement, il s’est fait remplacer par une astronome
amateur passionnée par l’histoire du lieu spécialement
venue de Prague pour encadrer notre visite.
Photo de groupe à l’entrée de l’observatoire d’Ondřejov
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • VOYAGE
L’observatoire d’Ondřejov est merveilleusement situé, sur une belle colline et au milieu d’une immense forêt
de pins. Son histoire, qui remonte à plus de 110 ans, est étonnante (voir article dédié page 28). Durant la
visite, nous aurons la chance de découvrir plusieurs coupoles et instruments car un travail de conservation
du patrimoine a visiblement été entrepris ici il y a déjà longtemps. Les instruments anciens et les coupoles
sont parfaitement entretenus et mis en valeur. Mais avant les instruments classiques nous commençons par
un petit musée où était initialement installé un grand spectrographe solaire horizontal de type Czerny-Turner.
Dans ce bâtiment sont abrités tout un tas de vieux instruments scientifiques (pas uniquement astronomiques)
conçus par les fondateurs de l’observatoire, ainsi que du matériel informatique rustique. Michel reconnaîtra
notamment son premier écran d’ordinateur datant des années 80 ! On trouvera aussi la première lunette de
Joseph Frič, l’un des fondateurs de l’observatoire d’Ondřejov.
Des reliques...
La première coupole dans laquelle nous
pénétrons abrite deux instruments anciens
montés en parallèle : un Cassegrain de
200 millimètres et une lunette de 150. Le
premier permet l’observation visuelle du
Soleil, la seconde une projection sur un écran
judicieusement placé sur la coupole. Le
système d’entraînement est d’origine avec le
poids à remonter à la manivelle et qui descend
à l’intérieur même du pilier qui supporte
la monture. Malheureusement, le jour de
notre visite, le Soleil ne voudra se montrer
que quelques instants et nous ne pourrons
véritablement profiter de la qualité optique du
réfracteur.
Dans la seconde coupole, nous retrouvons un
instrument qui nous rappelle au premier coup
d’œil la lunette de l’observatoire de ThurySous-Clermont. Celle d’Ondřejov consiste en
une lunette de 217 millimètres de diamètre
surmontée d’une chambre de Schmidt pour la
photographie. Il semblerait que l’instrument
n’ait jamais été véritablement utilisé car de
mauvaise qualité et a été laissé à l’abandon
durant de longues années. Il existerait une
instrumentation similaire en ex-Yougoslavie,
fonctionnelle quant à elle. Depuis quelques
temps, le personnel de l’observatoire
d’Ondřejov tente de redonner vie à ce bel
instrument en le modernisant et en l’équipant
de nouvelles optiques de meilleure qualité.
Affaire à suivre...
La Porte des Etoiles n°26
...des reliques...
...et encore des reliques !
La première coupole avec le Cassegrain de 200 et la lunette de 150
La belle lunette de 217 millimètres
18
• • • • VOYAGE
La visite de l’observatoire se poursuit par le parc. Notre accompagnatrice nous interrompt lorsqu’elle aperçoit
le jardinier ; maître des lieux. Celui-ci a, semble-t-il, une irascible réputation. Il est impératif de ne pas marcher
sur les pelouses sous peine de représailles sévères nous annonce notre guide ! D’ailleurs, les touristes ne sont
pas les seuls visés. On raconte dans le personnel de l’observatoire qu’une journée de congés a été octroyée à
ce jardinier afin qu’il soit absent le jour d’une visite du Président de la République Tchèque Václav Havel il y
a quelques années. Il aurait également copieusement “incendié” le directeur de l’observatoire d’Ondřejov un
jour où il aurait justement marché sur ses précieuses pelouses.
Dans une clairière donnant sur un beau panorama, plusieurs instruments radio sont installés. Le plus
impressionnant de ceux-ci, dédiés à la radioastronomie, est une grande antenne récupérée de l’armée allemande
après la Seconde Guerre Mondiale. Elle affiche 15 mètres de diamètre et date des années 50. Cette antenne,
toujours fonctionnelle aujourd’hui, a pour mission l’étude du Soleil et en particulier de la couronne de notre
étoile. Ce radiotélescope, comme les autres instruments annexes d’ailleurs, est aujourd’hui piloté directement
depuis les bureaux de l’observatoire via un réseau wifi.
A la recherche de l’ombre
On capte Canal + avec ça ?
Nous nous dirigeons maintenant vers la coupole du télescope de 2 mètres qui sera le clou de notre visite,
quand une voiture s’arrête à notre niveau : il s’agit d’un astronome professionnel qui a eu vent de notre venue
et qui se propose de nous faire découvrir rapidement (la visite durera près d’une heure) son instrumentation
solaire. Il s’agit d’un des plus grands instruments destiné à l’observation de notre étoile en Europe : un
cœlostat de 35 mètres de focale permettant une photographie et une étude du Soleil dans plusieurs longueurs
d’ondes (5 exactement) par l’intermédiaire d’un réseau. Après avoir glissé le toit de protection, dévoilé les
optiques et ouvert les portes de la chambre noire, notre hôte continue à nous causer spectroscopie, imagerie,
protubérances et rayonnement... Une rencontre et une découverte très enrichissantes qui n’étaient pas prévues
au programme!
Le coelostat professionnel
La Porte des Etoiles n°26
Les caméras à l’intérieur du « monstre »
19
• • • • VOYAGE
Notre passage à Ondřejov se termine donc par le plus gros
instrument de la collection : un Schmidt-Cassegrain de 2 mètres
de diamètre - le plus gros télescope installé sur le territoire
tchèque - destiné à l’étude des étoiles et à la photométrie. Déjà,
en tournant autour de la coupole, on se doute que l’instrument qui
y est abrité est d’une dimension peu commune. Effectivement,
il s’agit là d’un monstre de plus de 80 tonnes (32 tonnes pour
le tube et 27 tonnes uniquement pour le contrepoids) ; comme
Michel et tous les autres, il s’agit là du plus imposant télescope
qu’il m’ait été donné de voir. Le plus amusant est de se dire
que le “petit” chercheur en parallèle de l’instrument principal
est en fait la plus grande lunette Tchèque, de 300 millimètres
de diamètre. On se sent vraiment tout petit à côté d’une telle
installation.
Le Schmidt de 2 mètres !
Après cette dernière coupole, nous regagnons
nos voitures, offrons le panier traditionnel à
notre guide en la remerciant pour sa passion,
et allons tous manger chez Xavier, où sa
femme Bozena, sa fille Laetitia et le chien
Ida, nous accueillent chaleureusement.
Et sa coupole tout aussi impressionnante !
Petits plats dans les grands : le banquet est
fabuleux ! Il traînera jusque la fin de l’après-midi avec notamment des tentatives désespérées de François pour
jouer convenablement de l’ukulélé. La fille de Xavier, Laetitia, sera la seule à sortir de véritables mélodies
grâce à sa guitare !
Nous remercions Xavier et sa famille et prenons la route de Benešov, là où se trouve notre prochain hôtel.
Après avoir pris possession de nos chambrées, nous allons avaler quelques “pivo” en centre ville, histoire
de faire évoluer un peu le classement... Au retour dans notre chambre, nous avons la désagréable surprise de
constater qu’un concert est en cours dans le café mitoyen à notre hôtel. En d’autres circonstances, nous aurions
pu apprécier qu’un groupe de rock Tchèque massacre The Scorpions ou Leonard Cohen, mais vu notre état de
fatigue... François devra râler auprès de la réception pour que le niveau sonore baisse et que nous puissions
enfin commencer notre nuit.
Comment ça ! Pas d’astronomie aujourd’hui ?
Jour 8 – samedi 19 juillet. Réveil, puis petit déjeuner copieux
comme à l’accoutumée. C’est la première journée sans astronomie
de notre voyage. Au programme, une plongée vers le Sud de la
Tchéquie et la belle région de Bohême : le château de Konopiště,
la ville fortifiée de Tábor et la visite d’un des plus beaux châteaux
du pays, celui de Červená Lhota. Ce dernier, bâti en pierres
rougeâtres a été érigé au XVIème siècle au milieu d’un étang. C’est
Le château de Konopiště
cette particularité qui fait surtout l’intérêt du lieu. Sous un Soleil
toujours franc et un ciel d’un bleu profond, le panorama sera fort apprécié par les photographes qui n’auront
de cesse de jouer avec les reflets de l’eau...
La Porte des Etoiles n°26
20
• • • • VOYAGE
Le beau château de Červená Lhota
Il fait encore plus chaud que les autres jours. Heureusement la climatisation des voitures est là. Nous gagnons
la ville de Jindřichův Hradec (prononcez “yindjirouf hradetse”), prenons possession de nos chambres (très
bel hôtel-restaurant) et allons dîner au bord de la rivière qui traverse la ville. Stephen tombe immédiatement
amoureux de la serveuse, il fallait que ça arrive. Après une bière... puis deux... puis une troisième - ce n’est
pas raisonnable - j’abandonne mes camarades qui s’en vont visiter la ville pour une promenade digestive. Ils
croiseront sur le sol un méridien indiquant en différentes langues le passage symbolique de la longitude 15°E
en différentes langues... On est quand même loin de chez nous !
Encore plus chaud
Jour 9 – dimanche 20 juillet - Nous
entamons la journée par une visite plus
approfondie de la ville de Jindřichův
Hradec. J’en profite pour aller
photographier le 15ème méridien raté
la veille. Nous flânons ensuite autour
du château. François, toujours attiré
par les tours, ne résistera pas non plus
à grimper celle qui domine la cité, en
emmenant dans son sillage plusieurs
membres de la troupe. Il faut dire que
le paysage vu d’en haut est toujours
plus saisissant.
Après cette promenade matinale, nous
regagnons les voitures pour prendre
le chemin du château de Hluboká. Mais avant cela, nous
vidons le rayon Becherovka (le tord boyau Tchèque typique)
du supermarché local et nous procurons quelques victuailles
pour le pique-nique du midi. Dehors, c’est le cagnard ! Sans
doute la température la plus élevée subie depuis notre arrivée
en Tchéquie : le mercure dépasse allégrement les 35°C. La
clim’ tourne à plein dans les voitures et la petite heure de route
jusque Hluboká nous fera du bien. Mais à l’arrivée, il faut
bien grimper au sommet de la colline sur laquelle est installé
ce splendide château de type néogothique datant du XIIIème
Loin de chez nous !
La Porte des Etoiles n°26
Krtek
Taupek, la petite taupe, (Krtek en
version originale) est un personnage de
dessin animé de la télévision publique
Tchèque. Il a été créé en 1957 par
l’illustrateur Zdeněk Miler, les derniers
épisodes de ses aventures ont été
diffusés jusque 2002. De nombreux
produits dérivés ont vu le jour depuis :
livres, jouets, vêtements... Une peluche
à son effigie a même été apportée dans
la Station Spatiale Internationale en
2011 par l’astronaute américain Andrew
Feustel dont l’épouse est d’origine
Tchèque.
21
• • • • VOYAGE
siècle et reconstruit à XVIème
(merci Wikipedia). Nous
pique-niquons dans le parc
du château à l’ombre mais
cruelle déconvenue : Michel
a oublié son précieux tirebouchon. Il doit redescendre
jusqu’au parking en contrebas
et reviendra dégoulinant.
Depuis les hauteurs du
domaine
de
Hluboká,
nous avons vue sur České
Budějovice, là-même où
nous crécherons ce soir. Il
Le château de Hluboká
n’y a que quelques minutes
de route et nous dénichons rapidement notre hôtel, à deux pas de la belle place du centre-ville. Nous trouvons
rapidement un petit restaurant sympathique, sifflons quelques bières et avalons quelques escalopes pannées
(entre autres), avant d’aller prendre un repos bien mérité. En sortant du restaurant, je remarque dans une rue à
deux pas de la place du centre ville un beau cadran solaire et une horloge à Lune qui n’étaient pas prévus au
programme et que je viendrai photographier le lendemain matin avant le petit déjeuner.
Pique-nique dans le parc de Hluboká
L’horloge à Lune de České Budějovice
Toujours plus chaud
Jour 10 – lundi 21 juillet. Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec Miloš Tichý et Jana Tichá qui travaillent
tous les deux à l’observatoire de Kleť (que nous ne pourrons malheureusement pas visiter) et au planétarium de
České Budějovice. Ces deux sites font en réalité partie de la même institution. Monsieur Tichý est le directeur
de l’observatoire, où il a découvert plus de 527 objets (dont une majorité d’astéroïdes), tandis que son épouse,
Madame Tichá, est elle directrice du planétarium. C’est à deux pas de notre hôtel, dans un petit parc à la
confluence des rivières Vltava et Malse que nous trouvons le bâtiment estampillé “planetárium” surmonté
d’une coupole. Le site, ouvert en 1937, est normalement
inaccessible au public durant la période estivale - le planétarium
et l’observatoire accueillent essentiellement un public scolaire
- mais les portes s’ouvriront aujourd’hui juste pour nous...
Après un rapide mot d’accueil de nos hôtes, nous gagnons
la coupole. Celle-ci, de 5 mètres de diamètre, abrite quatre
instruments, installés en parallèle sur une monture toujours
fonctionnelle, datant de l’origine de l’observatoire. L’instrument
principal est un télescope Cassegrain de 300 millimètres de
diamètre et de 4 mètres de focale. Il a été le plus gros télescope
La Porte des Etoiles n°26
A l’entrée du planétarium
22
• • • • VOYAGE
de la République Tchèque de 1937 jusque la fin des
années 1970. Il est accompagné de deux lunettes Merz
encore plus anciennes, datant de 1870 : la première
affiche un diamètre de 150 millimètres de diamètre
pour 1800 millimètres de focale tandis que la seconde,
de 110 millimètres de diamètre, dispose d’une focale
de 1400 millimètres. Enfin, un téléobjectif équipé pour
recevoir des plaques photographiques datant des années
1970 complète l’instrumentation.
Nous aurons la chance de pouvoir observer le Soleil à
travers la plus grande de deux lunettes. Elle est équipée
Sous la coupole de l’observatoire de České Budějovice
d’un hélioscope d’Herschel et d’un filtre polarisant
montrant les taches solaires avec une belle précision. Le fait de varier la filtration avec la polarisation permet,
non seulement de changer la couleur du Soleil, mais également d’augmenter sensiblement le contraste des
différentes zones d’activités solaires : groupes de taches, facules...
Nous passons ensuite dans une belle salle de projection où nous pourrons découvrir les différentes vidéos
et animations pédagogiques destinées aux enfants de tous niveaux. Celles-ci mettent notamment en scène la
fameuse taupe, bien connue des tchèques, grands et petits. Comme la plupart des sites astronomiques publics
que nous avons découverts au cours de ce séjour tchèque, l’essentiel des visiteurs est composé des élèves
des écoles des environs. Miloš Tichý est même fier de dire que le planétarium accueille du public âgé de 3 à
103 ans, pour un total de 25 000 personnes par an. Nous retrouvons dans cette démonstration les thématiques
abordées lors de nos propres animations : mécanisme des saisons, phases de Lune, éclipses, Système solaire,
distance dans l’Univers. Quelques unes présentées nous
donneront certainement des idées qui ne demanderont
plus qu’à être concrétisées lors de notre retour dans
l’hexagone.
La dernière salle que nous visiterons sera celle du
planétarium. Le dôme de 8,5 mètres de diamètre abrite
comme à Hradec Králové un système “préhistorique”
ZKP1 de la firme allemande Zeiss datant de 1971. La
position des planètes y est réglée une fois par semaine
et le système dans sa globalité est entretenu une fois par
an par Monsieur Sifner, que nous avons rencontré au
Miloš Tichý à l’oculaire
planétarium de Prague il y a quelques jours. La salle
permet d’accueillir 65 personnes par séance. On retrouve, représenté sur l’horizon, les environs de České
Budějovice tels qu’ils étaient dans les années 70. La qualité de ciel est de nouveau au rendez-vous, très réaliste,
même si elle n’atteint pas celle du planétarium de Hradec Králové : la taille plus large du dôme sans doute.
Aucun projet de passage au numérique n’est prévu pour le moment et c’est tant mieux ! C’est à l’occasion d’un
échange à propos de ce matériel de planétarium que je sortirai ma première (et seule) phrase en anglais... Il y
a encore quelques restes du séjour à Londres de 2013.
Le planétarium de České Budějovice est lui aussi équipé d’un projecteur Zeiss ZKP1
La Porte des Etoiles n°26
23
• • • • VOYAGE
Après avoir pris de la documentation sur le planétarium de
České Budějovice et sur l’observatoire astronomique de Kleť,
nous reprenons la voiture direction la ville médiévale de Český
Krumlov, classée au patrimoine mondiale de l’UNESCO depuis
1992. Pour l’anecdote, sachez qu’il existe un astéroïde qui porte le
nom de cette belle ville. Il a été découvert en 1980 par l’astronome
Tchèque Antonín Mrkos.
Il nous faudra une petite heure pour arriver sur place, mais
l’accès à notre hôtel ne sera pas des plus aisés. En effet, ce
dernier, situé en plein centre ville n’est accessible que par des
petites rues normalement interdites à la circulation automobile.
Sur les (mauvais) conseils du réceptionniste de l’hôtel, nous nous
engouffrons dans les ruelles bondées de touristes, forcément
mécontents de croiser quatre voitures... Nous finissons par réussir
à trouver de la place pour descendre nos bagages et allons garer
rapidement nos véhicules sur un parking à l’extérieur de la ville.
Le ciel se couvre et l’orage menace. Même si nous serons encore
à Český Krumlov demain, nous préférons assurer le coup et
en visiter un maximum au sec. Le paysage est splendide avec
Balade dans Český Krumlov
la Vltava qui dessine des méandres au milieu de la ville. Nous
découvrons le château, ses jardins à la française, grimpons une fois encore au sommet d’une tour. Laissée en
arrière dans l’ascension, Françoise se rattrapera à la terrasse d’un café en draguant deux Québécois en transit
pour quelques jours. La soirée se termine comme d’habitude au restaurant en sifflant une bière ou deux...
Stephen prendra une bonne quinzaine de minutes pour s’entraîner à commander une glace au chocolat avant
de finalement s’entendre dire que la cuisine est fermée. Dommage !
Dernier jour de vacances : Jean-Pierre se lache !
Ce n’est qu’un au revoir
Jour 11 – mardi 22 juillet. Ce onzième jour de voyage est un peu particulier à plus d’un titre. Déjà parce qu’il
pleut... C’est la première fois depuis la journée passée à Mariánské Lázně le deuxième jour que de l’eau nous
tombe dessus. En même temps, la température a un peu baissé, ce qui n’est pas plus mal. Ensuite, c’est aussi
l’anniversaire de François qui prend d’entrée un coup de vieux et n’arrive pas à suivre le rythme des autres
buveurs de bière. Enfin, c’est aussi le dernier jour de voyage pour Huguette, Michel, Françoise et Jean-Pierre
qui reprendront la direction de la France demain matin.
Ambiance humide
La Porte des Etoiles n°26
Contraints, nous avons sorti les parapluies pour poursuivre notre
balade dans Český Krumlov. Il faudra tout au long de la journée
passer entre les gouttes, si bien que les femmes (entre autres) iront
souvent se réfugier dans les boutiques pour dévaliser les stocks.
Juste avant le déjeuner, en attendant les adeptes du shopping,
Jean-Pierre déniche sur la porte menant à l’extérieur de la ville
historique, un vieux cadran solaire. Ce sera le dernier que nous
croiserons sur notre route durant ce séjour tchèque.
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• • • • VOYAGE
Encore une petite balade et puis c’est quartier libre pour tout le monde : certains optent pour la sieste, d’autres
pour les boutiques, d’autres pour les jeux vidéo... Vers 18 heures, nous nous réunissons tous pour faire le
bilan de ce voyage avant de partir pour un dernier restaurant tous ensemble. Une promenade digestive nous
emmènera une dernière fois sur les rives de la Vltava, où nous pourrons admirer les illuminations du château
et de la vieille ville.
