Mémoire à télécharger

Transcription

Mémoire à télécharger
Boris LANCHON-ARMAND
Master 1 de Géographie
-spécialité Espaces, Dynamiques des Milieux et Risques-
Les rejets de boue dans le fleuve Porong
au sein de la crise environnementale de Sidoarjo :
impacts sur l’évolution hydro-géomorphologique
(Java Est, Indonésie)
RAPPORT de STAGE de RECHERCHE
Centre de Volcanologie et de Mitigation des Catastrophes Géologiques
(Pusat Vulkanologi dan Mitigasi Bencana Geologi)
Bandung, Indonésie
Dr. SURONO, maître de stage, et Pr. Franck LAVIGNE, coordinateur du stage à
l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Septembre 2009
Il y a des volcans ivres à la dérive
Aimé Césaire
Moi Laminaire
1982
2
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS
p. 4
I. Objectifs, méthode et stage au PVMBG
p. 7
II. Introduction, retour sur le volcanisme de boue et
approche du cas particulier de Sidoarjo
p. 10
III. Présentation générale du fleuve Porong, exutoire du
bassin-versant du Brantas
p. 22
IV. Le contexte global de crise environnementale de Sidoarjo
et la question spécifique des rejets de boue dans le fleuve
Porong
p. 28
V. La boue dans le fleuve Porong, analyse de l’évolution
géomorphologique du chenal en 2008
p. 41
VI. Les répercussions des changements dans le fleuve sur la
population riveraine, le lien entre géomorphologie et aspects
socio-économiques
p. 57
VII. Conclusion, difficultés, intérêts et poursuite
p. 64
BIBLIOGRAPHIE
p. 68
TABLE DES MATIÈRES
p. 73
TABLE DES FIGURES
p. 75
3
REMERCIEMENTS
Ce rapport où je présente le projet qui m’a occupé plus d’un an à partir du moment où j’ai
commencé à m’y intéresser mérite de commencer par les remerciements de ceux qui ont
concouru à sa réalisation. Voici les personnes qui m’ont accompagné tout au long de son
déroulement ou qui sont intervenues dans les moments clés.
L’idée d’aller travailler à Sidoarjo a d’abord germé dans la tête de mon professeur Franck
Lavigne. Il est venu en discuter avec moi au mois de mai 2008 et a su me convaincre. Il a su
élever mes ambitions et je veux avant tout lui être reconnaissant pour cela. Par la suite, alors
qu’il était déjà très occupé puisqu’il s’est vu nommé cette année Professeur des Universités
il s’est personnellement investi pour mener à bien le projet et trouver des aides financières.
Sa force de travail m’a beaucoup impressionné. Aucun doute que les pistes de recherche
ouvertes à Sidoarjo l’ont amadoué, lui, autant que moi, Franck est un passionné. Il ne m’a
pourtant jamais mis de pression, il est toujours resté à mon écoute et au service de mon
épanouissement personnel. Toujours optimiste, Franck est un vrai moteur. Et puis avec sa
bonne humeur, le travail est encore plus plaisant. Pas la peine de vanter toutes ses qualités,
ça ne ferait que le mettre mal à l’aise. Je dirais simplement qu’il y a certaines rencontres qui
deviennent des aventures et tel a été le cas avec Franck.
J’ai eu à Bandung beaucoup de chance d’avoir été encadré par Pak Surono. Chef du centre,
beliau masih sibuk, il ne se repose que très peu et il est constamment sollicité aux quatre
coins de l’Indonésie. Malgré cela il est toujours resté disponible pour moi. Il a suivi le cours
de mes recherches et veillait à ce que j’obtienne ce dont j’avais besoin pour avancer. Il est
parfois intervenu de son statut pour que j’obtienne ce qui n’aurait pas été possible par moimême (données, contacts, accélération des formalités administratives…). Et si je me sens
avoir été aussi bien accueilli, c’est aussi que son soutien a dépassé le cadre professionnel.
Avec un certain côté paternaliste, il a fait en sorte que je m’intègre bien dans ce nouveau
pays. Il m’a hébergé et fait partager sa vie de famille, le temps de trouver un logement.
J’éprouve à son égard, en plus d’un grand respect, une grande sympathie.
Au PVMBG de Bandung, je tiens aussi à remercier ceux que j’ai eu le plaisir et le luxe de
fréquenter : Mbak Sofie Yusmira Oktane W. qui a mis beaucoup d’énergie à régler et à
accélérer mes formalités administratives. Je salue son efficacité autant que sa gentillesse ;
Pak Hendra Gunawan qui m’a accueilli dans son bureau et m’a guidé plusieurs fois dans des
centres à Bandung pour trouver des informations ; Pak Tutang qui m’a toujours reçu avec le
sourire et m’a accordé du temps quand je venais lui demander de l’aide sur le logiciel
MapInfo pour traiter mes données ; Pak Umar et Pak Zaennudin qui m’ont fourni des
données précieuses ; Pak Devy Kamil Syahbana grâce à qui j’ai pu m’insérer dans le réseau
des scientifiques de Sidoarjo, régulièrement chef de mission sur le terrain, il m’a guidé,
fourni des données et emmené avec son équipe lors de mesures par géo-radar. Lui aussi m’a
aidé à m’intégrer à la vie de Bandung, notamment en m’accompagnant chercher un
logement dans un quartier vivant ; Mbak Syegi Lenarahmi Kunrat qui contribue largement à
la bonne ambiance du centre et qui m’a fait découvrir aux pauses de midi d’excellents
endroits pour apprécier la cuisine indonésienne et en particulier la cuisine sundanaise locale.
4
Du côté de Sidoarjo, je n’ai pas eu de soutien aussi cher que celui de Pak Handoko T.
Wibowo. Il est l’un des rares avec qui j’ai pu nouer une relation de confiance réciproque. Il
m’a à la fois guidé sur le terrain et guidé dans les bureaux pour que j’obtienne les données
me permettant de réaliser mon étude. Et si cela n’est pas assez, il m’a aussi hébergé une
semaine chez lui pour être sûr que je séjourne dans de bonnes conditions. J’ai aussi trouvé
un soutien chez son frère, Pak Handoyo qui m’a conduit souvent en moto, et Pak Dodie qui
m’a emmené voir le cratère de LUSI au plus près juste avant que la digue ne sombre, qui m’a
guidé dans certains bureaux de la compagnie Lapindo Brantas (même si là, je n’ai pu obtenir
aucune donnée), qui m’a prêté sa moto, avec qui j’ai beaucoup discuté, et qui m’a aidé à
avoir un regard critique sur les personnes rencontrées. Je remercie plus généralement le
BPLS (Badan Penanggulangan Lumpur Sidoarjo, l’organisme d’état qui supervise la crise sur
le terrain), à la fois du côté des bureaux (Pak Soffian Hadi, Pak Aris Harhanto, Pak Bajuri Edy
C.) où se trouvent de riches données, et du côté du terrain, l’équipe de géologues qui m’a
guidé et emmené une journée effectuer des mesures sur la qualité de l’eau.
Merci à Dr. Van S. Williams, géomorphologue de l’USGS, qui avait demandé à me rencontrer
à Surabaya après que Pak Devy Kamil Siahbana lui ait parlé de moi. Notre entretien m’a
beaucoup donné à réfléchir et m’a redonné un élan de courage du fait que nous soyons
d’accord sur les mêmes idées et qu’il me transmette beaucoup d’informations qu’il avait en
sa possession à un moment où j’en manquais justement.
Pour réaliser mon enquête de terrain en mai, je suis allé voir au Centre Culturel Français de
Bandung si des étudiants étaient intéressés pour m’aider. Je me suis trouvé face à une classe
très motivée à tel point que je n’ai pas su qui choisir. Ils se sont mis d’accord entre eux et
trois étudiantes sont venues m’accompagner quelques jours à Sidoarjo : Ferli (Ferli
Hasanah), Dede (Retna Dewi Anugrah) et Isti (Endah Istiqomah Apriliani). Elles ont été
blagueuses et travailleuses. Elles ne semblaient jamais fatiguées malgré les longues journées
de terrain. Pouvoir travailler pour une fois en équipe a fait de ces quelques jours l’un des
meilleurs moments des cinq mois. Elles sont passionnées par la France et je leur souhaite de
pouvoir venir aussitôt qu’elles le pourront.
J’adresse également des remerciements au centre d’hydrologie de Bandung (le Pusat
Litbang Sumber Daya Air) où j’ai pu retirer des données et où on a cherché à m’aider avec
sincérité. Merci en particulier à Pak Isdana, Pak Irfan Sudono et Bu Tari ainsi qu’à Mbak
Novi Rahmawati qui a été d’un grand dévouement. Elle a recherché pour moi des
informations pendant plusieurs jours, me tenant régulièrement au courant des avancées, et
me les a envoyées en France quand j’étais déjà rentré.
Il y a aussi Delphine Grancher. Son aide aussi bien intellectuelle qu’organisationnelle a été
indispensable tout au long du projet. Si Franck est optimiste, elle, est réaliste. Elle aurait
presque pu figurer sur la page de garde tant elle m’a accompagné tout au long du projet.
Et, je ne voulais pas non plus oublier de remercier ces trois personnes : Charles Lecoeur, en
tant que directeur du laboratoire de géographie physique de Meudon, qui m’a rédigé, sans
délai, la lettre de recommandation nécessaire à l’obtention de mon visa, qui, lui, a connu des
délais, ainsi qu’en tant que professeur car sa manière géographique de penser et les
concepts qu’il prône (notamment la distinction entre conséquences directes et
5
conséquences indirectes) m’ont semble-t-il inspiré et aidé à réfléchir à la crise de Sidoarjo ;
Etienne Cossart pour ses conseils bibliographiques, mais également pour ses enseignements
qui m’ont eux aussi permis d’élaborer une vision systémique de la crise. Ce sont en partie les
clés de compréhension dont il m’a fait disposer qui me font me sentir aujourd’hui devenir
géographe ; et Béatrice Ledésert, géologue de l’université de Cergy-Pontoise et spécialiste
du volcanisme de boue, qui m’a autorisé à la rencontrer en septembre 2008 pour
m’expliquer le phénomène et qui m’a fait don d’une riche bibliographie.
Et puis mes proches. Mes parents, Jocelyne Armand et Pierre Lanchon. Je crois qu’ils ont
mieux appris ce que pouvait être la géographie à travers ce projet de recherche. Ils se sont
montrés très intéressés et, d’une manière générale, cela a toujours entretenu ma
motivation, le fait qu’on s’intéresse à mon travail. Ils m’ont soutenu financièrement et je
remercie ma mère pour m’avoir en plus allégé de certaines de mes affaires en France que je
ne pouvais pas régler quand j’étais en Indonésie ainsi que pour son travail de relecture. Une
grosse étape a été les formalités administratives pour demander le visa VITAS 315, spécial
recherche. Et là, je remercie Nathalie Bertho pour avoir corrigé mes Research Proposal, C.V.
et autres lettres en anglais.
Merci enfin à l’association Planet Risk qui s’est intéressée à mon projet et qui m’a accordé sa
confiance. Je peux dire que leur soutien financier a été profitable.
Toutes ces personnes et organismes salués ici me donnent envie de faire vivre plus
longtemps ce travail qui a été effectué. Il n’a de sens selon moi que si nous pouvions le faire
valoriser. Outre le désir de publier un article scientifique, je réfléchis à une possible
exposition ou présentation orale. Cela restera sinon toujours un plaisir d’en parler avec
quiconque affiche de l’intérêt pour le sujet.
6
I. Objectifs, méthode et stage au PVMBG
I. 1. Présentation de l’organisme d’accueil, le PVMBG
J’ai été accueilli du 5 mars au 5 août 2009 à Bandung au PVMBG (Pusat Vulkanologi dan
Mitigasi Bencana Geologi) le Centre de Volcanologie et de Mitigation des Catastrophes
Géologiques en Indonésie (Fig. 1.). J’ai été encadré durant ces cinq mois par M. Surono,
directeur du centre.
Le PVMBG est un organisme créé par l’état
qui a pour rôle principal l’évaluation et la
prévention des risques naturels en
Indonésie. Il est chargé également de
fournir des recommandations techniques
aux autorités locales en cas d’alerte. Ce
n’est pas le PVMBG qui prend directement
les
décisions
d’intervention
(ex.
évacuation) mais il conseille les
gouvernements locaux par l’intermédiaire
de M. Surono. Le centre a aussi un rôle
d’éducation auprès des populations qui
habitent en zone dangereuse. Il s’agit de
préconiser les gestes à avoir lorsqu’un
évènement survient.
Fig. 1. Entrée du PVMBG, Bandung (mars 2009)
L’organisme est apparu en 1920. Il a changé plusieurs fois d’appellations lorsqu’il
redéfinissait ses objectifs. Bien qu’on parle encore parfois du VSI (Volcanological Survey of
Indonesia), il est devenu PVMBG en octobre 2006. Il a à la fois une mission de service public
et de recherche. Ces deux composantes n’ont cependant pas la même importance. Œuvrer
pour que les catastrophes naturelles fassent le moins de victimes possibles est la première
des priorités, si bien qu’on peut estimer que la part qui est attribuée à la recherche
représente aux alentours de 10 % du travail des employés. Entre autres publications, il
produit par ailleurs différentes cartes (cartes géologiques et cartes de risque).
Le centre est constitué de quatre divisions. Les divisions (i) surveillance et recherche sur les
volcans (pengamatan dan penyelidikan gunungapi) et (ii) surveillance des tremblements de
terre et des glissements de terrain (pengamatan gempabumi dan gerakan tanah) qui intègre
le risque de tsunami sont spécialisées sur la composante aléa du risque. La division (iii)
évaluation du risque (evaluasi potensi bencana) n’est pas strictement scientifique puisque
davantage tournée vers le social. C’est elle qui intègre l’autre composante du risque, la
vulnérabilité. La division (iv) bureau de recherche et de développement technologique des
volcans (balai penyelidikan dan pengembangan teknologi kegunungapian) quant à elle est
un peu à part. Elle est située dans ses propres locaux à Yogyakarta, près du volcan Mérapi.
Ce sont, en tout, 452 personnes qui sont employées et réparties entre Bandung, Yogyakarta
et les postes d’observation sur le terrain.
7
Les techniques utilisées sont assez nombreuses et propres aux géologues, pétrologues,
géophysiciens, géochimistes, géomorphologues… Entre les terrains, les laboratoires
d’analyse et les bureaux, le PVMBG a déjà mis en place plusieurs collaborations
internationales avec les États-Unis, la France, le Japon, les Pays-Bas, l’Allemagne et
l’Australie qui lui permettent de progresser et de s’améliorer. De plus en plus, les employés
du PVMBG intègrent la scène scientifique internationale.
Étudiant géographe sur les risques naturels, il était particulièrement profitable pour moi de
rencontrer des professionnels, surtout en Indonésie. En fréquentant différents scientifiques,
je me suis familiarisé avec d’autres disciplines que la mienne. J’ai apprécié de me trouver
dans un milieu de recherche. Au travers de discussions avec des spécialistes du centre, je me
suis familiarisé avec d’autres cas, j’ai pu me faire ma propre expérience sur la zone à risques
du volcan de boue de Sidoarjo.
I. 2. Organisation de mon travail sur le volcan de boue de Sidoarjo
Mon arrivée en Indonésie a été précédée d’un travail de préparation (surtout
bibliographique) de plusieurs mois afin de connaître aussi bien que possible la situation de
crise à Sidoarjo, d’acquérir des connaissances générales sur le volcanisme de boue et de
prédéfinir mon sujet d’étude.
Une fois sur l’île de Java, être intégré au PVMBG m’a été fort utile pour accéder au terrain
sur lequel je souhaitais travailler ainsi qu’au réseau des responsables scientifiques de la
crise, en particulier le BPLS qui supervise la crise sur le terrain. Le contexte de Sidoarjo est tel
qu’il est difficile pour un étranger de venir y travailler. En tant qu’étudiant, il était d’autant
plus nécessaire pour moi de me faire présenter par l’équipe du PVMBG spécialisée sur LUSI
pour me faire accorder un premier niveau de confiance de la part des responsables. Cela
passait à la fois officiellement par des lettres de recommandation de la part de M. Surono et
officieusement par des discussions entre Devy Kamil Syahbana (géologue de Bandung chargé
du suivi de LUSI) et les membres du BPLS.
Durant mes cinq mois de stage, je me rendais chaque mois quelques jours à Sidoarjo (Java
Est) depuis Bandung (Java Ouest) pour suivre l’évolution de la crise et essayer d’acquérir les
informations utiles pour mon travail (Fig. 2.). Je me suis rendu compte dès le premier séjour
à Sidoarjo des difficultés de ce terrain (complexité de la crise, climat politique tendu,
désordre oppressant de la vie). Mesurant à quel point j’étais isolé malgré quelques soutiens
très précieux, j’ai dû renoncer à obtenir directement par moi-même la plupart des données
(j’ai notamment renoncé à effectuer des mesures dans le fleuve pour retracer des profils). Il
s’agissait plutôt d’aller les demander dans les différents organismes. Aussi, à part l’enquête
par questionnaire que j’ai organisée moi-même et l’observation de terrain, toutes les
données sur lesquelles j’ai pu travailler proviennent de différents organismes, en particulier
le PVMBG, le BPLS à Surabaya (notamment pour les données sur les profils en travers du
fleuve Porong) et le Puslitbang à Bandung (Pusat Litbang Sumber Daya Air, le centre
d’hydrologie). J’ai aussi tiré des informations de mes entretiens avec, entre autres, Pak
Surono et Devy Kamil Syahbana du PVMBG, Handoko T. Wibowo, Soffian Hadi, Pak Dodie du
BPLS et Dr. Van S. Williams de l’USGS.
8
Fig. 2. Localisation de Bandung (PVMBG) et de Sidoarjo sur l’île de Java, Indonésie.
C’est à Bandung que je traitais les données et que j’organisais mon travail. La phase
d’acquisition des données a été la plus longue et la plus difficile. C’est à partir de fin mai que
j’ai pu commencer à analyser réellement les données alors que la première phase se
poursuivait toujours. Enfin, j’ai pu commencer la dernière étape, celle de la rédaction, au
début du mois de juillet.
Ayant décidé de m’attacher spécifiquement aux conséquences, surtout géomorphologiques,
des rejets de boue dans le fleuve Porong, les résultats obtenus sont principalement basés sur
l’analyse d’un ensemble de profils en travers du chenal au cours de l’année 2008 (les
données proviennent du BPLS qui effectue chaque mois les mesures dans le cours d’eau) et
d’une enquête par questionnaire réalisée en mai 2009 auprès de la population riveraine sur
la thématique des changements vécus par la population.
Après avoir compris la nécessité d’une telle gestion et la situation périphérique de la
question par rapport à l’ensemble de la crise de Sidoarjo viennent des questions plus
spécifiques. À quel point le système hydrographique est-il déstabilisé par cette entrée
sédimentaire ? Quelles sont les formes d’ajustement qui en résultent et quels sont leur
temps de réponse ? Quel bilan peut-on dresser entre les entrées et les sorties
sédimentaires ? Et enfin, quels impacts ont ces changements géomorphologiques sur la
population locale ?
Après avoir présenté le cadre dans lequel j’ai pu réaliser mon étude de master 1 dans ce
premier chapitre, le contexte général du terrain qui a attiré notre attention sera présenté
dans le chapitre II, puis le contexte plus particulier du fleuve Porong, notre terrain
spécifique, dans le chapitre III. On envisagera ensuite, dans le chapitre IV, la question des
rejets de boue dans le fleuve par rapport aux autres composantes de la crise
environnementale de Sidoarjo. Viendra alors au chapitre V l’analyse de l’évolution
géomorphologie du chenal et un questionnement dans le chapitre VI des conséquences de
ces changements sur les riverains. Le chapitre VII permettra enfin de conclure sur le travail
effectué au sein du stage et les intérêts personnels que j’en ai tirés.
9
II. Introduction, retour sur le volcanisme de boue et
approche du cas particulier de Sidoarjo
II.1. Situation humaine et physique
Le volcan de boue dont il est question ici constitue un cas unique dans le paysage mondial
des volcans de boue. Cela tient à la conjonction de plusieurs caractères : l’ampleur et
l’incontinence de ses éruptions depuis trois ans, le fait qu’il est apparu de manière subite
dans un environnement densément habité et le fait que ce soit apparemment un acteur
anthropique qui ait déclenché le phénomène et puisse être tenu comme responsable.
La composante risque du volcan de boue LUSI
C‘est au milieu d’une rizière de la province de Java Est que le volcan de boue surnommé
« LUSI » (de LUmpur qui signifie « boue » et SIdoarjo, le lieu sinistré où les éruptions se
produisent) est apparu soudainement le 29 mai 2006. Depuis, le volcan de boue demeure
incontinent. Comme Sidoarjo se trouve à 30 kilomètres au sud de Surabaya, la deuxième ville
d’Indonésie, il s’agit d’une banlieue densément peuplée. L’aire d’épandage de la boue,
contenue par des digues, recouvre quatre villages. Sauf pour une mosquée et une usine dont
on aperçoit encore les toits, l’urbanisation est complètement ensevelie. Une population
d’environ 30 000 habitants, vivant principalement des secteurs primaire et secondaire, a dû
abandonner les lieux. Une partie des réfugiés n’a pas encore trouvé à se reloger et habite
dans des cabanes sur les bords de l’autoroute qui a été coupée par la boue.
Cependant les inondations de boue ne sont pas tout. LUSI a bien d’autres conséquences
graves en périphérie. L’aléa naturel rencontrant ici la vulnérabilité sociale, c’est en gardant à
l’idée la dimension du risque que s’envisagent les évènements de Sidoarjo.
Situation géologique en bassin d’arrière-arc
Sur le plan physique, LUSI est situé dans un bassin sédimentaire, un bassin d’arrière-arc. Une
telle structure s’observe au niveau des marges continentales actives mais uniquement celles
qui sont soumises à un régime distensif (par opposition au régime compressif). Elle ne vient
qu’après le prisme d’accrétion, le bassin d’avant-arc puis l’arc volcanique en partant de la
fosse sous-marine où commence la zone de subduction océanique [Gerven et Pichler, 1995 ;
Debelmas et Mascle, 2004 ; Westphal et al., 2002] (Fig. 3.).
Le bassin d’arrière-arc, ici, est en grande partie occupé par la mer de Java mais le volcan de
boue LUSI se trouve sur les marges émergées au sud (sur l’île de Java de l’archipel volcanique
indonésien) [Bellair et Pomerol, 1982 ; Girault et al., 1998]. Le bassin est à croûte granitogneissique. Il fait partie des « plates-formes sous-marines peu profondes qui joignent l’arc
volcanique de Sumatra-Java à la côte sud-asiatique (Malaisie-Indochine) » [Debelmas et
Mascle, 2004]. Il est avant tout comblé par des « produits détritiques *…+ provenant de l’arc
volcanique ou de son substratum granito-gneissique *…+ ainsi que de carbonates de platesformes y compris des calcaires récifaux » [Debelmas et Mascle, 2004].
