15.09.27 le serpent - Eglise protestante de Bruxelles

Transcription

15.09.27 le serpent - Eglise protestante de Bruxelles
Les animaux dans la Bible
5 – Le Serpent & Jésus
La semaine passée, je vous ai proposé un parcours à la fois culturel et biblique autour de la figure du
serpent. Après un passage par l’antiquité d’Inde avec la figure d’Ananta – le serpent qui entoure de
ses anneaux l’axe du monde et le soutient, ou encore dans lequel Vishnu se repose – nous avons
regardé la figure de l’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue et forme ainsi un cercle parfait,
symbole alors du temps cyclique et de l’éternel retour si cher à Nietzche. Ensuite, nous nous sommes
plongés dans la Bible, relisant et reliant en un seul regard les premiers chapitres de la Genèse avec
les derniers de l’Apocalypse puisqu’ils sont ceux où apparaît pour la première et pour la dernière fois
la figure du serpent. L’antique serpent de la tentation de l’homme et de la femme dans le jardin
d’Éden, et celui du combat contre l’archange qui finira par le terrasser. Serpent et dragon, même
animal qui entoure toute la Bible de ses anneaux comme pour l’étouffer, histoire du combat entre
Dieu et le Léviathan – puisque tel est son nom en plusieurs versets.
Dans le récit de la Genèse, la victoire du serpent semble être totale. Même s’il en a perdu ses pattes,
il a fait en sorte que l’homme et la femme le rejoignent dans son espace, hors du jardin d’Éden, dans
le champ de la confusion et de la mort. Mieux que cela, les légendes racontent qu’il s’est insinué
dans l’être humain par la colonne vertébrale qui ressemble à son propre squelette. Depuis, tous,
nous avons l’antique serpent en nous et il nous est impossible de nous en défaire sans nous écrouler.
Vision essentiellement négative du serpent que l’Apocalypse désigne comme diabolos – le diviseur –
et comme shatan – le tentateur. Le serpent, à la fois diable et satan.
Dans la littérature, j’avais relevé quelques serpents célèbres : Nagini, le bras tueur de Voldemort
dans la lutte contre Harry Potter. Et Kaa, dans le Livre de la Jungle… le serpent qui a mal à ses sinus et
veut manger Mowgli. Sauf que, comme me l’a fait remarquer Émilie à la sortie du culte, cette vision
du serpent n’est pas celle du Livre de la Jungle écrit par Rudyard Kipling, mais celle transmise par
Walt Disney dans le dessin animé, très éloignée de l’original. Comme à l’accoutumée, le cinéaste a
transformé l’histoire en fonction de sa propre idéologie chrétienne et conservatrice. Autrement dit,
malgré son génie indéniable et comme pour beaucoup des contes et légendes qu’il a mis en images
merveilleuses, il a réécrit l’histoire à sa façon. Kaa est devenu un serpent plus grotesque
qu’inquiétant, voire dangereux. Sous la plume de Kipling, Kaa est un python des rochers. C’est le plus
vieil habitant de la jungle, ses mues sont innombrables. C’est vers lui que se tournent l’ours Baloo et
la panthère Bagheera pour les aider à délivrer Mowgli, prisonnier des singes. Mowgli et Kaa
deviendront amis. Souvent, le garçon s’installera dans les anneaux rassurants du serpent. Ils
joueront, ils nageront ensemble, et c’est Kaa qui mènera Mowgli jusqu’au trésor du roi. Kaa est ainsi
le protecteur de Mowgli. On retrouve là beaucoup des traits de la mythologie hindoue. Nous sommes
donc loin, très loin de la vision donnée par Walt Disney, tout emprunte d’une certaine lecture
chrétienne qui fait du serpent un être mauvais par essence, le maudit de la Genèse. Cependant,
même cette manière de la lire la Bible est trop restrictive pour être pertinente. Il existe une autre
façon d’appréhender la figure du serpent à travers les livres bibliques. Alors, reprenons notre
parcours et posons-nous la question de savoir qui est-il ce satan ?
S’il est nommé une ultime fois dans le livre de l’Apocalypse permettant ainsi de l’identifier au serpent
de la Genèse, il apparait sous son nom pour la première fois dans le livre de Job. Suivant les
traductions, il porte le nom de Satan, de l’Adversaire ou encore de l’Accusateur. Première remarque,
en hébreu Njs-satan est un nom commun avant d’être propre. Il sert à désigner un adversaire, un
ennemi et on le retrouve sous cette acceptation dans la Bible à de nombreuses reprises. C’est donc
un vocable tout à fait ordinaire. Cependant, dans le livre de Job, il devient un personnage à part
entière, et pas n’importe lequel. Il est celui par lequel l’histoire de Job se met en place. Il est
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l’accusateur, sorte d’avocat de l’accusation. Avant d’être ce que les images traditionnelles ont fait de
lui, relevons qu’il fait partie de la cour céleste. Il n’est pas le maudit de Dieu, il converse avec lui. Dieu
prête une oreille attentive à ses propos : « Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? Ne l’as-tu pas
protégé ?... Tu as béni ses entreprises… Mais veuille étendre ta main et touche à tout ce qu’il possède.
Je parie qu’il te maudira en face ! » (Job 1, 11) Dieu entend et laisse carte blanche à Satan, à
condition de ne pas porter la main sur lui. On sait par la suite ce qu’il advint par ce grand poème qui
reste une réflexion majeure sur le thème du bien et du mal. Job interroge Dieu qui lui répond. Job se
révolte contre Dieu, mais jamais ne le rejette ni ne se détourne de lui l’y invitent pourtant ses amis.
Malgré tout son dénuement, Job reste fidèle à Dieu, comme il l’a été dans l’opulence.