Sur les hauteurs de Český Krumlov
La montagne, ça vous gagne
Jour 12 – mercredi 23 juillet. Ce matin, au petit déjeuner, nous disons
au revoir aux “vieux”. Les Pruvost et les Auger nous abandonnent
et reprennent le chemin de chez eux tandis que les jeunes restent en
Tchéquie pour encore deux jours. Direction le lac de Lipno au Sud
de Český Krumlov à deux pas de la frontière autrichienne. Ce lac
de barrage, le plus grand du pays, a été créé dans les années 50. Il
est aujourd’hui une base de loisirs très prisée des tchèques. A Lipno,
nous avons commencé par une petite descente de Bobova, une espèce
de bobsleigh pour enfants qui permet tout de même des pointes de
vitesse à 50 kilomètres par heure : sensations garanties et belle brûlure
pour Stephen. Après cela, nous avons gravi la colline (encore une)
qui surplombe le lac à 800 mètres d’altitude. Au sommet de celle-ci,
une tour (encore une) que nous gravirons elle aussi. Au sommet, un
splendide panorama à 360° sur les montagnes boisées de la Bohême.
Superbe !
Nous reprenons la route vers Modrava, dans le parc naturel de Šumava,
où nous passerons nos deux derniers jours. A peine le temps de poser les
La dernière tour près du lac de Lipno
affaires que François et Andrea nous traînent déjà dans une randonnée
“casse-gueule” le long d’un petit ruisseau. Fin de journée sur la terrasse de l’hôtel : une “petite” pivo, une
“petite” goulash, puis une improbable partie de bowling privée dans le sous-sol du chalet.
La foule... même dans la forêt
La Porte des Etoiles n°26
Même pas honte !
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• • • • VOYAGE
Après une partie endiablée au résultat incertain,
nous ne résistons pas à l’appel des étoiles. Le ciel
semble propre mais les éclairages de la terrasse nous
empêchent de prendre connaissance de son véritable
potentiel. Nous prenons la voiture, faisons quelques
centaines de mètres et nous engageons dans un petit
chemin repéré lors de la randonnée de l’après-midi.
Et là, c’est la claque : les étoiles fourmillent, la Voie
lactée d’été est éclatante. Les yeux habitués au noir,
nous apercevons sans difficulté une foultitude de
zones obscures. Ce ciel ne vaut peut-être pas celui de
Saint-Véran, mais il est quand même exceptionnel.
Quelques photos d’ambiance... Quelques observations
à travers la longue vue d’Émeline... De quoi garder
des souvenirs de cette (presque) dernière soirée de
voyage.
La fin de l’aventure
Jour 13 – jeudi 24 juillet. Cette fois, on y est... C’est
le dernier jour de vacances. Et pour ce dernier jour,
Andrea a décidé de nous en faire baver. Au programme:
une randonnée de 15 kilomètres au milieu des forêts de
pins du parc naturel de Šumava. Beau, mais usant! En
grand sportif, j’aurai encore mal aux mollets quelques
jours plus tard, à mon retour en France.
Après la rando, quartier libre pour tout le monde.
Certains se reposent, d’autres flânent sur la terrasse de
l’hôtel une bière à la main. Nous nous retrouvons tous
une dernière fois vers 18h30 pour une dernière “pivo’’
commune et un dernier repas. Pour digérer, comme la
veille, c’est partie de bowling. Et pour finir ce séjour
en beauté, une fois la nuit tombée, nous allons admirer
durant quelques minutes le ciel étoilé de Tchéquie, un
peu comme la veille. Personne n’a envie de rentrer en
France tant ce séjour a été riche... Mais il n’y a pas le
choix !
Pivo prosím
Toutes les statistiques le démontrent, les
Tchèques sont les plus grands buveurs de bière
du monde, bien avant les belges et les français.
Afin de nous intégrer à la population locale,
nous n’avons pas rechigné à savourer Pilsner
Urquell, Staropramen et autres Gambrinus et
Budweiser Budvar... Cela donnera d’ailleurs
lieu à un amical concours du plus grand buveur
de bière, brillamment remporté par Stephen
et moi-même : 23 litres engloutis chacun.
Au total, lors de cette escapade du GAAC en
Tchéquie, 95 litres auront été avalés. Chez
les filles, davantage portées sur les cocktails
(Mojito, Piña colada, Cuba libre), c’est Émeline
qui, étonnamment, s’est imposée d’une courte
tête...
Émeline, Stephen et moi, nous disons au revoir
à François et Andrea dès ce soir car demain nous
partirons tôt vers le France et ne voulons pas les
obliger à sortir du lit dès l’aube. Vendredi 25 juillet, je
me réveille devant les forêts de Šumava, alors que je
me coucherai chez moi ce soir. Après 10 heures, d’une
Rando au bord de l’eau
route sans encombre ou presque à travers la Tchéquie,
l’Allemagne et la Belgique, le fidèle Duster arrive à Chéreng. J’y dépose Émeline, elle récupère sa voiture qui,
étonnamment, démarrera à la première tentative. Je me débarrasse ensuite de Stephen, puis regagne mon petit
coin de campagne... Fin des vacances ! Fin de l’aventure !
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• • • • VOYAGE
Quelques liens
Les nombreuses photos de notre séjour en Tchéquie :
https://picasaweb.google.com/AstroGAAC/EscapadeAstronomiqueEnTchequie
La ville de Mariánské Lázně : http://www.marianskelazne.cz/en
La ville de Prague : http://www.praguewelcome.cz
Le planétarium de Prague : http://www.planetarium.cz
L’observatoire Štefanik : http://www.observatory.cz
Le Klementinum de Prague : http://www.klementinum.com
L’observatoire, le planétarium et la Société Astronomique de Hradec Králové : http://www.astrohk.cz
La ville de Kutná Hora : http://www.kutnahora.cz
L’observatoire d’Ondřejov : http://www.asu.cas.cz
Le château de Červená Lhota : http://www.zamek-cervenalhota.eu
Le château de Hluboká : http://www.zamek-hluboka.eu
La ville de České Budějovice : http://www.c-budejovice.cz
L’observatoire et planétarium de České Budějovice, l’observatoire de Kleť : http://www.hvezdarnacb.cz
La ville de Český Krumlov : http://www.ckrumlov.info
Le parc naturel de Šumava: http://www.npsumava.cz
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• • • • HISTOIRE
Ondrejov, l’incroyable passion de deux
frères pour l’astronomie
Par Jean-Pierre Auger
Rappel historique sur l’astronomie tchèque
En République Tchèque, l’astronomie a des racines profondes. Elle commença à s’y développer lors de la
création de l’Université Charles de Prague par l’empereur Charles IV en 1348. L’astronomie était l’une des sept
matières qui y était enseignée. L’âge d’or de l’astronomie tchèque s’établira de la fin du XVIème au XVIIème
siècle, lorsque Tycho Brahé et Johannes
Kepler travaillèrent à Prague pour l’empereur
Rodolphe II, qui était féru de sciences (voir
article page 39). En 1556, à la demande de
la noblesse catholique, soutenue par le roi
de Bohême Ferdinand Ier, Saint Ignace de
Loyola dépêcha à Prague Pierre Canisius pour
y ouvrir le collège jésuite de Saint-Clément,
appelé communément le Klementinum.
A cette époque, l’enseignement donné par
l’ordre religieux des jésuites était dans toute
l’Europe considéré comme étant le meilleur.
C’est la raison pour laquelle 6 ans seulement
après sa création, le 15 mars 1562, le collège
fut érigé en Académie par Ferdinand 1er. Le
Vue partielle du Klementinum de Prague avec sa tour d’observation
15 février 1622, le Conseil Impérial supprima
l’Université Charles de Prague qui s’était révoltée pour soutenir une rébellion protestante et l’intégra à
l’académie jésuite. Par cette fusion les jésuites chapeautèrent l’ensemble de l’enseignement supérieur du pays
jusqu’en 1773, date à laquelle la Compagnie de Jésus fut
officiellement supprimée par le pape Clément XIV.
C’est en 1722 que la tour de l’observatoire du Klementinum
fut construite et vers 1750, Josef Stepling son premier
directeur, la fit équiper des instruments d’observation les
plus modernes d’Europe. Le Klementinum devint ainsi
le premier observatoire astronomique de Tchéquie. Au
XIXème siècle, le Klementinum passa sous le joug des
Allemands. Les études qui y furent réalisées avaient un
but uniquement géographique : la mesure des pôles et
des mouvements de l’axe de la Terre (hors précession et
Joseph Steping fut le premier directeur de l’observatoire
nutation) par observation des très légères modifications
dans la position des étoiles. Le 27 novembre 1885, Ladislav Weinek, le directeur de l’observatoire, y prendra
la première photo d’une étoile filante. Après Weinek et jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale, le
Klementinum n’aura plus de directeur mais un simple curateur.
Ensuite, la nouvelle République Tchécoslovaque installera dans la tour astronomique du Klementinum
son observatoire officiel. Après la Deuxième Guerre Mondiale, le complexe du Klementinum deviendra
un département de l’Institut d’Astronomie Tchécoslovaque appartenant à l’Académie des Sciences, et la
tour sera laissée à l’abandon. Comme tous les observatoires construits en ville, la pollution lumineuse les
condamnent inéluctablement à un rôle historique. Jusqu’à très peu de temps, le haut de la tour était utilisé par
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• • • • HISTOIRE
une association d’amateurs pour l’observation. Nous avons pris leurs coordonnées… pour notre prochaine
visite ! Les instruments exposés dans la tour sont des répliques, les originaux ayant été détruits, vendus ou
dispersés dans d’autres Musées.
Après la création de l’Académie des Sciences de la République Tchécoslovaque en 1953, l’ancien Observatoire
du Klementinum céda sa place à l’Observatoire d’Ondřejov où l’Académie des Sciences et l’Institut
Astronomique de Tchécoslovaquie y établirent leur siège. L’observatoire d’Ondřejov est situé près du village
d’Ondřejov, à environ 25 kilomètres au Sud-Est de Prague. Ce lieu est devenu aujourd’hui le fleuron de
l’astronomie tchèque. Son existence est née de l’incroyable passion qu’eurent les deux frères Josef et Jan Frič
pour l’astronomie.
Qui étaient les frères Josef et Jan Frič?
Josef et Jan Frič étaient les fils du révolutionnaire tchèque Josef
Václav Frič. Expulsé de son pays, ses deux fils naquirent à
Paris lors de son exil. Ils étaient passionnés par l’astronomie
et, revenus en Bohême, ils décidèrent de construire leur propre
observatoire. Mais ce n’était pas chose facile car le matériel
était très cher et tout devait être importé. Ils ne pouvaient se
permettre ce luxe ; aussi décidèrent-ils de fabriquer eux-mêmes
leur instrumentation. Ils créèrent en 1883 dans le quartier de
Vinohrady à Prague un petit atelier de construction d’instruments
de mesure astronomiques. Bientôt, les deux frères, sur les conseils
du chimiste Karl Neumann Cyril, entreprirent la construction de
machines permettant par polarisation de la lumière de mesurer
le taux de sucre dans une solution aqueuse. Ils élargirent ensuite
la gamme de leur production aux instruments de mesures
géodésiques, militaires et minières.
Portrait de Jan et Joseph Frič
Le pari de développement sur ces secteurs industriels leur apporta
des bénéfices considérables et leurs instruments de mesure furent
rapidement vendus dans le monde entier et même aux Etats-Unis
où leur polarimètre fut adopté comme standard officiel. Après la
mort de son frère Jan en 1897, Joseph assuma seul la direction de
Polarimètre pour jus sucré de Jan et Joseph Frič
l’entreprise Jan et Josef Frič. En 1939, il refusa en vrai patriote
de coopérer avec l’occupant allemand et la production en fut considérablement réduite. Après guerre, une
restructuration de l’entreprise eut lieu, mais quelques mois après la libération de la République en 1945, Josef
Frič décéda. En 1948, la société fut nationalisée et ferma définitivement ses portes dans les années 1960,
concurrencée par les importations de matériel de mauvaise qualité venant de Pologne, d’Union Soviétique et
d’Allemagne de l’Est.
Une passion : l’astronomie
En 1901, le premier observatoire n’est qu’une simple maison de bois
La Porte des Etoiles n°26
A Prague, sous le toit de leur maison, les deux
frères aménagèrent un petit observatoire équipé
d’un astrographe de leur propre production
avec lequel ils observaient les comètes. Pour
pouvoir se perfectionner il leurs fallait un ciel
non pollué par la lumière et les particules de
poussière. Ils décidèrent d’acheter un terrain en
dehors de Prague : un endroit convenable, pas
trop éloigné et pas trop cher. Ils le trouvèrent
près de la commune d’Ondřejov, au sommet de
la colline appelée Zalov.
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• • • • HISTOIRE
Mais Jan, le frère cadet décéda brutalement
d’une appendicite le 21 janvier 1897. Après la
mort de son jeune frère, Joseph n’abandonna
pas leur projet. Pour 900 couronnes en or et
pour honorer la mémoire de son frère, il signa
l’acte d’acquisition du terrain d’Ondřejov le
21 janvier 1898. Au départ, l’observatoire ne
fut qu’une simple maison provisoire en bois.
La construction de l’observatoire définitif fut
confiée à l’architecte Josef Fanta, dont l’œuvre
la plus connue est la gare centrale de Prague. Les
travaux commencèrent en 1905.
Joseph Frič pose devant les fondations du bâtiment de la coupole
centrale en 1906
Construction de la Villa, demeure de la famille de Josef Frič. Sur ses façades, les
fresques sont de Kl. Klusacek. Elles représentent les temps de notre vie : le jour,
le matin, le midi, le soir et la nuit.
Construction des coupoles dans les ateliers Ringhofer Smichov
à Prague.
Le bâtiment de la coupole de l’Ouest fut achevé en 1911. Il fut dédié à Jan Frič. Dans ce bâtiment est installée
une lunette qui était unique en 1859. Sa lentille de 217 millimètres de diamètre avait été façonnée par Alvan
Clark aux Etats-Unis. Elle sert encore à l’observation de la photosphère du Soleil et des taches solaires de
la chromosphère. La coupole centrale, ne fut achevée qu’en 1912. Elle renferme en rez-de-chaussée un petit
musée retraçant l’historique de l’observatoire et montrant quelques objets fabriqués par les frères Frič. A
l’étage sont installés une lunette de 217 millimètres de diamètre surmontée d’une chambre de Schmidt pour la
photographie. Dans l’escalier est suspendue au plafond la lunette qui était utilisée par Josef Frič.
En 1913, la première station radio du pays destinée à émettre le signal horaire fut installée à l’observatoire
d’Ondřejov. En 1927, Josef Frič est nommé Docteur de l’Université Tchèque des Sciences et Techniques. En
1928, pour le dixième anniversaire de la République Tchécoslovaque, il décida de faire don de son observatoire
à l’Etat, à la condition qu’il soit transformé
en Institut Astronomique indépendant.
Depuis, cet institut se consacre aux
recherches des astéroïdes, des galaxies, du
Soleil, des amas interplanétaires. Après la
création de l’Académie des Sciences de
la République Tchécoslovaque en 1953,
l’ancien Observatoire du Klémentinum
céda sa place à l’Observatoire d’Ondřejov
qui devint ainsi le premier observatoire
astronomique du pays. Josef Frič décéda
le 10 Septembre 1945, à l’âge respectable
de 84 ans. Pour rendre hommage aux deux
frères, les astronomes donnèrent le nom de
« Janjosefric » à un astéroïde.
Plan de la coupole Ouest
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• • • • HISTOIRE
Ondřejov aujourd’hui
L’Institut astronomique d’Ondřejov est
spécialisé dans quatre types d’observation :
stellaire, solaire, interplanétaire et galactique.
Ces quatre départements de l’Institut orientent
la recherche scientifique vers : la physique
solaire, l’étude de la matière interplanétaire, la
physique des étoiles, la physique des galaxies
et des systèmes planétaires.
Le département de physique solaire se concentre
sur les phénomènes solaires actifs tels que les
taches, les éruptions solaires et les éjections de
masse coronale. Les données provenant des
instruments de l’observatoire d’Ondřejov, y
compris dans les gammes d’ondes optiques et
radio, sont combinées avec des observations
en rayons X et UV faites à partir des satellites
et des sondes spatiales pour mieux étudier
ces phénomènes transitoires complexes. Ces
observations sont comparées aux simulations
numériques qui essaient de modéliser les
mécanismes de base régissant le Soleil, tels
le magnéto-hydrodynamisme et les processus
radiatifs dans le plasma solaire.
La coupole de l’Ouest aujourd’hui.
Le département de la matière interplanétaire La lunette de 217mm surmontée d’une chambre de Schmidt, abrités dans
exploite le réseau européen de caméras qui la coupole centrale
enregistre les météores et les étoiles filantes. Ce réseau détient la primeur mondiale des découvertes sur les
météorites et leur passage au travers de l’atmosphère terrestre. Le réseau d’observation par caméras fonctionne
en continu depuis 1963 et est actuellement le seul de ce genre au monde. A l’aide des radars de l’observatoire,
les chercheurs étudient la fragmentation atmosphérique, les propriétés structurelles des météorites et la
composition chimique des météorites par la spectroscopie, la physique du rayonnement et de l’ionisation des
particules. Depuis 1993, un programme d’observations avec une caméra CCD dédiée à un télescope de 650
millimètres a pour mission d’étudier la rotation des astéroïdes et
leur détection de proximité avec la Terre.
Le département de physique stellaire possède le plus grand
télescope du territoire de la République Tchèque. Il a un miroir
primaire miroir de 2 mètres de diamètre. Son principal domaine
de recherche concerne l’étude de la variation des étoiles binaires
et la définition de leurs paramètres orbitaux. L’utilisation de la
spectroscopie permet aussi l’étude des atmosphères stellaires.
La lunette de 150 mm et le télescope Cassegrain
de la coupole de l’Ouest
La Porte des Etoiles n°26
Enfin, le département des galaxies et des systèmes planétaires
possède son propre télescope zénithal. Il étudie la rotation de la
Terre et les problèmes théoriques de la dynamique des systèmes
solaires, des exoplanètes et des corps transneptuniens, y compris
leurs résonances dans la ceinture de Kuiper. La formation des étoiles
dans le milieu interstellaire y est étudié à la fois par observations
et par simulations. Les études portent sur l’influence du recyclage
des gaz dans l’évolution des galaxies à travers le temps et les
processus d’accrétion et de résonances dans les disques autour des
trous noirs.
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• • • • PATRIMOINE
Pražský orloj
Par Stephen Kowalczyk et Simon Lericque
L’horloge astronomique de Prague est depuis longtemps l’un des symboles de la capitale tchèque. Ce petit trésor
trône en plein cœur de la vieille ville et accompagne les Praguois depuis plus de 6 siècles : l’horloge a d’ailleurs
dignement fêté ses 600 ans en 2010. Nombreux sont les touristes à lui rendre visite et à se masser devant la
façade Sud de l’Hôtel de ville pour attendre fébrilement l’heure juste, afin d’admirer le ballet de ses automates.
Nous aussi, lors de notre passage à Prague, nous n’avons pu résister à l’appel et aux sonneries de l’horloge mais
après avoir assisté au défilé des personnages, nous
nous sommes longuement intéressés aux différents
tracés figurant sur les cadrans...
L’histoire de l’horloge
Au Moyen-Age, de nombreuses cités européennes
installent des horloges astronomiques dans leur
centre-villes : Lund en Suède, Wells au Angleterre
ou encore Strasbourg et Lyon en France. Prague ne
dérogera pas à la règle et les échevins de la ville, alors
la troisième d’Europe avec 40000 habitants, confient
la réalisation d’une telle pièce d’horlogerie à Mikuláš
z Kadaně (Nicolas de Kadau) en 1410. Il sera aidé
par Jan Sindel, un mathématicien et astronome de
l’Université Charles de Prague.