10
Fig. 3. Coupe théorique d’une marge active en régime de distension (marge de type est-asiatique). Coupe inspirée
de l’arc indonésien. Debelmas et Mascle, 2004
LUSI connaît d’autres volcans de boue dans son voisinage, jusque sur l’île de Madura au
nord-est. Ils sont tous plus anciens et plus petits, encore actifs périodiquement ou non et
sans danger. Ils sont apparemment alignés le long d’une faille tectonique ancienne
d’orientation sud-ouest nord-est et qui traverse l’île dans sa largeur.
II.2. Retour épistémologique « sur les volcans de boue »
Dès le début du XIXe siècle, des observateurs ont amorcé une approche scientifique du
volcanisme de boue. La première étude remonte à 1823 quand Ferguson publie un article
intitulé « Sur les volcans de boue à Trinidad ». Par la suite, beaucoup de ces phénomènes ont
été décrit à travers le monde au cours des 19e et 20e siècles. Ceux qu’on englobe sous
l’appellation volcan de boue (mud volcano en anglais, ou gunung lumpur en Indonésien)
varient largement à la fois du point de vue de l’échelle et de la morphologie. Ils n’étaient
alors observés que de manière isolée jusqu’à ce que Higgins et Saunders, au début des
années 1970, publient leur travail où les volcans de boue sont pour la première fois étudiés
de manière systématique. Leur synthèse, sortie sous le nom « Les volcans de boue – Leur
nature et origine » [1974] est basée sur la description de trente volcans de boue dispersés à
la surface du globe. Aussi leur étude est-elle considérée comme pionnière dans ce domaine
de la recherche.
Cependant, aucune nomenclature en la matière n’existe dans la littérature spécifique. Nulle
part encore on ne trouve une classification qui aurait été proposée de ces volcans
particuliers. Selon Kopf [2002], qui a fait paraître une riche synthèse appuyée sur une
compilation d’études englobant quarante-cinq zones de volcanisme boueux répartis sur la
planète, cela semble, au moins très difficile si ce n’est impossible étant donné l’immense
panel de ces phénomènes ramenés sous la même dénomination. Peut-être cette difficulté
de synthétisation indique-t-elle encore un manque de maturité dans la connaissance des
volcans de boue qui résistent encore beaucoup aux interprétations des scientifiques [Manga
et al., 2009+. Une grande partie de la recherche s’en tient encore à la description et à
l’interprétation de ces phénomènes car peu de mesures directes sont réalisables. On
cherche toujours à comprendre leur origine, comment ils se forment et apparaissent à la
surface de la Terre, comment ils fonctionnent, comment les fluides remontent à la surface et
donnent lieu à des éruptions [Etiope et al., 2008+. Après l’apparition inattendue de LUSI à
11
Java Est, beaucoup de chercheurs s’y sont penchés, attirés par l’opportunité d’observer la
naissance d’un de ces phénomènes *Mazzini et al., 2007+.
Certains scientifiques s’attachent à des questions plus particulières. Comme les volcans de
boue libèrent de grandes quantités de méthane dans l’atmosphère, de CO2 et aussi d’autres
gaz, quelques chercheurs comme Hovland et al. [1997] essayent de quantifier ces émissions
de gaz et de dresser des bilans à l’échelle du globe ainsi que de mesurer (si tant est qu’elle
soit conséquente) la contribution à l’effet de serre *Etiope et al., 2002 ; Dimitrov, 2002 ;
Milkov et al., 2003+. Cette dernière semble négligeable aujourd’hui. Mais si l’on prend en
compte le fait que les volcans de boue existent sur Terre depuis des Âges passés, il est fort
probable que cela ait eu un impact sur l’évolution de notre atmosphère *Kopf, 2002+. Abas
Kangi, lui, étudie le volcanisme de boue sur mars [Kangi, 2007]. Des auteurs tentent de
proposer des modèles comme pour expliquer la puissance et le volume des éruptions de
boue *Murton et Biggs, 2001+. D’autres chercheurs s’intéressent au lien entre l’existence de
ce phénomène et la présence d’hydrocarbures. Dans les années 1980, le rôle des volcans de
boue dans la prédiction de réservoirs pétrolifères a été mis en évidence [Yakubov et al.,
1980 ; Rakhmanov, 1987+. On comprend facilement l’intérêt qui est en jeu : par exemple, les
volcans de boue et les sources d’énergie qui leur sont associées ont apporté l’industrie du
pétrole en Azerbaïdjan [Cooper, 2001]. Travailler avec le volcanisme de boue semble bien
pouvoir représenter une source de revenu, et pas uniquement pour les hydrocarbures. En
Russie, plusieurs spas ont ouvert pour une clientèle fortunée, utilisant l’énergie
géothermale. Il y a aussi de plus en plus de touristes qui payent pour voir des volcans de
boue, en Italie, en Amérique Centrale ou en Azerbaïdjan [Gallagher, 2003]. À Sidoarjo, dans
le contexte de crise, beaucoup d’Indonésiens viennent voir de leurs propres yeux les
désastres qu’ils peuvent lire presque quotidiennement dans les journaux et dont ils
entendent parler dans les programmes télévisés (lors des débats précédant les élections
présidentielles en juillet 2009, chacun des candidats s’était prononcé sur la question). Sur les
digues de LUSI, une horde de guides improvisés sont là pour accueillir les visiteurs et leur
proposer un tour à moto.
II.3. Localisation, origine et mécanisme des volcans de boue
On a déjà identifié plus d’un millier de volcans de boue à travers le monde (Fig. 4.). Rien
qu’en Azerbaïdjan, on compte 77 volcans de boue actifs (on leur a recensé 292 éruptions au
cours des deux siècles derniers) [Aliyev et al., 2002]. À l’échelle du globe, la grande majorité
se situe le long de marges convergentes [Kopf, 2002] : la Barbade, le Costa Rica, Taiwan [Yin
et al., 2003], Trinidad [Arafin, 2005], la dorsale méditerrannéenne [Kopf et al., date
inconnue ; Haese et al., 2006], la fosse des Mariannes, les Aléoutiennes, le Japon, Makran
[Wiedicke, et al., 2001] ou Java. On trouve les volcans de boue sur chacune des deux plaques
en convergence. Quelques-uns aussi se trouvent dans les deltas de grands fleuves (le delta
du Niger au Nigéria *Graue, 2000+ ou le delta de l’Orénoque au Venezuela *Aslan et al.,
2001]).
À une échelle régionale et locale, les volcans de boue sont d’abord associés à des contextes
de compression tectonique *Kopf, 2002+ même si on les a aussi rencontrés dans d’autres
contextes [Manga et al., 2009]. Ils apparaissent souvent dans des zones de forte activité
sismique et le long de failles géologiques dans des régions volcaniques ou des ceintures
12
d’orogénèse. Comme on l’a dit plus avant, leurs régions peuvent être des secteurs
d’exploitation pétrolière *Yassar, 2002+. La présence de couches argileuses en profondeur,
au niveau d’où le matériel provient, est enfin une caractéristique courante. Ils rejettent de la
boue salée argileuse et des gaz composés pour 70 à 99 % de méthane ainsi que du CO2 et
dans quelques cas, des hydrocarbures, du soufre et des gaz rares [Chiodini et al., 1996 ;
Lavrushin et al., 1996 ; Etiope et al., 2008 ; Manga et al., 2009].
Fig. 4. Répartition mondiale des volcans de boue connus. Ils se situent surtout le long
de marges convergentes et parfois dans les deltas de grands fleuves. modifié d’après
Kopf, 2002
Dans quelques cas, au cours de la subduction, des boues marines sont enfouies à plusieurs
kilomètres de profondeur. Il est couramment admis qu’une plongée rapide de la plaque en
subduction sous une autre empêche les sédiments de rejeter les fluides qu’ils contiennent et
se retrouvent coincés sous une épaisse colonne sédimentaire. Par exemple, les vitesses de
convergence des plaques atteignent 88 mm.an-1 au Costa Rica et 60 à 80 mm.an-1 à Java
[Jarrard, 1986 ; Kopp et al., 2006]. Une fois enfouies, les boues tassées par la colonne
sédimentaire au-dessus commencent le dewatering process. Cela est rendu possible par les
fortes pressions et températures des profondeurs. À la fois, et pour les même raisons
(thermiques et de compaction), des gaz (en particulier le méthane) sont libérés dans le
processus de décomposition des matières organiques contenues dans les sédiments
*Pettinga, 2003+. La production de ces gaz contribue au phénomène de surpression, d’autant
qu’en tant que fluides, ils se dilatent avec la chaleur. À ce moment, aucun volcan de boue
n’existe encore mais les fluides ne vont pas supporter de telles pressions longtemps.
Dans le paragraphe ci-dessus, nous avons décrit un cas possible où les boues sont enfouies
dans le processus de subduction. Mais ce n’est qu’un cas parmi tant d’autres. En revanche le
principe de surpression des fluides est général. De plus, nous avons laissé entendre que
boue et gaz avaient la même origine. De plus en plus, les auteurs considèrent que l’origine
des gaz est différente de celle de la boue et bien plus profonde. Dans le Caucase, les gaz
remontent d’une profondeur de 10 à 12 km et entraînent la boue dont la source est
13
seulement à quelque 3 km en-dessous de la surface [Manga et al., 2009]. En réalité, il semble
que cela dépende des cas. À Sidoarjo, on commence aussi à penser que c’est la boue qui
jaillit qui aurait elle-même deux origines distinctes. Elle proviendrait de deux réservoirs
situés l’un au-dessus de l’autre *communication personnelle avec Handoko T. Wibowo, août
2009].
Les argiles, l’eau et les gaz sont d’une moindre densité que le matériel des couches
sédimentaires au-dessus. Cela implique une inversion de densité. Cette caractéristique est,
pour beaucoup d’auteurs, le moteur principal requis pour permettre aux fluides de remonter
[Kopf, 2002]. Il pourrait même être suffisant à lui tout seul. Dans une situation de diapir, le
matériel de plus faible densité remonte lentement à la surface par cette seule force
d’inversion de densité, mais sans atteindre la surface.
Cependant, dans le cas des diatremes où les fluides atteignent bien la surface sous forme
d’éruptions, d’autres moteurs sont nécessaires pour faciliter la remontée de la boue et des
gaz mais ils restent encore en discussion dans le milieu de la recherche. La surpression des
gaz et la compression tectonique par exemple sont efficaces pour laisser s’échapper la boue
vers le haut. « La force est telle que des formations rocheuses peuvent être soulevées et
brisées, et que des rochers entiers sont parfois éjectés lors des éruptions » [Milne, 1997]. Le
matériel peut aussi profiter d’un réseau de faille car il offre des « passes efficaces pour la
boue fluidifiée » [Aslan et al., 2001].
II.4. Géomorphologie : une grande variété de volcans de boue malgré un
principe de fonctionnement commun
Les différences de forme entre les volcans de boue sont dues à des différences de situation à
l’échelle locale, à des caractéristiques souterraines (par exemple le diamètre des conduits de
remontée ou la viscosité de la boue) ainsi qu’aux âges des volcans de boue. La première
séparation s’opère déjà entre les diapirs et les diatremes.
Nombreux sont ceux qui apparaissent offshore [Milkov, 2000]. Aussi faut-il considérer qu’il y
a une multitude de volcans de boue sous-marins jamais découverts encore. Ceux qui se
situent dans la Mer Noire sont suivis depuis les années 1990 [Ivanov et al., 1996]. Neuf
larges volcans de boue occupent une place adjacente à la faille de Crimée Ouest [Ivanov, et
al., 1989]. On trouve parmi les cas sous-marins les plus grands mud pies (>30 km de diamètre
au niveau de la dorsale méditerranéenne [Çifçi et al., 1997]. En milieu sous-marin, une boue
avec une porosité faible (<50 %) donne lieu à des mud domes alors que des mud pies
traduisent une porosité élevée de la boue [Lance et al., 1998]. De temps en temps, quand
ces édifices apparaissent près de la côte, ils peuvent donner naissance à de nouvelles îles
[Delisle et al., 2002]. Des cas connus ont existé au large de la côte de Trinidad en 1911, 1928
et 1964 *Higgins et Saunders, 1967+ et ont pu s’élever 10 mètres au-dessus du niveau de la
mer. Toutefois, ces structures sont vulnérables à l’érosion marine et ne connaissent qu’une
courte existence. L’île de Chatham en 1964 au large de Trinidad n’avait tenu que huit mois
avant de disparaître [Higgins et Saunders, 1967].
Les volcans de boue terrestres sont mieux renseignés. On peut dresser une distinction du
point de vue de la topographie entre ceux qui présentent une éminence (knolls) et ceux qui
14
forment au contraire une dépression (depressions) [Kopf, 2002]. Les structures
proéminentes vont des petites protubérances, de quelques centimètres de haut seulement
et quelques décimètres de large, à des structures de plusieurs kilomètres de large ou des
centaines de mètres de haut. L’Azerbaïdjan possède les plus hauts volcans de boue allant
jusqu’à 600 mètres *Jabukov et al., 1971]. Les cones ou domes ont des pentes supérieures à
5°. En-dessous, on considère qu’il s’agit de pies. Les bouches qu’on trouve parfois sur les
flancs des domes en plus du cratère principal situé sur la crête sont appelées gryphons. Il
existe aussi des formes d’extrusion allongées de type dykes alors appelées mud ridges.
Ainsi une terminologie assez développée permettant des descriptions précises est établie
dans le domaine en dépit encore d’une typologie communément acceptée. Il semble que la
variété dans les tailles et dans les formes soit commandée par deux paramètres. Le diamètre
des conduits et l’intensité des forces qui permettent aux fluides de remonter ont leur
importance d’une part. Des volcans de boue larges sont généralement liés à des conduits
larges et à un moteur puissant en profondeur. La consistance de la boue d’autre part est
sensée déterminée la géométrie de l’édifice. Une boue très liquide donne forme à un mud
pie plutôt qu’un mud dome.
Les structures en forme de dépression sont appelées mud pools. Elles aussi peuvent être très
petites ou aussi larges que des lacs de plusieurs centaines de mètres comme à Trinidad. Les
petits mud pools peuvent ressembler à des flaques froides d’où jaillissent tranquillement des
bulles. On a identifié des mud pots en Malaisie [Clennell, 1992] ou encore à Taiwan. On en
trouve qui cohabitent aisément avec le bétail dans des pâturages de Nouvelle Zélande
[Ledésert et al., 2001 ; Pettinga, 2003]. Pour les volcans de boue déjà anciens, des caldeiras
peuvent se former. La chambre de boue en profondeur se vide au fur et à mesure et la boue
rejetée en surface ajoute au poids des formations superficielles. Le terrain se retrouve en
subsidence à des vitesses plus ou moins rapides. Les vitesses d’affaissement à Sidoarjo sont
dramatiquement rapides (plusieurs millimètres par jour, voire plusieurs centimètres en zone
périphérique habitée).
Le volcanisme de boue est en général non violent. Quelques rares exemples sont explosifs,
notamment en Azerbaïdjan [Aliyev et al., 2002]. Les éruptions de boue peuvent contenir des
blocs et rochers et atteindre 100°C (comme c’est le cas de LUSI). Certains ont été enflammés
pendant des années. On raconte qu’en 1922 les émissions d’un volcan de boue du Caucase
ont pris feu, provoquant une flamme de 14 kilomètres de haut [Kugler, 1939].
Le volcanisme de boue est un phénomène encore mal connu de la science et qui prend des
formes très variées. Le tout est de situé LUSI, le plus jeune des volcans de boue par rapport à
tous ses pairs et de trouver des cas dont certains aspects pourraient lui être comparables.
II.5. La singularité de LUSI dans le paysage mondial des volcans de boue
Le volcanisme de boue se décline sous des aspects très variés : tailles négligeables ou très
imposantes, formes proéminentes ou dépressionnaires, compositions liquides ou solides,
éruptions chaudes ou froides, violentes, explosives ou paisibles, situations terrestres ou
sous-marines. Mais les caractéristiques de LUSI, le plus jeune et le plus connu des volcans de
boue, en font un cas unique. Cela tient à la conjonction de plusieurs caractères : l’ampleur et
15
l’incontinence de ses éruptions depuis trois ans alors que la plupart des volcans de boue ne
connaissent des épisodes éruptifs que de courtes durées, le fait qu’il est apparu de manière
subite dans un contexte densément habité et le fait que ce soit probablement un acteur
anthropique qui ait déclenché le phénomène [Davies et al., 2007 ; Davies et al. 2008 ; Tingay
et al. 2008].
L’originalité de LUSI vient de ses dimensions sociales indissociables. D’ordinaire, les volcans
de boue se situent dans des zones désertes. LUSI s’est imposé en milieu urbain si bien que la
valeur de risque lui est associée. C’est la première fois de nos jours pour un volcan de boue.
Certains récits relatent l’ensevelissement de villages par des éruptions de boue mais les faits
sont mal renseignés si bien qu’il est difficile de faire la part entre le mythe et la réalité. Une
légende raconte qu’un village connu sous le nom de « Old Glady » aurait été englouti lors
d’un de ces phénomènes au XVe siècle *Gallagher, 2003+. Il paraîtrait également qu’un
évènement semblable serait déjà arrivé dans l’est de Java, près de l’actuel LUSI il y a environ
cinq siècles. Il y vivait un peuple puissant, celui des Jenggala, qui avait développé une
thalassocratie dans la région. Mais le matériel échappé d’un volcan de boue aurait fait
disparaître leur port basé près du fleuve Porong. Cette catastrophe les aurait déstabilisés
pour mettre finalement fin à leur puissance [comm. pers. avec Soffian Hadi, chef du BPLS].
Peu importe le degré de réalité de cette histoire, il est intéressant de réfléchir sur le lien
entre catastrophes naturelles et pouvoir politique. Pour ce qui est des évènements de
Sidoarjo, c’est effectivement dans un contexte politique tendu qu’ils se déroulent.
II.6. Le contexte politique de Sidoarjo, polémique sur l’origine du phénomène
La première éruption de boue a eu lieu le 29 mai 2006, tôt le matin, à moins de 250 mètres
(la distance rapportée par les auteurs varie entre 150 et 250 mètres) du forage d’exploration
minière Banjar Panji-1 (BJP-1) de la compagnie pétrolière PT Lapindo Brantas. Deux jours
auparavant avait eu lieu, 250 kilomètres au sud-ouest, le tremblement de terre de
Yogyakarta d’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter. Deux répliques (aftershocks) de
magnitude 4,8 et 4,6 avaient suivi quatre et cinq heures plus tard. Dans cette catastrophe du
27 mai, 6000 personnes sont mortes et plus d’un demi-million d’habitants se sont retrouvés
sans logement. Aujourd’hui encore on ne s’est pas mis d’accord de savoir si le drame de LUSI
a été déclenché par l’Homme ou par des causes naturelles.
Parmi la communauté scientifique internationale, certains comme Adriano Mazzini misent
sur le fait que « l’activité initiale de LUSI était principalement déclenchée par l’énergie
produite par le tremblement de terre du 27 mai » *2007+. D’autres, dont les figures de
Richard Davies et Michael Manga penchent plutôt vers le forage de Lapindo Brantas comme
facteur principal [Davies et al., 2007 ; Davies et al. 2008 ; Tingay et al., 2008+. Lors d’un
meeting de l’AAPG (American Association of Petroleum Geologists) qui s’est déroulé l’année
dernière dans la ville du Cap en Afrique du Sud, les causes de l’apparition de LUSI ont été
débattues puis les membres de l’assemblée se sont livrés à un vote. « Au moment de se
prononcer, 42 des 74 scientifiques présents étaient convaincus que c’est le forage qui a
déclenché les éruptions. Seulement 3 ont voté pour la thèse du tremblement de terre.
Quelque 14 autres scientifiques ont trouvé que les arguments présentés ne permettaient
16
pas de conclure et 13 ont estimé qu’il fallait tenir comme responsable la combinaison du
tremblement de terre et du forage » [Morgan, 2008].
Pour Mazzini et al., le volcan de boue en profondeur, sur le point d’apparaître était « à un
niveau critique, aussi de simples perturbations externes ont pu lancer les évènements
catastrophiques à cet endroit *…+ Il est probable que le séisme du 27 mai ait déclenché
l’éruption » *2007+. Dans l’esprit de certains, il est évident que l’activité sismique peut
déclencher des éruptions de volcans de boue à travers le monde [Aliyev et al., 2001 ; Kopf,
2002 ; Aliyev, 2003+. Mais l’article très récent de Manga et al. [2009] qui pose
spécifiquement la question du lien entre tremblement de terre et éruption de boue montre
que l’incertitude demeure. En théorie, il existe bien, mais « en pratique, il est difficile de
distinguer un réel facteur déclenchant d’une pure coïncidence ». Les corrélations statistiques
sont plutôt significatives mais il est encore trop difficile d’en établir une relation causale.
Quant au cas de LUSI, le tremblement de terre n’aurait pas seulement déclenché une
éruption, il serait allé jusqu’à donner naissance au volcan alors qu’aucune trace n’en existait
auparavant. Il est très vraisemblable que les évènements de Yogyakarta ont eu des
implications dans le secteur de Sidoarjo car une faille transformante d’orientation sud-ouest
nord-est, remontant de Yogyakarta vers Surabaya, a été réactivée. Des photos connues
prises dans les mois qui ont suivi montrent les rails de chemin de fer distinctement tordus.
Des traces anciennes de cette faille sont aussi identifiables sur le cours du fleuve Porong
désaxé en amont de Sidoarjo (Fig. 5. a)). Enfin, on peut suivre son axe en localisant les
différents volcans de boue de Java Est et de Madura qui présentent un alignement entre eux
(Fig. 5. b)). Le tremblement de terre a des effets indéniables, mais faut-il y voir l’élément
déclencheur ? Pour Davies et al. [2008] qui se basent sur un modèle statistique, le séisme de
Yogyakarta était trop loin et d’une intensité insuffisante pour faire naître les éruptions.
« L’argument le plus fort qui s’oppose à la thèse du tremblement de terre vient du fait que
d’autres tremblements de terre, plus proches et qui ont généré des secousses plus fortes
n’ont pas déclenché d’éruptions ».
Les arguments en faveur de la thèse du déclencheur naturel ont du poids mais ils manquent
quand même de preuves suffisantes et la coïncidence avec le puits d’exploration Banjar
Panji-1 est trop suspecte pour ne pas douter de la culpabilité de la compagnie Lapindo
Brantas. D’autant que toutes les précautions nécessaires lors de la réalisation du forage
n’ont pas été respectées : les ouvriers se sont affranchis, à partir d’une profondeur de 1300
mètres, du tubage en acier utile pour maintenir les pressions [Davies et al., 2008]. Il faut
remarquer que les compagnies qui recherchent des hydrocarbures sont assez libres en
Indonésie, pays très peuplé et en développement rapide pour lequel le besoin d’énergie est
immense. Ces compagnies sont libres d’effectuer des forages où bon leur semble, on-shore
ou off-shore, depuis une loi de 1998 [Hoebreck, 2007]. Les prospections pétrolières sont
nombreuses notamment dans la mer de Java [Matthews et Bransden, 1995]
La catastrophe de Sidoarjo a des implications sociales, environnementales et financières.
