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36 Rebonds tiger la liberté d’autrui? Quant à la fameuse interdiction de représentation en islam, il est utile de préciser que si, dans la loi mosaïque, l’interdit est plus qu’explicitement formulé, il n’existe dans le Coran aucun verset prohibant la représentation humaine. Mieux, selon les grands chroniqueurs de l’islam, d’Ibn Ishaq à Tabari, le Prophète, aurait, lors de la prise de La Mecque, débarrassé la Kaaba de toutes les idoles païennes pour y laisser à l’intérieur une fresque de la Vierge à l’enfant. Si le sanctuaire sacré n’avait pas été brûlé en 693 avant d’être reconstruit, un milliard de musulmans se seraient retrouvés aujourd’hui priant cinq fois par jour, la face tournée vers un temple abritant les icônes de Marie et de Jésus. Le Prophète aurait donc offert dans le saint des saints de l’islam l’hospitalité aux images qui fondent la chrétienté… Quant au fameux hadithattribué au Prophète par son épouse Aïsha et prohibant la présence d’images dans les maisons, l’on sait qu’il a été fabriqué de toutes pièces, sous les Omeyyades de Damas au milieu du VIIIe siècle pour maintenir les populations chrétiennes et musulmanes d’Orient à l’abri du conflit sanglant qui opposait alors à Byzance les «vénérateurs des images»(iconodoules) aux «briseurs des images»(iconoclastes). Même de son vivant, le Prophète, qui se voulait plus qu’humain, fut raillé par les poètes de son temps, hostiles à son message. Je pense à Abou Afak ou à la virulente Asma bint Marwan qui traitait déjà les premiers musulmans d’«enculés et de gobe tout». Elle sera exécutée en même temps que deux danseuses qui avaient été payées pour chanter contre l’envoyé de Dieu. Le sacré exige la profanation, la foi appelle l’incroyance, le dogme appelle la transgression. Car l’intégrisme commence quand l’homme perd le sens de l’humour. Ce n’est pas en jetant de l’huile sur le feu du wahhabisme et encore moins en apportant tant d’eau au moulin du Front national que les croyants d’Europe et d’ailleurs sauveront l’image du Prophète. Et que faire des caricatures? Mieux vaut en rire comme le dit le Coran VIII, 30: «Ils (les incroyants) se moquent mais, en matière de moquerie, Dieu est insurpassable.»• ●●● Dernier ouvrage paru: Terre sainte à l’Avant-Scène, 2006. A paraître: le Roman de Mahomet, Bayard. LIBERATION VENDREDI 17 FÉVRIER 2006 Le juge constitue un dommage collatéral de la fabrique des élites formatées. Burgaud, un cadre obéissant Par EMMANUEL PONCET journaliste à «Libération». ors de son procès à Jérusalem en 1960, Eichmann s’exclamait: «J’ai le sentiment d’être grillé ici comme un steak sur un grill.» Toutes proportions gardées, l’amère impression laissée par l’audition du juge Burgaud, seul en costume-cravate tout gris, fonctionnaire vétilleux, face à l’impressionnant dispositif médiatique de la commission d’enquête parlementaire sur Outreau, rappelle cet épisode. Ainsi que plusieurs questions «scandaleuses» qu’Hannah Arendt avaient soulevées à l’époque dans sa couverture du procès. La philosophe allemande avait choqué en invoquant la «banalité du mal». Réactivée par l’écrivain Rony Brauman et le cinéaste Eyal Sivan, quarante ans plus tard (1), sa théorie du «spécialiste», de l’employé modèle, de l’exécutant discipliné, capable d’atrocités, peut éclairer certains aspects de cette affaire. Il ne s’agit ni d’assimiler le juge Burgaud à Eichmann, ni de comparer de dramatiques erreurs judiciaires à des déportations. Simplement de relever quelques analogies troublantes. Et dégager un profil psychologique courant, véritable ressort du système et du problème: le jeune cadre obéissant. La plupart des mises en cause de Fabrice Burgaud reposent en effet, depuis le début l’affaire sur sa jeunesse, sa solitude, son inexpérience, certes, mais surtout sur son exécution sèche, mécanique, arrogante et sans états d’âme des procédures. «J’ai été terriblement choqué,explique-t-il devant les députés, d’être présenté comme une machine à appliquer le droit sans aucune humanité.»Pourtant, les acquittés comme les observateurs ont souvent pointé chez lui une forme de zèle inquiétant. Ce souci de la procédure lui permet notamment d’affirmer: «Je sais que cela a choqué et cela peut encore choquer, mais je l’ai dit et je le redis, j’estime avoir effectué honnêtement mon travail sans aucun parti pris d’aucune sorte.»Point final. Malheureusement pour lui (mais aussi pour nous), ses propos résonnent singulièrement, et presque terme à terme, avec ceux d’Eichmann lors de son procès. Face au président Landau qui lui demande s’il se sent coupable, le cadre nazi élude: «J’ai fait mon devoir, conformément aux ordres. Et on ne m’a jamais reproché d’avoir manqué à mon devoir. Aujourd’hui encore, je dois le dire.» Même si comparaison n’est jamais raison, cette ligne de défense est-elle si différente, au fond, de la fameuse «méthode employée pour l’enquête»dont se L psychiatre du travail Christophe Dejours(2) a proposé le terme de «normopathe»pour qualifier ces jeunes hommes qui «se présentent comme des sujets hypernormaux, simples et sans complication».Comme Burgaud lorsqu’il croit servir l’institution judiciaire. Comme Eichmann lorsqu’il prétendait servir sa hiérarchie. Dans un contexte historique extrême, ces «normopathes» présentent toutes les qualités pour devenir «les mille fidèles, les exécutants aveugles des ordres reçus»que Primo Levi dénonçait. Burgaud incarne le «cadre» universel, terne et modèle. Il questionne la fabrique des élites. Et pas seulement judiciaires. Il constitue un dommage collatéral de la fabrique des «obéissants». Loués par leur hiérarchie. Vite lâchés et sacrifiés par elle au moindre problème. N’est-il pas le jeune homme promu à la section antiterroriste après avoir instruit l’«affaire du siècle»? «Les écoles et les centres de formation sélectionnent et fabriquent assudes normopathes proLa défense et l’attitude de Burgaud pendant son rément fessionnels efficaces»,écrivait «procès médiatique» révèlent cette question Christophe Dejours, dans un article consacré à ces jeunes sulfureuse, scandaleuse pour nos sociétés: celle hommes engoncés dans un de l’obéissance. Du légitimisme. Du légalisme. statut social aussi étriqué que faisions de notre mieux, autant que possible, pour le costume gris de Burgaud. «Il me fait penser à arrêter et éviter ces choses.»Surcharge de travail. certains de ces étudiants, sérieux, sûrement traAccumulation des dossiers. Sensation pour Eich- vailleurs, appliqué, obstiné et quelque part fragile», mann d’être un «instrument entre les mains de évoquait Robert Badinter sur RTL. «Il me fait de forces supérieures». Sentiment pour Burgaud de la peine, on dirait un petit garçon», ajoutaitle ne pas être soutenu: «Personne ne m’a dit que je fai- chauffeur de taxi Pierre Martel. Le gris, le terne, le sais fausse route, ni le procureur de la République creux, le vide, l’opacité, le mutisme, l’absence (…),ni le procureur général (…), ni la chambre de (d’explications) laissé par Fabrice Burgaud, troul’instruction.»On voit bien que le problème dé- vent sa source au cœur de ce profil «obéissant». passe la singularité des époques, des drames et des Dressés scolairement et socialement à la «cultuindividus en cause. La défense et l’attitude de Bur- re du résultat», plus qu’à cette «culture du doute» gaud pendant son «procès médiatique» révèle aujourd’hui tant vantée, ces jeunes cadres sortis cette question sulfureuse, scandaleuse pour nos d’écoles (de la magistrature, d’ingénieurs, de comsociétés: celle de l’obéissance. Du légitimisme. Du merce, de journalisme…) incarnent la figure mélégalisme. De la soumission à une hiérarchie. A ritocratique du «bon élève/bon fils». Ils peuplent une procédure. A des pouvoirs en place. La «vie de nos institutions par milliers. Celles-ci les récombourreau», en quelque sorte. Elle concerne cha- pensent largement. Le plus souvent. Jusqu’à ce cun de nous, et même les députés condescen- que l’un d’entre eux, sous l’œil bienveillant de ses dants qui miment l’indignation face au «petit ju- aînés moralisants, soudain dérape.• ge». Au quotidien, dans les écoles, les entreprises, (1) Eloge de la désobéissance, à propos d’ «un des individus aux tâches morcelés, et par là se sen- spécialiste», Adolf Eichmann, éditions le Pommier. tant irresponsables des conséquences qu’elles in(2) Nouvelles approches des hommes et du masculin, duisent, font vivre les structures sociales. sous la direction de Daniel Welzer-Lang, Presses Fervent exégète des théories d’Hannah Arendt, le universitaires du Mirail. prévaut le juge Burgaud? «Mon comportement avec les gens n’était pas agressif»,insistait Eichmann. «Je ne suis pas la personne que certaines personnes auditionnées ont décrite et je n’ai pas tenu certains des propos qu’on m’impute»,a invoqué le juge Burgaud. On pourrait poursuivre infiniment le recensement des résonances, des ressemblances et des correspondances. Quarante ans plus tôt, les tragiques maladresses d’Eichmann cachaient mal l’impossibilité foncière de reconnaître une faute qu’on pense sincèrement n’avoir jamais commise. Exclusivement chargé du transport, il était un rouage du système, accomplissait sa tâche du mieux possible. Il minimisait, euphémisait à longueur de procès. A propos de «gens [qui] restaient souvent huit jours enfermés dans les wagons»,il assure par exemple:«Il se peut que des imperfections locales aient entraîné occasionnellement des désagréments. Mais nous Offre découverte ❏ Oui, Testez le confort de l’abonnement et recevez chaque jour Libération chez vous. • Nom/prénom je souhaite profiter de votre offre spéciale et recevoir Libération chez moi pendant 2 mois à 49 ¤ (au lieu de 62,40 ¤ pour 52 numéros). 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