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Boris LANCHON-ARMAND Master 1 de Géographie -spécialité Espaces, Dynamiques des Milieux et Risques- Les rejets de boue dans le fleuve Porong au sein de la crise environnementale de Sidoarjo : impacts sur l’évolution hydro-géomorphologique (Java Est, Indonésie) RAPPORT de STAGE de RECHERCHE Centre de Volcanologie et de Mitigation des Catastrophes Géologiques (Pusat Vulkanologi dan Mitigasi Bencana Geologi) Bandung, Indonésie Dr. SURONO, maître de stage, et Pr. Franck LAVIGNE, coordinateur du stage à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Septembre 2009 Il y a des volcans ivres à la dérive Aimé Césaire Moi Laminaire 1982 2 SOMMAIRE REMERCIEMENTS p. 4 I. Objectifs, méthode et stage au PVMBG p. 7 II. Introduction, retour sur le volcanisme de boue et approche du cas particulier de Sidoarjo p. 10 III. Présentation générale du fleuve Porong, exutoire du bassin-versant du Brantas p. 22 IV. Le contexte global de crise environnementale de Sidoarjo et la question spécifique des rejets de boue dans le fleuve Porong p. 28 V. La boue dans le fleuve Porong, analyse de l’évolution géomorphologique du chenal en 2008 p. 41 VI. Les répercussions des changements dans le fleuve sur la population riveraine, le lien entre géomorphologie et aspects socio-économiques p. 57 VII. Conclusion, difficultés, intérêts et poursuite p. 64 BIBLIOGRAPHIE p. 68 TABLE DES MATIÈRES p. 73 TABLE DES FIGURES p. 75 3 REMERCIEMENTS Ce rapport où je présente le projet qui m’a occupé plus d’un an à partir du moment où j’ai commencé à m’y intéresser mérite de commencer par les remerciements de ceux qui ont concouru à sa réalisation. Voici les personnes qui m’ont accompagné tout au long de son déroulement ou qui sont intervenues dans les moments clés. L’idée d’aller travailler à Sidoarjo a d’abord germé dans la tête de mon professeur Franck Lavigne. Il est venu en discuter avec moi au mois de mai 2008 et a su me convaincre. Il a su élever mes ambitions et je veux avant tout lui être reconnaissant pour cela. Par la suite, alors qu’il était déjà très occupé puisqu’il s’est vu nommé cette année Professeur des Universités il s’est personnellement investi pour mener à bien le projet et trouver des aides financières. Sa force de travail m’a beaucoup impressionné. Aucun doute que les pistes de recherche ouvertes à Sidoarjo l’ont amadoué, lui, autant que moi, Franck est un passionné. Il ne m’a pourtant jamais mis de pression, il est toujours resté à mon écoute et au service de mon épanouissement personnel. Toujours optimiste, Franck est un vrai moteur. Et puis avec sa bonne humeur, le travail est encore plus plaisant. Pas la peine de vanter toutes ses qualités, ça ne ferait que le mettre mal à l’aise. Je dirais simplement qu’il y a certaines rencontres qui deviennent des aventures et tel a été le cas avec Franck. J’ai eu à Bandung beaucoup de chance d’avoir été encadré par Pak Surono. Chef du centre, beliau masih sibuk, il ne se repose que très peu et il est constamment sollicité aux quatre coins de l’Indonésie. Malgré cela il est toujours resté disponible pour moi. Il a suivi le cours de mes recherches et veillait à ce que j’obtienne ce dont j’avais besoin pour avancer. Il est parfois intervenu de son statut pour que j’obtienne ce qui n’aurait pas été possible par moimême (données, contacts, accélération des formalités administratives…). Et si je me sens avoir été aussi bien accueilli, c’est aussi que son soutien a dépassé le cadre professionnel. Avec un certain côté paternaliste, il a fait en sorte que je m’intègre bien dans ce nouveau pays. Il m’a hébergé et fait partager sa vie de famille, le temps de trouver un logement. J’éprouve à son égard, en plus d’un grand respect, une grande sympathie. Au PVMBG de Bandung, je tiens aussi à remercier ceux que j’ai eu le plaisir et le luxe de fréquenter : Mbak Sofie Yusmira Oktane W. qui a mis beaucoup d’énergie à régler et à accélérer mes formalités administratives. Je salue son efficacité autant que sa gentillesse ; Pak Hendra Gunawan qui m’a accueilli dans son bureau et m’a guidé plusieurs fois dans des centres à Bandung pour trouver des informations ; Pak Tutang qui m’a toujours reçu avec le sourire et m’a accordé du temps quand je venais lui demander de l’aide sur le logiciel MapInfo pour traiter mes données ; Pak Umar et Pak Zaennudin qui m’ont fourni des données précieuses ; Pak Devy Kamil Syahbana grâce à qui j’ai pu m’insérer dans le réseau des scientifiques de Sidoarjo, régulièrement chef de mission sur le terrain, il m’a guidé, fourni des données et emmené avec son équipe lors de mesures par géo-radar. Lui aussi m’a aidé à m’intégrer à la vie de Bandung, notamment en m’accompagnant chercher un logement dans un quartier vivant ; Mbak Syegi Lenarahmi Kunrat qui contribue largement à la bonne ambiance du centre et qui m’a fait découvrir aux pauses de midi d’excellents endroits pour apprécier la cuisine indonésienne et en particulier la cuisine sundanaise locale. 4 Du côté de Sidoarjo, je n’ai pas eu de soutien aussi cher que celui de Pak Handoko T. Wibowo. Il est l’un des rares avec qui j’ai pu nouer une relation de confiance réciproque. Il m’a à la fois guidé sur le terrain et guidé dans les bureaux pour que j’obtienne les données me permettant de réaliser mon étude. Et si cela n’est pas assez, il m’a aussi hébergé une semaine chez lui pour être sûr que je séjourne dans de bonnes conditions. J’ai aussi trouvé un soutien chez son frère, Pak Handoyo qui m’a conduit souvent en moto, et Pak Dodie qui m’a emmené voir le cratère de LUSI au plus près juste avant que la digue ne sombre, qui m’a guidé dans certains bureaux de la compagnie Lapindo Brantas (même si là, je n’ai pu obtenir aucune donnée), qui m’a prêté sa moto, avec qui j’ai beaucoup discuté, et qui m’a aidé à avoir un regard critique sur les personnes rencontrées. Je remercie plus généralement le BPLS (Badan Penanggulangan Lumpur Sidoarjo, l’organisme d’état qui supervise la crise sur le terrain), à la fois du côté des bureaux (Pak Soffian Hadi, Pak Aris Harhanto, Pak Bajuri Edy C.) où se trouvent de riches données, et du côté du terrain, l’équipe de géologues qui m’a guidé et emmené une journée effectuer des mesures sur la qualité de l’eau. Merci à Dr. Van S. Williams, géomorphologue de l’USGS, qui avait demandé à me rencontrer à Surabaya après que Pak Devy Kamil Siahbana lui ait parlé de moi. Notre entretien m’a beaucoup donné à réfléchir et m’a redonné un élan de courage du fait que nous soyons d’accord sur les mêmes idées et qu’il me transmette beaucoup d’informations qu’il avait en sa possession à un moment où j’en manquais justement. Pour réaliser mon enquête de terrain en mai, je suis allé voir au Centre Culturel Français de Bandung si des étudiants étaient intéressés pour m’aider. Je me suis trouvé face à une classe très motivée à tel point que je n’ai pas su qui choisir. Ils se sont mis d’accord entre eux et trois étudiantes sont venues m’accompagner quelques jours à Sidoarjo : Ferli (Ferli Hasanah), Dede (Retna Dewi Anugrah) et Isti (Endah Istiqomah Apriliani). Elles ont été blagueuses et travailleuses. Elles ne semblaient jamais fatiguées malgré les longues journées de terrain. Pouvoir travailler pour une fois en équipe a fait de ces quelques jours l’un des meilleurs moments des cinq mois. Elles sont passionnées par la France et je leur souhaite de pouvoir venir aussitôt qu’elles le pourront. J’adresse également des remerciements au centre d’hydrologie de Bandung (le Pusat Litbang Sumber Daya Air) où j’ai pu retirer des données et où on a cherché à m’aider avec sincérité. Merci en particulier à Pak Isdana, Pak Irfan Sudono et Bu Tari ainsi qu’à Mbak Novi Rahmawati qui a été d’un grand dévouement. Elle a recherché pour moi des informations pendant plusieurs jours, me tenant régulièrement au courant des avancées, et me les a envoyées en France quand j’étais déjà rentré. Il y a aussi Delphine Grancher. Son aide aussi bien intellectuelle qu’organisationnelle a été indispensable tout au long du projet. Si Franck est optimiste, elle, est réaliste. Elle aurait presque pu figurer sur la page de garde tant elle m’a accompagné tout au long du projet. Et, je ne voulais pas non plus oublier de remercier ces trois personnes : Charles Lecoeur, en tant que directeur du laboratoire de géographie physique de Meudon, qui m’a rédigé, sans délai, la lettre de recommandation nécessaire à l’obtention de mon visa, qui, lui, a connu des délais, ainsi qu’en tant que professeur car sa manière géographique de penser et les concepts qu’il prône (notamment la distinction entre conséquences directes et 5 conséquences indirectes) m’ont semble-t-il inspiré et aidé à réfléchir à la crise de Sidoarjo ; Etienne Cossart pour ses conseils bibliographiques, mais également pour ses enseignements qui m’ont eux aussi permis d’élaborer une vision systémique de la crise. Ce sont en partie les clés de compréhension dont il m’a fait disposer qui me font me sentir aujourd’hui devenir géographe ; et Béatrice Ledésert, géologue de l’université de Cergy-Pontoise et spécialiste du volcanisme de boue, qui m’a autorisé à la rencontrer en septembre 2008 pour m’expliquer le phénomène et qui m’a fait don d’une riche bibliographie. Et puis mes proches. Mes parents, Jocelyne Armand et Pierre Lanchon. Je crois qu’ils ont mieux appris ce que pouvait être la géographie à travers ce projet de recherche. Ils se sont montrés très intéressés et, d’une manière générale, cela a toujours entretenu ma motivation, le fait qu’on s’intéresse à mon travail. Ils m’ont soutenu financièrement et je remercie ma mère pour m’avoir en plus allégé de certaines de mes affaires en France que je ne pouvais pas régler quand j’étais en Indonésie ainsi que pour son travail de relecture. Une grosse étape a été les formalités administratives pour demander le visa VITAS 315, spécial recherche. Et là, je remercie Nathalie Bertho pour avoir corrigé mes Research Proposal, C.V. et autres lettres en anglais. Merci enfin à l’association Planet Risk qui s’est intéressée à mon projet et qui m’a accordé sa confiance. Je peux dire que leur soutien financier a été profitable. Toutes ces personnes et organismes salués ici me donnent envie de faire vivre plus longtemps ce travail qui a été effectué. Il n’a de sens selon moi que si nous pouvions le faire valoriser. Outre le désir de publier un article scientifique, je réfléchis à une possible exposition ou présentation orale. Cela restera sinon toujours un plaisir d’en parler avec quiconque affiche de l’intérêt pour le sujet. 6 I. Objectifs, méthode et stage au PVMBG I. 1. Présentation de l’organisme d’accueil, le PVMBG J’ai été accueilli du 5 mars au 5 août 2009 à Bandung au PVMBG (Pusat Vulkanologi dan Mitigasi Bencana Geologi) le Centre de Volcanologie et de Mitigation des Catastrophes Géologiques en Indonésie (Fig. 1.). J’ai été encadré durant ces cinq mois par M. Surono, directeur du centre. Le PVMBG est un organisme créé par l’état qui a pour rôle principal l’évaluation et la prévention des risques naturels en Indonésie. Il est chargé également de fournir des recommandations techniques aux autorités locales en cas d’alerte. Ce n’est pas le PVMBG qui prend directement les décisions d’intervention (ex. évacuation) mais il conseille les gouvernements locaux par l’intermédiaire de M. Surono. Le centre a aussi un rôle d’éducation auprès des populations qui habitent en zone dangereuse. Il s’agit de préconiser les gestes à avoir lorsqu’un évènement survient. Fig. 1. Entrée du PVMBG, Bandung (mars 2009) L’organisme est apparu en 1920. Il a changé plusieurs fois d’appellations lorsqu’il redéfinissait ses objectifs. Bien qu’on parle encore parfois du VSI (Volcanological Survey of Indonesia), il est devenu PVMBG en octobre 2006. Il a à la fois une mission de service public et de recherche. Ces deux composantes n’ont cependant pas la même importance. Œuvrer pour que les catastrophes naturelles fassent le moins de victimes possibles est la première des priorités, si bien qu’on peut estimer que la part qui est attribuée à la recherche représente aux alentours de 10 % du travail des employés. Entre autres publications, il produit par ailleurs différentes cartes (cartes géologiques et cartes de risque). Le centre est constitué de quatre divisions. Les divisions (i) surveillance et recherche sur les volcans (pengamatan dan penyelidikan gunungapi) et (ii) surveillance des tremblements de terre et des glissements de terrain (pengamatan gempabumi dan gerakan tanah) qui intègre le risque de tsunami sont spécialisées sur la composante aléa du risque. La division (iii) évaluation du risque (evaluasi potensi bencana) n’est pas strictement scientifique puisque davantage tournée vers le social. C’est elle qui intègre l’autre composante du risque, la vulnérabilité. La division (iv) bureau de recherche et de développement technologique des volcans (balai penyelidikan dan pengembangan teknologi kegunungapian) quant à elle est un peu à part. Elle est située dans ses propres locaux à Yogyakarta, près du volcan Mérapi. Ce sont, en tout, 452 personnes qui sont employées et réparties entre Bandung, Yogyakarta et les postes d’observation sur le terrain. 7 Les techniques utilisées sont assez nombreuses et propres aux géologues, pétrologues, géophysiciens, géochimistes, géomorphologues… Entre les terrains, les laboratoires d’analyse et les bureaux, le PVMBG a déjà mis en place plusieurs collaborations internationales avec les États-Unis, la France, le Japon, les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Australie qui lui permettent de progresser et de s’améliorer. De plus en plus, les employés du PVMBG intègrent la scène scientifique internationale. Étudiant géographe sur les risques naturels, il était particulièrement profitable pour moi de rencontrer des professionnels, surtout en Indonésie. En fréquentant différents scientifiques, je me suis familiarisé avec d’autres disciplines que la mienne. J’ai apprécié de me trouver dans un milieu de recherche. Au travers de discussions avec des spécialistes du centre, je me suis familiarisé avec d’autres cas, j’ai pu me faire ma propre expérience sur la zone à risques du volcan de boue de Sidoarjo. I. 2. Organisation de mon travail sur le volcan de boue de Sidoarjo Mon arrivée en Indonésie a été précédée d’un travail de préparation (surtout bibliographique) de plusieurs mois afin de connaître aussi bien que possible la situation de crise à Sidoarjo, d’acquérir des connaissances générales sur le volcanisme de boue et de prédéfinir mon sujet d’étude. Une fois sur l’île de Java, être intégré au PVMBG m’a été fort utile pour accéder au terrain sur lequel je souhaitais travailler ainsi qu’au réseau des responsables scientifiques de la crise, en particulier le BPLS qui supervise la crise sur le terrain. Le contexte de Sidoarjo est tel qu’il est difficile pour un étranger de venir y travailler. En tant qu’étudiant, il était d’autant plus nécessaire pour moi de me faire présenter par l’équipe du PVMBG spécialisée sur LUSI pour me faire accorder un premier niveau de confiance de la part des responsables. Cela passait à la fois officiellement par des lettres de recommandation de la part de M. Surono et officieusement par des discussions entre Devy Kamil Syahbana (géologue de Bandung chargé du suivi de LUSI) et les membres du BPLS. Durant mes cinq mois de stage, je me rendais chaque mois quelques jours à Sidoarjo (Java Est) depuis Bandung (Java Ouest) pour suivre l’évolution de la crise et essayer d’acquérir les informations utiles pour mon travail (Fig. 2.). Je me suis rendu compte dès le premier séjour à Sidoarjo des difficultés de ce terrain (complexité de la crise, climat politique tendu, désordre oppressant de la vie). Mesurant à quel point j’étais isolé malgré quelques soutiens très précieux, j’ai dû renoncer à obtenir directement par moi-même la plupart des données (j’ai notamment renoncé à effectuer des mesures dans le fleuve pour retracer des profils). Il s’agissait plutôt d’aller les demander dans les différents organismes. Aussi, à part l’enquête par questionnaire que j’ai organisée moi-même et l’observation de terrain, toutes les données sur lesquelles j’ai pu travailler proviennent de différents organismes, en particulier le PVMBG, le BPLS à Surabaya (notamment pour les données sur les profils en travers du fleuve Porong) et le Puslitbang à Bandung (Pusat Litbang Sumber Daya Air, le centre d’hydrologie). J’ai aussi tiré des informations de mes entretiens avec, entre autres, Pak Surono et Devy Kamil Syahbana du PVMBG, Handoko T. Wibowo, Soffian Hadi, Pak Dodie du BPLS et Dr. Van S. Williams de l’USGS. 8 Fig. 2. Localisation de Bandung (PVMBG) et de Sidoarjo sur l’île de Java, Indonésie. C’est à Bandung que je traitais les données et que j’organisais mon travail. La phase d’acquisition des données a été la plus longue et la plus difficile. C’est à partir de fin mai que j’ai pu commencer à analyser réellement les données alors que la première phase se poursuivait toujours. Enfin, j’ai pu commencer la dernière étape, celle de la rédaction, au début du mois de juillet. Ayant décidé de m’attacher spécifiquement aux conséquences, surtout géomorphologiques, des rejets de boue dans le fleuve Porong, les résultats obtenus sont principalement basés sur l’analyse d’un ensemble de profils en travers du chenal au cours de l’année 2008 (les données proviennent du BPLS qui effectue chaque mois les mesures dans le cours d’eau) et d’une enquête par questionnaire réalisée en mai 2009 auprès de la population riveraine sur la thématique des changements vécus par la population. Après avoir compris la nécessité d’une telle gestion et la situation périphérique de la question par rapport à l’ensemble de la crise de Sidoarjo viennent des questions plus spécifiques. À quel point le système hydrographique est-il déstabilisé par cette entrée sédimentaire ? Quelles sont les formes d’ajustement qui en résultent et quels sont leur temps de réponse ? Quel bilan peut-on dresser entre les entrées et les sorties sédimentaires ? Et enfin, quels impacts ont ces changements géomorphologiques sur la population locale ? Après avoir présenté le cadre dans lequel j’ai pu réaliser mon étude de master 1 dans ce premier chapitre, le contexte général du terrain qui a attiré notre attention sera présenté dans le chapitre II, puis le contexte plus particulier du fleuve Porong, notre terrain spécifique, dans le chapitre III. On envisagera ensuite, dans le chapitre IV, la question des rejets de boue dans le fleuve par rapport aux autres composantes de la crise environnementale de Sidoarjo. Viendra alors au chapitre V l’analyse de l’évolution géomorphologie du chenal et un questionnement dans le chapitre VI des conséquences de ces changements sur les riverains. Le chapitre VII permettra enfin de conclure sur le travail effectué au sein du stage et les intérêts personnels que j’en ai tirés. 9 II. Introduction, retour sur le volcanisme de boue et approche du cas particulier de Sidoarjo II.1. Situation humaine et physique Le volcan de boue dont il est question ici constitue un cas unique dans le paysage mondial des volcans de boue. Cela tient à la conjonction de plusieurs caractères : l’ampleur et l’incontinence de ses éruptions depuis trois ans, le fait qu’il est apparu de manière subite dans un environnement densément habité et le fait que ce soit apparemment un acteur anthropique qui ait déclenché le phénomène et puisse être tenu comme responsable. La composante risque du volcan de boue LUSI C‘est au milieu d’une rizière de la province de Java Est que le volcan de boue surnommé « LUSI » (de LUmpur qui signifie « boue » et SIdoarjo, le lieu sinistré où les éruptions se produisent) est apparu soudainement le 29 mai 2006. Depuis, le volcan de boue demeure incontinent. Comme Sidoarjo se trouve à 30 kilomètres au sud de Surabaya, la deuxième ville d’Indonésie, il s’agit d’une banlieue densément peuplée. L’aire d’épandage de la boue, contenue par des digues, recouvre quatre villages. Sauf pour une mosquée et une usine dont on aperçoit encore les toits, l’urbanisation est complètement ensevelie. Une population d’environ 30 000 habitants, vivant principalement des secteurs primaire et secondaire, a dû abandonner les lieux. Une partie des réfugiés n’a pas encore trouvé à se reloger et habite dans des cabanes sur les bords de l’autoroute qui a été coupée par la boue. Cependant les inondations de boue ne sont pas tout. LUSI a bien d’autres conséquences graves en périphérie. L’aléa naturel rencontrant ici la vulnérabilité sociale, c’est en gardant à l’idée la dimension du risque que s’envisagent les évènements de Sidoarjo. Situation géologique en bassin d’arrière-arc Sur le plan physique, LUSI est situé dans un bassin sédimentaire, un bassin d’arrière-arc. Une telle structure s’observe au niveau des marges continentales actives mais uniquement celles qui sont soumises à un régime distensif (par opposition au régime compressif). Elle ne vient qu’après le prisme d’accrétion, le bassin d’avant-arc puis l’arc volcanique en partant de la fosse sous-marine où commence la zone de subduction océanique [Gerven et Pichler, 1995 ; Debelmas et Mascle, 2004 ; Westphal et al., 2002] (Fig. 3.). Le bassin d’arrière-arc, ici, est en grande partie occupé par la mer de Java mais le volcan de boue LUSI se trouve sur les marges émergées au sud (sur l’île de Java de l’archipel volcanique indonésien) [Bellair et Pomerol, 1982 ; Girault et al., 1998]. Le bassin est à croûte granitogneissique. Il fait partie des « plates-formes sous-marines peu profondes qui joignent l’arc volcanique de Sumatra-Java à la côte sud-asiatique (Malaisie-Indochine) » [Debelmas et Mascle, 2004]. Il est avant tout comblé par des « produits détritiques *…+ provenant de l’arc volcanique ou de son substratum granito-gneissique *…+ ainsi que de carbonates de platesformes y compris des calcaires récifaux » [Debelmas et Mascle, 2004]. 