Pour l’instant, le coût estimé s’élève selon le FMI à 2,5 milliards d’euros, ce qui représente
environ 1 % du PIB de l’Indonésie. Beaucoup de structures de protection ont dû être
aménagées d’urgence et nécessitent un entretien constant. Plusieurs dizaines de milliers
d’habitants ont dû être déplacés, perdant parfois tous leurs biens et leurs emplois et ont
toutes les peines à toucher des indemnisations. Des secteurs à l’ouest où le risque est de
17
plus en plus fort sont lentement en cours d’évacuation. Certains sont encore contraints de
rester simplement parce qu’ils ne touchent pas l’argent promis par le gouvernement alors
que des petites remontées de gaz, d’eau ou de boue ont lieu chez eux et que les murs
craquent petit à petit (Fig. 13.). Une famille du village de Siring à l’ouest qui déménageait au
début du mois d’août dernier ne recevait en tout et pour tout qu’une quarantaine d’euros
[comm. pers. avec les habitants, août 2009].
Faille de Watukosek
Fleuve Porong
a)
b)
Fig. 5. Les signes d’existence de la faille de Watukosek dans la région de Sidoarjo. a) La faille transformante a
désaxé le cours du Porong [image satellite de la NASA avant 2006]. b) Plusieurs autres volcans de boue, encore
actifs ou non, sont alignés avec LUSI le long de la faille. PVMBG
Pour ajouter au débat et à la controverse, la compagnie pétrolière est propriété d’Aburizal
Bakrie, l’un des riches frères du ministre des affaires sociales d’Indonésie. De là naît un
conflit d’intérêt entre les responsables potentiels de la crise et les victimes. Le groupe de
Bakrie trouve des soutiens politiques et scientifiques. Il ne faut pas oublier le niveau élevé de
corruption qui règne en Indonésie. Dans un tel contexte, les sphères politiques et
scientifiques sont emmêlées. Le débat scientifique n’est pas sain tant les enjeux qui en
découlent sont importants. Il engage la responsabilité financière de Lapindo. J’ai
personnellement fait l’expérience des difficultés de conduire une recherche à Sidoarjo. Les
tensions sont tangibles et il m’a semblé que l’intrusion d’un étranger dans le contexte de
crise n’était pas souvent la bienvenue. Mon statut d’étudiant réduisait ma crédibilité aussi
18
fallait-il s’armer de patience et de volonté pour s’ouvrir des portes et gagner la confiance des
gens.
II.7. Gestion de crise et tentatives de réduction des éruptions
Au commencement, comme la catastrophe n’était pas considérée comme un désastre
national, la gestion de crise a été prise en charge par les autorités de la province de Java Est.
Les objectifs affichés étaient i) de mettre fin aux éruptions de boue, ii) de gérer les impacts
sociaux et iii) de minimiser les conséquences sur l’environnement.
Durant les mois de juillet et août 2006, des ingénieurs indonésiens ont tenté d’empêcher les
sorties de boue et de gaz d’avoir lieu en introduisant un tube dans le forage pour contenir
les pressions dans le puits *United Nations (Ocha), 2006+. C’était la méthode critiquée du
snubbing unit (« curage sous pression ») qui n’a été d’aucun succès. En même temps, on
essayait de se débarrasser de la boue en l’emportant dans la mer mais 150 camions chaque
jour n’étaient pas suffisants et coûtaient cher. Par la suite, il y a eu le projet mort-né (aidé
par des ingénieurs américains) qui consistait à percer de nouveaux conduits dans lesquels on
s’apprêtait à injecter du ciment dont le but aurait été d’empêcher l’ascendance des fluides.
Une rupture de digue et l’inondation du site de construction en octobre 2006 mit fin
prématurément au projet.
Finalement, le gouverneur de Java Est à transmis la gestion à la Tim Nasional, « l’Equipe
Nationale » devenue depuis le BPLS (Badan Penanggulangan Lumpur Sidoarjo). Dès lors, les
experts avaient perdu espoir de mettre fin à l’activité de LUSI. Le réseau de digues fut
développé et surélevé. En dépit des nuisances que cela implique pour l’environnement, des
tubes ont été installés pour décharger une partie de la boue dans le fleuve Porong. La Tim
Nasional déjà projetait de polderiser avec la boue une partie du delta, action désormais en
cours. Les plans de construction, inspirés du slufter de Rotterdam (Pays-Bas), prévoient trois
bassins d’une contenance totale de 41,5 millions de mètres cube. Ils seraient remplis en
quinze ans selon les estimations [Hoebreck, 2007]. À noter que certains m’ont rapporté leur
scepticisme quant au projet et la volonté de mettre en place une opération de
communication plutôt que d’être d’une réelle efficacité.
Un autre projet original de lutte contre le volcan de boue tient dans l’opération « Bola
Beton ». Il a été lancé par des géologues de l’Institut Technologique de Bandung (ITB). Cela
consistait à jeter dans le cratère des centaines de chaînes reliant quatre boules de béton.
Chaque chaîne, longue d’un mètre et demi, pesait 196 kilogrammes. Deux des boules
pesaient 80 kilogrammes pour un diamètre de 40 centimètres, les deux autres, 18
kilogrammes pour un diamètre de 20 centimètres. Cette initiative se voulait innovante et
économique. La première injection des boules de béton eut lieu le 24 février 2007. Le 19
mars suivant, l’activité de LUSI semblait s’être arrêtée. Mais une coulée de boue reprit
finalement plus tard dans la journée. Comme LUSI demeurait incontinent, l’opération Bola
Beton fut considérée inefficace et arrêtée à la fin du mois. Au total, 398 chaînes furent
lâchées dans le cratère en deux fois (374 le 24 février et 24, au lieu des 500 prévues, le 19
mars). Elles auraient apparemment atteint des profondeurs comprises entre 300 et 1000
mètres.
19
Un dernier projet insensé consistait à élever « une digue de béton autour du cratère. Cette
digue circulaire aurait fait 120 mètres de diamètres. Les murs, d’une épaisseur de 10 mètres
auraient dû faire 50 mètres de haut » [Mazzini et al., 2007].
Le ministère indonésien de l’environnement avait proposé de valoriser la boue en
l’employant à la réalisation de briques et de tuiles. Cela devait par là même permettre de
redonner une activité à ceux qui avaient perdu leur emploi dans l’ensevelissement de leur
usine. Mais la production s’est arrêtée au bout de quelques mois car cela paraissait encore
davantage une opération de communication et les habitants n’ont pas suivi par manque de
confiance dans le gouvernement [Hoebreck, 2007].
À bout d’espoir, le chef du village de Renokenongo avait annoncé qu’une somme d’argent
(environ 9000 euros) serait attribuée à celui qui réussirait à mettre fin aux coulées de boue.
Plus de soixante individus type shamans sont venus pour prononcer des prières, faire acte de
sorcellerie ou effectuer des sacrifices (des poulets, des singes et une vache ont été jetés
dans la boue).
La population découragée et ne sachant plus à qui faire confiance s’en est remise au spirituel
qui s’est révélé tout aussi inefficace. La catastrophe de Sidoarjo, unique en son genre,
dépasse l’échelle humaine. Il a fallu quelque temps avant de s’en rendre compte. Les actions
entreprises par les experts toutes plus originales, ambitieuses ou irréalistes les unes que les
autres flottaient entre innovation et improvisation.
II.8. Les dommages sociaux, matériels et environnementaux
LUSI a fait déplacer plus de 30 000 personnes (presque 7000 au cours du premier mois).
Quatre villages alentour ont été inondés dès les premières semaines : Renokenongo, Siring,
Jatirejo et Kedungbendo. Aujourd’hui, tout est enseveli. Très peu de toits dépassent encore
de la boue. Les habitations, les fabriques, les commerces, les écoles, les mosquées et les
routes ont complètement disparu. Et ce n’est souvent que 20 % des indemnités promises par
le gouvernement qui ont été touchés par les réfugiés (plutôt, les « IDPs », Internally
Displaced People, pour être rigoureux sur leur appellation puisqu’ils se sont juste déplacés
un peu plus loin et n’ont pas franchi de frontière internationale). Quelque temps après les
éruptions du 29 mai 2006, environ 11 000 personnes ont été hospitalisées pour des troubles
respiratoires, des vomissements et fortes diarrhées. Il y a eu plusieurs décès. On pense que
ceci est lié aux émissions de gaz. Pour autant, cela n’a pas été prouvé car les concentrations
dans l’air de SO2, H2S, CO et NO2 étaient faibles d’après les mesures *United Nations (Ocha),
2006].
La boue a aussi recouvert un tronçon de l’autoroute qui part de Surabaya juste avant
Gempol. Il s’agissait d’un axe principal qui reliait l’est de l’île. Tout le trafic, notamment de
poids lourds a été dérivé sur une route plus petite qui longe la digue à l’ouest. Elle n’est pas
calibrée pour une telle circulation et connaît en permanence de longs embouteillages. En
touchant aux axes de communication, les conséquences de LUSI sont aussi économiques,
dépassent l’échelle très locale et s’étendent à une aire plus régionale.
20
Le 22 novembre 2006 a eu lieu un tragique accident. Un gazoduc de la compagnie nationale
Pertama a explosé, provoquant une flamme de 100 mètres de haut et entraînant la mort de
15 personnes. C’est le poids de la boue au-dessus du tube et l’effet de subsidence qui ont
causé l’évènement. La subsidence rapide et, plus généralement, les déformations du sol qui
sont aussi horizontales, sont un des principaux problèmes. Parmi les conséquences, il y a la
fracturation des maisons qui rendent dangereux d’habiter en périphérie. « La subsidence a
été suivie depuis les premiers stades éruptifs. Les données collectées révèlent [au moment
de la rédaction de l’article+ qu’un espace de 22 km² environ était en subsidence à une vitesse
moyenne de 1 à 4 centimètres par jour *…+. La zone de subsidence prenait la forme d’une
ellipse (d’axes 7 x 4 km) » *Mazzini et al., 2007+. Aujourd’hui, les déformations du sol
s’observent encore dans un rayon de 9 kilomètres à partir du cratère *comm. pers. avec
Handoko T. Wibowo, 2009].
Par ailleurs, le rejet de la boue dans le fleuve Porong entraîne des conséquences
écologiques. La végétation type mangrove pourrait bien être menacée par les changements
provoqués : augmentations de la température de l’eau, de la salinité et de la turbidité. Au
sein de la crise environnementale de Sidoarjo, les changements de milieux naturels et la
disparition de quelques populations végétales sont dérisoires. Il semble qu’on ne puisse faire
autrement que de les sacrifier quand des habitants sont menacés. Mais il faut tout de même
avoir conscience de ces nuisances car, indirectement, ce sont des familles javanaises qui sont
touchées. L’élevage de poissons et de crevettes domine le paysage. On compte 30 000
hectares de bassins à poissons et l’incertitude demeure. On ne sait pas (ou peut-être, on ne
dit pas) à quel point le fleuve et les nappes phréatiques sont pollués par la boue. Les
données communiquées ne sont pas alarmantes sauf certaines qui témoignent de fortes
concentrations en métaux lourds [United Nations (Ocha), 2006]. Si les habitants arrêtent de
pêcher dans le fleuve, les poissons continuent d’être élevés dans les bassins. Or, c’est dans
plusieurs années ou décennies qu’apparaîtront les conséquences sanitaires puisque la
consommation de ces poissons est potentiellement dangereuse à long terme. Déjà les
riverains du Porong ne se baignent plus dans le fleuve (certains se sont plaints d’irritations)
et l’eau de leur puits est devenue salée et amère.
Il semblerait aussi que les champs deviennent de plus en plus salés depuis que l’on rejette
l’eau superficielle du lac de boue dans les petites rivières utiles à l’irrigation [comm. pers.
avec Devy Kamil Syahbana du PVMBG et observation de terrain].
Dans le contexte actuel de crise et de gestion d’urgence, on n’anticipe que trop peu les
conséquences environnementales à moyen et long termes. Il semble aussi que la recherche
scientifique soit rivée sur les faits passés en ne discutant que de l’origine de la catastrophe
alors que, de toute évidence, les faits ne vont aller qu’en s’empirant. Aussi le travail de
quelques mois de terrain présenté ici s’est-il attaché à l’une de ces questions
environnementales, périphériques, dérivées de l’aléa principal et qui s’envisagent sur une
échelle de temps plus longue : les impacts sur le fleuve Porong des rejets de boue.
21
III. Présentation générale du fleuve Porong, exutoire du
bassin-versant du Brantas
Le fleuve Porong (autrement appelé en Javanais, Kali Porong) avant d’être utilisé comme
exutoire du bassin de boue de Sidoarjo est d’abord la partie aval d’un grand bassin-versant,
celui du Brantas. Il convient de présenter le système hydrologique dans lequel s’incère la Kali
Porong avant de traiter de la nouvelle fonction qui lui est assignée depuis trois ans avec les
évènements de LUSI.
III. 1. Le fleuve Porong, exutoire du bassin-versant du Brantas
Le Porong est l’une des deux branches par lesquelles le Brantas, deuxième plus grand fleuve
de l’île de Java, se jette dans le détroit de Madura (Fig. 6.). La séparation du Brantas en deux
cours d’eau a lieu à Mojokerto à 50 kilomètres de la mer, à une altitude de 25 mètres audessus du niveau de mer. Les deux branches s’écoulent sur la même plaine en pente douce
inclinée vers l’est. Le fleuve Surabaya prend une direction nord-est et son rôle principal
identifié est d’approvisionner la métropole en eau (Surabaya est la deuxième agglomération
d’Indonésie avec plus de 5 millions habitants). Le fleuve Porong, la branche sud, coule
d’abord vers le sud-est avant de changer de direction à mi-chemin et de poursuivre son
cours transversalement vers l’est. Il se trouve en périphérie de la grande ville, aussi lui
attribue-t-on un rôle de drainage des eaux en cas d’inondation au sein du bassin du Brantas
[Kikkeri, 2004+. Le Porong, d’allure très rectiligne au niveau de Sidoarjo, est en grande partie
canalisé (Fig. 7.). Les traces de l’ancien chenal existent encore au sud du cours actuel alors
qu’il formait un méandre.
Le Porong est l’un des deux exutoires pour un bassin-versant vaste de 11 800 km²,
entièrement contenu dans la province de Java Est dont il occupe un quart de la superficie. Le
bassin est bordé par plusieurs grands volcans dont deux encore actifs. Depuis sa source à
plus de 3000 mètres d’altitude sur les flancs sud-ouest du Mont Arjuno, le cours d’eau
progresse sur 320 kilomètres, en dessinant un demi-cercle remontant au nord en passant
pas l’ouest jusqu’à Mojokerto où le Surabaya et le Porong finissent d’achever le drainage
vers la mer [Takeuchi et al., 1995].
Le Brantas compte 1555 affluents d’ordres 2, 3 et 4 (l’ordre d’une rivière est affecté en
fonction de sa position par rapport au cours principal du Brantas qui prend l’ordre 1). La
plupart sont issus des volcans Bromo (2393 m), Semeru (3676 m), Wilis (2169 m), Arjuno
(3339 m), Butak (2868 m), Kelud (1731 m) lorsqu’ils ne proviennent pas des nombreuses
collines d’altitudes contenues entre 300 et 500 mètres *Kikkeri, 2004+. Le bassin-versant est
divisé en six sous-bassins : les bassins du Lesti (625 km²), du Konto (687 km²), du Widas
(1539 km²), du Brantas (6719 km²), du Ngrowo (1600 km²) et du Surabaya (631 km²).
22
ARJUNO
Fig. 6. Le bassin-versant du Brantas dans la province de Java Est (délimité par la ligne rouge). Le fleuve se sépare
en deux branches, 50 kilomètres avant de rejoindre le détroit de Madura, et devient le Surabaya au nord et le
Porong au sud. Ce territoire contient en son sein plusieurs volcans dont deux actifs (Kelud et Semeru). Modifié
d’après Kikkeri, 2004
Fig. 7. Le Porong, fleuve canalisé. Le Porong, ici en aval
de Sidoarjo (vue dans le sens du courant) est un cours
d’eau canalisé, d’où son allure très rectiligne. Il a été
aménagé de la sorte pour accroître son énergie afin
d’évacuer les sédiments provenant du bassin-versant du
Brantas, notamment des cendres volcaniques. Mais
depuis que de nombreux barrages ont été construits, les
apports sédimentaires du Brantas sont quasi-nuls.
Photo : B. L.–A., 26 mars 2009
III. 2. Utilisation des cours d’eau du bassin-versant, aménagements et aspects
socio-économiques
Tout le bassin-versant connaît des aménagements nombreux et entretenus. Et il s’en
construit encore. Effectivement, le développement économique de la région ne peut se faire
sans intégrer le Brantas utile à la fois pour les activités agricoles et pour les activités
industrielles. Kikkeri [2004] développe dans un rapport sur le Brantas pour la Banque
Mondiale sept types d’utilisation des eaux du fleuve qui sont, dans l’ordre d’importance :
« (i) l’irrigation, (ii) les usages domestiques, (iii) les usages industriels, (iv) la production
d’énergie, (v) le remplissage des bassins à poissons, (vi) la récréation et le tourisme et (vii) le
soutien d’étiage ». Il est à noter que l’île de java est pauvre en aquifères. La province de Java
Est est la mieux dotée mais cela reste très faible. Si l’agriculture est la principale
23
consommatrice, c’est que les 387 000 hectares de riz, canne à sucre, maïs, soja et arachide
irrigués du bassin nécessitent entre 2298 et 2448 millions de mètres cubes d’eau par an, ce
qui représente environ 70 % de la consommation totale du bassin.
À côté de leur utilité du point de vue du développement, l’ensemble des cours d’eau
représente un risque d’inondation important qui a marqué les politiques d’aménagement.
III. 3. Politiques de lutte contre le risque inondation
Si les investissements pour le développement économique du bassin hydrologique sont
notamment issus du pouvoir central, les politiques de lutte contre les inondations et les
aménagements qui en résultent proviennent des autorités régionales et locales après avoir
fait l’objet de décentralisations *Kikkeri, 2004+.
Les fortes crues feraient moins de victimes et de dégâts aujourd’hui, qu’il y a vingt ou trente
ans. Il n’empêche que presque 3500 hectares ont été inondés au sein du bassin durant la
saison des pluies 2004-2005 [Mashuri, date inconnue]. En comparant deux évènements
d’inondations majeurs à 26 ans d’intervalle (1976 et 2002), Toshikatsu Omachi et Katumi
Musiake [2004] ont remarqué que les dommages avaient été limités lors de l’épisode le plus
récent contrairement au plus ancien. Les eaux ont été évacuées plus vite et en plus grande
quantité. Alors que le débit de pointe était 1,3 à 1,8 fois plus grand en 2002, les eaux sont
quand même montées moins haut. Ils concluent que les capacités du Brantas et du Porong à
supporter une inondation ont augmenté. Mais, plutôt que les aménagements de lutte contre
l’inondation, ils identifient comme cause principale l’exploitation des sédiments de rivières
qui a incisé les chenaux de 2 à 3 mètres. De la sorte, « la capacité de stockage du bassin du
Brantas a presque doublé en 30 ans », permettant un drainage des eaux plus optimal lors
des crues et limitant le risque de débordement. Cependant, cette incision des chenaux
menace largement les « structures bâties dans ou en travers des cours d’eau *…+ C’est
pourquoi la stabilisation du chenal est une nécessité urgente pour le Brantas » [Omachi et
Musiake, 2004]. Faut-il comprendre ici que les fleuves Brantas et Porong, avant même les
rejets de la boue de Lapindo dans le chenal ne pouvaient prétendre à aucune stabilité sur le
plan géomorphologique ?
III. 4. Les entrées sédimentaires : aggradation des chenaux par les éruptions
du volcan Kelud et par l’érosion des sols due à la déforestation
La faible couverture végétale du bassin et la déforestation qui aggravent l’érosion des sols
sont des facteurs reconnus de production de sédiments. La présence de volcans actifs au
sein du bassin-versant est une autre des sources sédimentaires dans le réseau
hydrographique.
Quand on parle de déforestation en Indonésie, on pense aux îles de Bornéo, Sulawesi et
Sumatra. Mais le phénomène n’est pas des moindres à Java, surtout depuis le milieu des
années 1990. Quand le pays est entré dans une crise économique grave en 1997 et 1998, les
populations agricoles appauvries ont colonisé de nouvelles terres, modifiant l’occupation du
sol. Des fronts de colonisation ont atteint certains hauts versants de volcans jusqu’alors
épargnés. « Partout sur l’île, l’élagage sur les pentes volcaniques a atteint ses taux les plus
24
élevés depuis la période coloniale » [Lavigne et Gunnell, 2006]. Ces hauts versants sont
d’autant plus sujets à l’érosion que leurs pentes sont abruptes. Et, facteur aggravant, ces
deux mêmes années ont « enregistré l’anomalie d’ENSO (El-Niño Southern Oscillation) la plus
forte du 20e siècle » [Lavigne et Gunnell, 2006]. Ainsi, 1997 a connu une forte sécheresse et
de grands incendies mettant de nouvelles terres à nue. Les habitants, pour qui l’intérêt était
de gagner de nouvelles surfaces exploitables sans, en plus, déclencher de conflit avec les
autorités n’ont pas cherché à combattre les feux de forêt. L’année 1998 a, elle, subi le
phénomène inverse avec une pluviométrie bien au-delà de la moyenne (Fig. 28.). Une telle
conjonction de phénomène n’a pu qu’engendrer une érosion des sols considérable. Depuis
deux décennies, les versants sont davantage déstabilisés ce qui donne lieu parfois à des
évènements géomorphologiques brusques (coulées de débris lors des crues éclairs et
glissements de terrains). Les données sur la déforestation et l’érosion sont rares et sousestimées mais le comblement des barrages-réservoirs par la charge solide des cours d’eau
donne une idée de l’importance de ces phénomènes. Le réservoir Sutami sur le fleuve
Brantas a été la zone de dépôt de 7,1 x 106 m3 de matériel pendant la seule courte période
qui sépare les années 1997 et 1999 [Lavigne et Gunnell, 2006].
Concernant l’origine volcanique des sédiments, les cendres du Semeru (point culminant de
Java) en activité permanente, retombent surtout en dehors du bassin. Le Kelud en revanche
déverse dans le bassin des quantités importantes de matériel lors de ses éruptions (200
millions de m3 en moyenne selon les estimations) qui se produisent plus ou moins de
manière cyclique tous les quinze ou vingt ans (1901 ; 1919 ; 1951 ; 1966 ; 1990 ; et 2007 mais
il n’y a pas eu de cendres émises cette fois-ci). « Le Kelud a une grande influence sur les
caractéristiques géomorphologiques du fleuve » [Takara et al., date inconnue]. Les coulées
de lahars canalisent les cendres dans le fond des vallées après une explosion. Une estimation
trop théorique veut que si une éruption équivaut de 100 à 300 millions de m3 de matériel,
l’élévation du profil en long du Brantas est en principe de 2,5 à 7,5 mètres, le temps que les
sédiments soient évacués, en considérant que le cours d’eau fait 200 mètres de large sur 200
kilomètres de long [Omachi et Musiake, 2004].
Aussi le rôle, au moins dans le passé, des drains principaux du bassin était d’évacuer le
matériel accumulé. En partie pour faciliter cela, le Porong a été aménagé en canal rectiligne.
Les traces les plus marquantes de cette activité sont observables au niveau du delta du
Porong.