Nous n’avons que peu d’informations sur les modalités
de réalisation de cette œuvre mais on trouve, plus
tard, entre 1552 et 1572, des traces d’interventions
sur l’horloge. Celles-ci ont surtout été effectuées par
Jan Táborský (1500-1580). Ce dernier consacrera
d’ailleurs vingt ans de sa vie à perfectionner le
mécanisme de l’horloge. C’est aussi à lui que l’on doit
les plus anciens documents écrits concernant l’horloge
de Prague. D’autres opérations interviendront par la
suite. Au XVIIème siècle, les figures animées des
différents apôtres furent ajoutées. Josef Mánes sera
à l’origine du nouveau disque calendaire en 1865.
Durant leur fuite à la fin de la Seconde Guerre
Mondiale, en mai 1945, les Allemands bombardèrent
Prague et incendièrent partiellement l’horloge. Celleci sera restaurée en 1948 avec le remplacement de
certaines figurines et pour l’occasion, l’heure légale
des pays d’Europe centrale prendra la place de celle
de l’ancienne Tchécoslovaquie. Enfin, elle subira
deux autres corrections en 1994 et 2006.
Gravure datant de 1791 représentant l’horloge
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• • • • PATRIMOINE
Portrait de Jan Táborský
La légende dit aussi parfois que l’horloge de Prague fut perfectionnée par
Jan Ruze (également dénommé maître Hanus de la Rose) en 1490. On dit
que l’on fit crever les yeux de ce dernier afin que le maître-horloger ne
puisse construire une horloge plus belle que celle de Prague dans une autre
cité européenne. Ce dernier se serait vengé en plongeant sa main dans le
mécanisme de l’horloge – se mutilant volontairement – afin d’arrêter son
fonctionnement. L’horloge cessera ainsi de fonctionner durant quatre siècles
car personne ne put la réparer. Il existe des légendes similaires concernant
les horloges de Strasbourg et Gdansk en Pologne. Quelle est donc la part
de vérité dans cette histoire ? Pour l’instant, la réponse n’a pas été trouvée.
Cela étant, concernant Prague, cette légende reste incompatible avec les
éléments factuels dénichés récemment.
Vue générale du cadran astronomique de l’horloge de Prague
Le tympan
Le cadran astronomique de l’horloge de Prague est basé sur une conception géocentrique de l’Univers ; la
Terre est au centre du monde et les autres astres lui tournent autour. En 1410, date de sa création, Copernic,
Brahé, Kepler et autre Galilée n’ont pas encore vu le jour. On trouve sur l’horloge de Prague un astrolabe,
projection stéréographique de la voûte céleste, composé d’une partie fixe qui représente la sphère locale avec
le ciel visible depuis la capitale tchèque et l’horizon : cette partie est appelée “tympan”. Ensuite, on trouve une
partie mobile dénommée “araignée” qui symbolise les différents astres de la voûte étoilée.
Sur le tympan de l’horloge de Prague, le Nord est en bas, le Sud en haut, l’Est sur la gauche et l’Ouest sur
la droite. Ce tympan est découpé en plusieurs parties. La partie noire représente la nuit noire, là où le Soleil
est à -18° sous l’horizon, celle orangée qui l’entoure, représente le crépuscule, quand le Soleil est entre 0° et
-18° (périodes des crépuscules civil, nautique et astronomique). Les autres parties du tympan sont colorées
de nuances de bleu et de vert. Elles représentent les moments où le Soleil est au-dessus de l’horizon durant la
journée. Enfin au centre, on trouve un cercle avec la Terre représentée qui symbolise l’horizon. Tous les astres
qui passent au-dessus de cette partie du tympan sont alors couchés.
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• • • • PATRIMOINE
Sur l’extérieur du tympan, on note d’abord une première
graduation en chiffres arabes grisés allant de ‘‘1’’ à ‘‘12’’.
Ces chiffres indiquent les heures babyloniennes. A l’époque,
les heures ne duraient pas forcément 60 minutes mais
avaient des durées inégales. La journée était divisée en 12
heures de jour (présence du Soleil dans le ciel) et 12 heures
de nuit (le Soleil est sous l’horizon). Avec les changements
saisonniers marqués comme ils le sont à la latitude de
Prague, les heures d’été pouvaient durer 1 heure et 20
minutes contre 40 minutes à peine au cœur de l’hiver. On
a d’ailleurs les arcs dorés qui symbolisent le passage d’une
heure babylonienne à une autre sur le tympan de l’horloge.
Ces arcs, fort logiquement, ne sont pas représentés dans la
partie “nuit” du tympan.
Toujours sur l’extérieur du tympan, on note ensuite deux
séries de chiffres allant de ‘‘I’’ à ‘‘XII’’. Le XII du haut
indique midi et celui du bas minuit. Ces indications donnent
l’heure solaire. C’est cette graduation qu’il faudra regarder
si l’on veut connaître l’heure “pratique”, celle qui est sur les
montres modernes. Il conviendra néanmoins d’ajouter une
heure en hiver et deux heures en été pour obtenir l’heure
légale du pays (en négligeant de prendre en compte la
correction de l’équation du temps). Sur la photo page 33,
l’aiguille est entre le 10 et le 11 : il est donc près de 12h30
puisque la prise de vue date de juillet.
On trouve également reproduits sur le tympan les tropiques
du Capricorne et du Cancer, ainsi que l’équateur céleste. Le
cercle doré qui termine le tympan à l’extérieur est celui du
Capricorne, le plus proche de la Terre est celui du Cancer
et le cercle intermédiaire symbolise l’équateur. Le Soleil,
coulissant sur son aiguille, se superposera au tropique
du Cancer le jour du solstice d’hiver ; il se superposera
au tropique du Capricorne le jour du solstice d’été et il
se superposera à l’équateur aux moments des équinoxes
d’automne et de printemps. On voit d’ailleurs que la partie
noire ne touche pas le cercle du tropique du Capricorne.
Cela veut dire qu’aux environs du solstice d’été - du 1er juin
au 13 juillet exactement - le crépuscule est interminable ; le
Soleil ne passant pas sous les 18° sous l’horizon, il n’existe
pas de nuit noire. Cette particularité est bien connue des
astronomes amateurs qui observent régulièrement le ciel.
Enfin, à l’intersection du “jour” et de la “nuit”, entre les
parties orangée et bleutée, sur la gauche vers l’Est et le lever
du Soleil, on note les inscriptions “aurora” et “ortus” (aurore
et lever en français) et vers l’Ouest et le coucher du Soleil,
à droite, les mentions “occasus” et “crepusculum” (coucher
et crépuscule). Grâce à ces indications, on comprend
aisément dans quel sens se déplacent le Soleil, la Lune et les
autres astres symbolisés par l’araignée, d’Est en Ouest en
culminant au Sud, en haut de l’horloge.
Les chiffres arabes de l’heure babylonienne
Les chiffres romains de l’heure solaire
Gros plan sur le crépuscule interminable
En bleu, les tropiques et l’équateur céleste
Gros plan sur les inscriptions du Soleil levant
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• • • • PATRIMOINE
L’araignée
L’araignée de l’astrolabe de Prague est
essentiellement composée de l’écliptique
et du cercle zodiacal. Elle effectue un tour
sur son axe en 23 heures, 56 minutes et
4 secondes (durée du jour sidéral). La
trajectoire apparente du Soleil dans le
ciel que l’on appelle donc écliptique, est
ici représentée sur le bord le plus externe
de la partie mobile. Cet écliptique est, par
convention, divisé en douze constellations
du zodiaque représentées par leur symbole.
Chacune des constellations représente
30° de l’écliptique, soit 1/12ème de la
trajectoire apparente du Soleil dans le ciel.
En se superposant à l’un des signes, les
aiguilles du Soleil et de la Lune indiquent
dans quelles constellations se trouvent
ces astres. On peut aussi savoir quelles
constellations sont visibles dans le ciel
Vue générale de l’araignée
et lesquelles sont encore sous l’horizon.
Évidemment, la précision laisse à désirer puisque la lecture proposée ici est surtout celle des astrologues de
l’époque et pas celle des astronomes modernes. Le découpage de l’écliptique aujourd’hui n’est plus le même
qu’au XVIème siècle et le mouvement de précession des équinoxes a engendré un décalage de la position du
Soleil par rapport aux constellations.
L’araignée est supportée par quatre montants. Ces derniers indiquent les
changements de saisons. Un autre élément, très discret est emporté par
le mouvement de l’araignée, c’est une petite étoile en or qui se trouve
dans le prolongement du montant qui indique le passage au printemps.
En plus d’indiquer le retour des beaux jours (le printemps), cette petite
étoile permet aussi de connaître l’heure sidérale. Pour cela, on utilise les
chiffres romains situés sur la partie externe du tympan, ceux-là même qui
permettent de déduire l’heure solaire avec l’aiguille principale. En effet,
l’heure sidérale n’est pas la même que l’heure solaire. L’heure solaire
prend comme référence le Soleil qui “revient” approximativement à la
L’étoile d’or signifiant le printemps
même place dans le ciel toutes les 24 heures. L’heure sidérale quant à elle
prend comme référence une étoile qui reviendra à la même place dans le ciel toutes les 23 heures, 56 minutes
et 4 secondes. Cette différence est due au mouvement de révolution de la Terre autour du Soleil. Ce décalage,
aussi infime soit-il sur une journée, s’amplifie au fil du temps. C’est pour cela que les deux heures ne sont
pas identiques. Finalement, le décalage s’annule au bout d’une révolution terrestre. C’est donc uniquement
le jour du printemps que l’aiguille de l’heure solaire et
la petite étoile d’or effectueront leur “route” ensemble et
indiqueront approximativement la même heure tout au
long de la journée.
Les aiguilles
Deux aiguilles tournent autour du centre de l’horloge
et donnent les indications astronomiques. La première
aiguille, la principale, est celle qui accueille le Soleil et
dont l’extrémité est dotée d’une main dorée. Elle effectue
un tour autour de son axe en 24 heures. Le Soleil coulisse
La Porte des Etoiles n°26
L’aiguille principale portant le Soleil
35
• • • • PATRIMOINE
tout au long de l’année sur son aiguille et indique par la même occasion sa déclinaison approximative. En été,
le Soleil sera au plus loin du centre de l’horloge et longera le cercle du tropique du Capricorne : sa trajectoire
dans le ciel sera longue. En hiver, c’est l’inverse : le Soleil se superposera au tropique du Cancer, tout près du
centre de l’horloge et sa trajectoire dans le ciel sera courte. On peut aussi connaître à tout moment la hauteur
du Soleil dans le ciel mais en l’absence de graduation, cette donnée restera très peu précise. De manière plus
simple, on peut aussi savoir quand le Soleil se lève, quand il se couche, quand la nuit noire débute et quand
elle s’achève. Il suffit d’attendre que l’aiguille croise les intersections de ces parties remarquables du tympan
(voir plus haut).
L’autre aiguille est celle qui porte la Lune. Elle tourne sur l’axe
principal de l’horloge mais également sur elle-même. Cela permet
de savoir dans quelle constellation se situe la Lune (encore que
cette donnée s’avère désormais plus ou moins erronée) mais aussi
la phase. En effet, la sphère portée par l’aiguille est argentée sur
l’une des faces seulement. En tournant sur elle-même en une
lunaison, soit 29 jours et demi, elle présente toujours aux visiteurs
la bonne phase : nouvelle Lune, croissant, quartier, Lune gibbeuse
ou pleine Lune. Cette aiguille tourne sur l’axe central en 24 heures,
50 minutes et 28 secondes, permettant d’indiquer la bonne position
de la Lune par rapport aux constellations zodiacales. D’ailleurs,
tout comme le Soleil, la Lune coulisse sur son axe au fil du temps,
permettant de connaître ses heures de levers, de couchers et de
passages au méridien.
Gros plan sur l’aiguille portant la Lune
Les heures de Bohême
Sur le cadran supérieur, on remarque enfin un dernier cercle
qui cerne le tympan fixe de l’horloge et qui porte des chiffres
arabes en écriture gothique. Ce cerceau est lui aussi mobile
et indique les heures anciennes de la Bohême. Cette heure
aujourd’hui oubliée, d’origine italienne, était surtout utilisée
au Moyen-Age en Europe centrale. Elle découpe la journée en
24 heures qui sont comptées à partir du coucher du Soleil. Cette
heure désuète est indiquée par l’aiguille principale qui porte le
Soleil et la main d’or. Ce dernier cercle a donc un mouvement
très particulier puisqu’il oscille tout au long de l’année pour
coïncider avec les heures solaires des couchers du Soleil. Il
conserve néanmoins un intérêt aujourd’hui puisqu’il suffit
de regarder en face de quel chiffre romain se trouve le ‘‘24’’
gothique (début de la journée de l’ancienne Bohême) pour
connaître l’heure du coucher du Soleil.
L’heure du coucher du Soleil
Partie inférieure du cercle des heures anciennes de la Bohême
La Porte des Etoiles n°26
36
• • • • PATRIMOINE
Vue générale du calendrier inférieur de l’horloge
Le cadran inférieur
Le cadran inférieur est plus récent que l’autre cadran de l’horloge puisqu’il daterait de 1490. Les ornements
actuels ont été réalisés par le peintre tchèque Josef Mánes (1820-1871) en 1865 et sont venus remplacer les
plus anciens – qui ressemblaient beaucoup à ceux d’aujourd’hui – peints en 1659. Au centre figurent les
armoiries de la vieille ville de Prague. En allant vers l’extérieur, on trouve d’abord représentés les douze signes
du zodiaque, puis douze scènes de la vie paysanne en Bohême symbolisant les douze mois de l’année. Enfin,
le cercle le plus à l’extérieur est celui du calendrier : il
figure le numéro du jour dans chaque mois, le nom de la
fête correspondante à ce jour et la première syllabe de
différents vers permettant justement de se remémorer
les dates de ces fêtes. On note aussi sur la partie
interne du calendrier une lettre allant de “a” à “g” ;
c’est la lettre dominicale. Celle-ci permet de connaître
le jour de la semaine pour n’importe quelle date. Il
faut cependant se souvenir de la lettre de référence du
premier janvier car cette indication change à chaque
année nouvelle.
Ce disque du calendrier tourne aujourd’hui
automatiquement autour du centre du cadran en
365 jours. A l’origine, il était déplacé manuellement
chaque jour, sauf pour le jour supplémentaire des
années bissextiles. Pour connaître la date, il suffit de
regarder ce qu’indique le stylet dans la partie supérieur
du cadran.
La Porte des Etoiles n°26
Vue rapprochée sur le stylet indiquant la date du jour sur le
calendrier
37
• • • • PATRIMOINE
Les automates et les ornements
Le ballet des apôtres est certainement le mouvement le plus attendu par les touristes. Celui-ci s’enclenche à
chaque heure pleine, de 9 heures du matin jusqu’à 21 heures le soir. La première animation vient du squelette
qui sonne le glas en tirant la corde de sa main droite. Les douze apôtres sont précédés dans leur déplacement
par Saint-Pierre. Chacune des figurines vient se positionner devant les petites fenêtres et se tourne brièvement
vers la foule pour les saluer. C’est le sculpteur Vojtěch Sucharda qui réalisa les figurines en 1912, puis les
restaura après le bombardement de la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Quatre personnages ornent le cadran de l’horloge. A gauche, on trouve d’abord le Vaniteux avec son miroir
dans la main et l’Avare qui tient une canne et une bourse de pièces. Le premier hoche la tête et admire son
reflet dans le miroir tandis que le second dodeline et agite sa sacoche. A droite, le squelette figure la Mort : il
retourne son sablier, tinte la sonnette et hoche lui aussi la tête. A côté de lui, on trouve un Turc avec un luth
dans la main. Celui-ci symbolise les caprices, les plaisirs et les vices humains. De ces quatre personnages,
seule la Mort a survécu à l’incendie de 1945... Tout un symbole ! Les autres sont des copies installées plus tard,
dans le courant de la deuxième moitié du XXème siècle. Au-dessus des fenêtres dans lesquelles apparaissent
les apôtres trône un coq qui symbolise la vie. C’est lui qui, après le défilé des automates, clôt l’animation avec
un puissant cocorico. Son installation remonte à 1866.
Le cadran du calendrier est lui aussi orné par quatre personnages. A gauche, on trouve un philosophe accolé à
un archange, qui tient un bouclier et une épée en flammes. A droite, on trouve un astronome tenant une petite
lunette dans sa main gauche et, à côté de lui, un chroniqueur public en train de rédiger un texte.
Le coq d’or suplombant les fenêtres des automates
Le squelette sonnant le glas
Le mécanisme
Une partie du mécanisme de l’horloge de Prague
La Porte des Etoiles n°26
Les cadrans principaux de l’horloge sont
essentiellement mus par trois roues dentées
tournant autour du même axe. La première
compte 365 dents et met en rotation l’araignée
supportant le zodiaque, la deuxième compte
366 dents et met en mouvement l’aiguille
du Soleil, enfin, la dernière est dotée de 379
dents et fait tourner l’aiguille qui accueille
la Lune. L’artisan qui s’occupe actuellement
de l’horloge, Otakar Zámečník, estime que
trois quarts des éléments du mécanisme sont
encore les originaux. A plus de 600 ans, elle
est la plus ancienne horloge encore en état
de fonctionnement dans le monde, un bijou
unique qu’il ne fallait donc pas rater !
38
• • • • HISTOIRE
Kepler et Brahé
Sur la trace des géants
Par Michel Pruvost
« On vous a déjà dit sans doute que j’ai été très gracieusement invité par Sa Majesté Impériale et que j’ai été
reçu de la manière la plus bienveillante et la plus aimable. Je voudrais que vous veniez ici non point contraint
par les adversités, mais de votre propre volonté et mû par le désir de travailler avec moi. Mais quelles que
soient vos raisons, vous trouverez en moi un ami qui ne vous refusera pas ses conseils et son aide dans
l’adversité, et qui sera prêt à vous assister. Et si vous venez bientôt nous trouverons peut-être des moyens pour
que vous soyez, vous et votre famille, mieux pourvus dans l’avenir. Donné à Benatek, la Venise bohémienne,
ce 9 décembre 1599, de la main de votre très affectionné Tycho Brahé.»
C’est en ces termes que Tycho Brahé invite Johannes Kepler à le rejoindre à Prague à la fin de 1599. Mais cette
lettre n’arrivera pas dans les mains de Kepler. Celui-ci est déjà en route, parti le 1er janvier 1600, à la faveur
du déplacement d’un conseiller de l’empereur, le Baron Hoffman. Ces deux géants, comme les appellera plus
tard Isaac Newton, allaient se rencontrer. Pourtant, tout s’y opposait encore un an auparavant.
Avant Prague
Kepler travaille depuis longtemps sur les orbites planétaires.
Partisan du système héliocentrique de Copernic, il avait
constaté que les orbites des planètes n’étaient pas des cercles
parfaits et que celles-ci ne tournaient pas à vitesse uniforme
sur ces orbites. La vitesse était plus grande quand la planète
était plus proche du Soleil. Mais comment bâtir la théorie
sans avoir de mesures fiables des mouvements planétaires ?
Un seul homme possède les données nécessaires à Kepler,
c’est Tycho Brahé, qui, durant 35 ans dans son observatoire
d’Uraniborg, a collecté patiemment et scrupuleusement les
mesures de position des
planètes.
L’Uraniborg de Tycho Brahé
Ce trésor, Tycho Brahé ne veut pas le publier car il travaille sur sa propre
théorie du Système solaire. Aussi, Kepler n’attend qu’une occasion pour
aller le rencontrer mais un abime les sépare. Kepler occupe le poste de
Mathematicus à l’école protestante de Gratz en Autriche depuis 1594,
Brahé est astronome auprès du roi Frederic II du Danemark et possède
l’observatoire d’Uraniborg sur l’île de Hveen entre Danemark et Suède.
Des circonstances tout à fait improbables, mues par le destin, une volonté
divine ou, tout simplement un hasard incroyable, vont toutefois réussir à
rapprocher les deux hommes.