10 Fig. 3. Coupe théorique d’une marge active en régime de distension (marge de type est-asiatique). Coupe inspirée de l’arc indonésien. Debelmas et Mascle, 2004 LUSI connaît d’autres volcans de boue dans son voisinage, jusque sur l’île de Madura au nord-est. Ils sont tous plus anciens et plus petits, encore actifs périodiquement ou non et sans danger. Ils sont apparemment alignés le long d’une faille tectonique ancienne d’orientation sud-ouest nord-est et qui traverse l’île dans sa largeur. II.2. Retour épistémologique « sur les volcans de boue » Dès le début du XIXe siècle, des observateurs ont amorcé une approche scientifique du volcanisme de boue. La première étude remonte à 1823 quand Ferguson publie un article intitulé « Sur les volcans de boue à Trinidad ». Par la suite, beaucoup de ces phénomènes ont été décrit à travers le monde au cours des 19e et 20e siècles. Ceux qu’on englobe sous l’appellation volcan de boue (mud volcano en anglais, ou gunung lumpur en Indonésien) varient largement à la fois du point de vue de l’échelle et de la morphologie. Ils n’étaient alors observés que de manière isolée jusqu’à ce que Higgins et Saunders, au début des années 1970, publient leur travail où les volcans de boue sont pour la première fois étudiés de manière systématique. Leur synthèse, sortie sous le nom « Les volcans de boue – Leur nature et origine » [1974] est basée sur la description de trente volcans de boue dispersés à la surface du globe. Aussi leur étude est-elle considérée comme pionnière dans ce domaine de la recherche. Cependant, aucune nomenclature en la matière n’existe dans la littérature spécifique. Nulle part encore on ne trouve une classification qui aurait été proposée de ces volcans particuliers. Selon Kopf [2002], qui a fait paraître une riche synthèse appuyée sur une compilation d’études englobant quarante-cinq zones de volcanisme boueux répartis sur la planète, cela semble, au moins très difficile si ce n’est impossible étant donné l’immense panel de ces phénomènes ramenés sous la même dénomination. Peut-être cette difficulté de synthétisation indique-t-elle encore un manque de maturité dans la connaissance des volcans de boue qui résistent encore beaucoup aux interprétations des scientifiques [Manga et al., 2009+. Une grande partie de la recherche s’en tient encore à la description et à l’interprétation de ces phénomènes car peu de mesures directes sont réalisables. On cherche toujours à comprendre leur origine, comment ils se forment et apparaissent à la surface de la Terre, comment ils fonctionnent, comment les fluides remontent à la surface et donnent lieu à des éruptions [Etiope et al., 2008+. Après l’apparition inattendue de LUSI à 11 Java Est, beaucoup de chercheurs s’y sont penchés, attirés par l’opportunité d’observer la naissance d’un de ces phénomènes *Mazzini et al., 2007+. Certains scientifiques s’attachent à des questions plus particulières. Comme les volcans de boue libèrent de grandes quantités de méthane dans l’atmosphère, de CO2 et aussi d’autres gaz, quelques chercheurs comme Hovland et al. [1997] essayent de quantifier ces émissions de gaz et de dresser des bilans à l’échelle du globe ainsi que de mesurer (si tant est qu’elle soit conséquente) la contribution à l’effet de serre *Etiope et al., 2002 ; Dimitrov, 2002 ; Milkov et al., 2003+. Cette dernière semble négligeable aujourd’hui. Mais si l’on prend en compte le fait que les volcans de boue existent sur Terre depuis des Âges passés, il est fort probable que cela ait eu un impact sur l’évolution de notre atmosphère *Kopf, 2002+. Abas Kangi, lui, étudie le volcanisme de boue sur mars [Kangi, 2007]. Des auteurs tentent de proposer des modèles comme pour expliquer la puissance et le volume des éruptions de boue *Murton et Biggs, 2001+. D’autres chercheurs s’intéressent au lien entre l’existence de ce phénomène et la présence d’hydrocarbures. Dans les années 1980, le rôle des volcans de boue dans la prédiction de réservoirs pétrolifères a été mis en évidence [Yakubov et al., 1980 ; Rakhmanov, 1987+. On comprend facilement l’intérêt qui est en jeu : par exemple, les volcans de boue et les sources d’énergie qui leur sont associées ont apporté l’industrie du pétrole en Azerbaïdjan [Cooper, 2001]. Travailler avec le volcanisme de boue semble bien pouvoir représenter une source de revenu, et pas uniquement pour les hydrocarbures. En Russie, plusieurs spas ont ouvert pour une clientèle fortunée, utilisant l’énergie géothermale. Il y a aussi de plus en plus de touristes qui payent pour voir des volcans de boue, en Italie, en Amérique Centrale ou en Azerbaïdjan [Gallagher, 2003]. À Sidoarjo, dans le contexte de crise, beaucoup d’Indonésiens viennent voir de leurs propres yeux les désastres qu’ils peuvent lire presque quotidiennement dans les journaux et dont ils entendent parler dans les programmes télévisés (lors des débats précédant les élections présidentielles en juillet 2009, chacun des candidats s’était prononcé sur la question). Sur les digues de LUSI, une horde de guides improvisés sont là pour accueillir les visiteurs et leur proposer un tour à moto. II.3. Localisation, origine et mécanisme des volcans de boue On a déjà identifié plus d’un millier de volcans de boue à travers le monde (Fig. 4.). Rien qu’en Azerbaïdjan, on compte 77 volcans de boue actifs (on leur a recensé 292 éruptions au cours des deux siècles derniers) [Aliyev et al., 2002]. À l’échelle du globe, la grande majorité se situe le long de marges convergentes [Kopf, 2002] : la Barbade, le Costa Rica, Taiwan [Yin et al., 2003], Trinidad [Arafin, 2005], la dorsale méditerrannéenne [Kopf et al., date inconnue ; Haese et al., 2006], la fosse des Mariannes, les Aléoutiennes, le Japon, Makran [Wiedicke, et al., 2001] ou Java. On trouve les volcans de boue sur chacune des deux plaques en convergence. Quelques-uns aussi se trouvent dans les deltas de grands fleuves (le delta du Niger au Nigéria *Graue, 2000+ ou le delta de l’Orénoque au Venezuela *Aslan et al., 2001]). À une échelle régionale et locale, les volcans de boue sont d’abord associés à des contextes de compression tectonique *Kopf, 2002+ même si on les a aussi rencontrés dans d’autres contextes [Manga et al., 2009]. Ils apparaissent souvent dans des zones de forte activité sismique et le long de failles géologiques dans des régions volcaniques ou des ceintures 12 d’orogénèse. Comme on l’a dit plus avant, leurs régions peuvent être des secteurs d’exploitation pétrolière *Yassar, 2002+. La présence de couches argileuses en profondeur, au niveau d’où le matériel provient, est enfin une caractéristique courante. Ils rejettent de la boue salée argileuse et des gaz composés pour 70 à 99 % de méthane ainsi que du CO2 et dans quelques cas, des hydrocarbures, du soufre et des gaz rares [Chiodini et al., 1996 ; Lavrushin et al., 1996 ; Etiope et al., 2008 ; Manga et al., 2009]. Fig. 4. Répartition mondiale des volcans de boue connus. Ils se situent surtout le long de marges convergentes et parfois dans les deltas de grands fleuves. modifié d’après Kopf, 2002 Dans quelques cas, au cours de la subduction, des boues marines sont enfouies à plusieurs kilomètres de profondeur. Il est couramment admis qu’une plongée rapide de la plaque en subduction sous une autre empêche les sédiments de rejeter les fluides qu’ils contiennent et se retrouvent coincés sous une épaisse colonne sédimentaire. Par exemple, les vitesses de convergence des plaques atteignent 88 mm.an-1 au Costa Rica et 60 à 80 mm.an-1 à Java [Jarrard, 1986 ; Kopp et al., 2006]. Une fois enfouies, les boues tassées par la colonne sédimentaire au-dessus commencent le dewatering process. Cela est rendu possible par les fortes pressions et températures des profondeurs. À la fois, et pour les même raisons (thermiques et de compaction), des gaz (en particulier le méthane) sont libérés dans le processus de décomposition des matières organiques contenues dans les sédiments *Pettinga, 2003+. La production de ces gaz contribue au phénomène de surpression, d’autant qu’en tant que fluides, ils se dilatent avec la chaleur. À ce moment, aucun volcan de boue n’existe encore mais les fluides ne vont pas supporter de telles pressions longtemps. Dans le paragraphe ci-dessus, nous avons décrit un cas possible où les boues sont enfouies dans le processus de subduction. Mais ce n’est qu’un cas parmi tant d’autres. En revanche le principe de surpression des fluides est général. De plus, nous avons laissé entendre que boue et gaz avaient la même origine. De plus en plus, les auteurs considèrent que l’origine des gaz est différente de celle de la boue et bien plus profonde. Dans le Caucase, les gaz remontent d’une profondeur de 10 à 12 km et entraînent la boue dont la source est 13 seulement à quelque 3 km en-dessous de la surface [Manga et al., 2009]. En réalité, il semble que cela dépende des cas. À Sidoarjo, on commence aussi à penser que c’est la boue qui jaillit qui aurait elle-même deux origines distinctes. Elle proviendrait de deux réservoirs situés l’un au-dessus de l’autre *communication personnelle avec Handoko T. Wibowo, août 2009]. Les argiles, l’eau et les gaz sont d’une moindre densité que le matériel des couches sédimentaires au-dessus. Cela implique une inversion de densité. Cette caractéristique est, pour beaucoup d’auteurs, le moteur principal requis pour permettre aux fluides de remonter [Kopf, 2002]. Il pourrait même être suffisant à lui tout seul. Dans une situation de diapir, le matériel de plus faible densité remonte lentement à la surface par cette seule force d’inversion de densité, mais sans atteindre la surface. Cependant, dans le cas des diatremes où les fluides atteignent bien la surface sous forme d’éruptions, d’autres moteurs sont nécessaires pour faciliter la remontée de la boue et des gaz mais ils restent encore en discussion dans le milieu de la recherche. La surpression des gaz et la compression tectonique par exemple sont efficaces pour laisser s’échapper la boue vers le haut. « La force est telle que des formations rocheuses peuvent être soulevées et brisées, et que des rochers entiers sont parfois éjectés lors des éruptions » [Milne, 1997]. Le matériel peut aussi profiter d’un réseau de faille car il offre des « passes efficaces pour la boue fluidifiée » [Aslan et al., 2001]. II.4. Géomorphologie : une grande variété de volcans de boue malgré un principe de fonctionnement commun Les différences de forme entre les volcans de boue sont dues à des différences de situation à l’échelle locale, à des caractéristiques souterraines (par exemple le diamètre des conduits de remontée ou la viscosité de la boue) ainsi qu’aux âges des volcans de boue. La première séparation s’opère déjà entre les diapirs et les diatremes. Nombreux sont ceux qui apparaissent offshore [Milkov, 2000]. Aussi faut-il considérer qu’il y a une multitude de volcans de boue sous-marins jamais découverts encore. Ceux qui se situent dans la Mer Noire sont suivis depuis les années 1990 [Ivanov et al., 1996]. Neuf larges volcans de boue occupent une place adjacente à la faille de Crimée Ouest [Ivanov, et al., 1989]. On trouve parmi les cas sous-marins les plus grands mud pies (>30 km de diamètre au niveau de la dorsale méditerranéenne [Çifçi et al., 1997]. En milieu sous-marin, une boue avec une porosité faible (<50 %) donne lieu à des mud domes alors que des mud pies traduisent une porosité élevée de la boue [Lance et al., 1998]. De temps en temps, quand ces édifices apparaissent près de la côte, ils peuvent donner naissance à de nouvelles îles [Delisle et al., 2002]. Des cas connus ont existé au large de la côte de Trinidad en 1911, 1928 et 1964 *Higgins et Saunders, 1967+ et ont pu s’élever 10 mètres au-dessus du niveau de la mer. Toutefois, ces structures sont vulnérables à l’érosion marine et ne connaissent qu’une courte existence. L’île de Chatham en 1964 au large de Trinidad n’avait tenu que huit mois avant de disparaître [Higgins et Saunders, 1967]. Les volcans de boue terrestres sont mieux renseignés. On peut dresser une distinction du point de vue de la topographie entre ceux qui présentent une éminence (knolls) et ceux qui 14 forment au contraire une dépression (depressions) [Kopf, 2002]. Les structures proéminentes vont des petites protubérances, de quelques centimètres de haut seulement et quelques décimètres de large, à des structures de plusieurs kilomètres de large ou des centaines de mètres de haut. L’Azerbaïdjan possède les plus hauts volcans de boue allant jusqu’à 600 mètres *Jabukov et al., 1971]. Les cones ou domes ont des pentes supérieures à 5°. En-dessous, on considère qu’il s’agit de pies. Les bouches qu’on trouve parfois sur les flancs des domes en plus du cratère principal situé sur la crête sont appelées gryphons. Il existe aussi des formes d’extrusion allongées de type dykes alors appelées mud ridges. Ainsi une terminologie assez développée permettant des descriptions précises est établie dans le domaine en dépit encore d’une typologie communément acceptée. Il semble que la variété dans les tailles et dans les formes soit commandée par deux paramètres. Le diamètre des conduits et l’intensité des forces qui permettent aux fluides de remonter ont leur importance d’une part. Des volcans de boue larges sont généralement liés à des conduits larges et à un moteur puissant en profondeur. La consistance de la boue d’autre part est sensée déterminée la géométrie de l’édifice. Une boue très liquide donne forme à un mud pie plutôt qu’un mud dome. Les structures en forme de dépression sont appelées mud pools. Elles aussi peuvent être très petites ou aussi larges que des lacs de plusieurs centaines de mètres comme à Trinidad. Les petits mud pools peuvent ressembler à des flaques froides d’où jaillissent tranquillement des bulles. On a identifié des mud pots en Malaisie [Clennell, 1992] ou encore à Taiwan. On en trouve qui cohabitent aisément avec le bétail dans des pâturages de Nouvelle Zélande [Ledésert et al., 2001 ; Pettinga, 2003]. Pour les volcans de boue déjà anciens, des caldeiras peuvent se former. La chambre de boue en profondeur se vide au fur et à mesure et la boue rejetée en surface ajoute au poids des formations superficielles. Le terrain se retrouve en subsidence à des vitesses plus ou moins rapides. Les vitesses d’affaissement à Sidoarjo sont dramatiquement rapides (plusieurs millimètres par jour, voire plusieurs centimètres en zone périphérique habitée). Le volcanisme de boue est en général non violent. Quelques rares exemples sont explosifs, notamment en Azerbaïdjan [Aliyev et al., 2002]. Les éruptions de boue peuvent contenir des blocs et rochers et atteindre 100°C (comme c’est le cas de LUSI). Certains ont été enflammés pendant des années. On raconte qu’en 1922 les émissions d’un volcan de boue du Caucase ont pris feu, provoquant une flamme de 14 kilomètres de haut [Kugler, 1939]. Le volcanisme de boue est un phénomène encore mal connu de la science et qui prend des formes très variées. Le tout est de situé LUSI, le plus jeune des volcans de boue par rapport à tous ses pairs et de trouver des cas dont certains aspects pourraient lui être comparables. II.5. La singularité de LUSI dans le paysage mondial des volcans de boue Le volcanisme de boue se décline sous des aspects très variés : tailles négligeables ou très imposantes, formes proéminentes ou dépressionnaires, compositions liquides ou solides, éruptions chaudes ou froides, violentes, explosives ou paisibles, situations terrestres ou sous-marines. Mais les caractéristiques de LUSI, le plus jeune et le plus connu des volcans de boue, en font un cas unique. Cela tient à la conjonction de plusieurs caractères : l’ampleur et 15 l’incontinence de ses éruptions depuis trois ans alors que la plupart des volcans de boue ne connaissent des épisodes éruptifs que de courtes durées, le fait qu’il est apparu de manière subite dans un contexte densément habité et le fait que ce soit probablement un acteur anthropique qui ait déclenché le phénomène [Davies et al., 2007 ; Davies et al. 2008 ; Tingay et al. 2008]. L’originalité de LUSI vient de ses dimensions sociales indissociables. D’ordinaire, les volcans de boue se situent dans des zones désertes. LUSI s’est imposé en milieu urbain si bien que la valeur de risque lui est associée. C’est la première fois de nos jours pour un volcan de boue. Certains récits relatent l’ensevelissement de villages par des éruptions de boue mais les faits sont mal renseignés si bien qu’il est difficile de faire la part entre le mythe et la réalité. Une légende raconte qu’un village connu sous le nom de « Old Glady » aurait été englouti lors d’un de ces phénomènes au XVe siècle *Gallagher, 2003+. Il paraîtrait également qu’un évènement semblable serait déjà arrivé dans l’est de Java, près de l’actuel LUSI il y a environ cinq siècles. Il y vivait un peuple puissant, celui des Jenggala, qui avait développé une thalassocratie dans la région. Mais le matériel échappé d’un volcan de boue aurait fait disparaître leur port basé près du fleuve Porong. Cette catastrophe les aurait déstabilisés pour mettre finalement fin à leur puissance [comm. pers. avec Soffian Hadi, chef du BPLS]. Peu importe le degré de réalité de cette histoire, il est intéressant de réfléchir sur le lien entre catastrophes naturelles et pouvoir politique. Pour ce qui est des évènements de Sidoarjo, c’est effectivement dans un contexte politique tendu qu’ils se déroulent. II.6. Le contexte politique de Sidoarjo, polémique sur l’origine du phénomène La première éruption de boue a eu lieu le 29 mai 2006, tôt le matin, à moins de 250 mètres (la distance rapportée par les auteurs varie entre 150 et 250 mètres) du forage d’exploration minière Banjar Panji-1 (BJP-1) de la compagnie pétrolière PT Lapindo Brantas. Deux jours auparavant avait eu lieu, 250 kilomètres au sud-ouest, le tremblement de terre de Yogyakarta d’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter. Deux répliques (aftershocks) de magnitude 4,8 et 4,6 avaient suivi quatre et cinq heures plus tard. Dans cette catastrophe du 27 mai, 6000 personnes sont mortes et plus d’un demi-million d’habitants se sont retrouvés sans logement. Aujourd’hui encore on ne s’est pas mis d’accord de savoir si le drame de LUSI a été déclenché par l’Homme ou par des causes naturelles. Parmi la communauté scientifique internationale, certains comme Adriano Mazzini misent sur le fait que « l’activité initiale de LUSI était principalement déclenchée par l’énergie produite par le tremblement de terre du 27 mai » *2007+. D’autres, dont les figures de Richard Davies et Michael Manga penchent plutôt vers le forage de Lapindo Brantas comme facteur principal [Davies et al., 2007 ; Davies et al. 2008 ; Tingay et al., 2008+. Lors d’un meeting de l’AAPG (American Association of Petroleum Geologists) qui s’est déroulé l’année dernière dans la ville du Cap en Afrique du Sud, les causes de l’apparition de LUSI ont été débattues puis les membres de l’assemblée se sont livrés à un vote. « Au moment de se prononcer, 42 des 74 scientifiques présents étaient convaincus que c’est le forage qui a déclenché les éruptions. Seulement 3 ont voté pour la thèse du tremblement de terre. Quelque 14 autres scientifiques ont trouvé que les arguments présentés ne permettaient 16 pas de conclure et 13 ont estimé qu’il fallait tenir comme responsable la combinaison du tremblement de terre et du forage » [Morgan, 2008]. Pour Mazzini et al., le volcan de boue en profondeur, sur le point d’apparaître était « à un niveau critique, aussi de simples perturbations externes ont pu lancer les évènements catastrophiques à cet endroit *…+ Il est probable que le séisme du 27 mai ait déclenché l’éruption » *2007+. Dans l’esprit de certains, il est évident que l’activité sismique peut déclencher des éruptions de volcans de boue à travers le monde [Aliyev et al., 2001 ; Kopf, 2002 ; Aliyev, 2003+. Mais l’article très récent de Manga et al. [2009] qui pose spécifiquement la question du lien entre tremblement de terre et éruption de boue montre que l’incertitude demeure. En théorie, il existe bien, mais « en pratique, il est difficile de distinguer un réel facteur déclenchant d’une pure coïncidence ». Les corrélations statistiques sont plutôt significatives mais il est encore trop difficile d’en établir une relation causale. Quant au cas de LUSI, le tremblement de terre n’aurait pas seulement déclenché une éruption, il serait allé jusqu’à donner naissance au volcan alors qu’aucune trace n’en existait auparavant. Il est très vraisemblable que les évènements de Yogyakarta ont eu des implications dans le secteur de Sidoarjo car une faille transformante d’orientation sud-ouest nord-est, remontant de Yogyakarta vers Surabaya, a été réactivée. Des photos connues prises dans les mois qui ont suivi montrent les rails de chemin de fer distinctement tordus. Des traces anciennes de cette faille sont aussi identifiables sur le cours du fleuve Porong désaxé en amont de Sidoarjo (Fig. 5. a)). Enfin, on peut suivre son axe en localisant les différents volcans de boue de Java Est et de Madura qui présentent un alignement entre eux (Fig. 5. b)). Le tremblement de terre a des effets indéniables, mais faut-il y voir l’élément déclencheur ? Pour Davies et al. [2008] qui se basent sur un modèle statistique, le séisme de Yogyakarta était trop loin et d’une intensité insuffisante pour faire naître les éruptions. « L’argument le plus fort qui s’oppose à la thèse du tremblement de terre vient du fait que d’autres tremblements de terre, plus proches et qui ont généré des secousses plus fortes n’ont pas déclenché d’éruptions ». Les arguments en faveur de la thèse du déclencheur naturel ont du poids mais ils manquent quand même de preuves suffisantes et la coïncidence avec le puits d’exploration Banjar Panji-1 est trop suspecte pour ne pas douter de la culpabilité de la compagnie Lapindo Brantas. D’autant que toutes les précautions nécessaires lors de la réalisation du forage n’ont pas été respectées : les ouvriers se sont affranchis, à partir d’une profondeur de 1300 mètres, du tubage en acier utile pour maintenir les pressions [Davies et al., 2008]. Il faut remarquer que les compagnies qui recherchent des hydrocarbures sont assez libres en Indonésie, pays très peuplé et en développement rapide pour lequel le besoin d’énergie est immense. Ces compagnies sont libres d’effectuer des forages où bon leur semble, on-shore ou off-shore, depuis une loi de 1998 [Hoebreck, 2007]. Les prospections pétrolières sont nombreuses notamment dans la mer de Java [Matthews et Bransden, 1995] La catastrophe de Sidoarjo a des implications sociales, environnementales et financières. Pour l’instant, le coût estimé s’élève selon le FMI à 2,5 milliards d’euros, ce qui représente environ 1 % du PIB de l’Indonésie. Beaucoup de structures de protection ont dû être aménagées d’urgence et nécessitent un entretien constant. Plusieurs dizaines de milliers d’habitants ont dû être déplacés, perdant parfois tous leurs biens et leurs emplois et ont toutes les peines à toucher des indemnisations. Des secteurs à l’ouest où le risque est de 17 plus en plus fort sont lentement en cours d’évacuation. Certains sont encore contraints de rester simplement parce qu’ils ne touchent pas l’argent promis par le gouvernement alors que des petites remontées de gaz, d’eau ou de boue ont lieu chez eux et que les murs craquent petit à petit (Fig. 13.). Une famille du village de Siring à l’ouest qui déménageait au début du mois d’août dernier ne recevait en tout et pour tout qu’une quarantaine d’euros [comm. pers. avec les habitants, août 2009]. Faille de Watukosek Fleuve Porong a) b) Fig. 5. Les signes d’existence de la faille de Watukosek dans la région de Sidoarjo. a) La faille transformante a désaxé le cours du Porong [image satellite de la NASA avant 2006]. b) Plusieurs autres volcans de boue, encore actifs ou non, sont alignés avec LUSI le long de la faille. PVMBG Pour ajouter au débat et à la controverse, la compagnie pétrolière est propriété d’Aburizal Bakrie, l’un des riches frères du ministre des affaires sociales d’Indonésie. De là naît un conflit d’intérêt entre les responsables potentiels de la crise et les victimes. Le groupe de Bakrie trouve des soutiens politiques et scientifiques. Il ne faut pas oublier le niveau élevé de corruption qui règne en Indonésie. Dans un tel contexte, les sphères politiques et scientifiques sont emmêlées. Le débat scientifique n’est pas sain tant les enjeux qui en découlent sont importants. Il engage la responsabilité financière de Lapindo. J’ai personnellement fait l’expérience des difficultés de conduire une recherche à Sidoarjo. Les tensions sont tangibles et il m’a semblé que l’intrusion d’un étranger dans le contexte de crise n’était pas souvent la bienvenue. Mon statut d’étudiant réduisait ma crédibilité aussi 18 fallait-il s’armer de patience et de volonté pour s’ouvrir des portes et gagner la confiance des gens. II.7. Gestion de crise et tentatives de réduction des éruptions Au commencement, comme la catastrophe n’était pas considérée comme un désastre national, la gestion de crise a été prise en charge par les autorités de la province de Java Est. Les objectifs affichés étaient i) de mettre fin aux éruptions de boue, ii) de gérer les impacts sociaux et iii) de minimiser les conséquences sur l’environnement. Durant les mois de juillet et août 2006, des ingénieurs indonésiens ont tenté d’empêcher les sorties de boue et de gaz d’avoir lieu en introduisant un tube dans le forage pour contenir les pressions dans le puits *United Nations (Ocha), 2006+. C’était la méthode critiquée du snubbing unit (« curage sous pression ») qui n’a été d’aucun succès. En même temps, on essayait de se débarrasser de la boue en l’emportant dans la mer mais 150 camions chaque jour n’étaient pas suffisants et coûtaient cher. Par la suite, il y a eu le projet mort-né (aidé par des ingénieurs américains) qui consistait à percer de nouveaux conduits dans lesquels on s’apprêtait à injecter du ciment dont le but aurait été d’empêcher l’ascendance des fluides. Une rupture de digue et l’inondation du site de construction en octobre 2006 mit fin prématurément au projet. Finalement, le gouverneur de Java Est à transmis la gestion à la Tim Nasional, « l’Equipe Nationale » devenue depuis le BPLS (Badan Penanggulangan Lumpur Sidoarjo). Dès lors, les experts avaient perdu espoir de mettre fin à l’activité de LUSI. Le réseau de digues fut développé et surélevé. En dépit des nuisances que cela implique pour l’environnement, des tubes ont été installés pour décharger une partie de la boue dans le fleuve Porong. La Tim Nasional déjà projetait de polderiser avec la boue une partie du delta, action désormais en cours. Les plans de construction, inspirés du slufter de Rotterdam (Pays-Bas), prévoient trois bassins d’une contenance totale de 41,5 millions de mètres cube. Ils seraient remplis en quinze ans selon les estimations [Hoebreck, 2007]. À noter que certains m’ont rapporté leur scepticisme quant au projet et la volonté de mettre en place une opération de communication plutôt que d’être d’une réelle efficacité. Un autre projet original de lutte contre le volcan de boue tient dans l’opération « Bola Beton ». Il a été lancé par des géologues de l’Institut Technologique de Bandung (ITB). Cela consistait à jeter dans le cratère des centaines de chaînes reliant quatre boules de béton. Chaque chaîne, longue d’un mètre et demi, pesait 196 kilogrammes. Deux des boules pesaient 80 kilogrammes pour un diamètre de 40 centimètres, les deux autres, 18 kilogrammes pour un diamètre de 20 centimètres. Cette initiative se voulait innovante et économique. La première injection des boules de béton eut lieu le 24 février 2007. Le 19 mars suivant, l’activité de LUSI semblait s’être arrêtée. Mais une coulée de boue reprit finalement plus tard dans la journée. Comme LUSI demeurait incontinent, l’opération Bola Beton fut considérée inefficace et arrêtée à la fin du mois. Au total, 398 chaînes furent lâchées dans le cratère en deux fois (374 le 24 février et 24, au lieu des 500 prévues, le 19 mars). Elles auraient apparemment atteint des profondeurs comprises entre 300 et 1000 mètres. 19 Un dernier projet insensé consistait à élever « une digue de béton autour du cratère. Cette digue circulaire aurait fait 120 mètres de diamètres. Les murs, d’une épaisseur de 10 mètres auraient dû faire 50 mètres de haut » [Mazzini et al., 2007]. Le ministère indonésien de l’environnement avait proposé de valoriser la boue en l’employant à la réalisation de briques et de tuiles. Cela devait par là même permettre de redonner une activité à ceux qui avaient perdu leur emploi dans l’ensevelissement de leur usine. Mais la production s’est arrêtée au bout de quelques mois car cela paraissait encore davantage une opération de communication et les habitants n’ont pas suivi par manque de confiance dans le gouvernement [Hoebreck, 2007]. À bout d’espoir, le chef du village de Renokenongo avait annoncé qu’une somme d’argent (environ 9000 euros) serait attribuée à celui qui réussirait à mettre fin aux coulées de boue. Plus de soixante individus type shamans sont venus pour prononcer des prières, faire acte de sorcellerie ou effectuer des sacrifices (des poulets, des singes et une vache ont été jetés dans la boue). La population découragée et ne sachant plus à qui faire confiance s’en est remise au spirituel qui s’est révélé tout aussi inefficace. La catastrophe de Sidoarjo, unique en son genre, dépasse l’échelle humaine. Il a fallu quelque temps avant de s’en rendre compte. Les actions entreprises par les experts toutes plus originales, ambitieuses ou irréalistes les unes que les autres flottaient entre innovation et improvisation. II.8. Les dommages sociaux, matériels et environnementaux LUSI a fait déplacer plus de 30 000 personnes (presque 7000 au cours du premier mois). Quatre villages alentour ont été inondés dès les premières semaines : Renokenongo, Siring, Jatirejo et Kedungbendo. Aujourd’hui, tout est enseveli. Très peu de toits dépassent encore de la boue. Les habitations, les fabriques, les commerces, les écoles, les mosquées et les routes ont complètement disparu. Et ce n’est souvent que 20 % des indemnités promises par le gouvernement qui ont été touchés par les réfugiés (plutôt, les « IDPs », Internally Displaced People, pour être rigoureux sur leur appellation puisqu’ils se sont juste déplacés un peu plus loin et n’ont pas franchi de frontière internationale). Quelque temps après les éruptions du 29 mai 2006, environ 11 000 personnes ont été hospitalisées pour des troubles respiratoires, des vomissements et fortes diarrhées. Il y a eu plusieurs décès. On pense que ceci est lié aux émissions de gaz. Pour autant, cela n’a pas été prouvé car les concentrations dans l’air de SO2, H2S, CO et NO2 étaient faibles d’après les mesures *United Nations (Ocha), 2006]. La boue a aussi recouvert un tronçon de l’autoroute qui part de Surabaya juste avant Gempol. Il s’agissait d’un axe principal qui reliait l’est de l’île. Tout le trafic, notamment de poids lourds a été dérivé sur une route plus petite qui longe la digue à l’ouest. Elle n’est pas calibrée pour une telle circulation et connaît en permanence de longs embouteillages. En touchant aux axes de communication, les conséquences de LUSI sont aussi économiques, dépassent l’échelle très locale et s’étendent à une aire plus régionale. 20 Le 22 novembre 2006 a eu lieu un tragique accident. Un gazoduc de la compagnie nationale Pertama a explosé, provoquant une flamme de 100 mètres de haut et entraînant la mort de 15 personnes. C’est le poids de la boue au-dessus du tube et l’effet de subsidence qui ont causé l’évènement. La subsidence rapide et, plus généralement, les déformations du sol qui sont aussi horizontales, sont un des principaux problèmes. Parmi les conséquences, il y a la fracturation des maisons qui rendent dangereux d’habiter en périphérie. « La subsidence a été suivie depuis les premiers stades éruptifs. Les données collectées révèlent [au moment de la rédaction de l’article+ qu’un espace de 22 km² environ était en subsidence à une vitesse moyenne de 1 à 4 centimètres par jour *…+. La zone de subsidence prenait la forme d’une ellipse (d’axes 7 x 4 km) » *Mazzini et al., 2007+. Aujourd’hui, les déformations du sol s’observent encore dans un rayon de 9 kilomètres à partir du cratère *comm. pers. avec Handoko T. Wibowo, 2009]. Par ailleurs, le rejet de la boue dans le fleuve Porong entraîne des conséquences écologiques. La végétation type mangrove pourrait bien être menacée par les changements provoqués : augmentations de la température de l’eau, de la salinité et de la turbidité. Au sein de la crise environnementale de Sidoarjo, les changements de milieux naturels et la disparition de quelques populations végétales sont dérisoires. Il semble qu’on ne puisse faire autrement que de les sacrifier quand des habitants sont menacés. Mais il faut tout de même avoir conscience de ces nuisances car, indirectement, ce sont des familles javanaises qui sont touchées. L’élevage de poissons et de crevettes domine le paysage. On compte 30 000 hectares de bassins à poissons et l’incertitude demeure. On ne sait pas (ou peut-être, on ne dit pas) à quel point le fleuve et les nappes phréatiques sont pollués par la boue. Les données communiquées ne sont pas alarmantes sauf certaines qui témoignent de fortes concentrations en métaux lourds [United Nations (Ocha), 2006]. Si les habitants arrêtent de pêcher dans le fleuve, les poissons continuent d’être élevés dans les bassins. Or, c’est dans plusieurs années ou décennies qu’apparaîtront les conséquences sanitaires puisque la consommation de ces poissons est potentiellement dangereuse à long terme. Déjà les riverains du Porong ne se baignent plus dans le fleuve (certains se sont plaints d’irritations) et l’eau de leur puits est devenue salée et amère. Il semblerait aussi que les champs deviennent de plus en plus salés depuis que l’on rejette l’eau superficielle du lac de boue dans les petites rivières utiles à l’irrigation [comm. pers. avec Devy Kamil Syahbana du PVMBG et observation de terrain]. Dans le contexte actuel de crise et de gestion d’urgence, on n’anticipe que trop peu les conséquences environnementales à moyen et long termes. Il semble aussi que la recherche scientifique soit rivée sur les faits passés en ne discutant que de l’origine de la catastrophe alors que, de toute évidence, les faits ne vont aller qu’en s’empirant. Aussi le travail de quelques mois de terrain présenté ici s’est-il attaché à l’une de ces questions environnementales, périphériques, dérivées de l’aléa principal et qui s’envisagent sur une échelle de temps plus longue : les impacts sur le fleuve Porong des rejets de boue. 21 III. Présentation générale du fleuve Porong, exutoire du bassin-versant du Brantas Le fleuve Porong (autrement appelé en Javanais, Kali Porong) avant d’être utilisé comme exutoire du bassin de boue de Sidoarjo est d’abord la partie aval d’un grand bassin-versant, celui du Brantas. Il convient de présenter le système hydrologique dans lequel s’incère la Kali Porong avant de traiter de la nouvelle fonction qui lui est assignée depuis trois ans avec les évènements de LUSI. III. 1. Le fleuve Porong, exutoire du bassin-versant du Brantas Le Porong est l’une des deux branches par lesquelles le Brantas, deuxième plus grand fleuve de l’île de Java, se jette dans le détroit de Madura (Fig. 6.). La séparation du Brantas en deux cours d’eau a lieu à Mojokerto à 50 kilomètres de la mer, à une altitude de 25 mètres audessus du niveau de mer. Les deux branches s’écoulent sur la même plaine en pente douce inclinée vers l’est. Le fleuve Surabaya prend une direction nord-est et son rôle principal identifié est d’approvisionner la métropole en eau (Surabaya est la deuxième agglomération d’Indonésie avec plus de 5 millions habitants). Le fleuve Porong, la branche sud, coule d’abord vers le sud-est avant de changer de direction à mi-chemin et de poursuivre son cours transversalement vers l’est. Il se trouve en périphérie de la grande ville, aussi lui attribue-t-on un rôle de drainage des eaux en cas d’inondation au sein du bassin du Brantas [Kikkeri, 2004+. Le Porong, d’allure très rectiligne au niveau de Sidoarjo, est en grande partie canalisé (Fig. 7.). Les traces de l’ancien chenal existent encore au sud du cours actuel alors qu’il formait un méandre. Le Porong est l’un des deux exutoires pour un bassin-versant vaste de 11 800 km², entièrement contenu dans la province de Java Est dont il occupe un quart de la superficie. Le bassin est bordé par plusieurs grands volcans dont deux encore actifs. Depuis sa source à plus de 3000 mètres d’altitude sur les flancs sud-ouest du Mont Arjuno, le cours d’eau progresse sur 320 kilomètres, en dessinant un demi-cercle remontant au nord en passant pas l’ouest jusqu’à Mojokerto où le Surabaya et le Porong finissent d’achever le drainage vers la mer [Takeuchi et al., 1995]. Le Brantas compte 1555 affluents d’ordres 2, 3 et 4 (l’ordre d’une rivière est affecté en fonction de sa position par rapport au cours principal du Brantas qui prend l’ordre 1). La plupart sont issus des volcans Bromo (2393 m), Semeru (3676 m), Wilis (2169 m), Arjuno (3339 m), Butak (2868 m), Kelud (1731 m) lorsqu’ils ne proviennent pas des nombreuses collines d’altitudes contenues entre 300 et 500 mètres *Kikkeri, 2004+. Le bassin-versant est divisé en six sous-bassins : les bassins du Lesti (625 km²), du Konto (687 km²), du Widas (1539 km²), du Brantas (6719 km²), du Ngrowo (1600 km²) et du Surabaya (631 km²). 22 ARJUNO Fig. 6. Le bassin-versant du Brantas dans la province de Java Est (délimité par la ligne rouge). Le fleuve se sépare en deux branches, 50 kilomètres avant de rejoindre le détroit de Madura, et devient le Surabaya au nord et le Porong au sud. Ce territoire contient en son sein plusieurs volcans dont deux actifs (Kelud et Semeru). Modifié d’après Kikkeri, 2004 Fig. 7. Le Porong, fleuve canalisé. Le Porong, ici en aval de Sidoarjo (vue dans le sens du courant) est un cours d’eau canalisé, d’où son allure très rectiligne. Il a été aménagé de la sorte pour accroître son énergie afin d’évacuer les sédiments provenant du bassin-versant du Brantas, notamment des cendres volcaniques. Mais depuis que de nombreux barrages ont été construits, les apports sédimentaires du Brantas sont quasi-nuls. Photo : B. L.