III. 5. Les sorties et les stocks sédimentaires : retenues par les barrages,
activités d’extraction et progradation du delta du Porong
Le détroit de Madura est une zone identifiée de « large panache sédimentaire » dans une
étude macro-régionale sur la sédimentation à l’embouchure des fleuves en Asie du Sud et du
Sud-Est et pour laquelle le Porong et le Brantas sont deux des fleuves pris en compte [Gupta
et Krishnan, 1994]. La progradation du delta est une caractéristique majeure du Porong au
20e siècle. Les vitesses d’avancées sur la mer proposées par les différents auteurs varient
grandement en revanche et les images aériennes à différentes époques sont difficiles à
obtenir. Selon un article Internet qui reprend le résumé de Y. Mizuhara sur une étude de la
sédimentation dans le Porong, « le delta a progressé de 4 kilomètres entre 1914 et 1954, de
3 kilomètres entre 1945 et 1964 et de 2 kilomètres entre 1964 et 1970. La sédimentation y
25
est très active. Le volume accumulé annuellement était de 5 millions de m3 en moyenne
entre 1977 et 1985 » [DPRI Newsletter, 1995]. Les sources laissent cependant penser à un
manque de rigueur de l’étude qui d’ailleurs n’est pas sans enjeux pour les auteurs japonais.
Conclure à la trop grande libération de sédiments dans le fleuve et son delta invite à la
réalisation de nouveaux ouvrages en travers des cours d’eau pour retenir les sédiments. Or
ce sont des entreprises japonaises qui réalisent ces aménagements lourds.
Selon Pak Soffian, le chef du BPLS, une des fonctions du Brantas et du Porong était bien
d’évacuer les matériaux volcaniques du Kelud. Le Porong a d’ailleurs été dérivé en un canal
rectiligne par les Hollandais car cela permet d’accroître sa puissance [Simon et Rinaldi,
2006]. Mais il ne parle que d’une avancée du delta de 3,5 kilomètres en 70 ans et explique
que cette activité est dépassée. Depuis des années, le fleuve manque même de sédiments et
ses berges s’érodent davantage [comm. pers. avec Pak Soffian, avril 2009].
On manque donc apparemment de connaissances sur l’évolution actuelle du delta, surtout
depuis le rejet de la boue de Sidoarjo. Des images satellites laisseraient interpréter
l’existence de deux barres sous-marines en avant du delta qui seraient deux zones
privilégiées où s’accumuleraient les sédiments drainés [comm. pers. avec Dr. Van S. Williams
de l’USGS, mai 2009].
L’embouchure du Porong dans le détroit de Madura reste une des sorties sédimentaires du
système. Une autre actuellement plus importante réside dans l’extraction du matériel
accumulé dans les chenaux, utile à la construction. Les chenaux sont surtout composés de
sables et de limons. Les blocs et cailloutis tapissent uniquement les parties amont du bassinversant. Cette activité minière a lieu tout au long des cours d’eau et l’intensité est telle que,
après l’éruption du Kelud en 1990, la situation d’aggradation n’a duré qu’un an. Le retour à
la situation inverse d’incision des lits s’est fait très vite à cause de l’activité d’extraction
considérée comme premier facteur de sortie sédimentaire [Fujita et al., 2005]. Des
estimations rapportées par Omachi et Musiake [2004], élèvent la quantité de sable extraite à
3 900 000 m3 pour l’ensemble du bassin-versant du Brantas en 2000. Et les années suivantes
semblent avoir poursuivi au même rythme.
Dans les années 1970, l’extraction du sable était vue comme une bonne solution face à
l’élévation globale des chenaux *Omachi et Musiake, 2004+. C’est d’ailleurs un exemple de
régulation socio-économique de phénomènes géomorphologiques. Mais à présent que les
lits des rivières continuent d’être érodés, la régulation, voire l’interdiction des extractions
apparaissent comme une nécessité car les aménagements dans les chenaux sont
déstabilisés.
III. 6. Les rejets de cendres du Kelud dans le bassin-versant du Brantas et les
rejets de boue de LUSI dans le Porong, des situations comparables ?
Lors d’entretiens avec des responsables de gestion de la crise, le Porong nous a été présenté
comme un cours d’eau habitué à connaître des déstabilisations de niveau à cause des
éruptions du Kelud. Cela nous apparaît comme un argument en faveur de la légitimation des
rejets de boue de LUSI. Malgré quelques points communs sur lesquels s’appuie cet
argument, les situations restent trop différentes pour être comparables. Les chapitres
26
suivants permettront de s’en rendre compte mais la question peut être résolue dès à
présent.
Sur quels plans peut-on s’aventurer à comparer les évènements de rejet de la boue de
Sidoarjo dans le fleuve Porong avec les éruptions du volcan Kelud pour l’ensemble du bassinversant ? Certes ces deux types d’évènements déstabilisent subitement les cours d’eau sur le
plan géomorphologique. Ils sont capables d’élever le niveau des chenaux de plusieurs
mètres. Mais ce qui se passe à Sidoarjo est concentré sur un petit espace (ce n’est pas tout
l’ensemble d’un bassin-versant qui est concerné, mais uniquement une vingtaine de
kilomètres linéaires) qui n’en demeure pas moins un secteur particulier du bassin
hydrographique puisqu’il s’agit de la partie la plus en aval et deltaïque. Les situations
s’opposent du fait qu’il ne s’agit pas dans le cas de notre sujet de causes naturelles, mais de
rejets décidés et organisés par les autorités. Et puis, dans le cas du Kelud, les évènements
sont cycliques et relancent les activités d’extraction, alors qu’à Sidoarjo, les rejets sont
continus depuis trois ans et ont mis fin à l’exploitation minière dans le fleuve. C’est là l’un
des changements importants pour les habitants riverains du Porong en aval des rejets
d’après notre enquête par questionnaires réalisée les 16, 17 et 18 mai 2009 sur la
thématique des répercussions des changements hydro-géomorphologiques du fleuve dans la
vie des habitants. À la question ouverte : « le fleuve a-t-il connu des changements de forme
depuis le commencement de LUSI ? », quatorze individus sur les trente-et-un interrogés ont
relevé d’eux-mêmes le problème de la boue mélangée au sable qui en empêche
l’exploitation.
L’argument selon lequel les rejets de boue dans le Porong ne sont qu’une réplique miniature
de ce qui se passe naturellement avec le rejet des cendres du volcan Kelud dans tout le
bassin-versant du Brantas n’est pas recevable. Il faut se méfier des discours trop théoriques
à propos de la crise bien particulière de Sidoarjo, surtout quand ils sont prononcés par des
responsables.
27
IV. Le contexte global de crise environnementale de Sidoarjo
et la question spécifique des rejets de boue
dans le fleuve Porong
Les évènements de Sidoarjo constituent une crise dans laquelle se mêlent les sphères
sociale, politique, financière et environnementale. La situation de Sidoarjo est trop complexe
pour être analysée de manière exhaustive. Nous nous sommes donc penchés sur un aspect
particulier qui a trait à la géomorphologie fluviale. Il n’empêche que pour être compris, le
rejet de la boue dans le fleuve doit être replacé au préalable dans le système de crise auquel
il appartient. Aussi les différentes composantes de la crise environnementale de Sidoarjo
sont-elles présentées ici.
IV. 1. L’incontinence de LUSI, des éruptions de boue rythmées, abondantes et
incessantes
Le volume quotidien des éruptions de boue a évolué depuis l’origine du phénomène apparu
le 29 mai 2006. Les raisons à cela ne sont pas évidentes. Elles semblent parfois corrélées à
des évènements externes, par exemple, des tremblements de terre [Mazzini et al., 2007].
Différentes phases de l’activité du volcan de boue ont été identifiées.
D’abord, les éruptions ont crû très rapidement au cours des onze premières semaines. De
5000 m3/jour à l’origine (l’équivalent de cent cinquante camions), le cratère s’est élargi pour
rejeter 120 000 m3 de matériel par jour. Déjà le phénomène prenait des proportions qui
dépassent l’échelle humaine. Evers *2006+ remarque que ces quantités seraient suffisantes
pour remplir une piscine grande comme un terrain de football et profonde de dix-sept
mètres.
Ensuite, LUSI serait rentré dans une période qui a duré du 14 août au 10 septembre 2006 et
pour laquelle le volume des éruptions fluctuait entre presque zéro et 120 000 m3/jour
*Mazzini et al., 2007+. Comme l’activité avait tendance à baisser d’intensité, les habitants ont
cru que les émissions du volcan de boue allaient finalement s’arrêter d’elles-mêmes. Mais
elle a soudainement repris avec plus de force encore qu’auparavant. Les débits atteignaient
160 000 m3/jour, avec un record à 180 000 m3/jour à la fin du mois de décembre 2006. La
réactivation semble avoir été liée aux séismes violents qui ont eu lieu les 6 et 8 septembre à
moins de 300 km de Sidoarjo *Mazzini et al., 2007+. L’article de Manga et al. [2009] met le
doute sur la relation entre évènements sismiques et réactivations des éruptions de boue.
Certaines augmentations de l’intensité éruptive ne peuvent être corrélées à des
tremblements de terre. Et ils notent même, d’après une discussion personnelle avec Adriano
Mazzini que des réactivations éruptives identifiées peuvent en fait n’être que des artéfacts
dues aux difficultés de mesure des débits de LUSI.
Selon les données communiquées, au bout d’un an, le volcan rejetait environ 110 000 m3 de
matériel par jour. Le volume total de boue dépassait 27 millions de m 3 selon les estimations
28
(ce qui donne sur l’année une moyenne journalière légèrement inférieure à 80 000 m 3). Le
tout, contenu par de hautes digues, s’étendait sur 6,5 km² (Fig. 8.).
Oct. 2005
Août 2006
Juin 2008
Août 2007
Juill. 2009
3
Fig. 8. L’épandage des boues de LUSI d’année en année. Le débit moyen des éruptions approche 100 000 m /jour et a déjà
3
atteint 180 000 m /jour. Le matériel encore fluide ou solidifié par endroits est contenu par des digues protégeant les zones
urbanisées alentour. Quatre villages (Renokenongo, Jatirejo, Kedungbendo et Siring) sont ensevelis. Les digues internes au
bassin ont aussi disparu récemment par effet de subsidence, si bien qu’on ne peut plus approcher le cratère.
Aujourd’hui, le débit des éruptions est encore plus difficile à estimer (ce n’est d’ailleurs pas
une priorité pour les autorités débordées, sans mauvais jeu de mot) car les digues
approchant le cratère ont disparu suite à l’élévation du niveau de la boue, mais surtout à
cause de la subsidence très rapide dans le périmètre central. Une seule certitude, la boue et
les gaz continuent quotidiennement de sortir du cratère et il est vain d’essayer de lutter
contre. Nul n’a pu se prononcer, pourtant, tout le monde s’attend à ce que les éruptions se
poursuivent encore des années ou des décennies. Ce n’est donc pas sur l’aléa qu’il faut
intervenir mais bien sur la vulnérabilité [comm. pers. avec Pak Surono, directeur du PVMBG].
Or il semble que ce ne soit qu’une part minime des sommes engagées autour de LUSI qui est
employée à l’évacuation des zones dangereuses.
IV. 2. L’ensevelissement total de villages par la boue
Les inondations de villages javanais par la boue constituent le côté le plus spectaculaire et
dramatique de LUSI. On a suivi la montée de la boue sans rien pouvoir faire pour l’empêcher.
Seules des digues ont pu être érigées pour protéger des zones d’habitation et des
infrastructures. Il n’empêche que quatre villages ont été sacrifiés : Renokenongo, Jatirejo,
29
Kedungbendo et Siring (en partie). Environ 30 000 habitants ont dû quitter leur lieu
d’habitat. Ceux qui le pouvaient ont racheté une maison, loué une résidence ou se sont fait
héberger par des membres de leur famille. Ceux pour qui les moyens manquaient ont
transité par le camp de réfugiés organisé par le gouvernement. Certains n’ont pas fait que
transiter. Un bidonville s’est formé sur le tronçon d’autoroute désaffecté en dehors du
secteur inondé (Fig. 9. a)). Dans la grande majorité, les migrations des habitants se sont
effectuées sur de courtes distances, vers les villages adjacents, parfois, juste de l’autre côté
du fleuve. À Dukuhsari, un village sur les bords sud du fleuve Porong, distant d’un peu plus
d’un kilomètre de l’aire endiguée (Fig. 30.), plusieurs maisons sont en construction,
destinées à accueillir certains de ces « réfugiés environnementaux » (Fig. 9. e)).
En plus de leurs habitations, ce sont leurs lieux de travail qui ont disparu. Certains
possédaient des terres agricoles, d’autres un petit commerce. Beaucoup travaillaient dans
des usines (fabriques de montres ou autre). Souvent, les migrants rencontrés se sont plaints
d’avoir perdu leur emploi et de ne pas en avoir retrouvé depuis (cf. chap. VI.). Ont disparu
également des écoles, des mosquées et des routes.
L’autoroute importante pour la liaison entre Surabaya et le reste de la province de Java Est a
été coupée un peu avant Gempol. Tout le trafic s’est donc reporté sur une route plus petite
et non calibrée au trafic actuel qui passe à l’ouest en longeant une des digues et la voie
ferrée. C’est devenu un passage très difficile, en embouteillage constant (Fig. 10.). Cette voie
encombrée et fort bruyante alors qu’il fait aussi très chaud dans la région contribue
largement à rendre les environs de LUSI oppressants et désagréables à vivre (cf. résultats de
l’enquête par questionnaire au chapitre VI).
Ainsi, les inondations de boue sont l’élément central de la crise environnementale (Fig. 17.).
Les images de maisons disparaissant sous la boue sont connues de tous les Indonésiens et
ont fait le tour du monde. Elles touchent à la sensibilité. C’est cela que les touristes attirés
par la crise viennent voir (les guides se présentent d’ailleurs toujours comme d’anciens
habitants des villages engloutis).
Certes, il y a les maisons qui ont disparu sous la boue, mais beaucoup de problèmes dérivés
existent. Ils sont observables avec plus ou moins de facilité en périphérie et leur gestion doit
être envisagée, soit dans l’immédiat, soit sur des pas de temps plus longs. Ce ne sont plus les
inondations de boue qui attirent toute l’énergie des autorités. Aujourd’hui, ce sont plutôt les
problèmes en périphérie liés aux déformations du sol et à la subsidence.
IV. 3. Subsidence et déformations du sol
L’épandage de la boue est clairement délimité et les digues permettent d’empêcher son
expansion. Pour ce qui est des déformations du sol, non seulement le périmètre concerné
est beaucoup plus large et difficile à délimiter, mais en plus il s’agrandit et rien ne peut
contraindre son extension.
Les déformations du sol sont assez bien suivies (des relevés sont faits au moins tous les
mois) et existent jusque dans un rayon de neuf kilomètres à partir de LUSI [comm. pers. avec
Handoko T. Wibowo]. Il s’agit de déformations verticales et horizontales assez difficiles à
30
a)
b)
c)
d)
e)
Fig. 9. Les migrations résidentielles. Elles ont concerné plus de 30 000 personnes depuis le début. Elles s’effectuent surtout
sur des courtes distances. a) Les habitants qui ont perdu leur maison ainsi que tous leurs biens sous la boue et qui n’ont pas
trouvé de nouveaux logements se sont installés sur l’autoroute qui a été coupée (13 juillet 2009). b) À l’ouest, dans le
village de Siring, en partie sous la boue, les maisons craquent sous l’effet des déformations du sol. Malgré l’instabilité des
murs, certaines familles n’ont pas les moyens de déménager. Petit à petit le village est en cours d’évacuation, mais cela va
trop lentement compte-tenu des risques qui existent (3 août 2009). c) Une famille dont la maison craque se décide à
déménager après les récentes éruptions de boue et de gaz dans le quartier voisin. Les indemnités touchées ne s’élèvent
qu’à 40 euros environ *comm. pers. avec les habitants+ (Siring, 3 août 2009). d) L’une des habitations qui a été évacuée dans
le village de Siring (13 juillet 2009). e) Des nouvelles maisons se construisent dans les villages à proximité qui ne sont pas
directement touchés par la crise comme ici à Dukuh Sari, de l’autre côté du fleuve Porong (17 mai 2009). Photos : B. L.-A.
31
analyser car elles ne s’effectuent pas en continu dans un unique sens. Certains points
surveillés par GPS se déplacent dans un sens, puis dans un autre quelques mois après. Et les
tendances pour l’ensemble des relevés ne sont pas évidentes à dégager. Certaines fois les
points mesurés convergent vers le cratère (surtout ceux situés à l’est de la grande faille
d’orientation sud-ouest nord-est réactivée après le tremblement de terre de Yogyakarta en
mai 2006, la faille de Wakutosek), d’autres fois, les points se déplacent temporairement à
peu près dans une même direction. Le PMBVG produit quelques cartes de ces déformations
comme celles rapportées sur la fig. 11. a) et b).
Les déformations verticales sont dans les deux sens. Certains points s’élèvent mais la
tendance commune est clairement à la subsidence. On ne connaît pas la taille (ou les tailles
puisqu’il se pourrait qu’il y en ait deux *comm. pers. avec Handoko T. Wibowo+) de la source
dont provient la boue. Le réservoir en tout cas se vide peu à peu ce qui conduit à
l’affaissement du terrain. C’est en fait une caldeira qui est en train de se former. D’autres
facteurs tendent à accélérer le phénomène : le poids de la boue accumulée à la surface, celui
des kilomètres de digues érigées, les constructions en périphérie (surtout à l’ouest) et aussi
la route longeant la voie ferrée perpétuellement en embouteillage et bloquée par les
camions. Les vitesses de subsidence ne sont pas uniformément réparties. Elles sont de loin
les plus fortes autour du cratère. Un ouvrier chargé de l’entretien des digues m’a rapporté
qu’au plus près du cratère, des abaissements de 20 centimètres pouvaient se produire dans
une journée. Dans le village de Siring à l’ouest, en partie sous la boue, la subsidence peut
atteindre 1 à 4 centimètres par jour. Des relevés GPS quotidien de l’ITB (Institut
Technologique de Bandung) du 22 septembre 2006 au 23 janvier 2007 montraient que les
terrains s’étaient abaissés de manière régulière de 225 centimètres en quatre mois.
Cela constitue un autre risque. Les maisons sont déstabilisées, les murs se fissurent et
menacent de s’écrouler. Les familles continuent de vivre dans leurs habitations fissurées
mais certaines décident parfois de déménager lorsque c’en est trop et qu’elles peuvent
financièrement se le permettre (Fig. 9. b) ; c) et Fig. 13. b) ; e)).
Les déformations du sol et la subsidence ont de graves conséquences. Elles engendrent un
entretien difficile des digues et forment dans le sous-sol un réseau de failles par lequel gaz,
eau et boue trouvent à remonter, quelquefois directement chez les habitants.
Fig. 10. Les embouteillages permanents le long de la voie ferrée et de la digue à l’ouest. Depuis que l’autoroute, qui part de
Surabaya et rejoint le reste de l’est de l’île, a été coupée par la boue, tout le trafic est redirigé sur cette route qui n’est pas
calibrée pour. Photo : B. L.-A., 13 juillet 2009
32
Légende :
: Point de mesure
: déformation horizontale (cm)
: déformation verticale (cm)
: ligne de faille
: route
: fleuve
: cratère de LUSI
a)
b)
c)
Fig. 11. Les déformations du sol et les remontées de gaz en périphérie. a) et b) Cartes réalisées par le PVMBG des
déformations du sol entre juillet 2007 et février 2008, puis entre février 2008 et avril 2008. c) Localisation par le BPLS des
sorties de gaz, d’eau et de boue (en vert, celles qui sont apparues en février 2009). C’est le village de Siring à l’ouest qui est
le plus touché.
IV. 4. Entretien et disparition des digues au centre
Le paysage à Sidoarjo change de mois en mois. Les digues internes qui compartimentent le
bassin de boue disparaissent une à une depuis le début de l’année 2009 (Fig. 8 et Fig. 12.). La
faute à la boue qui ne cesse de monter et surtout à l’effet de subsidence. Subsidence
d’ailleurs renforcée par le rehaussement sans fin des digues, lequel devient trop onéreux et
finalement vain.
Les digues périphériques quant à elles, traçant le périmètre de l’aire inondée sont toujours
consolidées et nécessiteraient près de 400 camions par jour. Les conséquences seraient
graves si elles venaient à céder puisqu’à l’ouest se trouve la zone la plus peuplée, la voie
33
ferrée et l’axe routier. C’est une des grandes peurs des habitants et surtout des autorités qui
n’ont pas le droit à une rupture de digue tant que les zones à risques encore densément
peuplées ne sont pas évacuées
Fig. 12. Digue qui sombre sous la boue à l’intérieur du
bassin de LUSI. Le niveau de boue continue de monter,
mais c’est la subsidence intense surtout qui fait
disparaître les digues et rend vains les travaux
quotidiens de rehaussement. Depuis mars 2009,
beaucoup des digues internes ont été abandonnées (cf.
Fig. 7.). Photo : B. L.-A., 13 juillet 2009
IV. 5. Émanations de gaz, d’eau et de boue à l’ouest, en périphérie habitée
Des remontées de gaz, et des geysers d’eau et de boue apparaissent régulièrement depuis le
commencement des évènements en périphérie, dans les villages alentour (Fig. 11. c)). Les
fluides, d’origine profonde, profitent du réseau de failles souterrain pour trouver des passes
et jaillir à la surface. Il y a des remontées qui se produisent dans le bassin de boue, mais elles
ne posent pas problème. On n’aperçoit de petites zones où des bulles remontent. C’est
lorsque cela apparaît directement dans les maisons que cela devient dangereux. Les gaz sont
composés en grande partie de méthane (présence de SO2, H2S, CO et NO2 [United Nations
(Ocha), 2006+) d’où un risque d’explosion et d’incendie. Quand cela se produit, une équipe
spécialisée introduit un tube là où les gaz sortent pour les évacuer à l’extérieur. Les
habitants cohabitent ainsi avec ces tubes durant plusieurs mois ou plusieurs années. Dans un
warung (kiosque où l’on propose de manger) une de ces fuites a été canalisée et les
propriétaires (dont la maison est sinistrée mais qui n’arrivent pas à déménager
contrairement à leurs voisins parce que les moyens leur manquent) l’utilisent pour cuisiner
(Fig. 13.). Les habitants qui ont des petites fuites chez eux se plaignent de l’odeur et des
maux de tête qu’ils ont parfois. Ceux pour qui les fuites sont plus importantes sont forcés
d’évacuer.
Au début du mois de juillet 2009, une remontée plus importante que d’habitude s’est
produite chez une famille qui a dû évacuer d’urgence. De la boue est remontée (allant
jusqu’à inonder la rue sur une trentaine de centimètres) avec des gaz très irrespirables (Fig.
14.)). Cet évènement grave a bien fait prendre conscience aux gens du danger d’habiter leur
village et décider certains à enfin déménager en dépit d’une modique compensation de la
part du gouvernement (une quarantaine d’euros).