Au cours de l’été 1598, l’école de Kepler est fermée. Depuis 1596, le jeune
duc Ferdinand de Habsbourg, archiduc d’Autriche, fait la chasse à l’hérésie
luthérienne. En septembre 1598, les professeurs luthériens sont chassés de
Le Duc Ferdinand de Habsbourg
la province sous peine de mort s’ils y restent. Pourtant, Kepler parvient à y
revenir un mois plus tard. Ses relations avec la Compagnie de Jésus n’y sont certainement pas étrangères.
La Porte des Etoiles n°26
39
• • • • HISTOIRE
En août 1599, Kepler est toujours à Gratz mais n’a plus de travail, son deuxième enfant meurt de méningite, les
persécutions envers les luthériens sont incessantes. Kepler tente de trouver un poste auprès de son ami Maestlin
en Wurtemberg, mais celui-ci tarde à répondre et ne donne pas de retour franc à Kepler. L’année précédente,
Tycho Brahé avait écrit à Kepler pour qu’ils se voient. Pressé par la situation difficile et la nécessité de trouver
un asile, Kepler trouve enfin l’opportunité de se rendre à Prague le 1er janvier 1600.
Tycho en exil
En vingt ans à Uraniborg, Tycho Brahé a réussi à se rendre le plus détestable
des hommes. Son arrogance et son mépris pour les autres, y compris pour
le nouveau roi du Danemark, Christian IV, pousse ce dernier à réduire
considérablement sa rente. Tycho Brahé quitte alors son observatoire de
Hveen en 1597. Avec une caravane d’instruments et plus de vingt personnes
qui l’accompagnent, Brahé fait d’abord escale à Copenhague, puis à
Rostock d’où il écrit une lettre impertinente à Christian IV sur la façon dont
il est traité. Cette lettre achève de le brouiller avec le roi. Durant deux ans,
Tycho Brahé erre avec sa troupe à travers l’Allemagne, d’abord au château
de Wandsbeck, puis à Dresde et à Wittenberg. En juin 1599, après avoir
été nommé Mathematicus impérial auprès de l’empereur Rodolphe II de
Habsbourg, il arrive à Prague, où réside l’empereur.
Le château de Benatek
Rodolphe II de Habsbourg
Tycho Brahé s’installe au château de Benatek à trente cinq
kilomètres au Nord-Est de Prague, en août 1599, mais la
situation n’est pas idéale. La pension de trois mille florins
accordée par l’empereur n’est pas versée régulièrement, une
partie des assistants de Tycho refuse de venir et les grands
instruments sont encore sur l’ile de Hveen. Au moment où
Kepler arrive, l’ambiance est à l’orage à Benatek. Tycho passe
son temps à se quereller avec le régent des biens de la Couronne
et menace de repartir, la peste sévit dans la région et une des
filles de Tycho a une liaison avec son assistant Tengnagel.
18 mois de cohabitation
C’est le 4 février 1600 que Kepler et Tycho se
rencontrent. Tycho a cinquante-trois ans, Kepler
vingt-neuf. Tycho est un riche aristocrate, Kepler un
roturier misérable. Ils s’opposent en tout. La seule
chose en commun qu’ils possèdent est un caractère
irritable et coléreux. Le séjour sera donc jalonné de
frictions, de querelles et de réconciliations, mais les
deux personnages savent qu’ils sont complémentaires.
Marqués par un destin qui les dépasse, ils avanceront
ensemble, presque malgré eux, vers la construction
d’un nouvel univers encore totalement inexploré.
A l’arrivée de Kepler, Tycho redistribue le travail
dans son équipe. Il confie au nouvel arrivant l’étude
de l’orbite de Mars, domaine alors attribué au chef
assistant Logomontanus. Les travaux de ce dernier
n’aboutissaient pas, tournaient en rond. Kepler, fier
de se voir confier un cas difficile, parie qu’il résoudra
le problème en huit jours. Il lui faudra huit ans de
lutte acharnée.
La Porte des Etoiles n°26
l’harmonie des sphères de Kepler
40
• • • • HISTOIRE
Kepler ne sait pas en effet ce qui l’attend. Il est venu à Prague pour arracher à Tycho les chiffres d’excentricités
et les distances moyennes de la planète qui pourront perfectionner son modèle d’univers basé sur les solides et
les harmonies musicales. Il va rapidement reléguer à l’arrière plan ce projet devant la richesse des observations
de Tycho. Kepler dit : “Ces observations m’empoignèrent si bien que je faillis en perdre l’esprit”. Les
observations méticuleuses de Tycho aiguisèrent considérablement l’esprit de Kepler qui découvrit l’extrême
nécessité de précision à apporter dans les observations et dans les calculs. Vers la fin de son étude et prêt à
diffuser ses conclusions, Kepler renonça à son travail car il donnait 8 minutes d’arc d’écart avec les observations
de Tycho.
Avant Prague, Kepler aurait balayé cet écart ; après avoir étudié avec Tycho, il ne pouvait l’admettre. Avant
même de dévoiler un nouvel univers, Kepler découvre la rigueur scientifique. Mais les relations avec Tycho
sont houleuses. Ce dernier a senti le potentiel de Kepler. Il se dit que ce sera ce parvenu ridicule et non lui, le
grand seigneur, qui récoltera les fruits de toute une vie d’observations. Tycho devine que les lois de l’univers
sont enfouies dans ses observations, il vieillit et il sait qu’il n’a pas l’imagination nécessaire. Alors il l’entrave,
dévoile ses observations au compte goutte, cite au cours d’un repas l’apogée d’une planète, les nœuds d’une
autre.
Le 5 avril, la dispute éclate. Kepler avait noté dans un document destiné à un certain Jessenius, professeur
de médecine à Wittenberg, toutes les récriminations qu’il formulait à l’égard de Tycho. Conditions de travail,
horaires, traitement, pension, fournitures de nourriture, de bois, de bière, tout y passait. Tycho avait lu ce
document et, avec condescendance, avait essayé de négocier avec Kepler. Kepler se fâcha et quitta Benatek
pour Prague où il s’installa chez le Baron Hoffman. A peine arrivé, il écrit une lettre d’injures à Tycho, mais,
une semaine plus tard, il envoie de plates excuses. La lettre est celle d’un fils qui implore le pardon de son
père. Trois semaines plus tard, Tycho vint à Prague rechercher Kepler.
En juin 1600, Kepler retourne à Gratz. Il espère encore revenir dans les papiers de l’archiduc Ferdinand et lui
envoie un traité sur une éclipse de Soleil dans lequel il déclare qu’il existe une force dans la Terre qui influence
le mouvement de la Lune et qui diminue en proportion de la distance. Mais l’archiduc est décidé à chasser
l’hérésie de son royaume. Dès le début d’août, tous les bourgeois luthériens de Gratz doivent, soit se convertir,
soit partir en exil. Kepler n’est pas exempt de cette mesure, ce qui rassure Tycho qui le presse alors de rentrer.
Ce que fait Kepler en octobre. Tycho, entre temps, a quitté Benatek et s’est installé à Prague où Kepler et sa
famille le rejoignent. Kepler consacre peu de temps à l’astronomie. Il s’occupe de répondre à des polémiques
entre Tycho et John Craig, médecin du roi d’Ecosse qui met en cause la théorie des comètes de Tycho, soigne
sa santé et s’occupe de sa femme Barbara qui déteste Prague et ses coutumes. Au printemps 1601, le beaupère de Kepler décède. Afin de capter une partie de l’héritage, Kepler retourne à Gratz. Il ne sauvera rien mais
passera quatre mois agréables en Styrie. Il rentre à Prague en août.
Plaque commémorative au numéro 4 de la rue Karlova à Prague
“Le 13 octobre, Tycho Brahé, en compagnie de maître Minkowitz, dîna à la table
de l’illustre baron Rosenberg et retint son eau plus que ne l’exige la politesse.
Comme il but encore, il sentit augmenter la tension de sa vessie, mais il préféra
la politesse à sa santé. En rentrant à la maison, il put à peine uriner... Le 24
octobre, son délire cessa pendant plusieurs heures ; la nature l’emporta et il expira
paisiblement parmi les consolations, les prières et les larmes de tous les siens.
Ainsi à cette date la série des observations célestes fut interrompue, et ses trentehuit années d’observations se sont achevées.” C’est ainsi que Kepler nous livre la
mort de Tycho Brahé. Dans ces derniers instants, il répétait “Que je ne paraisse
pas avoir vécu en vain.” Il adresse ainsi à Kepler le vœu qu’il construise un nouvel
La Porte des Etoiles n°26
le monde géocentrique de
Brahé
41
• • • • HISTOIRE
univers basé sur sa théorie géocentrique, mais il sait bien que Kepler
n’y croit pas et qu’il fera tout le contraire. Le 6 novembre, Kepler est
nommé à la succession de Tycho au poste de Mathematicus impérial
et peut donc maintenant accéder à l’ensemble de ses observations.
Le nouveau système du monde
Kepler occupera le poste de Mathematicus impérial jusqu’en 1612, à la
mort de Rodolphe II. Il fondera deux sciences, l’astronomie physique
à laquelle il travaillera sans interruption de 1601 à 1606 et l’optique
instrumentale. En 1609, il publie La Nouvelle Astronomie Causative
ou Physique Céleste tirée des commentaires Des mouvements de
Mars, d’après les observations de Tycho Brahé, où il publie les deux
premières lois planétaires :
- les planètes décrivent autour du Soleil, non point des cercles, mais
des ellipses dont le Soleil occupe un des foyers.,
- les planètes ne se déplacent pas sur leurs orbites à une vitesse
uniforme, mais d’une manière telle que le rayon vecteur qui joint le
La cathédrale Notre Dame de Týn où est
Soleil à la planète balaie des aires égales en des temps égaux.
enterré Tycho Brahé
Avant cela, il aura travaillé durant six ans sur la détermination de
l’orbite de Mars. Il se débarrassera d’abord du dogme du mouvement uniforme puis, au terme de trois années
de travail, de celui, encore plus sacré, du cercle. Pour cela, il devra redéfinir l’orbite de la Terre. Il découvre
que la vitesse de la Terre n’est pas non plus uniforme autour du Soleil et que l’orbite n’est pas un cercle. Il a
alors l’intuition d’une force qui, depuis l’intérieur du Soleil fait tourner la planète. Un peu comme la lumière
est plus forte si on s’approche d’une lanterne, la force d’attraction est plus forte si la planète est proche du
Soleil et donc, tourne plus vite.
Kepler ouvre là une voie décisive en associant
astronomie et physique. Il ne se contente plus
de décrire, mais il recherche les causes et le
mécanisme. Kepler découvrira en premier, dès
1602, sa “Deuxième loi” en étudiant l’orbite
de la Terre. “Sachant qu’il y a un nombre
infini de points sur l’orbite et par conséquent
un nombre infini de distances, il me vint l’idée
que la somme de ces distances est contenue
dans l’aire de l’orbite. Je me rappelai en effet
que de la même manière Archimède divisa
aussi l’aire d’un cercle en un nombre infini de
La loi des aires : deuxième loi de Kepler
triangles”. C’est au bout de six ans d’études de
l’orbite de Mars, en comparant l’aplatissement
de l’orbite dont la valeur est de 0.00429 avec la sécante de l’angle de 5°18 entre le centre de l’orbite est la
position du Soleil qui est de 1.00429 que Kepler comprend le secret de l’orbite de Mars. Muni des données de
Tycho, Kepler construisit l’orbite de Mars et la vérité éclata : l’orbite était une ellipse !
Des considérations bien terre à terre
Il ne faut pas imaginer Kepler travaillant sereinement sur ses lois. Sa vie à Prague est un parcours d’obstacles.
Son principal travail consiste en la publication d’almanachs, de prévisions astrologiques, d’horoscopes et de
divers articles relatifs aux comètes et à tous les phénomènes bizarres et inexpliqués vus dans les cieux, l’un des
plus fameux étant la nova de 1604. Kepler s’intéresse aussi à l’optique. Il passera pratiquement toute l’année
1603 sur ce sujet. Ce n’est qu’au début de 1605 qu’il achève le brouillon de l’Astronomia Nova. Par manque
d’argent, mais aussi en bute aux actions menées par la famille de Tycho, le livre ne sera publié que quatre ans
plus tard.
La Porte des Etoiles n°26
42
• • • • HISTOIRE
Parlons un peu de la famille de Tycho Brahé. L’ancien assistant de Tycho, Tengnagel, avait réussi à épouser
Elizabeth, la première fille de Tycho, après l’avoir mis enceinte. Réclamant l’héritage, ce triste sire parvint
à vendre à l’empereur les observations et les instruments de Tycho pour la somme de vingt mille thalers.
Cette somme ne fut jamais versée et les instruments restèrent sous clef. Quelques années plus tard, privés
d’entretien, ceux-ci n’étaient plus que des amas de ferraille.
Quant aux observations, celles-ci connurent un meilleur sort en se faisant dérober par Kepler. “J’avoue qu’à
la mort de Tycho, je profitai vite de l’absence, ou du manque de surveillance des héritiers, pour mettre les
observations sous ma garde, ou peut-être pour les usurper” dira plus tard Kepler. Tengnagel, sachant bien
ce que les observations étaient devenues, fit tout ce qu’il pouvait pour empêcher l’édition du livre de Kepler.
Finalement, il eut droit à mettre une préface au livre de Kepler, un texte sot et pompeux. Le livre fut accueilli
avec une totale incompréhension. Kepler était trop en avance sur son temps. Même Galilée en Italie ne mesura
pas l’importance des découvertes de Kepler. C’est en Angleterre que Thomas Harriot, Jeremiah Horrocks, le
révérend John Donne virent le pas de géant fait par Kepler. La voie était ouverte pour Isaac Newton.
Une fois ses travaux achevés, Kepler revint à ses premières amours, l’astrologie et l’Harmonie des sphères. Il
publia un traité sur les comètes, un autre sur la forme des cristaux de neige, un dernier sur la date de naissance
du Christ. Kepler devint un maître renommé, membre de l’Academia dei Lincei à Rome et fréquentant la
haute société praguoise. En 1610, Kepler reçoit un exemplaire du livre de Galilée, le “Messager Astral”. Il est
d’emblée, séduit et deviendra un ardent défenseur de Galilée. En août 1610, Kepler peut enfin se servir, lui
aussi, d’un télescope. Il rédigera un traité d’optique, la “Dioptrique”, où il déduit les principes du télescope
astronomique.
Dans ce paysage exaltant, il y avait pourtant des raisons d’inquiétude. L’empereur Rodolphe ne s’occupait
plus beaucoup de l’empire. Des révoltes en Moravie, en Hongrie faisaient chanceler l’empereur tandis que
son frère Mathias s’accaparait ces territoires ainsi que l’Autriche. En 1611, c’est la guerre civile. Prague est
en proie à une épidémie de variole apportée par la soldatesque qui dévaste la ville, la femme de Kepler et un
de ses enfants meurent. L’empereur abdique le 23 mai et mourra le 20 janvier 1612. Cette mort marque la fin
de l’époque féconde de Kepler. Le nouvel empereur, Mathias, lui laisse le titre de Mathematicus impérial mais
Kepler doit quitter Prague pour Linz en Autriche. L’épisode praguois s’arrête ici.
Après Prague
A Linz, Kepler publiera “l’Harmonie du Monde” en 1619. Il y
livre notamment sa troisième loi. Il publiera encore deux autres
grands livres. Le premier, “l’Epitome”, est un manuel de son
système. Il parait en 1621. Dans cet ouvrage, les lois décrites
sont appliquées à l’ensemble des planètes et de la Lune. C’est
encore une fois un livre très en avance sur son temps. Qu’on se
rende compte que trois ans plus tard, Maestlin fera imprimer
un livre encore inspiré de Ptolémée et qu’en 1629, le fameux
“Dialogues des deux grands systèmes du monde” de Galilée
prendra comme base des mouvements orbitaux les cycles et
épicycles. Le deuxième grand livre de Kepler et son dernier
sera “Les tables Rodolphines”, un catalogue de 777 étoiles et
des éphémérides précises issues des observations de Tycho.
Statue de Kepler et Brahé à Prague
La Porte des Etoiles n°26
Kepler reviendra à Prague une ou deux fois dans les trois
dernières années de sa vie mais n’y restera pas. Comme
une grande partie des européens, balloté par les événements
dramatiques de l’époque, il devra aller de ville en ville pour
fuir les désastres et les exactions de la guerre de Trente ans.
Kepler meurt à Regensburg le 15 novembre 1630. Le cimetière
où il fut enterré a été détruit pendant la guerre de Trente ans et
ses ossements jetés au vent.
43
• • • • SCIENCES
Le déclassement de Pluton
Par François Lefebvre
Prague, le 25 août 2006,
“I believe we have a clear majority... but I am happy to count, if people wish me to do a count...”
(je pense que nous avons une large majorité... mais je suis prêt à compter si vous le voulez.)
[murmures de la foule]
“Do you want me to count ?” (voulez-vous que je compte ?)
[murmures négatifs de la foule]
“Then I believe the resolution is clearly carried !” (dans ce cas, la résolution est acceptée !)
[tonnerre d’applaudissements]
C’est Ronald D. Ekers qui vient de prononcer ces quelques phrases, lesquelles résonnent encore dans l’immense
salle du palais des congrès de Prague, dans le quartier de Pankrac. Fermement assis derrière son bureau au
centre de l’estrade, il préside la 26ème assemblée générale de l’Union Astronomique Internationale, lui qui
en est, pour quelques heures encore, le plus haut représentant. Par ces mots, la résolution 5A, acceptée à
l’écrasante majorité des 424 votants, scelle le destin de Pluton, rétrogradée au rang peu flatteur de “planète
naine”. Retour sur une page haletante de l’histoire de l’astronomie.
Pluton : le feuilleton de la découverte
L’histoire commence avec la découverte d’Uranus, en 1781, par Sir William Herschel, astronome germanobritannique passé à la postérité. Croyant d’abord y voir une comète, il se rend pourtant à l’évidence : il vient de
découvrir la septième planète du Système solaire, repoussant ainsi ses frontières de dix unités astronomiques,
soit le double de la taille connue antérieurement. Bien vite pourtant, la communauté scientifique se rend
compte de certaines anomalies orbitales de cette nouvelle planète. Cette dernière semble en effet parcourir
son orbite un peu moins vite parfois (un peu plus vite d’autres fois) que ce que prédisent les inoxydables
lois de Kepler. On en vient donc à suspecter un corps, plus lointain encore, de perturber, par gravitation, le
mouvement d’Uranus. Et c’est ainsi, par les calculs et “par la plume” comme le dira Arago, que la physique
théorique aboutira à l’un de ses plus beaux tours de force : la découverte de Neptune, en 1846 par le Français
Le Verrier. La course folle à la paternité de la huitième planète aura donc duré près de 65 ans et aura passionné
la communauté scientifique de l’époque dans un climat de (mal)saines rivalités nationales. L’histoire montrera
d’ailleurs que les calculs, des uns comme des autres, étaient partiellement faux.
Pour autant, si Neptune semble bien expliquer – à 2% près – les anomalies orbitales d’Uranus, on
observe également des perturbations similaires dans l’orbite de Neptune. L’histoire n’étant qu’un éternel
recommencement, une autre course effrénée s’amorce pour la découverte de la neuvième planète, à coup sûr
coupable de la course perturbée de Neptune sur son orbite.