–A., 26 mars 2009 III. 2. Utilisation des cours d’eau du bassin-versant, aménagements et aspects socio-économiques Tout le bassin-versant connaît des aménagements nombreux et entretenus. Et il s’en construit encore. Effectivement, le développement économique de la région ne peut se faire sans intégrer le Brantas utile à la fois pour les activités agricoles et pour les activités industrielles. Kikkeri [2004] développe dans un rapport sur le Brantas pour la Banque Mondiale sept types d’utilisation des eaux du fleuve qui sont, dans l’ordre d’importance : « (i) l’irrigation, (ii) les usages domestiques, (iii) les usages industriels, (iv) la production d’énergie, (v) le remplissage des bassins à poissons, (vi) la récréation et le tourisme et (vii) le soutien d’étiage ». Il est à noter que l’île de java est pauvre en aquifères. La province de Java Est est la mieux dotée mais cela reste très faible. Si l’agriculture est la principale 23 consommatrice, c’est que les 387 000 hectares de riz, canne à sucre, maïs, soja et arachide irrigués du bassin nécessitent entre 2298 et 2448 millions de mètres cubes d’eau par an, ce qui représente environ 70 % de la consommation totale du bassin. À côté de leur utilité du point de vue du développement, l’ensemble des cours d’eau représente un risque d’inondation important qui a marqué les politiques d’aménagement. III. 3. Politiques de lutte contre le risque inondation Si les investissements pour le développement économique du bassin hydrologique sont notamment issus du pouvoir central, les politiques de lutte contre les inondations et les aménagements qui en résultent proviennent des autorités régionales et locales après avoir fait l’objet de décentralisations *Kikkeri, 2004+. Les fortes crues feraient moins de victimes et de dégâts aujourd’hui, qu’il y a vingt ou trente ans. Il n’empêche que presque 3500 hectares ont été inondés au sein du bassin durant la saison des pluies 2004-2005 [Mashuri, date inconnue]. En comparant deux évènements d’inondations majeurs à 26 ans d’intervalle (1976 et 2002), Toshikatsu Omachi et Katumi Musiake [2004] ont remarqué que les dommages avaient été limités lors de l’épisode le plus récent contrairement au plus ancien. Les eaux ont été évacuées plus vite et en plus grande quantité. Alors que le débit de pointe était 1,3 à 1,8 fois plus grand en 2002, les eaux sont quand même montées moins haut. Ils concluent que les capacités du Brantas et du Porong à supporter une inondation ont augmenté. Mais, plutôt que les aménagements de lutte contre l’inondation, ils identifient comme cause principale l’exploitation des sédiments de rivières qui a incisé les chenaux de 2 à 3 mètres. De la sorte, « la capacité de stockage du bassin du Brantas a presque doublé en 30 ans », permettant un drainage des eaux plus optimal lors des crues et limitant le risque de débordement. Cependant, cette incision des chenaux menace largement les « structures bâties dans ou en travers des cours d’eau *…+ C’est pourquoi la stabilisation du chenal est une nécessité urgente pour le Brantas » [Omachi et Musiake, 2004]. Faut-il comprendre ici que les fleuves Brantas et Porong, avant même les rejets de la boue de Lapindo dans le chenal ne pouvaient prétendre à aucune stabilité sur le plan géomorphologique ? III. 4. Les entrées sédimentaires : aggradation des chenaux par les éruptions du volcan Kelud et par l’érosion des sols due à la déforestation La faible couverture végétale du bassin et la déforestation qui aggravent l’érosion des sols sont des facteurs reconnus de production de sédiments. La présence de volcans actifs au sein du bassin-versant est une autre des sources sédimentaires dans le réseau hydrographique. Quand on parle de déforestation en Indonésie, on pense aux îles de Bornéo, Sulawesi et Sumatra. Mais le phénomène n’est pas des moindres à Java, surtout depuis le milieu des années 1990. Quand le pays est entré dans une crise économique grave en 1997 et 1998, les populations agricoles appauvries ont colonisé de nouvelles terres, modifiant l’occupation du sol. Des fronts de colonisation ont atteint certains hauts versants de volcans jusqu’alors épargnés. « Partout sur l’île, l’élagage sur les pentes volcaniques a atteint ses taux les plus 24 élevés depuis la période coloniale » [Lavigne et Gunnell, 2006]. Ces hauts versants sont d’autant plus sujets à l’érosion que leurs pentes sont abruptes. Et, facteur aggravant, ces deux mêmes années ont « enregistré l’anomalie d’ENSO (El-Niño Southern Oscillation) la plus forte du 20e siècle » [Lavigne et Gunnell, 2006]. Ainsi, 1997 a connu une forte sécheresse et de grands incendies mettant de nouvelles terres à nue. Les habitants, pour qui l’intérêt était de gagner de nouvelles surfaces exploitables sans, en plus, déclencher de conflit avec les autorités n’ont pas cherché à combattre les feux de forêt. L’année 1998 a, elle, subi le phénomène inverse avec une pluviométrie bien au-delà de la moyenne (Fig. 28.). Une telle conjonction de phénomène n’a pu qu’engendrer une érosion des sols considérable. Depuis deux décennies, les versants sont davantage déstabilisés ce qui donne lieu parfois à des évènements géomorphologiques brusques (coulées de débris lors des crues éclairs et glissements de terrains). Les données sur la déforestation et l’érosion sont rares et sousestimées mais le comblement des barrages-réservoirs par la charge solide des cours d’eau donne une idée de l’importance de ces phénomènes. Le réservoir Sutami sur le fleuve Brantas a été la zone de dépôt de 7,1 x 106 m3 de matériel pendant la seule courte période qui sépare les années 1997 et 1999 [Lavigne et Gunnell, 2006]. Concernant l’origine volcanique des sédiments, les cendres du Semeru (point culminant de Java) en activité permanente, retombent surtout en dehors du bassin. Le Kelud en revanche déverse dans le bassin des quantités importantes de matériel lors de ses éruptions (200 millions de m3 en moyenne selon les estimations) qui se produisent plus ou moins de manière cyclique tous les quinze ou vingt ans (1901 ; 1919 ; 1951 ; 1966 ; 1990 ; et 2007 mais il n’y a pas eu de cendres émises cette fois-ci). « Le Kelud a une grande influence sur les caractéristiques géomorphologiques du fleuve » [Takara et al., date inconnue]. Les coulées de lahars canalisent les cendres dans le fond des vallées après une explosion. Une estimation trop théorique veut que si une éruption équivaut de 100 à 300 millions de m3 de matériel, l’élévation du profil en long du Brantas est en principe de 2,5 à 7,5 mètres, le temps que les sédiments soient évacués, en considérant que le cours d’eau fait 200 mètres de large sur 200 kilomètres de long [Omachi et Musiake, 2004]. Aussi le rôle, au moins dans le passé, des drains principaux du bassin était d’évacuer le matériel accumulé. En partie pour faciliter cela, le Porong a été aménagé en canal rectiligne. Les traces les plus marquantes de cette activité sont observables au niveau du delta du Porong. III. 5. Les sorties et les stocks sédimentaires : retenues par les barrages, activités d’extraction et progradation du delta du Porong Le détroit de Madura est une zone identifiée de « large panache sédimentaire » dans une étude macro-régionale sur la sédimentation à l’embouchure des fleuves en Asie du Sud et du Sud-Est et pour laquelle le Porong et le Brantas sont deux des fleuves pris en compte [Gupta et Krishnan, 1994]. La progradation du delta est une caractéristique majeure du Porong au 20e siècle. Les vitesses d’avancées sur la mer proposées par les différents auteurs varient grandement en revanche et les images aériennes à différentes époques sont difficiles à obtenir. Selon un article Internet qui reprend le résumé de Y. Mizuhara sur une étude de la sédimentation dans le Porong, « le delta a progressé de 4 kilomètres entre 1914 et 1954, de 3 kilomètres entre 1945 et 1964 et de 2 kilomètres entre 1964 et 1970. La sédimentation y 25 est très active. Le volume accumulé annuellement était de 5 millions de m3 en moyenne entre 1977 et 1985 » [DPRI Newsletter, 1995]. Les sources laissent cependant penser à un manque de rigueur de l’étude qui d’ailleurs n’est pas sans enjeux pour les auteurs japonais. Conclure à la trop grande libération de sédiments dans le fleuve et son delta invite à la réalisation de nouveaux ouvrages en travers des cours d’eau pour retenir les sédiments. Or ce sont des entreprises japonaises qui réalisent ces aménagements lourds. Selon Pak Soffian, le chef du BPLS, une des fonctions du Brantas et du Porong était bien d’évacuer les matériaux volcaniques du Kelud. Le Porong a d’ailleurs été dérivé en un canal rectiligne par les Hollandais car cela permet d’accroître sa puissance [Simon et Rinaldi, 2006]. Mais il ne parle que d’une avancée du delta de 3,5 kilomètres en 70 ans et explique que cette activité est dépassée. Depuis des années, le fleuve manque même de sédiments et ses berges s’érodent davantage [comm. pers. avec Pak Soffian, avril 2009]. On manque donc apparemment de connaissances sur l’évolution actuelle du delta, surtout depuis le rejet de la boue de Sidoarjo. Des images satellites laisseraient interpréter l’existence de deux barres sous-marines en avant du delta qui seraient deux zones privilégiées où s’accumuleraient les sédiments drainés [comm. pers. avec Dr. Van S. Williams de l’USGS, mai 2009]. L’embouchure du Porong dans le détroit de Madura reste une des sorties sédimentaires du système. Une autre actuellement plus importante réside dans l’extraction du matériel accumulé dans les chenaux, utile à la construction. Les chenaux sont surtout composés de sables et de limons. Les blocs et cailloutis tapissent uniquement les parties amont du bassinversant. Cette activité minière a lieu tout au long des cours d’eau et l’intensité est telle que, après l’éruption du Kelud en 1990, la situation d’aggradation n’a duré qu’un an. Le retour à la situation inverse d’incision des lits s’est fait très vite à cause de l’activité d’extraction considérée comme premier facteur de sortie sédimentaire [Fujita et al., 2005]. Des estimations rapportées par Omachi et Musiake [2004], élèvent la quantité de sable extraite à 3 900 000 m3 pour l’ensemble du bassin-versant du Brantas en 2000. Et les années suivantes semblent avoir poursuivi au même rythme. Dans les années 1970, l’extraction du sable était vue comme une bonne solution face à l’élévation globale des chenaux *Omachi et Musiake, 2004+. C’est d’ailleurs un exemple de régulation socio-économique de phénomènes géomorphologiques. Mais à présent que les lits des rivières continuent d’être érodés, la régulation, voire l’interdiction des extractions apparaissent comme une nécessité car les aménagements dans les chenaux sont déstabilisés. III. 6. Les rejets de cendres du Kelud dans le bassin-versant du Brantas et les rejets de boue de LUSI dans le Porong, des situations comparables ? Lors d’entretiens avec des responsables de gestion de la crise, le Porong nous a été présenté comme un cours d’eau habitué à connaître des déstabilisations de niveau à cause des éruptions du Kelud. Cela nous apparaît comme un argument en faveur de la légitimation des rejets de boue de LUSI. Malgré quelques points communs sur lesquels s’appuie cet argument, les situations restent trop différentes pour être comparables. Les chapitres 26 suivants permettront de s’en rendre compte mais la question peut être résolue dès à présent. Sur quels plans peut-on s’aventurer à comparer les évènements de rejet de la boue de Sidoarjo dans le fleuve Porong avec les éruptions du volcan Kelud pour l’ensemble du bassinversant ? Certes ces deux types d’évènements déstabilisent subitement les cours d’eau sur le plan géomorphologique. Ils sont capables d’élever le niveau des chenaux de plusieurs mètres. Mais ce qui se passe à Sidoarjo est concentré sur un petit espace (ce n’est pas tout l’ensemble d’un bassin-versant qui est concerné, mais uniquement une vingtaine de kilomètres linéaires) qui n’en demeure pas moins un secteur particulier du bassin hydrographique puisqu’il s’agit de la partie la plus en aval et deltaïque. Les situations s’opposent du fait qu’il ne s’agit pas dans le cas de notre sujet de causes naturelles, mais de rejets décidés et organisés par les autorités. Et puis, dans le cas du Kelud, les évènements sont cycliques et relancent les activités d’extraction, alors qu’à Sidoarjo, les rejets sont continus depuis trois ans et ont mis fin à l’exploitation minière dans le fleuve. C’est là l’un des changements importants pour les habitants riverains du Porong en aval des rejets d’après notre enquête par questionnaires réalisée les 16, 17 et 18 mai 2009 sur la thématique des répercussions des changements hydro-géomorphologiques du fleuve dans la vie des habitants. À la question ouverte : « le fleuve a-t-il connu des changements de forme depuis le commencement de LUSI ? », quatorze individus sur les trente-et-un interrogés ont relevé d’eux-mêmes le problème de la boue mélangée au sable qui en empêche l’exploitation. L’argument selon lequel les rejets de boue dans le Porong ne sont qu’une réplique miniature de ce qui se passe naturellement avec le rejet des cendres du volcan Kelud dans tout le bassin-versant du Brantas n’est pas recevable. Il faut se méfier des discours trop théoriques à propos de la crise bien particulière de Sidoarjo, surtout quand ils sont prononcés par des responsables. 27 IV. Le contexte global de crise environnementale de Sidoarjo et la question spécifique des rejets de boue dans le fleuve Porong Les évènements de Sidoarjo constituent une crise dans laquelle se mêlent les sphères sociale, politique, financière et environnementale. La situation de Sidoarjo est trop complexe pour être analysée de manière exhaustive. Nous nous sommes donc penchés sur un aspect particulier qui a trait à la géomorphologie fluviale. Il n’empêche que pour être compris, le rejet de la boue dans le fleuve doit être replacé au préalable dans le système de crise auquel il appartient. Aussi les différentes composantes de la crise environnementale de Sidoarjo sont-elles présentées ici. IV. 1. L’incontinence de LUSI, des éruptions de boue rythmées, abondantes et incessantes Le volume quotidien des éruptions de boue a évolué depuis l’origine du phénomène apparu le 29 mai 2006. Les raisons à cela ne sont pas évidentes. Elles semblent parfois corrélées à des évènements externes, par exemple, des tremblements de terre [Mazzini et al., 2007]. Différentes phases de l’activité du volcan de boue ont été identifiées. D’abord, les éruptions ont crû très rapidement au cours des onze premières semaines. De 5000 m3/jour à l’origine (l’équivalent de cent cinquante camions), le cratère s’est élargi pour rejeter 120 000 m3 de matériel par jour. Déjà le phénomène prenait des proportions qui dépassent l’échelle humaine. Evers *2006+ remarque que ces quantités seraient suffisantes pour remplir une piscine grande comme un terrain de football et profonde de dix-sept mètres. Ensuite, LUSI serait rentré dans une période qui a duré du 14 août au 10 septembre 2006 et pour laquelle le volume des éruptions fluctuait entre presque zéro et 120 000 m3/jour *Mazzini et al., 2007+. Comme l’activité avait tendance à baisser d’intensité, les habitants ont cru que les émissions du volcan de boue allaient finalement s’arrêter d’elles-mêmes. Mais elle a soudainement repris avec plus de force encore qu’auparavant. Les débits atteignaient 160 000 m3/jour, avec un record à 180 000 m3/jour à la fin du mois de décembre 2006. La réactivation semble avoir été liée aux séismes violents qui ont eu lieu les 6 et 8 septembre à moins de 300 km de Sidoarjo *Mazzini et al., 2007+. L’article de Manga et al. [2009] met le doute sur la relation entre évènements sismiques et réactivations des éruptions de boue. Certaines augmentations de l’intensité éruptive ne peuvent être corrélées à des tremblements de terre. Et ils notent même, d’après une discussion personnelle avec Adriano Mazzini que des réactivations éruptives identifiées peuvent en fait n’être que des artéfacts dues aux difficultés de mesure des débits de LUSI. Selon les données communiquées, au bout d’un an, le volcan rejetait environ 110 000 m3 de matériel par jour. Le volume total de boue dépassait 27 millions de m 3 selon les estimations 28 (ce qui donne sur l’année une moyenne journalière légèrement inférieure à 80 000 m 3). Le tout, contenu par de hautes digues, s’étendait sur 6,5 km² (Fig. 8.). Oct. 2005 Août 2006 Juin 2008 Août 2007 Juill. 2009 3 Fig. 8. L’épandage des boues de LUSI d’année en année. Le débit moyen des éruptions approche 100 000 m /jour et a déjà 3 atteint 180 000 m /jour. Le matériel encore fluide ou solidifié par endroits est contenu par des digues protégeant les zones urbanisées alentour. Quatre villages (Renokenongo, Jatirejo, Kedungbendo et Siring) sont ensevelis. Les digues internes au bassin ont aussi disparu récemment par effet de subsidence, si bien qu’on ne peut plus approcher le cratère. Aujourd’hui, le débit des éruptions est encore plus difficile à estimer (ce n’est d’ailleurs pas une priorité pour les autorités débordées, sans mauvais jeu de mot) car les digues approchant le cratère ont disparu suite à l’élévation du niveau de la boue, mais surtout à cause de la subsidence très rapide dans le périmètre central. Une seule certitude, la boue et les gaz continuent quotidiennement de sortir du cratère et il est vain d’essayer de lutter contre. Nul n’a pu se prononcer, pourtant, tout le monde s’attend à ce que les éruptions se poursuivent encore des années ou des décennies. Ce n’est donc pas sur l’aléa qu’il faut intervenir mais bien sur la vulnérabilité [comm. pers. avec Pak Surono, directeur du PVMBG]. Or il semble que ce ne soit qu’une part minime des sommes engagées autour de LUSI qui est employée à l’évacuation des zones dangereuses. IV. 2. L’ensevelissement total de villages par la boue Les inondations de villages javanais par la boue constituent le côté le plus spectaculaire et dramatique de LUSI. On a suivi la montée de la boue sans rien pouvoir faire pour l’empêcher. Seules des digues ont pu être érigées pour protéger des zones d’habitation et des infrastructures. Il n’empêche que quatre villages ont été sacrifiés : Renokenongo, Jatirejo, 29 Kedungbendo et Siring (en partie). Environ 30 000 habitants ont dû quitter leur lieu d’habitat. Ceux qui le pouvaient ont racheté une maison, loué une résidence ou se sont fait héberger par des membres de leur famille. Ceux pour qui les moyens manquaient ont transité par le camp de réfugiés organisé par le gouvernement. Certains n’ont pas fait que transiter. Un bidonville s’est formé sur le tronçon d’autoroute désaffecté en dehors du secteur inondé (Fig. 9. a)). Dans la grande majorité, les migrations des habitants se sont effectuées sur de courtes distances, vers les villages adjacents, parfois, juste de l’autre côté du fleuve. À Dukuhsari, un village sur les bords sud du fleuve Porong, distant d’un peu plus d’un kilomètre de l’aire endiguée (Fig. 30.), plusieurs maisons sont en construction, destinées à accueillir certains de ces « réfugiés environnementaux » (Fig. 9. e)). En plus de leurs habitations, ce sont leurs lieux de travail qui ont disparu. Certains possédaient des terres agricoles, d’autres un petit commerce. Beaucoup travaillaient dans des usines (fabriques de montres ou autre). Souvent, les migrants rencontrés se sont plaints d’avoir perdu leur emploi et de ne pas en avoir retrouvé depuis (cf. chap. VI.). Ont disparu également des écoles, des mosquées et des routes. L’autoroute importante pour la liaison entre Surabaya et le reste de la province de Java Est a été coupée un peu avant Gempol. Tout le trafic s’est donc reporté sur une route plus petite et non calibrée au trafic actuel qui passe à l’ouest en longeant une des digues et la voie ferrée. C’est devenu un passage très difficile, en embouteillage constant (Fig. 10.). Cette voie encombrée et fort bruyante alors qu’il fait aussi très chaud dans la région contribue largement à rendre les environs de LUSI oppressants et désagréables à vivre (cf. résultats de l’enquête par questionnaire au chapitre VI). Ainsi, les inondations de boue sont l’élément central de la crise environnementale (Fig. 17.). Les images de maisons disparaissant sous la boue sont connues de tous les Indonésiens et ont fait le tour du monde. Elles touchent à la sensibilité. C’est cela que les touristes attirés par la crise viennent voir (les guides se présentent d’ailleurs toujours comme d’anciens habitants des villages engloutis). Certes, il y a les maisons qui ont disparu sous la boue, mais beaucoup de problèmes dérivés existent. Ils sont observables avec plus ou moins de facilité en périphérie et leur gestion doit être envisagée, soit dans l’immédiat, soit sur des pas de temps plus longs. Ce ne sont plus les inondations de boue qui attirent toute l’énergie des autorités. Aujourd’hui, ce sont plutôt les problèmes en périphérie liés aux déformations du sol et à la subsidence. IV. 3. Subsidence et déformations du sol L’épandage de la boue est clairement délimité et les digues permettent d’empêcher son expansion. Pour ce qui est des déformations du sol, non seulement le périmètre concerné est beaucoup plus large et difficile à délimiter, mais en plus il s’agrandit et rien ne peut contraindre son extension. Les déformations du sol sont assez bien suivies (des relevés sont faits au moins tous les mois) et existent jusque dans un rayon de neuf kilomètres à partir de LUSI [comm. pers. avec Handoko T. Wibowo]. Il s’agit de déformations verticales et horizontales assez difficiles à 30 a) b) c) d) e) Fig. 9. Les migrations résidentielles. Elles ont concerné plus de 30 000 personnes depuis le début. Elles s’effectuent surtout sur des courtes distances. a) Les habitants qui ont perdu leur maison ainsi que tous leurs biens sous la boue et qui n’ont pas trouvé de nouveaux logements se sont installés sur l’autoroute qui a été coupée (13 juillet 2009). b) À l’ouest, dans le village de Siring, en partie sous la boue, les maisons craquent sous l’effet des déformations du sol. Malgré l’instabilité des murs, certaines familles n’ont pas les moyens de déménager. Petit à petit le village est en cours d’évacuation, mais cela va trop lentement compte-tenu des risques qui existent (3 août 2009). c) Une famille dont la maison craque se décide à déménager après les récentes éruptions de boue et de gaz dans le quartier voisin. Les indemnités touchées ne s’élèvent qu’à 40 euros environ *comm. pers. avec les habitants+ (Siring, 3 août 2009). d) L’une des habitations qui a été évacuée dans le village de Siring (13 juillet 2009). e) Des nouvelles maisons se construisent dans les villages à proximité qui ne sont pas directement touchés par la crise comme ici à Dukuh Sari, de l’autre côté du fleuve Porong (17 mai 2009). Photos : B. L.