Une corrélation existe entre la saison sèche et l’apparition de ces remontées de fluides à la
surface. La cause exacte n’a pas encore été expliquée. Cela fait discussion chez les géologues
du BPLS. Il semblerait que les sols soient rendus imperméables pendant la saison des pluies
et que les passes vers la surface apparaissent lorsque les sols se rétractent et que les fissures
34
s’écartent pendant la saison sèche [comm. pers. avec Pak Dodie du BPLS, mai 2009]. Aussi la
saisonnalité rythme-t-elle les peurs des résidents.
a)
b)
c)
d)
e)
Fig. 13. Conditions de vie insalubres d’une habitante de Siring, à l’ouest, qui n’arrive pas à déménager par manque de
moyens. a) Jardin détruit par une éruption de boue. b) et e) Fissures dans les murs de sa maison à cause de la subsidence
rapide des sols. c) Sortie de gaz dans une pièce de la maison (le BPLS a placé des tubes en plastique pour les diriger dehors
mais cela n’empêche pas la propriétaire d’avoir des maux de tête fréquents). d) Une autre sortie de gaz a été maîtrisée. En
construisant une cheminée par-dessus et en installant de quoi régler le débit, les habitants cuisinent à partir de cette source
d’énergie indésirée. Ils tiennent d’ailleurs un warung, ces petits kiosques où l’on sert à manger. Photos : B. L.-A., 13 juillet
2009
35
b)
a)
d)
c)
Fig. 14. Éruption de boue et de gaz plus grave que d’habitude à Siring (ouest) au début du mois de Juillet 2009. a) Formation
d’un nouveau petit cratère à l’intérieur d’une pièce. Après un mois, le diamètre s’est élargi et des murs sont tombés. Près
du trou, les concentrations de gaz dans l’air sont trop fortes pour être respirables (3 août 2009). b) Le mobilier du
propriétaire qui peut être sauvé est évacué avec l’aide des autorités (13 juillet 2009). c) Rigole pour évacuation du matériel
liquide (3 août 2009). d) La boue a inondé la rue sur vingt à trente centimètres de hauteur et le secteur est contrôlé par les
autorités, surtout à cause du risque d’explosion (13 juillet 2009). Photos : B. L.-A.
IV. 6. L’eau superficielle salée du bassin de boue déversée dans des rivières
utiles à l’irrigation des champs au nord et à l’est
Dans les rivières qui coulent au nord de la zone endiguée, on rejette l’eau qui repose en
couche superficielle à la surface du lac de boue (Fig. 15. a)). Cette couche d’eau est à la fois
issue des précipitations et de la décantation de la boue. Le fait qu’elle soit salée constitue sa
caractéristique principale. Le taux de salinité atteint presque celui de l’eau de mer.
Des mesures sont faites de manière hebdomadaire par le BPLS dans les rivières des environs
(Kali Ketapan, Kali Gempolsari, Kali Keboguyang ainsi que dans la Kali Porong à plusieurs
endroits). Des panneaux « interdit de pêcher » fleurissent le long de ces cours d’eau,
panneaux qui ne sont pas respectés par la population.
36
Par ailleurs, l’eau de ces rivières sert à irriguer les champs de légumes et les rizières qui se
trouvent au nord et à l’est. Or, si l’eau est salée, il est fort probable que cela nuise à la
production. Peut-être les rendements vont-ils diminuer d’année en année. Déjà le sel
apparaît à la surface de la terre lors qu’il fait sec (Fig. 15. b)).
Fig. 15. Rejets de l’eau superficielle salée du bassin de boue dans les rivières au nord et à l’est. a) mesures hebdomadaires
de la qualité de l’eau effectuées par une équipe du BPLS. Ici rivière Ketapang au nord, juste au niveau où l’eau est déversée.
À noter, les habitants qui pêchent à l’arrière plan malgré les panneaux d’interdiction (15 mai 2009). b) Formation
pelliculaire de sel dans un champ à l’est irrigué par une de ces rivières où l’eau du secteur endigué est évacuée (13 juillet
2009). Photos : B. L.-A.
IV. 7. Les rejets de la boue dans le fleuve Porong au sud
Enfin, depuis la fin de l’année 2006, c’est la boue elle-même qui est déversée au sud, dans le
fleuve Porong qui fait figure d’exutoire pour le matériel craché par le volcan de boue. Le
bassin de LUSI est déjà presque plein. Evacuer une partie de la boue permet d’alléger la
pression entre les digues.
Fig. 16. Les rejets de boue dans le fleuve Porong au sud. Contrastes entre la saion des pluies (à gauche, 26 mars 2009) où la
boue liquide est emportée en nappes par le courant, et la saison sèche (à droite, 2 mai 2009) où la boue se dépose en bancs
alors que le débit du fleuve a franchement diminué. Photos : B. L.-A.
Le fleuve coule d’ouest en est. Il se termine en un delta et se jette dans le détroit de Madura
à un peu moins d’une vingtaine de kilomètres de Sidoarjo. Le Porong peut bien servir
d’exutoire, mais son régime à saisons alternées s’accorde mal au volcan de boue LUSI dont le
débit est continu tout au long de l’année. Le fleuve n’a pas la compétence suffisante hors
37
saison des pluies pour emporter le matériel qui s’accumule alors dans le chenal (Fig. 16.).
L’exhaussement des fonds se compte en mètres. Théoriquement, cela devrait accentuer le
risque de débordement au retour des pluies abondantes et impliquer un nouveau risque
pour les villages riverains. Mais il semble bien que ce ne soit pas le cas car de hautes digues
préexistaient le long du fleuve et sont en cours de rehaussement.
Sur le plan écologique, cela a d’autres conséquences. Les composants toxiques de la boue, sa
salinité, sa température élevée et la turbidité qu’elle provoque dégradent l’écosystème
fluvial. Cela détruit la ressource halieutique qui constituait un revenu pour des familles de
pêcheurs. La pollution semble s’étendre aux nappes phréatiques car les habitants proches
du fleuve ont vu l’eau de leurs puits devenir amère et salée et certains ont subi des
irritations après l’avoir utilisée pour se laver *résultats de notre enquête par questionnaire
réalisée en mai 2009].
Les rejets volontaires de la boue dans le fleuve Porong impliquent de nombreuses
conséquences en aval. On n’en a sans doute pas entièrement conscience. Mais la crise est
telle qu’aux yeux des autorités, il n’y a d’autres choix que de sacrifier en partie le milieu
fluvial.
IV. 8. Une répartition géographique des problèmes environnementaux de
Sidoarjo, schéma d’enjeux et d’acteurs
De toute évidence, les évènements de Sidoarjo constituent une grave crise
environnementale et sociale. Les problèmes causés sont bien différents et forment entre eux
un système. Certains enjeux sont des conséquences directes du volcan de boue (villages
ensevelis), d’autres sont des conséquences dérivées, provoquées par exemple par les
autorités dans un souci de gestion (rejets de l’eau salée au nord et de la boue au sud). Se
posent pour ces dernières des défis immenses.
Nous proposons ici un schéma d’enjeux et d’acteurs qui reprend chacun des points
présentés plus avant afin de résumer le système de crise de Sidoarjo (Fig. 17.). Peut-être ce
modèle n’est-il pas exhaustif ou même n’est-il que temporaire et déjà dépassé tant il est
difficile de distinguer l’horizon des conséquences environnementales et tant la situation
évolue à grande vitesse.
L’intérêt d’un tel schéma est de situer chacun des enjeux par rapport aux autres et
éventuellement de les hiérarchiser. Chacun des problèmes est dramatique mais ne peut se
comprendre que lorsqu’il est envisagé dans ce contexte. Certains enjeux se trouvent alors
relativisés. La destruction de la ressource halieutique et la salinisation des champs sont tout
de suite moins graves quand des familles risquent de voir subitement apparaître chez eux
des gaz explosifs et des éruptions d’eau et de boue.
On ouvre ici une discussion sur la géographie de la crise environnementale. Les éléments du
système de crise environnementale s’organisent selon un schéma centre-périphérie d’une
part et se distribuent selon les quatre points cardinaux d’autre part. Le bassin de boue
endigué dessine grossièrement un quadrilatère. Et selon que l’on se trouve au centre, à
l’ouest, au sud, au nord ou à l’est, l’occupation du sol n’est pas la même et les thématiques
38
sont bien différentes : au centre les inondations de boue, à l’ouest les sorties de gaz, d’eau
et de boue dans les villages ; au sud les conséquences en chaîne dues au rejets organisés de
la boue ; au nord et à l’est, les rejets d’eau salée et les problèmes que cela pose aux cultures
légumières et céréalières.
Fig. 17. Schéma d’enjeux et d’acteurs de la crise de Sidoarjo. Il semblerait qu’il existe une répartition géographique selon
laquelle les composantes de la crise s’organisent. Cela forme un système qui se lit à la fois selon une logique centrepériphérie (il existe des problèmes directs et des problèmes dérivés qui sont la conséquence des premiers) et selon une
polarisation appuyée sur les points cardinaux (les enjeux changent selon que l’on se trouve à l’ouest, au sud, au nord ou à
l’est). On a traité ici des aspects environnementaux, mais on a quand même ajouté la dimension politico-scientifique pour
montrer qu’elle se focalise sur les éléments centraux et non sur les conséquences en aval.
Il nous paraît par ailleurs utile de garder en tête ce schéma pour ne pas se laisser prendre
par les « effets de mode ». Au sein de cette crise, il y a des effets spectaculaires et des
conséquences moins visibles qui prendront toute leur importance à long terme. Durant les
deux premières années, tout le monde avait les yeux rivés sur l’espace central où les
inondations de boue ne laissaient plus apparaître que les toits des maisons. C’est ce que les
touristes et les journalistes venaient voir. Maintenant que toute la zone a été évacuée, que
la boue a dépassé le niveau des habitations et que cela n’a plus l’air que d’un grand lac,
l’aspect spectaculaire a un peu perdu de son intensité et c’est sur les sorties de gaz et de
boue et sur les effets de la subsidence dans les zones résidentielles encore habitées à l’ouest
que l’on se focalise. On en oublie presque le reste. Mais une fois que la lente évacuation de
ces quartiers sera terminée et qu’il n’y aura plus d’enjeux humains quels sont les problèmes
qui attireront l’attention ? On ne sait pas encore, cela dépendra de l’évolution des
évènements, mais on peut s’attendre à ce que des populations qui sont déjà victimes
39
aujourd’hui se voient accorder plus d’attention une fois que d’autres priorités auront été
réglées.
Dans le système complexe de crise environnementale de Sidoarjo, le schéma centrepériphérie, conséquences directes-conséquences indirectes, et le schéma de polarisation
selon les quatre points cardinaux nous paraissent être des clés simples et efficaces de
compréhension.
40
V. La boue dans le fleuve Porong, analyse de l’évolution
géomorphologique du chenal en 2008
V. 1. Organisation du rejet de la boue
Depuis le décret présidentiel No. 14/2007, plusieurs pipelines sont employés au rejet de la
boue à partir du bassin de LUSI. Ils sont tous cantonnés dans un rayon de quelques centaines
de mètres. Depuis fin 2007, les pipelines actifs s’appuient sur le pont de l’autoroute (qui a
été coupée avec les inondations) dans le village de Ginonjo qui appartient à la commune de
Besuki. Les rejets sont financés à la fois par la compagnie PT Lapindo Brantas et par le BPLS
(l’organisme d’état créé pour gérer la crise). Cependant, faute de moyen, les pipelines ne
fonctionnent pas en permanence et pas tous en même temps. En général, il n’y en a que
trois au maximum qui travaillent simultanément (Fig. 18.).
Fig. 18. Rejets de la boue de LUSI dans le fleuve Porong en saison sèche. À gauche, vue vers le sud. La boue est rendue plus
liquide au préalable afin de bien s’écouler à l’intérieur des pipelines. À droite, vue vers le nord, depuis le pont de
l’autoroute coupée. On aperçoit à l’arrière plan le panache issu du cratère du volcan de boue. Photos : B. L.-A., 10 juillet
2009
Ils déversent dans le fleuve une boue noire qui est rendue plus liquide au préalable afin
qu’elle puisse s’écouler sans peine dans les tuyaux, sans les boucher. Le processus s’effectue
comme suit : l’eau du fleuve Porong est d’abord pompée et déversée dans un secteur du
bassin de boue où là, des tractopelles montés sur des radeaux remuent la boue pour la
mélanger à l’eau avant que les pipelines de sortie conduisent la boue liquide jusqu’au fleuve.
Il n’existe pas de mesures précises mais selon les ouvriers qui travaillent à cette tâche, il
faudrait deux à trois volumes d’eau pour un volume de boue pour que l’écoulement dans les
tubes soit convenable. Quatre cents mètres environ séparent le fleuve du bassin où la boue
est fluidifiée (Fig. 19.).
Pendant les mois de mousson, la boue déversée est emportée par le courant. On aperçoit la
boue qui se déplace en nappes près de la surface du fleuve jusqu’à plusieurs centaines de
mètres en aval avant que le matériel ne se mélange petit à petit dans les eaux et que l’on ne
41
la distingue plus (Fig. 20.). Dès que le débit du fleuve diminue en revanche pendant la saison
sèche, sa compétence n’est plus suffisante pour drainer la boue. Elle se dépose alors dans le
chenal.
Fig. 19. Schéma du processus destiné à rendre la boue plus liquide avant de la rejeter dans le fleuve au sud. L’eau du Porong
pompée en amont est mélangée à la boue par des tractopelles montés sur radeaux. Il faudrait trois volumes d’eau pour un
volume de boue afin que les pipelines ne se bouchent pas. Le tout est financé à la fois par la compagnie Lapindo Brantas et
par le BPLS. Réalisation et photo : B. L.-A.
Fig. 20. Nappes de boue emportées par le courant
pendant la saison des pluies, environ 500 mètres en aval
du lieu où les pipelines déversent la boue (celui de la
photo n’est plus actif). Photo : B. L.-A., 26 mars 2009
L’estimation du volume de boue rejetée dans la Kali Porong pose des difficultés. Aucun bilan
sur une période donnée n’a été fait. Le quotidien le Jakarta Post annonçait dans l’édition du
42
1er avril 2009, que le volume de boue rejeté dans le Porong s’élevait à 50 000 m3 par jour,
mais sans citer leur source. Le chiffre proposé correspond déjà à la moitié du volume de
boue moyen évacué chaque jour ce qui paraît assez élevé. Une telle information donne
l’image d’une gestion efficace de l’aléa et peut être volontairement surestimée pour
chercher à regagner la confiance des Indonésiens envers les autorités. Des techniques
existent pour calculer un débit qui sort d’un pipeline juste en mesurant le diamètre du tube,
son inclinaison et la longueur sur laquelle le liquide est projeté [Trimmer, 1994]. Seulement,
à Sidoarjo, les pipelines ne fonctionnent pas en continu, pas toujours tous en même temps
et la journée seulement.
La politique de gestion du fleuve a changé depuis l’apparition de LUSI. On lui assigne une
nouvelle fonction depuis près de trois ans, celle d’évacuer la boue de LUSI jusqu’à la mer.
Mais cette politique guidée par le contexte de crise donne l’impression d’être gérée de
manière empirique et intuitive puisque peu de mesures existent, ou, lorsqu’elles existent, ne
sont pas exploitées. Si le fleuve est résilient jusqu’à une certaine quantité de boue rejetée,
on ne connaît pas le volume maximum qu’il peut recevoir sans déséquilibrer durablement
son fonctionnement hydrologique et géomorphologique.
V. 2. Choix des profils étudiés, justification et corrections effectuées
Pour traiter de l’évolution géomorphologique du fleuve Porong depuis Sidoarjo jusqu’à la
mer, nous avons travaillé sur 11 différents profils en travers du chenal que nous avons
choisis parmi ceux dont nous disposons. Les données proviennent du BPLS qui emploie
chaque mois une équipe chargée de faire ces relevés. Nous disposons des profils depuis
janvier 2008 jusqu’à février 2009. Seuls manquent, au cours de cette période, l’ensemble des
données du mois de novembre 2008 et celles d’août et de septembre pour les profils PP 5 et
PP 6).
La figure 21. montre la localisation des profils que nous avons sélectionnés. Deux des profils
(PP -1 et PP -2) se trouvent juste en amont du lieu de rejet de la boue. Ils servent de témoins.
Comme le déversement de la boue n’est a priori pas la seule entrée sédimentaire du
système (d’autres matériels proviennent du bassin-versant), ces profils sont utiles pour
connaître ce qu’aurait été l’évolution du chenal au cours de l’année 2008 sans cet élément
perturbateur.
Cinq des autres profils se situent dans un rayon proche du lieu de rejet (PP 1 à PP 5). Ils sont
disposés régulièrement les uns par rapport aux autres. Aujourd’hui, les pipelines actifs
s’appuient sur le pont de l’autoroute qui a été coupée. Mais quelquefois, d’autres tubes ont
servi. Ils se situent tous entre les profils PP 1 et PP 3. Il s’agit donc du secteur le plus touché.
La comparaison entre les profils PP 1 à PP 5 doit permettre d’analyser les évolutions sur une
courte distance.
Enfin, nous avons retenu quatre derniers profils plus éloignés les uns des autres et qui vont
jusqu’à la mer (PP 6 à PP 9). Ils doivent à eux quatre résumer l’évolution sur une douzaine de
kilomètres et montrer jusqu’où les traces de boue dans le chenal sont évidentes. Par ailleurs,
les profils PP 7 et PP 8 sont situés directement à l’amont et à l’aval d’un méandre pré-
43
deltaïque. L’intérêt est d’observer quel impact peut avoir une telle forme hydrologique sur le
dépôt ou l’érosion des bancs de boue.
Source : BPLS
Fig. 21. Localisation des 11 profils en travers du Porong sélectionnés pour observer l’évolution géomorphologique du chenal
au cours de l’année 2008.
Lors de la mise en comparaison des différents profils sur les graphiques présentés ici, il nous
a fallu effectuer quelques corrections car certains présentaient des décalages par rapport
aux autres quand on les superposait. En se basant sur les berges dont le niveau a
apparemment été fixe tout au long de l’année, nous avons soit abaissé quelques profils
d’une hauteur correspondant environ à 1 mètre dans la réalité, soit décalé les profils d’une
distance contenue entre 5 et 10 mètres. Les profils PP 1 de janvier 2008 et de décembre, PP
2 de janvier 2008 et de décembre, PP 3 de janvier 2008 et de décembre, PP 4 de décembre,
PP 5 de décembre et PP 6 de décembre ont tous été abaissés d’un mètre environ. Les profils
PP 1 de juillet, d’août et d’octobre, PP 2 de janvier 2008, de juillet et d’octobre et PP 3 de
juillet ont été décalés de 5 à 10 mètres vers la gauche sur les graphiques.
L’analyse sur les profils que nous avons effectuée se divise en trois parties : d’abord la
comparaison entre avril et octobre où le niveau du chenal est moindre puis maximal pour se
rendre compte de l’épaisseur des dépôts, ensuite l’observation des phases et des rythmes
d’accumulation et d‘érosion de la boue par l’ensemble des profils chaque mois, et enfin, la
superposition des profils de janvier et février à une année d’intervalle pour voir l’évolution
du chenal après un an.
V. 3. Comparaison des profils d’avril avec ceux d’octobre, l’épaisseur
maximale des dépôts
La première question était de savoir quelle est l’épaisseur que peuvent atteindre les dépôts
de boue dans le Porong quand ils sont maximaux, c’est-à-dire à la fin de la saison sèche en
octobre. Pour cela, il a suffi de comparer chacun des profils d’octobre avec ceux d’avril (fin
de la saison des pluies) où le niveau du chenal est minimal (Fig. 22. a)). En ajoutant la Figure
22. b), nous avons cherché à rendre compte plus aisément de l’évolution de l’épaisseur des
dépôts depuis Sidoarjo jusqu’à la mer. Chacun des profils dessinés représente la différence
de niveau entre le mois d’octobre et le mois d’avril. Aussi, le mois d’avril correspond à une
même droite pour l’ensemble des profils à laquelle nous avons attribué le niveau de
référence d’élévation zéro mètre. L’axe des abscisses est sans échelle car, pour pouvoir
comparer graphiquement les profils, nous les avons ramenés à la même largeur alors que
44
dans la réalité, le chenal s’élargit au fur et à mesure que l’on se rapproche de la mer. Par
ailleurs, nous les présentons en trois graphiques par simple souci de faciliter la lecture.
Les dépôts sédimentaires dans le fleuve Porong vont jusqu’à atteindre plus de six mètres
très localement. C’est le cas au niveau des rejets de boue pour les profils PP 1, PP 2 et PP 3
au milieu du chenal. Moins au centre, l’épaisseur des dépôts est tout de même contenue
entre trois et cinq mètres. Approximativement, en moyenne quatre mètres de boue se sont
déposés dans le chenal à proximité (c’est-à-dire dans un rayon de quatre kilomètres) du lieu
où les pipelines crachent la boue (cf. PP 1 à PP 5). En descendant vers la mer, l’épaisseur des
dépôts diminue fort lentement. Douze kilomètres en aval du pont d’où est déversée la boue,
les dépôts, uniformément répartis sur la largeur du chenal atteignent encore trois mètres
(cf. PP 7). Juste avant l’embouchure à dix-huit kilomètres (cf. PP 9), des dépôts d’un mètre
sont observables. Une des raisons de la diminution de l’épaisseur des dépôts vient du fait
que le chenal s’élargit vers l’aval. Aussi, les dépôts deviennent moins épais à volume égal
s’ils s’étalent sur une surface plus grande. Cependant si l’on compare, d’après les profils en
travers du chenal, les surfaces des « sections en boue » entre les profils de l’amont et ceux
de l’aval, on s’aperçoit que le volume de matériel accumulé vers la mer diminue bien (au
moins de moitié à partir de PP 7). Sont imputables à cela d’un côté le fait que la boue n’a
sans doute pas entièrement transité vers l’aval et que le plus gros volume stagne à l’amont
et d’un autre côté le fait que les marées peuvent remonter sur plusieurs kilomètres dans le
fleuve et éroder une partie des dépôts. Ceci n’est qu’une hypothèse car cela n’a pas encore
été vérifié.
Les seuls profils qui ne présentent pas de différences entre avril et octobre sont les profils
témoins PP -2 et PP -1 en amont des rejets. Cela signifie qu’actuellement l’apport
sédimentaire initial par le fleuve est nul (certainement à cause des barrages-réservoirs en
amont où se dépose et où est retenue la charge solide). Les rejets de boue constituent la
seule entrée de matériel. Par conséquent, les dépôts décrits dans le paragraphe ci-dessus
sont manifestement composés uniquement de la boue de Lapindo.
Par ailleurs, à titre anecdotique, on remarque sur la Figure 22. b) l’allure dissymétrique du
profil PP 8 qui se trouve juste en aval du méandre. Cela tient aux processus hydrauliques qui
veulent que le courant soit plus fort dans la partie externe du méandre accentuant l’érosion
et plus faible du côté du pédoncule, profitant au dépôt [Bravard, 1997 ; Knighton, 1998].
Cependant, c’est bien l’allure du chenal d’origine qui est dissymétrique et non celle des
dépôts qui ont au contraire une surface bien plane (Fig. 22. a)). Certainement qu’au cours de
la saison sèche où la boue se dépose, le débit du fleuve est trop faible pour que ces
différences d’énergie de courant en travers du chenal soient marquées et les dépôts
s’égalisent donc sur l’ensemble de la largeur.
Ainsi la boue de LUSI s’accumule sur une épaisseur conséquente, d’échelle pluri-métrique,
tout au long du fleuve depuis le lieu de rejet. Contrairement à certains dires comme quoi
aucune trace de boue ne serait plus observable au-delà de cinq kilomètres, elle repose bel et
bien dans le chenal jusqu’à l’embouchure, en dépit même des actions d’érosion marine qui
peuvent exister dans la partie estuarienne du fleuve.