Parmi les passionnés on compte un certain Percival Lowell. Riche homme d’affaires devenu astronome
amateur, il fonde en 1894 un observatoire absolument extraordinaire pour l’époque. Situé à 2175 mètres
d’altitude à Flagstaff en Arizona, il abrite depuis 1896 un télescope de 61cm. Lowell se consacre à deux sujets
que sont les (très célèbres mais finalement très fantasmés) canaux martiens et la recherche de cette fameuse
“planète X” telle que baptisée depuis. Les instruments de l’époque ne peuvent mesurer avec suffisamment de
précision les anomalies orbitales de Neptune, ce qui rend la tâche très compliquée. Lowell s’appuie pourtant
sur les derniers progrès en matière de photographie, mais la fameuse planète se refuse à lui. Il décédera en
1916, sans découverte majeure à son actif, en laissant toutefois un héritage conséquent pour la poursuite
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • SCIENCES
des recherches. En 1926, un nouveau télescope,
pourtant plus petit (33cm) est installé à l’observatoire
de Flagstaff et c’est Clyde Tombaugh qui en aura la
charge. Ce dernier dispose d’outils photographiques
plus évolués que son prédécesseur, mais surtout il
décide de changer de stratégie en observant un peu plus
loin de l’écliptique que Lowell ne l’avait fait... Cette
approche s’avérera payante ! En 1930, le 18 février
à 16 heures – soyons précis –, Tombaugh observe un
point de quinzième magnitude bouger sur ses plaques
photographiques : la planète X est découverte ! On la
nomme Pluton, en hommage au Dieu des enfers, mais
également à Percival Lowell dont les initiales forment
les deux premières lettres.
Mais rapidement, il faut se rendre à l’évidence : cet astre
lointain que les télescopes les plus puissants n’arrivent
pas à résoudre semble bien petit. Peut-être plus grand
que Mercure, pense-t-on à l’époque, mais pas plus que
Mars. Cet astre ne peut donc être la planète X recherchée
par Lowell, planète à l’origine des troubles orbitaux de
Neptune.
Pendant douze ans encore Tombaugh recherchera sans
relâche cette planète qui lui échappe, mais ne piègera
dans ses filets photographiques que des astéroïdes et
Télescope de l’observatoire Lowell ayant servi à la découverte quelques comètes. Nous sommes dans les années 40,
et déjà, les astronomes suspectent qu’un grand nombre
de Pluton (source Wikipédia)
d’objets similaires à Pluton orbitent dans le Système
solaire. Deux scientifiques du nom de Kuiper et Edgeworth formulent même l’idée que “le Système solaire
pourrait être constitué de plusieurs zones regroupant les corps célestes par familles : planètes telluriques,
planètes géantes, et objet ‘ultra-neptuniens’ ” [1]. Ces objets forment, on le sait aujourd’hui, une ceinture audelà de l’orbite de Neptune, laquelle porte le nom des deux scientifiques. La ceinture de Kuiper est d’ailleurs
devenue l’hypothèse la plus crédible pour expliquer les anomalies orbitales neptuniennes (ainsi que les 2%
manquants dans le cas d’Uranus), bien devant l’idée d’une “planète X” que nos télescopes les plus puissants
n’ont jamais trouvée.
Pluton : un astre à part parmi les planètes
On le comprend donc : Pluton a rapidement vécu sous le sceau d’une indéniable dualité pour les astronomes.
D’une part, il était une planète comme aucune autre, de par sa taille, sa distance au Soleil et son orbite éloignée
de l’écliptique. D’autre part, c’était un objet comme on en trouve en quantité dans ces coins reculés du Système
solaire (même si à l’époque cela ne restait qu’une hypothèse). Pluton conjuguait donc déjà maladroitement
unicité et anonymat... Avant de comprendre où cette antinomie allait l’amener, regardons de plus près quelques
caractéristiques physiques de Pluton.
Ainsi, jusque dans les années 1970, on estimait la taille de Pluton se situer dans un intervalle allant de celle
de Mercure (4900 kilomètres de diamètre) à celle de Mars (6800 kilomètres de diamètre). En 1978, c’est en
observant de curieuses protubérances – tantôt d’un côté, tantôt de l’autre – sur les plaques photographiques de
Pluton que l’astronome James Christy découvrit le plus gros satellite naturel de Pluton : Charon. En calculant
la masse combinée du système Pluton/Charon à partir des périodes orbitales de ces deux corps – Charon et
Pluton tournent autour de leur barycentre en 6 jours environ – et de leur distance respective, les astronomes
se rendirent compte qu’elle ne dépassait pas celle de notre Lune. En terme de taille, nous étions bien loin des
estimations premières : 2320 kilomètres de diamètre pour Pluton, 1210 kilomètres pour Charon. Décidément
Pluton était bien incapable d’influer sur l’orbite de Neptune.
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Pluton présente une orbite autour du Soleil très elliptique : le périhélie se situe à 29 unités astronomiques,
soit plus proche que celui de Neptune, l’aphélie quant à lui, se situe à plus de 49 unités astronomiques. Dans
sa course autour du Soleil, Pluton passe une vingtaine d’années plus proche du Soleil que ne l’est Neptune.
C’était le cas de 1979 à 1999, et cela ne se reproduira plus avant... le 23ème siècle ! Sa révolution moyenne dure
en effet 248 ans, mais l’influence de Neptune est si forte que cette durée n’est pas stable au cours du temps et
peut varier en fait de 244 à 252 ans. Des simulations numériques poussées nous montrent pourtant que, malgré
l’influence des quatre planètes géantes proches, l’orbite de Pluton restera stable pendant au moins quatre
milliards d’années. Ces mêmes simulations montrent également que Pluton n’est pas une lune échappée de
Neptune. Il est à noter que c’est bel et bien cette dernière qui domine Pluton : elle lui impose une résonance 3:2
(quand Pluton parcourt deux orbites, Neptune en parcourt 3). C’est d’ailleurs grâce à cette résonance que jamais
Pluton et Neptune ne rentreront en collision. Dans les scénarios les plus plausibles de formation du Système
solaire, c’est la migration de Neptune, poussée par les trois autres géantes vers les confins du système, qui aurait
transformé l’orbite de Pluton, lui
conférant son excentricité. Le
schéma ci-contre montre à quel
point l’orbite plutonienne est
elliptique et éloignée du plan de
l’écliptique.
Pluton présente donc un
phénomène
particulier
de
saisons, lesquelles ne sont pas
de même durée. Particularité
accentuée d’une part par
l’excentricité de l’orbite (Pluton
va plus vite quand elle est près
du Soleil) et d’autre part par la Les orbites des planètes du Système solaire (Source : http://www.vulgarisation-scientifique.com)
forte inclinaison de son axe de
rotation : 57°. Ainsi, pour l’hémisphère Nord, l’été et l’automne ne durent “que” 42 ans, alors que l’hiver et le
printemps durent – eux – plus de 83 ans. Pour cet hémisphère, c’est en été (malgré sa courte durée) qu’il fait le
plus chaud. Pour l’hémisphère Sud, en revanche, c’est au printemps. Sur Pluton, c’est donc bien la distance au
Soleil qui devient le facteur premier des changements de température et non pas, comme c’est le cas sur Terre
par exemple, l’influence de l’inclinaison de l’axe de rotation de la planète, ici relayée au second plan.
Ce phénomène saisonnier joue fort probablement un rôle prépondérant dans les fluctuations de densité
atmosphérique. L’hypothèse assez largement admise est que l’atmosphère de Pluton croît pendant les 42
années de printemps de l’hémisphère Sud – qui correspond au périhélie – et décroît le reste du temps. Grâce à
plusieurs occultations stellaires par Pluton (quatre entre 1988 et 2007) les astronomes ont pu mesurer certaines
caractéristiques atmosphériques. En 1988, la pression en surface était d’environ 5 micro-bars, pour 10 microbars en 2002. De manière plus générale, la pression en surface croît de 0,3 micro-bar à son minimum (près de
l’aphélie) à 15 micro-bars à son maximum. Le hasard faisant bien les choses, l’atmosphère plutonienne ne sera
pas loin de son maximum en 2015 pour le survol de la sonde New Horizons de la NASA.
L’atmosphère est en fait composée, pense-t-on, d’azote, de traces de méthane et de monoxyde de carbone.
Il est donc probable, notamment grâce au méthane – gaz à effet de serre – que la hausse de la température
(qu’on estime d’un degré seulement, de 36 à 37 Kelvins) engendre la sublimation de l’azote de surface vers
l’atmosphère. On pense que ce réchauffement saisonnier – aussi minime soit-il – pourrait également donner
naissance à quelques geysers en surface. On suspecte également la présence d’une troposphère (couche basse
près de la surface où la température diminue avec l’altitude) engendrant une dynamique physico-chimique
nuageuse complexe. L’alternance nuit-jour pourrait aussi donner de belles surprises : le côté nuit pourrait
engendrer la création d’une fine couche nuageuse se dissipant en journée, voire pourrait faire se condenser
l’atmosphère de nouveau sur la surface. La présence d’une ionosphère fait peu de doutes, comme c’est le cas
sur Triton, astre que l’on croit être en de nombreux points similaire à Pluton, notamment sur la dynamique
atmosphérique comme celle de surface. Il est d’ailleurs probable que Triton soit lui aussi un objet de la ceinture
de Kuiper capturé par l’imposante Neptune.
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Les modèles d’atmosphère plutonienne en fonction de la température (source : Robert Shmude)
La densité moyenne de Pluton est de 2g/cm3, soit à mi-chemin entre celle de l’eau et de la roche, ce qui
laisse penser que l’une et l’autre se trouvent en grande quantité sur Pluton. Le scénario le plus accepté
aujourd’hui est que Pluton soit un astre différencié, c’est à dire qu’il soit composé d’une couche interne de
roches (silicates, sulfures et autres métaux) au plus près du noyau et d’une couche de glace (eau, ammoniac,
monoxyde et dioxyde de carbone) au plus près de la surface. Les possibles sources de chaleurs internes de
Pluton sont classiques (radioactivité, impact(s) géant(s) et chaleur résiduelle issue de la formation du corps),
et on pense que le noyau atteint une température de 1000 Kelvins pour une pression de 10000 bars. On estime
que la chaleur s’échappant de Pluton est d’environ 1% celle de Neptune ; laquelle se dissipe probablement
de manière non-homogène à la surface créant des points chauds. Si toutefois cette hypothèse s’avérait fausse,
et que Pluton soit resté froid pendant toute son histoire, il serait non-différencié et ses structures internes ne
seraient qu’un mélange de roche et de glace réparti uniformément, ou presque, du noyau à la surface.
Deux modèles de structure interne de Pluton : un Pluton chaud et différencié et un Pluton froid et non-différencié avec pour seule
nuance la structure de la glace en fonction de la pression (Source : Robert Shmude)
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• • • • SCIENCES
De par sa taille, Pluton ne dispose pas d’un effet magnétique de dynamo. En revanche, comme beaucoup
d’astres, il dispose d’un résidu de champ magnétique, extrêmement faible (on l’estime à moins d’un millième
celui de la Terre). Cependant, aussi faible que soit ce champ, il suffirait à protéger l’atmosphère de Pluton
du vent solaire, ainsi Pluton posséderait une magnétosphère. Il est également possible que la magnétosphère
appartienne à Charon et non à Pluton. Les caractéristiques magnétiques des deux astres ne seront clarifiées
qu’après le survol de New Horizons l’année prochaine.
Vue du vent solaire, repoussé par le champ magnétique résiduel de Pluton (Source : Robert Shmude)
L’étude de la surface de Pluton est restée jusqu’à aujourd’hui un exercice périlleux, où les hypothèses sont
légion et où les certitudes se font rares. Le système Pluton – Charon est, on le rappelle, trop petit pour être
résolu par les télescopes les plus puissants, au premier rang duquel le Hubble Space Telescope, accrochant
à grand peine quelques détails grossiers. Ainsi, l’étude de Pluton en général et de sa surface en particulier
s’est beaucoup appuyée sur l’étude de l’albédo et de la magnitude du système. Cela a même été le premier
moyen historique de détermination des tailles respectives de Pluton et Charon : en mesurant les écarts d’albédo
périodiques dus à l’occultation partielle de Charon passant devant Pluton (cette méthode, du reste séduisante, a
été mise à l’écart au bénéfice des tailles calculées à partir des mesures faites à plusieurs endroits d’observation
sur Terre d’occultations stellaires par Pluton). On sait aujourd’hui que Pluton émet près de 85% de la lumière
totale du système, le reste venant presque exclusivement de Charon. Les changements d’albédo de l’un ou de
l’autre influant donc sans aucun doute possible sur la luminosité totale du système.
On a observé une baisse de 3% de la luminosité totale du système entre les années 1930 et les années 2000. Le
scénario le plus accepté est que cela soit lié au réchauffement des températures de par l’approche de Pluton au
plus près du Soleil. En effet, il est suspecté que ce réchauffement fasse se sublimer la glace d’azote en surface,
laissant donc apparaître les couches plus sombres du dessous. Cette hypothèse est cohérente avec l’augmentation
de la pression atmosphérique dont il a été question plus haut dans ce chapitre. Elle est également cohérente avec
l’observation, entre 1950 et 2000, de la courbe de lumière de Pluton : l’amplitude de cette courbe a quasiment
triplé en 50 ans, c’est-à-dire que la différence de magnitude entre le point le plus sombre et le plus lumineux
de l’astre a triplé. Toutefois une autre explication existe, possiblement complémentaire à la précédente, qui
concerne le changement d’orientation de Pluton tel que vu de la Terre. Selon les conventions de l’UAI, c’est
l’hémisphère Sud qui faisait face à la Terre en 2000, et donc l’hémisphère Nord en 1930. Si la différence
d’albédo est importante entre ces deux hémisphères, cela pourrait contribuer à expliquer les observations
précédentes. On pense que certaines zones les plus sombres de Pluton peuvent atteindre 50 Kelvins (au lieu
des 36 en moyenne), température à laquelle – dans les conditions locales de pression atmosphérique – la glace
de méthane se sublime également, nourrissant ainsi l’atmosphère de méthane. Comme dit précédemment, il
est probable de trouver des points chauds sur Pluton, permettant à la chaleur interne de s’échapper.
Une autre déduction intéressante de l’étude de la luminosité du système est son évolution avec l’angle de
phase solaire, c’est-à-dire avec l’angle formé par le Soleil, l’observateur (très souvent sur Terre !) et Pluton.
Jusque dans les années 1980, les instruments n’étaient pas assez puissants pour différencier la lumière émise
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• • • • SCIENCES
par Charon de celle de Pluton. On
sait maintenant que la magnitude
de Pluton baisse de 0,03 magnitude
par angle de phase solaire, et
celle de Charon d’environ 0,08
magnitude. Jusqu’en 2013, ces
données n’étaient pas largement
commentées de par la petitesse
de l’éventail des angles de phase
observés : de 0,5 à 2 degrés. La
sonde New Horizons, bien qu’étant
encore loin de son objectif, a déjà
pu amener certaines contributions
scientifiques,
notamment
en
Pluton résolu à grande peine par Hubble. Les images brutes sont celles des encadrés observant la chute relative de
supérieurs gauches, les grosses sphères sont le résultat d’un traitement d’extrapolation magnitude à un angle de phase de
des informations initiales
11 degrés. Et ces derniers résultats
sont cohérents avec les précédents : Charon est plus sombre d’environ 0,25 magnitude comparativement à
Pluton. Cette baisse plus rapide de la luminosité apparente de Charon avec l’augmentation de l’angle de phase
nous permet de conclure que la surface de Charon est sans doute différente de celle de Pluton, et présente
probablement une porosité supérieure.
Pour conclure ce tour d’horizon de Pluton, attardons nous sur ses satellites, au premier desquels : Charon.
Ce dernier, bien qu’officiellement catégorisé comme satellite, pourrait (voire devrait) être vu comme une des
composantes d’un système binaire, lui qui n’orbite qu’à 19000 kilomètres de Pluton. Rappelons en effet que
le centre de gravité du système Pluton – Charon est à l’extérieur de Pluton, conférant à ces deux astres un
mouvement de rotation assez esthétique dans leur course autour du Soleil. Notons qu’il est fort probable que
Charon, comme c’est le cas de notre Lune, montre toujours la même face à Pluton.
Charon, comme écrit plus haut dans ce chapitre, est un corps de 1210 kilomètres de diamètre présentant
une gravité de surface très faible : environ 2 micro-bars, rendant la présence d’une atmosphère hautement
improbable. Sa surface est sans doute composée de glace d’eau cristalline mélangée à des impuretés plus
sombres, peut-être des hydrocarbures. Le méthane et l’azote, s’ils ont un jour été présents, se sont échappés
en large majorité, et depuis longtemps, de Charon vers l’espace. Pour autant, Charon peut réserver de belles
surprises lors du survol de New Horizons en 2015 : sa densité de 1,7g/cm3 étant relativement élevée, elle abrite
nécessairement une quantité significative de roches, pouvant faire penser que l’intérieur du corps est chauffé
par des éléments radioactifs. Il est donc possible que le noyau soit suffisamment chaud pour faire fondre les
couches de glace en eau près de celui-ci. L’hypothèse selon
laquelle une partie de ce liquide trouverait le chemin de la
surface et la réapprovisionnerait ainsi en glace cristalline n’est
pas à exclure.
En 2005, deux satellites supplémentaires ont été découverts :
Nix et Hydre. On sait peu de choses de ces deux corps, si ce
n’est qu’ils font environ 80 kilomètres de diamètre chacun
et qu’ils orbitent à 48000 et 64000 kilomètres du barycentre
du système. Leur albédo ne changeant quasiment pas dans
leur course autour du centre de masse, on peut déduire que la
surface est homogène et que la forme de ces deux satellites est
quasi-circulaire. En 2011, la NASA a annoncé avoir découvert
un quatrième satellite – Kerberos – d’une taille moindre (entre
15 et 35 kilomètres de diamètre) à 59000 kilomètres du centre
de masse. Et en juillet 2012 un cinquième satellite – Styx – a
été découvert, d’une taille inférieure à 25 kilomètres et orbitant
à 45000 kilomètres du centre de masse.
La Porte des Etoiles n°26
Photo de Pluton par Hubble avec tous ses satellites
(source Wikipédia)
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On le comprend : Pluton et sa horde de satellites ne manquent pas d’intérêt. Il s’agit d’un système complexe
et dynamique, bien plus qu’on ne pourrait l’imaginer compte-tenu de sa distance faramineuse au Soleil.
Pluton présente très probablement une saisonnalité marquée, une atmosphère dynamique, une structure
interne différenciée, une activité magnétique résiduelle et sa surface semble le siège de phénomènes physicochimiques surprenants. Pour autant que son observation et son histoire lui assurent une place à part dans la
découverte du Système solaire par l’Homme, Pluton a assurément souffert des trop grandes espérances qu’on
a mises en lui : on l’a vu influer sur l’orbite de Neptune alors qu’il en est incapable et sa taille s’est avérée
beaucoup plus petite que prévue, tellement petite qu’il en est obligé de partager son environnement avec un
envahissant comparse : Charon.
Mais surtout, avec les progrès de l’instrumentation, on a commencé à découvrir “d’autres Plutons”, similaires,
aussi intéressants, tous ou presque situés dans cette fameuse ceinture de Kuiper. Et pire : on en a découvert de
plus gros ! En 2003, fut observée pour la première fois Éris, un astre de 2330 kilomètres de diamètre, un tout
petit peu plus grand que Pluton, mais de 30% plus massif, présentant une orbite encore plus excentrique : de 37
à 98 unités astronomiques dans sa course autour du Soleil ! Éris, honorant de son nom la déesse de la discorde,
allait en fait précipiter la chute de Pluton. Ç’aurait pu être un amusant hasard prémonitoire, mais c’est bien a
posteriori – en septembre 2006 – que le nom officiel de ce corps fut attribué. Un nom fort à propos...
