Rebonds

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Rebonds
tiger la liberté d’autrui?
Quant à la fameuse interdiction de représentation en islam, il est utile de préciser que si, dans la loi mosaïque, l’interdit est plus qu’explicitement formulé, il
n’existe dans le Coran aucun verset prohibant la représentation humaine.
Mieux, selon les grands chroniqueurs de
l’islam, d’Ibn Ishaq à Tabari, le Prophète, aurait, lors de la prise de La Mecque,
débarrassé la Kaaba de toutes les idoles
païennes pour y laisser à l’intérieur une
fresque de la Vierge à l’enfant. Si le sanctuaire sacré n’avait pas été brûlé en 693
avant d’être reconstruit, un milliard de
musulmans se seraient retrouvés aujourd’hui priant cinq fois par jour, la face tournée vers un temple abritant les
icônes de Marie et de Jésus. Le Prophète aurait donc offert dans le saint des
saints de l’islam l’hospitalité aux images
qui fondent la chrétienté…
Quant au fameux hadithattribué au Prophète par son épouse Aïsha et prohibant
la présence d’images dans les maisons,
l’on sait qu’il a été fabriqué de toutes
pièces, sous les Omeyyades de Damas au
milieu du VIIIe siècle pour maintenir les
populations chrétiennes et musulmanes d’Orient à l’abri du conflit sanglant qui opposait alors à Byzance les
«vénérateurs des images»(iconodoules)
aux «briseurs des images»(iconoclastes).
Même de son vivant, le Prophète, qui se
voulait plus qu’humain, fut raillé par les
poètes de son temps, hostiles à son message. Je pense à Abou Afak ou à la virulente Asma bint Marwan qui traitait déjà les premiers musulmans d’«enculés et
de gobe tout».
Elle sera exécutée en même temps que
deux danseuses qui avaient été payées
pour chanter contre l’envoyé de Dieu. Le
sacré exige la profanation, la foi appelle
l’incroyance, le dogme appelle la transgression. Car l’intégrisme commence
quand l’homme perd le sens de l’humour.
Ce n’est pas en jetant de l’huile sur le feu
du wahhabisme et encore moins en apportant tant d’eau au moulin du Front
national que les croyants d’Europe et
d’ailleurs sauveront l’image du Prophète. Et que faire des caricatures? Mieux
vaut en rire comme le dit le Coran VIII,
30: «Ils (les incroyants) se moquent
mais, en matière de moquerie, Dieu est insurpassable.»•
●●●
Dernier ouvrage paru: Terre sainte à
l’Avant-Scène, 2006.
A paraître: le Roman de Mahomet, Bayard.
LIBERATION
VENDREDI 17 FÉVRIER 2006
Le juge constitue un dommage collatéral de la fabrique des élites formatées.
Burgaud, un cadre obéissant
Par EMMANUEL PONCET journaliste à «Libération».
ors de son procès à Jérusalem en 1960,
Eichmann s’exclamait: «J’ai le sentiment
d’être grillé ici comme un steak sur un grill.»
Toutes proportions gardées, l’amère impression laissée par l’audition du juge Burgaud, seul en costume-cravate tout gris, fonctionnaire vétilleux, face à l’impressionnant dispositif
médiatique de la commission d’enquête parlementaire sur Outreau, rappelle cet épisode. Ainsi
que plusieurs questions «scandaleuses» qu’Hannah Arendt avaient soulevées à l’époque dans sa
couverture du procès. La philosophe allemande
avait choqué en invoquant la «banalité du mal».
Réactivée par l’écrivain Rony Brauman et le cinéaste Eyal Sivan, quarante ans plus tard (1), sa
théorie du «spécialiste», de l’employé modèle, de
l’exécutant discipliné, capable d’atrocités, peut
éclairer certains aspects de cette affaire. Il ne s’agit
ni d’assimiler le juge Burgaud à Eichmann, ni de
comparer de dramatiques erreurs judiciaires à
des déportations. Simplement de relever
quelques analogies troublantes. Et dégager un
profil psychologique courant, véritable ressort du
système et du problème: le jeune cadre obéissant.
La plupart des mises en cause de Fabrice Burgaud
reposent en effet, depuis le début l’affaire sur sa
jeunesse, sa solitude, son inexpérience, certes,
mais surtout sur son exécution sèche, mécanique,
arrogante et sans états d’âme des procédures.
«J’ai été terriblement choqué,explique-t-il devant
les députés, d’être présenté comme une machine à
appliquer le droit sans aucune humanité.»Pourtant, les acquittés comme les observateurs ont
souvent pointé chez lui une forme de zèle inquiétant. Ce souci de la procédure lui permet notamment d’affirmer: «Je sais que cela a choqué et cela
peut encore choquer, mais je l’ai dit et je le redis, j’estime avoir effectué honnêtement mon travail sans
aucun parti pris d’aucune sorte.»Point final.
Malheureusement pour lui (mais aussi pour
nous), ses propos résonnent singulièrement, et
presque terme à terme, avec ceux d’Eichmann
lors de son procès. Face au président Landau qui
lui demande s’il se sent coupable, le cadre nazi élude: «J’ai fait mon devoir, conformément aux ordres.