45
a) 1/2
46
a) 2/2
47
b)
Fig. 22. Hauteur maximale des dépôts dans le Porong en 2008. a) Comparaison des profils entre avril 2008 (fin de saison des
pluies et niveau minimum) et octobre 2008 (fin de saison sèche et niveau maximum). b) Comparaison des dépôts de
l’amont vers l’aval (axe des abscisses sans échelle). Réalisation B. L.-A.
V. 4. Phases et rythmes de dépôt et d’érosion de la boue dans le chenal
L’activité géomorphologique du chenal est clairement rythmée par les saisons. La boue
exhausse le lit du fleuve d’avril à octobre durant la saison sèche, alors que les mois d’octobre
à avril marqués par le passage de la mousson correspondent à la phase d’évacuation du
matériel accumulé. Il y a donc une phase montante et une phase descendante du chenal
dans une année, une période d’aggradation et une autre d’incision de six mois chacune
environ. C’est ce que présente en détail la Figure 23.. Nous ne proposons que les profils PP 1
à PP 6 encore facilement lisibles. Les profils plus en aval (PP 7 à PP 9) ont connu une
aggradation moindre en six mois de telle sorte que l’évolution suivie mois par mois ne
permet pas des résultats notables, du moins à l’échelle de finesse à laquelle nous travaillons.
La phase d’aggradation d’avril à octobre s’est faite en 2008 à un rythme régulier. La boue
s’est déposée en bancs parallèles d’épaisseurs assez comparables. C’est au niveau du profil
PP 4 que c’est le plus évident. Les taux de sédimentation y atteignent presque un mètre par
mois sur l’ensemble de la largeur du chenal. Les profils PP 1 à PP 3 se trouvent directement
dans la zone de rejet de la boue, aussi tous les aléas possibles (arrêt d’utilisation d’un
pipeline, déplacement de quelques centaines de mètres du rejet…) se traduisent par une
plus forte irrégularité dans le rythme de sédimentation. Il semble par exemple pour PP 1 que
les tuyaux de rejets soient descendus plus en aval vers le mois de juin. Malheureusement
nous n’avons pas trouvé à quelles dates se sont déplacés les pipelines.
On remarque que pour le profil PP 6, la courbe du mois de mai est confondue avec celle
d’avril ce qui nous fait formuler l’hypothèse suivante : la boue rejetée met un certains temps
48
à transiter vers l’aval si bien qu’au-delà de cinq kilomètres environ le temps de réponse
d’aggradation du chenal par rapport au début de la saison sèche est de plus ou moins un
mois. En d’autres termes, le lit du Porong, à partir d’une distance de cinq kilomètres du lieu
de rejet de la boue, ne commence à s’exhausser qu’un mois après le début de la saison
sèche où l’intensité des pluies diminue. Aussi, il y a fort à penser que le temps de réponse
d’aggradation du chenal par rapport à la saison sèche augmente proportionnellement à la
distance d’éloignement du lieu de rejet de la boue.
Concernant la seconde phase, celle d’incision du chenal d’octobre à avril, il semble que les
rythmes d’érosion ne connaissent pas la même régularité que celle qui caractérisait la
première phase. C’est qu’ici, l’évacuation de la boue est dictée par un facteur externe plus
aléatoire : les précipitations au sein du bassin-versant du Brantas qui déterminent ensuite
l’intensité du débit du fleuve et sa force d’érosion. On ne peut pas dégager une vitesse
d’érosion mensuelle significative. L’incision a atteint trois mètres par endroits entre octobre
et décembre 2008 (environ 1,5 à 2 mètres d’incision par mois), puis les rythmes d’érosion
diminuent en-dessous d’un mètre en moyenne les mois suivants.
Pour la réalisation du document (Fig. 23. b)), nous nous sommes permis une extrapolation
qu’il faut garder à l’esprit. Comme nous ne disposons pas des données de mars 2009 et
d’avril 2009, nous avons utilisé à la place les données de l’année précédente. C’est pourquoi
les courbes de mars 2008 et avril 2008 sont représentées en pointillées. La Figure 26.
proposée plus loin qui montre que les courbes de février 2008 et février 2009 sont
quasiment confondues nous ont autorisé à extrapoler de la sorte puisque les différences
morphologiques du chenal semblent minimes d’un début d’année sur l’autre.
Ce qu’il faut retenir surtout, malgré l’irrégularité du rythme d’érosion, c’est le fait que
plusieurs mois sont nécessaires pour emporter l’ensemble de la boue qui s’est accumulée.
Certaines personnes rencontrées affirmaient que seules quelques semaines suffisaient. En
aval où les dépôts sont d’une moindre épaisseur, il semble qu’au quatrième ou cinquième
mois de pluies, presque tout le matériel est déjà dégagé. Pour la partie amont, c’est bien
l’ensemble de la saison des pluies qui est nécessaire pour tout évacuer. On s’aperçoit à ce
propos que les dépôts de la partie amont ne se retrouvent pas quelques temps après,
accumulés dans la partie aval. On aurait pu penser des bancs de boue que, s’ils étaient
charriés dans le fond du chenal, s’observeraient plus tard quelques kilomètres plus loin,
comme si la reprise de débit du fleuve faisait effet de chasse-neige. Mais d’après notre
interprétation, le chenal est vidangé de sa boue depuis l’aval, où les dépôts sont moins
épais, vers l’amont. Cela traduit sans doute le mode de transport en suspension des
sédiments. Une fois érodées et emportées par le débit, les particules de boue sont
directement transportées jusque dans la mer, le courant étant trop important pour autoriser
un nouveau dépôt. Les bancs de boue que nous avons observés sur le terrain sont constitués
de petits agrégats d’argile qui semblaient facile à éroder et à transporter (Fig. 24.). D’après le
diagramme bien connu de Hjulström dessiné en 1939 (Fig. 25.), les argiles nécessitent des
eaux très calmes pour se déposer. En revanche, elles sont difficiles à éroder si elles forment
des bancs compacts. Mais comme ici, les argiles forment des petits granulats qui roulent les
uns sur les autres, elles ont besoin d’un courant moindre pour être emportées.
49
a)
50
b)
Fig. 23. Phases et rythmes de l’évolution géomorphologique du chenal d’avril 2008 à février 2009. a) Phase de dépôt
(aggradation du chenal d’avril à octobre). b) Phase d’érosion (incision du chenal d’octobre à avril). Réalisation B. L.-A.
51
Une année est ainsi marquée par deux phases géomorphologiques contradictoires au sein du
chenal. Une phase d’aggradation par dépôt de la boue et une phase d’érosion des bancs au
cours de laquelle toute la boue déposée arrive à être évacuée. Le balancement d’une phase
sur l’autre correspond au basculement entre saison des pluies et saison sèche. De plus on a
remarqué des différences entre l’amont et l’aval, notamment du point de vue des temps de
réponses géomorphologiques au moment des changements saisonniers.
Enfin, il faut noter que quelques curages ont eu lieu ces trois dernières années dans le fleuve
pour dégager la boue et percer un chenal afin que le cours d’eau amoindri de la saison sèche
puisse quand même passer. Les dates de ces opérations ne nous ont pas été transmises,
aussi cela constitue-t-il un manque à notre analyse. Ici, nous n’avons pu travailler que sur
une échelle de temps mensuelle. Nous avons pu rendre compte des grandes tendances, des
évolutions de mois en mois. Malheureusement nous n’avons pas pu observer les
changements à une échelle de temps plus rapide comme, par exemple, l’effet d’une crue sur
l’érosion du chenal. Nous avons dégagé une tendance assez linéaire concernant la phase
érosive d’octobre à avril, malgré un rythme pas tout à fait régulier que nous avons souligné,
or, cela nous serait sans doute apparu bien plus cadencé si nous avions pu mettre en relation
débit journalier (voire horaire) du fleuve avec l’érosion de la boue. Cet aspect tient à l’effet
d’échelle temporelle.
Fig. 24. Gros-plan des bancs de boue dans le chenal en
saison sèche. Le matériel déversé dans le Porong forme
des petits agglomérats d’argile en séchant. La photo est
prise à proximité des pipelines le 10 juillet 2009. Cette
propriété des bancs de boue rendra leur érosion plus
facile au retour des pluies quelques mois plus tard.
Photo : B. L.-A.
Fig. 25. Diagramme de Hjulström. Mise en mouvement
ou dépôt des sédiments dans un cours d’eau en fonction
de leur taille et de la vitesse du courant. Dans le cas du
Porong, la boue liquide et argileuse déversée en saison
des pluies est facilement transportée par le courant.
Quand le cours d’eau n’est plus qu’un filon dans le
chenal, le matériel se dépose. Puis, à la nouvelle saison
des pluies, il est érodé dès la reprise du débit, et ce,
d’autant plus facilement qu’il connaît une formation en
petits agrégats (modifié d’après Knighton, 1998).
52
V. 5. Comparaison des profils janvier 2008-janvier 2009 et février 2008-février
2009 : retour à l’allure initiale du chenal au bout d’un an
Comment le profil en travers du chenal a-t-il été modifié au bout d’un an, après des dépôts
de boue pluri-métriques suivis d’une phase érosive de plusieurs mois ? C’est ce que nous
avons cherché à savoir en comparant d’une part les courbes de janvier 2008 avec janvier
2009 et d’autre part celles de février 2008 avec février 2009 (Fig. 26.). Les résultats sont d’un
grand intérêt : pour l’ensemble des profils de février les courbes de 2008 et de 2009 sont
quasiment confondues. Cela signifie que le fleuve a retrouvé son allure d’origine vers la fin
de la saison des pluies alors que ce n’était pas encore tout à fait le cas en janvier où les
courbes sont encore distinctes. Le fleuve a retrouvé son état initial alors qu’il a connu
plusieurs mois d’aggradation exceptionnelle. Malgré la phase érosive à partir d’octobre, on
aurait pu penser qu’un résidu de boue serait resté, conduisant le lit du fleuve à s’exhausser
petit à petit d’année en année, mais il n’en est rien. En ce qui concerne l’année 2008-2009,
l’ensemble du matériel rejeté a été vidangé, au moins en grande partie naturellement par le
courant du fleuve et aussi peut-être par l’aide anthropique puisqu’il ne faut pas oublier que
une ou des opérations de curage ont pu être réalisées.
V. 6. Discussion, un équilibre dynamique du Porong à travers l’existence de
cycles géomorphologiques ?
C’est bien un cycle géomorphologique qui s’est opéré pour l’année sur laquelle nous avons
travaillé. Ce qui paraissait une grande perturbation du fleuve s’aggravant de mois en mois
n’a pas empêché le Porong de trouver son équilibre sur un pas de temps annuel. Il nous
semble que l’on pourrait même parler de « résilience géomorphologique » à l’échelle de
l’année. Il y a eu équilibre entre le volume de boue déversé et le volume érodé. Au final, le
bilan entre les entrées sédimentaires et les sorties est équilibré malgré une phase
intermédiaire de stockage alarmant. En gardant à l’esprit le contexte de crise de Sidoarjo,
l’aspect ici présenté fait effectivement penser que le Porong est un bon exutoire pour la
boue du volcan LUSI. Cela veut-il dire qu’il faut encourager et accentuer les rejets de boue
dans le fleuve ? La question est délicate. Il manque pour y répondre des études sur les
impacts écologiques. Et, ne serait-ce que sur la géomorphologie, nous nous sommes
cantonnés au système-fleuve jusqu’à son embouchure. Mais nous ne savons pas ce que
devient la boue une fois libérée dans la mer. Se répand-elle au large ou s’accumule-t-elle à
certains endroits ? Cela crée-t-il de nouvelles formes et quel est le rythme d’évolution de ces
dernières ? Des images satellites laisseraient apparaître deux barres pro-deltaïques qui
pourraient être des lieux de capture pour les sédiments drainés par le Porong [comm. pers.
avec Dr. Van S. Williams de l’USGS, mai 2009].
Ce qu’il y a d’original dans cet équilibre géomorphologique, c’est qu’il s’établit entre des
facteurs anthropiques d’un côté et des facteurs naturels de l’autre. Or, les facteurs naturels
(précipitations, débits du fleuve) sont aléatoires. Dans quelle mesure les facteurs
anthropiques (rejets de la boue et curage du fleuve) peuvent-ils être régulés en fonction des
facteurs naturels ? Les éléments de ce système sont repris par le schéma de la Figure 27.. Il
est difficile d’estimer la quantité de boue que l’on peut rejeter par rapport à ce que peut
drainer le fleuve car la phase de dépôt précède celle d’évacuation. Et l’on ne peut pas se
contenter des moyennes climatiques pour dresser des prévisions car, les précipitations
53
Fig. 26. Retour à l’allure initiale du chenal en fin de saison des pluies. En février 2009, alors que ce n’est pas tout à fait le cas
encore pour janvier, les profils en travers du chenal on retrouvé la forme qu’ils avaient en février 2008. Cela marque un
cycle dans l’évolution géomorphologique du Porong. La phase d’érosion depuis le mois d’octobre a quasiment effacé toutes
les traces de la phase d’aggradation qui avait eu lieu pendant les six mois de saison sèche (le lit du fleuve s’était exhaussé
de plusieurs mètres suite au dépôt de la boue déversée). De ce point de vue, le Porong est un exutoire efficace pour le
matériel éructé de LUSI puisque, sur un pas de temps annuel, le bilan entre les entrées sédimentaires et les sorties est
équilibré malgré une phase intermédiaire de stockage alarmante.
54
notamment peuvent connaître de grandes variations d’une année sur l’autre (en revanche
une intervention par curage est toujours possible si les précipitations attendues à partir
d’octobre ne viennent pas). Pour la période qui nous a intéressée, 2008 était une année
moyenne du point de vue des précipitations (Fig. 28.). Faisons ici un retour sur le climat de
notre terrain.
Sidoarjo se situe à 7°30’ de latitude Sud. Les températures annuelles dépassent facilement
30°C. Le climat est caractérisé par le passage de la mousson. Un basculement dans la
répartition des précipitations s’opère au cours de l’année entre la saison des pluies
(novembre à avril) qui reçoit 80 % des eaux météoriques et la saison sèche de mai à octobre.
La moyenne des précipitations est inférieure à 2000 millimètres par an pour le bassinversant du Brantas [Mashuri, date inconnue]. La moyenne nationale est un peu supérieure
avec 2500 mm/an. Mais les écarts intra-régionaux d’une part sont grands (5000 mm/an à
Sumatra pour 1000 mm/an aux Moluques, à Nusa Tenggara ou à Sulawesi). Concernant l’île
de Java, la pluviométrie décroît d’ouest en est. Et les écarts interannuels d’autre part sont
aussi considérables. Certaines années, le phénomène d’El Niño est responsable de
sécheresses, comme en 1997, suivies par des années très pluvieuses dues à La Niña, comme
en 1998 [Kikkeri, 2004]. La Figure 28. replace l’année 2008 pour laquelle nous avons analysé
les profils du fleuve Porong. Il s’agissait d’une année moyenne, légèrement plus humide que
les trois années précédentes de même niveau. Il faut faire attention que des écarts allant du
simple au double ont eu lieu depuis le milieu des années 1990. L’année 1998 a été deux fois
plus arrosée que l’année 1997. Ainsi, aux vues de la pluviométrie, les années se suivent mais
ne se ressemblent pas. Une telle irrégularité potentielle du climat n’est pas sans
conséquences pour la Kali Porong puisqu’elle détermine sa capacité à évacuer le matériel
accumulé et qu’elle implique aussi un risque de crue plus important qui se cumule alors à
l’élévation du niveau du chenal. Quelles seraient les conséquences au niveau du Porong si
une année sèche comme celle de 1997 ou au contraire humide comme celle de 1998 se
répétait ? Pour ce qui est du risque d’inondation, il nous paraît aujourd’hui très faible car les
digues le long du fleuve viennent d’être renforcées et surélevées. Les politiques de lutte
contre le risque inondation du Porong existent depuis plusieurs décennies déjà.
Pour conclure, la crise environnementale qui touche le fleuve Porong est atypique. Sur le
plan géomorphologique, le chenal connaît des bouleversements considérables avec des
aggradations de quatre ou cinq mètres en quelques mois, suite aux rejets organisés de la
boue de LUSI. Pourtant une certaine capacité de résilience semble caractériser ce système
hydrographique puisque le cours d’eau a retrouvé son allure initiale au bout d’un an. Les
perturbations ne semblent donc que temporaires et le Porong trouverait un nouvel équilibre
cyclique. Étant donné que le déversement de la boue dans le chenal n’a lieu que depuis trois
ans, il est encore difficile d’affirmer avec certitude les propos ci-dessus. C’est pourquoi nous
avons préféré la forme de la discussion.
55
Fig. 27. Schéma des variables dont dépend l’équilibre dynamique du Porong depuis que l’on y rejette la boue de LUSI.
Depuis la fin de l’année 2006, une nouvelle entrée sédimentaire est apparue dans le fleuve. Il semble cependant qu’un
équilibre dynamique soit possible avec la mise en place de cycles géomorphologiques sur une échelle de temps annuelle.
Pour que le bilan sédimentaire du fleuve soit équilibré il faut que les entrées et sorties soient équivalentes en une année, or
cela dépend à la fois de facteurs naturels et de facteurs anthropiques. Les gestionnaires de la crise de Sidoarjo provoquent
les entrées, mais ils peuvent aussi a priori intervenir sur les sorties en effectuant des opérations de curage si les facteurs
naturels ne suffisent pas.
Fig. 28. Précipitations annuelles à Java Est. L’année 2008 était une année moyenne au regard de la pluviométrie. Cela a
permis au Porong d’avoir un débit suffisant pour évacuer l’ensemble des boues qui avaient été déversées. Mais le climat
n’est pas régulier d’une année sur l’autre. Quelles conséquences une année comme 1997 ou 2004 aurait sur le bilan
sédimentaire du fleuve ? Et quel risque de débordement aurait une année semblable à 1998 ?
56
VI. Les répercussions des changements dans le fleuve sur la
population riveraine, le lien entre géomorphologie et
aspects socio-économiques
VI. 1. Objectifs et déroulement de l’enquête
Dans l’optique d’ajouter une composante humaine à notre sujet d’étude, nous avons réalisé
une enquête par questionnaire auprès des habitants des villages riverains du fleuve Porong
les journées du 16, 17 et 18 mai 2009. Il s’agissait de se rendre compte des impacts qu’ont
les changements hydro-géomorphologiques sur la population locale. Les informations
qualitatives obtenues viennent en complément de notre étude géomorphologique. Il nous
semblait utile, puisque nous sommes géographes, de présenter les aspects socioéconomiques liés. Nous nous sommes demandé en quoi les habitants sont vulnérables face
aux changements récents au sein du fleuve ? Ces évènements ont-ils impliqué des
changements dans leur mode de vie ? Comment s’y adaptent-ils ? Et comment les
perçoivent-ils ? C'est-à-dire, se sentent-ils victimes ? Ont-ils des revendications ? Ou
acceptent-ils leur condition dans le cas où les rejets de boue leur paraissent nécessaires ?
L’enquête a été effectuée à l’oral sous forme d’entretiens semi-directifs qui duraient environ
vingt minutes. La même liste de questions a été posée par trois Indonésiennes étudiantes en
Français à 31 individus au total (Fig. 29.) de six villages différents (Fig. 30.). Nous avons choisi
de formuler des questions ouvertes pour amener davantage une discussion avec la
population. Aussi présentons nous les résultats sous forme d’une synthèse en dégageant les
grandes tendances qui sont ressorties des entretiens. Le questionnaire se divisait en
plusieurs parties (Fig. 29.). Après une série de questions destinées à faire connaissance avec
la personne interrogée et à introduire le sujet, une partie se concentrait sur l’expérience du
fleuve par les individus (usages, évènements vécus, changements perçus) et une autre
envisageait plus le répondant comme acteur dans la crise (quels sont ses avis personnels ?
Comment s’implique-t-il lui-même face aux problèmes ? Quelle est sa prise de
responsabilité ?). Pour finir venaient des questions générales destinées à dresser l’identité
du répondant (âge, religion, niveau de vie).
VI. 2. Profil de la population interrogée
Les 31 individus qui ont répondu au questionnaire se distribuent dans les six villages de
Ginonjo, Kebo Guyang, Permisan, Kedung Cangkring, Dukuh Sari et Bangunrejo, sur les deux
rives du fleuve, jusqu’à huit kilomètres du lieu de rejet de la boue. C’est une population
javanaise. Il est arrivé que des personnes n’aient pas pu nous répondre parce qu’ils ne
parlaient que Javanais et ne comprenaient pas l’Indonésien (la langue nationale qui unit le
pays). Le groupe des personnes interrogées est composé de dix-huit femmes et de treize
hommes. Tous sont musulmans à l’exception d’une dame chrétienne. Les âges s’étendent de
16 à 75 ans mais les deux tiers des individus avaient entre 30 et 50 ans.
57
N° de questionnaire :
Date :
Lieu :
1. INTRODUCTION à l’enquête sur le risque
1.1
Où habitez-vous ? (Quel village ? Sur quelle rive ? À quelle distance du fleuve ? À quelle
distance du volcan de boue ?)
1.2
Depuis combien de temps vivez-vous ici ?
1.3
Quel est votre métier ? (En avez-vous changé depuis LUSI ?)
1.4
Quels sont, selon vous, les risques et problèmes que représentent LUSI ?
1.5
Quelles sont les zones à risque ?
2. Concernant le FLEUVE PORONG en particulier
2.1
Quels sont les usages du fleuve ?
2.2
Y’a-t-il des problèmes généraux liés à ce fleuve ? (pollution, sécheresse, inondation,
surexploitation…)
2.3
Les évènements de LUSI posent-ils des problèmes pour le kali Porong, selon vous ?
2.4
Y’a-t-il des habitudes qui ont changé depuis l’apparition de LUSI ?
2.5
Y’a-t-il des risques pour la population près du fleuve ? Quelles sont les zones à risque ?
2.6
Écologie. La vie dans le fleuve a-t-elle été dérangée ? Quels sont les signes ?
2.7
Géomorphologie. Le fleuve a-t-il connu des changements de forme depuis le commencement
de LUSI ?
2.8
Avez-vous connu de forts évènements de crue avant 2006 ?
Quand (année et saison) ?
Jusqu’où l’eau est-elle montée ?
Y’a-t-il eu débordement ? et des dégâts ?
2.9
Y’a-t-il eu des évènements de crue depuis l’apparition du volcan de boue ?
Quand (année et mois) ?
Jusqu’où l’eau est-elle montée ?
Y’a-t-il eu débordement ? et des dégâts ?
2.10 Ces changements (écologiques et géomorphologiques) dans la rivière sont-ils gênants pour
vous ou votre entourage ? Avez-vous eu besoin de vous adapter à ces changements ? (changements
dans les habitudes, approvisionnement différent en eau ? réalisation de petits aménagements comme
construction de diguette contre inondation ?)
58
3. Ouverture, discussion : l’individu interrogé comme ACTEUR dans la
crise. Comment s’implique-t-il face au problème, quelle est sa prise de
responsabilité ?
3.1
Pensez-vous que ce soit une bonne idée de rejeter la boue dans le fleuve ?