Pluton : les prémices du déclassement
La découverte d’Éris allait en fait forcer l’Union Astronomique Internationale à statuer sur une question
vieille comme le monde : qu’est-ce qu’une planète ? Les Grecs de l’Antiquité, par “planètes”, entendaient
“astres voyageurs”, observant le curieux balai de cinq points lumineux dans le ciel. En effet, Mercure, Vénus,
Mars, Jupiter et Saturne sont visibles aisément à l’œil nu et leur mouvement relatif par rapport à la Terre
est différent de celui du reste du fond du ciel. D’où le terme “d’astre voyageur”. Depuis lors, les moyens
d’observations aidant, on découvrit d’autres “astres voyageurs” tout en affinant notre compréhension de leur
nature. Avant Neptune, on découvrit même Cérès en 1801, baptisée un temps comme “la planète manquante
entre Mars et Jupiter”. En 1851, avec la découverte d’un nombre grandissants “d’autres Cérès”, on comptait
23 planètes dans le Système solaire. Conscients que des centaines de corps allaient bientôt venir grossir la
liste, les astronomes commencèrent à appeler Cérès et les autres corps similaires “astéroïdes”. Mais, là encore,
l’opportunité de définir rigoureusement le terme de “planète” ne fut pas prise et la communauté scientifique
se satisfit des deux appellations “planètes” et “astéroïdes”, même à la découverte de Pluton en 1930. Comme
on le sait, c’est la découverte “d’autres Plutons” de la ceinture de Kuiper, de “plutinos” comme on les appelle
parfois quand ils sont en résonance 2:3 avec Neptune, qui mit l’Union Astronomique Internationale devant la
lourde responsabilité de briser le statu quo.
Ainsi, en 2005, l’UAI créa un comité scientifique composé de 19 personnes, à la tête duquel Iwan Williams,
professeur à l’université de Londres, qui eut le mérite de proposer trois approches possibles différentes, et
pourquoi pas complémentaires, pour la définition d’une planète : une piste culturelle (une planète est une
planète si les gens le disent), une piste structurelle (une planète est assez grosse pour former une sphère) et
une piste dynamique (l’objet est assez gros pour causer l’éjection de son orbite de tout autre objet). Il est
intéressant, à ce niveau, de constater que le débat n’est pas uniquement scientifique, il porte avec lui une
composante vulgarisatrice culturelle. Sous-entendu, le terme planète est un terme du sens commun, il doit le
rester. Cette approche aura son importance par la suite. L’UAI aimant les comités, un autre fut chargé – sur
les bons conseils du précédent – de bâtir une proposition définitive en vue de la 26ème assemblée générale de
l’Union se tenant à Prague du 14 au 25 août 2006.
Ainsi la proposition officielle de ce comité, s’appuyant largement sur l’approche structurelle précédemment
citée, fut soumise le 16 août 2006 en session de travail aux astronomes de l’UAI. Elle stipulait qu’une
planète
a/ a une masse suffisante pour que sa propre gravité vainque les forces de rigidité des corps le constituant, de
façon qu’il parvienne à une forme (presque ronde) en équilibre hydrostatique
b/ est en orbite autour d’une étoile, et n’est ni une étoile, ni un satellite d’une planète.
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• • • • SCIENCES
Comme il en sera question quelques fois au cours de ce chapitre, “l’équilibre hydrostatique” est une notion
importante à définir. “En physique, on appelle équilibre hydrostatique l’état atteint par un système lorsque les
forces de gravitation sont contrebalancées par un gradient de pression de direction opposée” [2]. Cet état est
utilisé dans nombre de disciplines dont l’astrophysique. Ici en effet, l’équilibre hydrostatique d’un astre est
atteint lorsque la pesanteur (force d’attraction qui tend à ce que le corps s’effondre sur lui-même) et le gradient
de pression (force répulsive exercée par la rigidité du matériau composant l’astre) se compensent en conférant
une forme quasi-sphérique à l’astre en question. On compte plus d’une trentaine de corps dans le Système
solaire qui sont en équilibre hydrostatique, et la liste n’est pas close.
Cette proposition originelle, contresignée dès le 18 août par la très sérieuse “Division of Planetary Sciences”
donnait immédiatement le statut de planète à Cérès (qui le retrouvait 150 ans après), Charon (car composante
d’une “planète double”, le barycentre du système Pluton-Charon étant à l’extérieur de ces deux astres) et
le récemment découvert Eris. Le gros avantage de cette proposition est qu’elle s’appuie sur une approche
structurelle des astres, laissant ainsi peu de place à l’interprétation grâce à l’utilisation d’un facteur physique
qualitatif (l’objet devant être rond). Selon les membres de l’UAI, cette définition ne nécessitait pas de limite
“de main d’homme”, mais au contraire déférait à la “nature” pour décider si un objet relève ou non du statut
de planète [3]. De plus, cette approche rendait le processus décisionnel du statut d’un astre très simple : une
observation suffit à savoir si l’objet est rond ou pas. Et enfin (ou surtout ?) cette approche ne changeait pas le
statut de Pluton, lequel reste plébiscité par le grand public, surtout outre-Atlantique.
Mais les critiques n’ont pas épargné cette proposition : premièrement elle déclassait les planètes “errantes”
(c’est-à-dire n’orbitant autour d’aucune étoile car probablement éjectée au cours de la formation du système
étoile - planètes) sans leur donner un statut clair, et deuxièmement, un système double évolue dans le temps.
Ainsi avec la “fuite” de la Lune par rapport à la Terre, le barycentre Terre-Lune finira lui aussi, dans plusieurs
milliards d’années (si le Soleil n’est pas encore devenu une géante rouge et n’a pas détruit les deux protagonistes)
à se trouver à l’extérieur de la Terre, conférant ainsi à la Lune le statut de planète. Une dernière critique, et
non des moindres, frisant le nihilisme, exprimant des doutes sur le besoin même de définir le terme “planète”,
ce dernier faisant partie du vocabulaire commun, culturellement connu de tous. Mike Brown, astronome au
La résolution 5A, telle que présentée aux astronomes de l’UAI le 24 août 2006. On remarque que la page est en mode “édition”, et
non “présentation”.
La Porte des Etoiles n°26
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CalTech, et co-découvreur de plusieurs candidats directement concernés par les débats de l’UAI à Prague
(Sedna, Eris, Makémaké notamment), faisant même l’analogie avec le terme “continent”, compris de tous, que
les géologues ont eu la sagesse de laisser comme ça [4].
En fait, pendant les premières réunions de travail de l’UAI à Prague, la proposition originelle apparut très vite en
ballottage défavorable, et des sous-groupes alternatifs, pour ne pas dire dissidents, commencèrent à se former
en marge des réunions. C’est notamment l’astronome uruguayen Julio Angel Fernandez de l’université de
Montevideo qui mena les débats, en apportant une proposition de définition alternative, s’appuyant notamment
sur des critères dynamiques orbitaux, sans pour autant occulter les critères structurels précédemment édictés.
Le 22 août, soit 3 jours avant le vote final, le chaos régnait sur le petit monde de l’UAI à Prague. A la
définition du terme “planète”, venait également s’ajouter des débats sur la création – oui ou non – d’une
classe spécifique regroupant les simili-planètes orbitant au-delà de Neptune, tout cela dans un contexte où le
politiquement correct voulait que Pluton garde un statut particulier. Cette journée fut probablement la plus
animée de l’histoire de la planétologie, avec des désaccords profonds, des débats passionnés et remuants. Pour
autant, cela ne fut pas un vain effort : un projet de proposition final émergea, faisant suffisamment consensus
pour être proposé aux votants le 25 août... Mais au prix d’un lourd tribut : la définition ne porterait que sur les
corps du Système solaire. Les planètes extrasolaires étaient désormais exclues des débats.
La proposition – baptisée résolution 5A – qui allait être soumise aux votes le 25 août, en même temps que trois
autres (la 5B, la 6A et la 6B, dont nous parlerons au prochain chapitre) se lisait ainsi :
En conséquence, l’Union Astronomique Internationale (U.A.I.) décide de répartir les planètes et autres corps
du Système solaire, excepté les satellites, en trois catégories de la manière suivante:
(1) une planète [1] est un corps céleste qui
(a) est en orbite autour du Soleil,
(b) a une masse suffisante pour que sa gravité l’emporte sur les forces de cohésion du corps solide et le
maintienne en équilibre hydrostatique, sous une forme presque sphérique,
(c) a éliminé tout corps susceptible de se déplacer sur une orbite proche. La version anglaise a été reformulée
en “a nettoyé le voisinage autour de son orbite” pour être plus clair pour le grand public.
(2) une “planète naine” est un corps céleste
qui
(a) est en orbite autour du Soleil,
(b) a une masse suffisante pour que sa
gravité l’emporte sur les forces de cohésion
du corps solide et le maintienne en équilibre
hydrostatique, sous une forme [2] presque
sphérique,
(c) n’a pas éliminé tout corps susceptible de
se déplacer sur une orbite proche,
(d) n’est pas un satellite.
(3) tous les autres objets [3], excepté les
satellites, en orbite autour du Soleil sont
appelés “petits corps du Système Solaire”.
Notes de bas de page :
[1] Les 8 planètes sont : Mercure, Vénus,
la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et
Neptune.
[2]. Une action spécifique sera organisée
par l’U.A.I. pour décider à quelle catégorie,
“planète naine” et/ou autres classes,
Jocelyn Bell Burnell lors de sa prise de parole à la journée de clôture de la
appartiennent les cas limites.
26ème assemblée générale de l’UAI à Prague.
[3]. Ceci inclut la plupart des astéroïdes du
Système solaire, la plupart des objets trans-neptuniens (O.T.N.), les comètes et tous les autres corps.
La Porte des Etoiles n°26
52
• • • • SCIENCES
Les résolutions 5A et 5B, où la chute de Pluton
Nous sommes donc le 25 août 2006. C’est le dernier jour, celui des votes, celui du protocole. C’est d’ailleurs
pour cela que tout est filmé, et c’est ce film (disponible sur le site de l’UAI) qui nous permet aujourd’hui de
savoir précisément comment les choses se sont passées. Après deux heures des plus protocolaires (allant de
l’hommage aux disparus de l’UAI depuis sa création, aux identités de ceux chargés de compter les mains levées
en cas de vote serré), les premières résolutions, portant sur des sujets variés de l’astrophysique commencent à
être votées. A l’issu du vote unanime en faveur de la résolution 4 – adoption de la “Charte de Washington sur
la communication de l’astronomie avec le public” qui contient plusieurs recommandations à l’intention des
organisations de recherche, dont la nécessité de promouvoir le respect de la reconnaissance des professionnels
de la communication publique [5] – le président Ronald Ekers appelle sur l’estrade Jocelyn Bell Burnell,
chargée d’animer les débats pour les résolutions 5 et 6. Jocelyn Bell n’est pas n’importe qui. Elle est notamment
connue pour avoir découvert le premier pulsar en 1967, elle est couverte d’honneurs (sauf du prix Nobel, très
sexistement attribué à son directeur de thèse lors de la découverte du pulsar) et témoigne d’une connaissance
approfondie des rouages du monde scientifique, académique et universitaire.
C’est donc une vraie personnalité qui est maintenant sur l’estrade, équipée d’un micro-casque et de cahiers
qu’elle porte à la main. Étant Nord-Irlandaise, elle parle un anglais limpide. Cependant, elle parle lentement,
très lentement, en articulant de manière très prononcée, consciente sans doute que l’UAI est un melting-pot
de dizaines de nationalités, consciente aussi que l’heure est grave et que tout le monde doit comprendre
l’intégralité des débats.
Quatre résolutions doivent être étudiées, au premier rang desquelles, la résolution 5A, celle qui définit ce
qu’est une planète et ce qu’est une “planète naine”. La session débute avec quelques ajustements du texte de la
résolution 5A, fruits de tractations et commentaires de dernière minute. Il s’agit notamment de flanquer le terme
“planète naine” de deux solides guillemets, indiquant qu’il s’agit bien d’un seul terme et non d’un substantif
(planète) et de son adjectif (naine). Cela peut paraître un détail, mais c’est fondamental : dans la résolution
5A, avec des guillemets, une “planète naine” n’est pas une planète. Il s’agit aussi, dans le point (3), de rajouter
que tous les autres objets excepté les satellites en orbite autour du Soleil sont appelés “petits corps du Système
solaire”. Là encore, c’est assez fondamental : la Lune, Ganymède ou encore Titan sont bien des satellites, pas des
“petits corps du Système solaire”. Il est assez surprenant que ce genre de considération ne soit apparu que lors
de tractations de dernière minute ; cela nous laissant présager du caractère passionnel des débats antérieurs. De
manière plus surprenante encore, cela a bien été rajouté à la version anglaise (except satellites) mais je ne l’ai
pas vu sur la version française,
je me suis donc permis de le
rajouter dans la retranscription
du chapitre 3, bien que cela ne
figure pas sur les documents
officiels de l’UAI que j’ai pu
trouver...
Ces quelques modifications
effectuées, Jocelyn Bell appelle
auprès d’elle Richard Binzel,
professeur de planétologie
au MIT. Richard Binzel est
connu dans le petit monde de
l’astronomie pour avoir inventé
l’échelle de Turin, méthode
servant à catégoriser les risques
d’impacts d’objets géocroiseurs,
tels que les astéroïdes ou les
comètes [6]. Mais si ce dernier
est sur l’estrade, c’est parce qu’il
est membre du “planet definition
La Porte des Etoiles n°26
De gauche à droite sur l’estrade : Richard Binzel du “planet definition committee”, Ronald
Ekers président de l’UAI, Oddbjorn Engvol secrétaire général et Jocelyn Bell membre du
“resolution committee”.
53
• • • • SCIENCES
committee”, qui a travaillé sur les résolutions 5 et 6. Richard
Binzel, selon sa page Wikipedia, est un fervent défenseur
du statut de planète pour Pluton. Ce dernier monte donc sur
l’estrade et lit à voix haute le contenu de la résolution 5A,
une fois de plus. C’est après ce dernier tour de protocole que
Jocelyn Bell appelle les participants à poser leurs questions
ou faire part de leurs commentaires.
Sans faire un tour d’horizon exhaustif de l’ensemble des
questions, tâche qui nécessiterait sans doute un numéro
spécial de la Porte des Étoiles, certaines sont intéressantes,
soit par leur contenu scientifique, soit par ce qu’elles
laissent sous-entendre de l’ambiance générale au sein de
l’UAI à ce moment. Cette partie spécifique du chapitre
s’appuie sur la vidéo qui est à disposition sur le site de
l’UAI, malheureusement, à aucun moment il n’est possible
de connaître l’identité des intervenants, à part le tout
premier, Jay Pasachoff grâce à un “Thank you, Jay !” lancé
par Jocelyn Bell à son égard, et le dernier, Mike Robinson,
car il se présente avant son intervention. Le premier donc,
Jay Pasachoff, astronome américain, appuie sur le fait que
“l’UAI définit trois catégories”, mais parle en fait dans la
résolution, de quatre (avec les satellites). Son intervention
mènera donc à une modification de la résolution, faisant
clairement comprendre qu’il s’agit de trois catégories, en
plus des satellites.
Une autre intervention intéressante d’un astronome,
manifestement indien à en juger son accent, mets le doigt sur
l’ambiguïté de planète-naine-qui-n’est-pas-une-planète. “Ce
dont nous avons besoin est d’un nouveau mot, qui n’existe
pas dans le dictionnaire”. Pour Jocelyn Bell, la remarque est
pertinente, mais ce n’est pas le moment ni l’endroit d’être
créatif et suggère de poursuivre avec “planète naine”.
La remarque suivante est très concrète : selon la résolution
5A, Charon et Cérès deviennent-elles des “planètes naines” ?
Réponse claire pour Cérès : oui elle deviendrait une “planète
naine” ; réponse moins argumentée mais tout aussi claire
pour Charon : non, Charon ne serait pas une planète naine.
On entend cependant un certain malaise sur le cas particulier
de Charon. Plusieurs questions reviendront d’ailleurs sur le
cas de cet astre si particulier.
Et notamment, de manière plus insidieuse, cette intervention
qui dit : “je crois donc comprendre que cette résolution ne
fait pas de distinction entre satellite et système planétaire
binaire, et que cette distinction sera probablement le sujet
d’une résolution future”. Réponse minimaliste de Richard
Binzel : “That is correct.” Le participant suivant, en blanc
juste derrière, quant à lui, provoque le débat sur l’appellation
“petits corps du Système solaire”. On comprend que ce
terme est un terme “chapeau” regroupant d’autres notions
couramment employées telles que : astéroïdes, comètes etc.
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • SCIENCES
L’intervention suivante est intéressante car elle est une de celles qui remettent en cause l’approche trop
“grand public” de cette résolution. L’appellation “presque sphérique” sous-entendrait en effet qu’on exclut
les planètes tournant trop rapidement sur elles-mêmes (car trop aplaties), et en fait quelle est la définition
de “presque sphérique” ? Après tout, les définitions doivent être satisfaisantes scientifiquement, la manière
dont on les explique au grand public étant un autre problème. Malgré les critiques, Richard Binzel tient bon :
le “planet defintion committee” est en charge de trouver une définition, avec une dimension culturelle, qui
soit compréhensible par le public. Les termes “grand public” tels que “presque sphérique” ou “nettoyer le
voisinage” resteront donc jusqu’au bout.
L’astronome ci-contre fait ici une intervention
remarquée. Il est dit qu’un corps doit avoir nettoyé
son orbite pour prétendre au statut de planète. Or,
si l’orbite de la Terre est nettoyée, rien ne prouve
que c’est bien la Terre qui a fait cette action de
nettoyage. Même remarque pour les autres planètes
actuellement connues. Réponse cinglante de
Richard Binzel : l’assemblée générale de l’UAI il y
a 3 milliards d’années aurait probablement eu une
approche différente, mais pour aujourd’hui nous
devons nous appuyer sur le Système solaire tel que
nous l’observons. L’intervenant, ne se laissant pas
démonter, répond alors : “Mon constat, pour cette
résolution, est qu’il y a tellement de choses non
scientifiques laissées au sens commun, que le mieux serait encore de tout supprimer du texte et de ne garder
que la première note de bas de page (‘Les 8 planètes sont: Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne,
Uranus et Neptune’)”. Grands éclats de rire et tonnerre d’applaudissements saluent cette intervention, laissant
entrevoir tout le bien que pensent, au fond d’eux-mêmes, les astronomes de cette définition.
Malgré ce dernier coup d’éclat, c’est sans doute l’ultime intervention qui marque le plus les esprits. Il s’agit
de Mike Rowan Robinson qui, en 2006, est le président de la très célèbre Royal Astronomical Society du
Royaume-Uni. Un professeur qui en impose et qui n’est pas spécialiste des planètes mais de la cosmologie et
astronomie infrarouge. Il se présente d’ailleurs ainsi à l’assemblée, en parlant de sa fascination pour les débats
des derniers jours sur le Système solaire et tout ce qu’il en a appris, du fond des choses en quelque sorte. Il est
toutefois très critique vis à vis de la forme : de la manière et de l’ambiance avec lesquelles certaines réunions
ont été menées. Pour cela et selon lui, le comité exécutif est l’unique responsable, méritant même des sanctions
(“there was a mood in this room, that the Executive should be punished for, I think”). Mais surtout, Michael a
la sagesse de proposer à la communauté astronomique
d’adopter désormais une attitude positive vis à vis de la
résolution 5A, en faisant fi des discussions houleuses
du passé : “Il serait désastreux pour l’astronomie si,
après cette assemblée générale nous repartions avec
rien (avec aucune définition du mot planète), le monde
nous prendrait pour de véritables idiots. Et même si
cela serait de la faute du comité exécutif (que nous
passions pour des idiots), nous en paierions tous les
conséquences. Il est donc capital que nous supportions
sans retenue cette résolution (...) y compris auprès du
grand public et des médias. (...) Et dans tout cela, le
destin de Pluton n’a pas vraiment d’importance’.
Jocelyn Bell sent alors qu’il faut profiter de cette occasion inespérée pour faire voter l’assemblée. Elle met
donc fin à la série de questions et commentaires, renvoyant à leur fauteuil au moins deux personnes qui
attendaient leur tour au micro. Ronald Ekers, demande alors à ceux en faveur de la résolution de lever leur
petit papier jaune... La suite, vous la connaissez, ce sont les premières phrases de cet article.
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • SCIENCES
A ce stade, il reste donc trois
résolutions à considérer, et même
si on sent un vent de soulagement
parcourir l’assemblée, il reste
encore beaucoup de travail. Le
destin de Pluton n’est pas encore
tout à fait scellé : son ultime
espoir réside en la résolution
5B. Et pourtant, cette dernière
ne consiste en tout et pour tout
qu’à rajouter un seul et unique
mot à la résolution 5A, un mot
qui peut pourtant tout changer !