-A. 31 analyser car elles ne s’effectuent pas en continu dans un unique sens. Certains points surveillés par GPS se déplacent dans un sens, puis dans un autre quelques mois après. Et les tendances pour l’ensemble des relevés ne sont pas évidentes à dégager. Certaines fois les points mesurés convergent vers le cratère (surtout ceux situés à l’est de la grande faille d’orientation sud-ouest nord-est réactivée après le tremblement de terre de Yogyakarta en mai 2006, la faille de Wakutosek), d’autres fois, les points se déplacent temporairement à peu près dans une même direction. Le PMBVG produit quelques cartes de ces déformations comme celles rapportées sur la fig. 11. a) et b). Les déformations verticales sont dans les deux sens. Certains points s’élèvent mais la tendance commune est clairement à la subsidence. On ne connaît pas la taille (ou les tailles puisqu’il se pourrait qu’il y en ait deux *comm. pers. avec Handoko T. Wibowo+) de la source dont provient la boue. Le réservoir en tout cas se vide peu à peu ce qui conduit à l’affaissement du terrain. C’est en fait une caldeira qui est en train de se former. D’autres facteurs tendent à accélérer le phénomène : le poids de la boue accumulée à la surface, celui des kilomètres de digues érigées, les constructions en périphérie (surtout à l’ouest) et aussi la route longeant la voie ferrée perpétuellement en embouteillage et bloquée par les camions. Les vitesses de subsidence ne sont pas uniformément réparties. Elles sont de loin les plus fortes autour du cratère. Un ouvrier chargé de l’entretien des digues m’a rapporté qu’au plus près du cratère, des abaissements de 20 centimètres pouvaient se produire dans une journée. Dans le village de Siring à l’ouest, en partie sous la boue, la subsidence peut atteindre 1 à 4 centimètres par jour. Des relevés GPS quotidien de l’ITB (Institut Technologique de Bandung) du 22 septembre 2006 au 23 janvier 2007 montraient que les terrains s’étaient abaissés de manière régulière de 225 centimètres en quatre mois. Cela constitue un autre risque. Les maisons sont déstabilisées, les murs se fissurent et menacent de s’écrouler. Les familles continuent de vivre dans leurs habitations fissurées mais certaines décident parfois de déménager lorsque c’en est trop et qu’elles peuvent financièrement se le permettre (Fig. 9. b) ; c) et Fig. 13. b) ; e)). Les déformations du sol et la subsidence ont de graves conséquences. Elles engendrent un entretien difficile des digues et forment dans le sous-sol un réseau de failles par lequel gaz, eau et boue trouvent à remonter, quelquefois directement chez les habitants. Fig. 10. Les embouteillages permanents le long de la voie ferrée et de la digue à l’ouest. Depuis que l’autoroute, qui part de Surabaya et rejoint le reste de l’est de l’île, a été coupée par la boue, tout le trafic est redirigé sur cette route qui n’est pas calibrée pour. Photo : B. L.-A., 13 juillet 2009 32 Légende : : Point de mesure : déformation horizontale (cm) : déformation verticale (cm) : ligne de faille : route : fleuve : cratère de LUSI a) b) c) Fig. 11. Les déformations du sol et les remontées de gaz en périphérie. a) et b) Cartes réalisées par le PVMBG des déformations du sol entre juillet 2007 et février 2008, puis entre février 2008 et avril 2008. c) Localisation par le BPLS des sorties de gaz, d’eau et de boue (en vert, celles qui sont apparues en février 2009). C’est le village de Siring à l’ouest qui est le plus touché. IV. 4. Entretien et disparition des digues au centre Le paysage à Sidoarjo change de mois en mois. Les digues internes qui compartimentent le bassin de boue disparaissent une à une depuis le début de l’année 2009 (Fig. 8 et Fig. 12.). La faute à la boue qui ne cesse de monter et surtout à l’effet de subsidence. Subsidence d’ailleurs renforcée par le rehaussement sans fin des digues, lequel devient trop onéreux et finalement vain. Les digues périphériques quant à elles, traçant le périmètre de l’aire inondée sont toujours consolidées et nécessiteraient près de 400 camions par jour. Les conséquences seraient graves si elles venaient à céder puisqu’à l’ouest se trouve la zone la plus peuplée, la voie 33 ferrée et l’axe routier. C’est une des grandes peurs des habitants et surtout des autorités qui n’ont pas le droit à une rupture de digue tant que les zones à risques encore densément peuplées ne sont pas évacuées Fig. 12. Digue qui sombre sous la boue à l’intérieur du bassin de LUSI. Le niveau de boue continue de monter, mais c’est la subsidence intense surtout qui fait disparaître les digues et rend vains les travaux quotidiens de rehaussement. Depuis mars 2009, beaucoup des digues internes ont été abandonnées (cf. Fig. 7.). Photo : B. L.-A., 13 juillet 2009 IV. 5. Émanations de gaz, d’eau et de boue à l’ouest, en périphérie habitée Des remontées de gaz, et des geysers d’eau et de boue apparaissent régulièrement depuis le commencement des évènements en périphérie, dans les villages alentour (Fig. 11. c)). Les fluides, d’origine profonde, profitent du réseau de failles souterrain pour trouver des passes et jaillir à la surface. Il y a des remontées qui se produisent dans le bassin de boue, mais elles ne posent pas problème. On n’aperçoit de petites zones où des bulles remontent. C’est lorsque cela apparaît directement dans les maisons que cela devient dangereux. Les gaz sont composés en grande partie de méthane (présence de SO2, H2S, CO et NO2 [United Nations (Ocha), 2006+) d’où un risque d’explosion et d’incendie. Quand cela se produit, une équipe spécialisée introduit un tube là où les gaz sortent pour les évacuer à l’extérieur. Les habitants cohabitent ainsi avec ces tubes durant plusieurs mois ou plusieurs années. Dans un warung (kiosque où l’on propose de manger) une de ces fuites a été canalisée et les propriétaires (dont la maison est sinistrée mais qui n’arrivent pas à déménager contrairement à leurs voisins parce que les moyens leur manquent) l’utilisent pour cuisiner (Fig. 13.). Les habitants qui ont des petites fuites chez eux se plaignent de l’odeur et des maux de tête qu’ils ont parfois. Ceux pour qui les fuites sont plus importantes sont forcés d’évacuer. Au début du mois de juillet 2009, une remontée plus importante que d’habitude s’est produite chez une famille qui a dû évacuer d’urgence. De la boue est remontée (allant jusqu’à inonder la rue sur une trentaine de centimètres) avec des gaz très irrespirables (Fig. 14.)). Cet évènement grave a bien fait prendre conscience aux gens du danger d’habiter leur village et décider certains à enfin déménager en dépit d’une modique compensation de la part du gouvernement (une quarantaine d’euros). Une corrélation existe entre la saison sèche et l’apparition de ces remontées de fluides à la surface. La cause exacte n’a pas encore été expliquée. Cela fait discussion chez les géologues du BPLS. Il semblerait que les sols soient rendus imperméables pendant la saison des pluies et que les passes vers la surface apparaissent lorsque les sols se rétractent et que les fissures 34 s’écartent pendant la saison sèche [comm. pers. avec Pak Dodie du BPLS, mai 2009]. Aussi la saisonnalité rythme-t-elle les peurs des résidents. a) b) c) d) e) Fig. 13. Conditions de vie insalubres d’une habitante de Siring, à l’ouest, qui n’arrive pas à déménager par manque de moyens. a) Jardin détruit par une éruption de boue. b) et e) Fissures dans les murs de sa maison à cause de la subsidence rapide des sols. c) Sortie de gaz dans une pièce de la maison (le BPLS a placé des tubes en plastique pour les diriger dehors mais cela n’empêche pas la propriétaire d’avoir des maux de tête fréquents). d) Une autre sortie de gaz a été maîtrisée. En construisant une cheminée par-dessus et en installant de quoi régler le débit, les habitants cuisinent à partir de cette source d’énergie indésirée. Ils tiennent d’ailleurs un warung, ces petits kiosques où l’on sert à manger. Photos : B. L.-A., 13 juillet 2009 35 b) a) d) c) Fig. 14. Éruption de boue et de gaz plus grave que d’habitude à Siring (ouest) au début du mois de Juillet 2009. a) Formation d’un nouveau petit cratère à l’intérieur d’une pièce. Après un mois, le diamètre s’est élargi et des murs sont tombés. Près du trou, les concentrations de gaz dans l’air sont trop fortes pour être respirables (3 août 2009). b) Le mobilier du propriétaire qui peut être sauvé est évacué avec l’aide des autorités (13 juillet 2009). c) Rigole pour évacuation du matériel liquide (3 août 2009). d) La boue a inondé la rue sur vingt à trente centimètres de hauteur et le secteur est contrôlé par les autorités, surtout à cause du risque d’explosion (13 juillet 2009). Photos : B. L.-A. IV. 6. L’eau superficielle salée du bassin de boue déversée dans des rivières utiles à l’irrigation des champs au nord et à l’est Dans les rivières qui coulent au nord de la zone endiguée, on rejette l’eau qui repose en couche superficielle à la surface du lac de boue (Fig. 15. a)). Cette couche d’eau est à la fois issue des précipitations et de la décantation de la boue. Le fait qu’elle soit salée constitue sa caractéristique principale. Le taux de salinité atteint presque celui de l’eau de mer. Des mesures sont faites de manière hebdomadaire par le BPLS dans les rivières des environs (Kali Ketapan, Kali Gempolsari, Kali Keboguyang ainsi que dans la Kali Porong à plusieurs endroits). Des panneaux « interdit de pêcher » fleurissent le long de ces cours d’eau, panneaux qui ne sont pas respectés par la population. 36 Par ailleurs, l’eau de ces rivières sert à irriguer les champs de légumes et les rizières qui se trouvent au nord et à l’est. Or, si l’eau est salée, il est fort probable que cela nuise à la production. Peut-être les rendements vont-ils diminuer d’année en année. Déjà le sel apparaît à la surface de la terre lors qu’il fait sec (Fig. 15. b)). Fig. 15. Rejets de l’eau superficielle salée du bassin de boue dans les rivières au nord et à l’est. a) mesures hebdomadaires de la qualité de l’eau effectuées par une équipe du BPLS. Ici rivière Ketapang au nord, juste au niveau où l’eau est déversée. À noter, les habitants qui pêchent à l’arrière plan malgré les panneaux d’interdiction (15 mai 2009). b) Formation pelliculaire de sel dans un champ à l’est irrigué par une de ces rivières où l’eau du secteur endigué est évacuée (13 juillet 2009). Photos : B. L.-A. IV. 7. Les rejets de la boue dans le fleuve Porong au sud Enfin, depuis la fin de l’année 2006, c’est la boue elle-même qui est déversée au sud, dans le fleuve Porong qui fait figure d’exutoire pour le matériel craché par le volcan de boue. Le bassin de LUSI est déjà presque plein. Evacuer une partie de la boue permet d’alléger la pression entre les digues. Fig. 16. Les rejets de boue dans le fleuve Porong au sud. Contrastes entre la saion des pluies (à gauche, 26 mars 2009) où la boue liquide est emportée en nappes par le courant, et la saison sèche (à droite, 2 mai 2009) où la boue se dépose en bancs alors que le débit du fleuve a franchement diminué. Photos : B. L.-A. Le fleuve coule d’ouest en est. Il se termine en un delta et se jette dans le détroit de Madura à un peu moins d’une vingtaine de kilomètres de Sidoarjo. Le Porong peut bien servir d’exutoire, mais son régime à saisons alternées s’accorde mal au volcan de boue LUSI dont le débit est continu tout au long de l’année. Le fleuve n’a pas la compétence suffisante hors 37 saison des pluies pour emporter le matériel qui s’accumule alors dans le chenal (Fig. 16.). L’exhaussement des fonds se compte en mètres. Théoriquement, cela devrait accentuer le risque de débordement au retour des pluies abondantes et impliquer un nouveau risque pour les villages riverains. Mais il semble bien que ce ne soit pas le cas car de hautes digues préexistaient le long du fleuve et sont en cours de rehaussement. Sur le plan écologique, cela a d’autres conséquences. Les composants toxiques de la boue, sa salinité, sa température élevée et la turbidité qu’elle provoque dégradent l’écosystème fluvial. Cela détruit la ressource halieutique qui constituait un revenu pour des familles de pêcheurs. La pollution semble s’étendre aux nappes phréatiques car les habitants proches du fleuve ont vu l’eau de leurs puits devenir amère et salée et certains ont subi des irritations après l’avoir utilisée pour se laver *résultats de notre enquête par questionnaire réalisée en mai 2009]. Les rejets volontaires de la boue dans le fleuve Porong impliquent de nombreuses conséquences en aval. On n’en a sans doute pas entièrement conscience. Mais la crise est telle qu’aux yeux des autorités, il n’y a d’autres choix que de sacrifier en partie le milieu fluvial. IV. 8. Une répartition géographique des problèmes environnementaux de Sidoarjo, schéma d’enjeux et d’acteurs De toute évidence, les évènements de Sidoarjo constituent une grave crise environnementale et sociale. Les problèmes causés sont bien différents et forment entre eux un système. Certains enjeux sont des conséquences directes du volcan de boue (villages ensevelis), d’autres sont des conséquences dérivées, provoquées par exemple par les autorités dans un souci de gestion (rejets de l’eau salée au nord et de la boue au sud). Se posent pour ces dernières des défis immenses. Nous proposons ici un schéma d’enjeux et d’acteurs qui reprend chacun des points présentés plus avant afin de résumer le système de crise de Sidoarjo (Fig. 17.). Peut-être ce modèle n’est-il pas exhaustif ou même n’est-il que temporaire et déjà dépassé tant il est difficile de distinguer l’horizon des conséquences environnementales et tant la situation évolue à grande vitesse. L’intérêt d’un tel schéma est de situer chacun des enjeux par rapport aux autres et éventuellement de les hiérarchiser. Chacun des problèmes est dramatique mais ne peut se comprendre que lorsqu’il est envisagé dans ce contexte. Certains enjeux se trouvent alors relativisés. La destruction de la ressource halieutique et la salinisation des champs sont tout de suite moins graves quand des familles risquent de voir subitement apparaître chez eux des gaz explosifs et des éruptions d’eau et de boue. On ouvre ici une discussion sur la géographie de la crise environnementale. Les éléments du système de crise environnementale s’organisent selon un schéma centre-périphérie d’une part et se distribuent selon les quatre points cardinaux d’autre part. Le bassin de boue endigué dessine grossièrement un quadrilatère. Et selon que l’on se trouve au centre, à l’ouest, au sud, au nord ou à l’est, l’occupation du sol n’est pas la même et les thématiques 38 sont bien différentes : au centre les inondations de boue, à l’ouest les sorties de gaz, d’eau et de boue dans les villages ; au sud les conséquences en chaîne dues au rejets organisés de la boue ; au nord et à l’est, les rejets d’eau salée et les problèmes que cela pose aux cultures légumières et céréalières. Fig. 17. Schéma d’enjeux et d’acteurs de la crise de Sidoarjo. Il semblerait qu’il existe une répartition géographique selon laquelle les composantes de la crise s’organisent. Cela forme un système qui se lit à la fois selon une logique centrepériphérie (il existe des problèmes directs et des problèmes dérivés qui sont la conséquence des premiers) et selon une polarisation appuyée sur les points cardinaux (les enjeux changent selon que l’on se trouve à l’ouest, au sud, au nord ou à l’est). On a traité ici des aspects environnementaux, mais on a quand même ajouté la dimension politico-scientifique pour montrer qu’elle se focalise sur les éléments centraux et non sur les conséquences en aval. Il nous paraît par ailleurs utile de garder en tête ce schéma pour ne pas se laisser prendre par les « effets de mode ». Au sein de cette crise, il y a des effets spectaculaires et des conséquences moins visibles qui prendront toute leur importance à long terme. Durant les deux premières années, tout le monde avait les yeux rivés sur l’espace central où les inondations de boue ne laissaient plus apparaître que les toits des maisons. C’est ce que les touristes et les journalistes venaient voir. Maintenant que toute la zone a été évacuée, que la boue a dépassé le niveau des habitations et que cela n’a plus l’air que d’un grand lac, l’aspect spectaculaire a un peu perdu de son intensité et c’est sur les sorties de gaz et de boue et sur les effets de la subsidence dans les zones résidentielles encore habitées à l’ouest que l’on se focalise. On en oublie presque le reste. Mais une fois que la lente évacuation de ces quartiers sera terminée et qu’il n’y aura plus d’enjeux humains quels sont les problèmes qui attireront l’attention ? On ne sait pas encore, cela dépendra de l’évolution des évènements, mais on peut s’attendre à ce que des populations qui sont déjà victimes 39 aujourd’hui se voient accorder plus d’attention une fois que d’autres priorités auront été réglées. Dans le système complexe de crise environnementale de Sidoarjo, le schéma centrepériphérie, conséquences directes-conséquences indirectes, et le schéma de polarisation selon les quatre points cardinaux nous paraissent être des clés simples et efficaces de compréhension. 40 V. La boue dans le fleuve Porong, analyse de l’évolution géomorphologique du chenal en 2008 V. 1. Organisation du rejet de la boue Depuis le décret présidentiel No. 14/2007, plusieurs pipelines sont employés au rejet de la boue à partir du bassin de LUSI. Ils sont tous cantonnés dans un rayon de quelques centaines de mètres. Depuis fin 2007, les pipelines actifs s’appuient sur le pont de l’autoroute (qui a été coupée avec les inondations) dans le village de Ginonjo qui appartient à la commune de Besuki. Les rejets sont financés à la fois par la compagnie PT Lapindo Brantas et par le BPLS (l’organisme d’état créé pour gérer la crise). Cependant, faute de moyen, les pipelines ne fonctionnent pas en permanence et pas tous en même temps. En général, il n’y en a que trois au maximum qui travaillent simultanément (Fig. 18.). Fig. 18. Rejets de la boue de LUSI dans le fleuve Porong en saison sèche. À gauche, vue vers le sud. La boue est rendue plus liquide au préalable afin de bien s’écouler à l’intérieur des pipelines. À droite, vue vers le nord, depuis le pont de l’autoroute coupée. On aperçoit à l’arrière plan le panache issu du cratère du volcan de boue. Photos : B. L.-A., 10 juillet 2009 Ils déversent dans le fleuve une boue noire qui est rendue plus liquide au préalable afin qu’elle puisse s’écouler sans peine dans les tuyaux, sans les boucher. Le processus s’effectue comme suit : l’eau du fleuve Porong est d’abord pompée et déversée dans un secteur du bassin de boue où là, des tractopelles montés sur des radeaux remuent la boue pour la mélanger à l’eau avant que les pipelines de sortie conduisent la boue liquide jusqu’au fleuve. Il n’existe pas de mesures précises mais selon les ouvriers qui travaillent à cette tâche, il faudrait deux à trois volumes d’eau pour un volume de boue pour que l’écoulement dans les tubes soit convenable. Quatre cents mètres environ séparent le fleuve du bassin où la boue est fluidifiée (Fig. 19.). Pendant les mois de mousson, la boue déversée est emportée par le courant. On aperçoit la boue qui se déplace en nappes près de la surface du fleuve jusqu’à plusieurs centaines de mètres en aval avant que le matériel ne se mélange petit à petit dans les eaux et que l’on ne 41 la distingue plus (Fig. 20.). Dès que le débit du fleuve diminue en revanche pendant la saison sèche, sa compétence n’est plus suffisante pour drainer la boue. Elle se dépose alors dans le chenal. Fig. 19. Schéma du processus destiné à rendre la boue plus liquide avant de la rejeter dans le fleuve au sud. L’eau du Porong pompée en amont est mélangée à la boue par des tractopelles montés sur radeaux. Il faudrait trois volumes d’eau pour un volume de boue afin que les pipelines ne se bouchent pas. Le tout est financé à la fois par la compagnie Lapindo Brantas et par le BPLS. Réalisation et photo : B. L.-A. Fig. 20. Nappes de boue emportées par le courant pendant la saison des pluies, environ 500 mètres en aval du lieu où les pipelines déversent la boue (celui de la photo n’est plus actif). Photo : B. L.