Satan est donc bien là le « tentateur », comme au livre de la Genèse ou au terme du séjour de Jésus
au désert. Il est là pour pousser Job, Adam et Ève ou Jésus dans leur dernier retranchement, les
mener jusqu’au bout d’une situation où se révèle leur être véritable. Job et Jésus lui résistent, Adam
et Ève le suivent.
Le Satan-serpent est au service de la vérité de l’être. S’il s’est insinué en nous, il est cette part de
nous-mêmes qui nous soumet à la tentation : pulsion, envie, jalousie sont ses armes.
Qui n’a jamais cédé à la tentation ? Personne, heureusement. Après tout, il n’y a pas de bonne ou de
mauvaise tentation en elle-même. Le tout est qu’elle ne fasse pas retourner du côté mortifère qui
coupe des autres et de soi-même, qui séparent de Dieu et de son projet de vie.
Si au ciel, dans la cour céleste, il y a le Satan-Accusateur-Tentateur pour emmener l’humain là où il
n’aurait pas envie d’aller, même si c’est sa nature profonde qui l’y pousse, il y a aussi le ParacletDéfenseur annoncé par Jésus à ses disciples. « Lui, il confondra le monde en matière de péché, de
justice et de jugement ». Au Satan-Serpent répondra le Paraclet-Esprit. « Lorsque viendra l’Esprit de
vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. » (Jean 3, 7.13) Si le serpent s’est insinué en
chaque humain, en chacun de nous au point d’être la colonne vertébrale de l’humanité, Jésus sur la
croix, en donnant l’Esprit (Jean 19, 30), replace celles et ceux qui le voient et qui croient, puis ceux
qui ne l’ont pas vu mais qui croient tout de même (Jean 20, 29), en situation édénique : le souffle de
Dieu est à nouveau en celui ou celle qui le reçoit, en est la demeure, et devient ainsi enfant de Dieu,
non pas né d’un vouloir d’homme ou de sang, mais de Dieu. (Jean 1, 12.13)
Dès lors, nous pouvons relier et relier l’épisode des serpents dans le désert lors de l’Exode
(Nombres 21). Le peuple hébreu se met à critiquer Dieu et Moïse de l’avoir fait sortir du pays de
l’esclavage et de la mort, en arguant du fait que là-bas, au moins, il y avait du pain et de l’eau. Alors,
Dieu envoie des serpents brûlants, et il y a beaucoup de mordus, beaucoup de morts. Le peuple se
repent ; Moïse intercède auprès de Dieu ; celui-ci dit à Moïse de fabriquer un serpent d’airain et de le
placer haut, quiconque le voit est sauvé. Le peuple avait choisi la voie de la mort en disant sa
préférence pour le pays qui le tenait enfermé, Dieu lui a montré où une telle voie ne pouvait
qu’aboutir, dans la mort. Ensuite, Dieu choisit précisément ce qui provoque la mort pour donner la
vie. Et les serpents de tuer dans le peuple-serpent ; et le serpent de sauver celui qui dans le peuple se
repent !
En écho, Jésus parle à Nicodème : « Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils
de l’homme soit élevé, pour que quiconque croit ait en lui la vie éternelle ». (Jean 3, 14.15) C’est bien
avec l’élévation de la croix que se joue le mystère de la foi.
Au commencement,
il y avait un jardin et un en dehors du jardin,
il y avait la vie promise et la confusion avérée,
il y avait l’homme et la femme, et le serpent,
il y avait un arbre au milieu du jardin – arbre de vie –, et un autre dehors le jardin – arbre de la
confusion du bien et du mal.
Au commencement, il y eut une parole de Dieu et une parole du serpent,
les deux adressées à l’homme, à la femme.
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Ensuite… la sortie du jardin, le serpent, Adam (le terreux) et Ève (la mère des vivants)… et la mort
pour mourir.
Ensuite… la sortie d’Égypte… le désert…
il y a une parole du peuple et une autre de Dieu…
les serpents, la mort jamais réellement fuie,
le serpent, la vie sauve.
Ensuite… le désert, le tentateur…
il y a une parole qui s’insinue et une autre qui dit non, « tu ne tenteras pas »…
et il y a la croix et le souffle transmis.
Voilà que, comme dans le désert, l’arbre de mort devient celui de la vie.
Le désert ? Nous y sommes tous. En hébreu, il se dit rbdm-midbar, parce qu’il est le lieu du
jaillissement de la parole (rbd-dabar) de Dieu qui peut y être reçue et entendue. Le désert de notre
monde, le désert de notre vie, peut devenir le jardin de Dieu. L’antique serpent vu sous son aspect de
dispensateur de mort a définitivement perdu la partie. Dieu en venant chez lui a fait du champ un
jardin.
Dès lors, la figure du serpent peut être reprise par les Pères de l’Église, tels saint Augustin, qui font de
ses mues successives le signe de la mort toujours nécessaire du vieil homme qui est en chacun –
suivant l’expression chère à Paul – et la naissance de l’homme nouveau, mort du vieil Adam et
naissance du nouvel Adam. Et la boucle est bouclée… Ouroboros…
Je vous dois une confidence. Il y a quelques années, un bijou celtique m’a été offert. Il représente un
serpent qui s’enroule autour du poignet. Je me suis longtemps demandé si un pasteur pouvait porter
un tel objet représentant un serpent… le serpent tentateur, le diable, le satan… ? Aujourd’hui, je me
dis que je le peux. Le serpent n’est pas mon ennemi puisque le Christ m’offre la vie ; et comme le dit
le prophète, dans le royaume l’enfant mettra sa main dans le nid de vipères et il jouera avec elles.
Bruneau Joussellin
Bruxelles-Musée
le 27 sept. 2015
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