Et on ne m’a jamais reproché d’avoir manqué à mon
devoir. Aujourd’hui encore, je dois le dire.» Même
si comparaison n’est jamais raison, cette ligne de
défense est-elle si différente, au fond, de la fameuse «méthode employée pour l’enquête»dont se
L
psychiatre du travail Christophe Dejours(2) a
proposé le terme de «normopathe»pour qualifier
ces jeunes hommes qui «se présentent comme des
sujets hypernormaux, simples et sans complication».Comme Burgaud lorsqu’il croit servir l’institution judiciaire. Comme Eichmann lorsqu’il
prétendait servir sa hiérarchie. Dans un contexte
historique extrême, ces «normopathes» présentent toutes les qualités pour devenir «les mille fidèles, les exécutants aveugles des ordres reçus»que
Primo Levi dénonçait. Burgaud incarne le
«cadre» universel, terne et modèle. Il questionne
la fabrique des élites. Et pas seulement judiciaires.
Il constitue un dommage collatéral de la fabrique
des «obéissants». Loués par leur hiérarchie. Vite
lâchés et sacrifiés par elle au moindre problème.
N’est-il pas le jeune homme promu à la section antiterroriste après avoir instruit l’«affaire du
siècle»? «Les écoles et les centres de formation sélectionnent et fabriquent assudes normopathes proLa défense et l’attitude de Burgaud pendant son rément
fessionnels efficaces»,écrivait
«procès médiatique» révèlent cette question
Christophe Dejours, dans un
article consacré à ces jeunes
sulfureuse, scandaleuse pour nos sociétés: celle
hommes engoncés dans un
de l’obéissance. Du légitimisme. Du légalisme.
statut social aussi étriqué que
faisions de notre mieux, autant que possible, pour le costume gris de Burgaud. «Il me fait penser à
arrêter et éviter ces choses.»Surcharge de travail. certains de ces étudiants, sérieux, sûrement traAccumulation des dossiers. Sensation pour Eich- vailleurs, appliqué, obstiné et quelque part fragile»,
mann d’être un «instrument entre les mains de évoquait Robert Badinter sur RTL. «Il me fait de
forces supérieures». Sentiment pour Burgaud de la peine, on dirait un petit garçon», ajoutaitle
ne pas être soutenu: «Personne ne m’a dit que je fai- chauffeur de taxi Pierre Martel. Le gris, le terne, le
sais fausse route, ni le procureur de la République creux, le vide, l’opacité, le mutisme, l’absence
(…),ni le procureur général (…), ni la chambre de (d’explications) laissé par Fabrice Burgaud, troul’instruction.»On voit bien que le problème dé- vent sa source au cœur de ce profil «obéissant».
passe la singularité des époques, des drames et des Dressés scolairement et socialement à la «cultuindividus en cause. La défense et l’attitude de Bur- re du résultat», plus qu’à cette «culture du doute»
gaud pendant son «procès médiatique» révèle aujourd’hui tant vantée, ces jeunes cadres sortis
cette question sulfureuse, scandaleuse pour nos d’écoles (de la magistrature, d’ingénieurs, de comsociétés: celle de l’obéissance. Du légitimisme. Du merce, de journalisme…) incarnent la figure mélégalisme. De la soumission à une hiérarchie. A ritocratique du «bon élève/bon fils». Ils peuplent
une procédure. A des pouvoirs en place. La «vie de nos institutions par milliers. Celles-ci les récombourreau», en quelque sorte. Elle concerne cha- pensent largement. Le plus souvent. Jusqu’à ce
cun de nous, et même les députés condescen- que l’un d’entre eux, sous l’œil bienveillant de ses
dants qui miment l’indignation face au «petit ju- aînés moralisants, soudain dérape.•
ge». Au quotidien, dans les écoles, les entreprises, (1) Eloge de la désobéissance, à propos d’ «un
des individus aux tâches morcelés, et par là se sen- spécialiste», Adolf Eichmann, éditions le Pommier.
tant irresponsables des conséquences qu’elles in(2) Nouvelles approches des hommes et du masculin,
duisent, font vivre les structures sociales.
sous la direction de Daniel Welzer-Lang, Presses
Fervent exégète des théories d’Hannah Arendt, le universitaires du Mirail.
prévaut le juge Burgaud? «Mon comportement
avec les gens n’était pas agressif»,insistait Eichmann. «Je ne suis pas la personne que certaines
personnes auditionnées ont décrite et je n’ai pas tenu certains des propos qu’on m’impute»,a invoqué
le juge Burgaud. On pourrait poursuivre infiniment le recensement des résonances, des ressemblances et des correspondances. Quarante
ans plus tôt, les tragiques maladresses
d’Eichmann cachaient mal l’impossibilité foncière de reconnaître une faute qu’on pense sincèrement n’avoir jamais commise. Exclusivement
chargé du transport, il était un rouage du système,
accomplissait sa tâche du mieux possible. Il minimisait, euphémisait à longueur de procès. A propos de «gens [qui] restaient souvent huit jours enfermés dans les wagons»,il assure par exemple:«Il
se peut que des imperfections locales aient entraîné
occasionnellement des désagréments. Mais nous
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