-A., 26 mars 2009 L’estimation du volume de boue rejetée dans la Kali Porong pose des difficultés. Aucun bilan sur une période donnée n’a été fait. Le quotidien le Jakarta Post annonçait dans l’édition du 42 1er avril 2009, que le volume de boue rejeté dans le Porong s’élevait à 50 000 m3 par jour, mais sans citer leur source. Le chiffre proposé correspond déjà à la moitié du volume de boue moyen évacué chaque jour ce qui paraît assez élevé. Une telle information donne l’image d’une gestion efficace de l’aléa et peut être volontairement surestimée pour chercher à regagner la confiance des Indonésiens envers les autorités. Des techniques existent pour calculer un débit qui sort d’un pipeline juste en mesurant le diamètre du tube, son inclinaison et la longueur sur laquelle le liquide est projeté [Trimmer, 1994]. Seulement, à Sidoarjo, les pipelines ne fonctionnent pas en continu, pas toujours tous en même temps et la journée seulement. La politique de gestion du fleuve a changé depuis l’apparition de LUSI. On lui assigne une nouvelle fonction depuis près de trois ans, celle d’évacuer la boue de LUSI jusqu’à la mer. Mais cette politique guidée par le contexte de crise donne l’impression d’être gérée de manière empirique et intuitive puisque peu de mesures existent, ou, lorsqu’elles existent, ne sont pas exploitées. Si le fleuve est résilient jusqu’à une certaine quantité de boue rejetée, on ne connaît pas le volume maximum qu’il peut recevoir sans déséquilibrer durablement son fonctionnement hydrologique et géomorphologique. V. 2. Choix des profils étudiés, justification et corrections effectuées Pour traiter de l’évolution géomorphologique du fleuve Porong depuis Sidoarjo jusqu’à la mer, nous avons travaillé sur 11 différents profils en travers du chenal que nous avons choisis parmi ceux dont nous disposons. Les données proviennent du BPLS qui emploie chaque mois une équipe chargée de faire ces relevés. Nous disposons des profils depuis janvier 2008 jusqu’à février 2009. Seuls manquent, au cours de cette période, l’ensemble des données du mois de novembre 2008 et celles d’août et de septembre pour les profils PP 5 et PP 6). La figure 21. montre la localisation des profils que nous avons sélectionnés. Deux des profils (PP -1 et PP -2) se trouvent juste en amont du lieu de rejet de la boue. Ils servent de témoins. Comme le déversement de la boue n’est a priori pas la seule entrée sédimentaire du système (d’autres matériels proviennent du bassin-versant), ces profils sont utiles pour connaître ce qu’aurait été l’évolution du chenal au cours de l’année 2008 sans cet élément perturbateur. Cinq des autres profils se situent dans un rayon proche du lieu de rejet (PP 1 à PP 5). Ils sont disposés régulièrement les uns par rapport aux autres. Aujourd’hui, les pipelines actifs s’appuient sur le pont de l’autoroute qui a été coupée. Mais quelquefois, d’autres tubes ont servi. Ils se situent tous entre les profils PP 1 et PP 3. Il s’agit donc du secteur le plus touché. La comparaison entre les profils PP 1 à PP 5 doit permettre d’analyser les évolutions sur une courte distance. Enfin, nous avons retenu quatre derniers profils plus éloignés les uns des autres et qui vont jusqu’à la mer (PP 6 à PP 9). Ils doivent à eux quatre résumer l’évolution sur une douzaine de kilomètres et montrer jusqu’où les traces de boue dans le chenal sont évidentes. Par ailleurs, les profils PP 7 et PP 8 sont situés directement à l’amont et à l’aval d’un méandre pré- 43 deltaïque. L’intérêt est d’observer quel impact peut avoir une telle forme hydrologique sur le dépôt ou l’érosion des bancs de boue. Source : BPLS Fig. 21. Localisation des 11 profils en travers du Porong sélectionnés pour observer l’évolution géomorphologique du chenal au cours de l’année 2008. Lors de la mise en comparaison des différents profils sur les graphiques présentés ici, il nous a fallu effectuer quelques corrections car certains présentaient des décalages par rapport aux autres quand on les superposait. En se basant sur les berges dont le niveau a apparemment été fixe tout au long de l’année, nous avons soit abaissé quelques profils d’une hauteur correspondant environ à 1 mètre dans la réalité, soit décalé les profils d’une distance contenue entre 5 et 10 mètres. Les profils PP 1 de janvier 2008 et de décembre, PP 2 de janvier 2008 et de décembre, PP 3 de janvier 2008 et de décembre, PP 4 de décembre, PP 5 de décembre et PP 6 de décembre ont tous été abaissés d’un mètre environ. Les profils PP 1 de juillet, d’août et d’octobre, PP 2 de janvier 2008, de juillet et d’octobre et PP 3 de juillet ont été décalés de 5 à 10 mètres vers la gauche sur les graphiques. L’analyse sur les profils que nous avons effectuée se divise en trois parties : d’abord la comparaison entre avril et octobre où le niveau du chenal est moindre puis maximal pour se rendre compte de l’épaisseur des dépôts, ensuite l’observation des phases et des rythmes d’accumulation et d‘érosion de la boue par l’ensemble des profils chaque mois, et enfin, la superposition des profils de janvier et février à une année d’intervalle pour voir l’évolution du chenal après un an. V. 3. Comparaison des profils d’avril avec ceux d’octobre, l’épaisseur maximale des dépôts La première question était de savoir quelle est l’épaisseur que peuvent atteindre les dépôts de boue dans le Porong quand ils sont maximaux, c’est-à-dire à la fin de la saison sèche en octobre. Pour cela, il a suffi de comparer chacun des profils d’octobre avec ceux d’avril (fin de la saison des pluies) où le niveau du chenal est minimal (Fig. 22. a)). En ajoutant la Figure 22. b), nous avons cherché à rendre compte plus aisément de l’évolution de l’épaisseur des dépôts depuis Sidoarjo jusqu’à la mer. Chacun des profils dessinés représente la différence de niveau entre le mois d’octobre et le mois d’avril. Aussi, le mois d’avril correspond à une même droite pour l’ensemble des profils à laquelle nous avons attribué le niveau de référence d’élévation zéro mètre. L’axe des abscisses est sans échelle car, pour pouvoir comparer graphiquement les profils, nous les avons ramenés à la même largeur alors que 44 dans la réalité, le chenal s’élargit au fur et à mesure que l’on se rapproche de la mer. Par ailleurs, nous les présentons en trois graphiques par simple souci de faciliter la lecture. Les dépôts sédimentaires dans le fleuve Porong vont jusqu’à atteindre plus de six mètres très localement. C’est le cas au niveau des rejets de boue pour les profils PP 1, PP 2 et PP 3 au milieu du chenal. Moins au centre, l’épaisseur des dépôts est tout de même contenue entre trois et cinq mètres. Approximativement, en moyenne quatre mètres de boue se sont déposés dans le chenal à proximité (c’est-à-dire dans un rayon de quatre kilomètres) du lieu où les pipelines crachent la boue (cf. PP 1 à PP 5). En descendant vers la mer, l’épaisseur des dépôts diminue fort lentement. Douze kilomètres en aval du pont d’où est déversée la boue, les dépôts, uniformément répartis sur la largeur du chenal atteignent encore trois mètres (cf. PP 7). Juste avant l’embouchure à dix-huit kilomètres (cf. PP 9), des dépôts d’un mètre sont observables. Une des raisons de la diminution de l’épaisseur des dépôts vient du fait que le chenal s’élargit vers l’aval. Aussi, les dépôts deviennent moins épais à volume égal s’ils s’étalent sur une surface plus grande. Cependant si l’on compare, d’après les profils en travers du chenal, les surfaces des « sections en boue » entre les profils de l’amont et ceux de l’aval, on s’aperçoit que le volume de matériel accumulé vers la mer diminue bien (au moins de moitié à partir de PP 7). Sont imputables à cela d’un côté le fait que la boue n’a sans doute pas entièrement transité vers l’aval et que le plus gros volume stagne à l’amont et d’un autre côté le fait que les marées peuvent remonter sur plusieurs kilomètres dans le fleuve et éroder une partie des dépôts. Ceci n’est qu’une hypothèse car cela n’a pas encore été vérifié. Les seuls profils qui ne présentent pas de différences entre avril et octobre sont les profils témoins PP -2 et PP -1 en amont des rejets. Cela signifie qu’actuellement l’apport sédimentaire initial par le fleuve est nul (certainement à cause des barrages-réservoirs en amont où se dépose et où est retenue la charge solide). Les rejets de boue constituent la seule entrée de matériel. Par conséquent, les dépôts décrits dans le paragraphe ci-dessus sont manifestement composés uniquement de la boue de Lapindo. Par ailleurs, à titre anecdotique, on remarque sur la Figure 22. b) l’allure dissymétrique du profil PP 8 qui se trouve juste en aval du méandre. Cela tient aux processus hydrauliques qui veulent que le courant soit plus fort dans la partie externe du méandre accentuant l’érosion et plus faible du côté du pédoncule, profitant au dépôt [Bravard, 1997 ; Knighton, 1998]. Cependant, c’est bien l’allure du chenal d’origine qui est dissymétrique et non celle des dépôts qui ont au contraire une surface bien plane (Fig. 22. a)). Certainement qu’au cours de la saison sèche où la boue se dépose, le débit du fleuve est trop faible pour que ces différences d’énergie de courant en travers du chenal soient marquées et les dépôts s’égalisent donc sur l’ensemble de la largeur. Ainsi la boue de LUSI s’accumule sur une épaisseur conséquente, d’échelle pluri-métrique, tout au long du fleuve depuis le lieu de rejet. Contrairement à certains dires comme quoi aucune trace de boue ne serait plus observable au-delà de cinq kilomètres, elle repose bel et bien dans le chenal jusqu’à l’embouchure, en dépit même des actions d’érosion marine qui peuvent exister dans la partie estuarienne du fleuve. 45 a) 1/2 46 a) 2/2 47 b) Fig. 22. Hauteur maximale des dépôts dans le Porong en 2008. a) Comparaison des profils entre avril 2008 (fin de saison des pluies et niveau minimum) et octobre 2008 (fin de saison sèche et niveau maximum). b) Comparaison des dépôts de l’amont vers l’aval (axe des abscisses sans échelle). Réalisation B. L.-A. V. 4. Phases et rythmes de dépôt et d’érosion de la boue dans le chenal L’activité géomorphologique du chenal est clairement rythmée par les saisons. La boue exhausse le lit du fleuve d’avril à octobre durant la saison sèche, alors que les mois d’octobre à avril marqués par le passage de la mousson correspondent à la phase d’évacuation du matériel accumulé. Il y a donc une phase montante et une phase descendante du chenal dans une année, une période d’aggradation et une autre d’incision de six mois chacune environ. C’est ce que présente en détail la Figure 23.. Nous ne proposons que les profils PP 1 à PP 6 encore facilement lisibles. Les profils plus en aval (PP 7 à PP 9) ont connu une aggradation moindre en six mois de telle sorte que l’évolution suivie mois par mois ne permet pas des résultats notables, du moins à l’échelle de finesse à laquelle nous travaillons. La phase d’aggradation d’avril à octobre s’est faite en 2008 à un rythme régulier. La boue s’est déposée en bancs parallèles d’épaisseurs assez comparables. C’est au niveau du profil PP 4 que c’est le plus évident. Les taux de sédimentation y atteignent presque un mètre par mois sur l’ensemble de la largeur du chenal. Les profils PP 1 à PP 3 se trouvent directement dans la zone de rejet de la boue, aussi tous les aléas possibles (arrêt d’utilisation d’un pipeline, déplacement de quelques centaines de mètres du rejet…) se traduisent par une plus forte irrégularité dans le rythme de sédimentation. Il semble par exemple pour PP 1 que les tuyaux de rejets soient descendus plus en aval vers le mois de juin. Malheureusement nous n’avons pas trouvé à quelles dates se sont déplacés les pipelines. On remarque que pour le profil PP 6, la courbe du mois de mai est confondue avec celle d’avril ce qui nous fait formuler l’hypothèse suivante : la boue rejetée met un certains temps 48 à transiter vers l’aval si bien qu’au-delà de cinq kilomètres environ le temps de réponse d’aggradation du chenal par rapport au début de la saison sèche est de plus ou moins un mois. En d’autres termes, le lit du Porong, à partir d’une distance de cinq kilomètres du lieu de rejet de la boue, ne commence à s’exhausser qu’un mois après le début de la saison sèche où l’intensité des pluies diminue. Aussi, il y a fort à penser que le temps de réponse d’aggradation du chenal par rapport à la saison sèche augmente proportionnellement à la distance d’éloignement du lieu de rejet de la boue. Concernant la seconde phase, celle d’incision du chenal d’octobre à avril, il semble que les rythmes d’érosion ne connaissent pas la même régularité que celle qui caractérisait la première phase. C’est qu’ici, l’évacuation de la boue est dictée par un facteur externe plus aléatoire : les précipitations au sein du bassin-versant du Brantas qui déterminent ensuite l’intensité du débit du fleuve et sa force d’érosion. On ne peut pas dégager une vitesse d’érosion mensuelle significative. L’incision a atteint trois mètres par endroits entre octobre et décembre 2008 (environ 1,5 à 2 mètres d’incision par mois), puis les rythmes d’érosion diminuent en-dessous d’un mètre en moyenne les mois suivants. Pour la réalisation du document (Fig. 23. b)), nous nous sommes permis une extrapolation qu’il faut garder à l’esprit. Comme nous ne disposons pas des données de mars 2009 et d’avril 2009, nous avons utilisé à la place les données de l’année précédente. C’est pourquoi les courbes de mars 2008 et avril 2008 sont représentées en pointillées. La Figure 26. proposée plus loin qui montre que les courbes de février 2008 et février 2009 sont quasiment confondues nous ont autorisé à extrapoler de la sorte puisque les différences morphologiques du chenal semblent minimes d’un début d’année sur l’autre. Ce qu’il faut retenir surtout, malgré l’irrégularité du rythme d’érosion, c’est le fait que plusieurs mois sont nécessaires pour emporter l’ensemble de la boue qui s’est accumulée. Certaines personnes rencontrées affirmaient que seules quelques semaines suffisaient. En aval où les dépôts sont d’une moindre épaisseur, il semble qu’au quatrième ou cinquième mois de pluies, presque tout le matériel est déjà dégagé. Pour la partie amont, c’est bien l’ensemble de la saison des pluies qui est nécessaire pour tout évacuer. On s’aperçoit à ce propos que les dépôts de la partie amont ne se retrouvent pas quelques temps après, accumulés dans la partie aval. On aurait pu penser des bancs de boue que, s’ils étaient charriés dans le fond du chenal, s’observeraient plus tard quelques kilomètres plus loin, comme si la reprise de débit du fleuve faisait effet de chasse-neige. Mais d’après notre interprétation, le chenal est vidangé de sa boue depuis l’aval, où les dépôts sont moins épais, vers l’amont. Cela traduit sans doute le mode de transport en suspension des sédiments. Une fois érodées et emportées par le débit, les particules de boue sont directement transportées jusque dans la mer, le courant étant trop important pour autoriser un nouveau dépôt. Les bancs de boue que nous avons observés sur le terrain sont constitués de petits agrégats d’argile qui semblaient facile à éroder et à transporter (Fig. 24.). D’après le diagramme bien connu de Hjulström dessiné en 1939 (Fig. 25.), les argiles nécessitent des eaux très calmes pour se déposer. En revanche, elles sont difficiles à éroder si elles forment des bancs compacts. Mais comme ici, les argiles forment des petits granulats qui roulent les uns sur les autres, elles ont besoin d’un courant moindre pour être emportées. 49 a) 50 b) Fig. 23. Phases et rythmes de l’évolution géomorphologique du chenal d’avril 2008 à février 2009. a) Phase de dépôt (aggradation du chenal d’avril à octobre). b) Phase d’érosion (incision du chenal d’octobre à avril). Réalisation B. L.-A. 51 Une année est ainsi marquée par deux phases géomorphologiques contradictoires au sein du chenal. Une phase d’aggradation par dépôt de la boue et une phase d’érosion des bancs au cours de laquelle toute la boue déposée arrive à être évacuée. Le balancement d’une phase sur l’autre correspond au basculement entre saison des pluies et saison sèche. De plus on a remarqué des différences entre l’amont et l’aval, notamment du point de vue des temps de réponses géomorphologiques au moment des changements saisonniers. Enfin, il faut noter que quelques curages ont eu lieu ces trois dernières années dans le fleuve pour dégager la boue et percer un chenal afin que le cours d’eau amoindri de la saison sèche puisse quand même passer. Les dates de ces opérations ne nous ont pas été transmises, aussi cela constitue-t-il un manque à notre analyse. Ici, nous n’avons pu travailler que sur une échelle de temps mensuelle. Nous avons pu rendre compte des grandes tendances, des évolutions de mois en mois. Malheureusement nous n’avons pas pu observer les changements à une échelle de temps plus rapide comme, par exemple, l’effet d’une crue sur l’érosion du chenal. Nous avons dégagé une tendance assez linéaire concernant la phase érosive d’octobre à avril, malgré un rythme pas tout à fait régulier que nous avons souligné, or, cela nous serait sans doute apparu bien plus cadencé si nous avions pu mettre en relation débit journalier (voire horaire) du fleuve avec l’érosion de la boue. Cet aspect tient à l’effet d’échelle temporelle. Fig. 24. Gros-plan des bancs de boue dans le chenal en saison sèche. Le matériel déversé dans le Porong forme des petits agglomérats d’argile en séchant. La photo est prise à proximité des pipelines le 10 juillet 2009. Cette propriété des bancs de boue rendra leur érosion plus facile au retour des pluies quelques mois plus tard. Photo : B. L.-A. Fig. 25. Diagramme de Hjulström. Mise en mouvement ou dépôt des sédiments dans un cours d’eau en fonction de leur taille et de la vitesse du courant. Dans le cas du Porong, la boue liquide et argileuse déversée en saison des pluies est facilement transportée par le courant. Quand le cours d’eau n’est plus qu’un filon dans le chenal, le matériel se dépose. Puis, à la nouvelle saison des pluies, il est érodé dès la reprise du débit, et ce, d’autant plus facilement qu’il connaît une formation en petits agrégats (modifié d’après Knighton, 1998). 52 V. 5. Comparaison des profils janvier 2008-janvier 2009 et février 2008-février 2009 : retour à l’allure initiale du chenal au bout d’un an Comment le profil en travers du chenal a-t-il été modifié au bout d’un an, après des dépôts de boue pluri-métriques suivis d’une phase érosive de plusieurs mois ? C’est ce que nous avons cherché à savoir en comparant d’une part les courbes de janvier 2008 avec janvier 2009 et d’autre part celles de février 2008 avec février 2009 (Fig. 26.). Les résultats sont d’un grand intérêt : pour l’ensemble des profils de février les courbes de 2008 et de 2009 sont quasiment confondues. Cela signifie que le fleuve a retrouvé son allure d’origine vers la fin de la saison des pluies alors que ce n’était pas encore tout à fait le cas en janvier où les courbes sont encore distinctes. Le fleuve a retrouvé son état initial alors qu’il a connu plusieurs mois d’aggradation exceptionnelle. Malgré la phase érosive à partir d’octobre, on aurait pu penser qu’un résidu de boue serait resté, conduisant le lit du fleuve à s’exhausser petit à petit d’année en année, mais il n’en est rien. En ce qui concerne l’année 2008-2009, l’ensemble du matériel rejeté a été vidangé, au moins en grande partie naturellement par le courant du fleuve et aussi peut-être par l’aide anthropique puisqu’il ne faut pas oublier que une ou des opérations de curage ont pu être réalisées. V. 6. Discussion, un équilibre dynamique du Porong à travers l’existence de cycles géomorphologiques ? C’est bien un cycle géomorphologique qui s’est opéré pour l’année sur laquelle nous avons travaillé. Ce qui paraissait une grande perturbation du fleuve s’aggravant de mois en mois n’a pas empêché le Porong de trouver son équilibre sur un pas de temps annuel. Il nous semble que l’on pourrait même parler de « résilience géomorphologique » à l’échelle de l’année. Il y a eu équilibre entre le volume de boue déversé et le volume érodé. Au final, le bilan entre les entrées sédimentaires et les sorties est équilibré malgré une phase intermédiaire de stockage alarmant. En gardant à l’esprit le contexte de crise de Sidoarjo, l’aspect ici présenté fait effectivement penser que le Porong est un bon exutoire pour la boue du volcan LUSI. Cela veut-il dire qu’il faut encourager et accentuer les rejets de boue dans le fleuve ? La question est délicate. Il manque pour y répondre des études sur les impacts écologiques. Et, ne serait-ce que sur la géomorphologie, nous nous sommes cantonnés au système-fleuve jusqu’à son embouchure. Mais nous ne savons pas ce que devient la boue une fois libérée dans la mer. Se répand-elle au large ou s’accumule-t-elle à certains endroits ? Cela crée-t-il de nouvelles formes et quel est le rythme d’évolution de ces dernières ? Des images satellites laisseraient apparaître deux barres pro-deltaïques qui pourraient être des lieux de capture pour les sédiments drainés par le Porong [comm. pers. avec Dr. Van S. Williams de l’USGS, mai 2009]. Ce qu’il y a d’original dans cet équilibre géomorphologique, c’est qu’il s’établit entre des facteurs anthropiques d’un côté et des facteurs naturels de l’autre. Or, les facteurs naturels (précipitations, débits du fleuve) sont aléatoires. Dans quelle mesure les facteurs anthropiques (rejets de la boue et curage du fleuve) peuvent-ils être régulés en fonction des facteurs naturels ? Les éléments de ce système sont repris par le schéma de la Figure 27.. Il est difficile d’estimer la quantité de boue que l’on peut rejeter par rapport à ce que peut drainer le fleuve car la phase de dépôt précède celle d’évacuation. Et l’on ne peut pas se contenter des moyennes climatiques pour dresser des prévisions car, les précipitations 53 Fig. 26. Retour à l’allure initiale du chenal en fin de saison des pluies. En février 2009, alors que ce n’est pas tout à fait le cas encore pour janvier, les profils en travers du chenal on retrouvé la forme qu’ils avaient en février 2008. Cela marque un cycle dans l’évolution géomorphologique du Porong. La phase d’érosion depuis le mois d’octobre a quasiment effacé toutes les traces de la phase d’aggradation qui avait eu lieu pendant les six mois de saison sèche (le lit du fleuve s’était exhaussé de plusieurs mètres suite au dépôt de la boue déversée). De ce point de vue, le Porong est un exutoire efficace pour le matériel éructé de LUSI puisque, sur un pas de temps annuel, le bilan entre les entrées sédimentaires et les sorties est équilibré malgré une phase intermédiaire de stockage alarmante. 