3.2
Voyez-vous d’autres solutions ?
3.3
A-t-on cherché à prendre en compte votre avis ou votre intérêt ? (si oui, qui ? de quelle
manière ? et cela a-t-il guidé les choix des autorités ?)
3.4
Quels sont les problèmes quotidiens dans le village ?
3.5
Attendez-vous quelque chose des autorités ? Quoi ?
3.6
Parle-t-on de LUSI à l’école ?
3.7
Quand et où parle-t-on de LUSI ? Aborde-t-on le thème du fleuve ?
3.8
Comment voyez-vous l’avenir ? Les choses vont-elles changer ? S’améliorer ou empirer ?
Comptez-vous rester là où vous habitez (des personnes ont-elles déjà déménagé ?)
4. IDENTITE
4.1
Âge, sexe, religion ?
4.2
Possédez-vous des terres agricoles ?
4.3
Avez-vous du bétail ? Quoi ? Combien coûte une tête ?
4.4
Quels sont les moyens de transport que vous utilisez ?
4.5
Comment vous approvisionnez-vous en eau ?
4.6
Avez-vous l’électricité ?
4.7
Jusqu’à quel âge avez-vous étudié ? Quels diplômes ?
4.8
Combien avez-vous d’enfants ? Où vont-ils à l’école ? Quelle classe ?
4.9
Y a-t-il des légendes autour de LUSI et du fleuve ?
Fig. 29. Liste des questions qui ont été posées oralement à 31 habitants de six villages à proximité du fleuve Porong lors
d’entretiens les journées du 16, 17 et 18 mai 2009.
59
Du point de vue de l’éducation et des professions, onze individus n’ont pas continué leurs
études au-delà de l’école primaire (SD), neuf autres sont allés jusqu’au collège (SMP), neuf
jusqu’au lycée (SMA) et deux seulement ont poursuivi des études de lettres et d’infirmière.
Leurs métiers se situent surtout dans les secteurs primaire et secondaire. Dix individus sont
(ou étaient) paysans (travail aux champs ou dans les bassins à poissons pour la plupart). Dix
autres sont ouvriers d’usine. Et le reste travaille surtout dans la vente (vente de tissus, vente
de pneus, vente de remèdes traditionnels, tenue d’un warung, petit kiosque). Tous habitent
dans des maisons alimentées en électricité. Plus du tiers possède des terres agricoles et un
peu moins élèvent, des poules et des canards surtout, mais aussi, des chèvres et des vaches.
Sur l’ensemble, nous avons rencontré trois individus qui habitaient autrefois dans un des
villages ensevelis aujourd’hui par la boue.
Fig. 30. Localisation de la population interrogée lors de l’enquête par questionnaire (16, 17 et 18 mai 2009). La taille du
figuré rouge est proportionnelle au nombre d’individus qui ont répondu aux questions. C’est au niveau de Ginonjo que les
pipelines déversent la boue dans le fleuve.
VI. 3. Le fleuve Porong dans la vie des habitants, évolution des usages et
changements perçus depuis 2006
Les usages traditionnels du fleuve, avant que l’on commence à rejeter la boue de LUSI,
concernaient la pêche, l’exploitation minière du sable dans le chenal et l’irrigation des
cultures. Le Porong servait de voie de transport. Certains s’y baignaient et allaient y chercher
l’eau pour la boire. Un individu a relevé le fleuve comme « lieu de rejet de la pollution des
usines ».
À la question sur les habitudes qui ont changé depuis 2006 (cf. question 2.4 du
questionnaire) dans tous les domaines confondus (pas seulement en rapport au fleuve), huit
personnes ont formulé des réponses explicitement liées au Porong. Sept seulement (dont
quatre sur les cinq répondants de Bangunrejo, le village le plus en aval) ont répondu ne pas
avoir connu de changements. Pour les problèmes généraux, les habitants ont répondu avoir
déménagé, se sont plaints d’avoir perdu leur emploi ou que leurs affaires marchent moins
bien. Ils ont relevé aussi les difficultés de transport, notamment les embouteillages
constants. Et tous globalement sont dérangés par la mauvaise odeur de la boue. Côté fleuve,
les habitants ne pêchent plus, ne s’y baignent plus et ne ramassent plus le sable depuis qu’il
est souillé par la boue noire déversée. Un dernier problème, l’un des plus importants,
60
concerne l’eau potable. Tous quasiment sont désormais obligés de l’acheter car, soit ils ne la
prennent plus dans le fleuve, soit c’est l’eau de leurs puits qui est polluée. Ils se plaignent
qu’elle soit devenue salée ou amère (il faudrait vérifier, avant de conclure aux effets de LUSI
qu’il ne s’agit pas là d’une éventuelle remontée du coin salé pour d’autres raisons). C’est
donc aussi en profondeur, au niveau des aquifères que s’étend la crise environnementale.
Nous avons cherché à prendre en compte la vision des habitants sur l’écologie et les
évènements géomorphologiques du fleuve (cf. questions 2.6 et 2.7 du questionnaire). Pour
l’écologie, ils sont préoccupés par la baisse de la qualité de l’eau fluviale, par la mort des
poissons et le changement de couleur de l’eau qui vire au jaune. En revanche, sur les aspects
morphologiques, les témoignages sont divers et contradictoires. Beaucoup ont relevé des
changements de dimensions du Porong. Mais neuf ont répondu que le chenal était devenu
plus étroit et moins profond alors que six au contraire trouvent qu’il s’est élargi et creusé.
Peut-être ces témoignages différents révèlent-ils la difficulté de percevoir l’évolution sur le
moyen ou long terme d’un milieu en équilibre dynamique (cf. la partie discussion au chapitre
précédent où nous avons discuté des cycles géomorphologiques du cours d’eau avec le
balancement entre la phase d’aggradation et celle d’incision). Il y a tout de même un point
sur lequel tous les gens se sont entendus, celui qui concerne la fin de l’activité d’extraction
des sédiments du chenal. Le sable mélangé à la boue ne peut plus être vendu aux
entreprises de construction. C’est donc une source de revenus qui a disparu avec les rejets
de boue. Selon les personnes interviewées, cette activité était rémunérée de 50 000 à
250 000 roupies (environ 3,50 à 17, 50 euros) par camion, sachant que la variabilité des prix
tient en partie à la taille des camions. Notons que cet aspect concerne aussi le village de
Bangunrejo, huit kilomètres en descendant le fleuve, pour lequel les autres problèmes n’ont
pas été mentionnés. C’est la preuve, par cette approche socio-économique que la boue est
encore bien présente dans le chenal, loin en aval des rejets. Un gradient négatif semble
exister tout de même concernant les problèmes du fleuve selon que l’on progresse vers la
mer. Mais cela ne fait que trois ans que les évènements ont commencé et cela risque de
durer encore longtemps.
Enfin, d’après de rares témoignages, l’eau du fleuve aurait un peu débordé depuis qu’on
rejette la boue. Deux témoignages seulement des villages de Kedung Cangkring et de Kebo
Guyang rappellent des débordements en 2007 et en 2008. L’eau serait rentrée dans les
maisons et aurait détruit les cultures. Quatre témoignages (de Bangunrejo, Kebo Guyang et
Ginonjo) évoquent les épisodes d’inondations du début de l’année 2009 entre février et
avril, en fin de saison des pluies. L’eau serait montée jusqu’aux genoux, causant quelques
dégâts aux champs et au mobilier dans les maisons. Certains habitants se rappellent aussi de
grands évènements d’inondation dans les années 1970, 1980 et 1990. Ce risque semble donc
toujours exister ; pourtant les évènements les plus récents n’ont été mentionnés
qu’exceptionnellement par quatre individus. On garde donc un doute sur le fait que l’eau a
effectivement débordé du chenal endigué. Peut-être s’agit-il en fait d’infiltrations très
localisées à travers les digues pour que ça n’ait pas marqué l’ensemble de la population. Si le
risque existe toujours malgré le renforcement en cours des digues, les aggradations
saisonnières du Porong ne feraient que les aggraver. Heureusement ces évènements ont les
plus grandes chances de survenir en fin de saison des pluies quand les dépôts de boue ont
été au moins en grande partie érodés.
61
VI. 4. En quoi les riverains du fleuve sont-ils acteurs dans la crise ?
Les habitants sont tenaillés entre accepter la crise comme une fatalité et intervenir sur leur
sort en exprimant leurs revendications.
Il ressort des entretiens effectués que les riverains du Porong sont touchés par la crise
environnementale qui prend aussi des allures de crise économique. Cependant, s’ils sont
effectivement à compter parmi les victimes, les interventions en leur faveur par les autorités
sont loin d’être prioritaires puisque les cas des sinistrés au centre et à l’ouest sont beaucoup
plus graves et pourtant ne sont toujours pas réglés. La population des bords du fleuve, au
sud de LUSI a des revendications auprès des autorités (vingt-quatre individus ont dit
attendre des remboursements ou des indemnités, trois voudraient des aides au
déménagement, une personne a parlé de la volonté que les digues soient surélevées et une
autre que les problèmes économiques soient mieux pris en compte et que l’on prenne des
mesures pour le développement local). D’après les personnes interrogées, il y avait au début
des évènements des réunions dans les villages pour discuter des problèmes et on prenait
aussi le temps d’y réfléchir en classe. Plus de la moitié des répondants ont participé à la
manifestation de septembre 2008 (Fig. 31.). Mais il semble qu’on parle de moins en moins et
cela ne prend plus la forme de discussions organisées. Les gens perdent espoir d’obtenir
quoi que ce soit, ils ne font plus confiance au gouvernement et pourtant gardent pour eux
leur colère. Ils économisent l’énergie nécessaire à élever leurs revendications pour ne la faire
ressortir qu’occasionnellement puisque cela paraît vain de toute façon.
Fig. 31. Manifestation rassemblant les habitants de trois
villages au sud pour la prise en compte de leurs
problèmes. « TimNas et BPLS : menteurs ! Les victimes
de la boue au sud doivent faire partie de la carte ».
Source : BPLS
Par ailleurs, nous avons demandé aux habitants de se positionner par rapport à la politique
du fleuve qui en fait un exutoire pour la boue de Lapindo. Quinze personnes trouvent que
c’est une mauvaise solution que de rejeter la boue dans le chenal. Et quatorze considèrent
que c’est une bonne solution (ou plutôt la « moins pire » des solutions) et que de toute
façon il n’y a pas d’autres possibilités. Deux individus ne se sont pas prononcés.
Pour finir, autant d’individus ont dit se sentir en sécurité chez eux que d’individus au
contraire inquiets de vivre là où ils sont. Un habitant du village de Ginonjo nous a fait part de
son sentiment d’oppression du fait de vivre encerclé par les digues. Il a parlé d’un « effet
d’aquarium ». En effet, la digue du bassin de boue de LUSI borde son village au nord. Et celle
du Porong le surplombe au sud. Chacun des horizons présente un risque différent. Aussi, le
sentiment partagé par l’ensemble des habitants des bords du fleuve est que l’avenir sera
62
encore pire que le présent (cf. question 3.8). Et ceci en dépit des slogans affichés et déchirés
parfois : « hari esok akan lebih baik » (Demain sera un jour meilleur).
63
VII. Conclusion, difficultés, intérêts et poursuite
Avant de s’intéresser spécifiquement au fleuve Porong et aux rejets de boue dont il est le
réceptacle, il a fallu prendre en compte le contexte de crise sévère de Sidoarjo dans son
ensemble et les défis de gestion immenses qui se posent aux autorités. La crise
environnementale du fleuve Porong n’est qu’un aspect périphérique au sein de la crise
globale de Sidoarjo. Aussi la question du fleuve Porong est très sérieuse, mais en
comparaison, elle n’est pas aussi grave que les autres problèmes que le volcan de boue
surnommé LUSI a engendré.
À propos de l’évolution géomorphologique de la Kali Porong, les traitements de profils en
travers du chenal présentés ici ont apporté des résultats bien moins dramatiques que ceux
attendus. La déstabilisation du cours d’eau par cette entrée sédimentaire abondante n’est
pas aussi grave que ce que l’on aurait pu penser car, en s’appuyant sur l’année 2008, le
chenal a retrouvé son allure d’origine au bout d’un an alors qu’il avait connu des
aggradations exceptionnelles pluri-métriques. C’est donc à juste titre nous semble-t-il que la
Kali Porong est utilisée comme exutoire du matériel éructé du volcan de boue. Nous n’avons
pas abordé le thème des conséquences sur l’écologie directement, mais seulement à partir
des témoignages recueillis lors de notre enquête par questionnaire. Ainsi, au regard des
changements vécus par les habitants riverains, cela ne paraît pas encore alarmant. Alors que
parler de bouleversements dans la vie des habitants pour le secteur central de la crise et les
villages périphériques à l’ouest est un euphémisme, ici, dans le secteur sud et sud-ouest,
c’est toujours bien de changements qu’il faut parler pour le moment, changements auxquels
la population s’adapte. Cependant, les évènements de Sidoarjo n’en sont qu’à leur troisième
année, ils évoluent rapidement de mois en mois, or on s’attend à ce qu’ils durent encore
longtemps (peut-être plusieurs décennies). C’est pourquoi les résultats de notre étude ne
sont que temporaires et un suivi de la situation d’année en année serait du plus grand
intérêt.
Il s’agissait ici d’une étude de géomorphologie fluviale qui place en perspective les
dimensions sociales. Mais nous nous sommes rendu compte que, du volcan de Sidoarjo
n’étaient pas sorti que de la boue et du gaz, des pistes de recherche formidables ont aussi
jailli ! Cela donne l’impression que LUSI est une affaire de géologues, mais on affirme le
contraire. On ne distingue pas encore les limites de l’étendue de la crise. Ne serait-ce que
pour le fleuve Porong, des écologues et géomorphologues pourraient se partager le terrain
entre le chenal, le delta (lui-même divisé entre partie aérienne et sous-marine) et les nappes
aquifères environnantes. Et plus largement, du fait que la société est ébranlée sur les plans
politiques, culturels, économiques et sociaux, de nombreux chercheurs en sciences
humaines ont lieu d’être mobilisés.
En effet, la crise de Sidoarjo nous est apparue comme une « crise totale ». Nous reprenons le
terme d’un concept anthropologique : le « fait social total » inventé par Marcel Mauss
[1923]. Il désigne le fait que, lors de certains évènements, les différents domaines de la vie
sociale se mettent en scène (religion, politique, économique, juridique…), la société se
donnant ainsi à voir dans sa totalité. Ici, l’apparition de LUSI a bien été révélatrice des
64
différentes dimensions de la vie indonésienne locale. C’est donc loin de n’être qu’une affaire
scientifique.
Je considère que mon rapport est utile pour clarifier la question des rejets de boue dans le
Porong. On constate un grand manque de transparence et de communication de la part des
autorités à Sidoarjo. Aussi, au sujet du fleuve, je n’ai jamais entendu deux fois la même
chose. Outre les valeurs données à l’oral exagérées, ce sont les faits qui sont méconnus à la
fois des habitants et des équipes de travail sur le terrain de Sidoarjo. Certains ignorent que la
boue de LUSI est déversée dans le fleuve. Certains croient qu’on ne rejette que de l’eau, ils
ne savent pas que la boue se dépose, encore moins qu’elle s’accumule en formant des bancs
de quatre à cinq mètres d’épaisseur pendant la saison sèche. Ceux qui sont un peu mieux
renseignés ne savent pas pour autant comment cela fonctionne exactement. Ils ne savent
pas que la boue est fluidifiée au préalable avec l’eau du Porong, ou alors ils pensent que cela
fonctionne de la sorte depuis quelques mois seulement et non depuis le début. Et pour les
plus optimistes, il n’y a plus de trace de boue après cinq kilomètres vers l’aval ou encore, les
dépôts sont évacués en une à deux semaines après l’arrivée des pluies. De toute évidence, la
Kali Porong est une question périphérique surtout dans l’esprit des gens.
Pour être honnête, travailler sur un tel sujet a été difficile. Pour commencer, il a fallu passer
par de longues démarches administratives à la fois en France et en Indonésie. L’obtention du
visa spécial pour la recherche étant compliquée, j’ai dû reporter d’un mois ma date de
départ et par là même réduire la durée de mon stage au PVMBG. Une fois à Java, je n’ai pas
pu commencer à travailler directement car il m’a fallu deux semaines pour terminer les
démarches d’entrées. Cela s’est soldé par plusieurs allers-retours à RISTEK, le ministère de la
recherche, pour avoir les autorisations de travail et les lettres de recommandations pour les
autres bureaux ; à POLRI, le centre de police à Jakarta, pour avoir une autorisation de
circuler dans le pays ; au ministère de l’intérieur à Jakarta ; et au bureau de l’immigration à
Bandung pour le permis de séjour. À la fin des cinq mois, avant de quitter le territoire il a
fallu fournir un rapport au ministère de la recherche et remplir un nouveau dossier au
bureau de l’immigration. Là encore, cela a pris quelques jours.
Passé le côté administratif qui normalement donne au chercheur étranger la liberté de
travailler, les difficultés ont été d’un autre type une fois sur le terrain. Acquérir des données
dans les différents organismes visités a été laborieux. Très rarement on m’a remis facilement
les informations que je souhaitais pour mon étude. Peut-être cela tient-il au contexte
politique tendu de Sidoarjo qui implique un manque de transparence et qui veut qu’on se
méfie d’un visiteur étranger ? Beaucoup de mes interlocuteurs en tout cas ont été réticents
à mes demandes. J’ai souvent dû justifier de mon droit à effectuer des recherches mais le
côté officiel ne suffit pas. Dans une démarche déontologique tout à fait normale j’expliquais
mon projet à un responsable, et plusieurs fois on m’a renvoyé vers un autre responsable à
qui je devais reformuler mon discours. Pour ne pas être trop médisant, je dirais que ces
entretiens ont été intéressants et m’ont donné à réfléchir sur mon sujet. Il n’empêche que
cela ne me permettait d’avancer qu’à un rythme lent et j’avais l’impression qu’on essayait de
me décourager. Enfin, après les entretiens, et en dépit de mes autorisations, il est arrivé
qu’on me refuse des données brutes ou des rapports ou alors qu’on me donne le moins
d’informations possible. Un exemple frappant : une fois où je demandais des données sur la
pluviométrie, on a refusé que je les prenne sur format informatique et on m’a imprimé
65
quelques pages d’un rapport. Non seulement il s’agissait de la mauvaise année, mais en plus
des chiffres étaient illisibles car les tableaux de nombres étaient barrés en travers d’une
inscription en gras qui disait à qui appartiennent les données.
Malgré tout, je retiens ces difficultés comme une expérience positive. C’est aussi ça que j’ai
appris durant mon stage en Indonésie, savoir comment aborder les responsables pour leur
demander une information, comment leur présenter mon travail, comment formuler mes
demandes et comment insister aussi pour obtenir ce dont j’ai besoin. Avant d’arriver, j’avais
suivi un semestre de cours d’Indonésien à l’INALCO (Institut NAtional des Langues et
Civilisations Orientales). J’ai beaucoup progressé durant ces cinq mois dans le pays, d’autant
que je continuais d’étudier la langue par moi-même. Ce n’est que rarement que j’ai eu
recours à l’anglais pour communiquer. L’acquisition d’une nouvelle langue est un des
apports bénéfiques de ce stage.
Sur le plan intellectuel, j’ai beaucoup lu à propos du volcanisme de boue. Je n’en connaissais
rien avant de m’intéresser au sujet. En Indonésie, en plus de LUSI, j’ai aussi visité un autre
volcan de boue près de Sidoarjo qui était d’un tout autre type, ancien, solide et très peu actif
et j’ai discuté d’un autre cas, celui de Serang à Java Ouest, avec des employés du PVMBG qui
avait fait un rapport à son sujet *Zaennudin et al., 2007+. À Sidoarjo, il m’est arrivé de suivre
des équipes en mission sur le terrain. J’ai pu par exemple observer les mesures sur les
déformations du sol par géo-radar avec une équipe de Bandung ou accompagner un groupe
du BPLS lors des prélèvements hebdomadaires d’eau dans les rivières pour analyser la
composition. Enfin, dans l’optique de lire et travailler sur des données que j’avais obtenues,
j’ai appris quelques maniements informatiques sur les logiciels de cartographie Mapinfo et
Global Mapper au PVMBG grâce à un employé de la division glissements de terrain, Pak
Tutang.
L’expérience de Sidoarjo a été intense, absolument passionnante mais aussi très difficile
pour les raisons évoquées plus avant. Théâtre d’une crise totale il est en plus oppressant d’y
vivre et d’y travailler. Je ne m’en rendais pas compte avant d’y séjourner. Il fait très chaud et
il n’y a pas d’ombre. Il y a l’odeur du volcan de boue, plus forte à certains moments qu’à
d’autres. Le bruit et le désordre sont la règle. On est obligé de passer beaucoup de temps
dans les embouteillages. Et par ailleurs, il est impossible de se faire discret pour un
Occidental. Alors on a l’impression de se faire harceler à chaque coin de rue (entre autres
par les nouveaux guides touristiques du site). Mais ce sont surtout les difficultés à mener
personnellement une recherche qui me retiennent de poursuivre mes études sur le même
sujet. Il me tient à cœur de revenir pour voir comment le tout a évolué. Mais la lourdeur
administrative, mon sentiment d’isolement face à l’immensité et la complexité du terrain,
ainsi que la peine à recueillir des données rendent surtout désagréable de travailler autour
de LUSI. Or je ne me sens pas capable de conduire une recherche géographique en
éprouvant une quelconque réticence vis-à-vis de mon terrain. Se pose alors la question de la
continuité que je peux donner à mon travail de 1 re année de master ? Je m’intéresse
toujours aux problématiques portant sur les dynamiques sédimentaires en milieu fluvial. Les
déstabilisations géomorphologiques des cours d’eau, les systèmes en équilibre dynamique,
les réponses des milieux à des perturbations d’origine anthropique sont le type de
problématiques qui me passionnent et qui restent assez générales pour offrir un large choix
de terrains possibles. Je garde à l’esprit que j’ai encore le temps de trouver les thématiques
66
sur lesquelles me spécialiser et je suis aussi ouvert à d’autres cas d’étude comme les
glissements de terrain ou les problèmes d’érosion sur les littoraux, en particulier les côtes
d’accumulation.
J’ai acquis de l’expérience au cours de ce stage en Indonésie. Et même si je décide
finalement de ne pas continuer à travailler sur la crise de Sidoarjo comme c’était ma
première intention, un tel sujet me semble très porteur et a pu me donner des armes pour
poursuivre ma formation dans des domaines variés.
67
BIBLIOGRAPHIE
Aliyev A.A., Gasanov A.G. et Bairamov A.A., 2001. Earthquakes and activation of mud
volcanism (cause and interaction), Nafta-Press, p. 26-39
Aliyev A.A., Guliyev I.S. et Belov I.S., 2002. Catalogue of recorded eruptions of mud
volcanoes of Azerbaijan (for period of years 1810-2001), Nafta-Press, Baku, 89 p.