Il s’agit du mot “classique” à
apposer devant le mot “planète”
dans le premier paragraphe de
la résolution 5A. Ce qui change
Les votants s’expriment ici largement en faveur de la résolution 5A
en effet tout ! Car une planète
peut alors être soit “naine” soit
“classique”. Comprendre, si la résolution 5B est acceptée, Pluton reste une planète – certes naine – mais une
planète tout de même.
Jocelyn Bell entreprend de rendre cette distinction limpide pour l’assemblée, en sortant d’un sac un ballon de
baudruche bleu qu’elle pose sur la table de l’estrade. Ce dernier, dit-elle, représente les planètes telles que nous
les connaissons avec la résolution 5A. Elle sort ensuite, dans l’hilarité générale une peluche de Pluto représentant
Pluton – le lecteur se souvient peut-être que le chien de Disney doit son nom à l’astre alors récemment
découverte –, et une boîte de céréales représentant Cérès (en anglais, les mots “céréales” et “Cérès” sont
phonétiquement proches). Céréales
et peluche représentent les “planètes
naines”. Elle sort, enfin, un citron,
représentant les “petits corps du
Système solaire”, non sphériques.
Jocelyn Bell explique enfin que, en
ajoutant l’adjectif “classique” au
substantif “planète” tel que le prévoit
la résolution 5B, on crée bien un
terme chapeau (ou “umbrella term”,
“terme parapluie” comme on dit en
anglais) : “planète”, comprenant
deux catégories distinctes : les
planètes classiques et les planètes
naines. Pour illustrer son propos,
elle sort alors un parapluie affublé
d’une étiquette “planets” qu’elle
dispose au-dessus du ballon, des
céréales et de la peluche.
Jocelyn Bell expliquant la résolution 5B
Chassé par cette explication haute
en couleurs, le protocole revient pourtant aussitôt. Richard Binzel, dont on connait l’attachement à Plutonplanète, est appelé à présenter cette résolution et à la défendre dans un temps court. Il le fait avec conviction
mais ces mots sonnent creux, peut-être faute de ne pas avoir voulu dire honnêtement que Pluton, de par son
histoire, plus que de par sa nature, méritait le titre de planète. De la même manière, un autre astronome, Mark
Bailey, directeur de l’observatoire d’Armagh en Irlande du Nord, monte sur scène pour dire en quoi il est
contre cette résolution. Mark Bailey commence par dire que la résolution 5A est très proche du consensus
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • SCIENCES
Mike Bailey, contre la résolution 5B
obtenu lors des réunions de travail de l’UAI. Il
dit ensuite que la résolution 5B est incohérente
par rapport à la 5A en ce sens qu’il n’y a plus trois
catégories d’astres mais deux (“les planètes et le
reste”), faisant ainsi abstraction de la composante
dynamique d’une planète, ne conservant que
ses composantes culturelles et structurelles. Il
poursuit en affirmant qu’à la question “combien
y-a-t-il de planètes dans le Système solaire ?”,
seule la résolution 5A permet, de manière
pérenne, de répondre simplement. Il conclut enfin
en disant que cette résolution portera grandement
à la confusion du public. A la fin du discours,
on sent que la résolution 5B est en ballottage
défavorable. Jocelyn Bell laisse alors quelques
instants de réflexion avant de passer au vote.
Le vote est d’ailleurs chaotique, le nombre de
votants en faveur de la résolution semble suffisamment important pour que le président Ronald Ekers demande
à ce que soient comptées les mains levées. Ce qui laisse ainsi place à dix minutes d’une totale confusion :
comptage, recomptage, “qui compte cette allée ?”, “que les votants se lèvent tous !” Le président se risque
même à plaisanter sur l’allocation à des fins plus scientifiques du budget initialement prévu à la mise en place
d’un système de votes électroniques. Tout ceci est d’autant plus futile que, lorsque le président demande aux
votants qui sont contre la résolution 5B de lever leur main, une majorité évidente apparaît aux yeux de tous.
Pour anecdote, Jocelyn Bell elle-même vote contre la résolution 5B. “Then it’s clear, that resolution 5B is not
passed” (“il est donc clair que la résolution 5B est refusée”) conclut le président. Avec ces mots, la sentence
tombe : Pluton est rayé de la liste des planètes. Il est “planète naine”, aussi mal choisi que soit le terme, il n’est
donc plus planète. En ce sens, c’est une révolution que vient de vivre l’UAI à Prague.
Les résolutions 6A et 6B, où le lot de consolation
A ce moment, il reste deux
résolutions à voter : la 6A et la 6B.
La résolution 5B ayant été retoquée,
Jocelyn Bell enlève le parapluie du
pupitre. Les “planètes naines” ne
sont pas des planètes, mais elles
sont au cœur de l’attention de ces
deux nouvelles résolutions. Prenant
la peluche de Pluto dans ses
bras, Jocelyn Bell explique alors
ouvertement les attentes du grand
public vis à vis de Pluton : “Nous
avons la chance de travailler dans
un secteur qui attire l’attention du
grand public, et nous devons en être
conscients” dit-elle, sous-entendant
que le déclassement de Pluton les
expose à des critiques ouvertes du Résolutions 6A et 6B sont à l’écran, Richard Binzel les lit à voix haute, Jocelyn Bell
public et des médias. La résolution repose sa peluche de Pluto...
6A se focalise sur les “planètes
naines” trans-neptuniennes et tente d’y remédier. Cette dernière se lit ainsi : “Pluton est une ‘planète naine’
selon la définition précédente, et est reconnu comme le prototype d’une nouvelle catégorie d’objets transneptuniens”.
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • SCIENCES
On comprend très bien que cette résolution aspire beaucoup plus qu’à la création d’une nouvelle catégorie
d’objets. Elle vise à reconnaître, et non sans raison, la profonde signification scientifique de la découverte de
Pluton dans la connaissance du Système solaire lointain. Richard Binzel affirme que de nombreux “autres
Plutons” seront bientôt découverts, et que cette nouvelle catégorie est une manière cohérente de les classer.
Comme pour la résolution 5A, une série de questions et commentaires va suivre. Elles sont moins passionnées
et moins passionnelles que précédemment et portent plus sur des points de grammaire ou de formulation que
sur le véritable fond de la résolution. Le vote, bien qu’assez tranché, va donner lieu à une autre période de
confusion totale lorsque les voix devront être comptées. A 237 voix contre 157, la résolution 6A est adoptée,
Pluton, à défaut d’être une planète, est au moins le premier découvert d’une nouvelle catégorie d’astres du
Système solaire.
La résolution 6B est – quant à elle – fort simple : elle propose un nom pour cette nouvelle catégorie : “objets
plutoniens” (“plutonian objects”). Un peu plus encore que la résolution 6A, elle vise à rendre hommage
à Pluton du nom de baptême de cette nouvelle classe. Si cette résolution n’est pas acceptée, il faudra s’en
référer à la seule et unique note de bas de page de la résolution 6A, à savoir qu’une procédure interne à
l’UAI sera établie pour déterminer un nom pour cette catégorie. Comme c’est désormais la tradition, Richard
Binzel lit à voix haute le contenu de la résolution 6B en s’amusant du fait, qu’en anglais, “plutonien” soit un
synonyme “d’infernal”, au sens premier du terme, “venant des enfers” (‘plutonian, adjective : relating to, or
characteristic of Pluto or the lower world’). La résolution étant simplissime, il est directement demandé aux
votants de s’exprimer sur le nom : le veulent-ils, ou ne le veulent-ils pas.
Mais – jamais deux sans trois – la communauté astronomique semble divisée, il faudra recompter. Une fois
de plus, il règne une certaine confusion teintée cette fois d’un certain flegme pour ne pas dire d’un certain
fatalisme. 183 voix sont annoncées pour... Et quelques minutes plus tard, on annonce... 186 voix contre !
Avec beaucoup d’humour Virginia Trimble, qui a en charge la coordination du personnel comptant les votes à
main levée (et accessoirement astronome spécialiste de la structure et de l’évolution des étoiles et galaxies de
l’Université de Californie) rajoute : “et malheureusement, si nous recomptons, nous allons très probablement
tomber sur des chiffres différents... car les gens ne sont pas vraiment sûrs de quand ils doivent s’asseoir
lorsqu’on a compté leur vote. Certains sont d’ailleurs morts in situ”. Suivra un débat pour déterminer si
un deuxième vote de confirmation doit être fait, mais – malgré une intervention remarquée de Catherine
Césarsky, astronome française prenant la présidence de l’UAI juste après Ronald Ekers, sur l’incohérence de
donner naissance à une nouvelle classe d’objets sans la baptiser – la communauté préfère en rester là.
La résolution 6B ayant été refusée, c’est donc un groupe de travail que l’UAI devra constituer pour déterminer
le meilleur nom possible, conformément à la résolution 6A. Cela prendra du temps, car il faudra attendre le
11 juin 2008, soit presque deux années plus tard, pour que l’UAI tranche sur le nom de cette classe : ce sera
“plutoïdes”, rendant un clair et juste hommage à la place de Pluton dans la liste des grandes découvertes
scientifiques relatives au système solaire (à noter qu’en anglais, les astronomes utilisent désormais aussi le
non-officiel mais bien trouvé “ice dwarf” ou “naine glacée”).
Pour finir
Juste après ce dernier vote, la session se termine. Quelques temps plus tard, probablement dans la journée,
c’est la cérémonie de clôture, elle aussi filmée et disponible sur le site de l’UAI. Extrêmement protocolaire,
elle met à l’honneur les organisateurs, comme elle annonce aussi l’endroit de la 28ème assemblée générale, six
années plus tard, ce sera Pékin, en 2012. La future présidente, Catherine Césarsky, fait un discours, assez plat
et peu intéressant. Très sobrement, mais avec émotion, Ronald Ekers clôturera l’assemblée, c’est d’ailleurs,
avec ses adieux, le moment le plus fort de cette session de clôture.
L’assemblée générale de l’UAI à Prague aura révolutionné le monde de l’astronomie en cela qu’elle aura
posé, pour la première fois, une définition claire – même si encore parfois critiquée de nos jours – de ce
qu’est et de ce que n’est pas une planète. Un résultat qui peut sembler modeste de prime abord, mais qui est
en fait un énorme pas en avant pour une organisation victime de l’inertie de son protocole, de son caractère
multinational, et de ces 9000 membres perclus d’intimes convictions.
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • SCIENCES
Quant à Pluton, il a beaucoup perdu de son prestige : rétrogradé, disqualifié, sacrifié finalement sur l’autel
d’une définition imparfaite mais impartiale dans son approche structurelle et dynamique des astres. Il est
d’ailleurs frappant de noter un immobilisme indéniable de la communauté astronomique après cette session :
on promettait des douzaines de “planètes naines”, il n’y en a aujourd’hui que cinq (Cérès, Pluton, Hauméa,
Makémaké et le coupable Eris). Six autres sont candidates à ce statut, dont Sedna, un corps d’une taille
d’environ 1000 kilomètres, à l’aphélie vertigineux de 937 unités astronomiques (5,5 jours-lumière tout de
même) ! On promettait également des douzaines de plutoïdes, il n’y en a donc que quatre, les mêmes que
précédemment, sans Cérès, situé dans la ceinture d’astéroïdes. La notion de système planétaire binaire, où
“planète double” n’a, contrairement à ce que laissaient penser les débats de la résolution 5A, pas été revue par
l’UAI, laissant à Charon le statut incohérent de satellite.
Et pour autant, en 2014, l’actualité de Pluton rattrape et dépasse de beaucoup ce genre de considérations
formelles. La sonde New Horizons qui survolera Pluton et Charon à l’été 2015 passionne déjà : équipée d’une
armée d’instruments (imageurs et spectromètres en tous genres) elle fonce en direction des confins du Système
solaire et vient, le 24 août 2014, huit ans exactement après le déclassement de Prague, de dépasser l’orbite de
Neptune. A partir du 5 mai 2015, la résolution de Pluton vue par New Horizons dépassera celle de Hubble, pour
atteindre son apogée le 14 juillet 2015 par le survol de Pluton et de Charon. Planète ou pas, ne doutons pas une
seule seconde que nous vivrons en 2015, grâce à Pluton et New Horizons, une année de grandes découvertes
scientifiques dans la droite lignée de Voyager 2 survolant Neptune et Triton en 1989. Vivement !
Sources et références
[1] [2] [3] [4] [6] : Wikipédia
[5] : Michel Claessens, « Science et communication : pour le meilleur ou pour le pire », éditions Quae
[Données scientifiques et figures] : Robert Schmude, « Uranus, Neptune, Pluto and how to observe them »,
éditions Springer
[Extraits de l’Assemblée Générale de l’UAI] : www.iau.org/public/videos
Vue d’artiste de la sonde New Horizons survolant Pluton et Charon
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • SCIENCES
Pollution lumineuse
De la République Tchèque à la France
Par Emeline Taubert
La voûte céleste, classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, constitue le seul spectacle
accessible à chacun des habitants de notre planète. Novice, amateur, ou professionnel, le regard porté vers le
ciel n’est jamais dépourvu d’émerveillement, d’interrogations ou de fascination. Mais les étoiles et autres corps
célestes qui génèrent habituellement chez nous tous ces sentiments enchanteurs sont en voie de disparition.
Ces objets disparaîtraient-ils ? Non bien entendu. Ils sont simplement masqués au sein de certaines zones par
la pollution lumineuse créée par les infrastructures humaines. Ce fléau, nous le connaissons bien dans le NordPas-de-Calais. Il constitue la bête noire des astronomes amateurs, obligés de se retirer dans des zones isolées
et de s’armer de filtres UHC ou OIII pour observer et/ou photographier leurs cibles. Mais qu’en est-il au-delà
de nos frontières ? A l’occasion du déplacement de l’association en République Tchèque, le GAAC est parti
enquêter sur les traces d’un phénomène loin d’être éradiqué…
Les Tchèques précurseurs
Avant de s’aventurer en terre tchèque, un petit recueil de données s’imposait quant à la problématique de
la pollution lumineuse dans ce pays. Ce qu’il en ressortit fut une belle démarche d’initiative. En effet, si
certains pays tels que l’Italie (Lombardie…) ou encore les États-Unis (Arizona…) avaient déjà effectué des
démarches dans ce cadre (par le biais d’arrêtés notamment), ce sont bel et bien les tchèques qui, les premiers,
ont initié la réglementation sur la pollution lumineuse. En effet, le 1er juin 2002 est entrée en vigueur la loi
connue sous le nom de “Clean Air Act”, qui avait au préalable était signée par le président de l’époque, Václav
Havel. Cette loi est englobée dans un projet global de lutte contre la pollution de l’air, et prévoit des amendes
(pouvant monter jusque 3500 euros) pour “ toute illumination qui se disperse hors des zones auxquelles elle
est destinée, en particulier si elle est dirigée au-dessus de l’horizontale”. Même s’il s’agit ici d’une thématique
de réchauffement global, la grande nouveauté est que cette ordonnance reconnaît et réglemente le problème de
la pollution lumineuse au niveau national, avec l’aval des deux maisons du Parlement tchèque. L’objectif ici
étant de protéger la qualité du ciel nocturne, afin que chaque citoyen puisse profiter de ses richesses.
Cette prise d’initiative s’est réalisée sous l’impulsion (entre autres) de l’astronome tchèque Jeník Hollan.
Pour lui, le constat était clair : l’arrivée du capitalisme, l’ouverture des frontières ainsi que la “poussée”
des infrastructures (centres commerciaux, panneaux publicitaires en nombre, construction d’autoroutes)
contribuèrent il y a une douzaine d’années à l’installation insidieuse et exponentielle de cette pollution au sein
du pays. Et la situation ne faisait qu’empirer d’année en année, au point de provoquer la “fuite” des astronomes
professionnels à la frontière autrichienne, dans le but de retrouver un ciel plus pur. Quant aux amateurs, ceux
qui le pouvaient étaient presque obligés d’investir dans des équipements plus puissants afin d’observer la
Voie lactée, ou encore de banales galaxies qu’ils n’arrivaient plus à distinguer dans leurs oculaires... Outre les
impacts négatifs sur la santé humaine (insomnie, cancers), il était donc temps d’agir, surtout dans un pays où
la culture astronomique est ancrée depuis le XVIème siècle. En effet, à l’époque, Prague fut transformée en
centre à la fois culturel et scientifique par l’empereur Rodolphe qui invita Tycho Brahe et Johannes Kepler à
étudier à sa cour (voir article page 39).
Cet événement juridique inscrit dans les textes tchèques revêtit un caractère hautement symbolique en 2002,
et même si les articles sur le sujet furent relativement pauvres, les journaux internationaux (anglo-saxons en
particulier) relatèrent l’événement, et l’information fit le tour du globe. Mais douze années après l’instauration
de cette loi, peu d’informations ressortent sur ses retombées. Est-elle efficace ? Les choses ont-elles évolué en
République Tchèque ? Une enquête sur le terrain s’impose donc…
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • SCIENCES
Constat sur place
Une fois arrivés en Tchéquie, force est
de constater certaines redondances avec
notre bonne vieille France : présence
de “lampadaires boule”, sur-éclairage,
éclairage persistant la nuit… Sommesnous vraiment dans le premier pays à
avoir promulgué une loi anti-pollution
lumineuse ? Deuxième constat : au cours
de nos visites dans les observatoires,
nous avons pu remarquer que certains
horizons sont tellement pollués qu’il
est difficile d’observer, et encore moins
de pratiquer l’astrophotographie. Il
est donc temps d’aller à la pêche aux
informations auprès des astronomes de
cette lumineuse contrée.
Les lampadaires de Prague
Premier élément de réponse à l’observatoire de Štefánik à Prague, où la question de savoir si la loi de
2002 avait amélioré les conditions d’observation pour la communauté astronomique tchèque laissa nos
interlocuteurs quelques peu abasourdis. Aucun d’entre eux n’avait entendu parler de la loi ! De plus, dans
les couloirs de cet observatoire, nous vîmes des panneaux ainsi qu’une maquette sensibilisant le grand public
à la problématique. En 2014 celle-ci
est donc bien présente… Deuxième
élément de réponse cette fois-ci non
plus à Prague mais à l’observatoire de
Hradec Králové ; selon les dires des
astronomes (amateurs et professionnels)
présents là-bas, la loi n’a pas vraiment
amélioré les choses. En fait, le problème
aurait même stagné, au point d’abroger
la loi il y a quelques années, par défaut
d’application. Les contrôles, ainsi
que les éventuelles sanctions qui en
découlèrent, furent inexistants au point
A l’observatoire de Štefánik : maquette sensibilisant à la pollution lumineuse
de rendre la loi totalement inutile…
La pollution lumineuse en France
Des objets célestes difficilement observables à l’horizon, des éclairages publics prédominants en milieu urbain
et semi-urbains, des maquettes présentant ce fléau au grand public au sein des observatoires et planétariums…
Cela ne vous rappelle-t-il rien? Nous le retrouvons donc ici, la pollution lumineuse constitue une problématique
ubiquitaire, qui n’épargne ni la République Tchèque, ni la France. L’occasion pour nous de dresser un bilan
sur la photo-pollution au sein de notre territoire, ou tout du moins d’en esquisser les premières retombées.
Ce passage en revue revêt un caractère spécial dans un contexte de modification réglementaire. En effet, le
1er juillet 2013 est entré en vigueur un arrêté du 25 janvier 2013 sur l’extinction des éclairages nocturnes des
bureaux, magasins, façades et bâtiments, dans un créneau compris entre 1 heure et 7 heures du matin (modulable
selon l’activité des structures). Un an après, quel bilan pouvons-nous tirer de cette mise en application ? Les
objectifs du ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie sont-ils remplis ? Mais avant
d’analyser la situation au sein de notre pays, il convient de réaliser une petite piqûre de rappel sur les méfaits
de cette pollution, bête noire (entre autres) des amoureux du ciel, et d’en donner les enjeux (pour plus de
détails, voir article de Carine Souplet, La Porte des Étoiles n°12).