54 notamment peuvent connaître de grandes variations d’une année sur l’autre (en revanche une intervention par curage est toujours possible si les précipitations attendues à partir d’octobre ne viennent pas). Pour la période qui nous a intéressée, 2008 était une année moyenne du point de vue des précipitations (Fig. 28.). Faisons ici un retour sur le climat de notre terrain. Sidoarjo se situe à 7°30’ de latitude Sud. Les températures annuelles dépassent facilement 30°C. Le climat est caractérisé par le passage de la mousson. Un basculement dans la répartition des précipitations s’opère au cours de l’année entre la saison des pluies (novembre à avril) qui reçoit 80 % des eaux météoriques et la saison sèche de mai à octobre. La moyenne des précipitations est inférieure à 2000 millimètres par an pour le bassinversant du Brantas [Mashuri, date inconnue]. La moyenne nationale est un peu supérieure avec 2500 mm/an. Mais les écarts intra-régionaux d’une part sont grands (5000 mm/an à Sumatra pour 1000 mm/an aux Moluques, à Nusa Tenggara ou à Sulawesi). Concernant l’île de Java, la pluviométrie décroît d’ouest en est. Et les écarts interannuels d’autre part sont aussi considérables. Certaines années, le phénomène d’El Niño est responsable de sécheresses, comme en 1997, suivies par des années très pluvieuses dues à La Niña, comme en 1998 [Kikkeri, 2004]. La Figure 28. replace l’année 2008 pour laquelle nous avons analysé les profils du fleuve Porong. Il s’agissait d’une année moyenne, légèrement plus humide que les trois années précédentes de même niveau. Il faut faire attention que des écarts allant du simple au double ont eu lieu depuis le milieu des années 1990. L’année 1998 a été deux fois plus arrosée que l’année 1997. Ainsi, aux vues de la pluviométrie, les années se suivent mais ne se ressemblent pas. Une telle irrégularité potentielle du climat n’est pas sans conséquences pour la Kali Porong puisqu’elle détermine sa capacité à évacuer le matériel accumulé et qu’elle implique aussi un risque de crue plus important qui se cumule alors à l’élévation du niveau du chenal. Quelles seraient les conséquences au niveau du Porong si une année sèche comme celle de 1997 ou au contraire humide comme celle de 1998 se répétait ? Pour ce qui est du risque d’inondation, il nous paraît aujourd’hui très faible car les digues le long du fleuve viennent d’être renforcées et surélevées. Les politiques de lutte contre le risque inondation du Porong existent depuis plusieurs décennies déjà. Pour conclure, la crise environnementale qui touche le fleuve Porong est atypique. Sur le plan géomorphologique, le chenal connaît des bouleversements considérables avec des aggradations de quatre ou cinq mètres en quelques mois, suite aux rejets organisés de la boue de LUSI. Pourtant une certaine capacité de résilience semble caractériser ce système hydrographique puisque le cours d’eau a retrouvé son allure initiale au bout d’un an. Les perturbations ne semblent donc que temporaires et le Porong trouverait un nouvel équilibre cyclique. Étant donné que le déversement de la boue dans le chenal n’a lieu que depuis trois ans, il est encore difficile d’affirmer avec certitude les propos ci-dessus. C’est pourquoi nous avons préféré la forme de la discussion. 55 Fig. 27. Schéma des variables dont dépend l’équilibre dynamique du Porong depuis que l’on y rejette la boue de LUSI. Depuis la fin de l’année 2006, une nouvelle entrée sédimentaire est apparue dans le fleuve. Il semble cependant qu’un équilibre dynamique soit possible avec la mise en place de cycles géomorphologiques sur une échelle de temps annuelle. Pour que le bilan sédimentaire du fleuve soit équilibré il faut que les entrées et sorties soient équivalentes en une année, or cela dépend à la fois de facteurs naturels et de facteurs anthropiques. Les gestionnaires de la crise de Sidoarjo provoquent les entrées, mais ils peuvent aussi a priori intervenir sur les sorties en effectuant des opérations de curage si les facteurs naturels ne suffisent pas. Fig. 28. Précipitations annuelles à Java Est. L’année 2008 était une année moyenne au regard de la pluviométrie. Cela a permis au Porong d’avoir un débit suffisant pour évacuer l’ensemble des boues qui avaient été déversées. Mais le climat n’est pas régulier d’une année sur l’autre. Quelles conséquences une année comme 1997 ou 2004 aurait sur le bilan sédimentaire du fleuve ? Et quel risque de débordement aurait une année semblable à 1998 ? 56 VI. Les répercussions des changements dans le fleuve sur la population riveraine, le lien entre géomorphologie et aspects socio-économiques VI. 1. Objectifs et déroulement de l’enquête Dans l’optique d’ajouter une composante humaine à notre sujet d’étude, nous avons réalisé une enquête par questionnaire auprès des habitants des villages riverains du fleuve Porong les journées du 16, 17 et 18 mai 2009. Il s’agissait de se rendre compte des impacts qu’ont les changements hydro-géomorphologiques sur la population locale. Les informations qualitatives obtenues viennent en complément de notre étude géomorphologique. Il nous semblait utile, puisque nous sommes géographes, de présenter les aspects socioéconomiques liés. Nous nous sommes demandé en quoi les habitants sont vulnérables face aux changements récents au sein du fleuve ? Ces évènements ont-ils impliqué des changements dans leur mode de vie ? Comment s’y adaptent-ils ? Et comment les perçoivent-ils ? C'est-à-dire, se sentent-ils victimes ? Ont-ils des revendications ? Ou acceptent-ils leur condition dans le cas où les rejets de boue leur paraissent nécessaires ? L’enquête a été effectuée à l’oral sous forme d’entretiens semi-directifs qui duraient environ vingt minutes. La même liste de questions a été posée par trois Indonésiennes étudiantes en Français à 31 individus au total (Fig. 29.) de six villages différents (Fig. 30.). Nous avons choisi de formuler des questions ouvertes pour amener davantage une discussion avec la population. Aussi présentons nous les résultats sous forme d’une synthèse en dégageant les grandes tendances qui sont ressorties des entretiens. Le questionnaire se divisait en plusieurs parties (Fig. 29.). Après une série de questions destinées à faire connaissance avec la personne interrogée et à introduire le sujet, une partie se concentrait sur l’expérience du fleuve par les individus (usages, évènements vécus, changements perçus) et une autre envisageait plus le répondant comme acteur dans la crise (quels sont ses avis personnels ? Comment s’implique-t-il lui-même face aux problèmes ? Quelle est sa prise de responsabilité ?). Pour finir venaient des questions générales destinées à dresser l’identité du répondant (âge, religion, niveau de vie). VI. 2. Profil de la population interrogée Les 31 individus qui ont répondu au questionnaire se distribuent dans les six villages de Ginonjo, Kebo Guyang, Permisan, Kedung Cangkring, Dukuh Sari et Bangunrejo, sur les deux rives du fleuve, jusqu’à huit kilomètres du lieu de rejet de la boue. C’est une population javanaise. Il est arrivé que des personnes n’aient pas pu nous répondre parce qu’ils ne parlaient que Javanais et ne comprenaient pas l’Indonésien (la langue nationale qui unit le pays). Le groupe des personnes interrogées est composé de dix-huit femmes et de treize hommes. Tous sont musulmans à l’exception d’une dame chrétienne. Les âges s’étendent de 16 à 75 ans mais les deux tiers des individus avaient entre 30 et 50 ans. 57 N° de questionnaire : Date : Lieu : 1. INTRODUCTION à l’enquête sur le risque 1.1 Où habitez-vous ? (Quel village ? Sur quelle rive ? À quelle distance du fleuve ? À quelle distance du volcan de boue ?) 1.2 Depuis combien de temps vivez-vous ici ? 1.3 Quel est votre métier ? (En avez-vous changé depuis LUSI ?) 1.4 Quels sont, selon vous, les risques et problèmes que représentent LUSI ? 1.5 Quelles sont les zones à risque ? 2. Concernant le FLEUVE PORONG en particulier 2.1 Quels sont les usages du fleuve ? 2.2 Y’a-t-il des problèmes généraux liés à ce fleuve ? (pollution, sécheresse, inondation, surexploitation…) 2.3 Les évènements de LUSI posent-ils des problèmes pour le kali Porong, selon vous ? 2.4 Y’a-t-il des habitudes qui ont changé depuis l’apparition de LUSI ? 2.5 Y’a-t-il des risques pour la population près du fleuve ? Quelles sont les zones à risque ? 2.6 Écologie. La vie dans le fleuve a-t-elle été dérangée ? Quels sont les signes ? 2.7 Géomorphologie. Le fleuve a-t-il connu des changements de forme depuis le commencement de LUSI ? 2.8 Avez-vous connu de forts évènements de crue avant 2006 ? Quand (année et saison) ? Jusqu’où l’eau est-elle montée ? Y’a-t-il eu débordement ? et des dégâts ? 2.9 Y’a-t-il eu des évènements de crue depuis l’apparition du volcan de boue ? Quand (année et mois) ? Jusqu’où l’eau est-elle montée ? Y’a-t-il eu débordement ? et des dégâts ? 2.10 Ces changements (écologiques et géomorphologiques) dans la rivière sont-ils gênants pour vous ou votre entourage ? Avez-vous eu besoin de vous adapter à ces changements ? (changements dans les habitudes, approvisionnement différent en eau ? réalisation de petits aménagements comme construction de diguette contre inondation ?) 58 3. Ouverture, discussion : l’individu interrogé comme ACTEUR dans la crise. Comment s’implique-t-il face au problème, quelle est sa prise de responsabilité ? 3.1 Pensez-vous que ce soit une bonne idée de rejeter la boue dans le fleuve ? 3.2 Voyez-vous d’autres solutions ? 3.3 A-t-on cherché à prendre en compte votre avis ou votre intérêt ? (si oui, qui ? de quelle manière ? et cela a-t-il guidé les choix des autorités ?) 3.4 Quels sont les problèmes quotidiens dans le village ? 3.5 Attendez-vous quelque chose des autorités ? Quoi ? 3.6 Parle-t-on de LUSI à l’école ? 3.7 Quand et où parle-t-on de LUSI ? Aborde-t-on le thème du fleuve ? 3.8 Comment voyez-vous l’avenir ? Les choses vont-elles changer ? S’améliorer ou empirer ? Comptez-vous rester là où vous habitez (des personnes ont-elles déjà déménagé ?) 4. IDENTITE 4.1 Âge, sexe, religion ? 4.2 Possédez-vous des terres agricoles ? 4.3 Avez-vous du bétail ? Quoi ? Combien coûte une tête ? 4.4 Quels sont les moyens de transport que vous utilisez ? 4.5 Comment vous approvisionnez-vous en eau ? 4.6 Avez-vous l’électricité ? 4.7 Jusqu’à quel âge avez-vous étudié ? Quels diplômes ? 4.8 Combien avez-vous d’enfants ? Où vont-ils à l’école ? Quelle classe ? 4.9 Y a-t-il des légendes autour de LUSI et du fleuve ? Fig. 29. Liste des questions qui ont été posées oralement à 31 habitants de six villages à proximité du fleuve Porong lors d’entretiens les journées du 16, 17 et 18 mai 2009. 59 Du point de vue de l’éducation et des professions, onze individus n’ont pas continué leurs études au-delà de l’école primaire (SD), neuf autres sont allés jusqu’au collège (SMP), neuf jusqu’au lycée (SMA) et deux seulement ont poursuivi des études de lettres et d’infirmière. Leurs métiers se situent surtout dans les secteurs primaire et secondaire. Dix individus sont (ou étaient) paysans (travail aux champs ou dans les bassins à poissons pour la plupart). Dix autres sont ouvriers d’usine. Et le reste travaille surtout dans la vente (vente de tissus, vente de pneus, vente de remèdes traditionnels, tenue d’un warung, petit kiosque). Tous habitent dans des maisons alimentées en électricité. Plus du tiers possède des terres agricoles et un peu moins élèvent, des poules et des canards surtout, mais aussi, des chèvres et des vaches. Sur l’ensemble, nous avons rencontré trois individus qui habitaient autrefois dans un des villages ensevelis aujourd’hui par la boue. Fig. 30. Localisation de la population interrogée lors de l’enquête par questionnaire (16, 17 et 18 mai 2009). La taille du figuré rouge est proportionnelle au nombre d’individus qui ont répondu aux questions. C’est au niveau de Ginonjo que les pipelines déversent la boue dans le fleuve. VI. 3. Le fleuve Porong dans la vie des habitants, évolution des usages et changements perçus depuis 2006 Les usages traditionnels du fleuve, avant que l’on commence à rejeter la boue de LUSI, concernaient la pêche, l’exploitation minière du sable dans le chenal et l’irrigation des cultures. Le Porong servait de voie de transport. Certains s’y baignaient et allaient y chercher l’eau pour la boire. Un individu a relevé le fleuve comme « lieu de rejet de la pollution des usines ». À la question sur les habitudes qui ont changé depuis 2006 (cf. question 2.4 du questionnaire) dans tous les domaines confondus (pas seulement en rapport au fleuve), huit personnes ont formulé des réponses explicitement liées au Porong. Sept seulement (dont quatre sur les cinq répondants de Bangunrejo, le village le plus en aval) ont répondu ne pas avoir connu de changements. Pour les problèmes généraux, les habitants ont répondu avoir déménagé, se sont plaints d’avoir perdu leur emploi ou que leurs affaires marchent moins bien. Ils ont relevé aussi les difficultés de transport, notamment les embouteillages constants. Et tous globalement sont dérangés par la mauvaise odeur de la boue. Côté fleuve, les habitants ne pêchent plus, ne s’y baignent plus et ne ramassent plus le sable depuis qu’il est souillé par la boue noire déversée. Un dernier problème, l’un des plus importants, 60 concerne l’eau potable. Tous quasiment sont désormais obligés de l’acheter car, soit ils ne la prennent plus dans le fleuve, soit c’est l’eau de leurs puits qui est polluée. Ils se plaignent qu’elle soit devenue salée ou amère (il faudrait vérifier, avant de conclure aux effets de LUSI qu’il ne s’agit pas là d’une éventuelle remontée du coin salé pour d’autres raisons). C’est donc aussi en profondeur, au niveau des aquifères que s’étend la crise environnementale. Nous avons cherché à prendre en compte la vision des habitants sur l’écologie et les évènements géomorphologiques du fleuve (cf. questions 2.6 et 2.7 du questionnaire). Pour l’écologie, ils sont préoccupés par la baisse de la qualité de l’eau fluviale, par la mort des poissons et le changement de couleur de l’eau qui vire au jaune. En revanche, sur les aspects morphologiques, les témoignages sont divers et contradictoires. Beaucoup ont relevé des changements de dimensions du Porong. Mais neuf ont répondu que le chenal était devenu plus étroit et moins profond alors que six au contraire trouvent qu’il s’est élargi et creusé. Peut-être ces témoignages différents révèlent-ils la difficulté de percevoir l’évolution sur le moyen ou long terme d’un milieu en équilibre dynamique (cf. la partie discussion au chapitre précédent où nous avons discuté des cycles géomorphologiques du cours d’eau avec le balancement entre la phase d’aggradation et celle d’incision). Il y a tout de même un point sur lequel tous les gens se sont entendus, celui qui concerne la fin de l’activité d’extraction des sédiments du chenal. Le sable mélangé à la boue ne peut plus être vendu aux entreprises de construction. C’est donc une source de revenus qui a disparu avec les rejets de boue. Selon les personnes interviewées, cette activité était rémunérée de 50 000 à 250 000 roupies (environ 3,50 à 17, 50 euros) par camion, sachant que la variabilité des prix tient en partie à la taille des camions. Notons que cet aspect concerne aussi le village de Bangunrejo, huit kilomètres en descendant le fleuve, pour lequel les autres problèmes n’ont pas été mentionnés. C’est la preuve, par cette approche socio-économique que la boue est encore bien présente dans le chenal, loin en aval des rejets. Un gradient négatif semble exister tout de même concernant les problèmes du fleuve selon que l’on progresse vers la mer. Mais cela ne fait que trois ans que les évènements ont commencé et cela risque de durer encore longtemps. Enfin, d’après de rares témoignages, l’eau du fleuve aurait un peu débordé depuis qu’on rejette la boue. Deux témoignages seulement des villages de Kedung Cangkring et de Kebo Guyang rappellent des débordements en 2007 et en 2008. L’eau serait rentrée dans les maisons et aurait détruit les cultures. Quatre témoignages (de Bangunrejo, Kebo Guyang et Ginonjo) évoquent les épisodes d’inondations du début de l’année 2009 entre février et avril, en fin de saison des pluies. L’eau serait montée jusqu’aux genoux, causant quelques dégâts aux champs et au mobilier dans les maisons. Certains habitants se rappellent aussi de grands évènements d’inondation dans les années 1970, 1980 et 1990. Ce risque semble donc toujours exister ; pourtant les évènements les plus récents n’ont été mentionnés qu’exceptionnellement par quatre individus. On garde donc un doute sur le fait que l’eau a effectivement débordé du chenal endigué. Peut-être s’agit-il en fait d’infiltrations très localisées à travers les digues pour que ça n’ait pas marqué l’ensemble de la population. Si le risque existe toujours malgré le renforcement en cours des digues, les aggradations saisonnières du Porong ne feraient que les aggraver. Heureusement ces évènements ont les plus grandes chances de survenir en fin de saison des pluies quand les dépôts de boue ont été au moins en grande partie érodés. 61 VI. 4. En quoi les riverains du fleuve sont-ils acteurs dans la crise ? Les habitants sont tenaillés entre accepter la crise comme une fatalité et intervenir sur leur sort en exprimant leurs revendications. Il ressort des entretiens effectués que les riverains du Porong sont touchés par la crise environnementale qui prend aussi des allures de crise économique. Cependant, s’ils sont effectivement à compter parmi les victimes, les interventions en leur faveur par les autorités sont loin d’être prioritaires puisque les cas des sinistrés au centre et à l’ouest sont beaucoup plus graves et pourtant ne sont toujours pas réglés. La population des bords du fleuve, au sud de LUSI a des revendications auprès des autorités (vingt-quatre individus ont dit attendre des remboursements ou des indemnités, trois voudraient des aides au déménagement, une personne a parlé de la volonté que les digues soient surélevées et une autre que les problèmes économiques soient mieux pris en compte et que l’on prenne des mesures pour le développement local). D’après les personnes interrogées, il y avait au début des évènements des réunions dans les villages pour discuter des problèmes et on prenait aussi le temps d’y réfléchir en classe. Plus de la moitié des répondants ont participé à la manifestation de septembre 2008 (Fig. 31.). Mais il semble qu’on parle de moins en moins et cela ne prend plus la forme de discussions organisées. Les gens perdent espoir d’obtenir quoi que ce soit, ils ne font plus confiance au gouvernement et pourtant gardent pour eux leur colère. Ils économisent l’énergie nécessaire à élever leurs revendications pour ne la faire ressortir qu’occasionnellement puisque cela paraît vain de toute façon. Fig. 31. Manifestation rassemblant les habitants de trois villages au sud pour la prise en compte de leurs problèmes. « TimNas et BPLS : menteurs ! Les victimes de la boue au sud doivent faire partie de la carte ». Source : BPLS Par ailleurs, nous avons demandé aux habitants de se positionner par rapport à la politique du fleuve qui en fait un exutoire pour la boue de Lapindo. Quinze personnes trouvent que c’est une mauvaise solution que de rejeter la boue dans le chenal. Et quatorze considèrent que c’est une bonne solution (ou plutôt la « moins pire » des solutions) et que de toute façon il n’y a pas d’autres possibilités. Deux individus ne se sont pas prononcés. Pour finir, autant d’individus ont dit se sentir en sécurité chez eux que d’individus au contraire inquiets de vivre là où ils sont. Un habitant du village de Ginonjo nous a fait part de son sentiment d’oppression du fait de vivre encerclé par les digues. Il a parlé d’un « effet d’aquarium ». En effet, la digue du bassin de boue de LUSI borde son village au nord. Et celle du Porong le surplombe au sud. Chacun des horizons présente un risque différent. Aussi, le sentiment partagé par l’ensemble des habitants des bords du fleuve est que l’avenir sera 62 encore pire que le présent (cf. question 3.8). Et ceci en dépit des slogans affichés et déchirés parfois : « hari esok akan lebih baik » (Demain sera un jour meilleur). 