Aliyev A.A., 2003. Recent eruptions of mud volcanoes in Azerbaijan (geologic-geochemical
aspect), AAPG Annual Convention, May 11-14, Salt Lake City, Utah, États-Unis
Arafin S., 2005. Three-dimensional gravity modelling of a Trinidad mud volcano, West Indies,
Exploration Geophysics, vol. 36, n° 3, p. 329-333
Aslan A., Warne A.G., White W.A., Guevara E.H., Smyth R.C., Raney J.A., et Gibeaut J.C.,
2001. Mud volcanoes of the Orinoco delta, eastern Venezuela, Geomorphology, vol. 41, p.
323-336
Bellair P. et Pomerol C., 1982 (1re éd. 1965). Éléménts de géologie, ed. Armand Colin, coll. U,
Paris, 495 p.
Bravard J.P., 1997. Les cours d’eau. Dynamique du système fluvial, coll. U. Géographie, ed. A.
Colin, 221 p.
Chiodini, G., D’Alessandro W. et Parello F., 1996. Geochemistry of gases and waters
discharged by the mud volcanoes at Paterno, Mt Etna (Italy), Bull. Volcanol., n°58, p. 51-58
Çifçi G., Limonov A. , Dimitrov L. et Gainanov V., 1997. Mud Volcanoes and Dome-Like
Structures at the Eastern Mediterranean Ridge, Marine Geophysical Researches, vol. 19, n° 5,
p. 421-438
Clennell M.B., 1992. The mélanges of Sabah, Malaysia, Ph.D thesis, Univ. of London, London,
UK, 483 p.
Cooper C., 2001. Mud volcanoes of the South Caspian Basin-seismic data and implications for
hydrocarbon systems, AAPG Bulletin, vol. 85, n°13, p. 231-245
Davies R., Swarbrick R., Evans R. et Husse M., 2007. Birth of a mud volcano : East Java, 29
May 2006, GSA Today, vol. 17, n°2, p. 4-9
Davies R., Brumm M., Manga M., Rubiandini R., Swarbrick R. et Tingay M., 2008. The East
Java mud volcano (2006 to present): An earthquake or drilling trigger?, Earth and Planetary
Science Letters, vol. 272, ed. Elsevier, p. 627-638
Debelmas J. et Mascle G., 2004 (1re éd. 1991). Les grandes structures géologiques, ed.
Dunod, coll. Sciences Sup, Paris, 312 p.
68
Delisle G., Von Rad U., Andruleit H., Von Daniels C., Tabrez A., et Inam A., 2002. Active mud
volcanoes on- and off-shore eastern Makran, Pakistan, Int. J. Earth Science, vol. 91, p. 93-110
Dimitrov L.I., 2002. Mud volcanoes - the most important pathway for degassing deeply
buried sediments. Earth-Science Rev., 59, 49-76.
DPRI Newsletter (Disaster Prevention Research Institute), 1995. Disasters caused by floods
and geomorphologic charges and their mitigation, ed. Kyoto University
Etiope G., Caracausi A., Favara R., Italiano F. et Baciu C., 2002. Methane emission from the
mud volcanoes of Sicily (Italy), Geoph. Res. Lett., vol. 29, n° 8
Etiope G., Feyzullayev et Baciu C., 2008. Terrestrial methane seeps and mud volcanoes: A
global perspective of gas origin, Marine and Petroleum geology, Elsevier, p. 1-12
Evers M., Eruption displace thousands in Indonesia, Spiegel Online International, n°41
(October 10, 2006), http://www.spiegel.de/international/spiegel/0,1518,442408,00.html
Fujita M., Satofuka Y. et Egashira S., 2005. Sediment runoff in the Brantas River Basin after
the eruption of Mt. Kelude 1990, First International Workshop on Water and Sediment
Management in Brantas River Basin, July 28-29, Batu, East Java, Indonesia
Gallagher R., 2003. Mysterious phenomena fascinate scientists and tourists, Mud Volcanoes,
ed. Azerbaijan International, p. 44-49
Gerven van M. et Pichler H., 1995. Some aspects of the volcanology and geochemistry of the
Tengger Caldera, Java, Indonesia : eruption of a K-rich tholeiitic series, Journal of Southeast
Asian Earth Sciences, vol. 11, n° 2, Elsevier, p. 125-133
Girault F., Bouysse P. et Rançon J.-P., 1998. Volcans vus de l’espace, ed. Nathan, Paris, 192 p.
Graue K., 2000. Mud volcanoes in deepwater Nigeria, Mar. Pet. Geol., n°17, p. 959-974
Gupta A. et Krishnan P., 1994. Spatial distribution of sediment discharge to the coastal
waters of South and Southeast Asia, Variability in stream erosion and sediment transport
(proceeding of the Canberra symposium, December 1994), n° 224, ed. IAHS
Haese R., Hensen C. et de Lange G.-J., 2006. Pore water geochemistry of eastern
Mediterranean mud volcanoes: implications for fluids transport and fluid origin, Marine
Geology, n°225, ed. Elsevier, p. 191-208
Higgins G.E. et Saunders J.B., 1967. Report on the 1964 Chatham mud island, Erin Bay,
Trinidad, West Indies, AAPG, vol. 51, p. 55-64
Higgins G.E. et Saunders J.B., 1974. Mud volcanoes, their nature and origin. Verhandlungen
der Naturforschenden Gesellschaft in Basel, vol. 84, n° 1, p. 101-152
69
Hoebreck C., 2007. De boue et de fureur, mémoire de M1, Paris1 Panthéon-Sorbonne, 70 p.
Hovland M., Hill A. et Stokes D., 1997. The structure and geomorphology of Dashgil mud
volcano, Azerbaidjan, Geomorphology, vol. 21, n°1, p. 1-15
Ivanov V.F., Molchanov Y.F. et Korzhenevskiy V.V., 1989. Vegetation and soil formation on
eruptions of mud volcanoes in the Crimea, Soviet Soil Science, vol. 21, n°4, p. 11-18
Ivanov M.K., Limonov A.F. et Van Weering T.C.E., 1996. Comparative characteristics of the
Black Sea and Mediterranean ridge mud volcanoes, Marine Geology, vol. 132, n° 1-4, p. 253271
Jabukov A.A., Ali-Zade A.A. et Zeinalov M.M., 1971. Mud Volcanoes of the Azerbaijan SSR,
Acad. of Sci. of the Azerbaijan SSR, Baku, Azerbaijan, 257 p.
Jarrard R., 1986. Relation among subduction parameters, Review of Geophysics, vol. 24, n°2,
p. 217-284
Kangi A., 2007. The role of mud volcanoes in the evolution of Hecate Tholus Volcano on the
surface of Mars, Acta Astronautica, vol. 60, p. 719-722
Kikkeri R., 2004. Brantas River basin case study, Indonesia, World Bank, 76 p.
Knighton A.D., 1998. Fluvial Forms and Processes: A New Perspective, ed. Arnold, Londres,
383 p.
Kopf A., Alastair H.F. et Robertson, (posterieur à 2001). Mud volcanoes in the eastern
Mediterranean, Ocean Drilling Program Legacy,
http://www.odplegacy.org/PDF/Outreach/Brochures/Greatest_Hits2/kopfrobertson.pdf
Kopf A., 2002. Significance of mud volcanism, Reviews of Geophysics, vol. 40, n°2, ed. The
American Geophysical Union, p. 1-52
Kopp H., Fluech E.R., Peterson C.J., Weinrebe W. et Wittwer A., 2006. The Java margin
revisited: Evidence for subduction erosion off Java, Earth and Planetary Science Letters, vol.
242, Elsevier, p. 130-142
Kugler H. G., 1939. Visit to Russian oil districts, J. Inst. Pet. Technol, Trinidad, vol. 25, n° 184,
p. 68–88
Lance S., Henry P., Le Pichon X., Lallemant S., Chamley H., Rostek F., Faugeres J.C., Gonthier
E. et Olu K., 1998. Submersible study of mud volcanoes seaward of the Barbados
accretionary wedge: sedimentology, structure and rheology, Marine Geology, vol. 145, p.
255-292
70
Lavigne F. et Gunnell Y., 2006. Land cover change and abrupt environmental impacts on
Javan volcanoes, Indonesia: a long-term perspective on recent events, Regional
Environmental Change, vol. 6, p. 86-100
Lavrushin V., Polyak B., Prasolov R. et Kamenskii I., 1996. Sources of material in mud volcano
products (based on isotopic, hydrochemical, and geological data), Lithol. Miner. Resour., vol.
31, n°6, p. 557-578
Ledésert B., Buret C., Chanier F., Ferriere J. et Potdevin J. L., 2001. Distribution and
petrographic analysis of tubular concretions in the inner domain of the Hikurangi active
margin, New Zealand, Paper presented at Conference on Subsurface Sediment Mobilization,
Eur. Assoc. of Geosci. and Eng., Gent, Belgique
Manga M., Brumm M. et Rudolph M., 2009. Earthquake triggering of mud volcanoes, Marine
and Petroleum Geology, Elsevier, p. 1-14
Mashuri, (date inconnue). Management of Brantas River in the aspect of exploitation and
controlling, East Java Water Resource Service, p. 43
Matthews S. et Bransden P., 1995. Late Cretaceous and Cenozoic tectono-stratigraphic
development of the East Java Sea Basin, Indonesia, Marine and Petroleum geology, vol. 12,
n° 5, Elsevier, p. 499-510
Mauss M., 1923. Essai sur le don, l'Année sociologique, (rééd. in Marcel Mauss, Sociologie et
anthropologie, coll. Quadrige, ed. PUF, 2001)
Mazzini A., Svensen H., Akhmanov G.G., Aloisi G., Planke S., Malthe-Sørenssen A. et Istadi B.,
2007. Triggering and dynamic evolution of the LUSI mud volcano, Indonesia, Earth and
Planetary Science Letters, vol. 261, n°3-4, ed. Elsevier, p. 375-388
Milkov A. V., 2000. Worldwide distribution of submarine mud volcanoes and associated gas
hydrates, Marine Geology, vol. 167, Elsevier, p. 29-42
Milkov A.V., Sassen R., Apanasovich T.V. et Dadashev F.G., 2003. Global gas flux from mud
volcanoes: a significant source of fossil methane in the atmosphere and the ocean, Geoph.
Res. Lett., vol. 30, n°2
Milne A., 1997. Anatomy of a mud volcano, Volcano Special,
http://www.vulkaner.no/v/volcan/bcmudvol.html
Morgan J., Mud eruption ‘caused by drilling’, BBC News, 1er novembre 2008,
http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/7699672.stm
Murton B. et Biggs J., 2001. Numerical modeling of mud volcanoes and their flows using
constraints from the Gulf of Cadiz, Marine Geology, vol. 195, p. 223-236
Omachi T. et Musiake K., 2004. Changes of runoff mechanism of the Brantas River over the
past 30 years, paper presented to the joint 2004 Asia Oceania geosciences Society (AOGS) 1st
71
Annual Meeting and 2nd Asia Pacific Association of Hydrology and Water Ressources (APHW)
Conference, 5-9 July 2004, Singapore
Pettinga J., 2003. Mud volcano eruption within the emergent accretionary Hikurangi margin,
southern Hawke’s Bay (New Zealand), New Zealand Journal of Geology & Geophysics, Vol.
46, ed. The Royal Society of New Zealand, p. 107-121
Rakhmanov R.R., 1987. Mud volcanoes and their significance in prognostics of the depths oiland-gas content, Nedra, Moscow, 174 p.
Simon A. Et Rinaldi M., 2006. Disturbance, stream incision, and channel evolution: The roles
of excess transport capacity and boundary materials in controlling channel response,
Geomorphology, vol. 79, Elsevier, p. 361-383
Takara K., Nakayama D., Tachikawa Y., Sayama T., Nakagawa H., Satofuka Y., Egashira S. et
Fujita M., A rainfall-sediment-runoff model in the upper Brantas River, East Java, Indonesia,
Kyoto Daigaku Bōsai Kenkyūjo nenpō, n°44, ed. Kyoto University, p. 247-257
Takeuchi K., Jayawardena A. et Takahasi Y., 1995. Catalogue of rivers for Southeast Asia and
the Pacific, IHP Regional Steering Committee for Southeast Asia and the Pacific, 289 p.
Tingay M., Heidbach O., Davies R. et Swarbrick R., 2008. Triggering of the Lusi mud eruption:
earthquake versus drilling initiation, Geology, vol. 36, n°8, ed. The Geological Society of
America, p. 639-642
Trimmer W. L., 1994. Estimating flow rates, Oregon State University, 7p.
United Nations (Ocha), 2006. Environmental Assessment. Hot mud flow. East Java, Indonesia,
Joint UNEP/OCHA Environment Unit, Geneva (Switzerland), 55 p.
Westphal M., Whitechurch H. et Munschy M., 2002. La tectonique des plaques, ed. GB
Science Publisher, coll. Géosciences, Paris, 322 p.
Wiedicke M., Neben S. et Spiess V., 2001. Mud volcanoes at the front of the Makran
accretionary complex, Pakistan, Marine Geology, vol. 172, Elsevier, p. 57-73
Yakubov A.A., Grigoriants B.V. et Aliyev A.A., 1980. Mud volcanism of the Soviet Union and
relation with oil-and-gas content, ELM, Baku, 164 p.
Yassar N., 2002. Mud volcanoes, ed. Univ Waterloo,
http://www.earth.uwaterloo.ca/services/whaton/waton/f912.html
Yin P., Berné S., Vagner P., Loubrieu B. et Liu Z., 2003. Mud volcanoes at the shelf margin of
the East China Sea, Marine geology, vol. 194, Elsevier, p. 135-149
Zaennudin A., Syahbana D., Dasa Y. et Sukarnen, 2007. Kemunculan gas di kabupaten Serang,
Banten, PVMBG, p. 11
72
TABLE DES MATIÈRES
SOMMAIRE
p. 3
I. Objectifs, méthode et stage au PVMBG
p. 7
I. 1. Présentation de l’organisme d’accueil, le PVMBG
I. 2. Organisation de mon travail sur le volcan de boue de Sidoarjo
II. Introduction, retour sur le volcanisme de boue et approche du cas
particulier de Sidoarjo
II.1. Situation humaine et physique
II.2. Retour épistémologique « sur les volcans de boue »
II.3. Localisation, origine et mécanisme des volcans de boue
II.4. Géomorphologie : une grande variété de volcans de boue malgré un principe
de fonctionnement commun
II.5. La singularité de LUSI dans le paysage mondial des volcans de boue
II.6. Le contexte politique de Sidoarjo, polémique sur l’origine du phénomène
II.7. Gestion de crise et tentatives de réduction des éruptions
II.8. Les dommages sociaux, matériels et environnementaux
III. Présentation générale du fleuve Porong, exutoire du bassinversant du Brantas
III. 1. Le fleuve Porong, exutoire du bassin-versant du Brantas
III. 2. Utilisation des cours d’eau du bassin-versant, aménagements et aspects
socio-économiques
III. 3. Politiques de lutte contre le risque inondation
III. 4. Les entrées sédimentaires : aggradation des chenaux par les éruptions du
volcan Kelud et par l’érosion des sols due à la déforestation
III. 5. Les sorties et les stocks sédimentaires : retenues par les barrages, activités
d’extraction et progradation du delta du Porong
III. 6. Les rejets de cendres du Kelud dans le bassin-versant du Brantas et les
rejets de boue de LUSI dans le Porong, des situations comparables ?
p. 7
p. 8
p. 10
p. 10
p. 11
p. 12
p. 14
p. 15
p. 16
p. 19
p. 20
p. 22
p. 22
p. 23
p. 24
p. 24
p. 25
p. 26
IV. Le contexte global de crise environnementale de Sidoarjo et la
question spécifique des rejets de boue dans le fleuve Porong
p. 28
IV. 1. L’incontinence de LUSI, des éruptions de boue rythmées, abondantes et
incessantes
IV. 2. L’ensevelissement total de villages par la boue
IV. 3. Subsidence et déformations du sol
IV. 4. Entretien et disparition des digues au centre
p. 28
p. 29
p. 30
p. 33
73
IV. 5. Émanations de gaz, d’eau et de boue à l’ouest, en périphérie habitée
IV. 6. L’eau superficielle salée du bassin de boue déversée dans des rivières utiles
à l’irrigation des champs au nord et à l’est
IV. 7. Les rejets de la boue dans le fleuve Porong au sud
IV. 8. Une répartition géographique des problèmes environnementaux de
Sidoarjo, schéma d’enjeux et d’acteurs
V. La boue dans le fleuve Porong, analyse de l’évolution
géomorphologique du chenal en 2008
V. 1. Organisation du rejet de la boue
V. 2. Choix des profils étudiés, justification et corrections effectuées
V. 3. Comparaison des profils d’avril avec ceux d’octobre, l’épaisseur maximale
des dépôts
V. 4. Phases et rythmes de dépôt et d’érosion de la boue dans le chenal
V. 5. Comparaison des profils janvier 2008-janvier 2009 et février 2008-février
2009 : retour à l’allure initiale du chenal au bout d’un an
V. 6. Discussion, un équilibre dynamique du Porong à travers l’existence de cycles
géomorphologiques ?
VI. Les répercussions des changements dans le fleuve sur la
population riveraine, le lien entre géomorphologie et aspects socioéconomiques
VI. 1. Objectifs et déroulement de l’enquête
VI. 2. Profil de la population interrogée
VI. 3. Le fleuve Porong dans la vie des habitants, évolution des usages et
changements perçus depuis 2006
VI. 4. En quoi les riverains du fleuve sont-ils acteurs dans la crise ?
p. 34
p. 36
p. 37
p. 38
p. 41
p. 41
p. 43
p. 44
p. 48
p. 53
p. 53
p. 57
p. 57
p. 57
p. 60
p. 62
VII. Conclusion, difficultés, intérêts et poursuite
p. 64
BIBLIOGRAPHIE
p. 68
TABLE DES MATIÈRES
p. 73
TABLE DES FIGURES
p. 75
74
TABLE DES FIGURES
Fig. 1. Entrée du PVMBG, Bandung
p. 7
Fig. 2. Localisation de Bandung (PVMBG) et de Sidoarjo sur l’île de Java,
Indonésie
p. 9
Fig. 3. DEBELMAS
p. 11
Fig. 4. Répartition mondiale des volcans de boue connus
p. 13
Fig. 5. Les signes d’existence de la faille de Watukosek dans la région de
Sidoarjo
p. 18
Fig. 6. Le bassin-versant du Brantas dans la province de Java Est
p. 23
Fig. 7. Le Porong, fleuve canalisé
p. 23
Fig. 8. L’épandage des boues de LUSI d’année en année
p. 29
Fig. 9. Les migrations résidentielles
p. 31
Fig. 10. Les embouteillages permanents le long de la voie ferrée et de la digue
à l’ouest
p. 32
Fig. 11. Les déformations du sol et les remontées de gaz en périphérie
p. 33
Fig. 12. Digue qui sombre sous la boue à l’intérieur du bassin de LUSI
p. 34
Fig. 13. Conditions de vie insalubres d’une habitante de Siring, à l’ouest, qui
n’arrive pas à déménager par manque de moyens
p. 35
Fig. 14. Éruption de boue et de gaz plus grave que d’habitude à Siring (ouest)
au début du mois de Juillet 2009
p. 36
Fig. 15. Rejets de l’eau superficielle salée du bassin de boue dans les rivières
au nord et à l’est
p. 37
Fig. 16. Les rejets de boue dans le fleuve Porong au sud
p. 37
Fig. 17. Schéma d’enjeux et d’acteurs de la crise de Sidoarjo
p. 39
Fig. 18. Rejets de la boue de LUSI dans le fleuve Porong en saison sèche
p. 41
Fig. 19. Schéma du processus destiné à rendre la boue plus liquide avant de la
rejeter dans le fleuve au sud
p. 42
75
Fig. 20. Nappes de boue emportées par le courant pendant la saison des pluies
p. 42
Fig. 21. Localisation des 11 profils en travers du Porong sélectionnés pour
observer l’évolution géomorphologique du chenal au cours de l’année 2008
p. 44
Fig. 22. Hauteur maximale des dépôts dans le Porong en 2008
Fig. 23. Phases et rythmes de l’évolution géomorphologique du chenal d’avril
2008 à février 2009
p. 4749
Fig. 24. Gros-plan des bancs de boue dans le chenal en saison sèche
p. 5051
p. 52
Fig. 25. Diagramme de Hjulström
p. 52
Fig. 26. Retour à l’allure initiale du chenal en fin de saison des pluies
p. 54
Fig. 27. Schéma des variables dont dépend l’équilibre dynamique du Porong
depuis que l’on y rejette la boue de LUSI
p. 56
Fig. 28. Précipitations annuelles à Java Est
p. 56
Fig. 29. Liste des questions qui ont été posées oralement à 31 habitants de six
villages à proximité du fleuve Porong lors d’entretiens les journées du 16, 17
et 18 mai 2009
p. 5859
Fig. 30. Localisation de la population interrogée lors de l’enquête par
questionnaire (16, 17 et 18 mai 2009)
p. 60
Fig. 31. Manifestation rassemblant les habitants de trois villages au sud pour la
prise en compte de leurs problèmes
p. 62
76
RÉSUMÉ
Depuis trois ans que le volcan de boue « LUSI » est apparu de façon subite à
Sidoarjo en périphérie de la métropole Surabaya, se déroule une grave crise
environnementale doublée d’un scandale politique (car la compagnie
pétrolière PT Lapindo Brantas, propriété de la famille d’un membre du
gouvernement indonésien, s’en défend, mais pourrait bien être responsable
d’avoir déclenché le phénomène en effectuant un forage). Outre les éruptions
de boue qui ont enseveli quatre villages et déplacé une trentaine de milliers
d’individus, bien d’autres problèmes existent en périphérie, principalement des
sorties localisées de gaz explosifs, d’eau et de boue, dans le village de Siring à
l’ouest, qui remontent par le réseau de failles du sol auxquelles s’ajoutent des
fissurations dans le bâti à cause de la subsidence intense dans le secteur. Dans
les rivières au nord et à l’est, on déverse l’eau superficielle (presque aussi salée
que l’eau de mer) du grand bassin de boue contenu par des digues. Ces cours
d’eau étant utiles à l’irrigation, les champs deviennent salés. Et au sud, depuis
2006, c’est la boue elle-même qui est rejetée dans le fleuve Porong. Elle est
emportée en nappes par le courant pendant la saison des pluies, mais elle se
dépose sur plusieurs mètres d’épaisseur en saison sèche. Les défis immenses
de gestion d’urgence qui se posent aux autorités les contraignent à étendre les
conséquences en périphérie qui sont ensuite subies par une population qui a
du mal à faire reconnaître qu’elle est, elle aussi, victime. L’analyse, mois par
mois, de onze profils en travers du fleuve au cours de l’année 2008 ont permis
de dégager l’évolution géomorphologique du Porong en aval des rejets sur une
année. Les résultats laissent penser que la situation n’est pas aussi dramatique
qu’elle en a l’air. Il semble que le bilan sédimentaire s’équilibre sur un pas de
temps annuel entre la phase de dépôt et celle d’érosion. Des cycles se
mettraient en place, permettant à l’ensemble de la boue d’être évacuée
pendant les mois d’octobre à avril malgré une aggradation pluri-métrique
d’avril à octobre.
Mots-clés : volcan de boue ; Sidoarjo ; LUSI ; Porong ; crise environnementale ; entrées,
stocks et sorties sédimentaires ; aggradation ; incision de chenal ; cycle géomorphologique
77

Documents pareils