La Porte des Etoiles n°26
61
• • • • SCIENCES
Les nombreux éclairages jouxtant l’observatoire Štefánik à Prague
Des êtres vivants perturbés au gaspillage énergétique, les conséquences de la pollution lumineuse sont
nombreuses, aussi bien en République Tchèque qu’en France ! Mais d’où vient ce besoin de tout éclairer ? La
recherche constante de l’esthétisme, les questions sécuritaires associées au coût “bas” de l’électricité en sont
les principales causes. Le problème n’est pas seulement d’éclairer massivement quantitativement parlant mais
est aussi de mal éclairer. En effet, les faisceaux lumineux sont bien souvent dirigés en partie ou en totalité
vers le ciel (avec une puissance excessive d’ailleurs) au lieu d’éclairer le sol. De plus, l’éclairage public est
souvent en activité toute la nuit. Où est l’utilité d’éclairer en milieu de nuit, créneau horaire où la quasi-totalité
de la population dort ? D’autant plus que cela présente des conséquences néfastes sur la santé humaine car
l’éclairage intensif des rues a aussi pour effet de dérégler notre horloge circadienne, par la perturbation de
la production de mélatonine, l’hormone du sommeil. S’ensuivent des difficultés à l’endormissement, ainsi
qu’une qualité du sommeil altérée par cette lumière dite intrusive car elle pénètre dans nos chambres, lieu où
normalement l’obscurité totale devrait régner afin d’optimiser au maximum notre repos.
L’argument selon lequel la lumière diminuerait le nombre d’accidents de la route a, à de nombreuses reprises,
été réfuté par des études internationales. Il en ressort que l’arrêt de l’éclairage sur les autoroutes n’entraîne pas
plus de mortalité ni d’accidents corporels. Bien au contraire, lorsqu’on rallume des voies rapides habituellement
non éclairées, la mortalité connait des pics, expliqués par le fait que les gens sont beaucoup moins vigilants au
volant. Autre préoccupation sécuritaire au sein de l’opinion publique, ce sont les actes et faits de délinquance.
Là aussi, l’argumentaire est contrecarré par des études qui démontrent, chiffres à la clé, que la majorité des
vols et cambriolages s’opèrent en plein jour.
Les conséquences
L’Homme n’est malheureusement pas la seule espèce à être impactée par ce fléau, puisque toute la biosphère en
subit les méfaits. En effet, dans tous les taxons sont décrits des cas où la photopollution perturbe la dynamique
des espèces. Prenons tout d’abord l’exemple de l’avifaune. Les oiseaux, en période de migration se déplacent
essentiellement de nuit. Lorsqu’il y a des lumières trop importantes sur leur couloir de migration, cela a
pour conséquence de les attirer (engendrant ainsi parfois de la mortalité par collision) ou de les faire fuir.
Dans les deux cas, cela entrave le bon déroulement de leur voyage. De plus, les oiseaux sont de très bons
astronomes amateurs. Outre la perception du champ magnétique terrestre, ces derniers peuvent se déplacer
par le biais de l’étoile polaire. Plus précisément, ils utilisent la rotation des étoiles autour de Polaris afin de se
La Porte des Etoiles n°26
62
• • • • SCIENCES
repérer, et distinguer le Nord du Sud. Ce “système de navigation” intégré se retrouvant essentiellement chez
les jeunes volants, il leur permet aussi de corriger les erreurs de trajectoire lorsqu’ils sont déroutés. On devine
donc aisément qu’il y ait désorientation spatiale lors du passage au-dessus de zones particulièrement photopolluées.
Le fait d’éclairer la nuit est également préjudiciable pour nombre d’animaux nocturnes, chez qui les rythmes
biologiques sont perturbés. S’ensuivent des anomalies physiologiques (diminution de la pousse des plumes,
du pelage…) et éthologiques (hibernation, alimentation…) pouvant aller jusqu’à des difficultés au niveau
de la reproduction, et donc mettre en péril la pérennité des espèces. A contrario, les espèces lumifuges sont
obligées de fuir, modifiant par conséquent la composition du biotope ainsi que la répartition géographique des
habitats. Autre classe animale également durement touchée est aussi celle des insectes, qui tournent jusqu’à
épuisement autour des lampadaires, et sont de plus impactés par la prédation. Ainsi, la mortalité chez les
insectes est élevée, se répercutant sur le règne végétal (flore entomophile en particulier). Les arbres, qui pour
certaines espèces voient leur photosynthèse perturbée par ce phénomène (retard de la chute des feuille par
exemple).
Ces quelques exemples (non exhaustifs) laissent deviner l’ampleur du phénomène et inquiètent les écologues
quant au devenir de certains écosystèmes. En effet, les niches écologiques subissent de profondes modifications,
surtout quand les capacités de résilience des espèces sont faibles. La mise en relief du morcellement
progressif des habitats naturels
(augmentation de la mortalité,
sélection naturelle en faveur
de certaines espèces invasives,
modification
des
réseaux
trophiques...) montre donc tout
l’impact négatif de cette pollution
anthropique, générant ainsi
une préoccupation montante…
Enfin, les pertes économiques
constituent elles aussi un effet
de cette pollution, puisque le
mauvais éclairage associé à une
politique énergivore entraînent
un gaspillage de 30 à 40%
de la facture énergétique des
Pollution lumineuse importante autour de l’observatoire de Hradec Králové
collectivités et communes.
Un bilan français mitigé…
Les conséquences sont donc nombreuses, ce qui a amené les politiques à se pencher sur la question et en faire
ressortir quelques pistes de réflexion, ce qui ne peut être considéré que comme bénéfique. Ainsi en France, est
née la nouvelle réglementation citée précédemment. Élaborée sous le gouvernement Ayrault et sous l’égide
de Delphine Batho, à l’époque ministre de l’Écologie, cette loi comprend un triple objectif : “limiter les
durées de fonctionnement de certaines installations”, “supprimer les nuisances énergétiques”, et “réduire les
nuisances lumineuses”. Mais cette loi tient-elle ses promesses ? Un an après, il n’est pas vraiment constaté de
grande (r)évolution sur les forums d’astronomes amateurs, qui ne soulignent pas vraiment d’amélioration au
niveau de l’éclairage des façades. Mais tentons de trouver des données concrètes, en décortiquant le bilan du
Ministère paru le 31 janvier 2014 à ce sujet.
En analysant le détail de ce qui nous est rendu public, on s’aperçoit que le bilan est réalisé à partir de seulement
20% des services du Ministère. Il y a donc des doutes à émettre sur la significativité de l’étude, d’autant
plus que les services répondant à l’enquête sont les mêmes qui appliquaient la loi bien avant son entrée
en vigueur ! De plus, ce bilan ne s’avère pas exhaustif, car passe très vite sur les demandes de dérogations
auprès des préfets de départements, qui pourtant, ont fait l’objet de questions médiatiques. Le seul aspect qui
ressort vraiment, est le descriptif des outils de communication du Ministère afin de sensibiliser les différentes
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63
• • • • SCIENCES
structures concernées par l’application de la loi. Mais avec une totale absence de contrôles sur le terrain, on
imagine aisément que le message ne touche que peu de destinataires, mis à l’abri d’éventuelles sanctions.
Enfin, le Ministère n’envisage ni réajustement, ni mesures correctives pour l’avenir afin d’améliorer son futur
bilan…
Parallèlement aux premiers résultats du Ministère, l’ANPCEN a apporté un autre éclairage sur le sujet, à
savoir le dressage d’un portrait “contrasté”. En effet, pour les correspondants locaux de l’association, les
résultats sont hétérogènes selon les lieux. Si de réels progrès sont visibles au sein de certaines communes,
d’autres villes restent encore éclairées toute la nuit. Autre constat souligné, c’est l’absence d’exemplarité de
l’État concernant l’éclairage de ses propres bâtiments, ainsi que la non-instauration de contrôles, et donc, de
sanctions. L’association met également en relief quelques limites de la loi et émet certaines recommandations
comme la mobilisation des élus via l’accentuation de la sensibilisation et de l’information notamment, ou
encore l’étendue des acteurs concernés (inclure les enseignes et publicités lumineuses, ainsi que l’éclairage
public). Selon elle, beaucoup d’actions sont encore à mener afin de profiter pleinement du ciel étoilé…
Ainsi donc, que ce soit en République Tchèque ou en France, la pollution lumineuse semble nuire de la même
façon à la communauté astronomique. Ici comme là-bas, vous serez obligés de vous enfoncer parfois assez
profondément en campagne pour pratiquer pleinement votre loisir préféré. Pourtant retardataire en terme de
législation sur le domaine par rapport à la Tchéquie, la France se trouve donc à terrain égal avec cette dernière,
laissant à penser que la législation n’est pas nécessairement la meilleure arme pour lutter contre ce cancer qui
ne ronge plus seulement que les grandes métropoles. Alors, est-ce encore utile de légiférer ? Le souci majeur
est que ces lois pourtant non dénuées de sens peinent à se faire appliquer et/ou se faire respecter. Manque de
moyens, d’ambition ou tout simplement d’intérêt ? La question reste ouverte… Ce qui est certain, c’est que
tant que les acteurs concernés n’agiront pas ensemble mais de manière sectaire, les choses auront beaucoup de
mal à bouger, malgré l’énergie déployée par tous les passionnés du ciel afin de le sauver…
Les rives de la Vltava de nuit avec la vue sur le pont Charles et le château de Prague
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • PATRIMOINE
Petite galerie de cadrans
solaires tchèques
Par Simon Lericque
Lors de notre séjour en Tchéquie, nous avons croisé sur notre route nombre de cadrans solaires. Il faut dire que
le pays est plutôt ensoleillé et se prête à merveille aux jeux d’ombres et de lumière... A Prague surtout, mais
aussi en province, à Hradec Králové, Konopiště, Ondřejov, Jindřichův Hradec, České Budějovice et Český
Krumlov, nous avons déniché tout un tas de cadrans, certains classiques, d’autres plus exotiques. En voici
l’inventaire.
Gros plan sur le style du cadran solaire des jardins de Prague
Le complexe du Klementinum accueille une douzaine de cadrans
solaires. Seuls deux sont visibles depuis les axes publics. Le
plus évident est un cadran oriental gravé et peint sur la façade
Est de la Tour
astronomique.
Sur ce cadran
datant de 1722,
on peut y lire la
devise « A solis
Ortu ». Le second
cadran solaire est
installé dans la Cour des Voeux et visible à travers un portail. Il
est peint directement sur le mur et présente la devise « Et caro
ver fac bum tum est ».
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• • • • PATRIMOINE
Au Nord de la vieille ville de Prague, sur la rive gauche de la Vltava,
dans le quartier de Hradcany se trouve un cadran solaire occidental
peint sur le parvis d’une maison, rue Letenská. Il daterait de 1740.
Dans
les
splendides
jardins en escaliers, tout
près du château de Prague,
un cadran solaire peint en
1752 figure sur l’un des porches entre la deuxième et la troisième
terrasse. La devise suivante y est inscrite : Claret in orbe dies ac
tetras hora pete umbras.
Deux autres cadrans sont visibles facilement depuis Malostranské námestí, la place qui accueille aussi la
splendide cathédrale Saint-Nicolas de Malà Strana. Le premier, oriental (ci-dessous, à gauche) date de 1608 et
le second (ci-dessous à droite) a la particularité de figurer une double graduation : le temps vrai et les heures
babyloniques.
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• • • • PATRIMOINE
Au Nord de Prague, bien caché dans le très beau parc Stromovka, se trouve un étrange cadran sphérique. Il
trône sur une terrasse qui offre une vue intéressante sur le Nord de la capitale tchèque, notamment sur le zoo.
Comme il est d’ailleurs indiqué, le monument date de 1698 mais il a été restauré dès 1772. De nombreuses
inscriptions latines y figurent et permettent la lecture de plusieurs informations astronomiques. Le style est
constitué par un arc mobile en rotation. Lorsque son ombre est minimum, on lit alors l’heure solaire.
Sur la colline de Petřín,
devant
l’entrée
de
l’observatoire
Štefánik,
on trouve un ensemble de
quatre cadrans solaires
classiques. Ces derniers
trônent tout à côté de la
statue de Milan Rastislav
Štefánik (voir page 14).
A deux pas de l’observatoire et du planétarium de Hradec
Králové, on trouve deux cadrans pédagogiques : le site reçoit
de nombreux écoliers au cours de l’année. Le premier, en
pierre, représente un réveil gradué de 0 à 24 heures. Il s’agit
d’un cadran équatorial : le plan est parallèle à l’équateur et
lorsqu’on met le style en place, il est parallèle à l’axe de
rotation de la Terre et on lit l’heure solaire. Ce style doit
certainement être ajouté lors des animations scolaires. Le
second est un cadran analemmatique tracé sur le sol du
parking. C’est l’ombre du visiteur qui, en se plaçant à la
date adéquate, indique l’heure sur le sol.
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• • • • PATRIMOINE
Dans le parc de l’observatoire
d’Ondřejov,
on
trouve
quelques
monuments
modernes installés dans les
années 2000. Ces “oeuvres
d’art” font accessoirement
office de cadrans solaires
puisqu’à certaines dates
bien choisies, les ombres
ou les rayons de lumière
traversant la pierre indiquent
certaines heures de la journée.
Dommage cependant que les
indications données par ces
cadrans soient si restrictives.
Sur l’une des façades de la cour intérieure du château de Konopiště, on trouve un cadran classique orienté
plein Sud (ci-dessous à gauche). On trouve un autre cadran, datant de 1850, sur l’un des murs de la cathédrale
Saint-Nicolas, dans la rue Kanovnicka, à České Budějovice (ci-dessous à droite).
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• • • • PATRIMOINE
Le cadran suivant figure sur la façade d’un beau bâtiment, dans la seconde cour du château de Český Krumlov
(voir le bas de la page précédente). Il s’agit d’un beau cadran, légèrement déclinant du matin, qui doit être
relativement ancien, sans pour autant qu’une date exacte puisse être avancée pour son installation. Il indique
les arcs diurnes et les lignes horaires classiques.
Toujours à Český Krumlov (ci-dessus), sur la partie haute du
château, on trouve un autre cadran déclinant avec une double
graduation. Ce cadran est à deux pas d’un promontoire offrant une
vue panoramique sur la splendide ville de Český Krumlov. Pas très
loin de là : les beaux jardins à la française du château qu’il ne faut
pas rater.
Au bout de la rue Latrán, dans le secteur pietonnier de Český
Krumlov, on déniche une belle porte colorée de rouge et
d’orange. Sur la partie haute de la tour figure un ancien cadran
solaire où seuls les chiffres 7, 8, 9, 2, 3 et 4 sont indiqués.
Ce cadran doit être ancien, mais là encore, aucune date de
réalisation n’a été conservée. Ce cadran solaire sera le dernier
visité lors de notre escapade tchèque. Mais évidemment, de
nombreux autres demandent encore à être découverts dans ce
beau pays ensoleillé ; lors d’un prochain séjour sans doute...
Merci à Christian Druon, spécialiste des cadrans solaires, pour sa relecture
attentive et ses corrections avisées.
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• • • • LA GALERIE
La galerie
Fin juin, pour fêter l’arrivée
de l’été, de violents orages se
sont abattus sur le Nord de la
France. Sources de frayeurs pour
certains, les orages, et surtout les
éclairs, sont des phénomènes très
photogéniques chassés par des
nombreux amateurs.
Les
nuages
polaires
mésosphériques, ou noctiluques
culminent à près de 90 kilomètres
d’altitude. Ils s’illuminent chaque
année autour du solstice d’été.
Leur origine est mal connue et
leur intensification serait due à la
pollution atmosphérique.
Au printemps dernier, deux
belles planètes illuminaient le
ciel. La première, Mars, est
restée observable dans de bonnes
conditions jusque la fin avril ;
quant à la seconde, Saturne, elle
a été visible jusque la moitié de
l’été.
L’été, c’est la saison du Soleil... En
tout cas astronomiquement parlant.
C’est en effet au début de la saison
estivale qu’il est le plus haut dans
le ciel. Parfois, lorsque les nuages
prennent du repos, l’astre du jour
se laisse admirer dans plusieurs
longueurs d’ondes.
Sommaire
71������������������������������������������������������������������������������������Nuits électriques
73���������������������������������������������������������������������� Le retour des noctiluques
74������������������������������������������������������������������������� Oppositions planétaires
75�������������������������������������������������������������������������������������������� Plein Soleil
76���������������������������������������������������������������������������������� La petite dernière
La Porte des Etoiles n°26
70
• • • • LA GALERIE
Nuits électriques
Péronne (80) - 9 juin 2014
APN EOS 6D et objectif Canon 17-40 - Sylvain WALLART
La Fère (02) - 9 juin 2014
APN EOS 6D et objectif Canon 17-40 - Sylvain WALLART
La Porte des Etoiles n°26
71
• • • • LA GALERIE
La Fère (02) - 9 juin 2014
APN Canon EOS 6D et
objectif Canon 17-40
Sylvain WALLART
Bouvignies-Boyeffles (62)
20 juillet 2014
APN Canon EOS 6D et
objectif Canon 17-40
Sylvain WALLART
Orages sur la ville - Ostricourt (59) - 10 juin 2014
APN Canon EOS 600D et objectif 18-55mm - Yann PICCO
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • LA GALERIE
Le retour des noctiluques
Panorama de nuages noctiluques - Locon (62) - 4 juillet 2014
APN Canon EOS 6D et objectif Canon 17-40 L - Sylvain WALLART
Gros plan sur les
noctulescents
Locon (62) - 4 juillet
2014
APN Canon EOS
6D et objectif Canon
70-200
Sylvain WALLART
Discrets noctiluques matinaux - Wancourt (62) - 7 juillet 2014
APN EOS 450d et téléobjectif 70-300 - Simon LERICQUE
La Porte des Etoiles n°26
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• • • • LA GALERIE
Oppositions planétaires
Dessins de la planète Mars
Observatoire de Lille (59) - 5 mai 2014
Oculaire Ethos 21 mm et lunette
Jonckheere 320/6000
A gauche, Patrick ROUSSEAU
A droite, Simon LERICQUE
La planète Mars gibbeuse
Observatoire de Lille (59) - 5 juin 2014
Caméra PLA-C2 et lunette Jonckheere 320/6000
François LEFEBVRE
La planète Saturne
Radinghem (62) - 21 juin 2014
Caméra DMK 21 NB et lunette Hélios 150/1200
Patrick ROUSSEAU
Saturne et ses satellites - Observatoire de Lille (59) - 5 juin 2014
Caméra PLA-C2 et lunette Jonckheere 320/6000 - François LEFEBVRE
La Porte des Etoiles n°26
74
• • • • LA GALERIE
Plein Soleil
Zone active - Courrières (62) - 5 avril 2014
Caméra DMK 21 NB et Lunt 60 B1200 Ha - Patrick ROUSSEAU
Groupes de taches solaires - Courrières (62) - 5 avril 2014
Caméra DMK 21 NB et Lunt 60 B1200 CaK - Patrick ROUSSEAU
Protubérances solaires
Radinghem (62) - 21/06/14
et 05/04/14
Caméra DMK 21 NB et
Lunt 60 B1200 Ha
Patrick ROUSSEAU
La Porte des Etoiles n°26
Zone active - Courrières (62) - 5 avril 2014
Caméra DMK 21 NB et Lunt 60 B1200 CaK - Patrick ROUSSEAU
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La petite dernière
Une petite dernière réalisée lors de l’avant-dernière nuit de notre escapade en
Tchéquie. L’image est certes perfectible - il s’agit ici d’une pose unique - mais
elle montre en tout cas le potentiel du ciel étoilé de la Bohême du Sud, au milieu
des montagnes du parc naturel de Sumava. Elle conclue surtout à merveille la
belle aventure que l’on a vécu là-bas...
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Documents pareils