63 VII. Conclusion, difficultés, intérêts et poursuite Avant de s’intéresser spécifiquement au fleuve Porong et aux rejets de boue dont il est le réceptacle, il a fallu prendre en compte le contexte de crise sévère de Sidoarjo dans son ensemble et les défis de gestion immenses qui se posent aux autorités. La crise environnementale du fleuve Porong n’est qu’un aspect périphérique au sein de la crise globale de Sidoarjo. Aussi la question du fleuve Porong est très sérieuse, mais en comparaison, elle n’est pas aussi grave que les autres problèmes que le volcan de boue surnommé LUSI a engendré. À propos de l’évolution géomorphologique de la Kali Porong, les traitements de profils en travers du chenal présentés ici ont apporté des résultats bien moins dramatiques que ceux attendus. La déstabilisation du cours d’eau par cette entrée sédimentaire abondante n’est pas aussi grave que ce que l’on aurait pu penser car, en s’appuyant sur l’année 2008, le chenal a retrouvé son allure d’origine au bout d’un an alors qu’il avait connu des aggradations exceptionnelles pluri-métriques. C’est donc à juste titre nous semble-t-il que la Kali Porong est utilisée comme exutoire du matériel éructé du volcan de boue. Nous n’avons pas abordé le thème des conséquences sur l’écologie directement, mais seulement à partir des témoignages recueillis lors de notre enquête par questionnaire. Ainsi, au regard des changements vécus par les habitants riverains, cela ne paraît pas encore alarmant. Alors que parler de bouleversements dans la vie des habitants pour le secteur central de la crise et les villages périphériques à l’ouest est un euphémisme, ici, dans le secteur sud et sud-ouest, c’est toujours bien de changements qu’il faut parler pour le moment, changements auxquels la population s’adapte. Cependant, les évènements de Sidoarjo n’en sont qu’à leur troisième année, ils évoluent rapidement de mois en mois, or on s’attend à ce qu’ils durent encore longtemps (peut-être plusieurs décennies). C’est pourquoi les résultats de notre étude ne sont que temporaires et un suivi de la situation d’année en année serait du plus grand intérêt. Il s’agissait ici d’une étude de géomorphologie fluviale qui place en perspective les dimensions sociales. Mais nous nous sommes rendu compte que, du volcan de Sidoarjo n’étaient pas sorti que de la boue et du gaz, des pistes de recherche formidables ont aussi jailli ! Cela donne l’impression que LUSI est une affaire de géologues, mais on affirme le contraire. On ne distingue pas encore les limites de l’étendue de la crise. Ne serait-ce que pour le fleuve Porong, des écologues et géomorphologues pourraient se partager le terrain entre le chenal, le delta (lui-même divisé entre partie aérienne et sous-marine) et les nappes aquifères environnantes. Et plus largement, du fait que la société est ébranlée sur les plans politiques, culturels, économiques et sociaux, de nombreux chercheurs en sciences humaines ont lieu d’être mobilisés. En effet, la crise de Sidoarjo nous est apparue comme une « crise totale ». Nous reprenons le terme d’un concept anthropologique : le « fait social total » inventé par Marcel Mauss [1923]. Il désigne le fait que, lors de certains évènements, les différents domaines de la vie sociale se mettent en scène (religion, politique, économique, juridique…), la société se donnant ainsi à voir dans sa totalité. Ici, l’apparition de LUSI a bien été révélatrice des 64 différentes dimensions de la vie indonésienne locale. C’est donc loin de n’être qu’une affaire scientifique. Je considère que mon rapport est utile pour clarifier la question des rejets de boue dans le Porong. On constate un grand manque de transparence et de communication de la part des autorités à Sidoarjo. Aussi, au sujet du fleuve, je n’ai jamais entendu deux fois la même chose. Outre les valeurs données à l’oral exagérées, ce sont les faits qui sont méconnus à la fois des habitants et des équipes de travail sur le terrain de Sidoarjo. Certains ignorent que la boue de LUSI est déversée dans le fleuve. Certains croient qu’on ne rejette que de l’eau, ils ne savent pas que la boue se dépose, encore moins qu’elle s’accumule en formant des bancs de quatre à cinq mètres d’épaisseur pendant la saison sèche. Ceux qui sont un peu mieux renseignés ne savent pas pour autant comment cela fonctionne exactement. Ils ne savent pas que la boue est fluidifiée au préalable avec l’eau du Porong, ou alors ils pensent que cela fonctionne de la sorte depuis quelques mois seulement et non depuis le début. Et pour les plus optimistes, il n’y a plus de trace de boue après cinq kilomètres vers l’aval ou encore, les dépôts sont évacués en une à deux semaines après l’arrivée des pluies. De toute évidence, la Kali Porong est une question périphérique surtout dans l’esprit des gens. Pour être honnête, travailler sur un tel sujet a été difficile. Pour commencer, il a fallu passer par de longues démarches administratives à la fois en France et en Indonésie. L’obtention du visa spécial pour la recherche étant compliquée, j’ai dû reporter d’un mois ma date de départ et par là même réduire la durée de mon stage au PVMBG. Une fois à Java, je n’ai pas pu commencer à travailler directement car il m’a fallu deux semaines pour terminer les démarches d’entrées. Cela s’est soldé par plusieurs allers-retours à RISTEK, le ministère de la recherche, pour avoir les autorisations de travail et les lettres de recommandations pour les autres bureaux ; à POLRI, le centre de police à Jakarta, pour avoir une autorisation de circuler dans le pays ; au ministère de l’intérieur à Jakarta ; et au bureau de l’immigration à Bandung pour le permis de séjour. À la fin des cinq mois, avant de quitter le territoire il a fallu fournir un rapport au ministère de la recherche et remplir un nouveau dossier au bureau de l’immigration. Là encore, cela a pris quelques jours. Passé le côté administratif qui normalement donne au chercheur étranger la liberté de travailler, les difficultés ont été d’un autre type une fois sur le terrain. Acquérir des données dans les différents organismes visités a été laborieux. Très rarement on m’a remis facilement les informations que je souhaitais pour mon étude. Peut-être cela tient-il au contexte politique tendu de Sidoarjo qui implique un manque de transparence et qui veut qu’on se méfie d’un visiteur étranger ? Beaucoup de mes interlocuteurs en tout cas ont été réticents à mes demandes. J’ai souvent dû justifier de mon droit à effectuer des recherches mais le côté officiel ne suffit pas. Dans une démarche déontologique tout à fait normale j’expliquais mon projet à un responsable, et plusieurs fois on m’a renvoyé vers un autre responsable à qui je devais reformuler mon discours. Pour ne pas être trop médisant, je dirais que ces entretiens ont été intéressants et m’ont donné à réfléchir sur mon sujet. Il n’empêche que cela ne me permettait d’avancer qu’à un rythme lent et j’avais l’impression qu’on essayait de me décourager. Enfin, après les entretiens, et en dépit de mes autorisations, il est arrivé qu’on me refuse des données brutes ou des rapports ou alors qu’on me donne le moins d’informations possible. Un exemple frappant : une fois où je demandais des données sur la pluviométrie, on a refusé que je les prenne sur format informatique et on m’a imprimé 65 quelques pages d’un rapport. Non seulement il s’agissait de la mauvaise année, mais en plus des chiffres étaient illisibles car les tableaux de nombres étaient barrés en travers d’une inscription en gras qui disait à qui appartiennent les données. Malgré tout, je retiens ces difficultés comme une expérience positive. C’est aussi ça que j’ai appris durant mon stage en Indonésie, savoir comment aborder les responsables pour leur demander une information, comment leur présenter mon travail, comment formuler mes demandes et comment insister aussi pour obtenir ce dont j’ai besoin. Avant d’arriver, j’avais suivi un semestre de cours d’Indonésien à l’INALCO (Institut NAtional des Langues et Civilisations Orientales). J’ai beaucoup progressé durant ces cinq mois dans le pays, d’autant que je continuais d’étudier la langue par moi-même. Ce n’est que rarement que j’ai eu recours à l’anglais pour communiquer. L’acquisition d’une nouvelle langue est un des apports bénéfiques de ce stage. Sur le plan intellectuel, j’ai beaucoup lu à propos du volcanisme de boue. Je n’en connaissais rien avant de m’intéresser au sujet. En Indonésie, en plus de LUSI, j’ai aussi visité un autre volcan de boue près de Sidoarjo qui était d’un tout autre type, ancien, solide et très peu actif et j’ai discuté d’un autre cas, celui de Serang à Java Ouest, avec des employés du PVMBG qui avait fait un rapport à son sujet *Zaennudin et al., 2007+. À Sidoarjo, il m’est arrivé de suivre des équipes en mission sur le terrain. J’ai pu par exemple observer les mesures sur les déformations du sol par géo-radar avec une équipe de Bandung ou accompagner un groupe du BPLS lors des prélèvements hebdomadaires d’eau dans les rivières pour analyser la composition. Enfin, dans l’optique de lire et travailler sur des données que j’avais obtenues, j’ai appris quelques maniements informatiques sur les logiciels de cartographie Mapinfo et Global Mapper au PVMBG grâce à un employé de la division glissements de terrain, Pak Tutang. L’expérience de Sidoarjo a été intense, absolument passionnante mais aussi très difficile pour les raisons évoquées plus avant. Théâtre d’une crise totale il est en plus oppressant d’y vivre et d’y travailler. Je ne m’en rendais pas compte avant d’y séjourner. Il fait très chaud et il n’y a pas d’ombre. Il y a l’odeur du volcan de boue, plus forte à certains moments qu’à d’autres. Le bruit et le désordre sont la règle. On est obligé de passer beaucoup de temps dans les embouteillages. Et par ailleurs, il est impossible de se faire discret pour un Occidental. Alors on a l’impression de se faire harceler à chaque coin de rue (entre autres par les nouveaux guides touristiques du site). Mais ce sont surtout les difficultés à mener personnellement une recherche qui me retiennent de poursuivre mes études sur le même sujet. Il me tient à cœur de revenir pour voir comment le tout a évolué. Mais la lourdeur administrative, mon sentiment d’isolement face à l’immensité et la complexité du terrain, ainsi que la peine à recueillir des données rendent surtout désagréable de travailler autour de LUSI. Or je ne me sens pas capable de conduire une recherche géographique en éprouvant une quelconque réticence vis-à-vis de mon terrain. Se pose alors la question de la continuité que je peux donner à mon travail de 1 re année de master ? Je m’intéresse toujours aux problématiques portant sur les dynamiques sédimentaires en milieu fluvial. Les déstabilisations géomorphologiques des cours d’eau, les systèmes en équilibre dynamique, les réponses des milieux à des perturbations d’origine anthropique sont le type de problématiques qui me passionnent et qui restent assez générales pour offrir un large choix de terrains possibles. Je garde à l’esprit que j’ai encore le temps de trouver les thématiques 66 sur lesquelles me spécialiser et je suis aussi ouvert à d’autres cas d’étude comme les glissements de terrain ou les problèmes d’érosion sur les littoraux, en particulier les côtes d’accumulation. J’ai acquis de l’expérience au cours de ce stage en Indonésie. Et même si je décide finalement de ne pas continuer à travailler sur la crise de Sidoarjo comme c’était ma première intention, un tel sujet me semble très porteur et a pu me donner des armes pour poursuivre ma formation dans des domaines variés. 67 BIBLIOGRAPHIE Aliyev A.A., Gasanov A.G. et Bairamov A.A., 2001. 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Présentation de l’organisme d’accueil, le PVMBG I. 2. Organisation de mon travail sur le volcan de boue de Sidoarjo II. Introduction, retour sur le volcanisme de boue et approche du cas particulier de Sidoarjo II.1. Situation humaine et physique II.2. Retour épistémologique « sur les volcans de boue » II.3. Localisation, origine et mécanisme des volcans de boue II.4. Géomorphologie : une grande variété de volcans de boue malgré un principe de fonctionnement commun II.5. La singularité de LUSI dans le paysage mondial des volcans de boue II.6. Le contexte politique de Sidoarjo, polémique sur l’origine du phénomène II.7. Gestion de crise et tentatives de réduction des éruptions II.8. Les dommages sociaux, matériels et environnementaux III. Présentation générale du fleuve Porong, exutoire du bassinversant du Brantas III. 1. Le fleuve Porong, exutoire du bassin-versant du Brantas III. 2. Utilisation des cours d’eau du bassin-versant, aménagements et aspects socio-économiques III. 3. Politiques de lutte contre le risque inondation III. 4. Les entrées sédimentaires : aggradation des chenaux par les éruptions du volcan Kelud et par l’érosion des sols due à la déforestation III. 5. Les sorties et les stocks sédimentaires : retenues par les barrages, activités d’extraction et progradation du delta du Porong III. 6. Les rejets de cendres du Kelud dans le bassin-versant du Brantas et les rejets de boue de LUSI dans le Porong, des situations comparables ? p. 7 p. 8 p. 10 p. 10 p. 11 p. 12 p. 14 p. 15 p. 16 p. 19 p. 20 p. 22 p. 22 p. 23 p. 24 p. 24 p. 25 p. 26 IV. Le contexte global de crise environnementale de Sidoarjo et la question spécifique des rejets de boue dans le fleuve Porong p. 28 IV. 1. L’incontinence de LUSI, des éruptions de boue rythmées, abondantes et incessantes IV. 2. L’ensevelissement total de villages par la boue IV. 3. Subsidence et déformations du sol IV. 4. Entretien et disparition des digues au centre p. 28 p. 29 p. 30 p. 33 73 IV. 5. Émanations de gaz, d’eau et de boue à l’ouest, en périphérie habitée IV. 6. L’eau superficielle salée du bassin de boue déversée dans des rivières utiles à l’irrigation des champs au nord et à l’est IV. 7. Les rejets de la boue dans le fleuve Porong au sud IV. 8. Une répartition géographique des problèmes environnementaux de Sidoarjo, schéma d’enjeux et d’acteurs V. La boue dans le fleuve Porong, analyse de l’évolution géomorphologique du chenal en 2008 V. 1. Organisation du rejet de la boue V. 2. Choix des profils étudiés, justification et corrections effectuées V. 3. Comparaison des profils d’avril avec ceux d’octobre, l’épaisseur maximale des dépôts V. 4. Phases et rythmes de dépôt et d’érosion de la boue dans le chenal V. 5. Comparaison des profils janvier 2008-janvier 2009 et février 2008-février 2009 : retour à l’allure initiale du chenal au bout d’un an V. 6. Discussion, un équilibre dynamique du Porong à travers l’existence de cycles géomorphologiques ? VI. Les répercussions des changements dans le fleuve sur la population riveraine, le lien entre géomorphologie et aspects socioéconomiques VI. 1. Objectifs et déroulement de l’enquête VI. 2. Profil de la population interrogée VI. 3. Le fleuve Porong dans la vie des habitants, évolution des usages et changements perçus depuis 2006 VI. 4. En quoi les riverains du fleuve sont-ils acteurs dans la crise ? p. 34 p. 36 p. 37 p. 38 p. 41 p. 41 p. 43 p. 44 p. 48 p. 53 p. 53 p. 57 p. 57 p. 57 p. 60 p. 62 VII. Conclusion, difficultés, intérêts et poursuite p. 64 BIBLIOGRAPHIE p. 68 TABLE DES MATIÈRES p. 73 TABLE DES FIGURES p. 75 74 TABLE DES FIGURES Fig. 1. Entrée du PVMBG, Bandung p. 7 Fig. 2. Localisation de Bandung (PVMBG) et de Sidoarjo sur l’île de Java, Indonésie p. 9 Fig. 3. DEBELMAS p. 11 Fig. 4. Répartition mondiale des volcans de boue connus p. 13 Fig. 5. Les signes d’existence de la faille de Watukosek dans la région de Sidoarjo p. 18 Fig. 6. Le bassin-versant du Brantas dans la province de Java Est p. 23 Fig. 7. Le Porong, fleuve canalisé p. 23 Fig. 8. L’épandage des boues de LUSI d’année en année p. 29 Fig. 9. Les migrations résidentielles p. 31 Fig. 10. Les embouteillages permanents le long de la voie ferrée et de la digue à l’ouest p. 32 Fig. 11. Les déformations du sol et les remontées de gaz en périphérie p. 33 Fig. 12. Digue qui sombre sous la boue à l’intérieur du bassin de LUSI p. 34 Fig. 13. Conditions de vie insalubres d’une habitante de Siring, à l’ouest, qui n’arrive pas à déménager par manque de moyens p. 35 Fig. 14. Éruption de boue et de gaz plus grave que d’habitude à Siring (ouest) au début du mois de Juillet 2009 p. 36 Fig. 15. Rejets de l’eau superficielle salée du bassin de boue dans les rivières au nord et à l’est p. 37 Fig. 16. Les rejets de boue dans le fleuve Porong au sud p. 37 Fig. 17. Schéma d’enjeux et d’acteurs de la crise de Sidoarjo p. 39 Fig. 18. Rejets de la boue de LUSI dans le fleuve Porong en saison sèche p. 41 Fig. 19. Schéma du processus destiné à rendre la boue plus liquide avant de la rejeter dans le fleuve au sud p. 42 75 Fig. 20. Nappes de boue emportées par le courant pendant la saison des pluies p. 42 Fig. 21. Localisation des 11 profils en travers du Porong sélectionnés pour observer l’évolution géomorphologique du chenal au cours de l’année 2008 p. 44 Fig. 22. Hauteur maximale des dépôts dans le Porong en 2008 Fig. 23. Phases et rythmes de l’évolution géomorphologique du chenal d’avril 2008 à février 2009 p. 4749 Fig. 24. Gros-plan des bancs de boue dans le chenal en saison sèche p. 5051 p. 52 Fig. 25. Diagramme de Hjulström p. 52 Fig. 26. Retour à l’allure initiale du chenal en fin de saison des pluies p. 54 Fig. 27. Schéma des variables dont dépend l’équilibre dynamique du Porong depuis que l’on y rejette la boue de LUSI p. 56 Fig. 28. Précipitations annuelles à Java Est p. 56 Fig. 29. Liste des questions qui ont été posées oralement à 31 habitants de six villages à proximité du fleuve Porong lors d’entretiens les journées du 16, 17 et 18 mai 2009 p. 5859 Fig. 30. Localisation de la population interrogée lors de l’enquête par questionnaire (16, 17 et 18 mai 2009) p. 60 Fig. 31. Manifestation rassemblant les habitants de trois villages au sud pour la prise en compte de leurs problèmes p. 62 76 RÉSUMÉ Depuis trois ans que le volcan de boue « LUSI » est apparu de façon subite à Sidoarjo en périphérie de la métropole Surabaya, se déroule une grave crise environnementale doublée d’un scandale politique (car la compagnie pétrolière PT Lapindo Brantas, propriété de la famille d’un membre du gouvernement indonésien, s’en défend, mais pourrait bien être responsable d’avoir déclenché le phénomène en effectuant un forage). Outre les éruptions de boue qui ont enseveli quatre villages et déplacé une trentaine de milliers d’individus, bien d’autres problèmes existent en périphérie, principalement des sorties localisées de gaz explosifs, d’eau et de boue, dans le village de Siring à l’ouest, qui remontent par le réseau de failles du sol auxquelles s’ajoutent des fissurations dans le bâti à cause de la subsidence intense dans le secteur. Dans les rivières au nord et à l’est, on déverse l’eau superficielle (presque aussi salée que l’eau de mer) du grand bassin de boue contenu par des digues. Ces cours d’eau étant utiles à l’irrigation, les champs deviennent salés. Et au sud, depuis 2006, c’est la boue elle-même qui est rejetée dans le fleuve Porong. Elle est emportée en nappes par le courant pendant la saison des pluies, mais elle se dépose sur plusieurs mètres d’épaisseur en saison sèche. Les défis immenses de gestion d’urgence qui se posent aux autorités les contraignent à étendre les conséquences en périphérie qui sont ensuite subies par une population qui a du mal à faire reconnaître qu’elle est, elle aussi, victime. L’analyse, mois par mois, de onze profils en travers du fleuve au cours de l’année 2008 ont permis de dégager l’évolution géomorphologique du Porong en aval des rejets sur une année. Les résultats laissent penser que la situation n’est pas aussi dramatique qu’elle en a l’air. Il semble que le bilan sédimentaire s’équilibre sur un pas de temps annuel entre la phase de dépôt et celle d’érosion. Des cycles se mettraient en place, permettant à l’ensemble de la boue d’être évacuée pendant les mois d’octobre à avril malgré une aggradation pluri-métrique d’avril à octobre. Mots-clés : volcan de boue ; Sidoarjo ; LUSI ; Porong ; crise environnementale ; entrées, stocks et sorties sédimentaires ; aggradation ; incision de chenal ; cycle géomorphologique 77